Les lecons de la mecanique quantique · PDF filePourtant la théorie quantique les qualifie, et en termes de prévisions qui se ... La teneur et l'étendue de la révolution conceptuelle

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  • LES LEONS DE LA MCANIQUE QUANTIQUE : VERS UNE PISTMOLOGIE FORMALISE

    Mioara Mugur-Schchter *

    Note. Le texte qui suit est le manuscrit dun article publi dans la revue Le Dbat (N 94, Mars-Avril 1997) avec des modifications insignifiantes consistant surtout en une fragmentation en sous-chapitres portant des titres destins faciliter la lecture. Lobjectif de ce texte tait de communiquer un public plus large un constat et un but qui ont pu fdrer en 1994 quelques chercheurs de comptences diffrentes pour constituer ensemble un Centre pour la Synthse d'une pistmologie Formalise (CeSEF), qui travaille ce jour. Les premiers rsultats des travaux pourront tre trouvs dans un premier livre collectif intitul Proposals in Epistemology : Quantum Mechanics, Cognition and Action, Kluwer Academic, Mioara Mugur-Schchter and Alwyn van der Merwe, eds., 2002.

    LES MODES DE CONCEPTUALISATION DU REEL CHANGENT

    Sur les frontires de la pense on peut discerner des formes nouvelles. Certaines se sont installes depuis des dizaines d'annes, d'autres sont en train d'merger. On les tiquette par des termes comme "dcidabilit", "auto-organisation", "systmique", "information", "chaos", "fractal", "complexit". Globalement, ces formes nouvelles manifestent certains changements dans les bases de nos conceptions.

    Chez les mathmaticiens s'est tablie la notion que les possibilits de principe des actions mathmatiques ont des limites (la cohrence formelle d'une assertion mathmatique, avec les donnes explicites qui dfinissent le systme formel o cette assertion est formule, n'est pas toujours dcidable l'intrieur de ce systme, etc.).

    Les frontires entre le systme tudi et le reste, son environnement, s'esquivent. Les biologistes attirent l'attention sur l'absence, dans une entit vivante, de tout support matriel invariant, et mme de toute stabilit seulement fonctionnelle qui soit entirement prtablie, "programme", indpendamment du milieu. Ils parlent d'"organisation autopoetique" et de "clture organisationnelle" par quoi un systme vivant reconstitue constamment sa matire, ses formes et ses fonctions, par des processus o la rtroaction sur le systme, des effets de ses interactions avec le "milieu", joue un rle aussi fondamental que les caractres propres du systme. Ils parlent galement d'ensembles de systmes qui interagissent entre eux et avec le milieu commun, constituant ainsi des "rseaux auto-organisants" o les formes, les caractres

    * Prsidente du CeSEF, Professeur de Physique Thorique, ancienne Directrice du Laboratoire de Mcanique Quantique et Structure de lInformation de lUniversit de Reims, France.

  • et les fonctions - cette fois aussi de groupe tout autant qu'individuels - dpendent de faon cruciale des interactions.

    Ds qu'il s'agit du vivant l'artificiel dans la distinction entre cause et but devient frappant. La pense "systmique" met en vidence l'importance dcisive, pour tout tre ainsi que pour ces mta-tres que sont les organisations sociales, des modlisations pragmatiques, des "conceptions" induites par des buts subjectifs, qu'on place dans le futur mais qui faonnent les actions prsentes. Ces buts, lis des croyances et des anticipations, rtroagissent sur l'action au fur et mesure que celle-ci en rapproche ou en loigne, cependant que l'action, en se dveloppant, modifie les buts. Il en rsulte une dynamique complexe dpendante de sa propre histoire et du contexte et qui requiert une approche cognitiviste et volutionniste.

    La thorie de (la communication de) l'information introduit, pour la description de la circulation des messages, une reprsentation probabiliste d'un type nouveau selon laquelle tout message reu dpend invitablement de la nature du "canal" de transmission des messages, pas seulement du message envoy : selon l'approche informationnelle ce qu'on observe est pos explicitement comme tant foncirement relatif la modalit par laquelle on arrive percevoir. La possibilit d'une absolutisation "objectivante" (reconstruction du message envoy) est tudie en second lieu et les conditions de sa ralisation sont tablies indpendamment, et en fonction des modalits de l'observation.

    Les investigateurs du "chaos" dissolvent une confusion millnaire en laborant d'une part des exemples mathmatiques abstraits et d'autre part des simulations, qui dmontrent que le dterminisme n'entrane pas la prvisibilit : cte cte, les modlisations dterministes et la pleine reconnaissance du caractre marqu d'alatoire des faits tels que nous les percevons directement, accdent ensemble l'indpendance. La croyance factice qu'il faudrait choisir entre un postulat de dterminisme ou un postulat de hasard, s'vapore, et tout un monde de questions nouvelles concernant les relations entre les bases de ces deux postulats, devient dsormais visible.

    Les philosophes de la "complexit" intgrent des paysages conceptuels o des boucles incessantes d'actions et rtroactions engendrent des hirarchies inextricablement imbriques de complexifications de matire, d'individus, de consciences, d'artefacts, d'organisations sociales, de savoirs.

    On pourrait prolonger l'numration. Partout les contours de sparations qu'on posait comme videntes et absolues, se couvrent de tremblements et fissures. Mais dj, par les exemples mentionns, on sent qu'il s'agit l de changements qui, bien que distincts en surface, sont lis. On sent aussi que les implications de ces changements descendent trs bas, qu'elles touchent et modifient les pentes de la toute premire strate de notre conceptualisation, celles o s'est forge la structure gnrale de notre faon actuelle de penser et de parler. Mais la nature de modifications de cette sorte, prcisment parce qu'elles changent la manire tablie de penser et parler, est trs difficile saisir en faisant travailler la manire tablie de penser et

  • parler. L'existence de telles modifications devient donc manifeste longtemps avant qu'on puisse discerner en quoi elles consistent.

    QUESTION

    Cette existence, en tant que telle, avant d'avoir essay d'en expliciter le contenu, pose problme. La conceptualisation, par l'homme, de ce qu'il appelle le "rel", est elle-mme un phnomne "rel". N'est-elle alors pas soumise des lois, des invariances ? En un certain sens, il doit en tre ainsi, mais en quel sens, exactement ?

    Comment infiltrer nos regards assez profondment et comment faire pour tre srs de saisir et de fixer dans l'exprim les contenus de la transmutation qui est en cours ? Sans avoir attendre des dizaines d'annes que le processus s'accomplisse par le cumul alatoire des savoirs et de leurs interactions ? Comment laborer une reprsentation intgre ?

    Il serait d'une cruciale utilit qu'on russisse. Seul ce qui est connu d'une faon explicite et globalise acquiert un contour et devient perceptible de l'"extrieur", et ce n'est qu'alors qu'on peut le dtacher et en faire un vritable instrument, maniable dlibrment.

    LA MCANIQUE QUANTIQUE

    Pralables Au dbut de ce sicle la thorie de la relativit a rduit - au sens o l'on rduit une

    fracture - la structure du concept d'espace-temps qui sous-tend les descriptions d'vnements physiques de toute nature. Et partir de 1924 la mcanique quantique a creus des canaux formels-conceptuels-oprationnels qui permettent aux actes pistmiques de l'homme de s'appliquer directement sur de l'inobservable et d'en extraire des prvisions observables qui se vrifient souvent avec des prcisions troublantes. Bien sr, il s'agit l de rvolutions confidentielles qui n'ont vritablement rorganis que la pense d'un nombre de gens relativement infime. Mais les philosophes et les pistmologues, aids par les vulgarisations de quelques physiciens, ont engendr un processus de communication par lequel - l'tat informel et osmotiquement - des vues de la physique moderne ont infus plus ou moins dans beaucoup d'esprits. Les nouvelles approches qui se dveloppent actuellement ont germ sur ce terrain chang.

    Je fais maintenant l'affirmation suivante - probablement surprenante - qui me parat cruciale.

    La mcanique quantique, comme un scaphandre, PEUT nous faire descendre jusqu'au niveau des actes vritablement premiers de notre conceptualisation du rel. Et, partir de l, elle peut INDUIRE une comprhension explicite de certains traits fondamentaux de la nouvelle pense scientifique.

  • La possibilit de cette descente et remonte est indique par les considrations suivantes. Notre manire de concevoir l'"objet", ce qu'on spare du "reste" afin de pouvoir

    examiner, raisonner, communiquer, marque toutes nos penses et actions. Or, quasi unanimement, le mot d'"objet" est encore ressenti par le sens commun comme pointant vers un dsign qui est foncirement li de l'invariance (matrielle, morphique et fonctionnelle) et ce qu'on pourrait appeler une "objectit" intrinsque qui prexisterait tout acte d'observation et de conceptualisation. Tout notre langage, toute la logique et la pense probabiliste classiques, sont fonds sur ce postulat, plus ou moins implicite. (Un tel postulat incline rflchir en termes simplifis, de dterminations sens unique, et de prdictibilit illimite). Il semble clair qu'une telle conception de l'objet n'est pas cohrente avec l'essence des notions modernes d'information et d'auto-organisation, par exemple. Mais avec la mcanique quantique elle se trouve en contradiction directe, radicale, et spcifiable en termes simples (1). J'essayerai de le montrer en ce qui suit.

    La mcanique quantique tudie les "tats de microsystmes". Ces mots dsignent des entits dont nous affirmons l'existence mais qui ne sont pas directement perceptibles par l'homme. Pourtant la thorie quantique les qualifie, et en termes de prvisions qui se vrifient avec des prcisions qui souvent dpassent l'imagination. Comment est-ce possible? Comment, tout d'abord, un tat inc