Les Luttes Pour La Visibilité - Olivier Voirol

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Les Luttes Pour La Visibilité - Olivier Voirol

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  • Rseaux n 129-130 FT R&D / Lavoisier 2005

    LES LUTTES POUR LA VISIBILIT

    Esquisse dune problmatique

    Olivier VOIROL

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  • out semble indiquer que la question de la visibilit occupedsormais une place prpondrante dans les socitscontemporaines. Tels acteurs dplorent labsence dattention

    publique accorde leur situation ou leurs problmes , tels autresrevendiquent un surcrot de visibilit, notamment mdiatique1. Du ct desmouvements sociaux et politiques, les revendications de visibilit semblentstre installes dans le vocabulaire courant : il est question de mouvementsd invisibles , de sans-voix ou de sans-visages , ou encore de sans tout court. La problmatique de la visibilit revient en outre demanire rcurrente dans le vocabulaire de formulation des plaintes lors dudveloppement de mouvements daction collective2 : dnonciation delinvisibilit, recherche de la visibilit des causes soutenues, de ses problmes et sa situation dinjustice, etc. Bref, la question de la visibilitsemble tre entre dans lunivers des questions systmatiquement abordeslorsquon se penche aujourdhui sur les conflits sociaux et les dynamiques delespace public. Faut-il voir en cela un phnomne nouveau ? Lesmouvements daction collective nont-ils pas toujours cherch apparatrepubliquement et en particulier se faire voir devant les instances depouvoir ? Ainsi, par exemple, les paysans anglais du dix-huitime sicle dontparle E. P Thompson, en rvolte contre le prix du bl impos par lesmeuniers, ne dveloppaient-ils pas des modalits de visibilisation auprs deleurs interlocuteurs ou de leurs adversaires ? Leurs actions ntaient-ellespas condamnes apparatre travers des formes de manifestation et enadoptant des registres spcifiques de formulation des plaintes ?3 Il semble, premire vue, que la question de la visibilit traverse lhistoire des luttes

    1. Ce texte a fait lobjet dune prsentation en mars 2003, dans le cadre du Centre derecherche sur laction politique lUniversit de Lausanne (CRAPUL) et dans une sance duCRESAL Lyon. Je tiens remercier les participants ces sances pour leurs remarques etcommentaires. Mes remerciements sadressent galement Dominique Pasquier, Pierre-Antoine Schorderet et Pascal Viot pour leur lecture attentive de ce papier et leurs suggestions.2. A ce titre, on pourrait prendre lexemple de diffrents mouvements comme les sans-papiers(SIMEANT, 1997), Act up (NEVEU, 2000), le mouvement fministe ou encore le mouvementzapatiste au Mexique.3. THOMPSON, 1988.

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    sociales et des diffrentes modalits de laction collective. Cependant,limportance de la question de la visibilit ne saurait tre renvoye lapermanence du toujours ainsi qui ferait oublier les transformationsstructurelles de lapparition publique, pas plus quelle ne saurait treramene un phnomne strictement contemporain, voire un effet demode dans les registres revendicatifs mobiliss offrant la rigueur uneversion remche de la reprsentation du monde social promue parlimaginaire de lexclusion. Ne faudrait-il pas voir, dans ce phnomne,lindice dune transformation profonde des formes de lexistence publiquedans les socits modernes, lesquelles reconfigurent les modalits de lactioncollective ? Ny aurait-il pas, ds lors, derrire le vocabulaire de la lutte pourla visibilit une revendication beaucoup plus essentielle de ce que signifielexistence publique dans les socits actuelles ?

    Cest ces quelques questions que jaimerais tenter de rpondre dans ce texte.Je fais le pari quil y a derrire la revendication de visibilit non pas unphnomne passager dans les rpertoires de revendication mais un rvlateuressentiel de la structuration des socits contemporaines impliquant des enjeuxspcifiques et ayant des consquences sur la formation des luttes sociales etpolitiques. Pour avancer dans cette analyse, je vais tenter, dans un premiertemps, de mettre en vidence le lien entre action collective, apparence etvisibilit. A cette fin, je cheminerai grce la conception du domaine publicdveloppe par Hannah Arendt, et notamment ses concepts dapparence et demonde commun. La question de lapparence savre en effet fondamentaledans lanalyse de linfrastructure de la visibilit publique. Dans un secondtemps, je vais tenter de distinguer entre deux formes de visibilit, luneimmdiate et lautre mdiatise, distinction qui permet de comprendre avecdavantage de finesse les transformations de la scne de la visibilit souslemprise croissante des mdias de communication. Dans un troisime temps,je tenterai de montrer comment les mdias de communication dfinissent leur faon les contours de la scne de visibilit mdiatise. Car ce sont desinstitutions de slection, de mise en forme et de hirarchisation des noncsdestins au public. Elles rendent possible la disponibilit de ces noncs dansdes univers de rception dmultiplis et jouent le rle non seulement de gate-keaper mais aussi de formatage et de construction des ralits discursives.Dans un dernier temps, enfin, je reviendrai sur lide de lutte pour la visibiliten cherchant rendre compte de ses modalits propres, notamment enminterrogeant sur les consquences sociales de linvisibilit sur les acteursindividuels ou collectifs qui en sont victimes.

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    Apparence et domaine public

    Dans ses tudes sur la condition moderne, Hannah Arendt abordait laquestion du domaine public et de lapparence au sein dun univers partag.Dans sa perspective, apparatre cest exister dans un espace dactions etdinterrelations rciproques. Laction suppose pralablement lapparition etla constitution dun espace qui est demble collectif car agir suppose laprsence dautrui. Attache lexistence dautrui et sa prsence, lactionest rendue possible par le processus dapparition qui seul permet unerciprocit. Cest dans ce processus que les acteurs individuels et collectifsproduisent et reproduisent les catgories signifiantes du monde dans lequelils vivent. Cest la polis qui, selon la terminologie dArendt, constituelespace de lapparence par excellence, cest--dire le lieu dans lequel lesacteurs se rendent saisissables les uns aux autres, se rencontrent etinteragissent. La polis est le fruit de lmergence de laction et de la parolecommunes, elle est lespace virtuel dans lequel les acteurs individuels etcollectifs se rendent visibles un public de semblables et o ils peuvent trevus et entendus ; elle est le lieu du dvoilement, de lexposition et delinscription de laction dans le monde. Non localisable dans un espacephysique spcifique, elle prend forme l o des acteurs entreprennent dagiret de parler. La polis merge donc nimporte o et nimporte quand, dans ledploiement de laction et de la parole collectives. Arendt remarque ainsique lespace de lapparence commence exister ds que des hommessassemblent dans le monde de la parole et de laction ; il prcde parconsquent toute constitution du domaine formel du domaine public et desformes de gouvernement, cest--dire des diverses formes sous lesquelles ledomaine public peut sorganiser 4. Lespace de lapparence, qui est doncpartout o des acteurs se rassemblent, existe potentiellement mais pastoujours factuellement.

    Dans la conception dArendt, le domaine public est fait dune multitudedapparences susceptibles dtre vues et entendues par toutes et tous. Ce quiapparat est ce qui constitue la ralit mme du monde, cette dernire tantassure par la prsence dautrui, ouvertement susceptible de voir ce que nousvoyons et dentendre ce que nous entendons. Pour nous lapparence cequi est vu et entendu par autrui comme par nous-mmes constitue laralit. Compares la ralit que confrent la vue et loue, les plus grandes

    4. ARENDT, 1961, p. 259.

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    forces de la vie intime les passions, les penses, les plaisirs des sens mnent une vague dexistence dombres tant quelles ne sont pastransformes, arraches au priv, dsindividualises pour ainsi dire en objetsdignes de paratre en public 5. Le processus dapparition et de constitutionde la polis va donc de pair avec lexistence dun monde commun, fait desrelations entre les acteurs, dactions et de paroles relies les unes aux autres6.Le monde commun est constitutif du public, il est fait de tout ce que lesacteurs partagent avec autrui, mais aussi des actions, des productions, desparoles antrieures. Cest lexistence dun monde commun qui rend possibleune collectivit daction car il constitue larrire-plan de langage et denormes partir duquel lagir procde. Mais il est galement, selon Arendt,une coexistence dynamique de points de vue pluriels qui sentrechoquent etse rtroalimentent.

    Renouvel de manire permanente par la dynamique de laction et delapparition, le monde commun est galement soumis des processus dedstructuration se traduisant par la destruction des rfrents communmentpartags. Lisolement des acteurs et le dni dapparence qui frappe desacteurs individuels et collectifs sont les principaux facteurs de destruction dumonde commun. Celle-ci suppose galement la suppression des rfrentspluriels par limposition dune perspective homognisante interdisantlexpression dinterprtations divergentes et de points de vue contradictoires ce qui correspond la dissolution des perspectives singulires dans cellede la totalit. Et la destruction du monde commun va de pair avec larduction des potentialits dapparence, elle produit lisolement des acteursindividuels, privs de la possibilit de voir et dentendre autrui comme dtrevus et entendus par autrui.

    Cest donc la polis qui constitue cet espace o les acteurs apparaissent enpublic et se rendent visibles et entendables les uns aux autres par leurapparition publique. Un acteur individuel dployant son action sexpose, ilfait voir des actes et entendre des paroles qui, sans cette opration dervlation, resteraient confins au for priv. Etre tenu lcart de la 5. ARENDT, 1961, p. 90.6. Chez Alfred Schtz, le monde commun renvoie un postulat fondamental que touteinterprtation est partage par autrui, dans la mme situation. Tout acteur tient pour allant desoi, et prsume que son semblable fait de mme, quen changeant leurs places ils auraienttypiquement la mme exprience de ce monde commun. Lacteur postule invitablement unmonde commun intersubjectif et anticipe une communaut dexprience et de description, etdonc la possibilit de rendre congruentes des expriences diffrentes (SCHTZ, 1970).

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    dynamique dapparition publique signifie tre priv ou exclu duneparticipation la polis, ce qui revient tout bonnement, dans la perspectivedArendt, une privation de ralit, puisque le sens de la ralit du mondeest seulement garanti par la prsence dautrui et par lapparence publique.Sans possibilit de se faire voir et entendre, cest le sens de la ralit de soiqui saltre. En effet, lidentit de soi et le sens de la ralit nont deconsistance que lors du dploiement de laction et de la parole dans unespace dapparence partag. Du coup, seule la manifestation des acteurs ausein de la polis permet leur pleine existence, laffermissement du sens durel et leur sentiment dexister comme membres part entire du groupe.Arendt note par contre que certaines formes dexpriences, comme parexemple celle de la souffrance extrme, sont difficilement transformables ennoncs publics, ce qui les rend irreconnaissables au monde et les condamneau silence. Les apports indniables de cette approche arendtienne qui insistesur la dynamique de lapparence dans la constitution du domaine public nesauraient cependant combler ses lacunes concernant la prise en compte destransformations modernes de la polis. Arendt na en effet gure pris ausrieux lmergence dinstitutions puissantes qui contribuent rgler lesdynamiques dapparence en leur imposant des formes limitatives etcontraignantes. Les rapports de pouvoir auxquels donnent lieu cestransformations font apparatre des mcanismes de centralisation contribuant laisser dans lombre des expriences sociales et faire de lapparence surcet espace un enjeu de conflits et de luttes sociales.

    Visibilit immdiate et visibilit mdiatise

    Lapproche arendtienne du domaine public permet cependant de comprendrele processus de constitution de la visibilit et son rapport laction et lexistence publique. Mais la conception de la visibilit comme apparence etcomme condition de la relation autrui est, ce stade, encoreinsuffisamment claire pour tre oprationalisable dun point de vuesociologique. La notion de visibilit doit tre davantage prcise. Selon cetteapproche, lapparence au sein de la polis relve de la constitution derelations au sein dun espace (certes non localis) dont les rfrentssmantiques sont collectivement partags. Les recherches sociologiques surlorganisation de la vie quotidienne inspires par la traditionphnomnologique se sont penches sur les modalits sociales etsmantiques des foyers dattention dans le cours des activits pratiques.Alfred Schtz insistait sur le fait que le sens suprme de la ralit

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    correspond lexprience immdiate : cest partir de cette exprience quesorganise le champ dintelligibilit des occurrences dans la pratiqueordinaire. Le degr premier dattention se concentre sur lunivers desapparences immdiates, dans un espace et une temporalit contigus7. Avanttoute chose, lexprience sorganise par une attention sur limmdiatet delici et maintenant, fait de relations de face--face et dune inscriptionimmdiate dans lespace et le temps. Lattention lmergence desapparences sopre dans un univers de concernement immdiat minemmentpratique. Lattention porte par les acteurs dans le cours de leur actionsopre ainsi dans une sphre de pertinence immdiate en quelque sorte porte de main et sur laquelle ils peuvent intervenir par la parole etlaction. Et cest justement dans cette portion du monde de la relevancepremire que se dploie lessentiel de leur agir.

    Alfred Schtz prenait en compte le rle croissant des dispositifs mdiatissdans lexprience de la vie quotidienne. Ainsi, il concevait une formedattention, moins exigeante, mais toujours relie la sphre de relevancepremire inscrite dans lappartenance immdiate au monde. Ces zones derelevance secondaire existent par la prsence de mdiations qui rendentpossible la connexion entre des univers spatialement, voire temporellement,dconnects. Une telle distinction entre relevance immdiate et relevancemdiatise permet de mettre en vidence une des transformationsfondamentales de la structure de lexprience en fonction de limportancecroissante des dispositifs mdiatiss de constitution des formes dapparence.Les sociologues et historiens qui se sont penchs sur ltude des socitsmodernes soulignent limportance du dveloppement des mdias decommunication dans la lmergence historique de nouvelles formes derelations indirectes8. Lapparition et le dveloppement des mdias decommunication, des premiers crits imprims jusquaux rseauxlectroniques les plus rcents, ont rendu possible ces formes de relations distance. John Thompson souligne combien leur dveloppement afondamentalement chang la nature des interactions humaines : lusage demdias de communication implique la cration de nouvelles formes dactionet dinteractions dans le monde social, de nouveaux types de relationssociales et de nouveaux modes de relation aux autres et soi-mme. ()Lusage des communications transforme lorganisation sociale et temporellede la vie sociale, crant de nouvelles formes daction et dinteraction et de 7. SCHTZ, 1970.8. THOMPSON, 1995.

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    nouveaux modes dexercice du pouvoir 9. Avant le dveloppement desmdias de communication, lexprience tait structure par la simultanit etla localit, elle se dployait avant tout dans le ici et maintenant.Lexprience de lespace et du temps se formait travers des relations deface--face et la socialisation se faisait dans des relations dimmdiatet. Etle savoir sur le monde au-del de lunivers dappartenance socialement etspatialement dlimit se constituait travers des rcits oraux dans lescontextes de la vie de tous les jours. Toutefois, avec le dveloppement desmdias de communication, le rapport des acteurs sociaux au monde situ au-del de leur exprience immdiate sest transform. Ds lors, les relations deface--face et la transmission orale des rcits sont complts par des formesde communication distance, ce qui modifie en profondeur le savoir et lerapport au monde social.

    Les mdias de communication permettent de surpasser les frontirestemporelles et spatiales caractristiques de linteraction situe : ladistanciation spatiale ne requiert plus la distanciation temporelle ce qui mne une reconfiguration de lexprience quotidienne par lextension de lasphre dattention possible. Le sens du monde devient insparable desapparences mdiatises et lhorizon de visibilit slargit corrlativement. Ildevient ds lors possible pour les acteurs de prendre de la distance parrapport aux noncs des interactions de face--face prvalant dans la vieordinaire localise. Et le sens de soi est alors moins contraint par luniversdexpriences immdiat et davantage nourri par de multiples formessymboliques mdiatiss. Plus que jamais, la constitution du soi sopre travers une gamme tendue de supports symboliques : les acteurs sontconfronts des possibilits multiples de se dtacher des contextes pratiquesde la vie ici et maintenant et de juger leurs propres modalits dexistence laune dautres rfrents smantiques. Ceci tend le spectre des optionsdisponibles et rend possible laccs des modes de vie et des alternativesauparavant inimaginables. Cest dire que le dveloppement des mdiascontribue aussi largir le sentiment dappartenance au monde au seinduquel se partage une exprience commune.

    Avec lextension des relations mdiatises grce aux moyens decommunication, un nouvel espace dapparence sest donc ouvert, qui atendu lhorizon dexprience, transform le sens de soi et largit lhorizon

    9. THOMPSON, 1995, p. 4.

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    de visibilit. On a assist la cration dun univers public qui nimpliqueplus le partage dun espace physiquement dlimit. Et la polis, au sensancien o Arendt lentendait, a pris une forme radicalement diffrente,dsormais nourrie par une multitude de relations mdiatises. Certes, cesdernires ne se substituent pas lexprience immdiate dans un espace-temps dlimit, elles sy combinent. Bien quils nen soient de loin pas lesseuls supports, les mdias de communication jouent un rle particulirementimportant dans la cration et le maintien de cet espace dapparence ; ils sontles principaux moyens par lesquels les acteurs accdent la connaissance dumonde au-del de leur sphre immdiate dattention. Ils contribuent ainsi la production dune forme moderne de polis prenant davantage laspectdune scne du visible non localise spatialement, o des actions et desparoles sont rendues publiques et reues par une pluralit dacteurs nonncessairement prsents sur le lieu de leur articulation. Ds lors, la scnemdiatise est potentiellement globale et les mdias de communication sontles relais de lapparence publique des actions et des paroles.

    La question de la visibilit ne se rsume cependant pas cette scnemoderne de mdiation car les acteurs mettent dj en uvre dans leurunivers immdiat daction et dinteraction, des schmes de visibilit pratiquepar lesquels ils agissent et se peroivent mutuellement. Mais ce niveauimmdiat de la pratique salimente dsormais dune multitude de relationsmdiatises qui relvent de la scne de visibilit. En ce sens, il convient dedistinguer entre une visibilit pratique engage dans des cours dactionordinaires en situation de co-prsence et une visibilit mdiatise qui engagelintervention de tiers sous forme de supports symboliques, de techniques,dimages ou de sons. Les deux types de visibilit simbriquent bien que, onla soulign, la visibilit mdiatise occupe dsormais une place croissantedans lexprience quotidienne. Arrtons-nous cependant un instant sur ceterme de visibilit mdiatise. Soulignons tout dabord que toute visibilitprocde dune attention slective oprant un dcoupage qui retient desoccurrences particulires ou des aspects saillants ; en dautres termes, toutevisibilit procde dune sparation entre le visible et linvisible. Unevisibilit mdiatise est une relation entre une portion du monde perue parun mdiateur, objective dans des supports (textes, sons, images fixes oumouvantes), et exprimente par un sujet partir de son regard propre,inscrit dans son univers moral-pratique. Le mdiateur traduit sa manire devoir une situation singulire et lobjective sous forme de rcit. Ce dernier estdonc marqu par cette focale situe dans la construction du visible, qui

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    sadresse un public imagin physiquement absent. De son ct, le sujet quifait usage de ces supports symboliques en les interprtant na pas accs auxsituations concrtes construites par le regard mdiateur et les exprimentedonc partir de ses propres catgories de pertinence qui oprent elles-mmes, invitablement, partir du prisme des catgories de construction duvisible injectes dans le travail de mdiation. En dautres termes, il construitsa connaissance de situations o des expriences spcifiques, dont il nasouvent aucune connaissance pratique et immdiate, partir de laconstruction du visible opr par le mdiateur10.

    Et cest bien la visibilit mdiatise qui rend possible lmergence dunescne du visible accessible des individus isols, inscrits dans leurs universparticuliers et en mesure, du coup, de faire lexprience dun voirensemble 11. Cest la reconduite permanente de cette scne de lapparencepublique soffrant des sujets spars les uns des autres qui constitue etreconstitue sans cesse le socle symbolique dune collectivit de sujetssinguliers faisant une exprience commune. Cest donc aussi quil fautconcevoir la scne mdiatise comme un espace o les acteurs peuvent sortirde linvisibilit et exister aux yeux des autres sans entrer concrtement encontact avec eux. Ainsi peuvent-ils peuvent faire valoir leur point de vue,leurs orientations normatives, leurs prfrences culturelles, sur une scne derelation indirectes o ils savent quils existent pour autrui. Pour autant, laconstitution de ce regard commun nimplique aucunement que tous voientforcment la mme chose car lexprience du voir est irrductiblement lie lhorizon dattente de chacun. Et tous ne sont pas forcment daccord sur cequi est vu et ce qui doit tre digne dattention. Bien au contraire, laconstitution du visible soffre au jugement de sujets dous de parole etdaction mais aussi de capacit de juger, de remettre en question lessystmes de conviction et les hirarchies symboliques qui structurent lecollectif et se manifestent voir dans lordre de visibilit mdiatise.Dautant plus que la construction du visible opre invitablement sur lemode du dcoupage, dont les rebuts sont condamns linvisibilit. Parconsquent, des pans entiers de lexprience sociale demeurent dans lombreet le silence, condamnant ds lors des situations, des expriences, des acteurset des pratiques rester en marge de lattention publique. Cest donc direaussi que la scne de visibilit mdiatise est structure par un ordre duvisible qui inclut autant quil exclut, qui promeut lavant-scne autant quil 10. SOBCHACK, 1992.11. MONDZAIN, 2003, p. 18.

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  • 100 Rseaux n 129-130

    relgue aux coulisses, qui confre de la reconnaissance publique autant quilcondamne linsignifiance. Ds lors, elle ne saurait tre comprise autrementque comme une scne traverse par des rapports de force et des mcanismesde domination, mais aussi, nous le verrons, par des luttes pour la visibilit.Les mdias de communication jouent un rle essentiel dans la constitution decette scne du visible et fonctionnent comme des instructeurs de lattentionpublique et nonant ce quil faut voir et les manires de le faire. Cestpourquoi il convient de sarrter un instant sur leurs modalits dorganisationet leurs procds de construction du visible.

    Linfrastructure mdiatique de la visibilit

    Lexprience de la vie quotidienne se droule dans un univers dapparencelimit spatialement et temporellement mais sur lequel vient se grefferlexprience mdiatise rendue possible par laccs des apparencesdconnectes de leur contexte dlaboration et objectives dans des supportssymboliques. Les mdias de communication contribuent sortir cesoccurrences locales de leur contexte et leur confrent une dimensionpublique. Ils crent un espace de rencontre des apparences parfois trsloignes dans le temps et dans lespace et les mettent dispositiondunivers de pratiques dmultiplis. Au cours de ce processus, ils mnent un travail didentification, de slection et de formatage des apparencesrendues dignes de publication, en procdant des oprations de cadrage etde condensation qui en redessinent les contours. Les mdias rvlent ainsileur fonction ambivalente : en rendant accessibles des actions et des noncs des univers de rception multiples, ils largissent lhorizon de visibilit,mais, simultanment, rvlent ce qui fait le fondement mme de leurpouvoir. Car ils identifient, canalisent, slectionnent, raccourcissent etcondensent les actions et les noncs se manifestant sous formesdapparences en les transformant en produits symboliques formats sur labase dun traitement organisationnel standardiss. Ils ont ce pouvoir,fondamental sil en est, dexercer un contrle efficace sur les processus depublicisation, de mettre ensemble, de reproduire large chelle les rfrentssymboliques de ce qui passe pour le monde commun, de dterminer ce quidoit figurer dans lordre de la visibilit mdiatise et ce qui en est exclu12.

    12. HABERMAS, 1987.

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  • Les luttes pour la visibilit 101

    Le processus de constitution de lapparence mdiatise suppose un premiermoment didentification dune apparence, constitue ensuite en entitdiscursive stabilise. Parmi linfinie multitude dactivits qui ponctuent ledroulement de la vie sociale, certaines occurrences, situations ou pratiquesdeviennent problmatiques et acquirent le statut mdiatique de faitsnotables , dignes dun traitement spcifique et dune mise en rcitstructure13. Ce qui est susceptible de passer dans les mdias est ce quiest observable par les professionnels de linformation est ce qui se donnedemble lintelligibilit journalistique. Lensemble des mergences quisoffrent quotidiennement au regard, dans le cours de la pratique sociale,mais qui ne sont pas susceptibles dentrer dans un univers de pertinence, etdonc de devenir un objet dattention, resteront dans linvisibilit. DavidSudnow, qui a tent une sociologie du coup dil, faisait remarquer combience dernier est important pour la coordination des personnes dans le cours dela vie quotidienne : elles doivent tre capables danticiper les mouvementsdautrui, de prvoir des cours daction dans un bref laps de temps, desynchroniser les gestes, etc. Le coup dil permet de percevoir les actionsdautrui, les caractristiques dune scne, des statuts catgoriques, dedistinguer des dtails de lobservation et infrer des cours daction, dereconnatre immdiatement la production des apparences par autrui dans unesituation, de construire des apparences de soi de manire contrler lacatgorisation effectue par les autres, etc. Le coup dil est ainsi unecomptence pratique mobilise pour ainsi dire en permanence, traverslaquelle les acteurs organisent leur univers dattention. Il ne devient regardqu travers une opration de reprage et didentification, dans la scneobserve, doccurrences dfinies normativement comme dignes dattention.Le regard se concentre alors sur la scne observe, sur les activits despersonnes et peut donner lieu une description plus dtaille des catgoriesauxquelles appartiennent les acteurs, du cours des activits, des apparencesproduites, etc. La focalisation de lattention sur une scne donne tmoignedun intrt particulier pour un type daction, de parole, de catgorie,constitu par un arrire-plan normatif. Cest dire que coups dil et regardssont des units dobservation rgies de manire normative14. On pourraitparler dun coup dil journalistique sur le monde, au cours duquel desapparences sont identifies comme pertinentes, des foyers dattention sontcrs pour tre ensuite retravaills selon les procdures de construction desproduits mdiatiques. Les professionnels de linformation, comme tout 13. QUERE, 1997.14. SUDNOW, 1972.

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  • 102 Rseaux n 129-130

    acteur social, mettent en uvre des catgories dobservation du monde socialqui leur sont propres et partir desquelles ils identifient certainesoccurrences et pas dautres, les slectionnent et les retravaillentdiscursivement. Du coup, ils oprent une slection dans les oprations defabrication des apparences mdiatises qui fonctionnent comme unecensure implicite , ils canalisent et restreignent le champ des faits dignesdentrer dans lunivers de la mdiatisation. Pour accder cette dernire,toute action ou tout discours doit se soumettre cette opration de slection,de condensation et de mise en rcit, bref de formatage mdiatique.

    Les professionnels de linformation mettent en uvre une connaissancepratique base sur des routines de mtier et des formats standards conformesaux impratifs de linstitution mdiatique et, bien avant de soumettre leursproduits aux quipes de rdaction, oprent une forme de censure dans lamise en rcit, ne retenant que ce qui est considr par eux comme dignedattention. Ce sont ainsi des grilles de lectures institues au sein dununivers professionnel qui jouent, condamnant linvisibilit les actions ouparoles considres comme insignifiantes de ce point de vue. Ainsi, cesprofessionnels savent pertinemment ce qui est attendu deux etanticipent, dans le travail didentification des apparences, de slection et demise en forme, qui soprent en fonction des formats standards des supportsmdiatiques, ce qui parat mdiatisable et ce qui ne lest pas. Ce peuttre, pour les professionnels de limage, des manires de tourner une scne,ladoption de plans ou de prises de vue conformes aux formats standardsattendus pour un type de mdia ou un type dmission15.

    Lorganisation des relations de travail au sein des institutions mdiatiquesest insparable du type dinformation produite. Les relations entrediffrentes professions, les manires de faire qui sont aussi le plus souventdes manires de voir , la division technique et sociale du travail,limposition de critres conomiques, la distribution du pouvoir interne et lahirarchisation des modes de dcision, jouent un rle dans le processus deconstruction des produits mdiatiques. Les pratiques professionnelles, lesmodes dorganisation du travail figurent parmi les multiples mdiations quiinfluent sur la manire de faire linformation, cest--dire de faire entrer desapparences singulires dans des formats standardiss de discours publics.Mais il faut aussi prendre en compte les modes daccs linformation et les

    15. RELIEU, 1999.

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  • Les luttes pour la visibilit 103

    routines organisationnelles qui font que des types dapparition ou des typesdacteurs individuels ou collectifs se voient assurs dun accs quasiroutinier la visibilit publique. Il existe des hirarchisations institues surles types dapparences susceptibles ou non daccder lespace demdiatisation. Ainsi, les productions dapparences ancre dans des routinesinstitutionnelles, comme les confrences de presse des gouvernements, desgrandes institutions, des entreprises, etc., se voient assures dune couverturemdiatique. Laccs permanent lapparence publique est rserv auxinstances de pouvoir, qui se voient garanties de produire une expriencepublique large chelle par la seule mobilisation des mdias. A ce niveau deproduction de linformation, les mdias ne procdent que marginalement autravail de hirarchisation et de slection systmatique. La grande majoritdes informations publies relve de la routine informationnelle et est fondesur des activits dlibres. Mais tout type dapparition, toute situation, tousles acteurs sociaux, ne disposent pas du mme accs quasi routinis auxmdias. Il se voient alors contraints de perturber les routines daccs auxcanaux de linformation publique pour produire une apparence mdiatique.Ces acteurs doivent recourir des procds de visibilisation supposant desformes de cration dvnement en perturbant les arrangements publics envigueur16.

    Dans la dfinition journalistique de linformation digne de mdiatisation etles oprations de slection et de hirarchisation, interviennent en outre descomposantes organisationnelles, sociales et politiques. Les rseaux derelations tisss entre les acteurs du champ journalistique et les acteursconomiques, par exemple, contribuent installer un monde de connivenceet de proximit sociale qui nest pas sans effets sur la fabrication desproduits informationnels. La mobilisation des bonnes relations au sein duchamp journalistique permet de promouvoir des informations conformes des intrts ou des orientations spcifiques. Mais la proximit socialesignifie surtout la production dun univers dintelligibilit partag qui permetde voir comme , de produire des schmes dorganisation dune pertinence partir desquels des apparences seront remarques et considres commedignes de mdiatisation et dautres relgues dans linsignifiance. Lescontacts informels et les relations au sein des sphres de pouvoir et desclasses dominantes est ainsi un fait avr que les tudes en sociologie dujournalisme ont relev depuis longtemps. A cela sajoute lorigine sociale

    16. MOLOCH et LEISTER, 1997.

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  • 104 Rseaux n 129-130

    des journalistes et leur trajectoire, leurs modes de recrutement, leurformation intellectuelle, qui contribuent une convergence de points de vueavec les univers sociaux du pouvoir. Les institutions politiques, les activitsissues des groupes domins bnficient ainsi dun avantage structurel danslaccs la visibilit mdiatise, ce qui nest gure le cas de la grande partiedes acteurs collectifs, des mouvements sociaux rassemblant des groupesdomins dpourvus de pouvoir symbolique et politique.

    Par consquent, lorigine sociale des professionnels de linformation et lesrseaux de connivence dans lesquels ils sont insrs sont des facteurs quiinterviennent dans les processus de fabrication de linformation, notammentdans la mise en discours des groupes domins exclus de lunivers delapparence mdiatise. Des recherches rcentes sur les pratiquesjournalistiques tendent montrer que lorigine sociale na, en quelque sorte,pas le dernier mot et quil convient de considrer dans sa juste mesure letravail dajustement des acteurs sur les normes du mtier17. La routineinformationnelle se fonde sur des critres professionnels propres ununivers de pratiques nominativement rgl sur des principes de justesse de la bonne information . Ces normes ne sont pas donnes par avancemais soumises des applications situes et des rinterprtations lies descontextes dexprience propres au travail journalistique. La mise en discoursmdiatique dactivits dveloppes par des acteurs individuels ou collectifssuppose non seulement lanticipation des formats mdiatiques institus maisaussi celles des critiques potentielles formules par les acteurs mis en scneet constitus en public. Le travail de mise en forme journalistique est ainsisoumis des critres dfinissant la bonne information et rpondant desnormes morales-pratiques propres aux mtiers de linformation. Mais, si cesorientations normatives ancres dans les pratiques professionnelles dujournalisme jouent dans le travail de mdiatisation, elles ne sauraient tresabstraites des routines organisationnelles mentionnes prcdemment, maisaussi des impratifs conomiques pesant sur les industries de linformation,ou encore des formes de division techniques et sociales du travail dans leprocessus de fabrication de la visibilit mdiatise.

    Ainsi, on sait que la division technique du travail joue un rle dans laconstruction de linformation. On peut prendre lexemple de lorganisationdes reportages des actualits tlvises, qui repose sur une division stricte

    17. LEMIEUX, 2000.

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  • Les luttes pour la visibilit 105

    entre le traitement sonore et le traitement visuel, correspondant unedivision du travail entre la rdaction et le montage18. Les rdacteurs prennenten main les reportages de bout en bout, se chargeant des interviews et dellaboration du reportage en fonction dun angle choisi initialement. Encomparaison, les monteurs ont une part de responsabilit trs limite danslorganisation du travail audiovisuel : ils soccupent principalement duservice sonore et choisissent les images illustrant le commentaire labor parla rdaction. Cette sparation entre limage et le son, qui est au principe de ladivision du travail de montage audiovisuel, a des effets sur le mode deconstruction des reportages. Dans la recherche des images pertinentes adaptes au commentaire du journaliste, les monteurs sappuient sur descritres implicites et des oprations de dcodage, de slection et declassement de linformation. A travers une lecture systmatique du matrielbrut par dfilement rapide, ils dtectent des signes visuels, structurent,stockent, classent, slectionnent des plans, procdent des rarrangementsde composition. Les oprations de classification reposent sur des signesspcifiques, clairement identifiables, mis par le journaliste lors des prises devue sur le terrain en vue de dcouper et de prformater linformation afindallger le travail du montage. Les monteurs ont un sens particulirementfin des codes tlvisuels et des routines danticipation de ce qui passebien , ils connaissent le format temporel qui rend possible un calibrage desimages selon le format impos. Outre la prise en compte du tempsdisponible, ils mobilisent leur connaissance de lorganisation du journaltlvis pour valuer leur marge de manuvre et anticiper des tramesnarratives. Aussi, savent-ils parfaitement reproduire des figures rhtoriquesou diffrents styles tlvisuels adapts au contexte de diffusion.

    Les processus de constitution des apparences mdiatises sont soumis desroutines organisationnelles, des normes morales-pratiques propres auxmtiers de linformation mais aussi, en tout temps, des mcanismes devalorisation conomique. On connat les processus de concentration desorganisations mdiatiques, laccroissement des grands monopoles avec desvises commerciales affiches. Or, le dveloppement de rseauxinternationaux dorganisations mdiatiques guids par le principe delaccumulation capitaliste et de la profitabilit limite considrablement lapossibilit dune pluralit dorganisations mdiatiques indpendantessusceptibles de nourrir davantage la scne de la visibilit mdiatise. Les

    18. SIRACUSA, 1999, 2001.

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  • 106 Rseaux n 129-130

    processus de commercialisation et de concentration dans le domaine desindustries culturelles fait merger davantage le pouvoir mdiatique deslection et de hirarchisation et contribuent limiter le spectre de lacommunication publique. Comme le fait remarquer Habermas, avec lacommercialisation et la condensation du rseau communicationnel, lacroissance des investissements en capital et du degr dorganisation desinstitutions mdiatiques, les voies de communication ont t plus fortementcanalises et les chances daccs la communication publique ont tsoumises des contraintes de slection toujours plus puissantes. De cela arsult une nouvelle catgorie dinfluence, le pouvoir mdiatique, qui, utilisde faon manipulatrice, a ravi linnocence du principe de publicit. Lespacepublic, qui est en mme temps prstructur et domin par les mass media, estdevenu une vritable arne vassalise par le pouvoir, au sein de laquelle onlutte, par des thmes, des contributions, non seulement pour linfluence maisdavantage pour un contrle, aux dimensions stratgiques aussi dissimulesque possible, des flux de communication efficaces 19. Lemprise descontraintes de la valorisation marchande nest pas sans reste sur les procdsde constitution de la visibilit mdiatise. Les prcds de constitution desproduits symboliques sont manifestement soumis cette dernire lorsque lescritres mobiliss sont davantage ceux de lchange marchand que ceux delusage de la pratique interprtative au sein du lespace public. Ainsi, lalogique de lchange simpose lorsque les critres du spectacle guids par lesimpratifs de laudimat prdominent sur les autres critres. On assistegalement une rduction considrable de lunivers dapparence lorsque lesproduits symboliques sont fabriqus lexclusivit dun seul public et quedes franges entires de la socit sont consciemment mises lcart, car ellesne correspondent pas aux populations cibles des publicitaires financeurs dumdium. Ces groupes dacteurs disparaissent tout bonnement de lespace delapparence mdiatise20.

    Limposition des logiques marchandes au sein des organisations mdiatiquesa pour consquence une tendance la ftichisation de linformation. Il fautentendre par l le processus par lequel la fabrication des produitsmdiatiques se dgage de plus en plus de lapparence immdiate et perd toutcontact la pratique pour ne plus rpondre quaux critres de fabrication dela mise en scne mdiatique. La constitution de la visibilit publique, dansun processus avanc de ftichisation, mne la disparition des acteurs, de 19. HABERMAS, 1993, p. XVI.20. CROTEAU et HOYNES, 2001.

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    leur action et de leur parole, au profit dimages abstraites sans rapport avecleurs rfrents ancrs dans lexprience et leurs contextes dexpression abstraction rendue possible par la sparation entre apparence immdiate etapparence mdiatise introduite par le processus de canalisation et deformatage mdiatiques. La ftichisation informationnelle est la consquencede la marchandisation des produits symboliques sous forme dabstraction desrapports sociaux ; elle fait rgner entre les acteurs des rapports purementinstrumentaux et mne la destruction du monde commun. Au lieudtendre lhorizon dapparence, elle le restreint considrablement et vide lascne dapparence de sa dimension collective pour ne mettre en scne quedes acteurs dsarticuls incapables daction commune. Le processus demarchandisation, qui est propre toute forme de production de supportssymboliques, aboutit, lorsquil sopre dans lannulation des critresnormatifs et culturels de constitution des apparences mdiatises, unrtrcissement de lhorizon de la visibilit sociale. Les acteurs deviennentinvisibles les uns aux autres et invisibles eux-mmes quand bien mme ilspeuvent tre exposs en permanence sur le devant de la scne mdiatique.

    Visibilit et reconnaissance

    La constitution historique dun espace dapparences mdiatises attribue auxmdias de communication un rle majeur et en font des centres de pouvoirsoumis des stratgies dinfluence visant, pour les unes, la conqute delhgmonie symbolique, la qute des audiences rduites leur pouvoirdachat, pour les autres. Elle fait apparatre, simultanment, des formesindites dingalits touchant laccs cet espace et produit des formes dedomination caractrises notamment par lexclusion systmatique de lasphre de lapparence publique. Car les mdias de communication canalisenten grande partie laccs la scne de visibilit et procdent une slectionde ce qui est digne de mdiatisation. En mme temps quils participent laconstitution des catgories partir desquelles prend forme une expriencecommune, ils imposent des formes standardises de reprsentation danslesquelles les acteurs et les noncs doivent sinscrire pour apparatre. Maisils contribuent galement dlimiter le spectre de la visibilit mdiatise enexcluant ce qui ne leur est pas digne dattention publique. Leur rle croissantdans la dfinition du pourtour de lunivers des apparences mdiatises a faitapparatre, on le sait, de nouvelles formes de pouvoir mais aussi ouvertsimultanment la voie des pratiques de lutte visant la visibilit. Onqualifiera ainsi de lutte pour la visibilit cette dimension spcifique de

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  • 108 Rseaux n 129-130

    lagir qui, partant dun vcu de linvisibilit ou de la dprciationsymbolique, dploie des procds pratiques, techniques etcommunicationnels pour se manifester sur une scne publique et fairereconnatre des pratiques ou des orientations politiques. Ainsi peut-onobserver quune grande partie des mouvements daction collectivecontemporains expriment, de manire particulirement manifeste, desrevendications de visibilit et rclament, dans leurs critiques et leurs modesde justification, le droit lexistence sociale et publique. On a pu observerque la visibilit sociale devient un registre de revendication part entiredans certains mouvements sociaux. Ds lors, la lutte pour se faire entendreou se faire voir nest pas considrer comme un aspect priphrique mais aucontraire central des soulvements politiques et sociaux contemporains.Plusieurs exemples de luttes sociales montrent ainsi que les revendicationsde groupes domins avancent grce une lutte pour la visibilit publiquerelaye par les mdias mais aussi par dautres canaux de communication les mdias autonomes, les tracts, les actions concrtes. Une lutte sociale quise dploie dans une localisation partage base sur une conqutedapparence immdiate na gure se proccuper de sa visibilit auprsdacteurs ou dinstitutions avec lesquels elle nest pas en relation dans uncontexte de co-prsence. Il faut donc prendre en compte le fait quelinfrastructure de la communication et des rapports sociaux, qui sest miseen place au cours du vingtime sicle, fait de la conqute de lapparencemdiatise la condition dune lutte pour la reconnaissance de thmatiques, depratiques, de formes de vie21.

    Mais limportance grandissante de la lutte pour la visibilit dans ladynamique de lagir en commun doit tre galement ramene aux tendanceshistoriques labstraction des relations entre groupes sociaux et entre classessociales et la croissance concomitante dune invisibilit sociale. Lesmouvements sociaux identifient des cibles, des acteurs vus commeresponsables des problmes noncs, des institutions tenues pour sourcesdinjustices. Dans lunivers de lapparence immdiate, le groupe social prispour cible ou tenu pour responsable dinjustices sociales est clairementidentifiable et se trouve en quelque sorte porte de vue . Mais, danslunivers de lapparence mdiatise, les relations sociales sont indirectes etpassent par diverses mdiations, ce qui multiplie les interfaces entre lesacteurs de la lutte et les instances prises pour cibles. Adorno faisait

    21. HONNETH, 2000.

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  • Les luttes pour la visibilit 109

    remarquer, dj dans les annes quarante, combien lvolution des socitscapitalistes modernes tendait vers une invisibilisation des antagonismessociaux par labstraction des relations sociales et la propagation dune visionharmonieuse de la socit22. Les rapports entre classes sociales sont rendusinvisibles au profit dune reprsentation abstraite du rapport social aveuglantqui a pour consquence de rendre les groupes dominants insaisissables etdempcher les populations domines de sexprimenter comme soumises aumme destin collectif. On assiste ainsi un processus dabstraction desrapports de domination et des rapports entre groupes sociaux lissue duquellexistence mme dune structure ingalitaire dans les relations sociales tend disparatre. La scne de visibilit mdiatise est lespace de dploiement deformes abstraites et indirectes de relations entre groupes sociaux et lesacteurs collectifs, qui ne sadressent linstance cible qu travers unemultitude de mdiations. On la vu, les mdias de communication font partiede ces mdiations que les acteurs collectifs investissent pour porter leurscauses, se faire entendre, ce qui signifie sortir de lombre en luttant pourla visibilit. On sait aujourdhui combien le rle des mdias danslorganisation des manifestations tend transformer les formes mmes delaction collective, en faisant apparatre des manifestations de papier visant obtenir la mdiatisation23. Les mouvements sociaux visent gagneren visibilit mdiatique non pas seulement pour faire valoir leurs attentes dereconnaissance mais aussi pour mobiliser lopinion publique et agir, par cebiais, sur le pouvoir politique. Car les relations entre les mouvements et lesinstances du pouvoir politique institu ont pris un caractre largementindirect qui fait quelles soprent rarement sans la mdiation de la scne devisibilit.24 Il faut donc avoir lesprit les transformations structurelles ethistoriques dans la mise en place dune scne mdiatise, exposes dans lapremire partie, et sans lesquelles ont ne peut comprendre la monte desoprations de prsentation de soi tournes vers les mdias decommunication. Lorsquils visent la transformation politique au sein desinstitutions, notamment par lextension des droits ou la reconnaissance duntort subi, un mouvement daction collective doit mener une lutte pour lavisibilit sur la scne de lapparence publique qui lui confre un pouvoirdintervention politique sans lequel il ne peut rien. Le champ mdiatiqueoffre ainsi un relais propre accrotre le pouvoir symbolique du groupemanifestant, lequel cherche entre autres peser sur lunivers de dcision

    22. ADORNO, 1977.23. CHAMPAGNE, 1990.24. KOOPMANS, 2004.

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    politique. On aurait donc tort de rduire la lutte pour la visibilit une seuleexpression de linsuffisance de lapparence publique des univers sociaux lamarge dans le cadre des discours publics dominants car elle soulvegalement, la plupart du temps, la question de la reprsentation politique etjuridique dans les sphres institutionnelles du pouvoir.

    Encore faut-il souligner que tous les acteurs ne sont pas dots du mmepouvoir daction et de conviction dans la lutte pour lattention sur la scnepublique. On sait que les acteurs sociaux qui vivent sous lemprise dustigmate et de la catgorisation ngative sont peu ports apparatre ensaffichant au grand jour au sein dun ordre social et symbolique qui lescondamne habituellement au silence et la dvalorisation. Dans cesconditions, ils ne peuvent se mettre en avant quen affirmant des qualitsconformes celles qui sont pralablement valorises dans lordresymbolique majoritaire. Et surtout, il convient de rappeler que tous lesgroupes sociaux ne possdent pas la mme capacit dentrer en relation avecles dispositifs mdiatiques en se mettant en valeur auprs de ces derniers. Larelation aux mdias suppose le dveloppement de stratgies dapparencebases sur des comptences communicationnelles . Or les groupes peurompus aux procdures et aux savoir-faire susceptibles de faire cho auxschmes dintelligibilit journalistiques nont que de faibles chancesdaccder la mdiatisation ou, tout au plus, lorsquils y accdent, cestdavantage par la voix des journalistes que par leur propre parole (ils sontplus parls quils ne parlent). Fournir des compte rendus ou des interviewscorrespondant aux attentes des rdactions et ficels selon les canevasjournalistiques, utiliser des formules types ou des registres de revendication bons entendre pour les professionnels de linformation constituent lesdiffrents aspects dune comptence communicationnelle formate selon lesexigences mdiatiques. Par ailleurs, la volont de mettre de son ct lesrdactions pour faire passer les contenus de la lutte collective peutsimultanment aboutir transformer les registres de formulation des causes.Se plier aux systmes de valeurs et aux catgories journalistiques peutamener les acteurs des mouvements ajuster leur registre de plainte et derevendication sur les catgories mdiatiquement acceptables. On sait parexemple que le registre humanitaire de formulation des causes estsouvent le seul susceptible dtre entendu pour ce qui concerne lesmobilisations politiques touchant la question de limmigration. Or, seuleladoption de ce registre de revendication, impliquant une posturemisrabiliste qui met laccent sur les situations durgence, a permis aux

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    mouvements de sans-papiers de gagner lattention des mdias, cela audtriment de registres plus ouvertement politiques de formulation descauses25. Ainsi, existe-t-il des registres de prise de parole mdiatiquementacceptables et qui se voient assurs dun accs lunivers dapparitionpublique et dautres qui sont demble carts de la mdiatisation, ce quitmoigne au passage de la capacit propre aux acteurs du champ mdiatiquede mettre en valeur certaines descriptions du monde social et den carterdautres. Outre les comptences communicationnelles mises en uvre parles acteurs mobiliss et les registres de formulation des causes, le moment dela mdiatisation suppose galement la rencontre entre groupes sociauxporteurs de formes de vie parfois fortement loignes dans lespace social.La sociologie des mdias travaille depuis longtemps avec lhypothse queplus les principes de vision et les registres de justification des causes, et doncaussi les formes de dnonciation et de formulation des revendications,sloignent des systmes dintelligibilit et des principes de vision du mondequi sont de rigueur chez les professionnels de linformation, moins leurschances de trouver un cho favorable dans le traitement mdiatique sontgrandes. Ainsi, les manifestations paysannes recourant des formesdtermines ou agressives doccupation de lespace public, de locauxcommunaux, despace des institutions tatiques, ont peu de chances derencontrer les faveurs du traitement journalistique26. Il en va de mme en cequi concerne les actes dfinis comme violents par les journalistes dansles manifestations plus rcentes contre la mondialisation , o lon assiste un dnigrement systmatique de modes daction ou de groupes dacteursspcifiques.

    Cest notamment au sein de la scne de visibilit mdiatise que se formentet se reproduisent les catgories dintelligibilit publiquement partages. Etcet espace de reprsentation et dauto-interprtation est largement produit etaliment sans relche par les mdias de communication. Louis Qur faisait

    25. Le registre de lhumanitaire et le misrabilisme inhrent aux grves de la finapparaissent comme les seules postures mdiatiquement acceptables, parce que relativementdpolitises. Ce faisant, la mobilisation des mdias posent des problmes analogues ceux dela mobilisation des soutiens : comment intresser des organismes de presse qui, sans trehostiles la cause des irrguliers, ne sont pas disposes traiter de leur cas au-del de cequils jugent ncessaire ? Comment rpondre leur intrt propre ? () Laspectspectaculaire des grves de la fin et du risque de mort ou de squelles graves chez les sans-papiers est donc le premier aspect susceptible de favoriser la couverture journalistique (SIMEANT, 1997, p. 266).26. CHAMPAGNE, 1984.

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    remarquer que les mdias de communication taient dsormais devenus,dans les socits modernes marques par la diffrenciation fonctionnelle etla disparition des grands rcits , les instances susceptibles de faire tenirensemble ces socits, de produire une intelligibilit sociale qui donne sensaux expriences pratiques des acteurs et leur fournissent des rfrentssymboliques informant leurs modalits dagir. Les mdias de communicationassurent, selon lui, la permanence, la transmission et la reproduction descatgories collectives dintelligibilit permettant lorientation collective delaction et la mise disposition de repres collectivement partags assurantlexistence collective27. Mais sans doute convient-il dajouter que, si lesmdias sont parmi les institutions les plus puissantes qui dcoupent le visibleet construisent des schmes de sens publiquement partags, ils sont aussi aucur dun processus plus profond de redfinition des fondements de lareconnaissance sociale. Si la visibilit renvoie aux modes dapparitionmutuels par lesquels les acteurs sociaux viennent exister les uns pour lesautres, alors la reconnaissance renvoie un processus constitutif de natureintersubjective par lequel un sujet constitue un sens de soi par la prise encompte de lagir dautrui dans llaboration dune image de lui-mme. On nesaurait imaginer une reconnaissance mutuelle entre des acteurs qui ne seperoivent pas rciproquement, mme sil est vrai que la seule prsencevisuelle nest pas en soi une garantie de reconnaissance. Ainsi, dans sestravaux les plus rcents, Axel Honneth distingue la connaissance de lareconnaissance : la premire renvoie au fait de devenir visible, soit lacte nonpublic didentification cognitive dune personne alors que la seconde,puisquelle renvoie aux activits expressives par lesquelles une personne sevoit confrer le sens positif dune affirmation de sa valeur sociale soitbien au-del de la simple identification cognitive28. Bien plus, dans lareconnaissance, les sujets manifestent publiquement, par des actes et desexpressions appropris, quils concdent aux autres, en raison de leursqualits propres, une sorte dautorit morale qui impose des limites laralisation de leurs inclinations. Honneth soutient que, dans le cadre delinteraction courante avec autrui, les sujets peroivent habituellement leursqualits, tant et si bien que lidentification visuelle reprsente davantage uneopration de suspension provisoire du geste initial de la reconnaissance.Mais Honneth ne prend en considration que les relations de proximit quiengagent des formes dinteraction immdiates dans des espaces partags,sans vritablement intgrer le tissu complexe des relations, directes et 27. QUERE, 1982.28. HONNETH, 2003, p. 25-27.

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    indirectes, qui contribuent au processus dindividuation et de socialisation.Or on peut considrer que, dans les socits contemporaines o les relationsmdiatises jouent un rle majeur, le sens de soi individuel ne se dveloppepas seulement par le biais de relations intersubjectives immdiates maisaussi par des relations mdiatises large chelle. Et, ce titre, ce sont biendes enjeux de reconnaissance qui sont au cur des mdias decommunication. Mais la reconnaissance ne saurait pour autant se confondreavec la visibilit : sil ny a certes pas de reconnaissance sans visibilitmutuelle, la visibilit nest pas un gage de reconnaissance cette dernire estmoralement plus exigeante puisquelle suppose une prise en compte dautruidans ses exigences fondamentales. Or la visibilit renvoie davantage unrapport pratique au monde supposant une attention pour autrui qui peut restersuperficielle ; pire, elle est bien souvent dtourne et transforme, enparticulier dans des mdias rompus aux stratgies commerciales, rduite une simple mise en spectacle et un paratre falsificateur et sansprofondeur29.

    Lespace dapparence publique nest donc pas seulement un lieu deproduction et de reproduction de schmes dintelligibilit et de constitutionde catgories collectives. Cest l o slabore, par lchange dargumentscontradictoires et de confrontations symboliques, un horizon collectif devaleurs hirarchises laune duquel se mesure lestime sociale des activitsde groupes sociaux spcifiques. Cest en fonction de cet horizon communque slaborent les critres des activits socialement reconnues et des formesde vies jouissant dune estime socialement partage. Autant dire que lestimesociale se dfinit et se redfinit en permanence dans un espace dapparencespubliquement visibles face auquel se positionnent les acteurs sociaux. Leursactivits et leur apparence publiques sont juges de manire intersubjective,en fonction de leur aptitude concrtiser des finalits socialement dfiniescomme valides et digne de valeur. La part des activits socialementinstitues comme dignes destime parmi les pratiques multiples dacteurs oude groupes sociaux se traduit dans des formes de valorisation ou dedvalorisation relatives un ordre de hirarchies symboliques et declassements institus. La relation de reconnaissance, qui trouve son

    29. Significatifs ce titre sont, semble-t-il, les tmoignages des personnes passes dans destalk show tlvisuels. Venues avec lattente de faire valoir publiquement un tort subi, elles seretrouvent au cur dune exhibition spectaculaire de leur propre malheur selon une modalitqui leur chappe et qui les fait se sentir trangres elles-mmes. Elles sont alors doublementfloues : par le tort rel qui leur est fait et par son traitement mdiatique.

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    expression dans la contribution positive et valorise des acteurs la pratiquecollective, a son pendant ngatif dans le dni dapparence, dans lastigmatisation et la dvalorisation sociale.

    Les mdias de communication oprent comme des dispositifs de mise endiscours et de production de catgories hirarchises distribuant lareconnaissance sociale des types dacteurs individuels ou collectifs, leursinterprtations et argumentations, leurs activits sociales. Ils sontgalement le lieu dimpositions symboliques sur des catgories dacteurssoumis des dfinitions deux-mmes quils ne contrlent pas et qui peuventaller de pair avec des formes de dnigrement. Et cest bien parce que lesmdias imposent des catgories descriptives, procdent des formes dedprcation symbolique tout autant qu des non prises en compte, quilsfigurent parmi les lieux cibles de luttes visant la reconnaissance et laredfinition des hirarchies symboliques. A linverse, labsence de lutte pourla conqute dune apparence reconnue et dune mise en discours identifiepar les acteurs comme propre leurs attentes de reconnaissance, condamnedes univers de pratique et dexprience inconnus linexistence au sein dunespace de lapparence publique.

    Ainsi, labsence de conflits manifestes et publiquement reconnaissables nesignifie pas pour autant labsence de rsistances portes par des pratiques oudes formes de vie en rupture avec lunivers normatif et culturellementreconnu de la scne mdiatise. Les recherches sociologiques sur les groupesdomins ont montr quil existe des expriences et des pratiques socialementsitues qui tendent rester la marge de lapparition publique en raison deformes diverses et plus ou moins subtiles de rpression symbolique. Laformulation langagire des principes qui orientent ces pratiques suppose lamise en uvre de savoir-faire symboliques et le recours une comptence labstraction discursive socialement distribue30. On sait que les groupessociaux participant au pouvoir politique et conomique sont en permanenceamens, de par leur position, procder couramment la mise en rcit et lajustification de lordre social duquel ils tirent leurs privilges. Aussi leursmembres dveloppent-ils des comptences la structuration systmatique et larticulation langagire de leurs orientations normatives. Et laccs laformation scolaire leur assure par ailleurs la matrise des comptencescommunicationnelles permettant la formulation de leurs normes daction et

    30. HONNETH, 1990.

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    leur inscription au sein de rfrentiels surpassant les situations spcifiquesdaction. Or, linverse, les groupes sociaux domins chappentordinairement la ncessit dlaborer de manire structure et de justifier des convictions portant sur la gnralit de lordre social, tant donn queleur position ne les incite ni llaboration rflexive ni la gnralisationlogique des contenus implicites de leur pratique. En consquence, les formesde vie, les orientations normatives et les pratiques des groupes dominstendent ainsi rester en marge des formulations publiques, ce qui ne signifienullement que leurs membres soient inaptes aborder ces thmatiques et les traiter de manire rflchie et normativement sre si loccasion leur entait donne. Une approche qui se centre uniquement sur lanalysesociologique de lespace dapparences mdiatises passe ct des activitsnon organises langagirement selon les comptences communicationnellesrequises par les acteurs de la mdiatisation. Elle ne peroit pas, du coup, lesformes de conflictualit non immdiatement visibles. James Scott a bienmontr quil existe une multiplicit de modes prosaques et quotidiens dersistance (gestes, moqueries, dissimulation, sabotages, etc.) de la part desgroupes sociaux domins qui vitent une confrontation symbolique directeavec lautorit ou avec les normes des groupes dominants. Scott propose deprendre pour objets ces discours de rsistance en coulisse, labri du regarddes tenants du pouvoir, et qui contredisent ouvertement les noncs tenus enpublic. Lanalyse sociologique de ces discours cachs (hidden transcripts)doit permettre de regarder au-del de la surface la plus manifeste de ladistribution institue du pouvoir, de la richesse et du statut31.

    Adopter le point de vue ce rsistances invisibles est dune importancemajeure car la lutte pour la visibilit ne vise pas seulement conqurir uneplace dans un espace institu du visible en se conformant aux conventionssmantiques imposes de manire dominante. Cest aussi une lutte pour fairevoir et faire entendre selon des jeux de langage en rupture avec les modalitsdominantes de la mise en rcit. La lutte pour la visibilit vise faire voir etfaire valoir ce qui, en quelque sorte, est dj sous nos yeux mais ne peuttre thmatis selon les schmes dintelligibilit disponibles32. Il sagit doncde faire voir ce qui ne se voit plus et de viser la transformation des modalitsde lapparence publique en faisant reconnatre des formes expressivesjusqualors exclues. On peut songer ici aux efforts des cinastesdocumentaires pour tenter de rendre compte de lexprience du travail 31. SCOTT, 1990.32. CHAUVIRE, 2003.

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    ouvrier selon des procds narratifs en rupture avec limagerie managrialedsormais dominante dans le monde de lentreprise, dans les mdias etlespace public33. Cela pose la question de llaboration de modalitsdapparition capables de faire advenir des ralits selon des procdslangagiers, visuels ou esthtiques, chappant aux formats mdiatiquesinstitus qui ont dsormais envahi quasi intgralement lunivers despratiques de la communication publique. Bref, la lutte pour la visibilit ne sersume par ladaptation conformiste des formats langagiers majoritairesmenant tout au plus la reproduction de lordre institu du visible et de seshirarchies symboliques ; cest bien au contraire une lutte pour lclatementdes limites de la communication sociale et llargissement de lhorizon de lavisibilit34. Par consquent, les luttes pour la visibilit ne sauraient treapprhendes du seul point de vue de leur capacit prendre place sur lascne mdiatise car elles laborent galement de nouveaux jeux de langagesusceptibles de rendre compte de pratiques ou de formes de vie restesjusqualors invisibles ; elles ouvrent donc un espace communicationnelindpendamment des discours institus dans lespace public dominant.35

    Ce qui est visible et intelligible, qui est reconnu et dot de lgitimit, est lacristallisation dun rapport de pouvoir sous forme de compromis momentanentre des acteurs sociaux porteurs dinterprtations et dorientationsnormatives distinctes. Cest laune des catgories hirarchisesdveloppes au sein de la scne mdiatise que les acteurs sont mmedvaluer limportance de leur contribution pour lexistence dautrui et lareproduction de la socit. Les acteurs individuels ou collectifs quiidentifient leur situation comme soumise au mpris peuvent, selon lessituations et les comptences dont ils disposent, engager des luttes pour lareconnaissance de leurs activits, leurs expriences de vie ou encore leursprfrences culturelles. On assiste alors, au sein de la scne de visibilitmdiatise, des luttes pour la dfinition tablie de ce qui doit tre , desformes de vie et des activits socialement valorises, des systmes depratiques et de prfrences culturelles lgitimes, des orientations normatives

    33. Cest un chantier immense que nous ne pouvons pas aborder ici, savoir celui delarticulation des luttes pour la visibilit aux esthtiques de la rsistance . Contentons-nousde souligner quil existe une longue histoire des pratiques culturelles de type avant-gardiste visant faire voir loppression des hommes et des femmes et leur rsistance selondes modalits narratives en rupture avec les codes communicationnels dominants, jugsincapables de rendre compte de ces expriences dans leur singularit.34. KLOTMAN et CUTLER, 1999.35. NOWOTNY, 2003.

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    quant aux modalits dexistence et aux formes dexpression, etc. En mmetemps que des groupes sociaux dots de comptences et de pouvoirs dactionspcifiques et ingalement rpartis, ce sont des mondes dorientation moral-pratique qui saffrontent pour gagner en visibilit et redfinir les systmes declassement selon les orientations dont ils sont porteurs. La disparition de laclasse ouvrire de lespace dapparence publique, dont parlent Pialoux etBeaud, est un exemple de conflictualit symbolique qui sest faite audtriment dun groupe social autrefois efficacement constitu en acteurcollectif susceptible de promouvoir ses pratiques au sein de la scnemdiatise, mais aussi de configurer les institutions en fonction de sesorientations propres36.

    La lutte pour la visibilit est ingale : elle fait des perdants, des condamns linvisibilit et linsignifiance sur la scne mdiatise. Le non accs lunivers des apparences mdiatises ou labsence dapprobation sociale desactivits ou des expriences sociales va de pair, pour les acteurs individuelset collectifs qui en sont victimes, avec un sentiment dinexistence sociale, dempris et de ngation deux-mmes37. Leur exprience est vcue sous formede dvalorisation et de dnigrement et ils ne peuvent lui reconnatre devaleur positive socialement valide. La possibilit que des acteursparviennent se constituer un soi, une conception deux-mmes dans unrapport intersubjectif et entrer dans des rapports de reconnaissance avecautrui dpend de leur capacit se rendre visibles, exister et tre vus etentendus38. La condition premire de la relation de reconnaissance est lapossibilit dexister dans un univers de parole et daction, de compter pour autrui et de contribuer, de ce fait, la pratique collective. Les acteursinvisibles sont privs dattention, ne font pas lobjet dune quelconqueconsidration, pas mme celle de la stigmatisation ; ils se trouvent exclus,non seulement des relations de reconnaissance, mais des relations tout court.

    36. BEAUD et PIALOUX, 1999.37. Snow et Anderson, dans leur tude sur les sans-abri notent que les sans-abri fontlexprience rgulire de ressentir a douleur dtre un objet de curiosit et dattention ngativemais ils souffrent tout autant frquemment de ce qui a t appel une privation dattention (1993, p. 199). Les sans-abri sont vus comme non dignes dattention, systmatiquementignors, privs de relation de face--face par celles et ceux qui ont un domicile. Les passantstendent viter les sans-abri, augmenter la distance qui les spare deux quand ils passent leur hauteur, de manire viter linteraction avec ces derniers. Ces rituels dvitement sontdes formes immdiates dattention ngative lgard des sans-abri, ce qui constitue, pour cesdeniers, une remise en cause permanente du sens de leur soi (p. 199-200).38. HONNETH, 2003.

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    Autrement dit, il y a une forme de mpris extrme qui passe par le silence etlinvisibilit dans lespace dapparition publique et qui surpasse de loin lesformes de mpris sexprimant par linsulte, le dnigrement et ladvalorisation.

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