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Collection « Opéra en actes » SCÉRÉN [CNDP-CRDP] – 2011 1 Les Mamelles de Tirésias - « Opéra en actes » L’œuvre lyrique ................................................................................................ 2 Présentation ........................................................................................................................ 2 Caractéristiques .................................................................................................................. 3 Les Mamelles de Tirésias de 1917 à 2011 ...................................................... 8 Un « drame surréaliste » : la création de l’œuvre en 1917 ................................................. 8 Du théâtre à l'opéra : l'opéra bouffe de Poulenc (1947) ..................................................... 9 2011, une soirée sous le signe du surréalisme .................................................................. 11 Axes d’études .................................................................................................. 13 Contextualisation et actualisation de l’œuvre .................................................................. 13 La conjonction Poulenc/Apollinaire................................................................................. 17 Le jeu des références pluri-artistiques .............................................................................. 20 Ressources et supports................................................................................... 26 Annexe 1 : Synopsis de l'œuvre ....................................................................................... 26 Annexe 2 : Tableau synoptique de l'œuvre ...................................................................... 28 Annexe 3 : Entretien avec Macha Makeïeff, metteur en scène ........................................ 29 Annexe 4 : Poèmes en langage zanzibarien (finale de l'Acte I) ....................................... 31 Annexe 5 : Guide d'écoute et d'analyse ............................................................................ 33 Annexe 6 : Entretien ave Ludovic Morlot, chef d'orchestre ............................................ 37 Glossaire ........................................................................................................................... 39 Ressources ........................................................................................................................ 43 Supports ............................................................................................................................ 44 À propos .......................................................................................................... 45

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Les Mamelles de Tirésias - « Opéra en actes »

L’œuvre lyrique................................................................................................ 2 Présentation ........................................................................................................................ 2 Caractéristiques .................................................................................................................. 3

Les Mamelles de Tirésias de 1917 à 2011 ...................................................... 8 Un « drame surréaliste » : la création de l’œuvre en 1917................................................. 8 Du théâtre à l'opéra : l'opéra bouffe de Poulenc (1947) ..................................................... 9 2011, une soirée sous le signe du surréalisme.................................................................. 11

Axes d’études.................................................................................................. 13 Contextualisation et actualisation de l’œuvre .................................................................. 13 La conjonction Poulenc/Apollinaire................................................................................. 17 Le jeu des références pluri-artistiques.............................................................................. 20

Ressources et supports................................................................................... 26 Annexe 1 : Synopsis de l'œuvre ....................................................................................... 26 Annexe 2 : Tableau synoptique de l'œuvre ...................................................................... 28 Annexe 3 : Entretien avec Macha Makeïeff, metteur en scène........................................ 29 Annexe 4 : Poèmes en langage zanzibarien (finale de l'Acte I) ....................................... 31 Annexe 5 : Guide d'écoute et d'analyse............................................................................ 33 Annexe 6 : Entretien ave Ludovic Morlot, chef d'orchestre ............................................ 37 Glossaire........................................................................................................................... 39 Ressources........................................................................................................................ 43 Supports............................................................................................................................ 44

À propos .......................................................................................................... 45

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L’œuvre lyrique

Présentation

Les Mamelles de Tirésias est le titre d'un opéra-bouffe en un prologue et deux actes composé par Francis Poulenc en 1944-1945, dédié à son ami Darius Milhaud.

Les Mamelles de Tirésias

• Musique de Francis Poulenc, livret d'après Guillaume Apollinaire • Mise en scène de Macha Makeïeff • Direction musicale de Ludovic Morlot • à l'Opéra Comique du 7 au 13 janvier 2011

© Jean-Louis Fernandez / Opéra national de Lyon

Le livret

Établi par le compositeur lui-même, le livret reprend en l'abrégeant la pièce de théâtre éponyme de Guillaume Apollinaire, créée en 1917.

La création et la distribution

La première représentation des Mamelles de Tirésias a eu lieu le 3 juin 1947 à l'Opéra Comique de Paris, sous la direction d'Albert Wolff, avec Denise Duval (Thérèse), Paul Payen (le Mari), Robert Jeantet (le Directeur), Émile Rousseau (le Gendarme), Marcel Énot (Presto), Alban Derroja (Lacouf), Serge Rallier (le Journaliste), Jacques Hivert (le Fils), Jane Attys (la Marchande de journaux). La mise en scène, les décors et les costumes sont d'Erté.

Les personnages

• Le Directeur de théâtre (baryton), • Thérèse-Tirésias-la Cartomancienne (soprano), • le Mari de Thérèse (initialement baryton, revu comme ténor, • le Gendarme (baryton), • Lacouf (trial), • Presto (baryton), • Le Journaliste (ténor), • le Fils (baryton),

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• la Marchande de journaux (mezzo-soprano), • chœur mixte.

L'argument

L'action se passe à Zanzibar, ville imaginaire. Dans le Prologue, le directeur de théâtre entretient les spectateurs de la guerre, du théâtre nouveau, de la natalité… Le rideau se lève sur la place de Zanzibar. Thérèse, jeune et jolie épouse, décide de se transformer en homme (Tirésias), de faire carrière et de se séparer de son mari. Celui-ci, travesti en femme et courtisé par un gendarme, réagit en déclarant que « la femme n'est qu'un neutre à la face du ciel » et se targue de faire seul des enfants. Au deuxième acte, c'est autour d'un père de 40 049 enfants que gravitent les personnages, dont une cartomancienne de passage qui s'avère être Tirésias, désireux de redevenir Thérèse et de retrouver son mari. La morale de la pièce : « Cher public, faites des enfants ! »

Dans une note de Francis Poulenc, on trouve trace du souhait précis du compositeur quant à la traduction scénique de son œuvre : « Pour la mise en scène des Mamelles de Tirésias, je désire que les costumes soient de l'époque de 1910. Le décor devra représenter une ville imaginaire de la Riviera française, quelque part entre Monte-Carlo et Nice. Sous aucun prétexte la mise en scène ne devra être exotique. »

Synopsis de l'œuvre

Consulter l'annexe 1

Caractéristiques

Déroulement dramatique et temporel

Cet opéra dure moins d’une heure alors qu’il comporte deux actes et un prologue. Ce qui le classe parmi les œuvres bouffes brèves de la première moitié du XXe siècle avec L’Heure espagnole de Maurice Ravel (1911) et Gianni Schicchi de Giacomo Puccini (1918).

Sur la trame dramatique très mince du texte d’Apollinaire se déroule une succession de tableautins comiques, dans le même esprit que le sketch (anglicisme apparu en 1903).

Les situations sont invraisemblables et les personnages sans psychologie. Face à Thérèse, dont la caractérisation est essentiellement vocale, seul le Mari se détache de l’univers bouffon. Il est en effet doté d’une conscience, d’une profondeur psychologique soulignée par la musique de Poulenc. Les autres rôles, tels ceux de la commedia dell’arte, sont avant tout des types, des emplois : le duo Lacouf et Presto s’inscrit dans la lignée burlesque du grand maigre et du petit gros, popularisée par le célèbre couple Laurel et Hardy du cinéma américain de l’entre-deux-guerres.

Si les numéros sont ordonnés de façon à offrir variété et contrastes, ils sont également tendus vers les finales d’actes. Certains morceaux ont une structure musicale clairement affichée (rondo, forme tripartite, choral et variations), d’autres suivent scrupuleusement le texte d’Apollinaire. Poulenc a largement commenté cette fidélité à l’œuvre d’origine : « Je crois en tout cas qu’au point de vue d’Apollinaire c’est on ne peut plus orthodoxe. […] En tout cas c’est bourré de

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musique avec un manque de redite des nombreux thèmes que je trouve bien agréable et surtout, surtout c’est follement scénique. Il n’y a pas un jeu de scène qui ne soit en rapport direct avec la musique, ce qui souvent m’a posé de graves problèmes. Deux répliques m’ont arrêté pendant plus d’une semaine. » (Poulenc à Pierre Bernac, Correspondance 1910-1963, par Myriam Chimènes, Fayard, 1994, p. 139-140.)

De fait, il n’y a pas de retour thématique d’un numéro à l’autre, ce qui exige une attention permanente et soutenue de la part des spectateurs. C’est là un aspect de l’œuvre que Poulenc trouvait « bien agréable », et qui devait plaire également aux mélomanes de l’après-guerre, mais qui peut représenter une difficulté pour les générations actuelles.

En classe

Resituer les extraits de l'œuvre

Il peut être intéressant d'entraîner les élèves à resituer des extraits musicaux dans le cours de l'action à l'aide du tableau synoptique de l'opéra de Poulenc. Le travail de mémorisation peut également être poussé plus loin :

en rompant la chronologie des événements (Que se passe-t-il en II, 5 ? Par quoi est précédé le Chœur des nouveau-nés ? Quand Thérèse revient-elle sur scène ?) ;

en faisant écouter les premières secondes d'un morceau et en demandant à la classe de restituer l'extrait dans le tableau.

Orchestre et orchestration

Composé au piano entre mai et octobre 1944, l'opéra est orchestré en 1945. L'orchestre est composé comme suit.

• Bois : 2 flûtes (dont 1 pouvant jouer le piccolo), 2 hautbois (dont 1 pouvant jouer le cor anglais), 2 clarinettes et 1 clarinette basse, 3 bassons.

• Cuivres : 4 cors, 3 trompettes, 1 trombone, 1 tuba. Percussions : timbales, cymbales, glockenspiel, tambour, castagnettes, xylophone, célesta, crécelle, grosse caisse, triangle.

• Piano, harpe. • Cordes : 10 violons I, 8 violons II, 6 altos, 4 violoncelles, 3 contrebasses.

Poulenc révise son conducteur en 1962 et réduit l'effectif à 50 musiciens, pour « mieux équilibrer les vents ». La suppression d'un basson donne plus d'importance à la clarinette basse. Il suit en cela l'exemple de Ravel qui appréciait et savait exploiter ce timbre. Poulenc a dit lui-même : « Pas un seul instant je ne perds de vue mon orchestration légère […] J'ai lu avec un soin inouï la partition d'orchestre de L'Heure espagnole dans une main, la partition de piano, dans l'autre. » (À Pierre Bernac, le 24 juin 1944)

La réduction des pupitres de cors et de trompettes à deux instruments allège le volume des cuivres, ce qui améliore d’une part l'équilibre général de l’orchestre, mais aussi le rapport primordial de celui-ci avec les voix, qu'il doit guider, soutenir et accompagner sans les couvrir. « C'est vraiment avec allégresse que j'orchestre Les Mamelles et je pense que cela sera très audible. Mon instrumentation est heureuse dans tous les sens du mot et cette œuvre

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vraiment excellente (j'en suis certain, maintenant, à la reconsidérer froidement sur épreuves) et si poétique que c'est ainsi que je gagnerai la partie. » (À Pierre Bernac, le 30 juillet 1944.)

En classe

Analyser l'orchestration

Proposer aux élèves de réfléchir sur la constitution de l’orchestre imaginé par Poulenc pour son œuvre en imaginant une ou plusieurs mises en scène possibles :

quels sont les instruments que l'on retrouve sur une piste de cirque, sur une piste de danse, dans un music-hall ? quelle famille d'instruments peut-on imaginer voir privilégiée dans l'œuvre de Poulenc ?

Pour quelle raison ? dans les passages de comique musical (geste ou gag sonore), distinguer les instruments

graves employés (trombone, tuba, cor, clarinette basse, basson).

Les enregistrements

L'enregistrement historique (1953)

1 CD EMI / Virgin classic 5 655565 2. Mono. Enregistré en 1953. Collection « Esprit français » © EMI 1989 Collection « Intégrale Poulenc : œuvres lyriques » © EMI 1999-2003.

Cet enregistrement est historique à plus d’un titre. Tout d’abord, c’est le premier qui est fait du vivant du compositeur. Ensuite, il réunit une partie des artistes ayant participé à la création. Ce premier enregistrement a été réalisé au théâtre des Champs-Élysées du 25 au 27 septembre 1953, sous la direction d’André Cluytens, avec Denise Duval (Thérèse), Jean Giraudeau (le Mari), les chœurs et l’orchestre du Théâtre national de l’Opéra Comique (Pathé Marconi/EMI ; cet enregistrement sert de référence au présent dossier).

Poulenc transmet ses instructions à André Cluytens, le chef d’orchestre, avec une liberté de ton qui peut surprendre, mais qui n’est qu’un aimable pastiche du style épistolaire d’Emmanuel Chabrier : « Surtout prendre les tempi vifs très vifs car le disque ralenti[t] toujours. […] Tous les endroits lyriques y aller carrément comme s’il s’agissait de Thaïs [opéra de Jules Massenet (1894)]. Cela fait ressortir, paradoxalement, la cocasserie de l’œuvre [sic]. » (In Carl B. Schmidt, p. 354.)

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D'une part s'impose la présence immédiate de la forte personnalité vocale de Denise Duval. Sa voix est un peu rêche, son contre-ut ravageur et un peu détimbré. Néanmoins, son aisance prosodique est confondante et son sens du jeu – qui lui vient de son passage aux Folies Bergère – indéniable. D’autre part, l’enregistrement en monophonie rend compte du parfait équilibre des voix et de l’orchestre. Poulenc en faisait d’ailleurs grand cas : « Croyez-vous que l’enregistrement des Mamelles est merveilleux ? J'y pense sans cesse. C’est une des plus grandes joies de ma vie. […] Regardez comme l’orchestration sonne claire, variée et vivante, et comme le chant se détache bien dessus. » (Lettre de Poulenc à H. Hell, écrite en 1953.)

La version Ozawa (1997)

1 CD Philips / Universal classic 45 664-2. Stéréo. Enregistré en 1997. © Philips / Universal classic 1997.

Ce second enregistrement présente (d'un point de vue pratique) le triple avantage d'être digital, de fournir le livret intégral de Poulenc et de respecter un découpage des plages par scène.

Outre le confort de l'enregistrement digital qui favorise une écoute analytique distinguant plusieurs plans sonores et la performance de Jean-Paul Fouchécourt dans le rôle du Mari, on peut entendre un authentique trial pour l'emploi de Lacouf (Graham Clark).

En classe

Écouter, comparer

La comparaison de deux versions est un moteur puissant pour alimenter le commentaire d’écoute, à condition de choisir des fragments brefs, et, une fois évacué le problème de la qualité sonore de l’enregistrement, de donner des guides. On peut par exemple s’intéresser :

à l’orchestre et en particulier aux quarante premières secondes de l’introduction du Prologue. On prêtera attention au tempo, au phrasé, à la dynamique, à la fusion ou l’isolement des timbres ;

à la voix de Thérèse et précisément à la longue vocalise de la Cartomancienne (II, 7). Faire observer les phénomènes de respiration, les vibratos, les modes d’émission, la puissance des registres. L’objectif est de cerner au plus près ce qui distingue le soprano léger de Denise Duval du soprano dramatique de Barbara Bonney : voir « Guide d’écoute et d’analyse » en annexe 5

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au Chœur pendant l’entracte. Compare l’équilibre interne et externe des pupitres, l’articulation du texte, le phrasé mélodique, la justesse, etc.

Les techniques d’enregistrement, de captation du son et leur évolution peuvent faire l’objet d’un prolongement dans le cadre d’un travail transdisciplinaire avec un professeur de sciences.

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Les Mamelles de Tirésias de 1917 à 2011

Un « drame surréaliste » : la création de l’œuvre en 1917

Guillaume Apollinaire termine d'écrire Les Mamelles de Tirésias en 1916. C'est dans sa préface qu'il définit sa pièce comme un « drame surréaliste », inventant ce terme bien avant le mouvement conduit par André Breton dans les années 1920 et lui conférant, du reste, un sens différent : « Pour caractériser mon drame je me suis servi d'un néologisme qu'on me pardonnera car cela m'arrive rarement et j'ai forgé l'adjectif surréaliste qui […] définit assez bien une tendance de l'art qui si elle n'est pas plus nouvelle que tout ce qui se trouve sous le soleil n'a du moins jamais servi à formuler aucun credo, aucune affirmation artistique et littéraire. […] Et pour tenter, sinon une rénovation du théâtre, du moins un effort personnel, j'ai pensé qu'il fallait revenir à la nature même, mais sans l'imiter à la manière des photographes. Quand l'homme a voulu imiter la marche, il a créé la roue qui ne ressemble pas à une jambe. Il a fait ainsi du surréalisme sans le savoir. »

Le surréalisme se comprend donc chez Apollinaire comme la volonté d'interpréter la nature, mais avec fantaisie : « J'ai mieux aimé donner un libre cours à cette fantaisie qui est ma façon d'interpréter la nature, fantaisie, qui selon les jours, se manifeste avec plus ou moins de mélancolie, de satire et de lyrisme, mais toujours, et autant qu'il m'est possible, avec un bon sens où il y a parfois assez de nouveauté pour qu'il puisse choquer et indigner, mais qui apparaîtra aux gens de bonne foi. » Cette pièce s'oppose donc au théâtre vieillot et conformiste de son temps, tant par sa forme que par son sujet : « Le sujet est si émouvant à mon avis, qu'il permet même que l'on donne au mot drame son sens le plus tragique, mais il tient aux Français que, s'ils se remettent à faire des enfants l'ouvrage puisse être appelé, désormais, une farce. Rien ne saurait me causer une joie aussi patriotique. » (Préface aux Mamelles de Tirésias, 1917, in L'Enchanteur pourrissant suivi de Les Mamelles de Tirésias et de Couleur du temps, NRF, collection Poésie/Gallimard, rééd. 2009, p. 114.)

En classe

Réfléchir à l’esthétique

À partir de la définition de l’adjectif « surréaliste », qui apparaît comme un néologisme sous la plume d’Apollinaire, proposer aux élèves une réflexion sur ce terme promis à un brillant avenir dans les années qui suivront. On rappellera que c’est André Breton, en hommage au poète disparu qui choisit le mot « surréalisme » pour son premier manifeste. Voici la définition qu’il en donne : « Surréalisme, n. m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. »

En fait, si le surréalisme dépasse très largement cette définition de l’écriture automatique, Breton insiste sur le regard nouveau porté sur la réalité, sur les objets et sur les mots, débarrassés de tout utilitarisme. Il fournit ainsi le modèle durable d’une insurrection générale contre tous les mots d’ordre de la société bourgeoise. Avec le professeur d’arts plastiques, les élèves pourront prolonger l’étude de ce courant dans l’art. Cette approche de la notion nourrira avec profit leur perception du spectacle de Macha Makeïeff.

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La première de l’œuvre d’Apollinaire, qui a lieu le 24 juin 1917, avec une musique de Germaine Albert-Birot, au théâtre de Montmartre, reçoit un accueil mitigé. Certains critiques sont ouvertement déconcertés par le « mauvais goût » d’un poète de talent (non seulement à cause de son sujet – la repopulation – mais aussi à cause de l’exhibition sur scène de biberons, bidet, vase de nuit, etc.), tandis qu’on annonce dans la presse « la première pièce cubiste ». Ce drame en deux actes et un prologue, avec sept dessins hors-texte de Serge Férat, sera édité aux éditions SIC (Société internationale des cubistes) en 1918.

Rappel musicologique

Les années 1917-1918 voient également la création de deux autres spectacles innovants : Parade de Cocteau et Satie (avec des décors et costumes de Picasso) et L’Histoire du soldat de Ramuz et Stravinsky.

© Jean-Louis Fernandez / Opéra national de Lyon

Du théâtre à l'opéra : l'opéra bouffe de Poulenc (1947)

Du texte au livret

Depuis 1937, Poulenc est à la recherche d’un livret d’opéra ; en 1939, dans l’attente de sa mobilisation, il relit Les Mamelles de Tirésias d’Apollinaire et se persuade qu’il tient là « le seul livret d’opéra viable ». Avec l’accord et les conseils de la veuve d’Apollinaire, il aménage la pièce en livret ; trop respectueux du poète pour toucher au texte, il procède essentiellement à quelques suppressions (I, 6) et coupures (Prologue). Il rapproche de la ville de Monte-Carlo « bien assez tropicale pour le Parisien [qu’il est] » l’île africaine choisie par Apollinaire, au nom évocateur de Zanzibar, et arrête le temps en 1911.

En classe

Écouter, analyser, comparer

Proposer aux élèves de comparer la pièce d’Apollinaire (éditions Gallimard, p. 127) avec les paroles de l’enregistrement.

Extrait à écouter en ligne

Écouter la scène V de l’opéra. Sur quoi repose l’intérêt du numéro ? Établir un schéma de la distribution vocale chœur (pupitres)/solistes.

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Quel est le sens de l’aménagement du texte de théâtre par le compositeur ? En quoi la fonction du livret prime-t-elle sur l’écriture littéraire ?

Cependant, la pièce d’Apollinaire souffre d’énormes défauts du point de vue de la dramaturgie ; comme le dit très justement Henri Hell, « le ressort dramatique, théâtral de la pièce est inexistant : aucune progression, aucun développement, aucune intrigue. En bref, ce n’est pas là véritablement du théâtre, mais une fantaisie poétique ». Poulenc réussit néanmoins le tour de force de passer au-dessus de ce handicap en composant une série de numéros finement ciselés, eux-mêmes portés par un mouvement agogique sans temps mort. La difficulté, pour lui, réside davantage dans le traitement musical de la prose rimée : « Plus je réfléchis, plus je pense qu’il n’est possible d’écrire de vrais airs que sur une suite de vers. La cadence est autrement par trop brisée. » En pleine composition, il finit par avouer à son ami Henri Sauguet que « c’était vraiment une gageure de mettre en musique ce texte d’Apollinaire » ; lequel de constater « [qu’]évidemment le sujet est exactement celui qui au monde [lui] aurait fait le plus peur ».

Le choix du genre...

Les Mamelles de Tirésias s’inscrivent dans la lignée d’œuvres redonnant vie à l’opéra-bouffe, mais adapté à l’écriture du XXe siècle : L’Heure espagnole, Maurice Ravel (1911) ; L’Amour des trois oranges, Serge Prokofiev (1921) Mavra, Igor Stravinsky (1924) ; Le Plumet du Colonel, Henri Sauguet (1924) ; Le Testament de Tante Caroline, Albert Roussel (1936) ; Amelia al Ballo, Gian Carlo Menotti (1937) ; Albert Herring, Benjamin Britten (1947) ; Mirandolina, Bohuslav Martinů (1954) ; etc.

Entre l’opera buffa italien et ces œuvres modernes, il y a bien sûr l’apport d’Offenbach. L’œuvre de Poulenc est ainsi pétrie de pastiches, avec cependant une forte prégnance poétique qui lui confère un ton spécifique.

...et de l'institution

« Ce mélange de gaieté et de sentiment se trouve caractériser un genre musical bien précis : celui de l’opéra-comique dit de "demi-caractère", né au XVIIIe siècle sous l’influence du registre bouffon. Comme l’avait prédit Apollinaire, les Français se remettant à faire des enfants dans les années quarante, le drame peut devenir une comédie. Lyrique et sérieuse, la musique de Poulenc donne chair et sentiment aux marionnettes d’Apollinaire. […] L’opéra-bouffe ne peut être destiné qu’à l’Opéra Comique. Des changements de direction consécutifs à la Libération, ainsi que les difficultés à constituer la distribution, en retardent un peu la création. Les répétitions […] ont déjà commencé lorsque Poulenc rencontre Denise Duval, qui incarnera la Thérèse de ses rêves, puis deviendra son interprète fétiche. La production est montée avec soin, Erté concevant les décors et les costumes, Max de Rieux assurant la mise en scène et Albert Wolff la direction musicale. La première du 3 juin 1947 remporte un franc succès critique, mais le public est divisé entre les enthousiastes et les amateurs de Puccini – car Les Mamelles complètent une soirée où l’on joue aussi… La Bohème ! Ce curieux appariement explique que Les Mamelles ne dépasse alors pas les 27 représentations. » (Agnès Terrier, programme de l’Opéra Comique, « Les Mamelles de Tirésias », 2010.)

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La réception

Même si la critique se montre bienveillante, le public réagit mal : tout d’abord au ton désinvolte de l’œuvre, jugé « indigne d’une après-guerre », mais aussi au traitement de l’ambivalence sexuelle dans l’opéra. Cela donne des représentations très mouvementées « dont la direction est plutôt flattée », au dire de Poulenc. Cependant, en réponse à un article qui s’interroge sur l’opportunité d’une telle œuvre, le compositeur tient ce propos désarmant : « Un critique s’est étonné qu’une œuvre de cette sorte soit née aux jours angoissants de la Libération. Ayant chanté ma soif d’espérance dans Figure humaine en 1943, j’estime que j’avais bien le droit de célébrer l’allégresse de la liberté retrouvée avec une œuvre un peu folle écrite, en outre, pour le retour d’Amérique de mon cher Milhaud. » (In Entretiens, p. 75.)

La postérité

L’opéra-bouffe de Poulenc a bénéficié de la « panne » de la création lyrique en France, entre 1945 et la fin des années 1980, ce qui lui a permis de faire ses preuves et d’entrer au répertoire.

« À l’Opéra Comique, une nouvelle production de l’opéra de Marseille est programmée en 1972 avec une mise en scène de Louis Ducreux et remporte un franc succès. En 1981, Manuel Rosenthal dirige la troisième production de l’œuvre avec une mise en scène de Jean Le Poulain. Enfin, en mai 1999, Pierre Médecin programme l’ouvrage, associé à L’Heure espagnole, dans une mise en scène d’Olivier Bénézech. Notre spectacle, cinquième production maison, associe Les Mamelles au foxtrot de la Jazz suite n° 1 de Chostakovitch et au Bœuf sur le toit de Darius Milhaud. Macha Makeïeff les rassemble aujourd’hui en hommage à une époque de haute créativité, où les artistes les plus sérieux s’efforçaient d’abolir les clivages esthétiques pour composer des œuvres qui fussent de leur temps. » (Agnès Terrier, programme de l’Opéra Comique, « Les Mamelles de Tirésias », 2010.)

Remarque

Le dossier pédagogique de l’Opéra Comique consacré aux Mamelles de Tirésias comporte des activités et des séquences musicales sur le foxtrot et Le Bœuf sur le toit.

2011, une soirée sous le signe du surréalisme

© Jean-Louis Fernandez / Opéra national de Lyon

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La mise en scène de Macha Makeïeff, créée à l’opéra de Lyon le 30 novembre 2010, sous la direction musicale de Ludovic Morlot, intègre à l’opéra-bouffe de Francis Poulenc un double prologue musical, composé du foxtrot de la Suite pour orchestre de jazz n° 1 de Dimitri Chostakovitch suivi du ballet Le Bœuf sur le toit ou le Nothing doing bar de Darius Milhaud. Cette fantaisie musicale, théâtrale et lyrique, a pour cadre un cirque. Thérèse est devenue trapéziste tandis que son mari est lanceur de couteaux. Macha Makeïeff, plasticienne de formation, signe également la scénographie du spectacle et les costumes.

En associant Les Mamelles de Tirésias, opéra court de moins d’une heure, à un foxtrot de Chostakovitch et un ballet de Darius Milhaud, Macha Makeïeff propose une soirée sous le signe du surréalisme, dont la cohérence est assurée par la musique plus que par une logique de récit, semble-t-il absente. La mise en scène des trois œuvres nous fait pénétrer dans l’univers du cirque américain des années 1950, passant d’une pièce à l’autre grâce à des changements de décors à vue ou à la focalisation sur tel ou tel personnage. Les Mamelles de Tirésias s’ouvrent sur le Prologue et le monologue du Directeur de théâtre, figure du poète, représentant Apollinaire. Dès le début du spectacle, Thérèse, près de sa roulotte, apparaît comme une femme de cirque en charge de nombreuses corvées. Ceci explique qu’elle lance, seaux à la main, ses revendications féministes : « Non monsieur mon mari, vous ne me ferez pas faire ce que vous voulez. » La scène II de l’acte I est consacrée au divorce de Thérèse et du Mari. Loin d’un univers petit-bourgeois où l’on verrait le mari assister de façon passive à l’émancipation de sa femme, Macha Makeïeff représente des relations violentes entre les deux personnages. À l’acte II, la roulotte de Thérèse devient celle du Mari métamorphosé en savant fou et qui veut faire seul, débarrassé de sa femme, 49 049 enfants en un jour. Le premier acte est ainsi vu comme une grande scène de ménage, tandis que le deuxième est consacré au transgenre et à la procréation industrielle. Cette glorification du transgenre relayée par un travail sur les costumes, des vêtements d’hommes transformés en vêtements pour femmes et inversement, s’apparente selon Macha Makeïeff, à un véritable éloge du travestissement et donc du théâtre. L’univers des Mamelles de Tirésias est scintillant alors que celui du Bœuf sur le toit navigue dans la pénombre et l’étrangeté. Si Macha Makeïeff est restée près du livret de Cocteau, elle n’en a pas moins pris certaines libertés pour exploiter les personnalités des six danseurs acrobates présents, à l’image de Cocteau qui avait travaillé à l’époque en étroite collaboration avec les Fratellini. L’action se situe dans un bar aux États-Unis pendant la Prohibition. Ce ballet constitue le premier grand succès de Darius Milhaud alors de retour à Paris, où il se lie d’amitié avec Jean Cocteau et Erik Satie avant de devenir membre du Groupe des Six, comme Poulenc dont il devient un ami très proche. De confession juive, il se réfugie aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale et Poulenc lui dédie Les Mamelles de Tirésias pour son retour d’Amérique. Le rapport entre Poulenc et Darius Milhaud est donc étroit ce qui justifie pleinement le rapprochement des deux œuvres. (Documentation de l’Opéra Comique.)

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Axes d’études

Contextualisation et actualisation de l’œuvre

La mise en scène que Macha Makeïeff propose de l’œuvre d’Apollinaire inscrit scéniquement son ancrage historique, social et culturel dans la France de 1914 et surtout dans celle de l’entre-deux-guerres. Malicieusement, elle glisse cependant des clins d’œil aux années 1970 pour opérer une mise en perspective du thème de l’émancipation des femmes. C’est donc tout d’abord sous le double signe d’une contextualisation prismatique et d’une actualisation de l’œuvre que nous proposerons aux élèves d’analyser cette mise en scène à laquelle ils auront assisté.

Entrer dans l'œuvre en interrogeant sa mise en scène

Transposant cette fantaisie dramatique dans l’univers du cirque, Macha Makeïeff donne au personnage du Directeur de la troupe les traits aisément identifiables du poète blessé pendant la Grande Guerre. Cette apparition donne d’autant plus de force au texte du Prologue qui ouvre Les Mamelles de Tirésias proprement dites.

En classe

Relever, repérer

Relever les accroches historiques visuelles que les élèves ont repérées dans le spectacle. On organisera leurs réponses selon trois axes : les références à l’auteur du texte (le personnage du Prologue), les références à l’histoire, les références à la société (de 1914 à 1970). Pourquoi, à leur avis, la mise en scène associe le rôle du Directeur de cirque à la figure de l’auteur ?

En liaison avec le professeur d’histoire, proposer un travail de recherche afin de mettre en parallèle les images produites par le spectacle et leurs références historiques (les deux personnages de soldats de la guerre de 1914, les images du front [archives]). Demander alors aux élèves d’analyser leurs différents traitements scéniques : personnages incarnés/projections sur écran ou sur une toile peinte. Les amener ensuite à réfléchir sur les effets que ces références contextuelles produisent sur le spectateur.

Les différents thèmes qui parcourent le spectacle

En classe

Dégager les références historiques

Demander aux élèves de dégager les différents thèmes du spectacle. On relèvera principalement : la guerre de 1914, le problème de la dénatalité, l’essor de la production industrielle, la procréation artificielle, le mouvement d’émancipation des femmes.

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© Jean-Louis Fernandez / Opéra national de Lyon

En classe

Demander aux élèves de décrire cette photo extraite du spectacle. À quelle parole de Thérèse fait-elle écho ?

On rappellera aux élèves, si besoin est, la proclamation de Thérèse « je suis féministe » et on expliquera les références utilisées ici par Macha Makeïeff.

En classe

Rechercher

Proposer aux élèves de faire une recherche sur le thème du féminisme depuis la naissance du mouvement des « suffragettes » (au début du XXe siècle), en passant par la figure de Simone de Beauvoir (auteur du Deuxième sexe, 1949), jusqu’aux manifestations du MLF (Mouvement de libération des femmes) dans lesquelles les femmes enlevaient et brandissaient leurs soutiens-gorges. Comment Macha Makeïeff représente-t-elle la figure de Simone de Beauvoir ? Quels éléments permettent de l’identifier ? (le titre de son livre, le fameux bandeau qu’elle porte sur la tête). Pourquoi porte-t-elle un manteau de fourrure ? Peut-on y voir un jugement critique de la part de la costumière qui n’est autre que Macha Makeïeff ? Pourquoi, par ailleurs, est-elle démultipliée comme si elle était « clonée » ?

Thérèse/Tirésias : le « transgenre » comme revendication féministe ?

Dans son entretien, Macha Makeïeff insiste sur la liberté que l’idée de transgenre apporte à l’individu. Changer de sexe, c’est d’une certaine manière opérer une radicalisation des revendications des suffragettes : s’affranchir d’une servitude que l’on ne veut plus subir et connaître l’ivresse d’un nouveau champ d’action. Mais dans la pièce d’Apollinaire, le changement de sexe est une aventure vécue par les deux protagonistes, Thérèse, bien sûr, mais aussi le Mari, qui découvre, de ce fait, des plaisirs encore inconnus. Thérèse devenue Tirésias sort du devant de la scène tandis que son mari, par un savant travail de laboratoire, accède à la féminité, se fait courtiser par le Gendarme qui le prend pour une demoiselle, et met au monde à lui tout seul 40 049 enfants en un jour !

On dit qu’un jour Jupiter, égayé par le nectar, oubliant les soins et les soucis du sceptre, s’amusait à de folâtres jeux avec Junon, libre alors de ses jaloux ennuis : « Avouez-le, dit-il, l’amour a pour vous des transports qui nous sont inconnus » ; et Junon soutenant un avis

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contraire, il fut convenu de s’en rapporter à la décision de Tirésias, qui sous les deux sexes avait connu l’une et l’autre Vénus.

En effet, ayant un jour rencontré dans une forêt deux gros serpents par l’amour réunis, Tirésias les avait frappés de sa baguette, et soudain, ô prodige ! d’homme qu’il était il devint femme, et conserva ce sexe pendant sept ans. Le huitième printemps offrit encore les mêmes reptiles à ses regards : « Si quand on vous blesse, dit-il, votre pouvoir est assez grand pour changer la nature de votre ennemi, je vais vous frapper une seconde fois. » Il les frappe, et soudain, reprenant son premier sexe, il redevint ce qu’il avait été. Tel fut l’arbitre choisi pour juger ce joyeux différend. Il adopta l’avis de Jupiter ; et l’on dit que Junon, plus offensée qu’il ne convenait de l’être pour un sujet aussi léger, condamna les yeux de son juge à des ténèbres éternelles. Mais le père tout puissant, pour alléger sa peine, car un dieu ne peut détruire ce qu’a fait un autre dieu, découvrit à ses yeux la science de l’avenir, et, par cette faveur signalée, le consola de la nuit qui les couvrait.

Ovide, Les Métamorphoses, livre III, traduction de G.T. Villenave, Paris, 1806 (extrait du programme de l’Opéra Comique).

La première scène du premier acte s’ouvre sur le refus violent de Thérèse. Il faut faire ici le lien avec la première partie où Thérèse sert de cible à son mari, alors lanceur de couteaux.

Non, Monsieur mon mari, Non, Monsieur mon mari, Vous ne me ferez pas faire ce que vous voulez. Je suis féministe, je suis féministe, Et je ne connais pas l’autorité de l’homme. Du reste je veux agir à ma guise, Il y a assez longtemps que les hommes, Il y a assez longtemps que les hommes font ce qui leur plait.

En classe

Interroger les élèves sur le titre choisi par Apollinaire pour son drame surréaliste : Les Mamelles de Tirésias. En quoi ce titre peut-il leur paraître « choquant » ou les déranger ? À quel domaine le terme de « mamelles » renvoie-t-il ? Comment Macha Makeïeff évite-t-elle l’animalité induite par le terme ?

On mettra l’accent sur l’univers du cirque, de la magie, de la poésie.

© Jean-Louis Fernandez / Opéra national de Lyon

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En classe

Proposer aux élèves de compléter la phrase : « Cela me fait penser à... » Encourager les associations cinématographiques (Les Ailes du désir, de W. Wanders, par exemple), circassiennes, picturales ou autres.

Il serait intéressant de comparer cette proposition scénique avec d’autres – celle du récital de Marie Devellereau à Saint-Louis-des-Invalides donné le 30 janvier 2008, avec Jean-Marc Bouget au piano (à consulter sur Youtube), dans lequel la chanteuse arrive sur scène avec deux énormes ballons de baudruche sur la poitrine, par exemple.

En classe

Macha Makeïeff a délibérément choisi un parti poétique plutôt que grotesque ou ridicule : pourquoi ? Interroger le terme de « mamelles » qui est fortement connoté : à quel domaine se réfère-t-il ?

Si l’animalité ne caractérise par la jeune Thérèse, le spectacle est traversé par un bestiaire varié.

L’éloge du transgenre

Le transgenre a donné lieu à des travestissements, à des jeux de rôles, ce qui, somme toute, est l’apanage du théâtre et de toute représentation artistique. On conclura donc sur cette réflexion : la notion de transgenre est utilisée dans la mise en scène de Macha Makeïeff comme métaphore du geste artistique lui-même.

En classe

Rechercher en histoire des arts

Demander aux élèves de retrouver un autre personnage qui exalte, par sa performance dansée, les valeurs positives apportées par cette notion de transgenre, comprise comme exaltation artistique.

L’ambiguïté du Mari dans l’opéra-bouffe : ténor ou baryton ?

Même si Poulenc se veut « strict » sur les tessitures (ou étendues des voix) quand il s’adresse à Pierre Bernac, son mentor en la matière, sa partition le trahit. Certes la ligne vocale du Mari est écrite en clé de fa, dans un ambitus (sib1-la3) spécifique au baryton Martin, mais le registre grave est peu sollicité et Poulenc a fréquemment recours à la voix de fausset, ce qui élargit la tessiture vers l’aigu. D’où la possibilité de faire basculer le rôle en faveur d’un ténor. De fait, dans les deux enregistrements disponibles ce sont des ténors qui chantent, alors que dans la production de l’Opéra Comique, c’est à un baryton que le rôle est confié.

« Le rôle du Mari est probablement l’un des plus révélateurs de cette « difficulté d’être » des hommes dans la musique dramatique de Poulenc […]. Le rôle véhicule une ambiguïté jusque dans la tessiture […]. Dans la nouvelle version de la partition d’orchestre datant de 1963, le rôle du Mari reste noté en clé de fa, au lieu d’officialiser un changement qui aurait pu être assumé. Ceci exclut donc totalement l’idée d’un revirement du compositeur qui préfère

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indiquer l’existence de deux versions et continuer à dessiner, à ce personnage, un contour imprécis. » (Denis Waleckx, Centenaire Georges Auric – Francis Poulenc, p. 171.)

En classe

Écouter et analyser les voix

Proposer une séquence sur les tessitures d’homme en suivant les étapes proposées.

1. Partir de la voix du Mari : a) (II, 3) : registre aigu ; un seul fa#2 grave, sinon do3 comme note pôle et au-dessus, note extrême la3.

Extrait à écouter en ligne

b) (I, 6) : falsetto sur les « coucou ».

Extrait à écouter en ligne

c) Écouter les solos du Mari et choisir celui qui paraît le plus « lyrique ».

2. Par comparaison, faire entendre un baryton : le Directeur : Prologue (fin de partie centrale animée) : notes extrêmes (fa#2) – (la1) juxtaposées.

Extrait à écouter en ligne

3. Applications en classe ou en chorale Faire chanter aux élèves le refrain du chœur des nouveau-nés (II, 1) (voir en ligne la rubrique « Supports » en le transposant vers l’aigu puis le grave. Vérifier individuellement les notes extrêmes correctement émises par chaque élève afin de définir l’ambitus de chacun et la tessiture moyenne de la classe.

La conjonction Poulenc/Apollinaire

Le mélodiste et le poète

Poulenc est le dernier représentant de la lignée des grands compositeurs de mélodies français, lignée qui débute avec Berlioz et Gounod et culmine avec Debussy et Ravel. En tant qu’amateur de poésie, Poulenc côtoie et met en musique les poètes de son temps, devenant ainsi « le compositeur » de Max Jacob et Paul Éluard, mais aussi de Guillaume Apollinaire : « Chose capitale, […] j’ai entendu le son de sa voix. Je pense que c’est là un point essentiel pour un musicien qui ne veut pas trahir un poète. Le timbre d’Apollinaire, comme toute son œuvre, était à la fois mélancolique et joyeux. Il y avait parfois dans sa parole une pointe d’ironie, mais jamais le ton pince-sans-rire d’un Jules Renard. C’est pourquoi il faut chanter mes mélodies apollinairiennes [sic] sans insister sur la cocasserie de certains mots. » (Cité par Claire Delamarche, Guide de la mélodie et du Lied, Fayard, 1994, p. 488-493.)

Remarque Un enregistrement de la voix d’Apollinaire récitant ses poèmes est disponible sur le site : www.wiu.edu/Apollinaire/index.htm

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Écoutons encore le compositeur expliquer sa méthode de travail : « Lorsque j’ai élu un poème, dont je ne réalise parfois la transposition musicale que des mois plus tard, je l’examine sous toutes ses faces […]. Je me récite souvent le poème. J’écoute, je cherche les pièges, je souligne parfois d’un trait rouge le texte aux endroits difficiles. Je note les respirations, j’essaye de découvrir le rythme interne par un vers qui n’est pas forcément le premier. Ensuite j’essaie la mise en musique en tenant compte des densités différentes de l’accompagnement pianistique […]. Il est rare que je commence une mélodie par le commencement. » (Idem, p. 488-89.)

Travail sur la prosodie du finale de l’acte I

En classe

Travailler sur le texte

L’annexe 4 regroupe les sept petits poèmes « zanzibariens » qui servent de support textuel à la partition du finale.

Avant toute écoute :

1. procéder à une analyse de ces poésies en cours de lettres ; 2. partir des formules rythmiques proposées et chercher à les adapter aux poèmes, en travaillant sur le parlé/rythmé ; 3. procéder à plusieurs auditions, jusqu’à ce que chaque poème puisse être chanté ; 4. établir un déroulement formel du finale.

Du comique en musique

© Jean-Louis Fernandez / Opéra national de Lyon

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En classe

Travailler sur la musique

Dresser une liste des procédés comiques : vitesse du débit, répétition, jeu sur les timbres, stichomythie, juxtaposition, etc.

L’excellence de l’écriture vocale du compositeur se manifeste à l’audition par l’intelligibilité du texte. Indépendamment de l’interprétation, les paroles s’imposent claires et nettes avec une telle évidence qu’elles « propulsent » le texte apollinarien, comme l’a bien observé Jean Cocteau : « Cinq heures, chez Marie-Laure de Noailles, avec Picasso, Éluard. Poulenc nous joue Les Mamelles de Tirésias et le poème chanté a cappella d’Éluard [Figure humaine]. Ce qui frappe dans Les Mamelles, c’est la grâce, l’aigu, la fraîcheur exquise du texte. Picasso me dit : « C’est peut-être grâce à Poulenc que nous le remarquons. […] L’acteur fausse le texte ou le récite à sec. Le chanteur machiné par Francis nous montre une parole mise à son sommet de dureté ou de charme par l’intelligence musicale de Poulenc. » (Carl B. Schmidt, p. 348.)

L'esthétique de la vignette

N’oublions pas qu’avec Les Mamelles de Tirésias, Poulenc se lance pour la première fois dans la composition d’un opéra et qu’outre les « pièges » prosodiques, il doit affronter les problèmes dramatiques, légués en quelque sorte par Apollinaire. Il choisit de traiter les différents tableautins qui animent la scène tel un vignettiste, pratiquant le collage, la petite forme, réduisant à la taille d’un timbre-poste, soit quelques mesures, toutes les suggestions que lui inspire le « kaléidoscope de mots » qu’il prise tant chez Apollinaire.

En classe

Réfléchir sur la musique

Réfléchir sur la musique comme art du temps (classes de lycée). Étudier pour cela les rapports entre temps musical et temps dramatique en dressant une liste des procédés musicaux mis en œuvre dans les trois modalités d’occupation du temps suivantes :

l'instantané comique : le Mari et le Journaliste (II, 2) ; le temps suspendu de l’évocation poétique (« à Paris ») ; le temps replié (l’exhortation).

Prendre appui sur le guide d'écoute.

Les références stylistiques

Poulenc n’a pas été un révolutionnaire et mise à part sa participation au chahut du jeune Groupe des Six orchestré par Cocteau dans les années 1920, il a toujours cherché à s’inscrire dans la continuité de l’école française. Son œuvre est jalonnée de références : outre celles, néoclassiques, à la chanson de la Renaissance et à l’école de clavecin du XVIIIe siècle, il y a la filiation revendiquée avec le « grand-père », Emmanuel Chabrier (dont il écrira une monographie) et le père spirituel, Maurice Ravel. Au cours de l’entre-deux-guerres, il capte la modernité, au gré des concerts, dans les productions de Stravinsky et, dans une moindre

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mesure, de Prokofiev et de Bartók. Les Mamelles de Tirésias, parce qu’opéra-bouffe, renvoient l’auditeur au Roi malgré lui (1887), opéra-comique de Chabrier, et à la comédie musicale L’Heure espagnole de Ravel (1911), deux œuvres créées et reprises dernièrement (respectivement 2009 et 1999) à l’Opéra Comique.

En classe

Les références pourront être saisies au travers d'un guide d'écoute et d'analyse. Il s'agit d’un travail à part entière proposé dans l'annexe 5.

Le « folklore » de Poulenc

« Le "folklore", sous cette acception, n’a rien à voir avec ce terme appliqué à Bartók par exemple, où il recouvre une musique populaire de tradition orale ; chez Poulenc, il s’agit d’un folklore citadin comportant toutes ces chansons issues du music-hall, du café-concert et de l’opérette, incarnées par Maurice Chevallier, Dranem, Mayol, Polin – pour ce qui est des interprètes – et par Yvain ou Christiné du côté des compositeurs. » (Lucie Kayas, préface d’À bâtons rompus, p. 38.)

Les trois sources d’inspiration folklorique de Poulenc se résument aux différentes atmosphères qui règnent dans trois lieux précis : Paris, Nogent-sur-Marne et Monte Carlo. « Ce qu’il y a de bien avec Poulenc [aurait dit Ravel] c’est qu’il produit son propre folklore. »

Le folklore que Poulenc nommera à plusieurs reprises « nogentais » ou « casquette sur l’oreille » prend, en musique, l’allure de valse-musette, rengaine et thème d’allure « flonflon ». De Monte-Carlo, le souvenir du compositeur se fixe sur des valses cosmopolites et langoureuses, avec un rien de laisser-aller, voire de vulgarité. En ce qui concerne Paris, c’est avant tout l’amalgame sonore des spectacles de la capitale qui transparaît dans la musique de Poulenc : music-hall, cirque, revue, cabaret, etc.

La suite de danses

En classe

Écouter et repérer la suite des danses

Se reporter au guide d’écoute et d’analyse. Ont été mis bout à bout les fragments ou bouffées de « musiques folkloriques » diffusées dans l’opéra. Conjointement au travail mené sur le spectacle (voir rubrique « Le jeu des références pluri-artistiques » ci-après), chercher avec la classe à cataloguer le plus finement possible le genre de spectacle évoqué.

Le jeu des références pluri-artistiques

Le spectacle de Macha Makeïeff se déploie en un vaste kaléidoscope visuel et musical, brassant de multiples références artistiques qui ont nourri son imaginaire pour cette mise en scène des Mamelles de Tirésias. Le mélange des genres est ici manifeste : music-hall, cinéma muet, opéra-bouffe, cirque, parade surréaliste, arts plastiques, etc. Situant le cadre de l’action dans un cirque, elle a transposé le « drame surréaliste » d’Apollinaire dans l’espace forain, où les numéros cohabitent sur la piste, entre coulisses et représentation.

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En classe

Comprendre la mise en scène

S'appuyer sur l'entretien avec Macha Makeïeff pour exposer l'hypothèse dramaturgique qui fonde le travail de mise en scène. Proposer aux élèves de la reformuler. « Et si toute cette histoire n'était qu’un numéro de cirque ? » À la lumière de ce parti pris dramaturgique, on pourra alors revoir la séquence de l’envol des Mamelles. En quoi le traitement scénique qui en est proposé renvoie-t-il à l’univers du cirque ?

L'esthétique scénique du « collage »

Macha Makeïeff rappelle dans son entretien qu'elle a cherché à construire une « soirée surréaliste », renouant par là avec le vœu d’Apollinaire d’un mélange des genres afin de produire des associations nouvelles. Très attentif à la production picturale de son époque, Guillaume Apollinaire a, par ailleurs, écrit plusieurs ouvrages sur la peinture et notamment sur le cubisme.

En classe

Aussi serait-il intéressant de travailler, en liaison avec le professeur d’arts plastiques, sur cet aspect de l’œuvre et de la mise en scène proposée à l’Opéra Comique. On proposera, pour mettre en perspective les choix artistiques de la mise en scène, de s’appuyer tout d’abord sur le texte du Prologue, écrit par le poète en 1917.

Le Prologue ou la proclamation d’un manifeste pluri-artistique

Le Prologue intervient après une double introduction musicale (le foxtrot extrait de la Jazz Suite n° 1 de Chostakovitch et le ballet Le Bœuf sur le toit de Darius Milhaud). Cette attente confère une force d’autant plus grande à l’adresse frontale qui en est faite aux spectateurs. De plus, en choisissant de faire dire le texte du Prologue par un personnage reprenant les traits de l’auteur, Guillaume Apollinaire, Macha Makeïeff met en avant sa fonction de manifeste pluri-artistique pour le « théâtre moderne » que le poète appelle de ses vœux.

En classe

Interpréter Apollinaire

Faire lire le Prologue et relever le passage dans lequel Apollinaire décrit son idéal artistique et son projet pour la représentation de sa pièce (de « Prologue : sur le théâtre nouveau/On tente ici d’infuser un esprit nouveau au théâtre » à « Les chœurs les actions et les décors multiples ».

Confronter ensuite ce projet à la mise en scène proposée ici : quels éléments (dans la scénographie, les costumes, le jeu, la distribution des personnages, la musique) vont dans le sens de ce que le poète désire pour son théâtre ? En quoi peut-on dire qu’avec la scénographie circassienne, Macha Makeïeff est allée au-delà des espérances d’Apollinaire ?

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Un bric-à-brac surréaliste ?

L'espace de la scène est mouvant, sans cesse reconfiguré par les changements de décors qui se font à vue, animé par les entrées et sorties des personnages, et une circulation d'objets plus ou moins hétéroclites. Sur bien des aspects, l'esthétique spectaculaire se rapproche du collage surréaliste qui suggère, par des rapprochements hétérogènes, de nouvelles associations visuelles, poétiques et oniriques.

En classe

Comprendre le surréalisme

Dans un premier temps, demander aux élèves de se remémorer les différents personnages qui apparaissent dès le début de la représentation. On pourra ainsi dresser un catalogue, une collection de « types ». Dans un deuxième temps, inviter les élèves à développer cette étude en s’attachant aux mouvements chorégraphiques d’ensemble, entre défilé, parade et manifestation.

Dresser la liste des personnages et pointer leurs caractéristiques : la Trapéziste, le Lanceur de couteaux, les Frères siamois, les Musiciens de jazz, le Dresseur et son cheval mou, la Vieille danseuse, le Clown blanc, les Acrobates, etc.

Pour les ensembles, on s’attachera plus particulièrement à la composition orchestrée par les costumes : formes et couleurs (la symétrie, les contrastes, les dominantes).

Ce repérage montrera l'attention particulière donnée au costume dans ce spectacle. En regardant la photo « de famille » ci-dessous exposant cette « peuplade » bigarrée réunie, on sera sensible aux différents éléments qui se côtoient : les personnages de cirque, les deux musiciens, le Gendarme aux allures de Colombo, une danseuse noire et les plumes d’autruche encadrant la piste qui rappellent la revue des Folies Bergère. Il ne faut pas oublier non plus la dimension chorale, car si la photo est muette, il est néanmoins visible qu’ils chantent tous en chœur.

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En classe

Dans un deuxième temps, interroger les élèves sur la poétique des objets qui foisonnent dans ce spectacle. Dégager avec eux le caractère hétéroclite de ces éléments et leur proposer de réfléchir sur leur fonction dans le spectacle.

Énumérer et caractériser les objets : les verres qui glissent sur la planche, Le soutien-gorge, la pipe sur roulettes, les landaus, les bouteilles-biberons, la main rouge qui descend des cintres, l’écran de projection rond comme une lune, le matériel du chimiste, etc.

À partir de l’affirmation paradoxale de Magritte, « ceci n’est pas une pipe », en légende à son tableau, amener les élèves à réfléchir sur l’objet théâtral en tant que leurre, renvoyant de ce fait à un référent absent.

Par sa cocasserie, la pipe sur roulettes est une allusion à Magritte sur le mode burlesque (là où le peintre a représenté la pipe de manière tout à fait réaliste).

Qu’ils participent de numéros de cirque, qu’ils soient accessoires ou qu’ils appartiennent au « décor », les objets interviennent, le plus souvent, comme des personnages : ils font leur entrée sur la piste, ils étonnent, amusent, se métamorphosent.

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© Jean-Louis Fernandez / Opéra national de Lyon

Repérage des citations visuelles

Ce spectacle joue avec un bonheur évident au jeu de la citation décalée. Il s’agit d’hommages rendus à des artistes et à une époque où l’art se débride avec jubilation, aussi parlera-t-on plutôt de citations « à la manière de », car elles ne sont jamais littérales. Le geste de citer fait un pas de côté pour proposer une variation, voire un pastiche.

En classe

Repérer les citations

La culture de nos élèves ne leur permettra sans doute pas de les repérer toutes, c’est pourquoi il pourrait être intéressant de projeter les images des modèles qui ont donné lieu à cette « réécriture » ou de faire écouter les morceaux musicaux originaux.

Classer dans un premier temps les références selon qu’elles relèvent des numéros proprement dits (les frères Fratellini, la Revue nègre, la danseuse du Lac des cygnes, etc.) ou du dispositif scénographique (hommage au photographe Man Ray, rappels des papiers collés de Matisse, mais aussi clin d’œil au cinéma muet, aux actualités cinématographiques, etc.). Selon la piste privilégiée, proposer aux élèves la réalisation d’une affiche pour le spectacle à partir de l’étude du modèle choisi.

Un dispositif scénique éclaté

Il s’agit ici d’envisager l’espace scénographique.

En classe

Analyser le décor

On insistera avec les élèves sur le fait que les différents éléments de la scénographie sont « en morceaux » géométriques et qu’ils composent un espace qui se transforme en fonction du déroulement des différentes manipulations. Il serait judicieux d’associer le professeur d’arts plastiques à cette étude pour aborder le mouvement cubiste en peinture avec les élèves. On attirera leur attention sur la verticalité des cintres et la géométrie des panneaux suspendus qui contrastent avec les arcs de cercle délimitant la piste. On s’interrogera également sur l’effet produit par la petite roulotte placée au centre.

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À partir de formes géométriques, recomposer le dispositif scénique en marquant ses contrastes au niveau des formes et des couleurs : les arcs de la piste de cirque et les quadrilatères qui l’encadrent.

En s’appuyant sur les photos de la maquette et à l’aide de différents matériaux, retracer, sous forme de story-board, les métamorphoses de la roulotte Nothing doing bar : tour à tour roulotte du cirque Circus, ring de boxe, bar, chambre à coucher, boutique… C’est une boite à multiples transformations. On pourra choisir un angle de vue particulier pour la placer de manière intéressante dans l’espace du cirque.

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Ressources et supports

Annexe 1 : Synopsis de l'œuvre

Prologue

Selon un procédé de mise en abyme, le Directeur de la troupe annonce le sujet de l'opéra : le problème de la dépopulation, « un sujet domestique traité sur un ton familier ». L'objectif affiché est de « réformer les mœurs ». Le directeur s'adresse en effet au public en ces termes : « Écoutez, ô Français, la leçon de la guerre/Et faites des enfants, vous qui n'en faisiez guère. »

Acte I

I, 1 : La charmante Thérèse, qui se dit féministe, refuse l’idée de procréation obligée et veut faire carrière en tant que soldat, artiste, député, avocat, sénateur, ministre et président de la chose publique. Elle décide de se transformer en homme en faisant symboliquement exploser ses mamelles.

I, 2 : Quand arrive son mari, il ne la reconnaît plus : Thérèse lui annonce qu’elle n’est plus sa femme et qu’elle a changé son nom en Tirésias.

I, 3 : De fait, elle « déménage » et le Mari rentre chez lui.

I, 4 : Deux ivrognes, Lacouf et Presto, se battent en duel à propos d’un pari. Ils s’entretuent.

I, 5 : Tirésias est désormais « imberbe et rasé de frais » tandis que le Mari apparaît « habillé en femme et les mains ligotées ». Le couple et le peuple de Zanzibar se lamentent sur la mort de Lacouf et Presto.

I, 6 : Victime de son travestissement, le Mari est courtisé par un gendarme, qui le trouve fort à son goût, alors que le peuple acclame le « général Tirésias ».

I, 7 : Irrité par la scène de séduction du Gendarme, le Mari ôte ses vêtements féminins et annonce que si « la femme à Zanzibar veut des droits politiques et renonce soudain aux amours prolifiques », il fera pour sa part des enfants tout seul.

I, 8 : Tous les personnages (sauf Tirésias) commentent les événements de la matinée.

Entr’acte

Après une danse, les Choristes reprennent la morale du premier acte (« Vous qui pleurez… »). On entend les « papa ! » du chœur placé dans la fosse d’orchestre.

Acte II

Le deuxième acte se passe « au même endroit, le même jour, un peu avant le coucher du soleil ».

II, 1 : La scène est envahie de berceaux et le Mari, « un enfant dans chaque bras » admire et décide de l’éducation de sa nombreuse progéniture.

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II, 2 : Attiré par un tel événement, un journaliste parisien vient l’interviewer pour connaître les secrets de ce miracle. Celui-ci ne tarde pas à se faire chasser « d’un coup de pied ».

II, 3 : Afin de tout savoir, le Mari décide de faire de l’un de ses enfants un journaliste.

II, 4 : Ce dernier, tout en lui communiquant les nouvelles de la veille, commence à lui faire du chantage.

II, 5 : Pour être bien habillé, le Mari décide ensuite de faire de l’un de ses enfants un tailleur.

II, 6 : Le Gendarme survient et reproche au Mari prolifique d’affamer la population zanzibarienne. Pour remédier à cela, le Mari conseille d’aller chercher des cartes de rationnement chez la Cartomancienne.

II, 7 : Celle-ci arrive « richement voilée » et glorifie la procréation, véritable source de richesses. Quand le Gendarme veut l’arrêter pour activité illicite, elle l’étrangle. Sous les voiles de la Cartomancienne, le Mari reconnaît Thérèse « dans une très élégante robe du soir ».

II, 8 : L’acte se termine dans une « atmosphère de fête de nuit » : Thérèse et le Mari dansent amoureusement, entouré par le peuple de Zanzibar. Tous s’adressent au public : « Cher public, faites des enfants, vous qui n’en faisiez guère, vous qui n’en faisiez plus ! »

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Annexe 2 : Tableau synoptique de l'œuvre

À noter : les minutages sont établis d’après l’enregistrement historique

Acte, Scène Personnages Morceaux Formes Durée

± Débute

à :

Prologue le Directeur de théâtre Monologue Exhortation ABA’ 6’15 Plage 1

Plage 2 Acte I

Scène1 Thérèse, le Mari Air : partie 1 5’00 3’20 Scène 2 les mêmes Air : partie 2 1’45 8’15 Scène 3 les mêmes parlé 0’30 10’00 Scène 4 Presto, Lacouf Duo bouffe ABABC 2’00 10’30

Scène 5 Tirésias, le Mari, le Chœur

Arioso Déploration choral 4’00 12’16

Scène 6 le Mari, le Gendarme, le Chœur Duo comique à refrain 4’15 16’05

Scène 7 le Mari Arioso 2’ 20’13 Scène 8 tous, sauf Tirésias Finale 3’15 23’13

Entracte le Chœur AB (choral) 2’45 Plage 3

Acte II

Scène 1 le Mari, le Chœur Chœur des nouveau-nés rondo 1’15 2’43

Scène 2 le Mari, le Journaliste Duo ABA’C 4’00 3’54

Scène 3 le Mari Parlé chanté 1’30 8’06

8’45 Scène 4 le Mari, le Fils Duo dialogué 2’15 2’15

Scène 5 le Mari Récitatif Arioso 0’45 11’55

12’11 Scène 6 le Mari, le Gendarme Duo dialogué 0’30 12’31

Scène 7 La Cartomancienne-Thérèse, le Mari,le Gendarme

Trio Czardas 5’30 13’07

Scène 8 tous Finale 3’45 18’37

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Annexe 3 : Entretien avec Macha Makeïeff, metteur en scène

Propos recueillis par Rafaëlle Pignon

Pourquoi ce double prologue – le foxtrot de la Suite pour orchestre de jazz n° 1 de Chostakovitch et le Boeuf sur le toit de Darius Milhaud – avant l’opéra-bouffe de Poulenc Les Mamelles de Tirésias ? Lorsque le directeur de l’opéra de Lyon, Serge Dorny, m’a proposé de mettre en scène Les Mamelles de Tisérias, œuvre courte qui est généralement accompagnée d’une autre partie lyrique, nous avons réfléchi ensemble sur ce qui pourrait lui faire écho. J’avais, pour ma part, très envie de mettre en scène de la musique ; l’idée du Bœuf sur le toit s’est très vite imposée, puis Serge a proposé la Suite de Chostakovitch : il s’agissait de faire un seul et même spectacle qui traverserait ces trois étapes pour proposer une soirée dans l’esprit surréaliste. Nous avons rassemblé une distribution adéquate, une très belle distribution.

Ce théâtre visuel et musical apporte, de fait, une tonalité enlevée mais aussi dramatique à l’œuvre d’Apollinaire/Poulenc. C’est également une manière de donner au personnage de Thérèse une origine circassienne, de lui offrir une généalogie... Pourquoi avoir choisi précisément celle du cirque ? Je suis partie de la scénographie pour créer une unité, j’ai imaginé le lieu de ce cirque avec ses éléments hétéroclites, ses personnages de doux freaks et de musiciens, parce que cela entrait en résonnance avec l’imaginaire du collage surréaliste. Les morceaux purement musicaux fonctionnent ainsi comme un « avant-spectacle » à l’œuvre de Poulenc. C’est, en quelque sorte, l’attente, derrière le rideau, mélancolique et un peu nerveuse que tout artiste connait avant d’entrer en scène. Puis on entre sur la piste, mais le spectacle ne commence pas vraiment, on découvre le campement de ce cirque : les artistes s’échauffent, se préparent. C’est une vision un peu onirique du spectacle qui va suivre. Toutes ces énergies qui circulent en cascades sont comme des variations autour de thèmes, l’enthousiasme s’éteint puis dégringole: c’était, à mon avis, une réponse intéressante à la musique entêtante de Poulenc. On y découvre les personnages qui se montreront sous une autre facette dans Les Mamelles. J’ai imaginé que Thérèse était la femme d’un lanceur de couteaux. Cela crée une tension immédiatement visible entre eux. Dans ce préambule, on la voit laver les couteaux de son mari ; son cri de révolte dans Les Mamelles - « Non, Monsieur mon mari » - éclatera d’autant plus fort qu’il crée une rupture avec ce qui précède. Mais peut-être que tout cela n’est qu’un numéro de cirque : Thérèse aura utilisé les moyens du cirque pour s’émanciper. On peut imaginer d’ailleurs qu’elle a plusieurs numéros : trapéziste, écuyère, car c’est un petit cirque. L’important est que l’on sente la tension dans ce couple, je ne voulais surtout pas tomber dans le travers petit bourgeois de la représentation de Thérèse et de son mari. La violence doit être sensible, on ne peut s’aimer sans une part de violence, j’ai souhaité mettre en scène l’« amour vache ».

Il y a dans ce spectacle une revendication du mélange des genres assumée : cette poétique du collage permet des chocs esthétiques. C’est pourquoi l’idée du cirque m’intéresse, car il apporte une dimension géométrique : une piste ronde, les bords de piste qui se font ou se défont, les panneaux triangulaires... je voulais faire écho à la peinture de l’époque. C’est à la fois une géométrie qui bouge dans l’espace et qui raconte la dramaturgie. C’est très concret. J’ai voulu rendre compte également de l’univers mental de l’artiste : avec les surréalistes, on ne sait jamais si on est dans la réalité ou dans une réalité mentale : les cintres permettent des apparitions-disparitions, tout est en

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mouvement permanent. Je me suis aussi amusée à faire entrer des animaux de chair et de sang : le bœuf, mais aussi le lapin, deux chiens...

La présence du bœuf est un clin d’oeil au titre Le Bœuf sur le toit ? Bien sûr ! C’est un jeu magrittien avec le fameux « Ceci n’est pas une pipe » : « ceci est un bœuf/ceci n’est pas un bœuf ! » On joue sans cesse avec ces décalages-là. J’ai cherché à me mettre dans l’humeur de ces gens-là et notamment dans celle d’Apollinaire. Il y a la folie de la musique, mais aussi la folie et la gravité d’Apollinaire qui apporte sur scène une réponse à une situation dramatique : comment de ce désastre qu’est la guerre de 1914-1918 faire renaître de la vie et de la joie ? Le cirque, avec sa peuplade d’éclopés, de gens de toutes sortes vivant dans une arène, dans une promiscuité qui exacerbe les tensions, apporte un souffle libertaire. Ici le transgenre est une modalité artistique.

La scène est en perpétuelle métamorphose : la roulotte se transforme en ring, la piste de cirque se fait et se défait… La dynamique de ce mouvement traduit-elle une correspondance avec la musique ? Effectivement, les deux se travaillent en même temps, je ne fais pas de séparation entre la partie musicale et la partie visuelle. D’ailleurs j’ai tenu à ce que les musiciens qui ont été présents dès le début soient présents pendant tout le processus de répétition : que tous, musiciens, chanteurs magnifiques, comédiens, danseurs forment « une troupe ». Le jeune chef, Ludovic Morlot, brillant, attentif, complice, a joué le jeu. Et les régisseurs, eux-mêmes, qui déplacent les décors sont devenus des personnages du cirque. De ce fait, l’apparent désordre qui tient aussi bien du collage que de l’installation plastique permet de relier entre eux les différents fils : la musique en est un des conducteurs.

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Annexe 4 : Poèmes en langage zanzibarien (finale de l'Acte I)

A.

Elle sort un bobard

Bien digne qu’on l’entende ailleurs qu’à Zanzibar

B.

Vous qui pleurez en voyant la pièce

Souhaitez les enfants vainqueurs

Voyez l’impondérable ardeur

Naître du changement de sexe

C.

Revenez dès ce soir voir comment la nature

Me donnera sans femme une progéniture

D.

Ne faites pas qu’en vain je croque le marmot

Je reviens dès ce soir et je vous prends au mot

E.

Comme est ignare le gendarme

Qui gouverne le Zanzibar Le music-hall et le grand bar

N’ont-ils pas pour lui plus de charmes

Que repeupler Zanzibar

F.

Comment faut-il que tu les nommes

Elles sont tout ce que nous sommes

Et cependant ne sont pas hommes

G.

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Eh ! fumez la pipe bergère

Moi je vous jouerai du pipeau

Et cependant la boulangère

Tous les sept ans change de peau

Tous les sept ans elle exagère

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Annexe 5 : Guide d'écoute et d'analyse

Extrait 1 : Prologue

Extrait à écouter en ligne

Introduction : très brève, composite, avec un élément thématique a).

Tonalité de référence ré m. avec des emprunts modaux (mode de mi sur ré).

La ligne vocale se construit sur une ossature mélodico-intervallique de 4 notes b).

Forme en arche :

• du récitatif à l’arioso (A) menant à un climax sur « Et que le sol… » destiné à devenir le seul élément thématique récurrent dans l’opéra-bouffe

Extrait à écouter en ligne

• « Vous trouverez… » : partie très agitée (B) en 5 paliers. a) est intégré au motif dynamisant de la ritournelle c) ;

Extrait à écouter en ligne

• le retour au tempo 1° est tout en rupture (consulter la partition en ligne) : silence, notes extrêmes de la tessiture. A’ est symétrique à A : retour au récitatif initial. Reprise écourtée de a) sur la voix.

Extrait à écouter en ligne

En classe

Afin d’étudier les rapports texte/musique, demander à la classe d’observer la découpe du texte en moments musicaux. Quels sont les mots clés du texte qui font réagir le compositeur ?

Écriture vocale : construction de la ligne, aménagement de la progression vers le point climax, autres procédés de dramatisation ?

Extrait 2 : Acte I

Extrait à écouter en ligne

Scènes 1 à 3

Elles sont consacrées au couple et à sa dégradation, selon la forme d’un entonnoir – raccourcissement temporel des scènes – qui donne une sensation d’accélération (Sc. 1 : grand air [5’14], Sc. 2 : dialogue [1’50], Sc. 3 : parlée, bruitée [0’25]). La révolte de Thérèse est ponctuée par le truisme du Mari « Donnez-moi du lard, je te dis » (cf. domaine du temps).

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Partition

Partition à consulter en ligne

Extrait à écouter en ligne

À l’impétuosité de Thérèse correspond une ligne vocale qui tend à l’imprévisibilité. Poulenc s’appuie sur le rythme anapestique du texte pour segmenter la ligne et inverser la direction des mouvements mélodiques (mes. 1 et mes. 3). Le tout est charpenté par la marche harmonique qui joue de l’élision (le sol b.) et de l’enharmonie.

En classe

Demander aux élèves de mettre en parallèle Thérèse et Alexina du Roi malgré Lui de Chabrier (n°12 « Oui, je vous hais ! »).

Scène 4 : duo bouffe, Presto, Lacouf

Partition

Partition à consulter en ligne

Extrait à écouter en ligne

Les rapports du couple éméché donnent lieu à un traitement des deux voix identique avec deux éléments mélodiques contrastés (A et B) : conjoint/disjoint, piqué/lié, tonal/modal, temps strié (polka)/temps lisse… Les revirements dans les didascalies justifient les changements de l’écriture vocale, les transitions sont aménagées en fonction de la mise en scène, et la reprise accroît l’effet comique. Le duel donne lieu à une imitation sonore : mouvements contraires, d’autres ingrédients comiques que le glissando, le falsetto (dernière note du ténor).

En classe

Proposer aux élèves de chanter le duo-polka en deux groupes alternés soit par personnage, soit par partie A et B.

Leur proposer également d’écouter d’autres duos bouffe : Offenbach, bien sûr, mais aussi Chabrier (L’Étoile : duo de la Chartreuse verte qui « faisait pleurer de rire Debussy »).

Sc. 5 : entrée du chœur et déploration-choral Extrait à écouter en ligne

Forme : thème en 2 parties, suivi de 4 variations (harmoniques).

Texte d’Apollinaire : fin de la scène 4 in L’Enchanteur pourrissant, Gallimard, p.127.

Livret : programme de l’Opéra national de Lyon, 2010, p. 55-59.

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Cette scène a été aménagée par Poulenc, à partir du texte d’Apollinaire, en vue d’introduire le chœur. C’est donc à une nécessité opératique que répond la mise en livret.

En classe

Dresser un catalogue des artifices employés par Poulenc.

Partition

Partition à consulter en ligne

Les 4 mesures d’introduction (intervalles harmoniques et timbres) sont directement issues des Symphonies d’instruments à vent de Stravinsky qui ont profondément marquées Poulenc. Le choral (mes. 4), harmonisé à 3, 4 puis 5 voix, est d’une écriture modale.

En classe

Accompagner les élèves au piano sur un extrait, les élèves disposant du texte d’Apollinaire et ayant appris la ligne de chant.

Sc. 8 : choral « Vous qui pleurez »

Partition

Partition à consulter en ligne

Extrait à écouter en ligne

Dans le style du choral d’école, type choral orné (contrechant en double croches) avec une coloration modale (sans sensible), puis style « libre », marche harmonique d’espèce : entre pastiche et parodie.

En classe

Demander aux élèves de chanter la partie vocale de soprano de la partition.

Entracte

Partition

Partition à consulter en ligne

En classe

Demander aux élèves d’écouter et d’analyser la danse. Leur faire identifier la forme (AA’, reprise amplifiée à l’orchestre) et les timbres (la harpe, le piano, les trombones, les timbales et tambour peuvent être aisément localisés en particulier).

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Extrait 3 : Acte II

Extrait à écouter en ligne

Sc. 1 : chœur des nouveaux-nés Extrait à écouter en ligne

Partition du refrain

Partition à consulter en ligne

Extrait à écouter en ligne

Demander aux élèves d’apprendre le refrain par les élèves et de l’interpréter en s’essayant à différents modes d’émission vocale, suivant des tons variés : criard, geignard, etc.

Sc. 2 : le Mari, le Journaliste

Partition

Partition et extrait à consulter en ligne

En classe

Se reporter à l’entretien avec le chef d’orchestre Ludovic Morlot .

Rechercher à l’audition tous les signes comiques inscrits dans la partition (prendre comme référence les bandes-son de film d’animation). En retrouver trace sur la partition.

Sc. 7 : la Cartomancienne Extrait à écouter en ligne

Référence à la csárdás, avec partie lente « lamento » (lassu) et partie vive dansante (friss) ici, polka pointée.

Partition

Partition à consulter en ligne

Virtuosité ; accompagnement du piano, jeu arpégé imitant le cymbalum.

Sc. 8 : Finale Extrait à écouter en ligne

Partitions

Partitions à consulter en ligne

Esthétique du collage : suspension poétique sur « des enfants ! », en collision avec la cocasserie « Grattez-vous… ».

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Annexe 6 : Entretien ave Ludovic Morlot, chef d'orchestre

Propos recueillis par Nathalie Otto-Witwicky

Vous dirigez l’orchestre dans la version de 1962, avec un effectif de 50 instrumentistes. Pour quelles raisons selon vous Poulenc a-t-il réduit son orchestre ? L’orchestre légèrement réduit permet une plus grande clarté, ce qui favorise l’équilibre entre le plateau et l’ensemble instrumental (l’effectif réduit des cordes particulièrement). La même théorie s’applique pour le chœur que nous avons décidé de ne pas agrandir. On trouve ici un procédé quasi néoclassique dans la conception du son de l’ensemble, tout comme Pulcinella de Stravinsky, par exemple.

Que vous inspirent ces propos de Poulenc à Pierre Bernac, le 24 juin 1944 : « Je réserve mes pires folies pour le second tableau afin de faire monter l’intérêt. Pas un seul instant je ne perds de vue mon orchestration légère… Il y a beaucoup de détails scéniques qui m’ont soufflé des mesures de musique. Je pense que les situations se suffiront à elles-mêmes car, au théâtre je ne compte guère sur le pouvoir des mots – on n’imagine pas Fête galante en scène. J’ai lu avec un soin inouï la partition d’orchestre de L’Heure espagnole dans une main, la partition de piano, dans l’autre. » Je suis heureux de lire que Poulenc confesse une certaine influence de l’orchestration de Ravel qui est assez évidente dans cet ouvrage (notamment dans les situations comiques – comme dans L’Heure espagnole). Il est vrai que les situations et certains détails scéniques appellent certains modes d’écriture, notamment une écriture quasi mécanique à certains moments (air du Fils par exemple). La musique du second tableau est plus extraordinaire en effet, comme l’est le texte d’Apollinaire. Il devient très surréaliste et le commentaire instrumental encore plus raffiné. Je pense toutefois que l’écriture du Prologue (que Poulenc a écrit une fois le reste de l’ouvrage terminé) est sans aucun doute la plus sophistiquée.

Georges Auric a dit que Poulenc était mal à l’aise avec l’orchestre et que son orchestration relevait essentiellement de l’instrumentation ; qu’en pensez-vous ? Je suis assez d’accord. L’orchestration de Poulenc n’est pas toujours la plus habile, mais il joue d’effets merveilleux (quintes parallèles, enchaînements de renversements d’accords, doublures inhabituelles, dissonances…) qui renforcent et commentent l’humour et le surréalisme du texte d’Apollinaire. Son écriture dans les Dialogues des Carmélites est différente (plus debussyste).

Quels sont les passages des Mamelles qui sont pour vous les plus ravéliens ? Le Prologue (particulièrement le volet central rapide), l’Entracte (polka), le finale de l’acte I.

Quelle scène, selon vous, contient le plus de « comique en musique », comme le pratiquaient Chabrier et Ravel ? Le duo entre le Journaliste et le Mari (« Hands up ! Bonjour Monsieur le Mari… »), le duo entre le Gendarme et le Mari (« Dites ma belle enfant… »), le Fils (« Mon cher papa… »).

Que pensez-vous des tempi indiqués par Poulenc ? Les tempi de la partie chant-piano sont trop rapides mais ceux indiqués dans la partition d’orchestre sont en général assez justes.

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Quel a été votre guide pour diriger l’orchestre et la scène ? D’être sans cesse à l’écoute des voix des artistes sur scène. Certains tempi ou nuances par exemple changent pour accommoder un certain type de voix.

La mise en scène a-t-elle influé sur votre direction ? Sans doute pour certains détails (par exemple longueurs de certains points d’arrêt dans la musique ou invention d’effets sonores spéciaux – bruits de sirène, détails dans les parties de percussions, chœur des nourrissons pré-enregistré et diffusé sur haut-parleur en salle [papa], etc.). Mais jamais au détriment de ma vision globale de l’ouvrage musical. J’aime imaginer que ma vision musicale a influé de la même manière sur la mise en scène.

Si vous deviez faire connaître et apprécier Les Mamelles à un ami en cinq minutes, quels passages lui présenteriez-vous ? Sans aucun doute quelques minutes du Prologue, l’air de Thérèse et le dialogue entre le Journaliste et le Mari afin de montrer différentes facettes de l’écriture de Poulenc.

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Glossaire

• A cappella du bas latin cappae, chape. Désigne une œuvre vocale exécutée sans accompagnement instrumental.

• Agogique [n.f.] : (néologisme d’après l’allemand Agogik). Légères modifications de rythme ou de tempo lors d’une interprétation. S’apparente au rubato (cf infra). Par extension, concerne tout ce qui touche au sentiment de mouvement, de vitesse.

• Ambitus [n.m.] : étendue d’une mélodie de la note la plus grave à la note la plus aigüe (ne pas confondre avec tessiture).

• Anapeste [n.m.] : cellule rythmique faite de deux brèves suivies d’une longue (deux croches + noire).

• Baryton [n.m.] : voix masculine, de registre médian. Grands rôles de barytons : Orfeo (L’Orfeo, Monteverdi), Don Giovanni (Don Giovanni, Mozart), Figaro (Il Barbiere di Seviglia, Rossini), Nabucco (Nabucco, Verdi), Rigoletto (Rigoletto, Verdi) , Falstaff (Falstaff, Verdi), Scarpia (Tosca, Puccini), Escamillo (Carmen, Bizet), Golaud (Pelléas et Mélisande, Debussy), Barak (Die Frau ohne Schatten, R. Strauss), Il Prigioniero (Il Prigioniero, Dallapiccola), Wozzeck (Wozzeck, Berg), Stolzius (Die Soldaten, Zimmermann). La voix de baryton, selon le timbre et la tessiture, peut se subdiviser en plusieurs catégories : baryton Martin, baryton léger, baryton Verdi et baryton-basse.

• Baryton Martin [n. m.] : voix aigüe de baryton, à la limite avec celle de ténor. Vient du chanteur Jean-Blaise Martin (1768-1837). Un des rares grands rôles pour baryton Martin est Pelléas, du Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, rôle pouvant être tenu par un ténor comme par un baryton.

• Célesta [n. m.] : instrument à clavier inventé en 1886 par Auguste Mustel. Hybride du piano et du glockenspiel, il reprend la mécanique du premier et les lamelles métalliques du second. Instrument utilisé en soliste dans la Danse de la Fée Dragée extraite de Casse-noisettes de Tchaïkovski.

• Choral [n. m.] : à l’origine chant religieux prosodique (une syllabe : une note) issu de la réforme protestante, systématiquement harmonisés (à 4 voix) dès le XVIe siècle. Par extension concerne toute écriture musicale en accords successifs.

• Conducteur [n. m.] : (néologisme d’après l’anglais conductor, chef d’orchestre). Partition d’orchestre utilisée par le chef d’orchestre, comprenant la totalité des parties instrumentales et vocales.

• Cor anglais [n. m.] : instrument de la famille des hautbois, légèrement plus grave que le hautbois, de forme arquée (et non droite) avec le pavillon en forme de poire (et non évasé). « Anglais » par déformation du mot « anglé » (le corps de l’instrument formant un angle) et du terme en vieil-allemand engelisches, angélique. Instrument souvent utilisé en soliste au sein de l’orchestre, notamment dans le mouvement lent de la Symphonie du Nouveau monde de Dvořák et dans Le Cygne de Tuonela de Sibelius.

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• Csárdás [n.f.] : danse populaire hongroise, dont les pas sont basés sur les temps forts et suivent la structure de la ligne de basse. La csárdás a été intégrée au ballet classique par Marius Petipa dans Le Lac des cygnes et est maintenant considérée comme une « danse de caractère » en danse classique.

• Enharmonie [n.f.] : deux notes nommées différemment mais de même hauteur. Exemple : do dièse et ré bémol, mi dièse et fa, etc.

• Falsetto [n. m.] : cf « fausset ».

• Fausset [n. m.] (ou voix de fausset ou falsetto ou voix de tête) : registre suraigu de la voix masculine.

• Finale [n. m.] : terme italien désignant le dernier mouvement ou la fin d’une œuvre musicale.

• Foxtrot (ou slow fox) [n.m.] : danse américaine sur un tempo rapide (noire = 120) aux mouvements fluides, issue du ragtime.

• Glockenspiel [n. m.] (ou carillon) : littéralement « jeu de cloches » en allemand. Instrument à percussion de la famille des claviers, semblable au xylophone, dont les lamelles sont faites en métal et reproduisent un son de clochette. Sa tessiture, centrée dans l’aigu, se limite à un maximum de trois octaves.

• Groupe des Six nom donné par le critique musical et compositeur Henri Collet dans un de ses articles (revue Comoedia du 16 janvier 1920) à l’ensemble des compositeurs joués à un concert de musique contemporaine : Germaine Tailleferre, Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud et Francis Poulenc. Bien qu’ayant de nombreux points communs (refus du romantisme et de l’impressionnisme, filiation avec Jean Cocteau et Erik Satie…), le Groupe des Six n’eût qu’une existence éphémère. Néanmoins les six compositeurs restèrent tous intimement liés.

• Lamento [n.m.] : de l’italien lamentare, se lamenter. Morceau de musique vocal ou instrumental à caractère plaintif, de tempo lent.

• Livret [n. m.] : de l’italien libretto, petit livre. Paroles d’un opéra. Certains écrivains ou dramaturges se sont faits spécialistes du livret d’opéra : Eugène Scribe, Henri Meilhac, Ludovic Halévy, Louis Laloy, Henri Cain, Temsitocle Solera, Felice Romani, Lorenzo Da Ponte, Pietro Metastasio, Hugo von Hofmannsthal, Luigi Illica, Whystan Hugh Auden, David Hwang…

• Mezzo-soprano [n. f.] : voix féminine, de registre médian. Grands rôles de mezzo-soprano : Ottavia (L’Incoronazione di Poppea, Monteverdi), Dido (Dido and Æenas, Purcell), Bradamante (Alcina, Haendel), Phèdre (Hippolyte et Aricie, Rameau), Dorabella (Così fan tutte, Mozart), Rosina (Il Barbiere di Seviglia, Rossini), Cassandre & Didon (Les Troyens, Berlioz), Carmen (Carmen, Bizet), Fricka (Der Ring des Nibelungen, Wagner), Amneris (Aida, Verdi), Princesse Eboli (Don Carlos, Verdi), Marina Msnishek (Boris Godounov, Moussorgski), Charlotte (Werther, Massenet), Oktavian (Der Rosenkavalier, R. Strauss), Mère Marie de l’Incarnation (Dialogues des carmélites, Poulenc), Mescalina (Le Grand Macabre, Ligeti).

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• Nomenclature [n. f.] : liste des instruments utilisés dans une œuvre pour orchestre.

• Opéra-bouffe [n. m.] : genre lyrique français (avec parfois des passages parlés) traitant d’un sujet comique. Terme créé en 1855 par Jacques Offenbach pour qualifier ses propres œuvres.

• Opera buffa [n. m.] : genre lyrique italien traitant d’un sujet comique. L’opera buffa est apparu à Naples au début du XVIIIe siècle, en opposition à l’opera seria. À l’origine ce sont de simples entractes (le plus connu étant La Serva padrona de Pergolèse) devenus progressivement des œuvres occupant une soirée entière.

• Orchestration [n.f.] : science musicale traitant de la répartition et de l’écriture des instruments dans la composition (à ne pas confondre avec la direction d’orchestre).

• Polka [n.f.] : danse populaire de Bohème, basée sur les pas chassés (ou demi-pas). Très répandue dans toutes les couches de la population au XIXe siècle, son utilisation a été extrêmement courante en musique classique et en musique légère. La polka pointée, qui est une version française de la polka originelle, se danse sur talons et pointes et présente un rythme plus saccadé.

• Ritournelle [n.f.] : courte phrase mélodique récurrente, à l’instar d’un refrain.

• Rondo [n. m.] : forme musicale apparentée au couplet-refrain. Une phrase récurrente (A) alterne avec une autre phrase musicale changeante, suivant le schéma suivant : A/B/A/C/A/D/A, etc.

• Rubato [n. m.] : de l’italien « dérobé ». Indication d’expression musicale consistant en accélérant ou ralentissant la pulsation.

• Soprano [n. f. et n. m.] : voix féminine aigüe. Peut se subdiviser en plusieurs catégories selon l’emploi et la tessiture : soprano coloratura, soprano léger, soprano lyrique, soprano dramatique. S’utilise au féminin pour désigner une personne et au masculin pour désigner la voix.

• Soprano dramatique [n. f. et n. m.] : soprano au registre central, dont la tessiture se situe entre le soprano lyrique et le mezzo-soprano. Voix typique du répertoire classique et romantique. Principaux rôles : La Contessa (Le Nozze di Figaro, Mozart), Donna Anna (Don Giovanni, Mozart), Leonore (Fidelio, Beethoven), Abigaille (Nabucco, Verdi), Elisabeth de Valois (Don Carlos, Verdi), Brunnhilde (Der Ring des Nibelungen, Wagner), Isolde (Tristan und Isolde, Wagner), Kundry (Parsifal, Wagner), Selika (L’Africaine, Meyerbeer), Marguerite (La Damnation de Faust, Berlioz), Santuzza (Cavalleria rusticana, Mascagni), Gioconda (La Gioconda, Ponchielli), Tosca (Tosca, Puccini), Turandot (Turandot, Puccini), Marie (Wozzeck, Berg), Elektra (Elektra, R. Strauss), Die Färberin (Die Frau ohne Schatten, R. Strauss), Die Marschalin (Der Rosenkavalier, R. Strauss). Il n’est pas rare de voir certains rôles de soprano dramatiques tenus par des mezzo-sopranos.

• Soprano léger [n. f. et n. m.] : soprano de registre aigu, entre soprano coloratura et soprano lyrique, qui demande moins d’agilité que la première et moins de puissance que la seconde.

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Peu de premiers rôles sont pour soprano léger, réservé usuellement à des personnages de second plan : Oscar (Un Ballo in maschera, Verdi), Nanetta (Falstaff, Verdi), Constance (Dialogues des carmélites, Poulenc), Wanda (La Grande-Duchesse de Gérolstein, Offenbach), Barberina (Le Nozze di Figaro, Mozart), Sophie (Werther, Massenet), Musetta (La Bohème, Puccini), Auntie’s nieces (Peter Grimes, Britten).

• Synopsis [n. m] : résumé condensé d’un scénario.

• Ténor [n. m.] : voix masculine aigüe. Peut se subdiviser en plusieurs catégories selon l’emploi et la tessiture : haute-contre, trial, ténor léger, ténor lyrique, heldentenor.

• Tempo [n. m.] : (pluriel : des tempi). Pulsation.

• Tessiture [n. f.] : étendue maximale, de la note la plus grave à la note la plus aigüe, d’une voix ou d’un instrument (ne pas confondre avec ambitus).

• Trial [n. m.] (ou ténor-bouffe) : ténor léger, spécialisé dans les emplois comiques. Vient du chanteur Antoine Trial (1737-1795). La tessiture est généralement limitée et l’emploi au falsetto courant. Rôles de trial ou ténor-bouffe du grand répertoire : Iro (Il Ritorno d’Ulisse en Patria, Monteverdi), Don Basilio (Le Nozze di Figaro, Mozart), Ménélas (La Belle Hélène, Offenbach), Pluton (Orphée aux enfers, Offenbach), Incredibile (Andrea Chénier, Giordano), Dottore Cajus (Falstaff, Verdi), L’Innocent (Boris Godounov, Moussorgski), Goro (Madame Butterfly, Puccini), La Théière / La Rainette / L’Arithmétique (L’Enfant et les sortilèges, Ravel), Der Narr (Wozzeck, Berg).

• Variations [n.f.] : technique d’écriture musicale, consistant à produire plusieurs phrases musicales dérivées d’un thème initial.

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Ressources

Sur Poulenc

• Renaud Machart, Poulenc, Le Seuil, coll. « Solfèges », 1995. • Henri Hell, Francis Poulenc, Musicien français, Fayard, 1978. • Francis Poulenc, Correspondance 1910-1963 réunie, choisie et annotée par Myriam

Chimènes, Fayard, 1994. • Francis Poulenc, Emmanuel Chabrier, La Palatine, 1961. Centenaire Georges Auric -

Francis Poulenc, textes édités par Josiane Maas, centre d’étude du XXe siècle, université de Montpellier III, 2001.

• Guy Cornut, La Voix, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2009. • Carl B. Schmidt, The Music of Francis Poulenc, A Catalogue, Clarendon Press,

Oxford, 1995. • Francis Poulenc, À bâtons rompus, écrits radiophoniques réunis par Lucie Kayas,

Actes Sud, 1999. • Site officiel de Francis Poulenc • Site de La Gazette musicale (dictionnaire, encyclopédie, biographie)

Sur Apollinaire

• Bibliotheca augustana • Site Éducnet, « le français avec les TICE » • Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet, Calames : catalogue en ligne des archives et

des manuscrits de l’enseignement supérieur, fonds Guillaume Apollinaire • Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet • Site officiel d’Apollinaire • Centre Georges Pompidou (catalogues en ligne : surréalisme, cubisme, etc.)

Enregistrements

Enregistrements audio

• Denise Duval (Thérèse), Jean Giraudeau (ténor, le Mari), chœurs et orchestre du Théâtre National de l'Opéra Comique, sous la direction d’André Cluytens, enregistrement au Théâtre des Champs-Elysées le 25 septembre 1953, EMI PM 517 D 555.

• Barbara Bonney (Thérèse), Jean-Paul Fouchécourt (ténor, le Mari), Jean-Philippe Lafont (le Directeur, Presto), Tokyo opera's singers, Saito Kinen Orchestra, sous la direction de Seiji Ozawa, Philips 456 504-2. (Cet enregistrement présente le double avantage de fournir le livret intégral de Poulenc et de respecter un découpage par scène)

Captations audiovisuelles

Sur Youtube, Les Mamelles de Tirésias :

• Denise Duval et Francis Poulenc au piano, filmés en 1959. • Version pour piano et chant : CCR Boulogne-Billancourt et Studio d’Asnières, 2009. • Production récente : Prague 2007, mise en scène de Pier-Luigi Pizzi.

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À propos Auteurs : Rafaëlle Pignon, professeur de lettres ; Nathalie Otto-Witwicky, professeur d'éducation musicale Édition : Marie Fardeau, CRDP de l'académie de Paris. Nos chaleureux remerciements à toute l'équipe du Théâtre national de l'Opéra Comique et en particulier à Jérôme Deschamps (directeur), Olivier Mantei (directeur adjoint), Maryvonne de Saint-Pulgent (présidente), Albane De Chatellus (secrétaire générale), Agnès Terrier (dramaturge), Laure Salefranque (chargée de communication et des relations extérieures) et Maria Chiara Prodi (assistante artistique à la Direction).