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Ethique & Santé 2007; 4: 121-125 • © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 121 ARTICLE ORIGINAL Les manipulations génétiques appliquées l homme : ce que nous apprend le mythe d Er de Platon A.-L. Boch Médecin des h pitaux, docteur en philosophie, Service de Neurochirurgie, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l h pital, 75013 Paris. Correspondance A.-L. Boch, l adresse ci-contre. e-mail : [email protected] Résumé Les débats sur la révision des lois de bioéthique mettent en évidence les réticences, fondées ou non, du public vis- -vis des manipulations génétiques appliquées l embryon. Pour mieux comprendre les enjeux qui se cachent derrière ces recherches et ces technologies, nous avons mis en parallèle la situation actuelle avec le mythe d Er de Platon. Cette lecture nous montre les dangers de la ma trise intégrale des commencements de la vie, et notamment la menace qu une telle ma trise fait peser sur l idée de nature humaine libre, non prédestinée. Car le choix, par les parents, des caractères phénotypiques de leurs enfants (ce qu on appelle l eugénisme libéral ) pourrait enfermer les nouveaux venus dans un destin biologique contraignant, contraire la liberté qui est le propre de l homme. La liberté a besoin d un avenir ouvert, non entièrement déterminé. L eugénisme libéral accrédite l idée que les êtres humains peuvent être programmés avant leur naissance comme des produits manufacturés, selon un cahier des charges défini par les parents ou par la société. Il réalise une mainmise sur l avenir qui ne peut qu être condamnée. Non seulement il n est pas au service des générations futures, dont le bien le plus précieux n est pas la santé parfaite mais la liberté ; mais il tente de les asservir au nom de leur propre bonheur. La prudence est donc de mise, et justifie le maintien d une grande vigilance des citoyens face aux travaux des laboratoires, vigilance dont le cadre ne peut être que légal. Mots-clés : génétique - eugénisme - nature humaine - Platon Summary Genetics manipulation applied to human: what the myth of Er by Plato tell us A.-L. Boch. Ethique & Sante 2007; 4: 121-125 The debates on the revision of the laws of bioethics highlight the reserves, founded or not, of the public with respect to the genetic engineering applied to the embryo. For better understanding the stakes of this research and these technologies, we put in parallel the current situation with the myth of Er in Plato s Republic. This text shows us the dangers of the integral control of the beginnings of life, and in particular the threat that such a control makes weigh on the idea of human nature. Because the choice, by the parents, of their children s phenotypical characters (what is called liberal eugenics) could lock up the new ones in a constraining biological destiny, opposite with the freedom which is the characteristic of human. Freedom needs an opened, not predestined, future. The liberal eugenics accredits the idea that human beings can be programmed before their birth like manufactured goods, according to a schedule of conditions defined by the parents or the society. It carries out a seizure on the future which must be condemned. Not only it is not with the service of the future generations, whose most invaluable good is not perfect health but freedom; but it tries to control them in the name of their own happiness. Prudence is thus of setting, and justifies the maintenance of a great vigilance of the citizens vis-a-vis work of the laboratories, vigilance whose framework can be only legal. Key words: genetics - eugenics - human nature - Plato es derniers mois ont vu le réveil d intenses discussions autour de la révision des lois de bioéthique concernant l utilisation de l embryon des fins de recherche. Au-del de leur c té technique, le caractère passionné de ces débats témoigne de l inquiétude qui tenaille l Occident vis- -vis de la biolo- gie de la reproduction : le génie généti- que, ou plus généralement l intervention sur le génome, semble représenter pour l homme contemporain une des grandes menaces de notre temps. Cette crainte vis- -vis du génie génétique peut sem- bler illégitime. Ce pan de la recherche n a-t-il pas en vue l amélioration de l homme, et non sa destruction ? Ne vise-t-il pas guérir, plut t qu tuer ? Ne lutte-t-il pas contre la stérilité, abou- tissant créer des vies nouvelles ? Mais le public voit ces travaux d un il moins favorable. On sent une réticen- ce, plus ou moins exprimée, et qui pourrait se transformer en véritable rejet si les scientifiques ne dispensaient des trésors de pédagogie, par médias interposés, pour rassurer les « frileux ». Frileux, les peuples le sont sans doute. Mais frileux tort ou raison ? S ap- puyant sur une étude d opinion menée au Japon et en Nouvelle-Zélande [1], Lucien Sfez analyse la crainte envers les manipulations génétiques selon quatre axes : 1) l ordre de la nature est contesté ; 2) la distinction entre l être et l apparen- ce est troublée ; 3) l équilibre entre le destin et la liberté est compromis ; 4) l universalité de la science est discu- tée. Ces préoccupations convergent en fin de compte vers une seule : les mani- pulations génétiques pourraient mettre en péril ce qu il est convenu d appeler la nature humaine La nature humaine : quel vocable a fait l objet d un question- nement philosophique plus intense ? C

Les manipulations génétiques appliquées à l’homme : ce que nous apprend le mythe d’Er de Platon

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Ethique & Santé 2007; 4: 121-125 • © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 121

ARTICLE ORIGINAL

Les manipulations génétiques appliquées à l’homme : ce que nous apprend le mythe d’Er de Platon

A.-L. Boch

Médecin des hôpitaux, docteur en philosophie, Service de Neurochirurgie, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière,

47-83, boulevard de l’hôpital, 75013 Paris.

CorrespondanceA.-L. Boch,

à l’adresse ci-contre.e-mail : [email protected]

Résumé

Les débats sur la révision des lois de bioéthique mettent en évidence les réticences, fondées ou non, du public vis-à-vis des manipulations génétiques appliquées à l’embryon. Pour mieux comprendre les enjeux qui se cachent derrière ces recherches et ces technologies, nous avons mis en parallèle la situation actuelle avec le mythe d’Er de Platon. Cette lecture nous montre les dangers de la maîtrise intégrale des commencements de la vie, et notamment la menace qu’une telle maîtrise fait peser sur l’idée de nature humaine libre, non prédestinée. Car le choix, par les parents, des caractères phénotypiques de leurs enfants (ce qu’on appelle l’eugénisme libéral) pourrait enfermer les nouveaux venus dans un destin biologique contraignant, contraire à la liberté qui est le propre de l’homme. La liberté a besoin d’un avenir ouvert, non entièrement déterminé. L’eugénisme libéral accrédite l’idée que les êtres humains peuvent être programmés avant leur naissance comme des produits manufacturés, selon un cahier des charges défini par les parents ou par la société. Il réalise une mainmise sur l’avenir qui ne peut qu’être condamnée. Non seulement il n’est pas au service des générations futures, dont le bien le plus précieux n’est pas la santé parfaite mais la liberté ; mais il tente de les asservir au nom de leur propre bonheur. La prudence est donc de mise, et justifie le maintien d’une grande vigilance des citoyens face aux travaux des laboratoires, vigilance dont le cadre ne peut être que légal.

Mots-clés : génétique - eugénisme - nature humaine - Platon

Summary

Genetics manipulation applied to human: what the myth of Er by Plato tell usA.-L. Boch. Ethique & Sante 2007; 4: 121-125

The debates on the revision of the laws of bioethics highlight the reserves, founded or not, of the public with respect to the genetic engineering applied to the embryo. For better understanding the stakes of this research and these technologies, we put in parallel the current situation with the myth of Er in Plato’s Republic. This text shows us the dangers of the integral control of the beginnings of life, and in particular the threat that such a control makes weigh on the idea of human nature. Because the choice, by the parents, of their children’s phenotypical characters (what is called liberal eugenics) could lock up the new ones in a constraining biological destiny, opposite with the freedom which is the characteristic of human. Freedom needs an opened, not predestined, future. The liberal eugenics accredits the idea that human beings can be programmed before their birth like manufactured goods, according to a schedule of conditions defined by the parents or the society. It carries out a seizure on the future which must be condemned. Not only it is not with the service of the future generations, whose most invaluable good is not perfect health but freedom; but it tries to control them in the name of their own happiness. Prudence is thus of setting, and justifies the maintenance of a great vigilance of the citizens vis-a-vis work of the laboratories, vigilance whose framework can be only legal.

Key words: genetics - eugenics - human nature - Plato

es derniers mois ont vu le réveild’intenses discussions autour de larévision des lois de bioéthique

concernant l’utilisation de l’embryon àdes fins de recherche. Au-delà de leurcôté technique, le caractère passionné deces débats témoigne de l’inquiétude quitenaille l’Occident vis-à-vis de la biolo-gie de la reproduction : le génie généti-que, ou plus généralement l’interventionsur le génome, semble représenter pourl’homme contemporain une des grandesmenaces de notre temps. Cette craintevis-à-vis du génie génétique peut sem-bler illégitime. Ce pan de la recherchen’a-t-il pas en vue l’amélioration del’homme, et non sa destruction ? Nevise-t-il pas à guérir, plutôt qu’à tuer ?Ne lutte-t-il pas contre la stérilité, abou-tissant à créer des vies nouvelles ? Maisle public voit ces travaux d’un œilmoins favorable. On sent une réticen-ce, plus ou moins exprimée, et quipourrait se transformer en véritablerejet si les scientifiques ne dispensaientdes trésors de pédagogie, par médiasinterposés, pour rassurer les « frileux ».Frileux, les peuples le sont sans doute.Mais frileux à tort ou à raison ? S’ap-puyant sur une étude d’opinion menéeau Japon et en Nouvelle-Zélande [1],Lucien Sfez analyse la crainte envers lesmanipulations génétiques selon quatreaxes : 1) l’ordre de la nature est contesté ;2) la distinction entre l’être et l’apparen-ce est troublée ; 3) l’équilibre entre ledestin et la liberté est compromis ;4) l’universalité de la science est discu-tée. Ces préoccupations convergent enfin de compte vers une seule : les mani-pulations génétiques pourraient mettreen péril ce qu’il est convenu d’appeler lanature humaine… La nature humaine :quel vocable a fait l’objet d’un question-nement philosophique plus intense ?

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Les manipulations génétiques appliquées à l’homme : ce que nous apprend le mythe d’Er de Platon A.-L. Boch

Quelle notion a été plus sujette à contro-verse, voire à déconstruction ? Nousn’avons pas la prétention d’apporter iciune contribution, même modeste, au dé-bat sur l’existence ou l’absence d’une na-ture humaine, sur l’homme en tantqu’être de nature, ou non. Ces quelquespages seraient noyées sous un sujet d’unetelle ampleur. Simplement, nous nousbornerons à remarquer qu’il est aisé demettre en doute la nature humaine tantqu’elle paraît à peu près intangible, uni-verselle et universellement reconnue ;mais que ce « concept mou » vienne à sevoir menacé dans ses incarnations parti-culières et l’effroi saisit les plus septi-ques. Cet effroi nous renseigne, s’il enétait besoin, sur l’éminente valeur quenous attachons à l’homme tel qu’il est,l’homme dans toute son humanité… hu-manité imparfaite, mystérieuse et dou-loureuse, mais humanité infiniment dé-sirable, infiniment précieuse. Maisrevenons aux manipulations génétiques :elles suscitent de l’effroi dans le public, lefait est certain. Cet effroi semble un peuexcessif eu égard à la modestie du projet :guérir les malades et mettre au mondedes enfants sains. Qu’en est-il vraiment ?

Qu’elle fasse appel à l’éviction desgènes jugés indésirables (sélection néga-tive), à la promotion des gènes désirés(sélection positive) ou à la modificationdes gènes pathologiques, l’améliorationgénétique des populations fait entrerdans le domaine de l’eugénisme.

Excluons tout d’abord l’eugénismeorganisé par le pouvoir, l’eugénismed’État, tel qu’il a été pratiqué par cer-tains régimes du XXe siècle – et pas seu-lement des régimes totalitaires. Par laviolence insupportable qu’il a exercée àl’encontre des individus, l’eugénismed’État a su se rendre odieux à nos mé-moires, et il n’y a guère aujourd’huid’auteurs qui ne le condamnent pas.

Reste l’eugénisme privé, ou eugé-nisme libéral, qui fait l’objet de cequestionnement. Il s’agit, grâce au dia-gnostic anténatal (échographie, dépista-ge génétique, etc.), d’exercer un conseil.C’est-à-dire d’informer les parents sur

les qualités et surtout les défauts de l’en-fant en gestation, pour leur permettreun choix, en autorisant les avortementsen cas d’anomalie. Cette pratique acommencé il y a déjà plus de trente ansavec les dépistages d’anomalies chro-mosomiques graves, comme la trisomie21, dans les populations « à risque », enl’occurrence les femmes âgées ou cellesayant déjà donné naissance à des en-fants trisomiques. Le diagnostic suppo-se un prélèvement par amniocentèse, etconduit en général à une interruptionde grossesse « pour risque fœtal », quiest autorisée par la loi « quand il existeune forte probabilité que l’enfant à naî-tre soit atteint d’une affection d’uneparticulière gravité reconnue commeincurable au moment du diagnostic[2] ». En effet l’anomalie en cause, si el-le peut être dépistée, ne peut pas êtretraitée. L’avortement semble donc laseule « solution » pour éviter la nais-sance d’un enfant mal formé, et c’est engénéral le choix que font les parents,après avoir été dûment informés. Lesprogrès des sciences et des techniquesaidant, le nombre d’anomalies dépista-bles est devenu de plus en plus élevé,passant d’anomalies très graves, enga-geant le pronostic vital ou intellectuelde l’enfant, à des anomalies plus béni-gnes, certaines même curables après lanaissance (fentes labio-palatines, poly-dactylie, etc.). Certains caractères phé-notypiques non pathologiques (en pre-mier lieu le plus évident d’entre eux : lesexe du fœtus) peuvent aussi être connusen anténatal, et tout porte à croire quela quantité des informations sur l’enfantà naître sera décuplée dans les annéesqui viennent. Comme les possibilités decorrection d’éventuelles anomalies res-teront en deçà des possibilités de dia-gnostic, comme par ailleurs les caractè-res non pathologiques, influençant la« personnalité » de l’enfant, devien-dront accessibles, la seule sanction auxinformations anténatales restera sansdoute pendant longtemps d’accepter depoursuivre la grossesse ou de l’inter-rompre – voire de ne pas l’initier, en casde fécondation in vitro avec diagnosticpréimplantatoire, permettant de netransférer dans l’utérus maternel queles embryons ayant passé tous les testsavec succès. Peut-être en viendra-t-oncependant à des manipulations directessur le génome, dans le but de « l’amé-liorer », en maîtrisant à la racine les ca-

ractères pathologiques ou phénotypi-ques. Les parents pourraient ainsi êtrede plus en plus confrontés à des choixconcernant quel fœtus laisser vivre etquel fœtus éliminer, voire quel fœtus« fabriquer ». C’est ainsi qu’il y aura« eugénisme », littéralement « bonnenaissance », puisque la sélection entre« bons » et « mauvais » fœtus permet-tra de ne donner la vie qu’à ceux quel’on jugera désirables, c’est-à-dire in-demnes des caractères négatifs que sontles pathologies, et bientôt peut-être,dotés de caractères positifs laissés à l’ap-préciation des parents.

L’eugénisme libéral part d’un désir,celui des parents, supposé généreux :améliorer le sort des enfants à naître. Ilest évident que le « plan » des parentspour leurs rejetons a plus de chancesd’être désintéressé que le « plan » del’État pour ses futurs citoyens. Le simplerapport affectif liant parents et enfantsest une protection pour les enfants. Ilsemble assurer qu’aucun mal ne leur serainfligé, du moins volontairement. Ce quiest donc à questionner en premier lieu,c’est la capacité des parents à savoir cequi est bon pour leurs enfants. Tant quel’eugénisme se borne à éviter des mala-dies graves, le consensus sur le principede bienfaisance semble pouvoir être pré-servé. Ce d’autant que, même si on pro-fesse le caractère sacré de la vie humaine,même si on souhaite que notre sociétésoit plus accueillante pour les handica-pés, même si on estime que certaines vé-rités peuvent être pensées tout bas et nonproclamées tout haut, on est bien forcéde le reconnaître : la vie peut être un pré-judice, certaines vies sont bien des préju-dices, pour l’entourage bien sûr et aussipour celui qui est affligé d’un handicap silourd que tout espoir de bonheur « nor-mal » semble exclu – cette question étaitau cœur des débats de « l’affaire Perru-che » ; elle a été tranchée par une ins-cription solennelle dans la loi : « Nul,fût-il né handicapé, ne peut se prévaloird’un préjudice du fait de sa naissance[3] ». Mais il faut rester sérieux : entre lanaissance d’un enfant malade et celled’un enfant bien portant, le choix est vite

Le génie génétique, semble représenter une des grandes menaces de notre temps

L’eugénisme libéral part d’un désir supposé généreux

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fait – même s’il ne faut pas oublier qu’ilne s’agit pas du même enfant : l’un doitmourir et l’autre peut vivre, ce n’est pasla même chose que si le dépistage géné-tique avait permis le traitement in uterodu fœtus malade.

Mais quand les capacités de sélec-tion et d’intervention sur le génome sedévelopperont, s’étendant à des carac-tères pathologiques mineurs, voire à descaractères phénotypiques ? Reviendra-t-il aux parents de choisir les talents deleurs enfants ? Seront-ils mis dans laposition de décider du « génie » de leurenfant ? Un passage célèbre de La Répu-blique de Platon va s’avérer riche d’en-seignements vis-à-vis de ces questions.

Le mythe d’Er [4] raconte commentun guerrier, laissé pour mort sur lechamp de bataille et miraculeusementrevenu parmi les vivants, a pu assister àla cérémonie durant laquelle les âmesprêtes à se réincarner choisissent elles-mêmes leur nouvelle personnalité avantd’entamer une nouvelle vie. Voici dansquels termes elles sont accueillies par ladéesse Lachésis, fille de Nécessité, quipréside à ce choix déterminant pour lesvies qui s’apprêtent :

« Âmes qui n’êtes là que pour unjour, voici le début d’un nouveau cyclequi vous mènera jusqu’à la mort dans larace mortelle. Ce n’est pas un génie quivous tirera au sort, c’est vous qui choisi-rez un génie. Que le premier à être tiréau sort choisisse le premier une vie, à la-quelle il sera uni de façon nécessaire.De l’excellence, nul n’est maître : cha-cun, selon qu’il l’honorera ou la mépri-sera, aura d’elle une plus ou moinsgrande part. La responsabilité revient àqui choisit ; le dieu, lui, n’est pas res-ponsable. »

Ainsi la responsabilité du choix d’un« lot de vie » est confiée aux âmes elles-mêmes. Elles sont entièrement inves-ties d’un pouvoir qui ne laisse pas deplace au hasard de ce que les modernesappelleront la « loterie génétique ». Onleur conseille de réfléchir, de bien cal-culer les bénéfices et les risques qui sontliés au lot de vie qu’elles choisiront.

Car, « Il y avait [des vies] de toutes sor-tes : des vies de tous les genres d’êtresvivants, et en particulier toutes les vieshumaines ; il y avait parmi elles des ty-rannies, les unes qui parvenaient vite àleur terme, et d’autres qui en cours deroute allaient à leur perte et finissaientdans la pauvreté, l’exil, la mendicité. Il yavait aussi des vies d’hommes réputés,les uns pour leur aspect, pour leur beau-té, et en général pour leur force et leuraptitude aux compétitions. […] Les don-nées de la vie étaient mélangées entreelles et avec la richesse et la pauvreté,d’autres avec les maladies, d’autres avecla bonne santé, d’autres encore tenaientle milieu entre les extrêmes. »

Ainsi, « Celui qui calcule commenttous les éléments qu’on a dits à l’instant,dans la mesure où ils se combinent ou sedistinguent les uns des autres, contri-buent à l’excellence d’une vie, sait aussile bien ou le mal que peut faire la beau-té, quand elle est mélangée à la pauvre-té, ou à la richesse, et quand elle est ac-compagnée de telle ou telle dispositionde l’âme ; et l’effet qu’ont les naissanceshautes ou basses, la situation d’individuprivé ou l’exercice d’une charge de di-rection, la force physique ou l’absencede force, la facilité ou la difficulté à ap-prendre, et en général toutes les carac-téristiques de ce genre […]. Il lui estalors possible, en rassemblant les cal-culs fondés sur toutes ces données, defaire son choix. »

Voilà un calcul qui promet d’êtredélicat ! Sur quels critères les âmes l’as-soient-elles ? Le mythe nous enseignequ’elles se fondent sur leur histoire per-sonnelle, leurs propres goûts : « C’étaiten fonction des habitudes de leur précé-dente vie que les âmes choisissaient,dans la plupart des cas. » Ainsi les carac-téristiques des enfants à naître sont-elles influencées par les désirs et lesfrustrations passés des âmes prêtes à seréincarner. Désirs et frustrations quisont loin de la sagesse nécessaire aucalcul prudent. Car ce qu’on peut direpour résumer la morale du mythe, c’estque les âmes choisissent mal leur nouvel-le vie : « C’était un spectacle bien digned’être vu que celui des hommes choisis-sant une vie. Il était en effet pitoyable,risible, et étonnant à voir. […] On pas-sait des bêtes au statut d’humains, etd’une bête à l’autre, les bêtes injusteschangeant pour les bêtes sauvages, les

bêtes justes pour les bêtes paisibles, ettous les mélanges s’opéraient. »

Munis des mêmes pouvoirs par legénie génétique, les parents s’acquitte-ront-ils mieux de la tâche qui leur estéchue vis-à-vis de leurs enfants ? Nerisquent-ils pas de faire, eux aussi, deschoix erronés ? Ne sont-ils pas condam-nés à faire des choix erronés ? Commecette âme qui, ayant « tiré de choisir lepremier, fit son choix en allant droit à laplus grande tyrannie, et tant par manquede sagesse que par cupidité, [il] n’exami-na pas suffisamment toutes choses avantde faire son choix, et ne s’aperçut pasqu’y était incluse la destinée consistantà manger ses propres enfants, etd’autres désastres ». Un tel qui avaittoujours rêvé d’être pianiste virtuoseprivilégiera le « gène de la musique »(si tant est qu’on le découvre !) pour sonfils, tel autre sélectionnera une hautetaille dans le but d’obtenir un basket-teur… Motifs peut-être futiles, motifsjugés inacceptables par ceux qui les por-teront toute une vie. Les enfants conçusde la sorte ne seront-ils pas enfermésdans des vies qui ne leur conviendrontpas ? Les desiderata des parents pour-raient installer un nouveau déterminis-me, génétique, qui décuplerait celuique l’éducation tente depuis toujoursd’imposer aux êtres nouveaux. Le des-tin, mis entre les mains des hommes,deviendrait-il plus contraignant et plusinflexible ? On peut au minimum crain-dre le rejet, par les enfants, du projetque leurs parents auront formé poureux. Même bien choisie, une vie déter-minée avec tant de rigueur risque d’êtremal acceptée par celui qui s’y voit assu-jetti et qui ne s’y reconnaît pas. Le spor-tif pourrait bien vouloir être musicienet le musicien sportif, chacun languis-sant de regret pour les aptitudes qu’iln’a pas, ce qui n’apaiserait pas les ten-sions entre les générations, ni le ressen-timent, ni l’amertume.

On peut relativiser ce problème enrappelant que l’éducation, depuis tou-jours, essaie de diriger les nouveaux ve-nus dans un sens voulu par les anciens

Ce n’est pas un génie qui vous tirera au sort, c’est vous qui choisirez un génie

La contrainte génétique est interne, ce qui la rend plus difficile à fuir

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Les manipulations génétiques appliquées à l’homme : ce que nous apprend le mythe d’Er de Platon A.-L. Boch

[5]. Il est certain que les parents, enchoisissant d’envoyer leurs enfants auconservatoire ou au stade, décident etexcluent pour lui entre les nombreusespossibilités qu’offre la vie. Et les enfantsont toujours réussi, par mille moyens, àéchapper au destin que leurs parents es-saient de tracer pour eux. Mais l’éduca-tion, au moins dans les imaginations,est un cadre vécu comme extérieur à lapersonne, si ce n’est à la personnalité.Alors que la contrainte génétique est in-terne, ce qui la rend plus difficile à fuir.

Concernant maintenant la diversitédes choix et des critères de sélection,qui semblait assurée dans une sociétédémocratique, « plurielle », une certai-ne réserve est aussi de mise. Certesl’eugénisme libéral se garde du totalita-risme imposé de l’extérieur par un Étattout-puissant. Mais un nouveau totali-tarisme pourrait naître, volontaire, dûà des choix identiques. L’eugénisme li-béral pourrait provoquer l’extensiond’une normativité sociale oppressante,excluant les variations entre les indivi-dus, normativité dont la modernitéavait prétendu nous délivrer et qui re-viendrait par la porte techno-scientifi-que. L’altérité pourrait être menacéepar la généralisation de l’eugénisme li-béral. D’abord l’altérité des patholo-gies, bien sûr : la convergence des désirsest évidente pour éviter la naissanced’enfants mal formés, porteurs de han-dicaps physiques ou mentaux. Puis,peut-être, l’altérité des variations phé-notypiques vues comme moins favora-bles dans la compétition sociale. Car ledésir humain, par essence mimétique,a toute chance de viser chez tous lesmêmes objets, c’est-à-dire les mêmesenfants. La réduction forcenée des varia-tions interindividuelles serait responsa-ble d’une normalisation des populations.Sans même parler de l’appauvrissementqu’un tel processus entraînerait dansla diversité du monde, les exclus de cesystème – et il y en aurait forcément –risqueraient de se transformer en véri-tables parias.

C’est une telle évolution que met enscène Bienvenue à Gattaca [6] : dans cefilm impressionnant par son réalisme etla modicité des moyens mis en œuvre(notamment l’absence de toute fantaisiedans les décors et les costumes : le butest bien de peindre la société qui est entrain de naître chez nous), la médecinede la reproduction a atteint une telle

puissance qu’elle permet aux parents deprogrammer les caractéristiques essen-tielles de leurs enfants, et surtout d’éli-miner ceux qui paraissent génétique-ment imparfaits… Du moins dans unecertaine mesure : car il existe des exclus,comme le héros, conçu naturellementdans un moment d’égarement, et pourcela affligé de défauts qui le vouentd’emblée aux tâches subalternes. Il y aaussi les « ratés » : ceux qui, ayant reçula dotation génétique qui les promettaitaux plus brillants succès, ne parviennentpas aux sommets et sombrent dans laneurasthénie. Très militant, le filmcomportait initialement un épiloguemoralisateur qui a été coupé au montage(cet épilogue est encore visible dans les« bonus » de la version DVD). On yvoyait une liste de personnalités (Abra-ham Lincoln, Beethoven, Einstein, Ken-nedy, etc.), toutes affligées de patholo-gies qui, dépistées in utero, auraient puconduire à une interruption de grosses-se, privant ainsi l’humanité de cesgrands hommes. Quant au spectateur, ilétait invité à faire le bilan de ses propresdéficiences, déficiences qui, dans unmonde privilégiant le génome « par-fait », auraient dû lui interdire de voir lejour.

Car le moi, quel qu’il soit, ne finira-t-il pas par être menacé par une telleévolution ? Au moins dans les imagina-tions, ne sera-t-il pas toujours en deçàdes projections et des plans ? Si l’autre,avant même d’exister, ne doit pas exis-ter, si l’altérité ne doit plus advenir, nesuis-je pas moi-même menacé en tantque déviant par rapport à l’idéal désira-ble ? On est toujours l’autre d’un autre.Cet autre, que le fantasme du contrôlegénétique total pourrait ne plus tolérer.

Sans aller jusqu’à la science-fiction,on peut noter avec inquiétude l’évolu-tion démographique de certains paysdans lesquels on n’hésite pas à avortersélectivement des enfants qui ne plaisentpas, en l’occurrence les filles, dépistéesin utero. Le déséquilibre démographi-que qui s’ensuit commence à devenirpréoccupant en Chine et en Inde, où ledéficit de femmes est évalué à plusieurs

millions, ce qui laisse prévoir de sérieu-ses tensions sociales quand cette géné-ration sera arrivée à l’âge adulte [7, 8].Là encore, on pourrait répliquer que latechnique moderne ne fait que se gref-fer sur des pratiques très anciennes : lesAthéniens comme les Lacédémonienspalliaient l’absence d’échographie anté-natale par l’exposition des nouveau-nésmal formés ou simplement chétifs…Mais tout de même : en facilitant au-delà de la mesure ce qui n’était que fan-tasme, en favorisant le fantasme jusqu’àla démesure, la technique modernepourrait modifier l’équilibre précaireentre désir de toute-puissance et princi-pe de réalité, cet équilibre qui est le fon-dement de l’homme rationnel.

Tout cela semble un peu lointain,excessif. L’argument de la pente glis-sante est soulevé, qui trouble plus qu’ilne convainc. Pourtant, des signes indi-quent qu’une mutation est en cours. Levocabulaire change : on ne dit plus « at-tendre un enfant », mais « faire un en-fant », et parfois même « fabriquer unenfant » ; la filiation perd l’évidence quisemblait la mettre à l’abri ; les gens at-tribuent spontanément leurs qualités etsurtout leurs défauts à quelque désor-dre neuronal ou génétique… Avant debouleverser les faits, la technique bou-leverse les esprits, et la représentationde soi, qui est éminemment de naturespirituelle. Subitement confrontés à lapossibilité de la perfection – une possi-bilité utopique, certes – saurons-nousnous contenter de la réalité, qui est im-perfection ?

Comme l’écrit L. Sfez, « ce n’est pastant que ces technologies désignent po-sitivement un « enfant parfait », maiscette notion émerge comme sculptéepar son envers, ses différents envers, quise multiplient et que sont les caractéris-tiques « indésirables ». On peut en effettrouver, par des tests prénataux, quanti-té de maladies virtuelles, corrigibles ounon par la médecine. Dans les cas mê-mes de corrigibilité, qui devra payerpour le futur (virtuel) du malade : sesparents, la Sécurité sociale, les assuran-ces privées ? Pourquoi donc ne pas sedébarrasser du problème à la base et dene tendre plus qu’à obtenir, un jour, unenfant quasi parfait, à l’abri de la mala-die [9] ? »

Sans doute les diagnostics anténa-taux et les manipulations génétiquessont-ils, à l’échelle individuelle, plus

Avant de bouleverser les faits, la technique bouleverse les esprits

Ethique & Santé 2007; 4: 121-125 • © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 125

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souvent des biens que des maux. Mais lebénéfice des décisions individuellespourrait masquer un maléfice collectif.Neutre en soi pour l’individu, la multi-plication des actes d’eugénisme pourraitconduire la société dans une impasse.Nous avons parlé des déséquilibres dé-mographiques qui sont en train de seconstruire. Mais les conséquences mo-rales pourraient être plus graves encore.La maîtrise technique des commence-ments de la vie accrédite l’idée que lescaractéristiques essentielles d’un êtrehumain peuvent être programmées,planifiées, corrigées comme celles d’unproduit industriel. De là à assimilerl’homme à un objet manufacturé, il n’ya qu’un pas. Cet objet, répondant à uncahier des charges établi par les parentsou la société, serait susceptible d’êtrerefusé en cas de défaut de fabrication.Quant à son évolution ultérieure, elleserait en grande partie contenue dans lecahier des charges initial. La place duhasard, de l’inconnu, diminuerait. Orl’inconnu n’est-il pas le lieu des diffé-rents possibles, donc de la liberté ? S’iln’y a plus d’inconnu dans l’avenir, il n’ya plus de liberté. L’avenir ne peut être lelieu de la liberté que dans la mesure oùil n’est pas entièrement connu.

Certes les progrès de la génétique,même fulgurants, ne permettront jamaisun contrôle total des destinées humai-nes. Mais l’idée suffit, qui modifie pro-fondément la représentation de soi. Seconsidérer comme le lieu de tous lespossibles (à tort d’ailleurs, car lechamp de notre liberté n’est en fait passi étendu que cela : il suffit de considérerquelle marge de manœuvre a un enfant népauvre dans un pays pauvre) ou s’éprou-ver comme une machine téléguidéepar un programme infaillible choisi àl’avance : il y a là plus qu’une nuance,qu’il serait dangereux de négliger.

Ainsi nous découvrons que les ma-nipulations génétiques appliquées àl’homme reposent sur un étrange para-doxe. Intervenir techniquement sur lanature humaine suppose de récuser lanature humaine comme valeur. Il estpossible de traiter l’homme par la tech-nique parce que sa nature biologiquen’est pas une nature sacrée, intoucha-ble. C’est une nature peu déterminée,mouvante. C’est une nature de libertéet c’est pourquoi nous avons la liberté

de la modifier par la technique. C’estparce que l’homme n’a pas de naturedonc parce que rien n’est interdit chezlui, qu’on peut élaborer le projet de luiforger une nouvelle nature, meilleureque l’ancienne… Que l’on nie ! Mal-heureusement la modification techni-que de la nature humaine, menée aunom de sa liberté, aboutit à la créationd’une nouvelle nature moins libre quel’ancienne, une nature déterminée. Onassiste au remplacement d’une naturemystérieuse, insaisissable, lieu de liber-té, par une nature contraignante parceque spécifiée a priori. C’est la liberté vis-à-vis de la nature qui permet de se lan-cer dans l’aventure de la création d’unenature déterminée. C’est la liberté quipermet de renoncer à la liberté. Maisprenons-y garde : la liberté des uns estéchangée contre l’absence de libertédes autres, prétendument pour leur of-frir le bonheur. Car le terme universel« l’homme » cache en fait une foison departicularismes, dont les intérêts diver-gent en profondeur. L’homme univer-sel et abstrait ne fait rien par lui-même,ce sont ces hommes particuliers et réelsqui agissent et interagissent, sur eux etentre eux, pour le meilleur et pour le pi-re. Ainsi, comme l’a analysé C.S. Lewis,« le pouvoir qu’a l’homme de faire del’espèce humaine ce qui lui plaît est enfait le pouvoir qu’ont certains hommesde faire des autres ce qui leur plaît [10] ».Grâce aux progrès du génie génétique,les humains déjà nés dans la liberté na-turelle pourraient bientôt être en posi-tion de s’opposer à l’émergence de cettemême liberté chez leurs successeurs. Ily a là une mainmise sur l’avenir qui nepeut qu’être condamnée. Non seulementelle n’est pas au service des générationsfutures, dont le bien le plus précieuxn’est pas la santé parfaite mais la liber-té ; mais elle tente de les asservir aunom de leur propre bonheur.

« Si les rêves de certains planifica-teurs scientifiques se réalisent, la con-quête humaine de la nature sera syno-nyme de domination de quelquescentaines d’individus sur des millionsd’êtres humains. Dans ce cas, il n’y a etne peut y avoir d’augmentation du pou-voir de l’homme. Tout nouveau pouvoirconquis par l’homme est aussi un pou-voir sur l’homme. Tout progrès le laisseà la fois plus faible et plus fort. Dans

chaque victoire, il est à la fois le généralqui triomphe et le prisonnier qui suit lechar triomphal [11]. »

Tout cela n’est en fait que fantas-mes. Utopie, comme l’a montré LucienSfez. Ce qui ne veut pas dire que cesfantasmes et cette utopie n’aient pas desconséquences bien réelles, et éventuel-lement dommageables pour notre vie etnotre société à venir.

Alors, frileux, les peuples qui récla-ment un contrôle, public c’est-à-direlégal, sur les recherches génétiques encours ? Nous dirions plutôt prudents.Cette prudence, phronèsis, qui était se-lon les Anciens une qualité essentielledu zoon politikon ethikon qu’est l’homme.

Références

1. Macer D.R.J. Attitude to genetics enginee-ring. Japanese and international compari-sons. Eubios Ethics Institute, 1992, cité parL. Sfez, La Santé parfaite, Paris, Seuil, 1995,p. 47-58.

2. Code de la Santé Publique, article L. 2213-1.

3. Loi du 10 janvier 2002, article 1.

4. Platon. La République, trad. P. Pachet, Paris,Gallimard, « Folio », 1993, livre X, 614-621, p. 526-38.

5. Parker M. The best possible child. J MedEthics 2007; 33: 279-83.

6. A. Niccol. Gattaca, Columbia Pictures/Jer-sey Films, 1997.

7. P. Ija, R. Kumar, P. Vasa, N. Dhingra,D. Thiruchelvam, R. Moineddin. Low ma-le-to-female sex-ratio of children born inIndia: national survey of 1.1 million house-holds. Lancet 2006; 367: 185-6.

8. S. Sheth. Missing female births in India.Lancet 2006; 367: 211-8.

9. L. Sfez. La Santé parfaite, op. cit., p. 179-80.(Souligné par l’auteur.)

10. C.S. Lewis. L’Abolition de l’homme, trad.D. Ducatel, Le Mont-Pèlerin, Raphaël,2000, p. 76. (Souligné par l’auteur.)

11. Id., p. 75. (Souligné par l’auteur.)

Tout nouveau pouvoir conquis par l’homme est aussi un pouvoir sur l’homme