4
Doul. etAnalg. 1, 15-18, 1993 Les maux de dos: des significations symboliques aux implications therapeutiques A. Violon' ~Docteur en Psychologie, D6partement de Neurologie, Hepital Saint-Pierre, rue Haute 322, Bruxelles R~um6 Les Iombalgies constituent un veritable ft#au social et personnel Elles sont aussi sources de fitige, d'un coot #lev~ en termes de compensation ainsi que d'un vecu d'inca- pacit# et de douleur. Le langage refl~te leur signification sym- bolique. Le dos est le lieu ob I'individu ressent les attaques du monde exterieur et du destin, I'endroit ob sont vecues doulou- reusement les tromperies, les d~faites et les humiliations. Sentiments d'impuissance, peur et dramatisation catastro- phique caracterisent de nombreux Iombalgiques chroniques aussi bien que 1'evitement de I'activite, de la mobilisation et du travail. Le traitement devrait se faire en synergie et comprendre I'information du patient, sa remise en activite, I'apprentissage de la relaxation et de la pensde positive ainsi qu'une recherche de revalorisation personnelle, aussi bien qu'une possibilite d'expression de son v~cu ~motionnel. Summary Low-back pain is a real social and personal plague. It is, at the same time, a source of fitigation, of a high compensation cost, of disability and of pain. Language reflects its symbolics meanings. Back is the place where the person feels the agressions from the others, and from the destiny, the painful site of decerts, defeats and humiliations. Chronic low-back pain patients are characterized by hel- plessness, catastrophizing and fear, as well as by frequent avoidance of movement, activity and work. Their treatment ought to be made of several simultaneous approaches: information, activity, relaxation, positive cogni- tions and personal revalorization 's search, as well as their emo- tional fife ' s expression. Key words: Low-back pain, personality, psychotherapy, com- pensation, symbolism. Introduction Si le destin normal des episodes de Iombalgie est de regresser spontanement, ce qui s'avere vrai dans plus de 90% des cas, leur persistance constitue un veritable ph6nomene de societe (1, 8, 10). En effet, les maux de dos s'averent indeniablement une pathologie tres repandue, invalidante et co0teuse, puisqu'ils representent la deuxieme cause d'absen- t6isme (1) et le premier motif de consultation en rhuma- tologie (14). Aux USA, pas moins de 1% de la population est en invalidit~ totale pour Iombalgie (4), chiffre phara- mineux s'il en est, s'accompagnant d'une perte de 217 millions de jours de travail par an (10). De surcro?t, on comprend real cette pathologie ou plutSt cette sympto- matologie puisque, dans 80% des cas de plaintes chro- niques, les etiologies en sont mal delimitees, impre- cises, douteuses (10) et qu'il y a plus de 100 causes invoquees comme origine potentielle des Iombalgies (1). L'utilite fonctionnelle du sympteme <<mal au dos~, envisage comme operant (20), n'a pas echappe a la saga- cite d'un bon hombre d'auteurs puisqu'une recension d'articles sur le sujet, datant d'il y a 25 ans, mentionnait dej~ la frequente tendance des Iombalgiques ~ utiliser le sympteme douloureux & la fois comme un moyen d'echapper au stress et de manipuler leur environnement (13). Correspondance: Dr Anita Violon, Docteur en Psychologie, Departement de Neurologie, Hepital Saint-Pierre, rue Haute 322, B-1000 Bruxelles, La symbolique du dos On ne peut, toutefois, faire fi de la symbolique qui s'exprime dans le langage du corps, bien souvent I'insu de I'individu lui-meme, langage oQ se melent inex- tricablement la sensation et I'emotion. Dans le livre <,La douleur rebelle~ (21), que j'ai consa- cre ~ la clinique des douleurs persistantes, on trouvera une analyse du rSte, dans la psychogenese et le main- tien d'une douleur chronique, de I'alexithymie, veritable incapacite ~ libeller ses emotions, et des Iors facteur d'indifferenciation entre v~cu de la souffrance morale et de la douleur physique. Quanta la symbolique des maux de dos en particu- lier, au lieu de I'aborder par le biais d'une theorie psycho- Iogique, il m'a sembl6 moins aride et plus probant & la fois de I'approcher par I'intermediaire d'un certain nombre d'expressions et de concepts qui, dans la langue frans font reference au dos. Les concepts d'accablement et de lassitude appa- raissent clairement dans des expressions comme courber I'echine ou en avoir plein le dos, eve ereinte, porter route la misere du monde sur ses epaules, ne plus se sentir capable de donner un bon coup de reins, alors que 1'6chine ou les reins trop souptes signifient soumission voire humiliation. De fas concomitante, le concept de defaite amenant ~ abandonner la partie, se retrouve dans la representation de t'individu qui s'est progressivement vo0te en r6ponse aux attaques repetees de I'adversite et qui, au lieu de se cabrer, laisse tomber les bras, ce qui implique de pencher le 15

Les maux de dos: des significations symboliques aux implications thérapeutiques

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Les maux de dos: des significations symboliques aux implications thérapeutiques

Doul. etAnalg. 1, 15-18, 1993

Les maux de dos: des significations symboliques aux implications therapeutiques

A. Violon' ~Docteur en Psychologie, D6partement de Neurologie, Hepital Saint-Pierre, rue Haute 322, Bruxelles

R~um6 Les Iombalgies constituent un veritable ft#au social et personnel Elles sont aussi sources de fitige, d'un coot #lev~ en termes de compensation ainsi que d'un vecu d'inca- pacit# et de douleur. Le langage refl~te leur signification sym- bolique. Le dos est le lieu ob I'individu ressent les attaques du monde exterieur et du destin, I'endroit ob sont vecues doulou- reusement les tromperies, les d~faites et les humiliations. Sentiments d'impuissance, peur et dramatisation catastro- phique caracterisent de nombreux Iombalgiques chroniques aussi bien que 1'evitement de I'activite, de la mobilisation et du travail.

Le traitement devrait se faire en synergie et comprendre I'information du patient, sa remise en activite, I'apprentissage de la relaxation et de la pensde positive ainsi qu'une recherche de revalorisation personnelle, aussi bien qu'une possibilite d'expression de son v~cu ~motionnel.

Summary Low-back pain is a real social and personal plague. It is, at the same time, a source of fitigation, of a high compensation cost, of disability and of pain. Language reflects its symbolics meanings. Back is the place where the person feels the agressions from the others, and from the destiny, the painful site of decerts, defeats and humiliations.

Chronic low-back pain patients are characterized by hel- plessness, catastrophizing and fear, as well as by frequent avoidance of movement, activity and work.

Their treatment ought to be made of several simultaneous approaches: information, activity, relaxation, positive cogni- tions and personal revalorization 's search, as well as their emo- tional fife ' s expression.

Key words: Low-back pain, personality, psychotherapy, com- pensation, symbolism.

Introduction

Si le destin normal des episodes de Iombalgie est de regresser spontanement, ce qui s'avere vrai dans plus de 90% des cas, leur persistance constitue un veritable ph6nomene de societe (1, 8, 10).

En effet, les maux de dos s'averent indeniablement une pathologie tres repandue, invalidante et co0teuse, puisqu'ils representent la deuxieme cause d'absen- t6isme (1) et le premier motif de consultation en rhuma- tologie (14). Aux USA, pas moins de 1% de la population est en invalidit~ totale pour Iombalgie (4), chiffre phara- mineux s'il en est, s'accompagnant d'une perte de 217 millions de jours de travail par an (10). De surcro?t, on comprend real cette pathologie ou plutSt cette sympto- matologie puisque, dans 80% des cas de plaintes chro- niques, les etiologies en sont mal delimitees, impre- cises, douteuses (10) et qu'il y a plus de 100 causes invoquees comme origine potentielle des Iombalgies (1).

L'utilite fonctionnelle du sympteme <<mal au dos~, envisage comme operant (20), n'a pas echappe a la saga- cite d'un bon hombre d'auteurs puisqu'une recension d'articles sur le sujet, datant d'il y a 25 ans, mentionnait dej~ la frequente tendance des Iombalgiques ~ utiliser le sympteme douloureux & la fois comme un moyen d'echapper au stress et de manipuler leur environnement (13).

Correspondance: Dr Anita Violon, Docteur en Psychologie, Departement de Neurologie, Hepital Saint-Pierre, rue Haute 322, B-1000 Bruxelles,

La symbolique du dos

On ne peut, toutefois, faire fi de la symbolique qui s'exprime dans le langage du corps, bien souvent I'insu de I'individu lui-meme, langage oQ se melent inex- tricablement la sensation et I'emotion.

Dans le livre <,La douleur rebelle~ (21), que j'ai consa- cre ~ la clinique des douleurs persistantes, on trouvera une analyse du rSte, dans la psychogenese et le main- tien d'une douleur chronique, de I'alexithymie, veritable incapacite ~ libeller ses emotions, et des Iors facteur d'indifferenciation entre v~cu de la souffrance morale et de la douleur physique.

Quanta la symbolique des maux de dos en particu- lier, au lieu de I'aborder par le biais d'une theorie psycho- Iogique, il m'a sembl6 moins aride et plus probant & la fois de I'approcher par I'intermediaire d'un certain nombre d'expressions et de concepts qui, dans la langue frans font reference au dos.

Les concepts d'accablement et de lassitude appa- raissent clairement dans des expressions comme courber I'echine ou en avoir plein le dos, eve ereinte, porter route la misere du monde sur ses epaules, ne plus se sentir capable de donner un bon coup de reins, alors que 1'6chine ou les reins trop souptes signifient soumission voire humiliation. De fas concomitante, le concept de defaite amenant ~ abandonner la partie, se retrouve dans la representation de t'individu qui s'est progressivement vo0te en r6ponse aux attaques repetees de I'adversite et qui, au lieu de se cabrer, laisse tomber les bras, ce qui implique de pencher le

15

Page 2: Les maux de dos: des significations symboliques aux implications thérapeutiques

dos en avant, de se courber, de s'incliner devant le sort contraire.

La tromperie, la duperie subies sont symbolis6es par I'enfant qu'on fait dans le dos de quelqu'un, le mauvais tour qu'on joue derriere son dos, le fait de lui tirer darts le dos, ou tout ce qu'on se permet ~ son insu, des qu'il a le dos tourn6, ainsi que les fautes qu'on lui met sur le dos.

Le harc~lement et la menace s'expriment dans le fait d'etre constamment sur ou derriere le dos d'une per- sonne, de lui mettre le dos au mur ou une 6pee dans les reins.

Quant au fardeau des responsabilit6s, peut-~tre trop Iourd, endosse par celui qui porte tout ou trop sur le dos, qui est surcharge, qui s'6chine et s'ereinte ~ bien faire, faut-il s'6tonner qu'un jour il lui tourne le dos, qu'il repugne ~ se prendre en charge, ou qu'il en attrape mal au dos, meme s'il a le dos large?

L'adversit~, I'hostilit6 se concretisent Iorsqu'on s'est mis celui qui est devenu ennemi, ou peut-~tre tout le monde, ~ dos, ou que, renvoy6 dos ~ dos avec son adversaire, personne n'a gain de cause, contrairement aux duels dans lesquels les protagonistes, s'ils partent bien dos ~ dos pour se retrouver face ~ face, se s6parent Iorsque I'un d'eux a mordu la poussiere. La peur de I'autre ou de la situation peut donner froid dans le dos et les catastrophes tomber en serie sur le dos.

Enfin, I'~crasement final se realise Iorsque quelqu'un - ou le destin - casse 1'6chine ou brise les reins ~ la vic- time. Comment se pourrait-il des Iors que cet etre humi- lie, ecras6, trouve encore la force de se redresser, tete haute, et de reprendre le dessus?

Symboliquement, ces expressions sont indeniable- ment tres parlantes. Outre un langage du corps image, que decrivent-elles d'autre que I'affrontement de rindi- vidu au monde, en parlant du dos comme d'un lieu oO s'expriment et se jouent pressions et menaces, victoire ou defaite, triomphe ou resignation.

Et apres le combat, que reste-t-il d'autre au vaincu que de repartir, t~te basse, en se tassant sur lui-meme? Quant au vainqueur, s'il se redresse fierement, se d6ploie et bombe le torse, il ne pourrait le faire sans, en meme temps, redresser le dos et jeter les 6paules en arriere. Toutefois, entre victoire et d6faite, d'autres atti- tudes sont possibles. Par exemple, laisser passer I'orage en faisant le gros dos ou bien, refuser le combat, s'en aller, tourner le dos & la difficulte, ce qui rappelle I'eloge de la fuite de Laborit et qui permet, parfois, une retraite honorable -dans le monde du travail 6galement.

Enfin, heureux dans cet affrontement au monde celui qui dispose, comme d'un sixieme sens, d'yeux dans le dos. Et n'oublions pas celle ou celui qui, trop Iongtemps courbe sous le poids de la fatalite, en attrape real aux reins, surtout s'il a d~, toute sa vie, se couper en quatre, faire des courbettes ou la reverence, plier 1'6chine; n'est-il pas Iogique qu'en definitive il s'affale?

Mais si le dos est bien ce lieu oQ se jouent et s'expri- ment victoire ou defaite, fierte ou accablement, la lutte peut etre aussi celle d'un combat interieur.

Ainsi, Iorsque Giuseppe Baldini, le parfumeur vieillis- sant du livre ~Le parfum~ de P. S(Jsskind, menace dans sa suprematie par un rival plus doue que lui dans la com- position d'61ixirs odorants, decide de son propre chef de se retirer du champ de bataille avant que sa d6faite n'apparaisse aux yeux du monde, et de realiser cette retraite dans I'honneur, te voil~ qui se trouve tier de lui et infiniment soulag6.

{~Pour la premiere fois, depuis bien des annees, les courbatures serviles de son 6chine disparaissaient, qui lui avaient souvent crisp6 la nuque et ploy6 toujours plus bas les epaules, et il se tenait droit sans peine, affranchi, lib6r6 et content et il remercie Dieu pour I'incroyable fer- mete de caractere qu'il lui avait accordee.~

Ainsi, le dos serait-il investi d'une position particu- liere dans I'image de soi par rapport au monde, lieu de la relation et de I'affrontement avec I'autre et avec le fatum, le destin, souvent accablant ou 6crasant. II est aussi lie au fonctionnement moteur du corps, au com- portement volontaire.

Articulation de la symbol ique et des constats cliniques

La revue de la litterature montre que les niveaux les plus 61ev6s de douleur, d'alt6ration fonctionnelle, d'anxi6t6 et de d6pression s'observent chez les Iombal- giques qui ont un facteur 61ev6 d'impuissance (helpless- ness). Cette impression subjective d'impuissance, qui r6vele un individu en plein d6sarroi, s'oppose ~ la per- ception d'une possibilit6 d'auto-contrSle de la sympto- matologie. C'est ce qu'on retrouve au (~Coping strategy questionnaire)~ (9). Par ailleurs, la tendance ~ dramatiser,

donner ~ la situation un caractere catastrophique (9, 16) s'accompagne, elle aussi, d'un accroissement ~ la fois des comportements douloureux et de la d6tresse psychologique (16). On retrouve ici clairement la repr6- sentation d'un individu victime impuissante d'une adver- sit6 dramatique qui I'a bris6, jouet d'un destin qu'il subit dans son corps, incapable de I'affronter ou ne concevant m~me pas qu'il puisse tenter de faire face.

La crainte de I'adversite, du sort contraire mena(~ant, est susceptible d'amener les Iombalgiques a ~tre sur la d6fensive et d'expliquer pourquoi, la tension de leurs muscles paraspinaux est accrue (2, 16) alors que, de fas gen6rale, stress de la vie et detresse augmentent la tension musculaire (7).

(~L'llness behavior questionnaire~ d6crit les Iombal- giques comme submerg6s; ce sont des gens qui portent une attention excessive ~ leurs symptSmes physiques. Cette conscience somatique accrue est li6e & une conviction de maladie et ~ un 6tat de perturbation emo- tionnelle, de detresse sous-tendue par un vecu de manque de ma?trise, d'impossibilite d'un contrSle effi- cace de la situation (16, 22).

On retrouve ~ nouveau ce tableau d'un individu subissant passivement, meurtri et ecras6 par la fatalite, avec un sentiment tenace d'incapacit6 (4), et de lassi- tude (3), ~ la fois cause et consequence de douleur.

Toutefois, il ne faut pas faire d'ang61isme. La douleur du Iombalgique peut aussi constituer une excuse accep- table pour n6gliger ou esquiver ses responsabitites sans perdre la face, d'autant que ces patients sont generale- ment enclins & ~tre insatisfaits de leur travail (10). Maints auteurs s'accordent ~ penser que les possibilit6s de compensation aussi bien materielle que psycholo- gique (soins, attention, affection) sont susceptibles d'entretenir les plaintes, de provoquer des comporte- ments excessifs de douleur et d'incapacit~ et d'en constituer des facteurs de perpetuation (8). Dans ce cas, on pourrait dire que la douleur allegu6e a bon dos ..... d'autant que les id6es bien arr6tees et la conviction de maladie et de danger menent ~ des comportements

16

Page 3: Les maux de dos: des significations symboliques aux implications thérapeutiques

d'evitement qui entrent en compte dans le cercle vicieux de perpetuation algique (16, 22). Ces donnees sont confirmees au ,Pain and Impairment Relationship Scale>> (Pairs, 18). II arrive qu'on observe d'ailleurs chez certains patients accidentes, confrontes avec une possi- bilite de compensation financiere, une expression dou- Ioureuse si excessive et de telles discordances dans les comportements lies au handicap presume ou ressenti (16) que s'y mele ou y predomine une indeniable part de simulation (8). Ce point de vue ~ I'egard des Iombal- giques est entierement partage par I'lnstitut Australien de Medecine au point que celui-ci a recommande que ni la douleur chronique par elle-meme ni le syndrome dou- Ioureux chronique ne soient inclus dans les conditions pouvant donner lieu ~ incapacite (12).

Toutefois, meme les patients qui re?oivent une com- pensation pour une invatidite reconnue continuent dans leur majorite & se plaindre (4). Persistance d'un vecu douloureux bien ancre ou auto-justification? II n'est pas inutile ici de rappeler, ~ I'instar de Schmidt et coll. (17) que si la theorie du conditionnement operant postule I'environnement influent grandement sur les comporte- ments douloureux chroniques - ce qu'ils n'ont pu verifier dans leur etude sur les Iombalgiques - a I'inverse, la theorie de I'hypochondrie postule, quanta elte, que le comportement douloureux resulte d'une perception intensifiee de la douleur, qui fait partie d'un processus que les stimuli de I'environnement general d'amplifica- tion des sensations physiques normales. En effet, I'attention et I'anxiete sont susceptibles de deformer la perception des sensations e t de faire prendre une ten- sion pour une douleur, hypothese que ces auteurs ont pu demontrer experimentalement chez leurs patients. Ceux-ci, en effet, relatent un exces de sensations phy- siques ~ la fois au repos et a I'exercice.

Une route autre approche, celle de la clinique psy- chosomatique (11), fait la difference entre douleurs dor- sales de la portion moyenne du dos qui refleteraient la dysthymie: decouragement, tristesse, voire desespoir et celle des vertebres Iombaires qui seraient le fait de patients decrits comme incapables d'affronter avec calme et sang froid les difficultes tant internes qu'externes. Echec professionnel ou viril, frustration, deception dans tes rapports avec les autres chez les hommes, sentiment d'insecurite devant I'exces des t~ches familiales ou professionnelles, oppression des soucis quotidiens qui submergent chez les femmes. Comment ne pas ~tre frappe par la parente de certaines de ces caracteristiques tant avec le symbolisme issu du langage qu'avec les facteurs psychologiques releves par les questionnaires specialises que j'ai cites?

Implications therapeutiques

Pour le psychotherapeute, il apparaft des Iors essen- tiel de realiser avec le patient un travail sur ses affects et son image de soi sans qu'il ne faille negliger I'apport pr~ cieux des techniques de relaxation et d'hypnose, fac- teurs de detente et de maftrise.

Si pour le tenant des theories cognitives-comporte- mentales, I'aspect comportemental pur, sur lequel je me suis deja etendue dans une publication anterieure (20) et que j'ai rappele dans <{La douleur rebelle>> (21) reside darts la suppression du lien entre comportement doulou- reux et recompense, pour recreer un autre lien entre

activit6 et gratification, & c5t6 de cela, maints auteurs soulignent la necessite d'interrompre le processus cognitif perturb6 et perturban#, diminution de la dramati- sation catastrophique, augmentation de la perception de contrele personnel, lutte contre les idees d'impuissance et de detresse, restitution aux Iombalgiques de la mai- trise de soi (16) et de la fiert6 de soi (15), avec reappro- priation de buts ~ long terme et focalisation de I'atten- tion sur d'autres experiences que la douleur (15, 21).

En d'autres termes, faire en sorte que chez I'individu habitue ~ I'echec, ~ la passivite, ,~ I'ecrasement, s'op~re un renversement des rSles et qu'il se retrouve symboli- quement en train de reprendre le dessus, de tenir les r~nes de son destin et de devenir un objet d'approba- tion, voire d'admiration, un bon objet en I'occurrence. On a montre d'ailleurs que les traitements sont peu effi- caces Iorsqu'ils ne prennent pas en compte les variables emotionnelles de detresse (7).

L'articulation entre la clinique psychodynamique et psychosomatique et I'approche cognitivo-comportemen- tale se trouve ici particulierement bien mise en valeur. Quant au systeme de compensation, les auteurs s'accordent sur le fait qu'il devrait encourager la reprise precoce de I'activite.

Guest et Drummond par exemple (5) dans une etude de 1992 alleguent que c'est I~ un facteur indispensable de recuperation.

Indeniablement, il est imperieux de ne pas se limiter une vue mecaniciste de la Iombalgie chronique mais

d'apprendre aux patients ~ aller bien (1) sans oublier qu'ils soient, grace ~ une information appropriee, edu- ques a comprendre les differents aspects de leur pro- bleme de douleur et de limitation fonctionnelle (1, 15) et des Iors, partie prenante dans le traitement plutSt que receptacle passif - voire desabuse ou hostile - de celui- ci, ce qui est egalement une fa()on de les prendre en compte et de les revaloriser ~ leurs propres yeux.

On est d'autant plus conforte ~ le faire que le devenir du Iombalgique, dans une optique limitee ,~ la mecanique de la colonne, est bien sombre: dans le cas oQ il y a dej~ eu une chirurgie spinale ant~rieure, les chances de suc- ces se limitent a 30% pour une deuxieme intervention et a 5% ~ peine pour une troisieme (1).

Contrairement ~ ce qu'on a Iongtemps cru, on ne peut, ~ partir de questionnaires comme le MMPI0 discri- miner les patients chez lesquels la chirurgie va reussir ou echouer. Cette donnee est digne de foi car elle resulte de I'impressionnante compilation par Swanson, la Mayo Clinic, de 50. 000 MMPI passes de 1966 ~ 1981 par des Iombalgiques (6).

Dans les Iombalgies, comme dans d'autres types de douleur-maladie, c'est la synergie des interventions the- rapeutiques (21) qui est la plus garante de succ~s, celui- ci restant tout relatif puisque le devenir ~ Iong-terme de patients traites par une rehabilitation multi-disciplinaire classique 4 a 6 ans auparavant est loin d'etre entiere- ment satisfaisant. Si 58% ne recevaient plus de com- pensation et 65% n'avaient plus de recours systematique aux traitements medicaux, seuls 29% se considerent comme ameliores (4), ce que Jarvikovski et coll. avaient dej& remarque avec un follow-up de 12 mois (7).

Par contre, Nicholas et coll. (15), dans une etude de 1992, ont clairement montre la superiorite des traite- ments combines cognitivo-comportementaux et de relaxation avec physiotherapie sur celle-ci appliquee seule, tant en termes de capacite fonctionnelle que

17

Page 4: Les maux de dos: des significations symboliques aux implications thérapeutiques

d'usage de medicaments et de conviction d'auto-effica- cit6, cette derniere - et ceux qui auront eu la patience de lire tout I'article ne s'en 6tonneront pas - ayant toutefois plus que les autres criteres, tendance ~ s'amenuiser avec le temps.

En guise de conclusion, on peut suggerer que prendre plus largement en compte les significations psy- chologiques symboliques dans le cas de Iombalgie chro- nique, loin d'etre un luxe, amenerait sans aucun doute des resultats therapeutiques ~ la fois meilleurs et plus durables ~ I'egard de ce veritable fleau socio-profession- nel et individuel.

Bibliographie

1. Addeson R.G.: Chronic low back pain. Clin. J. of Pain, 1, 50-59, 1985.

2. Arena J.G.o Sherman R.A., Bruno G.M. and Young T.R.: Electromyographic recordings of 5 types of low back pain subjects and non-pain controls in different positions. Pain, 37, 57-65, 1989.

3. Feuerstein M., Carter R.L. and Papciak A.S.: A prospective analysis of stress and fatigue in recurrent low back pain. Pain, 31, 333-344, 1987.

4. Galton R.L.: Perception of disability in chronic back pain patients: a long-term follow-up. Pain, 37, 57-75, 1989.

5. Guest G.H. and Drummond P.D.: Effects of compensation on emo- tional state and disability in chronic low back pain. Pain, 48, 125-130, 1992.

6. Hagendom S.D., Maruta T., Swanson D.W. and Colligan R.C.: Premorbid MMPI profiles of low back pain patients: surgical suc- cesses versus surgical failures. Ctin. J. of Pain, 1, 177-179, t985.

7. Jarvikovski A., Harkappa K. and Mellin G.: Symptoms of psychologi- cal distress and treatment effects with low back pain patients. Pain, 25, 345-355, 1986.

8. Jayson M.LV.: Trauma, back pain, malingering and compensation. B.M.J., 305, 7-8, 1992.

9. Keefe F.J., Cresson I., Urban B.J. and William D.A.: Analyzing chro- nic low back pain: the relative contribution of pain coping strategies. Pain, 40, 293-301, 1990.

10. Lancet: Risk factors for back trouble. Lancet, june 10, 1305-1306, 1989.

11. Luban-Plozza H. et PSIdinger W.: Le malade psychosomatique et le m6decin praticien. Roche, B,~le et Privat, Toulouse, 1974.

12. Mendelson G.: Compensation and chronic pain. Pain, 48, 121-123, 1992.

13. Merskey H. and Spea R.: Pain: psychological and psychiatrical aspects. Bailli6re, Tindall and Cassell, London, 1967.

14. Neuman P.: Les maux de dos ou Iombalgies. Le G6n~raliste (beige), 161, 4 nov. 1992.

15. Nicholas M.P., Wilson P.H. and Goyen I.: Comparison of cognitive behavioral group treatment and on alternative non-psychological treatment for chronic low back pain. Pain, 48, 339-347, 1992.

16. Reesor K.A. and Craig K.D.: Medically incongruent chronic back pain: physical limitations, suffering, and ineffective coping. Pain, 32, 3545, 1988.

17. Schmidt A.J.M., Gierlings R.E.H. and Peters M.L.: Environmental and interceptive influences on chronic low back pain behavior. Pain, 38, 137-143, 1989.

18. Slater M.A., Hall H.F., Atkinson J.H. and Garfin S.R.: Pain and impair- ment beliefs in chronic low back pain: validation of the pain and impariment relationship scale. Pain, 44, 51-56, 1991.

19. Spinhove P., Ten Kuile M.M., Linssen A.CG. and Gazendam B.: Pain coping strategies in a Dutch population of chronic low back pain patients. Pain, 37, 77-83, 1989.

20. Violon A.: Les th~rapeutiques psychologiques de la douleur chro- nique. DouL et Anal., 2, 151-159, 1989.

21. Violon A.: La douleur rebelle. Epi/Intelligence du corps. Descl6e de Brouwer, Paris, 1992.

22. Waddell G., Pilowsky I. and Bond M.R.: Clinical assessment and interpretation of abnormal illness behaviour in low back pain. Pain 39, 41-53, 1989.

18