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Critique économique n° 5 Printemps 2001 39 Préambule (1) Le long de l’avenue des Forces Armées Royales, la nouvelle artère des affaires qui longe le port à Casablanca, bordée de grands hôtels et de sièges d’entreprises, se dresse l’immeuble de l’Union marocaine du travail (U.M.T.). Cet édifice aux murs salis par les embruns et la pollution évoque les images d’une histoire syndicale récente. Sur le trottoir opposé lui fait face la nouvelle bourse de Casablanca, tour moderniste, toute de verre. A la fin des années quatre-vingt-dix, elle abrite dans ses derniers étages le siège de la Confédération générale des entreprises du Maroc (C.G.E.M.). L’U.M.T. fut le premier syndicat marocain, et la Confédération générale des entreprises du Maroc s’est imposée au cours de la dernière décennie comme l’institution représentative du patronat marocain, après une reforme d’ampleur. Cette métaphore urbanistique, pour manichéenne qu’elle soit, résume en un regard ce que seraient aujourd’hui les relations sociales et professionnelles au Maroc. Un syndicalisme ouvrier aux accents surannés, un capitalisme résolument moderniste et pièce maîtresse de la libéralisation de l’économie dans laquelle s’est engagé le Royaume chérifien. Evidemment, l’image peut faire illusion. La perpective offerte par l’avenue des Forces Armées Royales cache, pour ceux qui ont déambulé à Casablanca, le port, le Derb Omar, quartier des grossistes et des commerçants, mais également, dans son prolongement, les zones industrielles de la ville, qui se déploient progressivement vers Mohammédia : Sidi Belyout, le quartier des Roches noires, Hay Mohammadi, Aïn Sebâa, Sidi Bernoussi. En quelques kilomètres se succèdent des emblèmes et les souvenirs d’une histoire politique et sociale conflictuelle, qui accompagne l’entreprise coloniale, le mouvement de libération puis l’instauration de l’Etat moderne. Les syndicalistes marocains furent de tous les combats au XX e siècle. Pourtant, alors que les questions sociales sont plus que jamais d’actualité dans un contexte d’ajustement structurel, il est frappant qu’aujourd’hui les syndicats marocains soient l’objet de remises en cause tous azimuts, taxés d’archaïsme, secoués par des clivages et des déchirements internes et finalement impuissants à faire entendre leurs voix. Mon objectif ici vise à prolonger et développer une réflexion sur les articulations entre libéralisation économique et réforme politique (2), en analysant au Maroc la métamorphose des syndicalismes et de la gestion des Myriam Catusse CNRS – IREMAM, Aix-en- Provence Robert Schuman Centre – Institut Universitaire Européen de Florence ([email protected]) Les métamorphoses de la question syndicale au Maroc (1) Ce texte est tiré d’une intervention à l’atelier Changing Labor and Restructuring Unionism, (sous la direction de E. Longuenesse et A. Bayat), First Mediterranean Social and Political Research Meeting, Florence, Institut Universitaire Européen, mars 2000. Qu’on veuille bien m’excuser de n’avoir pu l’actualiser pour cette édition. (2) Entamé dans le cadre de la rédaction d’une

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Critique économique n° 5 • Printemps 2001 39

Préambule (1)

Le long de l’avenue des Forces Armées Royales, la nouvelle artère desaffaires qui longe le port à Casablanca, bordée de grands hôtels et de siègesd’entreprises, se dresse l’immeuble de l’Union marocaine du travail (U.M.T.).Cet édifice aux murs salis par les embruns et la pollution évoque les imagesd’une histoire syndicale récente. Sur le trottoir opposé lui fait face la nouvellebourse de Casablanca, tour moderniste, toute de verre. A la fin des annéesquatre-vingt-dix, elle abrite dans ses derniers étages le siège de laConfédération générale des entreprises du Maroc (C.G.E.M.). L’U.M.T.fut le premier syndicat marocain, et la Confédération générale des entreprisesdu Maroc s’est imposée au cours de la dernière décennie commel’institution représentative du patronat marocain, après une reformed’ampleur. Cette métaphore urbanistique, pour manichéenne qu’elle soit,résume en un regard ce que seraient aujourd’hui les relations sociales etprofessionnelles au Maroc. Un syndicalisme ouvrier aux accents surannés,un capitalisme résolument moderniste et pièce maîtresse de la libéralisationde l’économie dans laquelle s’est engagé le Royaume chérifien. Evidemment,l’image peut faire illusion. La perpective offerte par l’avenue des ForcesArmées Royales cache, pour ceux qui ont déambulé à Casablanca, le port,le Derb Omar, quartier des grossistes et des commerçants, mais également,dans son prolongement, les zones industrielles de la ville, qui se déploientprogressivement vers Mohammédia : Sidi Belyout, le quartier des Rochesnoires, Hay Mohammadi, Aïn Sebâa, Sidi Bernoussi. En quelqueskilomètres se succèdent des emblèmes et les souvenirs d’une histoire politiqueet sociale conflictuelle, qui accompagne l’entreprise coloniale, le mouvementde libération puis l’instauration de l’Etat moderne. Les syndicalistesmarocains furent de tous les combats au XXe siècle. Pourtant, alors que lesquestions sociales sont plus que jamais d’actualité dans un contexted’ajustement structurel, il est frappant qu’aujourd’hui les syndicats marocainssoient l’objet de remises en cause tous azimuts, taxés d’archaïsme, secouéspar des clivages et des déchirements internes et finalement impuissants àfaire entendre leurs voix.

Mon objectif ici vise à prolonger et développer une réflexion sur lesarticulations entre libéralisation économique et réforme politique (2), enanalysant au Maroc la métamorphose des syndicalismes et de la gestion des

Myriam CatusseCNRS – IREMAM, Aix-en-Provence

Robert Schuman Centre– Institut UniversitaireEuropéen de Florence([email protected])

Les métamorphoses de la questionsyndicale au Maroc

(1) Ce texte est tiré d’uneintervention à l’atelierChanging Labor andRestructuring Unionism,(sous la direction deE. Longuenesse etA. Bayat), FirstMediterranean Social andPolitical ResearchMeeting, Florence,Institut UniversitaireEuropéen, mars 2000.Qu’on veuille bienm’excuser de n’avoir pul’actualiser pour cetteédition.

(2) Entamé dans le cadrede la rédaction d’une

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relations de travail. Les pages qui suivent ne sont que les prémices d’unerecherche qui s’annonce passionnante : elles appellent en conséquencecontradictions et critiques et annoncent des investigations plus qu’elles n’enrendent compte. Il s’agirait, entre autres choses, de déconstruire des écritureset des discours de la “libéralisation”, tels que la parabole urbaine décriteplus haut. De montrer qu’au même titre que les nombreux autres modèlespolitiques, elle est le fruit d’une histoire propre, de la rencontre d’acteurs,de représentations du monde et de contraintes ; autrement dit, de contribuerà dissiper quelques malentendus autour des articulations entre libéralisationséconomique et politique, en deçà de toute hypothèse de démocratisation.

Introduction

« Les savants proclamaient à l’unisson que l’on avait découvert unescience qui ne laissait pas le moindre doute sur les lois quigouvernaient le monde des hommes. Ce fut sous l’autorité de ces loisque la compassion fut ôtée des cœurs et qu’une détermination stoïqueà renoncer à la solidarité humaine au nom du plus grand bonheur duplus grand nombre acquit la dignité d’une religion séculière. Lemécanisme du marché s’affirmait et réclamait à grands cris d’êtreparachevé : il fallait que le travail des hommes fut une marchandise.Le paternalisme réactionnaire avait en vain cherché à résister à cettenécessité. Echappés aux horreurs de Speenhamland, les hommes se ruèrentaveuglément vers le refuge d’une utopique économie de marché. »(K. Polanyi, 1944, 144.)

Fin 1998, l’éditorialiste de l’Economiste, consacre sa colonne auxsyndicats : « Utilisation des entreprises publiques comme support des rapportsde force, mais aussi limogeage à la C.D.T., reprise en main des troupes àl’U.G.T.M., déclaration de soutien (même critique) au gouvernement deM. Amaoui. Il y a peu, c’était l’U.M.T. qui se désolidarisait de la grève desmarins, lesquels se réclamaient pourtant d’elle. De manière chaotique etavec bien des revirements, un paysage nouveau est en train de se dessinersur le terrain syndicalo-politique, alors que les chiffres sont mauvais et quele calendrier de l’internationalisation se fait pressant. (...) C’est une partiedifficile pour les syndicats, eux qui ne savent pas toujours manier de manièresûre et transparente les méthodes démocratiques (3). » Sous la plume acéréed’un journaliste réputé qui affiche clairement son soutien aux réformeslibérales, la mise en garde n’est pas étonnante. Elle fait écho cependant àun débat public, relayé par voie de presse, qui, au début de 1999, s’inquiètede tensions sociales grandissantes (4). Au-delà de leur aspect conjoncturel,ces articles répertorient les principaux symptômes de ce que serait la “crisedu syndicalisme” marocain : relations ambivalentes et conflictuelles avecles partis politiques, rendues plus complexes encore avec l’arrivée augouvernement, en mars 1998, des partis de la Koutla (5) dont ils sonttraditionnellement les “alliés” (notamment l’Union socialiste des forces

thèse de sciencespolitiques, sur l’Entrée enpolitique des entrepreneursau Maroc. Libéralisationéconomique et réforme del’ordre politique, soutenuele 4/10/1999, à l’Institutd’études politiques d’Aix-en-Provence.

(3) A. Dilami,« Syndicats »,l’Economiste, 4-6 décembre 1998.

(4) A titre d’exemple,« Gouvernement, partispolitiques et syndicats : letriptyque de la tension »,dossier la Vie économique,4 décembre 1998, p. 7-10 ; N. El Amrani,

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populaires (U.S.F.P.) et l’Istiqlâl) ; exacerbation des tensions entre lessyndicats, en particulier afin de bénéficier du statut de “syndicat le plusreprésentatif ” lors des rencontres internationales (El Aouani, 1996) ; maiségalement échec des négociations salariales et multiplication apparente desconflits sociaux. Si le premier discours du trône de Mohammed VI faitexplicitement référence au “pacte social”, il est plus question d’un acted’allégeance (la bay‘a (6)) que d’un quelconque accord contractuel engageantdifférentes parties représentant la société.

Outre ces contraintes politiques extrêmement déterminantes, l’actionsyndicale au Maroc est frappée de plein fouet par les transformations rapidesdu marché du travail. Sous le couvert de la libéralisation, la “question sociale”évolue, relevant en dernière instance d’une “crise de la société salariale”,d’une “remise en cause des régularités associées au mode de développementsalarial” (el Aoufi, 1998, 36) ou pour le moins d’une “métamorphose dela société salariale” (Aglietta et Brender, 1984).

La situation syndicale marocaine peut être envisagée à traversl’observation des articulations entre la réforme économique entreprise – savisée prospective comme les dispositifs sur lesquels elle repose (privatisationdes entreprises, dérégulation du marché, libéralisation des échanges, etc.) –les transformations des formes du travail – gestion de la main-d’œuvre, modèlesde commandement, technicisation des tâches, etc. – et les recompositionsdu syndicalisme – la reformulation d’une problématique syndicale et ladéfinition de cadres d’action pertinents et légitimes. Les effets de rythmeet de résonance entre ces dynamiques, qui ne sont pas nécessairementcomplémentaires, introduisent des décalages et produisent le sens (ou lescontresens) d’un dialogue social, entamé à la fin des années quatre-vingt-dix, qui monopolise les débats tout en les désamorçant. Les centralessyndicales se trouvent apparemment confrontées au dilemme suivant :comment (prétendre) protéger les travailleurs et faire valoir leurs intérêtsdans un contexte de dérégulation et d’augmentation du chômage, tout ensouscrivant au “consensus libéral” qui associe le “marché” à la “démocratie” ?

Alors que le primat de l’économique semble faire peu de doute chez lesanalystes, comme chez les décideurs politiques (7), il me semble intéressantde mettre à l’inverse l’accent sur les dimensions sociales, historiques et surtoutpolitiques de ces recompositions.

Notamment, et c’est l’idée de la Grande Transformation (Polanyi, 1944),il s’agit de considérer le processus de “désocialisation de l’économie”,inhérente à la construction d’une économie de marché, comme à la sourced’une série de métamorphoses qui, bouleversant le rapport au travail, appelleun nouveau type de gestion politique du social. Ces transformations techniques,sociales, etc., qui ont donné naissance ailleurs par exemple aux filets del’Etat-providence, s’accompagnent du développement de nouveaux modesde gouvernement, réflexifs, de nouvelles institutions de régulation et decatégorisation sociale, en termes de structures des opportunités politiques

« Partis-syndicats : la findes alliances ? », le Tempsdu Maroc, 27 novembre1998 ; O. El Anouari,« La C.D.T. proclame sonautonomie par rapport augouvernement del’alternance », la Gazettedu Maroc, 20 janvier1999, p. 8 ; H. Benaddi,« Tensions sociales etpluralisme syndical », la Vie économique,5 février 1999, p. 11-13 ;A. Lmrabet, « L’O.A.D.P.et la C.D.T. déterrent lahache de guerre », leJournal, 6-12 février1999.

(5) Le 18/5/1992 les partis de l’oppositionse structurèrentofficiellement au sein dela Koutla al dimocratiyya.Dans les années de crisesau début de la décennie1970, l’Istiqlâl etl’U.S.F.P. s’étaient déjàréunis (avec l’U.M.T.) ausein de la Koutlaal wataniyya, le blocnational. Sur la créationdu Bloc démocratique, cf. Maghreb-Machrek,n° 137, juil.-sept. 1992,p. 113-115.

(6) La bay‘a désigne leserment d’allégeance(contrat ou soumissionselon les auteurs) querenouvelle chaque annéechaque groupe de lakhassa vis-à-vis du Roi.Elle consacrerait(d’autant qu’elle estd’essence coranique) laplace centrale du Roi ausein des institutionsmakhzéniennes (il serait àla fois dans lesinstitutions et au-dessusd’elles) et sa maîtrisetotale du jeu politique.

(7) Les réformes qui fontl’objet du fameux“consensus de

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(Skocpol, 1992). Regardons donc parallèlement les “métamorphoses de laquestion sociale” (Castel, 1995 et Rosanvallon, 1995) et les recompositionsdu syndicalisme au Maroc. La mise en place houleuse et chaotique d’undispositif de “dialogue social” appelle de fait quelques commentaires surla “gestion étatique de l’insécurité sociale” (Levasseur, 1995, p. 47-60), dansun contexte de privatisation des entreprises publiques (et des relationssalariales ?).

Rappelons que la société marocaine a longtemps été étudiée au prismed’analyses segmentaires et néo-patrimoniales mettant l’accent sur la capacitédu palais (ou du sérail, dans une acception plus étroite encore) à désamorcertoute velléité de concentration de pouvoir économique et politique en jouantsans cesse des jeux de bascule entre les différents groupes sociaux (8). Sices thèses ont été amplement discutées, contredites ou dépassées (Tozy, 1999),elles traduisent la centralité de certains acteurs dans la configurationpolitique, les interdépendances qui les lient et l’inégalité des différentsprotagonistes du champ politique. Elles mettent l’accent également sur laconfusion entre gestion publique et privée des affaires (Leca et Schemeil,1983). En tenant compte de ces spécificités du champ politique marocain,de l’histoire propre de chacun des acteurs et de leurs relations ainsi quedes enjeux politiques d’une définition de la “question sociale”, lesrecompositions du syndicalisme marocain apparaissent comme un élémentde la construction d’un marché libéral. La comparaison en la matière, dansle bassin méditerranéen, mais également en Amérique latine, est éclairante :elle met en évidence à la fois un particularisme des configurations socio-politiques maghrébines (9) et des mécanismes qui nous permettraientvéritablement de construire une grille de comparaison opératoire dansd’autres situations (10).

“Crise du travail, crise du politique” (11) : les symptômes dusyndrome, les enjeux d’une conversion

Pour comprendre les transformations des relations de travail, il est utiled’évoquer « l’histoire et la manière dont certains ajustements qui s’étaientconstitués au cours du temps sont en train de se défaire, parfois avec uneextrême brutalité. C’est en ce sens que l’on peut parler d’une crise de l’héritagequi prend de multiples formes : la crise de l’héritage ouvrier apparaîtétroitement liée à la dévalorisation symbolique du groupe ouvrier, dans unespace social en cours de restructuration, à la désillusion politique et à lacrise du militantisme » (Balazs et Pialoux, 1996, 3). La situation que décriventces auteurs est bien éloignée, géographiquement et socialement, du cas quinous intéresse ici. Pourtant, leurs propos y trouvent écho singulièrement.Ils renvoient aux processus de construction moderne de l’économique etdu social et à la dialectique entre lutte des classes et recherche de compromis :entre une vision conflictuelle et violente et des représentations consensuellesdu marché (Hirschman, 1980).

Washington” reposentavant tout sur des motsd’ordre macro-économiques et sur desanalyses monétaires etfinancières simplifiées oudétournées (B. Hibou,1998).

(8) Ainsi, il n’y aurait pasune “opposition à SaMajesté”, mais une“opposition de SaMajesté”. Cf. J. Waterbury, 1970ou A. El Hassani, (1998),136-178.

(9) Des épiphénomènesculturels et économiquestels que définis parexemple par J. Waterburyet A. Richards, 1990.

(10) A titre decomparaison :G. Bensusan et S. Leon,1990 ; J. Bunuel, 1991 ;F. Zapata, 1997 ;F. Bafoil, 1997 et 1999 ;E. Longuenesse, 1998 ;Revue de l’IRES, 1998.

(11) L’expression est deG. Balazs et M. Pialoux,1996.

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La fin de la décennie 1990 se caractérise en effet au Maroc par deuxmouvements qui brouillent les référents antérieurs : la “marchandisation”du travail et la “pacification” du paysage politique, dont l’alternancegouvernementale de 1998 marquerait le paroxysme. Les syndicats ouvrierssont contraints d’y faire face sous peine de marginalisation.

La marchandisation du travail et la privatisation de l’économie

La corrélation entre une transition économique libérale et l’évolutiondes rapports salariaux au Maroc implique plusieurs catégories d’acteurs(syndicats ouvriers, représentants patronaux, organisations internationaleset l’Etat). Alors que les partis de gauche accèdent au gouvernement, ladénonciation des contradictions sociales s’amplifie.

Selon la presse, le marché du travail connaîtrait une recrudescence destensions. « Le climat social est en ébullition. (…) La détérioration du climatsocial est notable, tant statistiquement que sur le terrain (12). » Les tableauxdont on dispose (statistiques de la direction de l’Emploi, qui ne rendentcompte que des conflits répertoriés) révèlent une situation plus ambiguë(tableaux 1, 2, 3). Durant la décennie 90, finalement, le nombre de conflitsdéclarés dans les entreprises est relativement stable. Néanmoins, on peutnoter une hausse très sensible du nombre de grèves et de conflits individuelsdepuis 1998 qui semble s’exacerber en 2000 (13).

Une chose est certaine, l’offre d’emploi diminue par rapport au nombrede nouveau-venus. Le chômage atteint des taux officiels particulièrementélevés (14), et les diplômés chômeurs portent, au cours des années quatre-vingt-dix, la question au devant de la scène publique : ils interpellent surleur situation les gouvernements successifs, mobilisent l’opinion publique,occupent des locaux, organisent des sit-in et vont jusqu’à mener des grèvesde la faim. Par ailleurs, l’emploi proposé est d’autant plus précaire quel’économie informelle continue à se développer (15) et que le patronat necesse d’appeler à plus de “flexibilité” (16). Enfin, les réductions d’activitéssont plus importantes que les extensions, selon les chiffres produits par leministère du Développement social et de l’Emploi.

Or, le libéralisme économique promu, parfois imposé par les bailleursde fonds (la Banque mondiale, le F.M.I., aujourd’hui l’Union européenne),comme le seul horizon envisageable en tant que “nouvelle orthodoxie dudéveloppement” (17), s’appuie sur les notions libérales de marché, de contratou de confiance pour les investisseurs. Les règles et les normes de “la miseà niveau” (18) par rapport au marché européen (19) ont accéléré le rythmede cette transformation. Idéalement, elle prospère dans un environnementpolitique et social policé (apolitique), sans conflit, sans risque, sansperturbation ou contingence autres que celles de la confrontation des coûtset des avantages. Effectivement, un vent de “consensus” souffle sur le Marocdes années quatre-vingt-dix. Consensus sur les institutions politiques (20),consensus visiblement sur les institutions du marché. Il faudrait procéder

(12) F. Mossadeq, « Le syndicalisme enpleine mutation »,Economie et entreprise,mars 2000, p. 54.

(13) Seuls leslicenciements individuelssont prévus par le codedu travail, ce qui expliqueen partie les tauximportants de requêtespersonnelles.

(14) Selon la Directionde la Statistique, 22,9 %de la population activeurbaine était au chômageen 1995 et 21,4 % en2000. D’après lerecensement général de1994, le nombre dechômeurs urbains entre1982 et 1994 aurait plusque doublé. Et en 2000,26 % des actifs citadinsayant un diplôme deniveau supérieur seraientsans emploi. Cf.tableau 4.

(15) Selon B. Hibou, lechiffre d’affaires de lacontrebande ne seraitjamais inférieur à 20 %du PIB. Par ailleurs, lesactivités économiquesinformelles sont

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à l’archéologie de ce registre de sens (sens commun, paradigme techniqueou leitmotiv politique) qui ne peut qu’évoquer la série de pactes et d’accordsentre élites que connaîtraient les pays soumis aux réformes libérales (21).Dans tous les cas, il s’accompagne d’une dénonciation de la violence et dela promotion des vertus du privé, de l’individuel et du libéral.

Et de fait, sur le marché du travail, le programme d’ajustement structureladopté par le Maroc en 1983 et, plus largement, la conversion économiquedu pays se traduisent par une privatisation significative des moyens deproduction. Le royaume chérifien a rapidement abandonné les principesdu capitalisme d’Etat reposant, jusqu’au début des années quatre-vingt, surle rôle-clé d’un secteur public principal employeur et producteur du pays.Au cours des années quatre-vingt, le secteur privé marocain, qui se développenotamment à la faveur des privatisations, prend le pas sur le secteur public.En 1998, 65 000 entreprises structurées sont inscrites aux patentes. Ellesreprésentent 65 % de l’investissement total, 90 % de l’emploi global (dont66 % de l’emploi urbain) et 80 % du P.I.B.

Le programme de privatisation lui-même (lois de 1989, mises en œuvreà partir de 1991) donne lieu à plusieurs remarques : l’importance dansl’économie marocaine des entreprises privatisables est remarquable.Rapidement, les privatisations ont été l’occasion pour les détenteurs dupouvoir politique (le Roi au premier chef ) de distribuer de façon arbitraireet discrétionnaire (en contournant souvent non seulement l’esprit mais lesdispositions de la loi) une série de privilèges et de capitaux (notamment pardes attributions de gré à gré). Un bilan de ces opérations encore en coursdémontre clairement une concentration du capital, et l’homonymie desconseils d’administration reste frappante. Si elles n’ont pas donné lieu àl’émergence d’une nouvelle catégorie d’entrepreneur, elles bouleversentcependant la polarisation des relations sociales qui s’organisaient jusqu’alorsautour du couple Etat/travailleurs. Désormais, les employeurs privés devraientlogiquement se substituer aux autorités publiques dans les négociations.

Si l’on prend de plus en considération le développement de l’économieinformelle, les années quatre-vingt-dix se caractérisent donc par uneprivatisation des lieux et des modes de production. Le travail semarchandise. Sans qu’il soit facile de quantifier ces phénomènes, leshypothèses se multiplient sur la question (22). N. El Aoufi cite en série :« désalarisation progressive, précarisation, désintermédiation de la relationd’emploi, flexibilité du travail et des salaires, désaffiliation sociale due àune montée du chômage, au délitement des mécanismes de compensationet de protection sociale, au développement de la pauvreté, à l’accroissementdes inégalités sociales, des discriminations négatives et de la vulnérabilitéde masse dans les domaines de l’éducation, de la santé, du logement, etc. »(El Aoufi, 1998, 36). Cet inventaire à la Prévert mériterait plus amplesdéveloppements. Il illustre, s’il en était besoin, l’intensification des indicateursde dérégulation des rapports salariaux. L’avantage compétitif du Maroc

difficilement mesurablesmais observables danstous les champs deproduction, in (B. Hibou, 1996).

(16) Ainsi, selon lerapport de la BanqueMondiale sur « Ledéveloppement del’industrie privée auMaroc » (septembre1993), l’industriemanufacturièreemploierait plus de90 000 travailleurstemporaires à pleintemps, représentant plusde 20 % de la main-d’œuvre du secteurmanufacturier.

(17) Sur les discours deces bailleurs de fonds, etnotamment de la Banquemondiale, cf. B. Hibou,1998.

(18) Le programmeMEDA de l’Unioneuropéenne, dans le cadredu partenariat euro-méditerranéen, comporteun volet important pour“favoriser l’intégration duMaroc à l’espaceéconomique euro-méditerranéen” et porterappui à l’intégrationéconomique du pays,appelé “mise à niveau”.Au-delà, la “mise àniveau” est devenue leleitmotiv de l’ensembledes réformes entreprises.M. Camau décrit le mêmetype de phénomène àpropos de la transitiontunisienne (M. Camau,1997, p. 15).

(19) Précondition àl’intégration à une zonede libre-échange avecl’Union européenne,prévue dans les accordssignés entre le Maroc etl’Union européenne enfévrier 1996.

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continue de résider dans la modestie de coûts salariaux qu’il s’agit demaintenir bas, et la perspective d’une intégration à une zone de libre-échangeavec l’Union européenne (à l’horizon 2010 selon l’accord de partenariatsigné le 26 février 1996) pèse encore plus sur les salaires (tableau 5). Parailleurs, l’accent doit être mis sur la prédominance de modes informels derégulation salariale (El Aoufi, 1992 et plus récemment, Belghazi, 1997),présenté parfois comme critère de flexibilité. L’idée d’une régulation parl’intérêt individuel s’imposerait.

La pacification du paysage politique : “l’alternance consensuelle”

La désocialisation de l’économie marocaine serait également le fait del’exode rural (23) et de la féminisation de l’emploi (El Aynaoui, 1998). Ilsse traduisent tous deux par une désorganisation des modes d’intégrationsociale antérieurs et par une précarisation de l’emploi (Salahdine, 1992 etZouiten, 1998). Le problème se pose alors de la gestion de cette insécuritésociale. Or, paradoxalement, l’alternance gouvernementale qu’à connue lepays en 1998, suite aux élections législatives de 1997, aurait pu annoncerune socialisation du politique. Par rapport à des courants de penséeconsidérant que l’on gouverne toujours trop une société civile capable des’auto-réguler, l’avènement de ministres socialistes s’accompagnait, àl’inverse, de la prise en compte d’impératifs d’égalité et de solidarité, dansune perpective comparatiste (Levasseur, 1995, p. 53).

En effet, c’est le secrétaire général de l’Union socialiste des forcespopulaires, A. Youssoufi, qui arrive au pouvoir. La transformation del’environnement du travail s’accompagne d’un ajustement des paradigmespolitiques dominants. Ainsi, la référence à la lutte des classes qui a structuré,plusieurs décennies durant, le mouvement ouvrier, semble aujourd’hui malà propos plus qu’impertinente (Catusse, 1998). La nomination deministres socialistes et nationalistes procède de ce que les observateurs ontappelé “l’alternance consensuelle”. En matière de concertation sociale etpolitique cela signifie : d’une part, que les conditions seraient, a priori,favorables au développement d’un modèle tripartite de négociation(Lehmbruch, 1984). D’autre part, cet événement politique attendu etannoncé depuis le début des années quatre-vingt-dix, cristalliserait un accordminimum entre des élites sur les institutions politiques (24) et économiques(la conversion au libéralisme ne fait finalement l’objet que de peu dediscussions, sur le fond). Enfin, le décès de Hassan II et l’intronisation deMohammed VI, s’ils ne modifient pas l’équilibre des tensions (Elias, 1969),contribuent encore à conforter l’hypothèse d’une pacification du paysagepolitique. Cependant, les compromis ne peuvent guère s’établir sur uneexpansion économique. Encore moins sur la croyance en la combinaisondu progrès économique et social. Et pourtant, l’idée se développe d’unesolidarité professionnelle et collective, par opposition à la solidarité de classedes syndicats ouvriers, ou à la solidarité familiale et corporatiste des élites

(20) Voir par exempleR. El Mossadeq (1998 a,1998 b, 1995).

(21) Sur les transitions“démocratiques” lalittérature est vaste. Je meréfère à G. O’Donnell,Ph. Schmitter andL. Whitehead (eds.),1986, Przeworski, 1991,Ph. Schmitter, 1995 etM.G. Burton et J. Higley,1996, 1998.

(22) C’est l’objet d’uneenquête sur les« configurations socialesde l’entreprisemarocaine », lancée par leGroupe d’Etudes et deRecherches sur lesRessources Humaines etl’Entreprise del’Université Mohamed Vde Rabat-Agdal et leCentre Jaques Berqued’Etudes en SciencesHumaines et Sociales deRabat. Cf. N. El Aoufi(dir.), l’Entreprise côtéusine. Les configurationssociales de l’entreprisemarocaine, GERRHE,coll. “Enquêtes”, 2001.

(23) Depuis les annéessoixante, selon N.Lamrani, la populationurbaine s’est multipliéepar quatre, suivant untaux moyen annuel de4,12 %. Si en 1960, ellene représentait que 29 %de la population totale,en 1994, elle enreprésente 51,4 %(N. Lamrani, 1998,1992). Voir aussi CERED(1993).

(24) Comme en témoignele référendum sur laréforme de laConstitution enseptembre 1996 : pour lapremière fois depuisl’indépendance, lesformations partisanes

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politico-économiques du pays (25). “L’entreprise citoyenne” s’impose commeidéal vers lequel tendre (26).

Les termes peuvent paraître galvaudés. Pourtant, c’est dans ce type dereprésentations (et dans les logiques individuelles et collectives qu’ellesinduisent de part et d’autre) que s’inscrit aujourd’hui la crise dusyndicalisme marocain, ancré dès l’origine dans un registre explicitementpolitique (lutte pour l’indépendance, mouvement socialiste, opposition àla monarchie, etc.). Le malaise réside essentiellement dans ce paradoxe entrel’arrivée d’un gouvernement “d’alternance” dans un contexte dit“consensuel” et l’accroissement de conflits. S’il faut tenir compte des effetsde rythmes (effet tunnel de A.O. Hirschman) et des stratégies politiques,ce fossé met à jour des contradictions plus latentes.

Au gré des transformations de la question sociale, sur fond delibéralisation, la protestation sociale change de forme (27). Que ce soientlors des mouvements de diplômés-chômeurs, qui depuis le début des annéesquatre-vingt-dix, organisent occupations de locaux (tels que ceux de l’U.M.T.à Rabat), manifestations dans toutes les grandes villes (28), sit-in devant leparlement, ou des mouvements islamistes estudiantins (Tozy, 1998), lescentrales syndicales qui ont canalisé la protestation politique les décenniesprécédentes semblent dépassées. L’Union marocaine du travail (U.M.T.), laConfédération démocratique du travail (C.D.T.) – proche de l’Union socialistedes forces populaires – et l’Union générale des travailleurs marocains(l’U.G.T.M.) – généralement associée au parti de l’Istiqlâl – se disputent lestatut de “syndicat le plus représentatif ” (29) mais souffrent globalementd’un déficit de représentativité. Qui représentent-ils aujourd’hui ? Quidéfendent-ils ? Autour de quelle identité collective mobilisent-ils ?

Gérer un legs : entre anamnèse et renonciation

« Plus elle avance dans le temps, plus elle donne l’impression de souffrird’une perte de mémoire progressive et inquiétante », affirme un journalisteà propos de la C.D.T., lors de son 21e anniversaire (30). Le recours à l’histoireest indispensable pour comprendre effectivement le système de représentationdans lequel s’inscrivent aujourd’hui les recompositions du syndicalisme.Néanmoins, à l’amnésie que croit révéler ce journaliste, il me semble éloquentde confronter à l’inverse les effets et les contre-effets d’un travail d’anamnèse,de l’appropriation controversée d’un héritage peu compatible avec les motsd’ordre hégémoniques de la libéralisation.

La mémoire du syndicalisme maghrébin, marocain en particulier, véhiculeessentiellement un héritage politique : l’affiliation, la tradition, comme lesdissensions, s’inscrivent dans l’histoire des “damnés de la terre”. L’une desdifficultés des syndicats aujourd’hui, dont les caciques sont encore auréolésde faits d’armes contre l’ordre bourgeois, est de gérer ce legs, au fondementde son identité mais parfois en réel décalage avec les réalités contemporaines.Ils éloignent les syndicats du monde de l’entreprise à proprement parler,

d’opposition acceptent,dans leur majorité,d’approuverl’organisation généraledes institutions.

(25) Pour une descriptionde ce système, qui tientpourtant très peu comptedes mutations des annéesquatre-vingt-dix, cf. M. Benhaddou, 1997.

(26) Ce leitmotiv,“l’entreprise citoyenne enaction”, est la nouvelledevise de la C.G.E.M..Cf. A. Lahjouji (ex-président de laCGEM), « L’entreprisecitoyenne face à sesnouvellesresponsabilités », in R. Belkahia etA. Harouchi, 1998,p. 57-60.

(27) La nécessitéd’historiciser l’analyse desmouvements sociaux n’estpas nouvelle : dans desperspectives différentes,cf. A. Touraine,M. Wieworcka, F. Dubet,1984, et C. Tilly, 1978.

(28) Avec un bras de feret un conflit decompétence entre leministre de l’Intérieur etle Premier ministre en1999, sur la façon detraiter les revendicationsde ces “diplômés-chômeurs”.

(29) Par décision duministère du Travail, et malgré plusieurscontentieux, seulel’U.M.T. avait fait partiedes délégations officiellesmarocaines, jusqu’en1998, avec desreprésentants dugouvernement et dusyndicat des employeurs.Pour la première fois, enjuin 1998, legouvernement Youssoufi

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Les métamorphoses de la question syndicale au Maroc

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tout en rendant inconfortable leur position sur l’échiquier politique. Ainsidoivent-ils “gérer” l’hypothèque d’une transformation de leur rapport aupolitique (de l’accès à la polity, dirait C. Tilly). Les résistances sont d’autantplus importantes que le renouvellement des générations tarde. M. Benseddikdirige l’U.M.T. depuis le 20 mars 1955, N. Amaoui est à la tête de la C.D.T.depuis fin novembre 1978 et A. Afilal contrôle l’U.G.T.M. depuis 1962.

L’héritage

Historiquement, le syndicalisme (sous la bannière de la C.G.T. française,puis de l’U.M.T.) a constitué l’un des principaux fers de lance de la luttecontre le protectorat, puis du mouvement nationaliste (Gallissot, 1964 ;Ayache, 1982, 1990 et 1993 ; Menouni, 1979 ou Benseddik, 1990). Forméà l’époque coloniale, il s’est nourri, en tant qu’institution d’encadrementpolitique du monde du travail, de thèses communistes sur un modèle français,puis de l’idéologie arabe (Kadri, 1986). A l’indépendance, le souverainmarocain encourage le pluralisme syndical, à l’inverse d’autres pays de larégion. Les scissions se font rapides, au fur et à mesure que sont créés denouveaux partis. L’attitude des syndicats oscille alors entre stratégies departicipation et logiques de confrontations parfois violentes. Concernantleurs rapports aux partis politiques, on parle tour à tour de “satellisation”et “d’autonomisation” (31).

Par ailleurs, les principaux hagiographes du syndicalisme (Ayache,Benseddik, etc.), furent eux-mêmes des militants actifs, ou proches,proposant une grille de lecture en termes de structuration des classes, qu’ilserait bien sûr abusif de réduire à une “détermination économique en dernièreinstance”. Discours savants et discours politiques s’enchevêtrent ainsi. Ilsalimentent les représentations et les identifications collectives.

De fait, l’action syndicale au Maroc a été ponctuée d’affrontementsviolents avec les autorités publiques, de grèves générales répriméesbrutalement jusqu’au début des années quatre-vingt-dix (32), d’autant quele système politique makhzénien s’est constitué, sur un dispositif d’alliancefondé sur la propriété foncière, sur l’ancrage notabilier terrien (Leveau, 1976),confinant aux marges la question ouvrière. Elle s’écrit également au coursde procès pour complot contre le régime, dont les derniers datent des annéesquatre-vingt (33). Le recours à la “grève générale” par les centrales syndicales(34) reste d’ailleurs de mise, mais maintenant, précise-t-on, “sans heurt”et “dans le calme”, tandis que les autorités publiques continuent de contenir,parfois violemment, d’autres manifestations publiques hors des structuressyndicales classiques, telles que celles des diplômés chômeurs, desassociations des droits de l’homme, les mineurs, etc. (35).

Le mode d’action syndical emprunte donc essentiellement un registreprotestataire, finalement peu compatible avec les mots d’ordre deconcertation actuels. Ils remettent en cause les rapports dialogiques entreidéologie et mobilisation. R. Filali Meknassi relevait deux formes principales

a choisi le leader de laC.D.T., N. Amaoui, pourreprésenter lesyndicalisme marocain àla conférence de l’O.I.T.,dans la mesure où lesyndicat a remporté leplus de voix aux électionsprofessionnelles de 1997.Le gouvernement suggèreun système de rotationentre la C.D.T., l’U.M.T.et l’U.G.T.M. En juin2000, la commission devérification des pouvoirsde l’O.I.T., saisie parl’U.M.T., rédige unrapport en faveur de cedernier syndicat.

(30) A.K.,« 21e anniversaire de laC.D.T. : qu’en est-il del’alternative historique ? »,le Journal, 27 novembre1999, p. 8.

(31) Pour un rapidehistorique des principalesformations syndicalesmarocaines et des liensqu’elles entretiennentavec les partis politiques,rappelons que l’U.M.T.est née dans le sillon del’Istisqlâl, au moment del’indépendance, en mars1955. Lorsque le partinationaliste se scinde etqu’est créée l’U.N.F.P.(1959), le syndicatemboîte le pas dunouveau parti socialiste.En 1960, le parti del’Istiqlâl encourage alorsla création del’U.G.T.M., qui restejusqu’à nos jours prochedu parti, afin decontrecarrer l’influencede l’U.M.T. En 1972, leparti socialiste connaît àson tour une scission(création de l’U.S.F.P.), eten 1979, la C.D.T. naîtdu conflit entre l’U.M.T.et l’U.S.F.P. (le secrétairegénéral de la C.D.T.,

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de représentation des travailleurs : « Une représentation obligatoire à l’intérieurdes lieux de travail qui n’a pas une fonction revendicative ; unereprésentation syndicale, volontaire et administrant ses activités en dehorsdes lieux de travail » (Filali-Meknassi, 1989, 69, c’est moi qui souligne).N. El Aoufi, quant à lui, conçoit l’hypothèse salariale actuelle commes’articulant autour de la dialectique entre syndicalisme de proposition (36)et syndicalisme de revendication (N. El Aoufi, 1978, 66). En tout état de cause,il s’agit d’observer le comportement de ces groupes syndicaux, face à desopportunités politiques qui évoluent sensiblement (37), et alors que l’actionsyndicale s’est construite dans le registre du contre-pouvoir politique.

Enfin, le paradoxe veut que, alors que le patronat était jusqu’alors absentde la scène des négociations sociales, c’est lorsqu’il se forme et s’impose entant que groupe d’intérêt qui s’institutionnalise, que le discours sur la luttedes classes semble s’estomper (Catusse, 1999).

Se compter : les élections de 1997

Quoi qu’il en soit, l’accès à la polity pour les syndicats est aujourd’huiconditionné par une redéfinition de leurs rapports avec les partispolitiques en particulier et avec leurs partenaires sociaux, ce qui passe parune évaluation des forces respectives. Se compter (se classer, se répertorieret s’estimer) devient alors un exercice primordial (38). Les chiffres relatifsà la représentativité de chacun sont inexistants ou surabondants selon lescas. Ils sont au cœur de la discorde.

Lors des négociations relatives au Code du travail, la C.D.T. plaide pourdes critères “simples et objectifs”, tels que les résultats des élections (malgréles conditions de leur déroulement) dont elle a remporté la majorité dessièges, le nombre d’adhérents (mais les cartes ne sont pas distribuées ou lesont gratuitement), la capacité de mobilisation (taille des grèves par rapportà la taille de l’entreprise). Le taux même de salarisation est extrêmementdifficile à évaluer compte tenu de l’importance du secteur informel(N. el Aoufi, 1992, chap. 2 et 4). Bien que le chiffre “existe”, il sembleconfidentiel puisque aucun organisme n’accepte de le fournir.

Compte tenu de ces remarques, les élections de 1997, élections locales,régionales, législatives et professionnelles peuvent fournir un espaced’observation du poids de chacun, autant pour l’évaluation qu’ellespermettent que parce qu’elles donnent à certains, les élus, des moyensd’action, donc de peser. Le but de ces consultations, qui se déroulaient ausein des entreprises et des administrations, était la composition pour lachambre des conseillers, créée lors de la réforme de la Constitution deseptembre 1996. Conformément à la loi organique (loi n° 32-97), cettedernière est composée de 270 sièges, répartis entre représentants descollectivités locales et représentants des collèges professionnels [chambresagricoles, chambres de commerce, d’industrie et de service, chambresd’artisanat et nouvelles chambres de la pêche maritime et syndicats].

N. Amaoui, fait partie dubureau politique del’U.S.F.P. depuis 1989).Actuellement, l’U.M.T.revendique l’a-politisme.Voir par exempleA. Menouni, leSyndicalisme ouvrier auMaroc, Ed. maghrébines,1979.

(32) En mars 1965, lesmouvements lycéens deCasablanca prennent uncaractère insurrectionnelet sont réprimés dans lesang. En 1981, la C.D.T.appelle à une grèvegénérale après l’échec denégociations avec legouvernement et suite à lahausse des prix. Pour lapremière fois, le 20 juin1981, le pays tout entierest paralysé : aux grévistesdes secteurs commercialet industriel s’ajoutent lesgrévistes du secteur publicet les petits commerçants.Des mouvements de foulese font dans les quartierset les rues de Casablanca.Ils s’en prennentessentiellement aux signesextérieurs de richesse. Lesforces arméesinterviennent etrépriment le mouvement.En 1991, c’est Fès quiconnaît de violentesmanifestations que l’onrange parmi les “émeutesdu pain”, ou “émeutesF.M.I.”.

(33) Les années soixanteet soixante-dix furent desannées noires pour lesmouvements de gaucheen général et pour lesyndicalisme enparticulier. En 1964, leprésident de l’Unionnationale des étudiantsmarocains est plusieursfois arrêté ; le 7/7/1967,arrestation du dirigeantde l’U.M.T. ; août 1969,

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Les métamorphoses de la question syndicale au Maroc

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Dans la fonction publique et dans les entreprises semi-publiques, laC.D.T. demeure dominante (à la poste, à l’éducation nationale, à la santépublique, dans les phosphates), tandis que les délégués de l’U.M.T. sontmajoritaires (relativement) dans le secteur privé et dans des établissementspublics tels que l’Office national de l’électricité, la Caisse nationale de lasécurité sociale, Royal Air Maroc, ou l’Office national des chemins de fer(suivis par ceux de la C.D.T. puis de l’U.G.T.M.), dans les secteurs agricoles,au tourisme et à l’entraide nationale.

Le fait le plus significatif est toutefois l’importance des délégués sansappartenance syndicale (S.A.S.), notamment dans le secteur privé (plus de55 % de moyenne nationale dans tous les secteurs, privés et publics). Lephénomène doit être compris à la fois comme conséquence de la désaffectiondes syndicats (dans le sens où la proportion des voix “S.A.S.” a augmentépar rapport aux élections précédentes), mais aussi de l’hostilité du patronat,qui dispose au sein des entreprises de toute latitude d’action et licenciefacilement. Or, suite aux élections législatives du 14 novembre, sur requêtede la Commission nationale de suivi des élections, Hassan II « donne seshautes instructions pour limiter les candidatures pour l’élection de laChambre des conseillers aux personnes appartenant aux partis politiques(39) ». Autrement dit, l’accréditation politique ou syndicale est nécessairepour se présenter. L’ensemble des candidats “sans appartenance syndicaleou politique” doivent prendre une carte s’ils prétendent siéger à la chambre.Ainsi faut-il distinguer l’élection des grands électeurs à l’élection desconseillers pour avoir une photographie des rapports de forces.

La question de la représentativité des syndicats est une hydre,régulièrement évoquée pour les discréditer ou, par eux-mêmes, pour se“mesurer” (dans tous les sens du terme). Le même problème se posantd’ailleurs pour la Confédération générale des entreprises du Maroc, malgréses efforts pour accroître ses assises sectorielles et géographiques depuis 1995.Ainsi, à propos des impasses de la refonte du Code du travail, la presse,qui se fait ici l’écho des pouvoirs publics, rappelle que « les entitésreprésentatives ne recouvrent qu’une infime partie des travailleurs. Les troissyndicats ne représentent que 22 % de la classe ouvrière. Les 78 % restantn’ont pas été consultés. Aussi les adhérents de la C.G.E.M., au nombre de1 700, ne concernent qu’une petite partie du tissu économique, enl’occurrence les entreprises les mieux structurées (40) ».

Au niveau des conseils régionaux (41), les 113 sièges revenant aux collègesdes représentants des salariés se répartissent comme suit :

arrestation etcondamnation de A. Yata,le leader du particommuniste marocain ;en février 1977, c’est legrand procès deCasablanca où sontcondamnés à de lourdespeines de prison desmilitants de gauche etd’extrême-gauche ; en1982, condamnation(puis grâce) des dirigeantsde l’U.S.F.P. pour avoircritiqué la position royalesur le Sahara ; le4/9/1992, arrestation etcondamnation à deux ansde prison pour lesecrétaire général de laC.D.T., N. Amaoui, pour« propos injurieux etdiffamatoires à l’encontredu gouvernement ». Lamême année estcondamné un membre dubureau de l’U.G.T.M.

(34) Le droit de “grève”est inscrit dans laconstitution depuisl’indépendance.

(35) Notons néanmoinsque de lourdes peines deprison continuent d’êtreprononcées contre desgrévistes, dénoncées parexemple par laConfédérationinternationale dessyndicats libres, ou lesassociations de protectiondes droits de l’homme.

(36) L’U.G.T.M. seprononce pour unsyndicalisme de“participation”.

(37) Sur la question descycles, des répertoires etde la structure desopportunités politiques :S. Tarrow, 1995, D. DellaPorta, 1995, C. Tilly,1995.

(38) Les travaux deA. Dérosières ont attiré

C.D.T. U.M.T. U.G.T.M. Autres syndicats Sans appartenancesyndicale

38 24 15 5 31

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A la chambre des conseillers, la “carte syndicale” est la suivante, largementfavorable à la C.D.T. :

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l’attention sur l’usage etla production des chiffresen société, sur leur statut,sur leur histoire, quisollicitent à la fois unevisée de vérité (par lamobilisation d’un réseaucognitif ) et une viséed’action (au biais d’unréseau pragmatique). Cf. A. Dérosières (1993).

(39) Selon lecommuniqué de laCommission de suivi desélections, dans « la courseaux accréditations. Lessans appartenancepolitique exclus de lacandidature à la chambredes Conseillers », le Quotidien du Maroc,1/12/1997.

(40) S. Mansouri, « Codedu travail : Aliouareconduit le projet deHaddaoui », le Journal,11-17 septembre 1999,p. 24.

(41) La Constitution deseptembre 1996 instituedans les 16 régionsmarocaines desassemblées, les conseilsrégionaux, élus par lescollèges des conseilscommunaux, desassemblées préfectoraleset provinciales, deschambres professionnelleset des représentants dessalariés.

(42) Les journaux se sontfait particulièrementcritiques à l’égard duleader de la C.D.T. : cf.A. Lmrabet, « CommentN. Amaoui utilise laC.D.T. pour régler sescomptes », le Journal,4/5/1998, p. 6 ; F. Yata,« Singulier 1er Mai », la Nouvelle Tribune,30/4/1998, p. 4.

(43) Certains vontjusqu’à comparer le

C.D.T. U.M.T. U.G.T.M. Autres syndicats

11 sièges 8 sièges 3 sièges 5 sièges

Les frères ennemis

A la suite de ces consultations et de la nomination de Youssoufi en tantque Premier ministre, les tensions entre syndicats et entre syndicats et partispolitiques sont plus manifestes. La C.D.T. en particulier doit gérer uneposition inconfortable : l’heure serait, aux yeux de certains, à couper le“cordon ombilical” (ou à lever de gênantes amarres) avec les partis politiques.Ainsi, malgré les liens quasi-organiques qui existent entre la C.D.T. etl’U.S.F.P, les leaders du syndicat, menés par A. Amaoui, gardent une attituded’opposants, affirmant haut et fort à la chambre des conseillers, où ils siègent,ne pas “être le syndicat du gouvernement” (42). Pour autant, denombreuses voix s’élèvent pour dénoncer dans cette prise de position encoreune fois une tactique purement politique (43).

Entre rhétorique du marché et dirigisme politique, la gauche marocainene “ferait plus rêver” (44). L’assertion, pour être juste (et bien banale) mériteplus de commentaires. Conflits de personnes, luttes d’influences, stratégiespolitiques, guerres de positions entre les différentes centrales syndicales(C.D.T. vs U.M.T. (45)), depuis 1998, la C.D.T. n’a par exemple de cessede proclamer son autonomie par rapport au gouvernement d’alternance.Elle engage des grèves dans des secteurs placés sous tutelle de ministresappartenant à la coalition de la Koutla, dans le secteur des banques, de lasanté publique, des télécommunications. Elle provoque, surtout début 1999,une crise en pesant pour le rejet de la loi sur les privatisations par la chambredes conseillers (46). De la même façon, elle reste le syndicat le plusintransigeant à propos de l’adoption du code du travail, dans laquelles’investit particulièrement le gouvernement. Par ailleurs, les syndicalistesde la C.D.T. membres de l’O.A.D.P. sont expulsés de la centrale.

Il faudrait analyser mieux en détail les ressorts et les enjeux de ces conflits,qui se portent tantôt dans le domaine de l’enseignement (grève généralede décembre 1999), de la santé publique, des phosphates (bastion de laC.D.T.), de la pêche, des transports (mouvements sociaux à Royal Air Maroc,en décembre 1999, qui néanmoins, ont été menés par des associations non-affiliées à des syndicats), dans les ports du pays (en 1998), à la SODEA(Société de développement agricole) ou dans les banques (printemps 1998,à la Banque populaire et à Bank Al Maghrib et, printemps 1999, à la Banquecommerciale du Maroc). Les frictions sont fortes entre les différentes centraleset le Groupement professionnel des banques marocaines (G.P.B.M.), souventdécrit comme une organisation oligarchique, usurière, entretenant des

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Les métamorphoses de la question syndicale au Maroc

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relations incestueuses avec les pouvoirs publics (Moore, 1987, 256) (47)].Les entreprises publiques demeurent les principaux supports des rapportsde force.

Les cartes sont brouillées, les alliances complexes et répondant à deslogiques contradictoires, ancrées dans l’histoire sociale et politique du pays.Comment interpréter, par exemple, la présence de D. Basri, alors ministred’Etat chargé de l’Intérieur, accompagné de sept autres ministres, aux assisesdu congrès de la C.D.T., le 14 mars 1997, à Casablanca ? Commentinterpréter également la nomination d’Abbas El Fassi, secrétaire général del’Istiqlâl, à la tête du ministère du Développement social, de la Solidarité,de l’Emploi et de la Formation professionnelle d’un gouvernement, remaniéen septembre 2000, toujours dirigé par Youssoufi ?

En tout état de cause, les conditions de la concertation semblent loind’être réunies, du moins à court terme. Cette remarque est d’importancepour une réflexion sur la défense d’intérêts dans un contexte delibéralisation : la refonte des relations de travail et de l’activité syndicale,sur un modèle de “concertation” procède des mots d’ordre des institutionsfinancières internationales. Le modèle de négociation tripartite est de plusen plus souvent brandi, par le biais de l’institutionnalisation de sphères denégociation (les accords de “dialogue social”, du 1er août 1996, réaffirmésbon gré mal gré le 19 moharram 1421 (avril 2000)). Ainsi, Hassan II invitaitles partenaires sociaux à s’inspirer du modèle allemand, le 27 juin 1995(48). Une fondation privée allemande, d’inspiration social-démocrate, amis sur pieds, depuis 1996, un programme-pilote avec la C.G.E.M. et lestrois principales centrales syndicales afin « d’accompagner les partenairessociaux marocains dans leurs efforts pour la consolidation de la culture dudialogue et en particulier dans le projet de décentralisation du dialoguesocial (49) ». Plus récemment, c’est le cas suédois qui est évoqué (50).

Certains auteurs ont soulevé la question des pactes politiquescontractualisés plus ou moins formellement entre les élites, au cours detransitions politiques (51). Il faudrait dans leur prolongement discuter del’hypothèse selon laquelle la conversion du syndicalisme au Maghreb reposede fait sur une redéfinition de la structure des élites, de leur attitude, de leurétat cristallisé par des accords globaux ou sectoriels, contractés par lesdifférentes partenaires sociaux et politiques (Gunther et J. Higley, 1992 ;Burton et Higley, 1996, 1998). Considérons que ces pactes renvoient lastratégie des acteurs à des choix rationnels, mais également à des capacitéscognitives, à des opérations morales, à des finalités en valeurs et à desreprésentations plurielles, qu’il convient de déconstruire. Dans une viséecomparatiste, ces “événements” apparaissent comme le fruit d’expériencesparticulières, de legs plus ou moins réappropriés et d’horizons d’attentessouvent influencés par les effets d’annonces.

C’est dans ce sens qu’il faudrait poser l’hypothèse néo-corporatiste desrelations professionnelles au Maroc. Mon intention n’est pas de regarder

dirigeant syndicalmarocain à L. Walesa,conférant à la C.D.T.,“syndicat-parti”, le rôlede porter les espoirs desmasses : cf. H.H. « Lesyndicat-parti ouSolidarnosc en exemple »,la Gazette du Maroc,n° 35, 29/10/1997, p. 6.

(44) A. Dilamy, « Unegauche qui ne fait plusrêver… », le Journal, 15-21 janvier 2000.

(45) Depuis la créationde la C.D.T., l’U.M.T.n’a jamais voulureconnaître l’existence decette centrale syndicaleconcurrente.

(46) Loi visant laprorogation du délai de laprivatisation, présentéepar le ministre de tutelle,R. Filali (Istiqlâl) etadoptée à la Chambre desreprésentants.

(47) Ces arrêts de travailorganisés dans lesprincipales banques dupays ont été initiés par laC.D.T. Pour laconfédération, il s’agit,d’une part, d’afficher sonimplantation dans le plusimportant bastion dusecteur privé de l’U.M.T.,d’autre part, d’affirmer saforce vis-à-vis du GPBMqui se refuse à reconnaîtrela représentativité dusyndicat dans le secteur,malgré le résultat desélections professionnelles.

(48) In « Sa Majesté leRoi reçoit le bureau de laConfédération généraledes entreprises duMaroc », Discours etinterviews de Sa Majesté leRoi (mars 1995-mars1996), p. 148.

(49) Quotidien Magazine,6/3/1998, p. 34.

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l’évolution socio-politique maghrébine à l’aune de cette typologie,éloignée de la situation maghrébine, et d’en faire la prémisse d’unraisonnement déductif. Ne pas céder aux pièges de la synecdoque et prendreun signe pour un genre. En revanche, je voudrais montrer de quelle façondes acteurs, notamment les pouvoirs publics, s’en saisissent dans un effortde “rationalisation” de la réforme (triangularisation des relationsprofessionnelles, privatisation des négociations, pacification des rapportssociaux, etc.). Et regarder en retour le comportement d’autres acteurs, lessyndicats et le patronat, la façon dont ils s’y conforment ou l’altèrent oule contestent, dans tous les cas se situent par rapport à lui. Les attitudesdu palais sont particulièrement riches d’enseignements puisque tout enencourageant ces discussions tripartites (en les initiant), il continue à jouerentre les divisions des différents groupes, en particulier les syndicats et lespartis politiques, pour s’imposer comme seul arbitre.

La pacification des relations entre les forces de travail et le patronat,mais aussi entre les instances politiques et les structures économiques,s’inscrirait dans cette réorganisation des formes de régulation économiqueet sociale. Alors que les pouvoirs publics les engagent à s’impliquer dansun processus d’institutionnalisation des structures de négociation sociale(cf. infra), les syndicats marocains ont à gérer une situation où, deprincipalement politique, leur champ d’action est attiré vers le pôle del’entreprise (pas forcément de façon exclusive) et de la négociationprofessionnelle.

Privatisation ou normalisation de la régulation sociale ?

« What is missing, in much of the research on economic reform is asocio-economic logic to politics, namely, the recognition that economicagents (both losers and winners) are informed about the distributionalconsequences of government policy and consequently reveal theirpreferences to policymakers. They do this through a range of behaviors,from the purely individual and generally reactive (disinvestment) tothe highly organized and proactive (political pressure) » (Schamis, 1999,241).

La capacité (ou l’incapacité) des élites à réagir aux réformes à l’œuvrerepose à la fois sur des stratégies, mais également sur les possibilités quileur sont offertes, et sur leur interprétation de la situation. Les effets imposésde la réforme (en l’occurrence le “nécessaire” compromis entre les différentspartenaires sociaux) prennent des tours inattendus ou imprévus. L’histoiredu chaotique “dialogue social” dans lequel se sont engagés syndicats etpatronat sous l’arbitrage du ministère de l’Intérieur est de ce point de vueéloquente. Elle appelle, me semble-t-il, une interprétation en nuances. Jemettrais moins l’accent sur les stratégies plus ou moins rationnelles etutilitaires déployées de part et d’autre que sur les “liens entre événements,processus et structures” (Tilly, 1992).

52 Critique économique n° 5 • Printemps 2001

(50) Par exemple : « En fait, il semble bienqu’avec l’avènement del’alternance et de salogique social-démocrate,l’ensemble des Marocainsse soient mis à attendre,plus ou moinsconsciemment,l’instauration d’uneespèce de modèle suédoisdes années cinquante qui,en quelques mois, créeraitune prospéritégénéralisée », inA. Dadès, « Legouvernement à larecherche de la sérénité etd’un nouveau dialoguesocial », la Vieéconomique, 4/12/1998,p. 7.

(51) Pour une analysecritique de leur usage àpropos du monde arabe,voir J. Leca, 1994.

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Les métamorphoses de la question syndicale au Maroc

Critique économique n° 5 • Printemps 2001 53

J’ai déjà eu l’occasion de discuter des caractères néo-corporatistes del’institutionnalisation du “dialogue social” au Maroc (Catusse, 1998). Qu’onm’excuse d’ailleurs de résumer en partie cet article dans les passages quisuivent. L’hypothèse d’une “privatisation des relations sociales” estséduisante dans la mesure où elle rendrait compte des évolutions du marchédu travail et qu’elle appellerait en contrepartie une nouvelle forme decoordination entre les partenaires sociaux (concertation pour la régulationd’intérêts divergents sur le marché). Mais de la même façon que l’analysesuperficielle des procédures de privatisation des entreprises publiques, ellejette en partie l’ombre sur le rôle en amont et en aval de l’Etat, des pouvoirspublics et de l’administration. Il y a d’ailleurs a priori quelquescontradictions entre libéralisme et corporatisme – d’où l’addition du préfixe“néo” (Lehmbruch, 1984) – entre privatisation et néo-corporatisme. La forcedu modèle est pourtant importante : les développements sociologiques etempiriques antérieurs, notamment les expériences sud-américaines (voirpar exemple, Schamis, 1999 ; Snyder, 1999 ; Bunuel, 1991) ne sont passans effets sur la formation d’institutions sociales du marché. Il faudraitmieux lire, dans une perspective comparatiste, les recommandations de laBanque mondiale et du F.M.I. en matière de concertation, de négociationsociale et de vocation des Etats (52). Il faudrait également s’interroger surle rôle de la fondation Ebert. Métamorphose ou habillage, les transformationsdes institutions de régulation sociale peuvent sembler superficielles, et le“dialogue social”, dont j’évoque les principales étapes, prend essentiellementl’allure d’un dialogue de sourds. Pourtant, les tribulations du code du travailpar exemple révèlent les enjeux d’une normalisation du marché du travailet de la formation d’institutions de concertation.

Un dialogue de sourds : les accords du 1er août 1996

Rappelons en quelques mots les étapes de l’institutionnalisation d’undialogue social au Maroc. Le 1er août 1996 à Rabat, les représentants dela C.D.T. et de l’U.G.T.M., le président de la C.G.E.M. et le ministre del’Intérieur signaient une déclaration commune, reproduisant “les pointsqui ont recueilli l’adhésion des différentes parties” et promouvant le “dialoguesocial”. L’U.M.T. adoptait une position critique vis-à-vis de l’accord qu’ellene paraphait pas formellement, tout en participant néanmoins à quelques-unes des réunions et négociations qui l’ont précédé et qui ont suivi (53).Depuis mars 1996, des rencontres entre le patronat et les chefs syndicauxavaient repris, en particulier au siège de la C.G.E.M. Les concertations entreles employeurs, les syndicats ouvriers et les pouvoirs publics s’étaientaccélérées à partir du 3 juin 1996, alors qu’une grève générale était annoncée(et a eu lieu) le 5 juin 1996.

La déclaration du 1er août semble donner satisfaction aux trois parties :La C.G.E.M. y gagnerait son institutionnalisation en tant que partenaire“pertinent” sur la scène nationale mais aussi vis-à-vis des injonctions

(52) Ainsi, le Rapport surle développement dumonde, de la Banquemondiale, 1997,préconise de « Revivifierles institutions »,notamment par le biaisd’une « consultation etun partenariat pluslarge » qui permettrait « à la société civile, auxsyndicats et auxentreprises privéesd’apporter leurcontribution et d’exercerun droit de regard », inBanque mondiale (1997),l’Etat dans un monde enmutation, Rapport sur ledéveloppement dans lemonde, Washington,Oxford University Press.

(53) Les raisons de cerefus sont multiples. Sesdirigeants ont affirmévouloir sauvegarderl’indépendance dessyndicats. Néanmoins,leurs prises de positionssont souventambivalentes : ils sont lesseuls syndicalistes à

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économiques et politiques internationales ; le pouvoir y confirmerait denouvelles assises de sa légitimité, fondées sur la notion de “consensus” ;quant aux syndicats, leur plate-forme est globalement maintenue.L’efficacité et les ressorts de leurs actions dépendent toutefois de leur capacitéà s’inscrire dans ce nouveau schéma de relations et d’alliances socio-politiques(ou à le contester). Avant de suggérer quelques hypothèses sur ce qu’ellenous apprend de la reformulation de la question sociale au Maroc, revenonssur les termes mêmes de l’accord et, avant cela, sur son principal initiateur.

Une initiative royale

Ces accords sanctionnent une dynamique, initiée par les pouvoirs publics,à la tête desquels le Palais, dont les principaux épisodes antérieurs sont :

Le 24 novembre 1994, la création d’un Conseil consultatif de suivi dudialogue social, institution originale, composée de membres du gouvernementet de représentants des organisations professionnelles (54). Le conseil, defait, ne se réunit qu’exceptionnellement, sur invitation royale, à propos deconflits sociaux à “échelle nationale”, tel que la grève de l’Office nationaldes chemins de fer en juin 1995 (Denoeux et Maghraoui, 1998, 126-127).

Plusieurs lettres ou interventions royales telles que la Lettre Royale du17 mars 1994 adressée aux “participants au dialogue social”, le fameuxdiscours à la Nation du 16 mai 1995 ou le discours du Trône du 3 mars1996 où Hassan II appelait à « l’établissement d’un véritable partenariatentre salariés et employeurs pour dépasser la traditionnelle lutte patrons-salariés (55) ». Ce volontarisme clair vise principalement à donner un cadreà des négociations jusqu’alors inexistantes et désamorcer leurs propresrelations conflictuelles avec les syndicats. Il s’adresse tant aux partenairessociaux qu’aux institutions internationales, comme gage de bonne volonté.

54 Critique économique n° 5 • Printemps 2001

refuser le principe d’uneaide étatique auxorganisations ouvrières,mais la plupart de leurslocaux sont des donsétatiques par exemple.Quoi qu’il en soit, cesyndicat continue àgarder une positionextrêmement critique parrapport au “dialoguesocial”.

(54) Dahir n° 1-94-297du 24 novembre 1994.

(55) « Appel Royal à lasolidarité avec le monderural », Discours etinterviews de sa Majesté leRoi (mars 1995-mars1996), p. 103.

Les termes de l’Accord

Schématiquement, la déclaration du 1er août fixe les principes suivants : • Les mécanismes du dialogue et de la négociation collective : l’accent est mis en

particulier sur les conventions collectives, l’une des revendications patronales.• Les questions d’intérêt commun : garantir l’expression des libertés syndicales

au sein de l’entreprise, respecter le droit de grève, d’une part, et, d’autre part,la liberté du travail et l’intégrité de l’entreprise, encourager la conclusion deconventions collectives, repenser la procédure de réconciliation et d’arbitrage,instaurer des relations de coopération et de dialogue direct et permanent (unefois par an) entre employeurs et travailleurs sur les dossiers “d’intérêt commun” :le code du travail, la question de la Caisse nationale de sécurité sociale, etc.,réintégrer et régulariser les personnes licenciées ou suspendues ayantbénéficié de la grâce royale, pour des raisons syndicales (dans le cadre d’unecommission tripartite d’examen et de réconciliation), respecter la représentativitésyndicale dans la négociation.

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Les métamorphoses de la question syndicale au Maroc

La Déclaration commune institue essentiellement des cadres deconcertation sociale : le principe de réunions tripartites régulières est adopté(deux réunions par an). Un comité national de suivi du dialogue social estcréé et divisé en “sous-comités”, tel que le “sous-comité des conflits sociaux”,et en comités régionaux, les “conseils techniques régionaux”administrativement placés sous la présidence du wali de la région. Le principede décentralisation des négociations au niveau sectoriel (notamment pourla discussion sur le niveau des salaires) est avancé. Ceci étant, malgré l’accord,ces négociations sectorielles n’ont toujours pas vu le jour.

Enfin, l’accord insiste sur la nécessité de recourir le plus souvent possibleaux conventions collectives. Ces dernières, instituées en 1958, n’ont été quetrès peu utilisées dans un contexte de face-à-face tendu et intransigeant entre l’Etat et les syndicats, faute de cadre normatif adéquat pour lespromouvoir (56).

En tout état de cause, elle fixe institutionnellement la nouvelleconfiguration dans laquelle devraient désormais s’inscrire les négociationssur les rapports salariaux. Mais les aléas, les vicissitudes et les tribulationsde ces accords depuis qu’ils ont été signés sont aussi importants sinon plusque leur propre histoire.

Un dialogue de sourds ?

De façon générale, le règlement des conflits sociaux dans l’entreprisemarocaine se gère au coup par coup, rarement par le biais du “Conseilconsultatif de suivi du dialogue social” ou des comités locaux ou nationauxde “suivi du dialogue social”.

“Rationnellement” la concertation serait l’attitude la plus judicieuse depart et d’autre. Pourtant le “dialogue social” se manifeste par une série“d’échecs”, dont les partenaires se rejettent la responsabilité. Les discussionsn’avancent guère, les conflits sociaux se multiplient, et leurs résolutionsn’empruntent que très rarement les dispositifs institués. Les décisionsannoncées, telles que la réintégration dans leurs fonctions des licenciés etdes salariés de la fonction publique (souvent des syndicalistes) ne sont passuivies d’effets. Le 3 décembre 1999, la sixième séance du “dialogue social”s’achevait de nouveau sur un constat de fiasco, après le retrait des syndicats.

Critique économique n° 5 • Printemps 2001 55

(56) Depuis le dahir lesinstituant en 1957,l’essentiel desconventions collectives aété signé entre 1957 et1960, presque toujoursau niveau des entreprises(exception faite de laconvention du systèmebancaire, le 21 mai1960). La conjonctureétait exceptionnellepuisque les alliés del’U.M.T., alors syndicatunique, faisaient partiedu gouvernement deA. Ibrahim. Depuis,seulement 13 conventionsont été signées, toujoursen entreprise, et n’ont pastoujours été déposées auxtribunaux ou au ministèredu Travail. Cf. C.N.J.A.,1996, le Dialogue social,Rabat.

• La protection sociale et la couverture sanitaire : veiller à l’extension de la couverturesociale à tous les secteurs et engager une révision des textes.

• Le logement social (par exemple, construire 100 000 logements sociaux avec lacontribution de l’Etat, des collectivités locales, du patronat et des salariés).

• L’amélioration des salaires et des revenus (amélioration du S.M.I.G. et duS.M.A.G.).

• L’emploi (poursuite de l’opération d’insertion des jeunes diplômés, priorité dansl’octroi des marchés publics aux entreprises créant des emplois, renforcementde la formation continue, etc.).

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Outre que les centrales, la C.D.T. en tête, organisent des grèves et des arrêtsde travail (à Royal Air Maroc, à l’Office Chérifien des Phosphates), troisdossiers ne trouvent pas de solution : celui de la promotion interne et dela titularisation des agents temporaires dans la fonction publique(notamment dans l’enseignement), celui du code du travail (El Aoufi, 1996),en préparation depuis des années, mais retiré du Parlement “faute deconsensus” et, dans une moindre mesure, celui de la Caisse nationale desécurité sociale (57). La C.G.E.M. continue à s’y opposer au nom de la“flexibilité de l’emploi”. Si bien que le droit du travail au Maroc reste caducet, à cause de sa complexité et de son inadaptation, souvent inappliqué.

Le gouvernement et son porte-parole (qui fut par ailleurs ministre duDéveloppement social, de la Solidarité, de l’Emploi et de la Formationprofessionnelle sous le gouvernement Youssoufi I) mettent la faute sur laC.D.T., pourtant a priori son principal allié : « Le retrait d’une séance dedialogue social ne constitue nullement une nouveauté. En 1979, à l’époquedu gouvernement de feu M. Bouabid, la C.D.T. s’est retirée d’une réunionde négociations cinq minutes seulement après le début des discussions. Lamême décision a été prise en 1985 et 1990 (58). » Au-delà des motifsconjoncturels de ces polémiques, la question se pose des possibilités de lanégociation. En effet, que ce soit au sein des réunions officielles commelors des rencontres organisées par la fondation F. Ebert (59), les partenairessociaux semblent dans tous les cas camper de façon intransigeante sur despositions qui révèlent des rigidités et des mésententes dogmatiques. Lessignataires de l’accord d’août n’ont pas qu’avalisé une décision politiquequi leur était imposée. Au contraire, leur implication et les stratégies qu’ontdéployées les syndicats ouvriers et patronal donnent la mesure des enjeuxsociaux et politiques d’une telle recomposition, dont le succès (ou plusprécisément les échecs) repose(nt) sur la concertation et l’accord sur les règleset les normes énoncées (60).

Si les préférences qu’ils affichent publiquement vont dans le sens de larecherche d’un compromis, il semble que les motivations et les convictionsde chacun des partenaires, notamment des syndicats, sont plus complexeset clairement moins univoques (Kuran, 1998). Reste à entreprendre uneenquête plus anthropologique sur la question.

Métamorphoses de la question sociale ?

Les enjeux de la conversion de l’action syndicale sont apparus avec acuitéavec la signature de l’Accord du 1er août 1996. Cet événement atteste del’ampleur et de la nature des mutations du syndicalisme au Maroc :confrontées à de nouveaux interlocuteurs et à un nouveau système deréférences, l’efficacité et la légitimité de son action ne peuvent plus reposerseulement sur les justifications et représentations collectives antérieures. Tandisque la réforme de la Constitution en septembre 1996 confortait le principe

56 Critique économique n° 5 • Printemps 2001

(57) Le gouvernement en1996 avait proposé unprojet relatif àl’assurance-maladieobligatoire, où il associaitles entreprises privéesd’assurances au régime decouverture médicale. Ilétait rejeté par lessyndicats, C.D.T. etU.G.T.M., quipréconisent une fusiondes diverses mutuelles etcaisses de couverturesociale. Plus récemment,l’idée d’une “amnistiesociale” est avancée, de lamême manière que dansle domaine des bilanscomptables desentreprises, une amnistie“fiscale” a été négociéeentre le patronat et lespouvoirs publics.L’amnistie socialeconsisterait en uneexemption des dettespour une séried’entreprises, dans un but“d’assainissement”, et demise à zéro descompteurs : lagénéralisation del’assurance maladiepassant d’abord par unapurement des passifs.

(58) Cité dansA. Khamliche, « USFP-CDT : la fracture ? », leJournal, 11-17 décembre1999, p. 13.

(59) La fondation privéeallemande a mis sur pied,depuis 1996, unprogramme-pilote avec laC.G.E.M. et les troisprincipales centrales

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Les métamorphoses de la question syndicale au Maroc

de la représentation professionnelle, l’idéologie semble céder le pas aupragmatisme et au réalisme.

La dépolitisation et la “privatisation” des négociations sociales sont àla fois la raison, le gage et la conséquence de l’implication et de l’apparitiond’autres interlocuteurs et partenaires dans le face-à-face syndicats/pouvoirspublics, pour la gestion des rapports salariaux. Dans ce sens, larecomposition du syndicalisme ouvrier au Maroc est étroitement liée, d’unepart, à la constitution d’une représentation patronale distincte del’administration publique et, d’autre part, de la capacité de l’Etat lui-mêmeà garantir l’application du droit dans un domaine où l’anomie l’emportesur la norme.

L’hypothèse d’une évolution vers le néo-corporatisme accréditerait uneforme de régulation des conflits socio-économiques au sein d’institutionsspécifiques : institutionnalisation au niveau national d’acteurs et de lieuxde la concertation salariale sur un modèle tripolaire ; reconnaissance parchacune des parties d’un intérêt particulier et collectif à la négociation età la régulation sociale ; participation des trois parties à la définition del’agenda et à l’élaboration de politiques publiques, ce qui implique enparticulier que les syndicats ouvriers et patronaux soient suffisammentintégrés dans les organes de décision politique et disposent de ressourcesadéquates afin de faire valoir leurs positions. Mais ses limites sont tout aussiclaires : elles résident essentiellement dans la faiblesse de la définition d’unintérêt commun, compte tenu de l’inégalité des partenaires dans lanégociation. L’idée même de solidarité ou d’incorporation est mise à malpar l’accroissement des inégalités. Enfin, le degré de représentativité dessyndicats ouvriers et patronaux est sûrement insuffisant pour garantirl’application des décisions.

Selon J. Bunuel, « l’illusion corporatiste consiste à croire que les problèmesprofessionnels peuvent être résolus par le seul contrôle du marché du travail,qu’ils relèvent exclusivement de la sphère du privé et qu’ils peuvent et doiventpréserver leur autonomie et échapper à toute emprise de l’Etat et du politique.L’action corporatiste rencontre vite les bornes de son indépendance quandelle n’a pas intégré la conscience politique de ses limites : les intérêtsprofessionnels et économiques ne sont pas séparables des aléas de lacollectivité politique ou nationale au sein de laquelle ils s’expriment (61) ».

Dans une société libérale et salariale, l’intégration et la régulation socialesont idéalement assurées par le marché et l’emploi. Du moment quel’ajustement structurel et la libéralisation de l’économie marocaine setraduisent par une recrudescence du chômage et une dérégulation desrelations sociales, se pose le problème de la socialisation, du rôle de l’Etatet des groupes intermédiaires pour le renforcement du tissu social et pourla prise en charge de tensions. La force des modèles aidant, l’effort derationalisation entrepris tend vers une formule de concertation tripartite.

Critique économique n° 5 • Printemps 2001 57

syndicales afin« d’accompagner lespartenaires sociauxmarocains dans leursefforts pour laconsolidation de laculture du dialogue et enparticulier dans le projetde décentralisation dudialogue social ».L’objectif de ceprogramme est deconfronter, parallèlementaux négociationsofficielles, représentantsdu patronat etreprésentants dessyndicats, dans un souciaffiché de pédagogie, afinde les initier au dialogue.En 1998, la mêmefondation a égalementengagé une collaborationavec le Conseilconsultatif de suivi dudialogue social. Suiviespar deux universitaires,experts de la questionsociale, les rencontres,assez régulières, sedéroulent à huis clos.Elles prennent la formesoit de réunions“techniques”, soit de“séminaires de formationà la concertation sociale”(quatre ont eu lieu entre1997 et 1998 : àMarrakech, à Ifrane, àTanger et à Oujda) dontl’objectif serait de mettreen contact lessyndicalistes et lespatrons locaux, soit,enfin, de visitescollectives en Allemagne(l’une en novembre 1996,l’autre un an plus tard),afin d’y rencontrer desresponsables patronaux etsyndicaux et observer lesdispositifs de laconcertation sociale enAllemagne.

(60) Selon A. Afilal,secrétaire général del’U.G.T.M., le « nouveau

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Mais les réactions des différents acteurs l’enracinent dans un système dereprésentations complexe.

La lente marche du Code du travail vers le Parlement

Les espaces de “zone franche” demeurent et pourraient se développerencore. En effet, ces accords, les dispositions qu’ils prévoient font l’objetde mise en œuvre pour le moins chaotique, sinon vaine. Cette situationde non-droit se conforte, d’une part, des taux de chômage qui grèvent tousrapports de force, d’autre part, de la faible représentativité des syndicatsdans les entreprises [et notamment dans l’ensemble des P.M.E./P.M.I. demoins de 200 employés qui représentent, pour celles qui sont inscrites auxpatentes, 92 % des unités du secteur privé, qui emploient 66 % de la main-d’œuvre (46 % en milieu urbain) et produisent 38 % du P.I.B. Ce sontelles qui sont le plus touchées par les réformes économiques, la perpectivede l’ouverture des frontières, la suppression des protections, des subventions,etc.]. Mais elle est avant tout le fruit d’une absence et d’une obsolescencedu droit. Rappelons que les entreprises de moins de 10 salariés, quireprésentent 62 % des unités déclarées du tissu privé, ne sont pas soumisesau code du travail.

Malgré l’existence de textes, les conflits sociaux sont très rarement portésau tribunal. D’autant que jusqu’à présent, s’il existe un arsenal juridiquepour les licenciements individuels, rien ou presque ne concerne lelicenciement collectif. Les entreprises rétribuent leur personnel généralementen dessous du S.M.I.G. (environ 1 500 Dh/mois, soit 900 francs français).Par ailleurs, le juge est réputé du “côté des travailleurs”, notamment pourles affaires de licenciement. Le patronat accuse en conséquence la législationde décourager l’investissement et plaide pour plus de flexibilité. En réalité,le tableau 3 décrit une situation plus équilibrée, où les réclamations sontà moitié satisfaites.

Dès juin 1993, après un rapport de la Banque mondiale mettant l’accentsur les retards juridiques du Royaume (62), le Roi Hassan II évoquait, dansune Lettre Royale au Premier ministre, la « nécessité de doter le Maroc d’unEtat de droit pour les affaires ». Effectivement, à partir de 1995, une vasteréforme est entreprise en matière de législation économique (Catusse, 2000 a).Tandis que cette normalisation est menée rapidement et ostensiblement,non sans polémiques et frictions (Catusse, 2000 b), son pendant socialtrébuche. La refonte du code du travail (dont la version actuelle date duprotectorat) n’arrive pas à susciter de compromis, et elle met à jour la chimèred’un “consensus social”.

Le secrétaire général de l’U.M.T. rappelle « qu’on ne légifère pas le socialen période de récession (63) ». Aux yeux d’un autre responsable syndical,« le Maroc a certainement besoin d’un coup de torchon libéral. Mais si cecoup de torchon se double de la revanche historique du patronat persuadéqu’il peut enfin tout se permettre parce qu’il n’a pas plus peur du grand

rôle de l’Etat doit êtrefocalisé sur la veille surl’intérêt social supérieur.Par ailleurs, il doitvaloriser les institutionsreprésentatives destravailleurs et desemployeurs pour en fairedes interlocuteursauthentiques et favoriserla communication entreeux », quant auxsyndicats, ils doivent« s’abstenir de recourir àdes actes extrêmes(grèves) lorsque lesemployeurs manifestentleur volonté de dialogueret de négocier ». A. Afilal,« Etat, patronat,syndicat : les nouveauxrôles », l’Economiste,25/1/1995.

(61) J. Bunuel, 1991, 12.

(62) Rapport sur « Ledéveloppement del’industrie privée auMaroc » rendu public enseptembre 1993

(63) Cité dans A. El Amrani,« Chronique d’unconsensus aux forceps »,

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Les métamorphoses de la question syndicale au Maroc

soir, des syndicats et des partis progressistes, alors le temps de la hainereviendra vite (64) ». Dans l’état actuel, la balance effectivement pèse enfaveur des revendications patronales, regroupées autour du thème de la“flexibilité de l’emploi”. Que le code du travail devrait assurer pour les uns,limiter pour les autres.

Les points de la discorde à propos du projet de loi n° 65/99 relatif aucode du travail que Khalid Alioua, ex-ministre du Développement social,de la Solidarité, de l’Emploi et de la Formation professionnelle, proposeaux partenaires sociaux sont nombreux. De façon rapide et synthétique,ils portent sur la réglementation de la grève ; sur la suppression del’autorisation préalable du gouverneur en matière de compression dupersonnel et de licenciement collectif ; sur la réduction de la durée du travailen période de difficulté ; sur la personne qualifiée pour la conciliation etl’arbitrage (inspection du travail, commissions régionales et nationales deconciliation) ; sur le développement d’agences privées de recrutement etd’intérim. Autrement dit, sur des pans entiers de la législation. Quels quesoient les motifs de ces désaccords et résistances, personnelles, stratégiques,idéologiques, ils illustrent l’ampleur de la métamorphose que synthétiseraitl’adoption d’un code du travail, à la suite de la signature des Accords du1er août 1996 et parallèlement à la construction d’une économie de marché.

La question de l’élaboration du Code du travail mérite à elle seule uneétude. L’imprécision sur son état d’avancement est significatif de ce qui sejoue. Certains mettent l’accent sur ce qui a été avalisé par les différentesparties, les autres insistant à l’inverse sur les impasses. Quoi qu’il en soit,cette législation, qui finira par être votée, procède d’une normalisation donton peut s’interroger sur la validité, compte tenu des remarques précédentessur l’effectivité du droit. Mais elle émane également d’une conceptionmarchande des relations salariales, favorisant avant tout la flexibilité del’emploi.

Les aléas du code du travail révèlent ainsi ce que R. Castel décrit commeun « ensemble intégré de conditions sociales inégales, mais interdépendantes »(Castel, 1995, 278). Les recompositions du syndicalisme se jouent, entreautres, dans la définition et la réglementation de ces techniques et de cesmécanismes qui organisent, en dernier ressort, non seulement la régulationsalariale mais, au-delà, un type de gouvernement des hommes etd’ordonnancement social.

Conclusion

En 1997, une polémique éclatait à la suite de la parution de “chiffresaccablants” sur la pauvreté dans le pays. Analystes, journalistes,commentateurs, chefs d’entreprises, hommes politiques, semblaientdécouvrir l’état social du Royaume à travers ces tableaux produits par leCentre d’études et de recherches démographiques du ministère de laPopulation (65). Selon ces chiffres officiels, un Marocain sur deux vivrait

la Gazette du Maroc,5 août 1998, p. 6.

(64) Ibidem.

(65) CERED, Enquête

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Myriam Catusse

avec 209 à 501 dirhams par mois (soit 120 à 300 francs français). UnMarocain sur cinq, soit 19 % de la population, vivrait en dessous du seuilde pauvreté (établi à 313 Dh par mois), alors qu’ils n’étaient, selon la directionde la statistique que 13,1 % en 1990-1991. Et 5,4 % des Marocains seraient“marginalisés”, avec une dépense inférieure aux deux-tiers du seuil depauvreté. Ces “pauvres” sans emploi vivraient pour les deux-tiers en milieuurbain. Les démographes ont l’habitude de réfléchir sur la production deces chiffres (66). Au-delà des débats qu’ils peuvent susciter, ils recadrent,me semble-t-il, brutalement le débat. L’ajustement structurel s’accompagnede la promotion sociale et politique d’une nouvelle catégorie d’acteurs, lesentrepreneurs, dont il faut regarder en nuance la formation, contradictoireplus qu’univoque. Il s’assortit également sinon de “nouvelles” formes depauvreté, du moins d’une paupérisation accrue, d’une dégradationsignificative des conditions de vie, dont le développement des bidonvilles,à la périphérie et parfois même au centre des villes, est l’un des symptômes.Les systèmes d’assurance privés ou publics semblent fragiles, et la protectionsociale ne bénéficie qu’à une part infime de la population (3,5 millions depersonnes, officiellement). Les performances sont médiocres en termes detransferts sociaux : les transferts destinés aux pauvres ne dépasseraient pas1,5 % du Produit intérieur brut. L’Etat développementaliste (tout commeles Etats-providence) montre là ses limites. Plus qu’une remise en cause decompromis sociaux antérieurs, les transformations actuelles du marché dutravail dans un Maroc soumis à l’ajustement structurel et aux impératifsrelatifs à la perspective de l’intégration dans une zone de libre-échange avecl’Union européenne mettent à jour des contradictions entre des syndicatscentralisés, hyper-politisés et instruments de luttes intestines et l’imminencede problèmes sociaux et économiques de grande échelle qui appellentl’invention de formes de régulation. Or, à présent, la mobilisation d’unesolidarité nationale à l’égard de la pauvreté est principalement le faitd’organismes non gouvernementaux privés, à la tête desquels la FondationMohamed V, institutions placées, au nom de la bienfaisance, voire dumécénat, sous la protection du souverain lui-même. Là résident les germesessentiels de la définition d’une nouvelle question sociale. Le rapport au travailévolue nécessairement dans ce contexte. La définition (et le décompte) d’une“classe ouvrière” relève d’un travail politique, au carrefour de conditionsobjectives et de représentations collectives, savantes ou plus idéologiques.C’est dans ce contexte, dans son rapport au social, qu’il faut saisir lesprincipales recompositions du mouvement ouvrier marocain, etparticulièrement du syndicalisme. La désocialisation apparente du marchédu travail ne serait-elle pas le sommet d’une vague dont les creux serait àl’inverse une politisation accrue de l’économie ?

« Populations vulnérables,profil socio-démographique etrépartition spatiale »,1997.

(66) Par exemple, lenombre des très pauvres,c’est-à-dire des personnesprivées de toutepossibilité d’améliorerleurs conditions de vie estde 50 % au Maroc, selonle Programme desNations-unies pour leDéveloppement(PNUD), contre 13 %pour la Banque mondialequi ne mesure la pauvretéqu’à partir du revenu.

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Les métamorphoses de la question syndicale au Maroc

Annexes

Critique économique n° 5 • Printemps 2001 65

Tableau 1Evolution des conflits sans grève depuis 1990

(secteurs industriel, commercial, agricole et des services)

Source : Direction de l’Emploi.

Années

Grèves évitées

Nombre Nombre de conflits Effectifs globauxd’établissements et

d’exploitations

1990 510 764 59 720

1991 660 931 68 603

1992 602 853 64 603

1993 719 1 023 71 912

1994 783 1 121 73 760

1995 759 1 144 70 530

1996 817 1 215 81 012

1997 705 1 022 65 570

1998 879 1 454 97 532

1999 893 1 153 97 836

Tableau 2Evolution des grèves déclenchées depuis 1990

(secteurs industriels, commercial, agricole et des services)

Source : Direction de l’Emploi.

Année

Grèves déclenchées

NombreNombre de Effectifs Effectifs

Nombre ded’établissements

grèves grévistes globauxjournées

et d’exploitations perdues

1990 141 228 20 920 37 263 193 240

1991 299 409 28 779 48 442 28 905

1992 307 417 30 248 51 840 338 768

1993 416 613 44 098 81 440 465 637

1994 274 388 31 962 59 662 504 750

1995 251 337 26 061 47 457 182 444

1996 244 344 29 403 54 926 353 884

1997 278 370 27 803 47 828 231 459

1998 292 403 42 531 84 704 386 303,5

1999 335 492 43 293 73 412 455 831

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66 Critique économique n° 5 • Printemps 2001

Tableau 3Evolution des conflits individuels depuis 1990

(secteurs industriel, commercial, agricole et des services)

Source : Direction de l’Emploi.

AnnéeConflits individuels

Nombre de Nombre total Réclamations Ouvriersconflits de réclamations satisfaites réintégrés

1990 28 806 52 857 36 524 3 785

1991 33 051 61 877 42 997 3 819

1992 35 006 67 219 45 111 3 908

1993 36 499 70 837 44 793 4 373

1994 36 957 71 104 44 705 5 168

1995 37 545 75 158 44 403 4 918

1996 36 686 72 370 45 263 4 452

1997 33 715 65 279 37 932 4 289

1998 39 015 79 402 53 963 5 539

1999 42 048 85 925 48 944 6 112

Tableau 4Chômage urbain en fonction de l’âge et du niveau

d’instruction pour le 4e trimestre 1997

Source : Direction de la statistique, Enquête « Activité, emploi, chômage », 1997.(1) Niveau moyen : certificat de l’enseignement fondamental, diplôme de qualification ou despécialisation professionnelle(2) Niveau supérieur : baccalauréat, diplôme de cadres moyens et diplôme de formation supérieure.

Age

Niveau du diplôme

Sans diplôme Niveau moyen Niveau supérieur (2)(en %) (1) (%) (en %)

15-24 ans 17,3 39,9 64,9

25-34 ans 13,3 28,8 38,1

35-44 ans 6,0 10,2 5,6

45 ans et plus 3,2 6,1 0,3

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Les métamorphoses de la question syndicale au Maroc

Critique économique n° 5 • Printemps 2001 67

Tableau 5Coûts de main-d’œuvre 1993

(coûts horaires toutes charges comprises)

Source : Rapport de la commission d’enquête sur la délocalisation à l’étranger d’activités économiquesfrançaises. Cité par N. el Aoufi, 1998, 38.

PaysSalaire horaire Cadre ou Agent de Ouvrier qualifié

minimum équivalent maîtrise ou ou équivalentéquivalent

Maroc 5,3 49,0 16,4 10,0

Tunisie 60,0 37,0 18,0 15,0

Hongrie 5,0 35,0 25,0 15,0

Ex-Tchécoslovaquie 3,5 44,0 19,8 11,0

Pologne 2,5 13,0 5,5 5,0