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Les nécessaires mutations du
Contrôle de Gestion au travers du
Management coût-qualité-délai :
Vers le Pilotage des Performances ?
Claude FIORE
Professeur
Aix-Marseille Université
Centre de Recherche sur le Transport et la Logistique (CRET-LOG)
Claude FIORE 138
Dossiers de Recherches en Economie et Gestion : Numéro spécial : Décembre 2014
Résumé :
Le Contrôle de Gestion, en tant que système d’évaluation et de calcul des
coûts, fait face à des nécessaires mutations afin de s’adapter aux exigences des
structures interactives de réseaux d’entreprises. Cette communication
s’intéressera aux facteurs facilitant et/ou freinant cette mutation du Contrôle de
Gestion. Pour ce faire, nous prendrons le cas du Supply Chain Management
comme cadre de ces évolutions du Contrôle de Gestion. Puis, nous tenterons
d’analyser la pertinence du passage du Contrôle de Gestion vers le Pilotage des
Performances, en posant la question de leur divergence et de leur
complémentarité. Cette question portera notamment sur les impacts en matière
de comportements des acteurs ainsi que sur les outils utilisés.
Mots clés : Contrôle de Gestion, Supply Chain Management, Pilotage des
Performances, Leviers d’actions, Tableaux de Bord.
The necessary changes of The Management Control System through the
management of cost-quality-delay : towards the Performance Management
System.
Abstract:
The Management control, as system of evaluation and calculation of the
costs, faced necessary transformations to adapt itself to the requirements of the
interactive structures of networks of companies. This communication will be
interested in factors facilitating and/or slowing down this transformation of the
Management control. To do it, we shall take the case of the Supply Chain
Management as frame of these evolutions of the Management control. Then, we
shall try to analyze the relevance of the passage from the Management control
system towards the Performance Management System, by raising the question of
their difference and their complementarity. This question will concern in
particular the impacts regarding behavior of the actors as well as the used tools.
Key words: Management Control System, Supply Chain Management,
Performance Management System, Key Drivers, Dashboard.
Les nécessaires mutations du Contrôle de Gestion … 139
Introduction
L’environnement concurrentiel croissant auquel font face les entreprises a
conduit ces dernières à mieux maîtriser leurs flux aval et amont. Elles ont donc
construit de véritables processus transverses au moyen de la Qualité, de la
Logistique, de la Supply Chain, en vue à la fois d’anticiper sur les attentes de leurs
clients et de pouvoir faire preuve de réactivité lors de séquences de crises
conjoncturelles.
Ce nouveau type d’organisation, alliant coordinations verticale et
horizontale, pose la question des mutations du Contrôle de Gestion :
Quel positionnement dans l’organigramme d’une entreprise ?
Quelles missions sont et seront confiées au Contrôle de Gestion ?
Quel degré de granularité pour la prise d’informations le Contrôle de
Gestion devra t’il prendre en compte ?
L’objet de cette communication est donc de tenter d’identifier des pistes de
réponses à ces questions. A cette fin, il sera, dans un premier temps, fait état des
évolutions organisationnelles conduisant à l’élaboration de processus transverses
aux entreprises et entre parties prenantes. Cette présentation sera structurée au
travers du triptyque coût-qualité-délai, ce qui permettra de mettre en exergue les
enjeux vis-à-vis du Contrôle de Gestion.
Dans une deuxième partie, la question des enjeux posés au Contrôle de
Gestion sera traitée notamment dans le cadre d’une nécessaire intégration du
Pilotage des Performances. Quelle différence entre le Contrôle de Gestion et le
Pilotage des Performances ? Quelles sont les logiques d’acteurs que l’on peut
observer au sein des organisations d’entreprises et inter-entreprises ?
Il sera alors temps d’interroger, au travers d’un certain nombre de cas
d’entreprises et d’organisations, la pérennité des nouveaux dispositifs observés
induisant par là même de profondes mutations du Contrôle de Gestion telles que :
→ Le contrôle et le pilotage de l’ajout de valeur et des coûts au
niveau processus, visant à une mesure de la contribution de chacun des
acteurs.
→ Les contraintes nouvelles en termes d’emboîtement des différents
types de tableaux de bord, tant sur les plans vertical qu’horizontal.
Claude FIORE 140
Dossiers de Recherches en Economie et Gestion : Numéro spécial : Décembre 2014
Ce travail exploratoire se situe dans une posture interprétativiste et
s’appuie à la fois sur une revue de littérature et une observation qualitative de
pratiques d’entreprises et d’organisations. Nous partons donc d’une double
question de recherche portant à la fois sur les positionnements respectifs du
Contrôle de Gestion et du Pilotage des Performances, et sur les facteurs facilitant
ou freinant ces positionnements ainsi que de leur rapprochement.
1. Définition et positionnement du Contrôle de Gestion dans des
structures classiques d’entreprises et d’organisations.
Depuis les premières définitions du Contrôle de Gestion (Anthony, 1965),
présentait le contrôle de gestion comme le processus par lequel les managers
s’assurent que les ressources sont obtenues et utilisées avec efficacité et
efficience dans l’accomplissement des objectifs de l’organisation. Il affinera,
ensuite, cette définition en faisant de manière explicite le lien entre contrôle de
gestion et stratégie dans la mesure où il indique que le contrôle de gestion est le
processus par lequel les managers influencent d’autres membres de l’organisation
pour appliquer les stratégies.
Cette conception (Anthony, 1965) du contrôle induit deux types de
mécanismes :
→ un mécanisme de coordination de la décision qui cherche à
rendre le système plus
performant par une meilleure coordination des processus
d’allocation des ressources.
→ un mécanisme d’animation qui a pour objectif d’agir sur les
comportements des acteurs dans le sens attendu par l’organisation. Il
concerne les aspects humains (motivation, rétributions, incitations,
apprentissage, culture...).
Le concept de contrôle de gestion a beaucoup évolué au cours de ces
dernières années. Le contrôle de gestion peut se définir comme un processus
d’aide à la décision permettant une intervention avant, pendant et après l’action.
C’est un système global d’information interne à l’entreprise qui permet la
centralisation, la synthèse et l’interprétation de l’ensemble des données figurant
les performances de chacune des activités ou fonctions de l’entreprise. Outre le
fait qu’il contribue à la fois à la reconfiguration dans la cohérence de l’entreprise,
le contrôle de gestion remplit une fonction d’interface, notamment en donnant
Les nécessaires mutations du Contrôle de Gestion
des éléments d’arbitrage entre le référentiel interne et le marché.
Figure n°1 : La double inter
Source : Elaboration personnelle.
En ce sens, le contrôle de gestion doit exercer une double interface
horizontale (marché-entreprise) et verticale (stratégie
→ Le contrôle de gestion porte la stratégie de
des managers en termes du suivi Valeur Prix/Coûts en tenant compte des
effets de la concurrence.
→ Il doit par la suite vérifier que la valorisation stratégique est bien
au niveau des cibles fixées et que les coûts réels correspondent aux
estimés.
Comment mettre en pratique cette double interface
H. BOUQUIN (2011) identifie pour cela trois niveaux de mesure des
performances ciblées, l’économie, l’efficacité et l’efficience
Les nécessaires mutations du Contrôle de Gestion … 141
des éléments d’arbitrage entre le référentiel interne et le marché.
: La double interface du Contrôle de Gestion.
: Elaboration personnelle.
En ce sens, le contrôle de gestion doit exercer une double interface
entreprise) et verticale (stratégie-opérationnel) :
Le contrôle de gestion porte la stratégie de l’entreprise auprès
des managers en termes du suivi Valeur Prix/Coûts en tenant compte des
Il doit par la suite vérifier que la valorisation stratégique est bien
au niveau des cibles fixées et que les coûts réels correspondent aux coûts
Comment mettre en pratique cette double interface ?
H. BOUQUIN (2011) identifie pour cela trois niveaux de mesure des
performances ciblées, l’économie, l’efficacité et l’efficience :
Claude FIORE 142
Dossiers de Recherches en Economie et Gestion : Numéro spécial : Décembre 2014
→ L’économie est le fait de se procurer au juste coût les ressources
nécessaires.
→ l’efficacité est la capacité à atteindre les objectifs fixés
→ L’efficience la capacité à les atteindre en consommant les
moyens prévus.
Ces trois niveaux de performances doivent être croisés avec trois dispositifs
de contrôle de gestion :
→ Le contrôle stratégique
→ Le contrôle de gestion proprement dit
→ Le contrôle d’exécution ou opérationnel.
Figure n°2 : Les interfaces de Gestion
Source : D’après H. BOUQUIN, Le contrôle de gestion, PUF - Paris, 1998.
Au niveau des décisions stratégiques, il s’agit de fixer les objectifs respectifs
en termes d’efficacité, d’efficience et d’économie des ressources.
Le contrôle de gestion a en charge le suivi de l’atteinte ou pas des objectifs
stratégiques pour chacun des critères de performances. Enfin, le contrôle
d’exécution met en œuvre chacune des décisions prises au niveau stratégique en
concertation avec le contrôle de gestion.
Les nécessaires mutations du Contrôle de Gestion … 143
C’est dire qu’une forte collaboration entre les différents niveaux d’une
structure d’entreprise est nécessaire sans laquelle les trois types de contrôle
deviennent inopérants les uns vis-à-vis des autres. Or, cette coordination entre les
trois types de contrôle interne à une entreprise ou organisation peut elle être
conciliée avec les exigences du marché, qui se traduit par une multiplication des
acteurs le long d’une Supply Chain ou de processus conduisant à la satisfaction
des clients ?
Poser cette question revient à émettre l’hypothèse de la contingence
(Malmi, Brown, 2008) des organisations du Contrôle de Gestion propre à chaque
entreprise. Car, ce dernier a pour rôle de faire converger les comportements des
acteurs vers l’atteinte des objectifs stratégiques fixés par la direction d’une
entreprise (Bouquin, 2011).
Peut on considérer que les acteurs d’un processus clients ou d’une Supply
Chain ont tous la même stratégie de valorisation, en cohérence les uns avec les
autres ?
Afin de tenter de vérifier cette hypothèse, nous allons faire un détour par
les nouvelles pratiques d’entreprises mises en œuvre dans le cadre des Supply
Chain.
2. L’impact des organisations en Supply Chain sur le Contrôle de Gestion.
Martin Christopher (2005), définit une chaîne logistique comme le réseau
d’entreprises qui participent, en amont et en aval, aux différents processus et
activités qui créent de la valeur sous forme de produits et de services apportés au
consommateur final. C’est dire que des services internes à des entreprises
apparaissent dans une Supply Chain (Achats, Commercial, Qualité..), qui n’étaient
pas présents au sein d’une chaîne logistique.
Deux mots clés émergent de cette définition et de toutes les suivantes,
postérieures chronologiquement :
→ Le pilotage ou le management des processus, qui conduit à une
intégration progressive des opérations et des activités.
→ La création de valeur, qui place les entreprises en situation de
pilotage de leur valeur produite par la concurrence des marchés (la valeur
client définie comme le rapport entre le niveau de satisfaction apporté
aux clients et le prix d’acquisition des biens ou services).
Claude FIORE
Dossiers de Recherches en Economie et Gestion
Figure n° 3 : Les processus de la Supply Chain.
La plus grande multiplicité des acteurs internes et externes, par rapport à
une chaîne logistique, induit une nouvelle forme de coordination des activités, le
Supply Chain Management (SCM). Ce dernier constitue une gestion transverse
des flux et génère des interactions entre différents acteurs, selon la définition de
Tarondeau et Wright (1995) comme « la recomposition de l’entreprise par flux et
par processus plutôt que par fonction».
Le SCM se différencie de la logistique intégrée en ce qu’il constitue un
management du canal de distribution, fondé, à partir des décisions stratégiques, à
orienter les performances logistiques non seulement vers la satisfaction des
clients, mais aussi comme autant de leviers d’actions de la création de valeur.
Pour ce faire, il a besoin de mutualiser l’ensemble des ressources, internes et
externes (fournisseurs), gage d’une plus grande efficience (actions sur les
variations des coûts), afin de faire coïncider le plus possible valeur produite et
valeur vendue et ainsi optimiser la rentabilité de chaque entreprise, membre de
cette nouvelle communauté qu’est le SCM.
Le tableau suivant met en exergue les principales différences entre les
chaînes logistiques et le SCM.
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Dossiers de Recherches en Economie et Gestion : Numéro spécial : Décembre 2014
: Les processus de la Supply Chain.
La plus grande multiplicité des acteurs internes et externes, par rapport à
une chaîne logistique, induit une nouvelle forme de coordination des activités, le
Ce dernier constitue une gestion transverse
s interactions entre différents acteurs, selon la définition de
Tarondeau et Wright (1995) comme « la recomposition de l’entreprise par flux et
par processus plutôt que par fonction».
Le SCM se différencie de la logistique intégrée en ce qu’il constitue un
management du canal de distribution, fondé, à partir des décisions stratégiques, à
orienter les performances logistiques non seulement vers la satisfaction des
clients, mais aussi comme autant de leviers d’actions de la création de valeur.
il a besoin de mutualiser l’ensemble des ressources, internes et
externes (fournisseurs), gage d’une plus grande efficience (actions sur les
variations des coûts), afin de faire coïncider le plus possible valeur produite et
la rentabilité de chaque entreprise, membre de
cette nouvelle communauté qu’est le SCM.
Le tableau suivant met en exergue les principales différences entre les
Les nécessaires mutations du Contrôle de Gestion … 145
Tableau n° 1 : les différences entre Chaînes Logistiques et SCM.
Chaînes Logistiques Supply Chain Management
Processus séquentiels portant sur le
pilotage des flux et des stocks
Plateaux matriciels combinant
l’efficacité au moyen de processus
clients & l’efficience au moyen de
processus ressources
Relations bilatérales entre un donneur
d’ordres et un fournisseur
Relations complexes entre des
entreprises en position de clients et de
prestataires ressources
Actions sur les coûts des flux et des
stocks
(Coûts cibles en proportion d’une
marge cible)
Actions sur la valeur produite et la
valeur vendue
(actions simultanées sur les prix, la
marge et le montant des actifs)
Trois axes caractérisent les différences entre les Chaînes Logistiques et le
SCM :
1. L’émergence de structures d’organisations matricielles reliant la
conduite horizontale des performances (Efficacité) et verticale
(Efficience). Ce qui nécessite de nouvelles formes de coordination entre
directions d’entreprises et managers opérationnels. Cela ne peut se faire
sans une implémentation des pratiques et procédures du Contrôle de
Gestion à l’ensemble des services et fonctions d’entreprises et du SCM.
2. La multiplicité croissante des acteurs au sein d’un SCM accroît la
complexité des relations entre acteurs non seulement internes à chacun
des acteurs du SCM, mais aussi et surtout entre les services des différents
acteurs de ce SCM avec l’intégration des achats, du commercial et de bien
d‘autres fonctions, qui n’étaient pas présentes dans les chaînes
logistiques.
3. Il ne s’agit plus seulement de maîtriser les coûts logistiques, mais
d’agir sur la création de valeur au moyen d’interactions directes entre le
pilotage, nous en donnerons la définition plus loin, opérationnel et celui
financier. En ce sens, la conduite, le pilotage, de la valeur vendue induit
Claude FIORE 146
Dossiers de Recherches en Economie et Gestion : Numéro spécial : Décembre 2014
des mutations dans les pratiques ainsi que dans le positionnement du
Contrôle de Gestion.
Le passage des Chaînes Logistiques au SCM ne peut être effectif sans une
mise en pratique du Management de la complexité (Bouchard, Picq, 2005). Cela
consiste en une non linéarité des liens entre acteurs du SCM, autrement dit la
substitution de la bilatéralité des relations entre acteurs par une multi-latéralité
de ces relations. Ce qui engendre l’auto organisation dans la conduite des
activités, c’est-à-dire la capacité de reconfigurer ces activités sans une
intervention extérieure.
Ces deux caractéristiques du management de la complexité ont un impact
fort sur les pratiques d’évaluation et de mesures des performances au sein d’un
SCM. Il n’est plus question d’une conduite des performances, soit par un Contrôle
de Gestion centralisé, ou bien par les managers opérationnels. L’élargissement
des pratiques et des outils du Contrôle de Gestion, ainsi que leurs modifications
aux fins d’une appropriation par les Managers opérationnels devient une
nécessité en vue de faire face à cette complexité croissante des Supply Chain.
3. Du Contrôle de Gestion au Pilotage des Performances.
Ces changements continus conduisent à rechercher de nouvelles
cohérences dans la conduite d’une entreprise, de nouvelles formes de
gouvernance, au cœur desquelles on identifie une participation accrue des middle
managers (MM) au pilotage stratégique. Le MM est de plus en plus présenté
comme un véritable acteur de la stratégie, ou du moins comme un acteur clé
devant contribuer à la mise en œuvre de la stratégie (Balogun et Johnson, 2004,
Wooldridge et al, 2008). Parmi l’ensemble de ses missions, le MM doit contribuer
à la création de valeur et piloter la performance de son ou de ses équipes. Il
devient ainsi porteur de la mise en œuvre de la stratégie dans l’opérationnel
logistique. Si la vitesse de conception et de déploiement des initiatives
stratégiques devient le critère majeur de la conduite d’une entreprise, quelles
capacités d’action les managers intermédiaires doivent-ils mettre en œuvre ?
Le MM se doit de contribuer activement au pilotage de la performance de
la chaîne logistique. Cette performance repose sur deux facteurs importants qui
peuvent apparaître comme contradictoires.
Les nécessaires mutations du Contrôle de Gestion … 147
Tout d’abord, l’efficacité clients exige un pilotage transverse entre acteurs
de la Supply Chain, notamment par le biais de processus collaboratifs (CPFR, GPA,
Flow Casting…). Le MM logisticien va alors jouer un rôle d’interface entre acteurs
de la supply chain (Fulconis et Paché, 2005), et résoudre en toute autonomie,
quantités de dysfonctionnements liés aux aléas des pilotages de flux (problèmes
techniques, commandes aléatoires des clients, management des hommes).
Par ailleurs, les exigences de rentabilité de chaque entreprise de la chaîne
nécessitent un renforcement des liens hiérarchiques. Par conséquent, les tâches
de reporting prennent le pas sur celles de pilotage dans les activités logistiques.
Cette ambivalence entre autonomie et contrôle n’est pas nouvelle dans les
théories des organisations, ce qui est nouveau c’est les conditions dans lesquelles
elles s’exercent ; des temps de plus en plus réduits, dans des contextes inter-
organisationnels, qui mettent les MM dans des postures particulièrement difficiles
à tenir (voir par exemple Camman et Livolsi, 2007, à propos des Managers
intermédiaires dans le contexte des prestataires de services logistiques).
Il semble alors indispensable de s’interroger sur le rôle et la place de ces
acteurs dans le contexte logistique. Plus généralement, Besson et Mahieu (2008)
soulignent la nécessaire redéfinition de l’engagement du manager intermédiaire
dans le processus stratégique, en tant « qu’acteur pivot des organisations post-
bureaucratiques ». Dans ce nouveau contexte organisationnel qui place la valeur
au cœur des préoccupations de la performance, il a pour rôle de déceler, évaluer
et mettre en œuvre des opportunités de création de valeur en jouant
simultanément sur le double registre de la création d’offre et de l’économie des
ressources (Besson et Mahieu, 2008).
Or, quelles peuvent être les modifications à apporter au Contrôle de
Gestion en rapport de cette complexité croissante des Supply Chain ? Un système
de contrôle est assimilé à un système d’assurance qualité des décisions
comportant deux objectifs, une évaluation de la performance (en terme
d’efficience et d’efficacité) et un repérage et une réduction des
dysfonctionnements.
Ce qui signifie que ce système de Contrôle de Gestion est axé sur deux
critères : la décision et la mesure. Autant le Contrôle de Gestion se focalise sur la
mesure, autant le SCM induit la prise de décisions dans des laps de temps très
courts, ce qui nous renvoie au triptyque coût-délai-qualité. Il nous faut donc
Claude FIORE 148
Dossiers de Recherches en Economie et Gestion : Numéro spécial : Décembre 2014
prendre en compte cette dualité permanente entre la prise de décisions/la
mesure des performances au niveau de toutes les strates horizontales et
verticales d’une Supply Chain. Autrement dit chaque acteur de ce SCM doit en
permanence :
→ savoir interpréter un objectif,
→ identifier les leviers d’actions afin d’atteindre cet objectif
→ rechercher les indicateurs mesurant les performances par
rapport aux cibles fixées.
En conséquence, il ne saurait être question de limiter au seul périmètre du
Contrôle de Gestion dans le cadre d’un SCM. Il devient nécessaire d’y adjoindre le
pilotage des performances par les managers opérationnels, les MM, ainsi que par
les contrôleurs de gestion.
Comment définir ce pilotage des performances ? Le Pilotage consiste à
mesurer en tendances les évolutions des performances, ce qui nécessite d’être
proactif, donc de se projeter vers l’avant et non pas mesurer ce qui vient de se
passer. Il s’agit aussi d’identifier les leviers d’actions permettant d’atteindre les
cibles de performances, le tout synthétisé par la figure suivante.
Figure n° 4 : Le pilotage des performances dans le cadre du SCM
Elaboration personnelle
Objectifs Indicateurs de pilotage
Leviers d’Actions
2. Positionnement clients (niveau de service,
productivité)
1. Analyse du marché (Attentes clients, réponses
concurrence)
3. Actions sur les prix de
marché (niveau de service,
productivité)
4. Coût de revient 5. Marge ?
Les nécessaires mutations du Contrôle de Gestion … 149
Ce schéma montre que le pilotage constitue un processus en boucle
fermée, faisant intervenir l’ensemble des responsables d’une entreprise et a
fortiori l’ensemble des acteurs d’un SCM. Or, si l’on considère que les
performances constituent à la fois un ensemble de processus et de résultats
(atteinte de cibles ou d’objectifs), il apparaît alors que la réussite de ces processus
ne peut être effective sans cette double pratique de prises de décisions/mesure à
chaque échelon (horizontal et vertical) du SCM. Cela sera le cas pour l’analyse du
marché (attentes clients et offres concurrentes), pour choisir le positionnement
clients en termes de qualité de service et de productivité, qui induiront une
stratégie de valorisation (du prix de marché à la marge) pour chacun des acteurs
du SCM. Ce qui a pour conséquence majeure d’inverser la hiérarchie des deux
composantes du paradigme du Contrôle de Gestion, la prise de décisions prenant
le pas sur la mesure. Ce qui se traduit par la recherche préalable de leviers
d’actions, afin de répondre aux objectifs, avant de fixer les indicateurs propres à
chaque tableau de bord.
Qu’est ce qu’un levier d’actions ? Les leviers d’actions sont les principaux
paramètres permettant d’atteindre les objectifs. Ce sont les éléments critiques de
gestion, les principaux chemins qui mènent aux résultats. Un levier d’actions doit
être contrôlable et avoir une relation de cause à effet avec l’objectif recherché. En
ce sens, la responsabilité est donnée aux différents acteurs de l’entreprise
(chacun à son niveau hiérarchique) concernés par les grilles d’objectifs et par les
variables d’action.
Cela nous conduit à poser ces deux questions :
→ Comment prendre une décision sans une appropriation des
logiques de valorisation de tel ou tel service, de telle ou telle activité ?
→ Comment rendre cohérentes ces différentes prises de décisions
entre chacun des maillons ou échelons d’un SCM ?
Afin de tenter de répondre à la première question, il sera fait appel à la
revue de la littérature portant sur le passage du Contrôle au Pilotage. Concernant
le passage du contrôle au pilotage, Lorino (1995) souligne que « le passage du
contrôle au pilotage se traduit par un basculement connexe et simultané : du
paradigme de la mesure, corollaire du contrôle, au paradigme de l’interprétation,
corollaire du pilotage ». Pour N. Halgland (1999), il s’agit de reconnaître « la
nature plurielle de la pertinence. Partant de là, il s’agit d’identifier les
représentations dominantes dans l’organisation, pour ensuite pouvoir agir sur
Claude FIORE
Dossiers de Recherches en Economie et Gestion
elles, et là réside le deuxième aspect du problème. Ces délicates questions
constituent autant de défis passionnants pour le contrôleur, qui voit s
se métamorphoser».
Ce changement de paradigme se traduit, non seulement par les évolutions
dans les comportements respectifs des acteurs (prises de décisions par
identification de leviers d’actions), mais aussi par la réorganisation des processu
de construction des outils d’évaluation et de mesure des performances. Car,
comment rendre cohérentes ces différentes prises de décisions entre chacun des
maillons ou échelons d’un SCM sans concertation entre eux
En ce sens, chaque acteur ou manager
et leviers d’actions (Fiol, Jordan, Sulla, 2004) sur la base d’une double
interprétation des cibles à atteindre et des moyens d’y parvenir. Ces managers se
réunissent ensuite afin d’exercer un véritable dialogue de ge
forme d’une discussion sur les objectifs ou cibles de performances de chacun
(avec une prise en compte des contraintes et des opportunités afférentes aux
différentes parties prenantes du SCM), ainsi que leurs leviers d’actions et des
prises de responsabilités dans la conduite de ces actions d’améliorations. Ce qui
peut conduire à des changements importants dans les grilles d’objectifs et de
leviers d’actions propres à chacun des acteurs d’un SCM.
Nous proposons de synthétiser ces deux lo
par la figure suivante.
Figure n° 5 : Les deux logiques de Contrôle et de Pilotage
Elaboration personnelle
150
Dossiers de Recherches en Economie et Gestion : Numéro spécial : Décembre 2014
elles, et là réside le deuxième aspect du problème. Ces délicates questions
constituent autant de défis passionnants pour le contrôleur, qui voit sa fonction
Ce changement de paradigme se traduit, non seulement par les évolutions
dans les comportements respectifs des acteurs (prises de décisions par
identification de leviers d’actions), mais aussi par la réorganisation des processus
de construction des outils d’évaluation et de mesure des performances. Car,
comment rendre cohérentes ces différentes prises de décisions entre chacun des
maillons ou échelons d’un SCM sans concertation entre eux ?
En ce sens, chaque acteur ou manager construit sa grille croisant objectifs
et leviers d’actions (Fiol, Jordan, Sulla, 2004) sur la base d’une double
interprétation des cibles à atteindre et des moyens d’y parvenir. Ces managers se
réunissent ensuite afin d’exercer un véritable dialogue de gestion, qui prend la
forme d’une discussion sur les objectifs ou cibles de performances de chacun
(avec une prise en compte des contraintes et des opportunités afférentes aux
différentes parties prenantes du SCM), ainsi que leurs leviers d’actions et des
ises de responsabilités dans la conduite de ces actions d’améliorations. Ce qui
peut conduire à des changements importants dans les grilles d’objectifs et de
leviers d’actions propres à chacun des acteurs d’un SCM.
Nous proposons de synthétiser ces deux logiques de Contrôle et de Pilotage
: Les deux logiques de Contrôle et de Pilotage
Elaboration personnelle
Les nécessaires mutations du Contrôle de Gestion … 151
Le passage du Contrôle au Pilotage exige d’entrer dans des relations
complexes entre différents acteurs (multi-latéralité), calquées sur les structures
matricielles d’un SCM en lieu et place des relations bilatérales plus simples à
gérer. De la même manière, le choix des leviers d’actions et des indicateurs de
pilotage des chantiers d’améliorations exige une appropriation, par les
responsables à chaque maillon ou échelon d’un SCM, des pratiques de fixation
d’objectifs et des moyens de les atteindre. Ces pratiques nécessitent la
construction de tableaux de bord comportant une grande cohérence entre eux,
par un dialogue de gestion dont l’issue sera de renforcer l’emboitement de ces
outils de pilotage, facilitant la circulation verticale et horizontale des informations
entre acteurs. Enfin, le passage du contrôle au pilotage des coûts induit à la fois :
→ La généralisation de ces pratiques à l’ensemble des managers et
non plus seulement aux seuls contrôleurs de gestion
→ Facilite, par l’identification des leviers d’actions, qui sont de fait
des inducteurs de coûts, un comportement proactif de ces managers. Car,
ces derniers constituent de véritables outils d’altération en temps réel des
coûts en fonction des situations de compétitivité et de concurrence
auxquels ils doivent faire face.
→ Rend nécessaire la simplification de ces outils de calcul,
d’évaluation, des coûts aux fins d’une appropriation par les managers de
ces logiques de valorisation.
Conclusion
Les mutations du Contrôle de Gestion, présentées dans le cadre de cette
communication, posent un certain nombre de questions dont les réponses ne
sont pas toutes parfaitement éclairées. En effet, si l’on comprend mieux les
conditions du passage du Contrôle de Gestion au Pilotage des Performances, il
n’en demeure pas moins qu’il sera nécessaire d’étayer cela par des enquêtes
approfondies d’entreprises, qui permettront de construire à terme une typologie
de la confrontation/complémentarité entre le système du Contrôle et celui du
Pilotage. De plus, ces mutations ne sont pas sans poser un certain nombre de
difficultés de réalisation au sein des structures d’organisation classiques
d’entreprises. Mais, comment ne pas y faire face afin de ne pas gaspiller la valeur
ajoutée créée et donc ne pas assister à la croissance d’un écart entre la valeur
produite et la valeur vendue pour chacun des acteurs d’un SCM ?
Claude FIORE 152
Dossiers de Recherches en Economie et Gestion : Numéro spécial : Décembre 2014
Nous pensons donc qu’un second champ de recherche s’ouvre portant sur
l’appropriation des outils d’évaluation et de mesure des performances par les
managers, qui ne pourra être effective sans leur transformation par ces managers.
Ce qui pose du même coup la question du repositionnement des contrôleurs de
gestion dans le cadre de ces réseaux d’entreprises.
Les nécessaires mutations du Contrôle de Gestion … 153
Bibliographie
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changement émergent », Gualino. Paris
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