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La nature juridique des noms de domaine J. D U C O U R N A U - Janvier 2004 -

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La nature juridique des noms de domaine

J. D U C O U R N A U

- Janvier 2004 -

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Lorsque vous vous connectez sur l’Internet, que ce soit de chez vous ou à votre bureau, votre machine est de fait à l’intérieur de l’Internet ; elle dispose d’une adresse IP (Internet Protocol) – qui est un quadruplet d’entiers compris entre 0 et 255 se présentant sous la forme XXX . XXX . XXX . XXX – qui permet aux autres machines de communiquer avec elle, et qui permet à votre machine d’atteindre les autres, elles-mêmes dotées d’une adresse IP.

Pour peu que vous connaissiez dans le monde du réel cette adresse IP, vous pouvez informer votre machine que vous souhaitez communiquer avec cette autre machine sur Internet par son adresse IP et la communication peut alors ce faire. Mais utiliser l’adresse IP pour l’adressage d’un site internet, cela suppose faire manipuler à un humain une très incommode série de chiffres, sur le plan mnémonique par exemple.

De ce fait, pour éviter cet inconvénient majeur, deux chercheurs informaticiens, Jon Postel et Paul Mockapetris de l’Information Sciences Institute de l’Université de la Californie du Sud ont créé en 1983 le Domain Name System (D.N.S.) ou système de nom de domaine qui permet d’établir une correspondance entre une adresse IP et un nom de domaine.

L’arrivée de ce nom de domaine qui permet de repérer un site web sur le réseau - de la forme « www.nomdedomaine.XXX » ou « XXX » est une extension qui est propre à la catégorie d’enregistrement retenue qui peut être soit internationale à trois et quatre lettres (les trois génériques, com, net, org et les sept nouvelles, biz, name, firm, shop, web, arts, rec, info, nom), soit géographique à deux lettres (comme .fr, .uk, .be…) - a causé d’importants bouleversements notamment dans le monde de l’entreprise ou il est devenu la figure emblématique du commerce électronique et dans celui du droit ou il est aujourd’hui en quête de reconnaissance.

Une quête de reconnaissance car le nom de domaine, soulevant la question de sa qualification, présente une double nature dont nous traiterons, celle fonctionnelle qui lui confère vocation à désigner, à identifier divers opérateurs sur l’internet (I), celle substantielle qui appréhende le nom de domaine sous l’angle de sa valeur économique (II).

I – La nature fonctionnelle du nom de domaine

Dans sa nature fonctionnelle, le nom de domaine a vocation à désigner, à identifier divers opérateurs sur le réseau internet qui ne poursuivent pas les mêmes objectifs. Il y a ceux pour lesquels le nom de domaine est sans vocation commerciale mais seulement informative (A), et ceux pour lesquels le nom de domaine, s’inscrivant dans une démarche purement commerciale, est un outil visant à assurer la reconnaissance et le ralliement d’une clientèle (B).

A. Les noms de domaine à vocation non commerciale

Les noms de domaine à vocation non commerciale sont le fait de trois acteurs que sont les particuliers (1), les organismes publics (2), et les collectivités territoriales (3).

(1) - Le nom de domaine des particuliers

Le nom de domaine enregistré par des particuliers n’a pas de nature spécifique, tout au plus on peut dire qu’il a la nature du signe qui le compose et bénéficie alors de la protection dont celui-ci est susceptible de faire l’objet.

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Ce nom de domaine peut prendre la forme d’un nom patronymique, ou d’un pseudonyme, ou d’un mot inventé ou tiré du langage commun.

Lorsque le nom de domaine est constitué d’un patronyme, associé ou non à un prénom, il se confond avec cet attribut de la personnalité dont il prend la nature et les règles qui le protègent.

Le nom de domaine sera donc défendu dans les mêmes conditions que le patronyme lorsque l’usurpation dudit nom de domaine par un tiers entraînera un risque de confusion dans le public, le risque de confusion décidant en la matière de la protection du nom patronymique (TGI Nanterre, ord., réf., 13 mars 2000, Amélie Mauresmo c/ Sté Internic et al.) et donc du nom de domaine qui le reproduit, étant entendu que celui qui procède à l’enregistrement du nom patronymique doit en être le légitime titulaire, sinon il y a usurpation condamnable (TGI Nanterre, ord., réf., 13 mars 2000, Amélie Mauresmo c/ Sté Internic et al.), et, (appropriation du nom patronyme de Liliane Bettencourt comme nom de domaine : TGI Nanterre, ord. réf., 29 juin 2000 ; TGI Paris, ord. réf. 31 juillet 2000 - usurpation du nom de Bertrand Delanoë ; TGI Paris, ord. réf. 28 juin 2000 - usurpation du nom de Charles Pasqua).

Lorsque le nom de domaine est constitué d’un pseudonyme, ce dernier ayant comme le

nom la nature d’un attribut de la personnalité lorsqu’il s’identifie, aux yeux du public, à l’individu qui le porte (CA Paris, 11 septembre 1996 ; et à propos de la dénomination collective d’un groupe de musiciens : Cass. 1er civ., 25 janvier 2000), la protection du nom de domaine est indirecte, déduite de celle accordée au pseudonyme.

Lorsque le nom de domaine est constitué d’un mot inventé ou tiré du langage commun, il semble que ce signe ne puisse pas faire l’objet d’une protection au titre de la propriété intellectuelle n’étant ni une oeuvre, ni le titre d’une oeuvre, il s’agit, dans ce cas de figure, d’une simple adresse technique qui ne bénéficie d’aucune qualification juridique. 1

(2) - Le nom de domaine des organismes publics

Les organismes publics peuvent ouvrir des sites internet en enregistrant en tant que nom de domaine leur sigle ou leur dénomination sociale.

Lorsque ce sigle ou cette dénomination est susceptible d’être protégé, par exemple pour les sigles ou les dénominations des organisations internationales intergouvernementales protégés par la convention de Paris du 20 mars 1883, le nom de domaine est protégé indirectement du fait de la protection dont jouit le sigle ou la dénomination.(Protection de la dénomination « Interpol » dans une espèce où elle avait été enregistrée comme nom de domaine par un tiers : CA Paris, 17 décembre 1997, et,pour la protection du sigle « B.N.F. » sous lequel est connu la Bibliothèque Nationale de France, établissement public : CA Paris, 18 septembre1998).

(3) - Le nom de domaine des collectivités territoriales

L’absorption de la nature du nom de domaine dans celle du signe reproduit s’opère encore dans le cas où le nom de domaine désigne le site internet d’une collectivité territoriale et se trouve constitué, par exemple, par le nom d’une commune ou d’une région.

1 Selon la doctrine dont Grégoire Loiseau

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L’article L. 711-4 h du Code de la propriété intellectuelle, en interdisant l’adoption à titre de marque d’un signe portant atteinte « au nom, à l’image ou à la renommée d’une collectivité territoriale », paraît en effet convenir d’une protection de ces éléments distinctifs.

Le nom de domaine enregistrant un nom de commune ou de région pourrait dés lors en profiter en s’abritant derrière la nature originale que le droit leur consacre comme des sortes « d’attributs de la personnalité » des collectivités territoriales 2.

A défaut d’un dépôt de marque, doublant leur enregistrement comme nom de domaine et leur assurant une défense efficace (TGI de Draguignan, 21 août 1997, Commune de Saint-Tropez c/ Sociétés Eurovirtuel, Quadra Communication, Nova Développement), la protection semble cependant devoir être subordonnée à l’existence d’un risque de confusion, dans l’esprit du public, sur le titulaire du site désigné par le nom de la commune ou de la région (CA Versailles, 29 mars 2000, M. L. c/ La Commune d’Elancourt).

B. Les noms de domaine à vocation commerciale

Le nom de domaine, employé par les entreprises à des fins publicitaires et/ou commerciales, tend de plus en plus à s’affirmer comme un nouveau signe distinctif. Il est de plus en plus reconnu en lui-même et pour lui-même et s’ajoute incontestablement aux traditionnels identifiants commerciaux.

C’est ainsi que nous verrons quelle est la nature juridique du nom de domaine de la sphère commerciale (1) et de quelle protection il jouit (2).

(1) - La nature juridique de ce nom de domaine

Sur le plan de l’histoire récente du nom de domaine, un rapport final en date du 30 avril 1999 émanant de l’Organisation Mondiale de la Propriété Industrielle (O.M.P.I.) fait état de manière très pertinente de l’évolution spectaculaire connue par le nom de domaine qui, de simple adresse technique est devenu – par le rôle qu’il remplit dans la conquête de la clientèle – un signe distinctif original :

« Les noms de domaine ont été conçus pour assurer une fonction technique d’une façon conviviale pour les utilisateurs de l’internet. L’objectif est de faire en sorte qu’une adresse facile à mémoriser et à identifier soit attribuée aux ordinateurs, sans qu’il soit nécessaire d’avoir recours aux adresses IP. C’est cependant précisément parce qu’ils sont faciles à mémoriser et à identifier que les noms de domaine ont acquis peu à peu la fonction de signes distinctifs des entreprises ou des particuliers ». 3

Si le rapport de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle n’hésite pas à qualifier le nom de domaine de signe distinctif, sur le plan du droit, la situation est nettement plus incertaine ; la loi, à ce jour, ne donne pas de définition du nom de domaine et, pour l’avenir, le projet de loi pour la confiance dans l’économie numérique dans son article 5, traitant des noms de domaine, ne comble pas cette absence de définition.

Il faut alors se tourner vers la jurisprudence pour voir si cours et tribunaux partage la même analyse que celle de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle. Force est de constater qu’une réponse claire et définitive est difficile à donner, les juridictions étant hésitantes à conférer au nom de domaine la nature de signe distinctif.

2 F. Pollaud-Dulian, Droit de la propriété industrielle (1999)3 V.L. Bénabou, Les défis de la mondialisation pour l’OMPI : les noms de domaine, in La mondialisation du droit, Litec (2000)

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C’est ainsi que l’on peut lire, notamment, dans un jugement du Tribunal de Grande Instance de Strasbourg (TGI Strasbourg, réf ., 29 mai 2001, Sarl Ruffié Immobilier c/ M.F. Design & Promo Web) que « le nom de domaine n’est qu’une adresse électronique personnalisée…et ne confère aucun droit privatif » ;

Ou dans une décision du Tribunal de Grande Instance de Paris (TGI Paris, réf., 12 mars 1998, Snc Alice c/ Sa Alice) « Attendu que le nom de domaine, moyen d’accès au réseau Internet… » ;

Ou dans une ordonnance de référé du Tribunal de Grande Instance de Marseille (TGI Marseille, réf., 18 décembre 1998, Société Lumiservice c/ M. Thierry P.) « le nom de domaine est un moyen technique d’une activité commerciale… ».

Cependant, on relève l’existence d’un courant jurisprudentiel reconnaissant la nature de signe distinctif :

à un code d’accès à un serveur télématique, les magistrats de la Cour d’appel de Paris, 19 décembre 1995 jugeant que « s’il est exact qu’un code d’accès permet après la composition d’un numéro téléphonique à quatre chiffres de se connecter techniquement à un serveur télématique, il n’en demeure pas moins que le nom spécifique adopté par une entreprise pour désigner ce service et le différencier d’autres services concurrents et permettre à la clientèle de l’identifier constitue un signe distinctif » ;

puis aux noms de domaine, notamment :

Un jugement du Tribunal de Grande Instance du Mans (TGI du Mans, 29 juin 1999, Microcaz c/ Oceanet et Société française de distribution informatique - s.f.d.i. ) ;

Ou une décision de la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 18 octobre 2000, Virgin Entertainment Ltd c/ France Telecom).

Le nom de domaine n’a donc pas de statut juridique propre. Corrélativement, en regard de la fonction qui lui est aujourd’hui assignée ;

de signe de ralliement de la clientèle,

de vecteur privilégié du message au consommateur (par exemple la publicité télévisée pour l’adresse internet « pagesjaunes.fr »),

d’instrument de valorisation de l’image de l’entreprise,

A quels signes distinctifs du monde réel ce nom de domaine pourrait s’apparenter ?

à une dénomination sociale ?

Le nom de domaine n’est pas une dénomination sociale. La dénomination sociale est seulement et uniquement l’attribut d’une personne morale qu’il identifie, alors que le nom de domaine désigne l’opérateur économique présent sur l’internet pour y proposer des biens ou des services ou faire la promotion de son activité.

Par ailleurs, les droits naissent sur une dénomination sociale à compter de l’immatriculation de cette dénomination au registre du commerce et des sociétés (Tribunal de

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Grande Instance de Paris, 16 décembre 1994, PIBD 1995), ce qui n’est pas le cas du nom de domaine.

à une marque ?

Le nom de domaine n’est pas non plus une marque (TGI Nanterre, réf., 13 mars 2000, Amélie Mauresmo c/ Société Internic et al.). La marque sert à distinguer des choses mises dans le commerce, de plus elle est nécessairement enregistrée à l’Institut National de la Propriété Industrielle (I.N.P.I.) au terme d’une procédure de dépôt strictement définie par la loi (cf. les articles L. 712-1 et s. du Code de la propriété intellectuelle), ce qui n’est pas non plus le cas du nom de domaine.

à un nom commercial ou à une enseigne ?

La parenté du nom de domaine avec le nom commercial est en revanche plus prononcée bien qu’un jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris (TGI Paris, 7 février 2001, SA La Vie.com c/ Société France Télécom, Société Groupe TBWA France, Société Groupe BDDP France, SA BDDP France, Société TJP et Associés ) estime que le nom commercial ne peut se confondre avec un nom de domaine, ce dernier pouvant toutefois constituer l’enseigne de la boutique virtuelle d’une entreprise.

Notons que dans une autre affaire, ce même Tribunal de Grande Instance de Paris statuant en référé (TGI Paris, ord. réf., 27 juillet 2000, Société Market Call et al. c/ Société MilleMercis) avait explicitement assimilé le nom de domaine à l’enseigne ou au nom commercial.

On relèvera également :

* l’argumentation pertinente de Raoul Fuentes 4 qui écrit que le nom commercial « est un moyen de désignation et d’identification pour le fonds de commerce et un signe de ralliement pour la clientèle, le nom commercial s’appelant simplement enseigne lorsqu’il est apposé sur le local même d’exploitation du fonds,

que le parallèle entre fonds de commerce et fonds de commerce électronique (ou site web) n’est pas seulement un jeu de mots séduisant et qu’il pourrait correspondre à une réalité juridique dés l’instant où une clientèle propre lui est attachée, qu’il est exploité par un commerçant et a un objet commercial,

que dès lors le nom de domaine nous semble effectivement pouvoir répondre à la définition de nom commercial, lorsqu’il est utilisé comme tel, c’est à dire lorsqu’il est porté à la connaissance du public par tous moyens susceptibles d’attirer la clientèle vers le site web. » ;

* la position de Grégoire Loiseau 5 qui, sans renier le lien nom de domaine - nom commercial, écrit « en fait, c’est avec l’enseigne qui désigne l’entreprise dans sa localisation territoriale que les liens sont les plus forts. Comme elle, le nom de domaine signale un lieu où la clientèle peut s’adresser à l’entreprise. Mais sa particularité est qu’il remplit cette fonction distinctive et localisante sur un territoire purement virtuel ».

4 Raoul Fuentes - L’affaire Alice et l’émergence des droits du détenteur d’un nom de domaine - Expertises - Mai 19995 Sur l’assimilation du nom de domaine à une enseigne - Grégoire Loiseau - Noms de domaine et Internet : turbulences autour d’un nouveau signe distinctif - D. 1999, chron., p. 245

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* les décisions des juridictions internationales comme un Tribunal de Milan, dans un jugement en date du 6 juin 1997, (Trib. Milan, 6 juin 1997, PIBD 1998, n° 651-II-61) qui envisagent le nom de domaine comme un signe distinctif de même type qu’une enseigne.

(2) - La protection de ce nom de domaine

Parce que le nom de domaine signale un lieu sur le réseau où la clientèle peut s’adresser à l’entreprise, il doit pouvoir être protégé des atteintes dont il serait l’objet.

Mais cette protection est conditionnée par la définition de la nature juridique du nom de domaine, qui, ainsi que nous l’avons vu, n’est pas encore véritablement établie.

Il peut, tout de même, être protégé dans et hors du périmètre de la propriété intellectuelle.

Dans le périmètre de propriété intellectuelle, (voie à privilégier) en procédant ainsi que le recommande la plupart des juristes travaillant sur le droit de l’internet à ceux qui entendent réserver un nom de domaine de prendre une marque sur la désignation élue.

Par la même, le demandeur bénéficiera :

de la règle dite du « premier arrivé, premier servi » qui confère au premier déclarant un droit de priorité sur l’utilisation de ce nom de domaine dans l’Internet (de deux titulaires d’une même dénomination sociale, ce n’est pas celui qui invoque l’antériorité de sa dénomination sociale, mais celui qui enregistre le premier le nom de domaine correspondant auprès de l’AFNIC qui doit être préféré (« l’attribution est accordée à la première société qui en fait la demande » CA Paris, 4 décembre 1998, Sa Alice c/ Snc Alice) ;

de tout le dispositif juridique qui assure la protection de la marque.

En pareil cas, le titulaire du nom, comme le titulaire de la marque, pourra évidemment agir, d’abord en contrefaçon de la marque sur le fondement du droit des marques, ensuite contre un éventuel cybersquatter (du type typosquatter) en se prévalant du droit qui le sien.

Rappelons, que le cybersquatting consiste à enregistrer sous forme de nom de domaine une marque ou une raison sociale notoire dans le but de les revendre à leur titulaire légitime et de réaliser ainsi un profit substantiel et que le typosquatting et le pointsquatting sont une pratique consistant à enregistrer un nom de domaine dont le radical est phonétiquement similaire ou identique à une marque ou une raison sociale notoire et dont l’orthographe se rapproche sensiblement de l’orthographe originale (en faisant une faute délibérée : ajout ou omission de lettres, de points, de tirets… ex : www.lagardaire.com ou lagarderre.net).

Le risque de typosquatting est accru par l’arrivée prochaine des noms de domaine internationalisés (IDN), lesquels supportent des caractères jusqu’ici refusés par le système ASCII (qui ne supporte que les caractères de l’alphabet anglo-saxon). Le système IDN permettra donc de créer des noms de domaine comportant des accents.

Les limites de cette stratégie :

1) la protection ne vaudra que dans le respect du droit des marques et notamment de la logique du principe de spécialité qui veut que la marque ne soit réservée que pour les produits ou services désignés à l’acte de dépôt alors que la logique du système de nommage bloque définitivement tout usage ultérieur de la même dénomination sans considération des produits ou des services considérés.

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C’est ainsi que dans une affaire Alice, le Tribunal de Grande Instance de Paris (TGI Paris, 23 mars 1999, Snc Alice c/ Sa Alice) a jugé que le dépôt du nom « Alice » en décembre 1996 par la Sa Alice (création et développements de logiciels) comme nom de domaine ne constituait pas une contrefaçon de la marque « Alice » (classe 35 uniquement) déposée en juin 1975 et appartenant à la Snc Alice (agence de publicité). Après cette décision, certains auteurs ont parlé de « triomphe de la spécialité ».

Ce principe de spécialité sera encore mis en avant dans plusieurs autres décisions pour restreindre les revendications des titulaires de marques :

- une ordonnance de référé du Tribunal de Grande Instance de Strasbourg (TGI Strasbourg, 29 mai 2001, Sarl Ruffié Immobilier c/ M.F. et Design & Promo Web) « l’évolution juridique doit nécessairement faire appel au principe de spécialité pour préciser les limites de la protection sur le net, compte tenu de la profusion d’adresses et de leur valeur commerciale devenue évidente » ;

- un arrêt de la Cour d’appel de Versailles (CA Versailles, 22 novembre 2001, Sa Zebank c/ Société Multimédia Canadia Ltd et Sa 123 Multimédia) ;

- un jugement du Tribunal de Grande Instance de Nanterre (TGI Nanterre, 21 janvier 2002, Société Publications Bonnier c/ Société Saveurs et Senteurs Créations), « il convient de procéder à une comparaison entre le contenu du site exploité… et les produits et services pour lesquels la protection est revendiquée. ».

2) le dépôt en classe 38 (télécommunications) qui, semble t’il, ne doit plus être tenu pour une panacée :

En effet, la Cour d’appel de Versailles dans l’affaire (CA Versailles, 22 novembre 2001, Sa Zebank c/ Société Multimédia Canadia Ltd et Sa 123 Multimédia) a fait retour au principe de spécialité strictement compris puisqu’elle a jugé que les services visés à cette classe, services de communication, de messagerie, etc… « s’entendent de ceux… ayant un tel objet »,

et qu’« ils ne sauraient se confondre avec les multiples services pour la fourniture desquels les communications par ordinateur , messagerie électronique ou tout autre support (tel internet) ne constituent qu’un moyen » d’ou il résulte que le dépôt en classe 38 ne permet pas de s’opposer à une exploitation de services, autres, via internet.

En fait, une telle solution ne doit pas surprendre en ce qu’elle est parfaitement conforme à celle retenue depuis déjà plusieurs années par l’United States Patent and Trademark Office (USPTO) 6 qui refuse d’enregistrer comme une marque de la classe réservée aux activités de télécommunication une marque visant en réalité à promouvoir des produits ou services simplement accessibles via un site.

En effet, en ce cas, l’USPTO considère que la marque doit désigner les seuls produits et services, et non le site qui permet leur promotion.

Toujours dans le périmètre de la propriété intellectuelle, un autre moyen moins habituel, plus international, mériterait d’être exploré dans certains cas. Il s’agit du droit d’auteur et plus

6 Décision de l’USPTO du 29 décembre 1999 (www.uspto.gov)

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spécialement du droit d’auteur attaché au titre d’une oeuvre de l’esprit (art. L. 112-4 du Code de la propriété intellectuelle).

Il a, en effet, été jugé qu’un site pouvait être considéré comme une oeuvre de l’esprit bénéficiant de la protection de la propriété littéraire et artistique quand il est original (Tribunal de commerce de Paris, 9 février 1998).

Le nom de domaine permet de désigner le site : il peut être considéré comme le titre de cette oeuvre. Or le titre d’une oeuvre, s’il satisfait la condition d’originalité, est protégé par le droit d’auteur.

Ainsi le nom de domaine envisagé comme le titre d’une oeuvre satisfaisant à la condition d’originalité sera protégé par le droit d’auteur. Il prévaudra sur une marque selon les dispositions de l’article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle :

« Ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment :

   a) à une marque antérieure enregistrée ou notoirement connue au sens de l'article 6 bis de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle ;

   b) à une dénomination ou raison sociale, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ;

   c) à un nom commercial ou à une enseigne connus sur l'ensemble du territoire national, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ;

   d) à une appellation d'origine protégée ;

   e) aux droits d'auteur ;

   f) aux droits résultant d'un dessin ou modèle protégé ;

   g) au droit de la personnalité d'un tiers, notamment à son nom patronymique, à son pseudonyme ou à son image ;

   h) au nom, à l'image ou à la renommée d'une collectivité territoriale. ».

Mais si le nom de domaine, titre d’une oeuvre, ne présente pas le caractère d’originalité requis (ce qui fréquent en pratique selon les auteurs), comme en témoigne cette décision (CA Paris, 5 mars 2003, Sa Tracing Server c/ Société Conex) ;

Le titulaire du nom de domaine « tarif-douanier.com » - enregistré postérieurement à « tarifdouanier.com » - n’a pu s’opposer à l’utilisation du nom de domaine « tarifdouanier.com » au motif que « ces noms de domaine qui désignent des sites internet de présentation de tarifs douaniers ne comportent pas d’originalité et se rapportent de manière purement descriptive au tarif officiel des douanes, qui est d’usage public et libre… »

Hors champ de la propriété intellectuelle, le nom de domaine peut bénéficier d’une protection selon les principes généraux du droit commun (TGI Nanterre, réf., Amélie Mauresmo c/ Société Internic et al.) c’est à dire ceux de la responsabilité civile pour faute et ses applications particulières que sont l’action en concurrence déloyale et sur le parasitisme,

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cette dernière construction ayant aujourd’hui le vent en poupe, il semble qu’il sera plus pertinent et plus efficace d’y faire référence. 7

Celui qui reprend délibérément le nom de domaine d’un tiers commet indiscutablement des actes de parasitisme. Est parasite le fait de tirer indûment profit du travail ou de l’investissement d’autrui.

« Le parasitisme économique se définit » a t’il été jugé « comme l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire » (Cass. Com., 26 janvier 1992), cette référence au comportement consistant à « s’inscrire dans le sillage » d’un tiers étant à présent de plus en plus fréquente (Cass. Com., 18 avril 2000).

Reprendre un nom, c’est bien faire en sorte de s’inscrire dans le sillage de son légitime titulaire.

Si l’on considère, maintenant, le nom de domaine - à la manière du Tribunal de Grande Instance du Mans (TGI du Mans, 29 juin 1999, Microcaz c/ Oceanet et Société française de distribution informatique - s.f.d.i. ) ou de la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 18 octobre 2000, Virgin Entertainment Ltd c/ France Telecom) - comme ayant la nature de signe distinctif, cette qualification lui ouvrira une protection en propre dont la Cour d’appel de Paris jette les bases.

« Considérant, cependant, que si le nom de domaine, compte tenu notamment de sa valeur commerciale pour l’entreprise qui en est propriétaire, peut justifier une protection contre les atteintes dont il est l’objet, encore faut-il que les parties à l’instance établissent leurs droits sur la dénomination revendiquée, l’antériorité de son usage par rapport au signe contesté et le risque de confusion que la diffusion de celui-ci peut entraîner dans l’esprit du public ».

Pour justifier une protection contre les atteintes visant le nom de domaine :

il importe, avant tout, d’établir le « droit sur la dénomination revendiquée », en d’autres termes, les noms de domaine doivent avoir été licitement acquis. Bien évidemment, l’enregistrement permet d’acquérir un droit sur le nom de domaine (T. com, Marseille, 26 octobre 2000, Marc T. c/ Sarl Marketing en Ligne) « Monsieur Marc T. est propriétaire des noms de domaine pour les avoir déposés »

mais le seul enregistrement ne suffit pas et il convient d’établir l’antériorité de l’usage du nom de domaine par rapport au signe contesté. Il faut alors que le nom de domaine soit utilisé, c’est à dire exploité : le nom de domaine peut bénéficier d’une protection à condition qu’il ne soit pas seulement « réservé » mais fasse l’objet d’une exploitation effective, ce que rappelle un jugement du Tribunal de Grande Instance de Nanterre (TGI Nanterre, 4 novembre 2002, Elie S., Sarl la Société Temesis c/ Association Afaq) ;

Ou (« le tribunal rappelle qu’il faut pouvoir justifier d’un usage public » TGI Paris, 9 juillet 2002, M. Guy C., Sa Société Sherlocom c/ Sa Peugeot Motocycles), ce qui implique qu’un site web soit ouvert sous ce nom et que ce site fonctionne réellement, étant précisé que si le site est seulement en construction, il n’y a pas « exploitation » du nom de domaine.

enfin, afin de résoudre un conflit entre un nom de domaine enregistré et une marque déposée postérieurement, il est nécessaire d’établir « le risque de confusion que la diffusion » est susceptible d’entraîner dans l’esprit du public.

7 Lamy Informatique et réseaux - Internet et noms de domaine

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II – La nature substantielle du nom de domaine

Il est incontestable et incontesté que les noms de domaine sont devenus les supports d’une réputation commerciale pour les entreprises, ou de la notoriété d’un individu lorsque le nom de domaine est constitué du nom ou du pseudonyme d’une personne célèbre.

D’une manière générale, du fait du rôle stratégique qu’ils jouent dans la connaissance et la reconnaissance d’un opérateur sur internet, leur utilité peut susciter la convoitise et générer de fortes sommes d’argent pour leur acquisition.

A titre d’exemple - et l’on pourrait les multiplier - selon J. C. Galloux et Gérard Haas 8, le nom de domaine « Business.com » a été racheté pour la somme de 7,5 millions de dollars.

Le nom de domaine - qu’il tende vers une nature de signe distinctif pour les entreprises ou qu’il constitue un signe sui generis pour les particuliers - pourrait, lorsqu’il correspond à une valeur, recevoir la qualification de bien incorporel (A) pouvant être appréhendé par le droit de propriété (B).

A. L’essence d’un bien incorporel

Jean-Marc Mousseron, Jacques Raynard et Thierry Revet écrivent 9 ;

« Utile et rare, une valeur, au sens économique du terme, devient un bien, au sens juridique du mot, lorsque la société répond, par le droit, aux soucis complémentaires de réservation et de commercialisation de son maître du moment ».

Selon Grégoire Loiseau, ce processus décrit par Jean Marc Mousseron s’applique exactement au nom de domaine qui du fait de sa valeur économique grandissante - étant perçu dans le monde des affaires comme conférant à son titulaire un avantage concurrentiel au motif que « l’audience d’un site est liée à son nom de domaine » (CA Paris, 8 février 2000, Sarl DCLK France, Société Double Click Inc c/ Sa Double Click) - est progressivement appréhendé par le droit - devenant alors un bien incorporel - pour lui accorder une protection par des règles concernant sa réservation (1) et sa commercialisation (2).

(1) - La réservation du nom de domaine

La réservation du nom de domaine s’effectue par son enregistrement auprès des organismes compétents et obéit à la règle du « premier arrivé, premier servi », c’est à dire que le réservataire a l’exclusivité du signe enregistré puisque cette règle interdit l’enregistrement d’un nom de domaine identique, du moins dans la même zone de nommage.

Cette règle de l’interdiction d’enregistrement d’un nom de domaine identique dans la même zone de nommage a été validée par le Tribunal de Grande Instance de Nanterre (TGI Nanterre, 2 avril 2001, Société Prisma Presse c/ Société Compagnie financière Géo et Société

8 J.C. Galloux et Christophe Haas - Les noms de domaine dans la pratique contractuelle - Juris-Classeur - Communication - Commerce Electronique (janvier 2000)9 J.M. Mousseron, J. Raynard et T. Revet, De la propriété comme modèle, Mélanges offerts à A. Colomer, 1993

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Géo) « la réservation d’un nom de domaine auprès de l’AFNIC a pour effet de le rendre indisponible ».

Selon Grégoire Loiseau, cette décision n’illustre, finalement, que l’application de l’adage juridique « premier en date, premier en droit » qui, en matière de signes distinctifs, commande de donner la préférence en droit à celui qui, le premier en date, a utilisé la dénomination dans un secteur d’activité.

Par ailleurs, cette réservation du nom de domaine qui garantit au titulaire une exclusivité d’usage a été reconnu par les juges (TGI du Mans, 29 juin 1999, Microcaz c/ Oceanet et Société française de distribution informatique - s.f.d.i. ) ou (CA Paris, 18 octobre 2000, Virgin Entertainment Ltd c/ France Telecom) qui ont fait de ce nom de domaine une antériorité opposable aux tiers, le rendant ainsi juridiquement indisponible.

(2) - La commercialisation du nom de domaine

Si le droit consacre, au profit du titulaire d’un nom de domaine, une exclusivité dans son emploi sur le réseau, il doit aussi lui reconnaître la faculté de « tirer profit » de sa valeur.

Par exemple, une personne célèbre ayant enregistré son nom ou son pseudonyme comme nom de domaine doit pouvoir le céder à une société, ou lui en concéder l’usage, pour lui permettre d’exercer sous ce nom une activité commerciale sur l’internet en profitant de sa notoriété.

Autre exemple, rien ne devrait s’opposer à ce qu’une société étrangère concède à une société française qu’elle charge de la commercialisation de ses produits, le droit d’utiliser son nom de domaine en l’enregistrant dans une autre zone de nommage.

Dans ces situations, il n’y a pas de difficulté si le signe constituant le nom de domaine a été déposé comme marque puisqu’il peut alors faire l’objet de tous les actes d’exploitation que l’article L. 714-1 du Code de la propriété intellectuelle autorise :

« Les droit attachés à une marque sont transmissibles en totalité ou en partie, indépendamment de l'entreprise qui les exploite ou les fait exploiter.

La cession, même partielle, ne peut comporter de limitation territoriale.

Les droits attachés à une marque peuvent faire l'objet en tout ou partie d'une concession de licence d'exploitation exclusive ou non exclusive ainsi que d'une mise en gage.

La concession non exclusive peut résulter d'un règlement d'usage.

Les droits conférés par la demande d'enregistrement de marque ou par la marque peuvent être invoqués à l'encontre d'un licencié qui enfreint l'une des limites de sa licence en ce qui concerne sa durée, la forme couverte par l'enregistrement sous laquelle la marque peut être utilisée, la nature des produits ou des services pour lesquels la licence est octroyée, le territoire sur lequel la marque peut être apposée ou la qualité des produits fabriqués ou des services fournis par le licencié.

Le transfert de propriété, ou la mise en gage, est constaté par écrit, à peine de nullité. »

A savoir cession, concession de licences d’exploitation, mise en gage.

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Mais de tels actes devraient aussi être possibles lorsqu’ils portent sur le nom de domaine lui-même, indépendamment de tout dépôt comme marque, en considération de la valeur et de l’utilité économique qui lui sont propres.

C’est ce qui a été admis par le Tribunal de Grande Instance de Nanterre (TGI Nanterre, 20 mars 2000, Sony Corporation et Sa Sony France c/ Sarl Alifax) « Au surplus, il convient d'observer qu'un nom de domaine est un signe qui peut être cédé, concédé… ».

A cet égard, selon Grégoire Loiseau, le transfert en propriété ou en jouissance doit pouvoir s’opérer non seulement indirectement, en cas de cession ou de location-gérance d’un fonds ayant pour élément incorporel le nom de domaine, mais également directement, relativement au nom de domaine seul.

En revanche, il ajoute qu’un nantissement ne serait pas possible, en droit français sur le nom de domaine pris isolément en l’absence de disposition légale le prévoyant. Mais il serait concevable qu’en tant qu’élément incorporel d’un fonds, il soit compris dans l’assiette du nantissement portant sur ce dernier (TGI Essen, 29 septembre 1999) 10 qui reconnaît aux noms de domaine une valeur économique les rendant susceptibles de nantissement.

Dans le sens également de la possibilité d’actes portant sur le nom de domaine lui-même, indépendamment de tout dépôt comme marque : la décision de l’A.F.N.I.C. annoncée par Jean-Yves Babonneau, directeur général - dévoilée lors d’une récente conférence de presse sur la politique d’ouverture du « .fr » destinée à inciter les entreprises et les professionnels à choisir un nom de domaine avec une extension en « .fr » - de rendre le nom de domaine cessible. La valeur créée sera donc désormais transmissible. 11

B. L’objet d’un droit de propriété

Malgré de fortes réticences, la propriété des noms de domaine progresse dans la voie de la reconnaissance (1). Il convient alors de s’interroger sur le régime de cette nouvelle propriété d’un bien immatériel (2).

(1) - La reconnaissance de la propriété des noms de domaine

L’idée d’un droit de propriété sur les noms de domaine suscite l’hostilité de très nombreux auteurs.

Certains doutent de l’existence même d’un droit privatif 12 et reconnaissent au titulaire un simple droit d’usage. 13

Sur cette notion de « droit d’usage » sur le nom de domaine, en se référant à l’AFNIC et à sa charte de nommage de la zone « .fr », Jacques Larrieu 14 répond, alors, qu’elle est évoquée dans le seul but d’éviter de parler de propriété, de droit privatif.

Il se pose la question du fondement juridique du procédé et se demande si la justification se trouverait dans le fait que les organismes d’enregistrement seraient propriétaires de ces dénominations et en accorderaient un droit d’usage à l’auteur de l’enregistrement. 15

10 TGI Essen, 29 septembre 1999 - Com. com. électr. mars 200011 www.legalis.net/jnet - (actualité) - 21 janvier 200412 C. Féral-Schuhl, cyberdroit (2000) - P. Breese, Guide juridique de l’Internet et du commerce électronique (2000)13 M. Viala, note sous TGI Paris, 23 mars 1999, Dalloz affaires 200014 Jacques Larrieu - La jurisprudence tendrait-elle vers un droit privatif sur un signe distinctif ? (novembre 2001)15 D’après Cyril Fabre, De l’antériorité d’un nom de domaine sur une marque, Expertises janvier 2001, 31 (à propos de la vie.com) : les contrats d’enregistrement prévoiraient que le nom de domaine reste la propriété du

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Il confesse avoir du mal à envisager comment l’AFNIC pourrait se prétendre propriétaire de « larrieu.fr » et lui en concéder l’usage alors que cet organisme n’a pas même imaginé l’existence de ce nom avant qu’il ne le dépose et que, pour l’avenir, le projet de loi sur la confiance dans l’économie numérique dénie au registraire une quelconque propriété intellectuelle sur les noms de domaine. 16

D’autres, tout en admettant un droit privatif sur ce signe, sont réservés sur sa qualification de propriété. 17 Ils évoquent, notamment l’impossibilité de créer de nouveaux droits intellectuels sans l’assistance de la loi. 18

Mais selon, Philippe Le Tourneau, 19 l’argument ne vaut guère car le droit de propriété n’a, en réalité, nullement besoin de la permission de la loi pour s’épanouir à de nouveaux objets, fussent-ils incorporels, sauf à considérer que la dénomination sociale, le nom commercial ou l’enseigne ne constituent pas non plus, dans le silence de la loi, de véritables propriétés.

En ce qui concerne la jurisprudence, celle-ci s’est déjà engagée sur la voie de la reconnaissance d’une propriété des noms de domaine.

Plusieurs décisions n’ont, en effet, pas hésité à considérer le titulaire d’un nom de domaine comme son propriétaire :

(TGI Paris, 30 juin 2000, Sa Société de Conception de presse c/ Netglobal Stratégie, Sa Andco, Société Créanet) :

« Qu'elle est propriétaire de ce nom de domaine qu'elle a fait enregistrer pour son compte et à son nom par l'intermédiaire de la société ANDCO »,

(CA Paris, 18 octobre 2000, Virgin Entertainment Ltd c/ France Telecom) :

« Considérant, cependant, que si le nom de domaine, compte tenu notamment de sa valeur commerciale pour l’entreprise qui en est propriétaire, peut justifier une protection contre les atteintes dont il est l’objet… »,

(T. com, Marseille, 26 octobre 2000, Marc T. c/ Sarl Marketing en Ligne) :

« Monsieur Marc T. est propriétaire des noms de domaine pour les avoir déposés antérieurement à la création de la société ».

Il convient de souligner que les juges semblent préférer, pour le moment, qualifier le titulaire plutôt que le droit et qu’ils ne consacrent pas explicitement un droit de propriété incorporelle sur ce signe.

Mais - selon Grégoire Loiseau appréciant la position des juridictions - même à demi-mots, c’est bien de celui-ci dont il est question car la propriété, mode de réservation par excellence, est

registraire. « La cession d’un nom de domaine en .fr en tant qu’élément incorporel isolé ne peut en effet se pratiquer que par l’annulation du nom de domaine enregistré auprès du NIC France par le cédant et l’enregistrement concomitant par le cessionnaire. » (le titulaire du nom de domaine bénéficie en réalité d’une licence d’exploitation). 16 Art. 5 - II créant un art. L 34-11 - I du Code des postes et télécommunications  : « L’exercice de leur mission ne confère pas aux organismes ainsi désignés des droits de propriété intellectuelle sur les noms de domaine. ».17 B. Ader18 J. C. Galloux et G. Haas ou W. Lobelson19 Philippe Le Tourneau - Le bon vent du parasitisme - Contrats, Concurrence, Consommation - janvier 2001

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sans conteste le meilleur moyen d’asseoir l’exclusivité du titulaire sur le nom de domaine et de lui réserver les utilités économiques de son bien.

Par ailleurs, il ajoute :

que la loi ou la jurisprudence reconnaissent déjà un droit de propriété incorporelle aux autres signes de l’entreprise – marque, nom commercial, enseigne, ou dénomination sociale – qu’on ne voit pas pourquoi ce droit se déroberait à ce nouvel identifiant qu’est le nom de domaine lorsqu’il a une vocation commerciale.

que le recours a la notion de propriété répond parfaitement à la réservation rudimentaire dont font l’objet, en pratique, les noms de domaine par l’application du principe du « premier arrivé, premier servi », qui n’est que l’expression de l’acquisition de la propriété des biens sans maître par l’occupation. 20

(2) – Le régime de la propriété des noms de domaine

Selon Grégoire Loiseau, la propriété des noms de domaine n’est pas une propriété inédite qu’il faudrait inventer. De la propriété classique, elle a tous les charmes. En particulier, elle investit le titulaire du signe de tous ses attributs : l’usus, le fructus, et l’abusus. Tout au plus son objet incorporel conduit à lier la propriété sur le bien à son usage.

C’est en effet, pour Alain Pélissier, le trait commun à de nombreux meubles incorporels que d’être des biens dont la valeur et l’existence dépendent de leur exploitation.

Il suit de là que si, formellement, l’acquisition du droit sur le nom de domaine dépend de son enregistrement auprès d’un organisme d’attribution comme le relève le Tribunal de Grande Instance de Nanterre,

(TGI Nanterre, 2 avril 2001, Société Prisma Presse c/ Société Compagnie financière Géo et Société Géo) :

« Les droits sur les noms de domaine s’acquièrent en un seul acte accompli en un endroit unique, auprès d’un organisme d’attribution, soit en l’espèce, s’agissant du point <fr> : l’Afnic. »

Sa propriété s’acquiert, substantiellement, par son usage sur le réseau.

Autrement dit, l’enregistrement est à lui seul impuissant à conférer un droit de propriété sur ce bien, une exploitation effective du signe est essentielle pour accéder à une protection en propre. Il en est donc ainsi du nom de domaine comme du nom commercial ou de l’enseigne, « la protection sur un nom de domaine ne pouvant s’acquérir que par son exploitation » (CA Paris, 27 juillet 2000, Market Call, MM., F.d.C., et Y.B. c/ Société MilleMercis).

Pour les mêmes raisons, il faut d’ailleurs considérer que la propriété du nom de domaine est appelée à durer autant qu’il en est fait usage même si à nouveau, formellement, un renouvellement de l’enregistrement peut être nécessaire.

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20 G. Loiseau - L’appropriation des espaces virtuels par les noms de domaine - Droit et patrimoine, mars 2001