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P.6 LEXPRESS.FR En ce début du XXIe siècle, le nombre de conflits n’a pas diminué en dépit de la victoire des démocraties libérales qu’avait annoncé Francis Fukuyama. Ils se sont au contraire multipliés et ont adopté des formes diverses, et sont désormais motivés par des questions environnementales, alimentaires, etc. Plus récemment encore a émergé une nouvelle dimension des conflits avec la reconnaissance du cyberespace comme nouveau champ d’affrontements. Les médias ont d’ailleurs grandement participé à sa légitimation auprès du grand public. Entre fantasmes et réalités complexes Cyberespace et Anonymous: MAXIME PINARD Candidat au master 2 Sécurité / Défense UPMF Grenoble Chercheur à l’IRIS [email protected] L’étude du cyberespace n’a débuté que récemment et il y a peu de travaux universi- taires sur le sujet actuellement, la majorité étant consacrée aux questions de sécurité et de censure. Dans cette perspective, celui qui s’intéresse à la nature du cyberespace doit penser à quelle méthodologie choisir pour ne pas avoir un point de vue biaisé. La tendance qui consiste à ne voir dans le cybe- respace qu’une reproduction du réel peut ainsi conduire à des raisonnements erronés. Il convient davantage de considérer le cybe- respace comme le prolongement de notre réalité, mais avec des caractéristiques propres du fait de la décentralisation des activités de production et de diffusion des contenus, de la quasi-absence de restric- tions géographiques et de la modification des rapports de l’homme à l’identité et à l’intimité. C’est donc dans ce cadre qu’il convient d’apprécier le rôle des Anonymous. Qui sont-ils ? Quelles causes défendent-ils ? Sont-ils des « Robin des bois du web », de simples cyberactivistes, ou encore de cyber- criminels dont les actions doivent être sur- veillées et condamnées ? Les origines du mouvement À l’origine, les Anonymous sont un groupe de pirates informatiques américains qui échangent sur le forum 4chan en vue de pré- parer leurs actions. Il est difficile de définir précisément quand ils sont apparus. Dès décembre 2007, ils sont cités pour leur sou- tien technique à une enquête menée contre un pédophile américain ; mais leur « ins- tant 0 » est communément associé à leur attaque contre l’Église de Scientologie aux États-Unis en janvier 2008. Leurs attaques se diversifient consi- dérablement par la suite et soutiennent Wikileaks, et s’impliquent plus ou moins directement dans le mouvement du Prin- temps arabe, où ils prêtent main-forte aux internautes militants pour qu’ils puissent passer outre la censure du web imposée par les dirigeants tunisiens, égyptiens et yéménites. Aujourd’hui, ils multiplient leurs attaques en visant le FBI, l’OTAN, l’ONU, les sites d’information, etc.) avec des objectifs divers, et profitent de la forte médiatisation de leurs actions par les médias internatio- naux. En effet, pour se distinguer des autres groupes, ils utilisent comme symbole le masque du héros de « V pour Vendetta », film dystopique dans lequel le personnage LES NOUVEAUX DÉFIS DE LA SÉCURITÉ INTERNATIONALE LES PARADOXES DU CRIME ORGANISÉ P.5 LES ASSASSINATS CIBLÉS : LORSQUE LA FIN JUSTIFIE LES MOYENS P.7 CRISE SOCIALE À L’EST DU RIO GRANDE P.14 Il aura fallu plus de quatre années de difficiles négociations pour que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) adopte, au mois de mai 2011, l’accord-cadre intitulé Préparation en cas de grippe pandémique : échange des virus grippaux et accès aux vac- cins et autres avantages. C’est l’Indo- nésie qui a déclenché le processus de négociations en 2007, en annonçant vouloir cesser de fournir des échan- tillons de virus grippaux H5N1 haute- ment pathogènes au réseau mondial OMS de surveillance de la grippe. Pourquoi cette annonce spectacu- laire ? LA GESTION DU RISQUE DE PANDÉMIE GRIPPALE P.13 DAILYMAIL.CO.UK Le virus H5N1 VOLUME 7 NUMÉRO 1 FÉVRIER 2012

LES NOUVEAUX D FIS DE LA S CURIT …...P.6 LEXPRESS.FR En ce d but du XXIe si cle, le nombre de conßits nÕa pas diminu en d pit de la victoire des d mocraties lib rales quÕavait

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LEXPRESS.FR

En ce début du XXIe siècle, le nombre de conflits n’a pas diminué en dépit de la victoire des démocraties libérales qu’avait annoncé Francis Fukuyama. Ils se sont au contraire multipliés et ont adopté des formes diverses, et sont désormais motivés par des questions environnementales, alimentaires, etc. Plus récemment encore a émergé une nouvelle dimension des conflits avec la reconnaissance du cyberespace comme nouveau champ d’affrontements. Les médias ont d’ailleurs grandement participé à sa légitimation auprès du grand public.

Entre fantasmes et réalités complexesCyberespace et Anonymous:

MAXIME PINARD Candidat au master 2 Sécurité / DéfenseUPMF GrenobleChercheur à l’[email protected]

L’étude du cyberespace n’a débuté que récemment et il y a peu de travaux universi-taires sur le sujet actuellement, la majorité étant consacrée aux questions de sécurité et de censure. Dans cette perspective, celui qui s’intéresse à la nature du cyberespace doit penser à quelle méthodologie choisir pour ne pas avoir un point de vue biaisé. La tendance qui consiste à ne voir dans le cybe-respace qu’une reproduction du réel peut ainsi conduire à des raisonnements erronés. Il convient davantage de considérer le cybe-respace comme le prolongement de notre réalité, mais avec des caractéristiques propres du fait de la décentralisation des activités de production et de diffusion des

contenus, de la quasi-absence de restric-tions géographiques et de la modification des rapports de l’homme à l’identité et à l’intimité.

C’est donc dans ce cadre qu’il convient d’apprécier le rôle des Anonymous. Qui sont-ils ? Quelles causes défendent-ils ? Sont-ils des « Robin des bois du web », de simples cyberactivistes, ou encore de cyber-criminels dont les actions doivent être sur-veillées et condamnées ?

Les origines du mouvementÀ l’origine, les Anonymous sont un groupe

de pirates informatiques américains qui

échangent sur le forum 4chan en vue de pré-parer leurs actions. Il est difficile de définir précisément quand ils sont apparus. Dès décembre 2007, ils sont cités pour leur sou-tien technique à une enquête menée contre un pédophile américain ; mais leur « ins-tant 0 » est communément associé à leur attaque contre l’Église de Scientologie aux États-Unis en janvier 2008.

Leurs attaques se diversifient consi-dérablement par la suite et soutiennent Wikileaks, et s’impliquent plus ou moins directement dans le mouvement du Prin-temps arabe, où ils prêtent main-forte aux internautes militants pour qu’ils puissent passer outre la censure du web imposée par les dirigeants tunisiens, égyptiens et yéménites. Aujourd’hui, ils multiplient leurs attaques en visant le FBI, l’OTAN, l’ONU, les sites d’information, etc.) avec des objectifs divers, et profitent de la forte médiatisation de leurs actions par les médias internatio-naux.

En effet, pour se distinguer des autres groupes, ils utilisent comme symbole le masque du héros de « V pour Vendetta », film dystopique dans lequel le personnage

LES NOUVEAUX DÉFIS DE LA SÉCURITÉ INTERNATIONALE

LES PARADOXES DU CRIME ORGANISÉ P.5

LES ASSASSINATS CIBLÉS : LORSQUE LA FIN JUSTIFIE LES MOYENS P.7

CRISE SOCIALE À L’EST DU RIO GRANDEP.14

Il aura fallu plus de quatre années de difficiles négociations pour que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) adopte, au mois de mai 2011, l’accord-cadre intitulé Préparation en cas de grippe pandémique : échange des virus grippaux et accès aux vac-cins et autres avantages. C’est l’Indo-nésie qui a déclenché le processus de négociations en 2007, en annonçant vouloir cesser de fournir des échan-tillons de virus grippaux H5N1 haute-ment pathogènes au réseau mondial OMS de surveillance de la grippe. Pourquoi cette annonce spectacu-laire ?

LA GESTION DU RISQUE DE PANDÉMIE GRIPPALE

P.13

DAILYMAIL.CO.UKLe virus H5N1

VOLUME 7 NUMÉRO 1 FÉVRIER 2012

Page 2: LES NOUVEAUX D FIS DE LA S CURIT …...P.6 LEXPRESS.FR En ce d but du XXIe si cle, le nombre de conßits nÕa pas diminu en d pit de la victoire des d mocraties lib rales quÕavait

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ÉditorialPHILIPPE C. MARTINECandidat au doctorat en études internationalesChaire de recherche du Canada sur les conflits identitaires et le terrorismeUniversité [email protected]

Volume 7 - Numéro 1 - Février 2012

LES ÉCOLES INTERNATIONALES D’ÉTÉ DES HEIActualisez vos connaissances sur des enjeux d’actualité, rencontrez des experts internationaux reconnus et enrichissez votre réseau professionnel par une formation unique, pluridisciplinaire et participative des Hautes études internationales (HEI).

ÉCOLE D’ÉTÉ SUR LES TERRORISMES Québec, 6 au 12 mai 2012 – 4e éditionOrganisée avec l’Équipe de recherche sur le terrorisme et l’antiterrorisme (ERTA), La Chaire de recherche du Canada sur les confl its identitaires et le terrorisme, le Programme Paix et sécurité internationales (PSI), la formation porte cette année sur les Terrorismes 2.0 - Appréhender la menace réelle et traquer l’invisible.

ÉCOLE D’ÉTÉ SUR LES AMÉRIQUES Québec, 13 au 18 mai 2012 – 9e éditionOrganisée par le Centre d’Études interaméricaines (CEI), cette formation présente les grands enjeux associés à l’essor de l’industrie extractive dans les Amériques.

ÉCOLE D’ÉTÉ SUR LES CONFLITS ET LES INTERVENTIONS INTERNATIONALESQuébec, du 27 mai au 2 juin 2012 – 1re éditionOrganisée avec Sciences Po Bordeaux (France), cette formation abordera les interventions étrangères dans les confl its internes : prévention, acteurs et mécanismes d’interventions, conséquences et résolution.

Information et inscription : www.hei.ulaval.ca/ecoles_dete

Foire d'empoigne dans le cyberespace

La publication par Wikileaks de milliers de fils diplomatiques embarrassants et les attaques d'Anonymous contre des firmes de sécurité travaillant en étroite collaboration avec le Département d'État américain (STRATFOR et SpecialForces) ont révélé l'existence de nouvelles menaces aux intérêts stratégiques des États, mais aussi, l'apparition de nouvelles formes de résistances citoyennes. Elles ont surtout permis de mesurer à quel point la toile bouleverse la conception traditionnelle de la « sécurité », mais plus fondamentalement, de la liberté.

Le cyberespace est depuis quelques semaines le théâtre d'un affrontement entre les tenants du libre accès au contenu numérique et ceux qui privilégient le strict encadre-ment de cet espace éminemment anarchique.

Cette confrontation a connu un nouveau rebondissement le 18 janvier dernier alors que plusieurs acteurs du web se sont mobilisés contre les projets de loi américains SOPA (Stop Online Piracy Act) et PIPA (Protect IP Act) qui avaient pour objectif de ren-forcer les dispositifs de lutte contre la contrefaçon et le piratage en ligne en fournissant aux entreprises lésées des moyens sans-précédents pour faire respecter leurs droits, mais surtout, leurs intérêts.

L'interruption de service du site anglophone de Wikipédia et de Reddit pendant 24 heures, ainsi que la décision plus symbolique de Google, de Firefox et du Huffington Post de censurer leurs logos, ont permis d'alerter l'opinion publique aux risques que SOPA et PIPA faisaient planer sur la liberté d'expression et de diffusion sur le web.

Le lendemain de cette journée nationale de mobilisa-tion, les autorités américaines procédaient de manière spectaculaire à la fermeture du site de téléchargement en ligne Megaupload et à l'inculpation de ses proprié-taires pour racketing, complot pour violation de droit d'auteur et complot pour blanchiment d'argent. L'effet fut immédiat chez les autres sites d'échanges et de stoc-kage de fichiers numériques ; Filesonic, Videobb, File-serve, etc., supprimèrent avec un zèle inaccoutumé les données soupçonnées d'être piratées de peur de subir le même sort que Megaupload.

Ce coup d'éclat suscita la réponse la plus virulente à ce jour du groupe Anonymous. Jugeant la procédure en justice liberticide et disproportionnée - Kim Schmitz, le propriétaire de Megaupload, encourt jusqu'à 50 ans de prison - les hacktivistes sont passés à l'action. Des attaques de déni de service ont frappé coup sur coup d'importantes agences américaines comme le FBI, le département de justice américain, l'Office américain de la protection des droits d'auteur, en plus de viser des majors de l'industrie du divertissement, comme Warner Music Group et Sony.

Seulement, l'effet de telles attaques reste limité com-parativement aux moyens dont disposent leurs vis-à-vis. De ce fait, l'émergence du hackage comme mode d'ac-tion subversif ou séditieux ne risque pas de dissuader les États de s'immiscer un peu plus dans le cyberes-pace, dans sa normalisation, son encadrement et sa surveillance, comme en fait foi la signature le 26 jan-vier dernier de l'accord commercial international ACTA (Accord commercial anti-contrefaçon) par 22 États qui restreint un peu plus la liberté des usagers du web au profit des propriétaires de droits d'auteur. Les récentes actions d'Anonymous, quoiqu'illégales, ont à tout le moins le mérite d'interpeler l'opinion publique quant au devenir de cette utopie démocratique qu'est la toile.

RÉDACTEUR EN CHEF  : Philippe C. Martine

DIRECTRICE GÉNÉRALE  : Jihane LamouriCOORDONNATRICE DES AFFAIRES ADMINISTRATIVES  : Cindy MarcouxCOORDONNATRICE DE LA COMMUNICATION : Véronique Labonté COORDONNATEUR AUX PARTENARIATS ET AUX ÉVÉNEMENTS  : Kim GauthierCO-RESPONSABLES DE LA PUBLICITÉ  : Bénédicte Collignon CHARGÉ DE RUBRIQUE : Adib BencherifCONCEPTION GRAPHIQUE  : Gabrielle Matte

Vous souhaitez collaborer à la parution du prochain numéro de Regard critique,

soumettez votre thème à [email protected]. Pour toute question, commentaire

ou si vous désirez annoncer dans Regard critique, prière de contacter

[email protected]. Les opinions présentées dans les différents articles n’engagent que

les auteurs. Regard Critique est la propriété du Regroupement des Etudiant(e)s à la Maîtrise et au

Doctorat en Etudes Internationales

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SOUTENEZ REGARD CRITIQUE!Regard critique, le journal des hautes études internationales, avec le soutien de la Fondation de l’Université Laval et des Hautes études internationales de l’Université Laval, est heureux de vous annoncer la création du Fonds Regard critique. Les sommes récoltées serviront à la production du journal et la poursuite de sa distribution de manière gra-tuite pour le grand public. Elles contribueront également à améliorer son développement.

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Regard d’expert

AURELIE CAMPANATitulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les conflits identitaires et le terrorisme. Professeure adjointe au Département de science politique [email protected]

Propos recueillis par Adib Benchérif, Chargé de rubriques

Les menaces transnationales sont nom-breuses et diffuses. Parmi elles, la menace qui suscite le plus d’engouement médiatique conformément à son caractère spectacu-laire est sans conteste le terrorisme. Cepen-dant, le terrorisme est-il réellement la plus grande menace planant sur le XXIe siècle ? Peut-on définir le phénomène ? Le com-portement des terroristes tient-il de l’irra-tionnel ? La menace que fait peser Al-Qaïda sur le monde libre est-elle toujours d’actua-lité ? C’est à toutes ses questions qu’Aurélie Campana, professeure au département de science politique de l’Université Laval, tente de répondre en apportant des nuances nécessaires au traitement d’un pareil sujet.

Parmi les différentes menaces trans-nationales que l’on pourrait identifier, telles que la criminalité transnationale, le narcotrafic, les grandes pandémies ou le terrorisme, ce dernier retient notre attention par son caractère spectaculaire. Est-il toutefois juste de le considérer comme la menace la plus importante de notre ère ?

Le terrorisme est une menace qui prend plus ou moins d’importance, dépendamment de la manière dont les États définissent leur agenda politique. Pour les États-Unis, par exemple, le terrorisme est une des menaces les plus importantes, surtout le terrorisme dit « transnational ». Pour d’autres États, le terrorisme est une menace importante, mais d’autres enjeux peuvent apparaître prioritaires. Il y a cependant une prise de conscience depuis le 11 septembre 2001 du potentiel de nuisance du terrorisme trans-national, incarné au cours de la dernière

décennie par Al-Qaïda. Cette organisation n’est toutefois plus ce qu’elle était.

Peut-on alors considérer qu’un nou-veau terrorisme a éclos après les at-tentats du 11 septembre 2001 ?

Certains auteurs l’affirment, mais je ne partage pas tout à fait leur point de vue. Il y a à mon sens plus de continuités que de ruptures avec les périodes précédentes. Pour autant, il ne faut pas verser dans le travers contraire et dire que le terrorisme n’a pas connu d’évolutions. En effet, la mon-dialisation et les nouvelles technologies ont accompagné une évolution du terrorisme, tout comme les capacités d’innovation et d’adaptation des groupes terroristes à une nouvelle réalité. Cependant, les affirma-tions qui consistent à dire que le nouveau terrorisme est plus meurtrier qu’aupara-vant, qu’il revêt une dimension avant tout transnationale, qu’il est moins hiérarchisé et plus atomisé, et enfin qu’il émane de groupes religieux, ne se vérifient pas tou-jours.

À dire vrai, de nombreux groupes ter-roristes ont cherché à s’internationaliser dans les années 1960 et 1970 et ont établi des liens avec d’autres organisations ter-roristes. Parmi eux, l’on peut citer l’IRA, l’ETA, mais aussi certains groupes palesti-niens. L’internationalisation existait ainsi bien avant la formation d’Al-Qaïda. Quant à la structure des groupes, nous pouvons certes considérer que certains groupes sont plus atomisés et évoluent davantage en réseaux, mais cela ne concerne pas toutes les organisations terroristes. De manière générale, il faut éviter de penser le terro-

risme à travers le prisme Al-Qaïda. Quant au caractère spectaculaire des attentats, après le 11 septembre 2001, l’intensification de la couverture médiatique des phénomènes ter-roristes crée une sorte de distorsion. Il n’y a d’ailleurs pas d’unanimité quant à savoir si le terrorisme d’aujourd’hui fait plus de vic-times que les terrorismes des années 1960-1980. Et ce, pour trois raisons principales. Premièrement, comme les définitions du terrorisme divergent, la comptabilisation des actes terroristes et des victimes qu’ils engendrent est sujette à débats. Deuxième-ment, les attentats meurtriers du 11 sep-tembre, de Bali, Madrid, Londres et Beslan ont quelque peu faussé notre perception du terrorisme, qui reste extrêmement divers dans ses expressions et ses modes d’action. Enfin, la multiplication des attentats en Irak entre les années 2006 et 2008 est venue gon-fler les statistiques. Quant au rapport à la religion, il est complexe. Mais, dans la plu-part des cas, les revendications des groupes terroristes, même religieux, sont avant tout politiques.

Alors à défaut de nouveau terrorisme, peut-on définir ce qu’est le terrorisme au final ? La littérature dans le do-maine semble en faire un phénomène à la traduction conceptuelle poreuse et malléable...

Les définitions académiques sont en effet nombreuses. De plus, le terrorisme a évolué dans le temps et l’espace, ce qui complique la tâche. Par ailleurs, il est difficile de réunir tant d’actes et de terrorismes différents sous une seule et même définition. Les représen-tations dominantes au sujet de la violence jouent un rôle dans l’appréhension des phé-nomènes terroristes. Il n’est ainsi par tou-jours aisé de distinguer ce qui relève de la guérilla ou du terrorisme. L’appréciation devient difficile, car les groupes insurgés ont très souvent recours au terrorisme. D’ailleurs, un groupe terroriste n’utilise pas que le terrorisme, mais aussi d’autres méthodes. Du reste, l’environnement inter-national ainsi que l’environnement national concourent à modeler notre appréhension du phénomène.

Dans l’imaginaire collectif, le terro-riste est vu comme un acteur irra-tionnel. Qu’en est-il au final ?

En règle générale non, le terroriste n’est pas un acteur irrationnel, tant s'en faut. Il y a tout un ensemble de processus qui amène à passer au terrorisme. Mais, les leaders des groupes ont souvent un rôle central dans la prise de décision. Les enquêtes tendent à démontrer que la majorité des terroristes se compose généralement d’individus édu-qués, capables de rationaliser leur partici-pation à des actes terroristes.

De manière générale, les individus qui appartiennent à des organisations sont des acteurs rationnels. La dynamique qui s’ins-taure au sein du groupe joue également un rôle important. Il en est de même pour les attentats-suicides, même si plusieurs ana-lystes ont évoqué la contrainte qui pouvait peser sur les futurs kamikazes, particuliè-rement quand ces derniers sont des femmes. L’exemple de la Tchétchénie est fréquem-ment évoqué. Si l’on ne peut totalement

exclure cette dimension, on ne peut que constater à travers des enquêtes, par défi-nition difficiles, la capacité des individus engagés dans des groupes terroristes à rationaliser leurs actions et à l’intégrer dans des discours victimisant plus larges.

De plus, il ne faut pas oublier que la notion de martyr n’est pas exclusive aux groupes terroristes. Elle est polysémique et peut être utilisée par certains groupes nationalistes par exemple, qui érigent certaines person-nalités en martyrs de la cause collective, souvent par-delà leur mort. Par ailleurs, dans le monde musulman, la notion de martyr a une consonance particulière ; elle intègre un univers de sens plus large. En ce sens, elle peut être intégrée à un discours rationalisant a priori ou a posteriori l’acte.

Le terroriste serait donc un acteur rationnel. Par ailleurs, il n’y aurait pas un terrorisme, mais des terrorismes. Al-Qaïda, qui demeure le groupe ter-roriste avec la plus grande visibilité médiatique, même s’il n’incarne pas à lui tout seul le terrorisme, reste un sujet d’interrogations incessantes. Ce groupe incarne-t-il toujours la même menace ?

Il faut distinguer pour commencer Al-Qaïda central et ses affiliés et alliés. Al-Qaïda central est sorti très affaibli de la campagne engagée en Afghanistan et au Pakistan par les Américains entre autres. La mort de Ben Laden lui a asséné un coup très dur. D’ailleurs, les révolutions du « prin-temps arabe » ont montré qu’Al-Qaïda avait finalement peu d’influence sur les jeunes de ces pays et que l’idéologie qu’elle défend a assez peu de résonance. Al-Qaïda n’a plus la place qu’on a bien voulu lui prêter. De plus, ce groupe n’est en effet pas le seul à s’« ins-crire » dans l’islamisme ; d’autres groupes aussi existent, certains violents, d’autres non.

Enfin parmi les affiliés et les branches se rattachant à Al-Qaïda central, nous pouvons identifier AQPA (Al-Qaïda dans la péninsule arabique), Al-Qaïda en Irak, AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique), mais aussi Al-Shab-baab, un groupe islamiste somalien entre-tenant des relations avec Al-Qaïda central. Ce dernier est particulièrement actif en Somalie et au nord du Kenya.

AQMI, pour sa part, a considérablement étendu, au cours des dernières années, sa zone opérationnelle aux régions du Sahel et du Sahara. AQMI a d’ailleurs renouvelé ses menaces contre la France, menaçant d’exécuter les otages français qu’il détient, si jamais la France tentait une quelconque intervention pour les libérer. Pour AQPA, le groupe semble avoir profité de l’instabi-lité au Yémen pour conforter ses assises et gagner de nouvelles positions. Au plus fort de la contestation à Sanaa contre le prési-dent Saleh, AQPA s’est emparé de plusieurs villes dans le sud du Yémen. Quant à Al-Qaïda en Irak, l’organisation est moribonde et a perdu la plupart de ses appuis entre 2007 et 2008. Il convient de considérer ainsi que sous la bannière d’Al-Qaïda se cache une réalité plurielle, tout comme derrière la notion de terrorisme.

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Portrait des conflits asymétriques

ABDERRAZZAK EL-LAIACandidate à la maîtrise en Études internationales Université Laval [email protected]

Avec la montée en puissance du terrorisme dans les années 1990, plusieurs stratèges ont évoqué le changement du paradigme de la guerre et souligné la nécessité de se préparer à un nouveau type de conflit, dit asymétrique, qui dominera les conflits futurs. Ce constat va donc imposer une redéfinition des doctrines militaires et la recherche de nouvelles réflexions stratégiques à même de mieux appréhender ce phénomène. Mais, force est de constater que ce concept de guerres asymétriques est très ancien. Il a été façonné au cours de l’Histoire par de nombreux stratèges militaires dont le plus ancien récit remonte à 500 av. J.-C., écrit par Sun Tsu, puis au 19e siècle par Carl von Clausewitz (1780-1831) qui avait posé ses principes de base et souligné la gravité de cette forme de conflit ; et enfin David Gallula qui a repris ces réflexions et les a adaptées à la réalité actuelle.

L’appellation conflit asymétrique est définie en opposition à la notion de conflit symétrique qui renvoie aux guerres conven-tionnelles, ou traditionnelles. Celles-ci font intervenir les armées régulières qui sont dotées d’une certaine organisation et qui opèrent conformément à une doctrine donnée. Les combats se déroulent sur un théâtre déterminé selon des planifications préétablies par les États-majors des deux camps ; pensons par exemple aux deux guerres mondiales.

La notion de conflit asymétrique, qui est parfois qualifiée de conflit à basse inten-sité ou de guerre non conventionnelle, fait référence à des conflits qui se déroulent généralement en zone urbaine et dont les deux camps sont de natures différentes. Les forces régulières sont confrontées à des groupuscules insaisissables et mêlés à la population civile. L’armée peut dès lors se retrouver prise au piège, être constamment harcelée, perdre l’avantage de l’initiative et de la décision de la confrontation. Le mode d’engagement asymétrique permet ainsi de renverser le rapport de force entre les bel-ligérants au profit des groupes qui en font l’utilisation.

Ni l’expérience de l’armée régulière, ni ses règles d’engagement ou ses équipements, même sophistiqués, ne sont pleinement adaptés à ce genre de combat. Qu’elle est l’efficacité d’un avion de chasse face à des terroristes dissipés au sein d’une foule ? Il s’agit donc d’une guerre très coûteuse et à deux vitesses où les deux camps combat-tent avec des moyens non proportionnés, et où le facteur psychologique est le plus déter-minant. Ce modèle de conflit est illustré par les mouvements révolutionnaires, les gué-rillas, les mouvements anticoloniaux, les complots ou les coups d’État, les insurrec-tions, les mouvements terroristes, les orga-nisations criminelles, etc.

Il y a lieu de souligner que le contexte actuel de la mondialisation a amplifié davantage ce phénomène d’asymétrie en rapprochant les distances et en facilitant l’utilisation des nouvelles technologies d’information et de communication par ces groupes irréguliers, ce qui leur permet ainsi de défier la supériorité technologique des forces régulières. En témoigne le Printemps arabe où l’utilisation de réseaux sociaux

comme Facebook, simple moyen de mobili-sation pour les insurgés, peut s’avérer une arme redoutable pouvant transformer une apparente victoire tactique d’un régime rigide en une défaite stratégique.

Ainsi, pour mieux comprendre le concept d’asymétrie, il y a lieu de passer en revue certains principes régissant ces mouve-ments qui ont été clarifiés par les stratèges.

Les différents types de conflitsSi l’on est tenté de définir chacun de

ces types de conflits, on peut dire que le mouvement révolutionnaire est un conflit interne, spontané, opposant un ou plusieurs groupes nationaux à un pouvoir central qui possède des forces armées et une police et qui contrôle l’administration en place. Les exemples de la révolution à Cuba, en Chine (1911), en Hongrie (1956), et plus récem-ment, celle de la Libye (2011), en constituent les exemples types.

La guerre civile est un conflit armé qui se déroule dans un État, qui dure dans le temps, et qui oppose des groupes armés entre eux ou contre les forces armées régu-lières. Elle divise le pays et le degré d’inten-sité des hostilités est tellement important que l’État n’arrive plus à maitriser la situa-tion et à instaurer la sécurité sur l’ensemble de son territoire. La guerre d’Espagne, d’Algérie dans les années 1990 en sont des exemples probants. Les guerres d’indépen-dance sont également considérées comme des guerres civiles.

Quant au complot ou au coup d’État, c’est une action généralement armée et secrète préparée par un groupe d’individus, bénéfi-ciant souvent de l’appui de l’armée, visant à renverser le pouvoir suprême de l’État et à arracher le contrôle sur le pouvoir civil. Elle est impopulaire et ne se prolonge pas dans le temps, ce qui la différencie de la révolu-tion. Ce fut le cas par exemple à Fidji en 2006 ou au Niger en 2010.

L’insurrection est un soulèvement popu-laire contre le pouvoir en place. C’est un mouvement imprévisible qui s’installe dans la durée, qui se rapproche de la révolu-tion, mais qui s’en différencie par un degré d’intensité moindre comme ce fut le cas à Budapest en 1956, en Chine en 1927, et plus récemment, dans le monde arabe.

Sun Tsu et le conflit asymétriqueDans l’article VII de son ouvrage L’Art

de la guerre, Sun Tsu a distingué la guerre indirecte, de la guerre directe, en postulant qu’en arrivant à bien maîtriser ces deux approches, le commandant d’une armée était garanti de sortir victorieux des hosti-lités.

Selon Sun Tsu, l’approche directe ren-voie à l’engagement direct des forces dans la bataille et renvoie à la préparation de la manœuvre et au savoir-faire du chef mili-taire ; tandis que l’approche indirecte cor-respond à l’usage de leurres et de strata-gèmes visant à vaincre l’ennemi et le rendre confus, tout en évitant au maximum la confrontation directe. Dans ce cadre, Sun Tsu met en garde le chef militaire contre les périls des confrontations de courtes durées qu’il n’a pas prévues dans sa planification ou auxquelles il n’est pas bien préparé et dont il n’est pas certain de remporter la victoire. Ces combats constituent le terrain privi-légié des mouvements insurrectionnels et de guérillas.

Le concept d’asymétrie de ClausewitzDans son ouvrage Vom Grieg (De la

guerre), fruit d’une observation méticuleuse du déroulement de la guerre et d’une riche expérience militaire sur le terrain, le stra-tège prussien Carl Von Clausewitz a posé les principes de bases qui régissent les guerres qui opposent des armées conventionnelles.

Au départ, la structuration moderne des armées nationales est une nouveauté intro-duite par Napoléon 1er, par laquelle l’État s’est doté d’une armée de métier engagée sur la base de la conscription et non com-posée de groupes de mercenaires payés par le souverain à l’occasion d’un conflit.

Clausewitz a observé le déroulement de la guerre d’Espagne, qui était d’une tout autre nature. Il en a tiré des enseignements stra-tégiques très importants et les a qualifiés de « petites guerres » (guérilla en espagnole). Clausewitz a décrit ces guerres populaires comme « un brasier qui s’étend, dévore le sol où se tient l’armée ennemie. Elle a besoin de temps pour réussir, un état de tension de développe […] il va […] déclencher une crise où les flammes d’un incendie vont partout aller brûler l’armée ennemie, et la contraindre à évacuer le pays avant qu’il ne se transforme en tombeau ».

L’asymétrie selon le Lieutenant-Colonel David Galula

C’est le Lieutenant-Colonel français David Galula qui a modélisé avec une grande pré-cision la théorie des conflits asymétriques après avoir accumulé une expérience dans la guerre révolutionnaire en tant qu’officier de liaison à la Section de liaison française en Extrême-Orient la (SLFO) envoyée dans le contexte des troubles indochinois en 1945, durant la grande insurrection chinoise maoïste, en tant qu’observateur des Nations Unies pour la guerre civile en Grèce entre en 1949 et en tant que Commandant d’une compagnie d’infanterie des forces colo-niales françaises en Algérie en 1956.

Son ouvrage écrit en 1963 et intitulé Contre Insurrection, théorie et pratique, est devenu une référence pour les responsables militaires américains. Le général américain David H. Petraeus le compare à Vom Grieg de Clausewitz lorsqu’il écrit « Bernard Brodie disait du De la Guerre de Clausewitz qu’il s’agissait non seulement du grand, mais du seul grand livre jamais écrit sur la guerre. De la même façon, on peut dire de l’ouvrage de Galula qu’il est à la fois le plus grand et le seul plus grand livre jamais écrit sur la guerre non conventionnelle. L’œuvre et la carrière de Galula sont d’autant plus actuelles et importantes que cette forme de conflit a de sérieuses chances de dominer l’actualité du XXI siècle […] Lire Galula constitue certes un pas significatif vers une adaptation des mentalités aux exigences de la guerre moderne ».

Galula présente le concept d’asymétrie comme « le combat entre la mouche et le lion, la mouche ne peut pas mettre le lion K.O. et le lion ne peut pas voler. Le cadre espace-temps est le même pour les deux, mais on assiste bien à deux combats diffé-rents ». Son empreinte réside dans la défini-tion de quatre lois spécifiques de la stratégie de contre insurrection qui sont le soutien de la population est aussi vital pour les loya-listes que pour l’insurgé ; ce soutien s’obtient par l’action d’une minorité active ; le soutien de la population ne s’obtient que sous cer-taines conditions ; l’intensité des efforts et la quantité des moyens sont nécessaires.

Comprendre les conflits asymétriques En somme, comprendre les conflits asy-

métriques n’est pas chose aisée vu la mul-tiplicité et la complexité des facteurs qui interagissent. Pour reprendre un des plus célèbres principes de Clausewitz, le centre de gravité d’une insurrection n’est plus son leader ou la puissance de son groupe, mais c’est la population au sein de laquelle évo-luent les insurgés. La victoire ne réside pas dans la destruction des forces insurgées ou de son appareil politique, mais du soutien qu’elle tire de la population. Ainsi, peut-on comprendre la pertinence de la devise adoptée par les forces de coalition en Afgha-nistan et par les Américains en Irak vers la fin de 2006, qui consiste à gagner les cœurs et les esprits des populations afghanes et irakiennes plutôt que d’imposer leur dictat.

On peut finalement dégager trois caracté-ristiques des conflits asymétriques : d’abord, ils évoluent rapidement dans le temps. Plu-sieurs facteurs temporels les rendent plus puissantes et durables. Ensuite, les straté-gies adoptées, que ce soient celles des loya-listes ou des insurgés, diffèrent selon le fac-teur géographique. L’Afghanistan et d’Irak en sont des illustrations évidentes. Enfin, chaque conflit est unique du fait de la spéci-ficité de la population au sein de laquelle il se déclenche. Mao Zedong écrivait d’ailleurs « quiconque est responsable de mener une guerre révolutionnaire doit étudier les lois de la guerre révolutionnaire. Quiconque est en mesure de mener une guerre révolu-tionnaire en Chine doit étudier les lois de la guerre révolutionnaire chinoise ». C’est dire que le facteur de la population détermine le sort d’un conflit asymétrique.

Volume 7 - Numéro 1 - Février 2012

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Les rapports ambigus de l’État et du crime organisé

HOBIVOLA A. RABEARIVELOCandidat au doctorat en Etudes InternationalesUniversité [email protected]

5www.regardcritique.ulaval.ca

En gros titre du numéro du printemps  2010 consacré à la criminalité transnationale organisée, Christopher Sabatini, rédacteur en chef d’American Quarterly, affirmait qu’elle représente «  actuellement la pire menace à la démocratie », faisant écho aux derniers travaux d’économie politique de Susan Strange. En limitant la portée de son propos aux États démocratiques, il s’est bien gardé de porter un jugement sur la menace qui pèse sur les États en général, et à raison. Les rapports entre l’État et le crime organisé ne sont pas aussi tranchés que ce que nous en rapportent souvent les médias et d’autres organisations.

« Les paradoxes du crime organisé »Dans un article à contre-courant publié

en 2002 dans la revue Crime, Law & Social Change, Letizia Paoli, professeure de cri-minologie à l’Université catholique de Lou-vain en Belgique, démontrait à quel point on avait une conception erronée du phénomène et mettait en évidence « [l]es paradoxes du crime organisé ». Depuis qu’elle est devenue un objet de débat public, la criminalité orga-nisée est présentée comme une organisa-tion de type firme, avec une identité collec-tive et une hiérarchie bien définies, dont les activités principales sont de nature illégale, que ce soit en termes de biens ou de services fournis. Or, elle montre deux choses.

Tout d’abord, ceux qui fournissent des biens illégaux, comme la drogue, les biens volés ou la contrefaçon, agissent dans une structure plutôt désorganisée. La nature illégale du marché, pour lequel l’État met en place une surveillance plus impor-tante, oblige les fournisseurs à s’organiser pour passer le plus inaperçu possible du système. Chaque maillon de la chaîne ne connait généralement que son fournisseur et son client directs et n’a aucune idée de la structure réelle de la filière. Cela permet aux acteurs de rentrer et sortir de la chaîne à moindre risque. On parle alors de réseau plutôt que d’entreprise organisée avec une hiérarchie et une identité collective propres. L’image que nous donnent les autorités et les médias du trafic illicite, sans être totale-ment fausse, est donc inexacte et exagérée.

D’autre part, Letizia Paoli explique que les véritables grandes entreprises criminelles, dont la mafia fait partie, ne limitent pas leur activité au crime et que leur organisa-tion résulte encore moins de ce type d’exer-cice. Elle rappelle que les groupes comme les Yakusa au Japon ou la Cosa Nostra en Italie se sont développés à une époque où leurs activités n’étaient pas considérées comme illégales, ou se sont constitués en vue de poursuivre une vocation sociale et non économique. En outre, la partie illicite de ces activités, à mesure des adaptations à la modernité, se révèle marginale com-parée à leur activité générale. La collecte des déchets par les mafias de la région de Naples en Italie en est une illustration. Pour autant, ces organisations ont déjà une longue histoire et les nouvelles entreprises

criminelles transnationales semblent s’être développées à travers des relations plus ambigües avec les autorités publiques.

Les rapports équivoques avec les autorités

Christopher Sabatini dépeint le crime organisé comme la principale menace pesant sur les démocraties, dans des États où règne l’état de droit. Cela implique que tout le monde y est soumis par le droit, du citoyen lambda aux plus hauts représen-tants politiques. Or, le développement du crime organisé contemporain montre des rapports équivoques avec l’autorité. Cor-ruption et népotisme font souvent les unes de grands quotidiens au sujet de scandales reliant les organisations criminelles et cer-tains politiciens.

Dans les années 1980, la presse améri-caine rapportait les innombrables pour-suites du procureur fédéral Rudolph Giu-liani contre les criminels en col blanc de New York. La décennie suivante en Italie, l’opération « Mains propres » dirigée par le procureur général Francesco Saviero Bor-relli lançait la guerre de la Justice contre les mafias et les politiciens corrompus. Entre-preneurs, sénateurs, anciens ministres, personne n’a été épargné. Ces affaires ont révélé au grand jour les liens qui unissent parfois le crime organisé et les dépositaires de l’autorité publique, jusque dans les démo-craties.

Aujourd’hui encore, la guerre contre le narcotrafic au Mexique en est un exemple criant. En 2008, Armando Alexis rapportait dans Le Monde diplomatique que certains groupes criminels comme les Zetas sont composés d’anciens membres des forces spéciales mexicaines. Gabriel Coulombe rappelait en octobre 2010 dans Regard cri-tique que « la corruption au sein des forces de l’ordre est profondément enracinée dans la société mexicaine ». En 2011, Vincent Foucher, chercheur à l’International Crisis Group, présentait à Radio France Interna-tionale (RFI) les liens de l’ancien président de Guinée-Bissau Joao Bernardo Vieira et de son chef d’état-major de la marine avec le trafic de drogue international. Ces exem-ples illustrent à quel point le crime organisé ne s’est pas développé indépendamment des représentants de l’autorité publique, d’où la

notion de narco-État dans les cas les plus extrêmes.

Mafias, chefs de guerre et États défaillants

Mais les organisations criminelles se développent aussi dans des cadres où les représentants de l’État ne sont pas pré-sents. La conception westphalienne de l’État moderne veut que son droit et sa force s’exercent uniformément sur l’ensemble du territoire sur lequel il a juridiction. Or, c’est souvent loin d’être le cas, y compris en Occi-dent. Ces zones de non-droit apparaissent soit parce que l’État n’y a pas de représen-tants pour y asseoir son autorité, soit parce que ces derniers ne sont pas en nombre suffisant pour contrebalancer les autres formes pouvoirs locaux.

Dans un article publié en 2001 dans la revue Economics of Governance, Stergios Skaperdas, professeur d’économie à l’Uni-versité de Californie à Irvine, expliquait comment « le crime organisé émerge d’un vide de pouvoir » lorsque l’État n’exerce pas son autorité. C’est dans un tel contexte que les organisations criminelles historiques - les mafias en Italie, en Sicile et aux États-Unis, les Triades en Chine ou les Yakusas au Japon, parmi d’autres - ont réalisé leur expansion. Ces groupes se développent entre autres pour « fournir une protection lorsque l’État ne le fait pas ». Cette protec-tion s’exprime en termes économiques par une offre de travail, dans le domaine licite ou illicite, ou sur le plan social, par la mise en place d’une justice locale, par exemple. C’est cette dernière qui pousse l’organisa-tion dans la criminalité puisque justice est souvent rendue par le sang, allant de ce fait à l’encontre du principe wébérien du mono-pole de l’exercice de la violence par l’État.

Paul Jackson démontrait en 2003 dans la revue Small Wars & Insurgencies que l’ab-sence de protection de l’État a permis l’émer-gence des chefs de guerre contemporains. Pour le cas de la Somalie par exemple, Pris-cyll Anctil-Avoine rappelle dans le numéro d’avril 2011 de Regard critique que « les par-tisans d’Al-Shabaab rejoindraient davan-tage les rangs pour des raisons de nécessité que pour des raisons idéologiques. » Cette nécessité peut être la contrainte, sous peine de mort, imposée par le groupe, mais aussi

la recherche de protection pour échapper à la violence d’un autre groupe, ou tout sim-plement la recherche d’une rémunération offerte par le pillage ou les autres acti-vités de l’organisation pour s’extirper de la misère. Car mener une guerre, qui dure par-fois depuis plusieurs décennies, demande des moyens (armes, carburant, transport, financement, etc.) souvent issus d’activités illégales et donc liées à la criminalité trans-nationale organisée.

Penser la criminalité organiséePenser la criminalité organisée demande

donc qu’on prenne du recul du fait de sa complexité. Un réseau criminel n’est pas toujours organisé comme une entreprise hiérarchisée avec une identité partagée par ses membres. De la même manière, les

organisations criminelles transnationales n’ont pas toutes le crime comme activité principale. De plus, elles ne se développent pas nécessairement contre l’État. Si c’est le cas dans un État de droit, cela peut aussi se faire en connivence avec les représentants de l’autorité publique, voire même en pal-liatif à leur absence. Les relations des orga-nisations criminelles avec l’État sont donc variées, et les limiter à une simple opposi-tion est réducteur.

Dans un contexte où l’État se désengage des domaines autrefois régaliens comme la sécurité, l’armement, la protection sociale ou médicale, pour les privatiser ; et de crois-sance de la précarité et du chômage, le mécontentement croissant des populations doit servir d’avertissement. Si l’État ne leur offre pas l’assurance du bien-être auquel elles aspirent dans un cadre réglementaire adéquat, d’autres organisations le feront. En 1961, le président américain Dwight Eisenhower sonnait l’alarme : « nous devons prendre garde à l’acquisition d’une influence illégitime, qu’elle soit recherchée ou non, par le complexe militaro-industriel. Le risque d’un développement désastreux d’un pouvoir usurpé existe et persistera. » Ce qu’il disait pour l’industrie de l’arme-ment apparait tout autant pour les services que peut offrir le crime organisé là où l’État cède sa place. La libéralisation a certes pour effet de diminuer les dépenses l’État, mais la démocratie a aussi un prix qu’on ne peut pas réduire indéfiniment.

La corruption est le principal moyen par lequel le crime organisé s'immisce dans les affaires de l’État. TRANSPARENCY INTERNATIONAL - CORRUPTION PERCEPTIONS INDEX 2010

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ACTUDEFENSE.COM Individus apparaissant en public en tant qu’Anonymous et portant le masque de Guy Fawkes porté par le personnage de V dans le film V pour Vendetta

Volume 7 - Numéro 1 - Février 2012

SUITE DE LA PAGE 1

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attaques en visant le FBI, l’OTAN, l’ONU, les sites d’information, etc.) avec des objectifs divers, et pro-fitent de la forte médiatisation de leurs actions par les médias internationaux.

En effet, pour se distinguer des autres groupes, ils utilisent comme symbole le masque du héros de « V pour Vendetta », film dystopique dans lequel le personnage masqué cherche à renverser un régime autoritaire. Des références religieuses sont égale-ment utilisées dans leur discours, et en particulier des métaphores qui visent à renforcer l’impression de leur toute-puissance numérique (le fameux « nous sommes légion »).

L’anonymat qu’ils revendiquent leur est à la fois profitable et néfaste : certes, le fait de garder leur identité secrète leur confère une relative sécurité, mais les rend en même temps vulnérables aux usur-pations d’identités par des hackers qui veulent les concurrencer. En effet, de nombreuses annonces d’attaques (Facebook, Wall Street, etc.) ont été démenties par les « vrais » Anonymous. Le danger est ainsi bien réel : la multiplication d’attaques sui-vies par des résultats mitigés ou encore la poursuite d’attaques contre des entités non conformes aux objectifs initiaux fragilisent le pouvoir d’attraction des Anonymous.

Un parallèle, quoique ténu, peut être établi entre le modus operandi des sympathisants d’Anonymous et la nébuleuse terroriste Al-Qaïda : le réseau d’ori-gine a été largement médiatisé à la suite d’actions d’envergure, après quoi d’autres militants plus ou moins engagés ont voulu être associés à ce groupe ; l’idée étant que la légitimité et la puissance détei-gnent sur tous ceux qui y sont associés (Al-Qaïda / Al-Qaïda Maghreb islamique AQMI et Anonymous / Anonymous France, etc.). La comparaison s’arrête cependant là, dans la mesure où n’importe qui peut se revendiquer d’Anonymous, ce qui n’est pas le cas pour Al-Qaïda.

« Les » AnonymousLa Behaviour Science Unit (BSU) de l’Académie du

FBI située à Quantico en Virginie a tenté de définir le profil type d’un Anonymous, mais sans succès puisque tous les internautes peuvent théoriquement s’en réclamer. Il s’agit là d’une difficulté majeure pour les Anonymous : qu’est-ce qui les relie entre eux ? Quels liens établir entre une attaque contre l’Église de Scientologie, le piratage du réseau de l’entreprise Sony, l’aide aux cybermilitants du Prin-temps arabe de 2011, des menaces contre les cartels de drogue mexicains ou bien contre des réseaux de pédophiles ? Il est clair que « les Anonymous origi-nels » ne sont pas à l’origine de toutes ces initiatives et que d’autres groupes qui poursuivent des objec-tifs qui leur sont propres se sont joints à eux après leurs premiers exploits.

Cette différenciation des groupes d’Anonymous, car c’est bien ainsi qu’il faut les nommer, se vérifie également au niveau de la technicité de leurs cybe-rattaques. Les médias oublient fréquemment de distinguer les cyberattaques qui se sont multipliées depuis novembre 2011. Pourtant, à l’exception de celles qui ont visé le groupe Sony qui ont été d’une

redoutable efficacité tant du point de vue écono-mique que politiques - par la divulgation de fichiers protégés à tous les internautes notamment -, les autres cyberattaques n’ont pas un haut niveau tech-nique et se résument souvent à une prise de contrôle de la page d’accueil du site attaqué ou à des attaques d’« ordinateurs zombies ». Ainsi, la médiatisation des attaques contre le FBI, l’Élysée, le Ministère de la Défense français n’est en rien équivalente aux dégâts occasionnés, qui sont très faibles.

En revanche, ces initiatives apparemment dispa-rates des Anonymous se rejoignent sur une idée fon-damentale : en multipliant les attaques contre des institutions jugées fiables (les banques, ou des orga-nisations internationales comme l’ONU ou l’OTAN), les Anonymous cherchent à sensibiliser les inter-nautes en leur rappelant l’importance du pouvoir de l’information. Par exemple, une entreprise qui verrait la liste de ses employés dévoilée sur le web serait fragilisée durablement. Et de ce point de vue, on peut se risquer à penser qu’ils ont réussi leur mission, la notion de sécurisation de l’information sur Internet étant devenue une des préoccupations majeures des entreprises présentes sur Internet.

Vers des Anonymous 2.0 ?Seulement, la question est à présent de savoir si

les Anonymous se dirigent vers des Anonymous 2.0. En d’autres termes, envisagent-ils de nouvelles formes d’implication politique, à l’image du Bun-destag allemand qui compte un parti pirate ? On peut légitimement en douter, leur structure trop souple ne leur permettant pas de se regrouper sur une base systématique.

Qui plus est, les forces de police ont mené plu-sieurs opérations avec succès, des internautes présentés comme membres influents des Anony-mous ont ainsi été arrêtés. Il est difficile d’évaluer le préjudice subi par le groupe, mais force est de constater que pendant le second semestre 2011, les attaques de haut niveau se sont faites plus rares. Il est toutefois surprenant de voir que leurs comptes twitter sont toujours disponibles, et que leurs com-munications sont toujours opérationnelles alors qu’il suffirait de peu pour les bloquer.

Il ne s’agit là que d’une hypothèse, mais ne serait-il pas envisageable de voir dans les Anonymous la réussite d’un pont entre le cyberespace et notre monde réel ? Sinon, comment interpréter ces mani-festations d’indignés à New York, Paris, Rome, Madrid, qui arborent le masque de Guy Fawkes, avec la volonté de faire référence au film, mais éga-lement aux actions des Anonymous. Notons que Guy Fawkes est un personnage réel qui a comploté au XVIe siècle pour incendier le Parlement de West-minster. Il a d’ailleurs une fête qui lui est dédiée, la « Guy Fawkes’ Day ».

Ces derniers ont engagé une lutte sans fin avec tous ceux qu’ils considèrent comme les ennemis de la libre utilisation d’Internet. Leur combat est salu-taire, mais le risque de dérives criminelles ou de manipulations reste bien réel du fait de l’absence de gouvernance réelle est un frein à l’application d’une réelle éthique du groupe.

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MARIE-MICHÈLE LONGCHAMPSCandidate à la maitrise en Droit InternationalUniversité [email protected]

Les assassinats ciblés : Lorsque la fin justifie les moyensLe terrorisme trône au sommet du palmarès des menaces internationales depuis plusieurs années déjà et on ne lésine pas sur les moyens pour lutter contre cet ennemi. En effet, lorsque les manchettes nous ont montré le cadavre de Osama bin Laden, tué lors d’une opération de la U.S Navy SEAL en mai 2001, nous avons crié à la bénédiction de la justice rendue ! Qu’en est-il réellement de cette justice ? Que dit le droit international de cette nouvelle politique d’ores et déjà légitimée par la communauté internationale et louangée lors du dernier discours de l’Union du président Barack Obama ?

Depuis l’arrivée au pouvoir du président Barack Obama, les assassinats ciblés se sont multipliés. Qu’il s’agisse de l’usage des drones à l’encontre des membres d’Al-Qaïda et des talibans ou des opérations de « kill/capture », cette nouvelle politique semble en voie de devenir une alternative plus qu’inté-ressante au traditionnel déploiement de troupes sur les terrains d’opération. Partie intégrante de la lutte antiterroriste améri-caine en Afghanistan, en Irak, au Pakistan, au Yémen et en Somalie, les assassinats ciblés n’ont toutefois pas que des partisans et soulèvent bien des questions d’un point de vue juridique. En effet, s’intéresser à la question de la légalité des assassinats ciblés ouvre une boite de pandore qui sou-lève d’autres interrogations. Ainsi, la léga-lité de ces actes dépendra non seulement du contexte dans lequel ils sont exécutés, mais aussi de la relation entre les acteurs, qu’il soit question de groupes non étatiques ou d’États.

Le contexteUn rapport spécial de l’ONU produit en

mai 2010, le Report of the Special Rappor-teur on extrajudicial, summary or arbitrary execution, Philip Alston, définit les assas-sinats ciblés comme l’usage prémédité de la force mortelle employée par les États en temps de paix ou en période de conflit armé afin d’éliminer des individus prédéterminés et qui ne se trouvent pas en détention. Ces assassinats peuvent donc être commis par des gouvernements et leurs agents ou encore par des groupes armés. Bien que l’usage des drones défraie de plus en plus les manchettes, l’usage de sniper, de missiles, de voitures piégées ou encore d’exécutions de sang froid compte dans cette catégorie.

Le cadre législatif applicable varie selon le contexte dans lequel l’assassinat prend place. Ainsi, lorsque l’on se trouve en situa-tion de conflit armé, la lex specialis, c’est-à-dire la Loi applicable, sera le droit inter-national humanitaire (DIH). En vertu de ce droit, les assassinats ciblés ne pourront être justifiés que lorsque la cible sera un com-battant ou un civil participant directement aux hostilités, le but du droit humanitaire étant de protéger les civils ne participant pas à la guerre. Il faudra tout de même que le meurtre soit nécessaire à l’objectif mili-taire et que la force employée soit propor-tionnelle dans le but de minimiser l’impact sur les civils.

Lorsque les violences n’atteignent pas le statut de conflit armé, ce sont les prin-

cipes des droits de l’homme qui régissent la légalité des assassinats. Ainsi, un État ne peut enlever la vie d’un individu que si cela est requis pour protéger d’autres vies et qu’aucun autre moyen ne peut être envisagé. Dans ces cas, il peut être considéré que l’usage de la force mortelle est proportionnel et néces-saire. Toutefois, la prémé-ditation des meurtres ainsi que le caractère intentionnel et délibéré des assassinats ciblés rendent difficile leur justification sous l’égide des droits de l’homme.

Le concept d’assassinat ciblé bouleverse non seule-ment le droit à la vie et les paramètres du DIH et des droits humains, mais affecte aussi le principe westpha-lien de territorialité des États. En effet, en vertu de l’article 2(4) de la Charte des Nations Unies, l’usage de la force sur le territoire d’un autre État est prohibé. Or, les attaques de drones, comme celle ayant éliminé Anwar al-Awlaki (un imam extrémiste américano-yémé-nite) en septembre 2011 au Yémen, se déroulent sur le territoire d’un autre État. Cette pratique nécessite encore une fois une justification. Ainsi, il n’y aura pas violation de la souve-raineté si l’autre État consent à ce que des attentats ciblés aient lieu sur son territoire, et ce, bien que ce dernier demeure lié par les règles du DIH et son obligation de pro-téger le droit à la vie de ses citoyens. Aussi, l’État qui mène les attaques pourrait justi-fier ses actes en vertu du principe de légi-time défense de l’article 51 de la Charte des Nations Unies. Cette éventualité serait possible si l’État sur le territoire duquel ont lieu les attaques (État A) est respon-sable de l’attaque de l’État B ou si l’État A est incapable ou réticent à arrêter les atta-ques visant l’État B en provenance de son territoire. Tant que l’usage de la force sera proportionnel, nécessaire et en réponse à une attaque, tout État sera autorisé à user de la force mortelle comme légitime défense à l’encontre d’un autre État.

Encore une fois, les États tentent de jus-tifier les attentats ciblés par l’élargissement des paramètres légaux déjà existants. En effet, les États-Unis, notamment, justi-

fient leurs actions sous le principe de légi-time défense contre la menace d’Al-Qaïda. Cependant, la légitime défense de la Charte des Nations Unies traite des moyens de se défendre contre des attaques d’un autre État et non pas d’acteur non étatique. Sur cette question, plusieurs auteurs, de même que le rapporteur de l’ONU sont divisés quant à savoir si ce concept peut être justifiable lorsqu’il est question d’acteur non étatique, tels que les groupes terroristes. La Cour internationale de justice s’est d’ailleurs prononcée à deux reprises : (Legal conse-quences of the construction of a wall in the occupied palestinian territory (2004) et Case concerning armed activities on the territory of the Congo (2005) à l’effet que les groupes terroristes ne peuvent violer le droit de faire la guerre, violation nécessaire à la justifica-tion d’une légitime défense. Finalement, ce principe est d’abord conçu en réponse à une attaque qui s’est déjà produite et non pas

afin d’être utilisée de manière préventive. Malgré cela, l’administration Bush a tenté pendant longtemps de justifier cet argument qui semble dorénavant, assez étrangement, faire partie de la politique américaine.

Le risque Bien que le cadre législatif semble de

prime à bord assez équivoque, l’interpré-tation qui en est faite au gré des volontés politiques, notamment par les États-Unis, brouille les cartes. En effet, caractériser la lutte contre le terrorisme de « conflit armé » offre aux Américains des droits plus étendus en vertu du DIH que les droits de l’homme ne leur permettent en temps de paix. Cette qualification, faite grâce à l’interprétation des dispositions législatives est très contro-versée, puisque l’article 2(1) commun aux Conventions de Genève de 1948 prévoit que le conflit armé international implique deux États. Cela soutient donc que les États-Unis et Al-Qaïda ne peuvent être impliqués dans un conflit armé de la sorte. Quant à l’exis-tence d’unconflit armé non international, là encore les opinions divergent. En effet, mis à part les cas de l’Irak ou de l’Afghanistan

qui pourraient se justifier par le fait que le groupe en question est organisé et identi-fiable et que les affrontements ont atteint un minimum d’intensité et que leur durée va au-delà des révoltes ou des tensions, les États-Unis peuvent difficilement légitimer leurs attaques de drones en vertu de l’exis-tence de conflit armé. Cela pose de sérieux problèmes dans la mesure où l’usage de drones en dehors des limites d’un conflit armé court de forts risques d’être considéré illégal. En effet, l’attaque doit répondre au critère de limitation de l’usage de la force mortelle puisque le cadre juridique appli-cable est celui des droits de l’homme. Par conséquent, si elles ne remplissent pas ces conditions, les opérations de drones seront des exécutions extrajudiciaires illégales.

Selon l’ONU, plus de 40 États disposent maintenant de la technologie des drones. Devant cette popularité, il semble impor-

tant de mieux définir le cadre législatif entourant la pratique d’assassinats ciblés. Il ressort toutefois de cette courte analyse du phénomène, qui ne se veut pas exhaus-tive, que la problématique réside davantage dans le manque de clarté de l’interprétation de concepts déjà existants, notamment la relation entre les acteurs non étatiques et la légitime défense. Ce flou, qui, sans être un vide juridique, laisse place à la manipula-tion du droit international au profit des inté-rêts politiques et pourrait représenter une menace. La lutte antiterroriste a déjà causé de nombreux écarts aux droits de l’homme qui appellent à un encadrement plus strict des assassinats ciblés. En effet, la commu-nauté internationale se doit d’être vigilante afin d’éviter que cette pratique, qui gagne en popularité, ne mène à des abus tels que ceux observés au cours de la décennie entre les murs du désormais infâme Guantánamo.

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REUTERSLa désertification est un phénomène climatique en pleine expansion, du fait notamment des changements climatiques

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L’accord de Durban 2011 : véritable avancée ou simple plateforme ?

RAÏHAN CHERROUKCandidate au doctorat en droitUniversité [email protected]

Marquant le retour du dossier climatique dans les agendas diplomatiques, la 17e Conférence des Nations Unies sur la lutte contre les changements climatiques (COP17) s’est tenue à Durban en Afrique du Sud, du 28 novembre au 11 décembre 2011, dans un contexte de tensions écologiques et de crises financières. L’avenir du protocole de Kyoto de même que l’aide financière aux pays en développement pour faire face au réchauffement climatique en ont été les points charnières. De fait, l’accord de Durban 2011 représente-t-il une véritable avancée dans le dossier du climat  ou n’est-il, au contraire, qu’une simple plateforme ?

Au bout d’âpres négociations, les États parties au sommet de Durban, qui s’est pro-longé d’une manière exceptionnelle, sont finalement parvenus à un accord qui pré-voit la prolongation du protocole de Kyoto et l’adoption d’ici 2015 d’un accord global contraignant de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Flou et mini-maliste, l’accord de Durban ne permet pas, toutefois, de contenir le réchauffement cli-matique sous le seuil de 2 °C. Du reste, le protocole de Kyoto ne couvrira que 15 % des GES et sa prolongation pour une nouvelle période de cinq à huit ans après 2012 n’a pas été acceptée par tous les pays indus-trialisés, puisque le Canada, la Russie et le Japon refusent cette solution.

La deuxième phase du Protocole de Kyoto

Conclu en 1997 et entré en vigueur le 17 février 2005, le protocole de Kyoto est le premier programme juridiquement contrai-gnant destiné à lutter contre le réchauffe-ment climatique. Il prévoit la réduction des émissions de GES de la plupart des pays industrialisés, leur imposant une réduction moyenne de 5,2 % des émissions, à l’excep-tion notoire des États-Unis qui ont refusé de le ratifier. Pourtant, cet État a été consi-déré, jusqu’en 2009, comme le plus gros pol-lueur de la planète même s’il ne représente que 5 % de la population mondiale. Le Pro-tocole ne s’applique pas non plus aux pays émergents, comme la Chine qui est devenue le principal émetteur de dioxyde de car-bone CO2 le Brésil et l’Inde, qui n’ont pas les moyens financiers pour le respecter. Ils pré-fèrent développer leurs économies plutôt que d’être liés par un instrument juridique contraignant qui risquerait de miner leur croissance économique.

Les quelques 200 délégations présentes au sommet de Durban se sont séparées en s’entendant sur l’application d’une feuille de route et ont accepté de s’engager dans une deuxième phase d’engagement pour le protocole de Kyoto qui doit débuter le 1er janvier 2013. L’accord, qui devrait entrer en vigueur à l’horizon 2020, a pour objectif de limiter la hausse de la température de la planète à +2 °C. Cependant, la prolongation du protocole de Kyoto n’a pas été admise

par plusieurs pays industrialisés. La Russie, le Canada et le Japon ont refusé cette solu-tion, considérant être de faibles émetteurs par rapport aux émissions mondiales de GES.

En outre, la plateforme élaborée à Durban permet d’engager d’ici 2020, soit la date d’entrée en vigueur de l’accord global, tous les pays dans un accord dont la nature juridique sera décidée ultérieurement. Du reste, la prolongation du protocole de Kyoto offre aux États industrialisés un sursis de quelques années avant de devoir rendre des comptes quant au respect de leurs obliga-tions en termes d’émissions. Mais entre-temps, les États parties doivent maintenir leurs efforts dans la lutte contre le chan-gement climatique, vu l’insuffisance des engagements souscrits pour faire face aux enjeux climatiques.

Un Fonds vert pour le climat de 100 milliards de dollars

Lors de la 16e Conférence des parties à la Convention-cadre sur le changement cli-matique à Cancún au Mexique en 2010, un « Fonds vert climat », dont le montant s’élève à près de 100 milliards de dollars par an, a été créé dans le but de soutenir des projets dans les pays les plus exposés au réchauffe-ment climatique. Ce fonds, qui sera géré par un conseil d’administration de 24 membres partagés équitablement entre les pays déve-loppés et en développement, est administré provisoirement par la Banque mondiale qui assure l’intérim pour une période de trois ans.

Le fonctionnement du fonds pourrait s’inspirer du modèle de système de prêt de la Banque mondiale pour un développement durable, ce qui risque d’alourdir la dette des pays en développement. À cet égard, l’expert indépendant des Nations Unies sur la dette extérieure et les droits de l’homme, Cephas Lumina, estime dans un article que « le financement climatique devrait être apporté en tant que subventions et non sous la forme d’emprunts qui s’ajouteront aux dettes existantes des pays qui les reçoivent et dont un grand nombre n’ont pas la capa-cité de rembourser davantage sans saper leurs perspectives de développement déjà

fragiles. » Il ajoute, au demeurant, que « la Banque mondiale ne devrait pas avoir un rôle central dans ce nouveau mécanisme de financement climatique.

Ses problèmes de projets échoués, son histoire d’encouragements forcés des pays en développement à adopter des politi-ques économiques ayant des effets sociaux néfastes, son histoire de soutien financier à des projets nuisibles à l’environnement et qui ont même contribué aux changements climatiques, montrent que la banque n’est pas une institution légitime pour gérer et apporter un financement climatique. » Et d’ajouter : « Le financement climatique n’est pas une question de charité, mais devrait être vu comme une obligation légale dans le cadre de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques et relever de la responsabilité de ceux qui ont le plus contribué aux changements climatiques. » Reste à savoir si la crise financière actuelle ne risque pas d’ébranler l’avenir de ce fonds dont les sources de financement demeurent toujours en suspens.

L’agriculture et le volet déforestation dans le processus climat

Le développement durable et la lutte contre les changements climatiques vont de pair. Un texte de base qui tient compte des questions agricoles a, de ce fait, été intégré dans l’accord final permettant de répondre

aux enjeux climatiques tant au regard de la sécurité alimentaire qu’en ce qui concerne la réduction des émissions de GES. La ministre française de l’Écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, chargée durant la conférence de faciliter les négociations sur l’agriculture et les transports aériens et maritimes, a déclaré qu’« à l’origine de 30 % des émissions mondiales de GES, l’agriculture représente un potentiel considérable de réduction des émissions. C’est aussi le premier secteur

touché par le défi du réchauffement cli-matique. L’accord de Durban ouvre la voie d’un programme de travail pour réduire les émissions et favoriser l’adaptation à l’évolu-tion du climat pour garantir la sécurité ali-mentaire. Un accord sur l’agriculture était recherché depuis plusieurs années. Son obtention est une avancée pour le climat, et notamment pour les pays les moins déve-loppés dans lesquels l’agriculture est syno-nyme de survie. »

L’accord entend encadrer l’utilisation des terres et des forêts pour limiter les émis-sions de GES. La décision évoque principa-lement une étude sur ce volet par un organe scientifique et le panel gouvernemental sur les changements climatiques ainsi qu’un amendement de certaines décisions rela-tives à cette question lors de la session qui se tiendra au Qatar en novembre 2012.

En outre, la question de la réduction de la déforestation constitue l’une des clés de voûte de la conférence de Cancún (2010), dont le texte a pour objectif de « ralentir, arrêter et inverser la perte du couvert fores-tier », à l’origine de 15% à 20 % des émissions globales de GES, et d’intégrer la gestion des forêts dans la lutte contre le réchauffement climatique, grâce au mécanisme REDD+ (Réduction des émissions dues à la défo-restation et la dégradation des forêts), qui fournit un appui financier et technique aux

pays concernés pour combattre la défores-tation. À Durban, le mécanisme REDD+ a été élargi et tient désormais compte du rôle de stockage de CO2 dans les forêts.

Mais les scientifiques demeurent scepti-ques, dénonçant l’accélération de la défores-tation notamment en Afrique. À cet égard, Louis Verchot, scientifique au Centre inter-national de recherche forestière, un orga-nisme sans but lucratif, affirme qu’« il n’y a

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pas eu d’avancées concernant la définition des ressources financières à long terme, et sans ça, nous ne pouvons pas parler de la durabilité du REDD. » Le directeur de la fondation Rainforest, en Norvège, Lars Lovold, a, quant à lui, soutenu que « Durban n’a pas apporté les progrès nécessaires sur des questions fondamentales, que sont des règles strictes pour s’assurer que la défores-tation diminuera sur la planète. »

Le Protocole de Kyoto sans le CanadaLe Canada, qui participe à hauteur de 2 %

des émissions mondiales selon le ministre fédéral de l’environnement Peter Kent, est le premier État à s’être retiré du protocole de Kyoto. Le ministre estime à cet égard que l’accord « ne fonctionnait pas » et que « la plate-forme de Durban » représentait le chemin de l’avenir. Le Canada se retire du protocole de Kyoto, en raison de l’inef-ficacité de ce mécanisme, dont le finance-ment s’avère excessif aux yeux du ministre fédéral. Le ministre canadien affirme en outre que le Canada compte respecter ses engagements d’ici 2012, sans pour autant avoir à verser les 14 milliards de dollars en pénalité aux pays les moins avancés dans le cadre, par exemple, du mécanisme pour un développement propre prévu par l’article 12 du protocole.

En vertu de l’article 3.1 du protocole de Kyoto, le Canada avait l’obligation de réduire d’au moins 5 % ses émissions entre 2008 à 2012 par rapport au niveau de 1990. Cependant, force est de constater que les émissions canadiennes ne cessent d’aug-menter, dépassant de ce fait le seuil fixé par le protocole. Par ailleurs, l’article 3.4 du

protocole prévoit la possibilité de plusieurs périodes d’engagement. Aussi, le Canada pouvait s’engager dans une deuxième période, lui permettant de déployer ses efforts en matière de réduction de ses émis-sions, jusqu’en 2015 ou 2020. Au demeurant, l’article 27 du Protocole de Kyoto permet à ce pays, en tant que partie au protocole, de le dénoncer à l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la date de son entrée en vigueur. De ce fait, le Canada est tenu de se conformer à ses obligations jusqu’à la fin de la première période d’engagement du proto-cole de Kyoto fixée au 31 décembre 2012.

D’un point de vue juridique, cette dénon-ciation ne devrait prendre effet qu’en décembre 2012, sans rétroactivité. En outre, l’assemblée des États parties ne pourrait contrôler les engagements des États indus-trialisés qu’après le sursis ouvert pour la deuxième période. Philippe Weckel, profes-seur de droit international affirme au regard du retrait canadien qu’« il est probable qu’il s’agisse d’une mesure politique, plutôt que de la dénonciation d’un traité. »

L’une des conséquences importantes du retrait canadien du protocole de Kyoto porte sur la mise en œuvre du principe de responsabilité commune, mais différen-ciée. Sarah Lacarrière, chercheuse à l’Ins-titut de Relations internationales et stra-tégiques (IRIS) en France déclare, pour sa part, que : « Le Canada s’est fait pendant plusieurs années le chantre du multilatéra-lisme sur divers dossiers […] On ne peut que déplorer que cette posture ne se prolonge pas aujourd’hui dans le domaine de la lutte contre le changement climatique. »

Le Québec et ses actions ambitieuses en matière de réduction des émis-sions de GES

Alors que le Canada annonce son retrait du protocole de Kyoto, le Québec tente, pour sa part, de prendre des mesures immé-diates, afin de lutter contre les changements climatiques. À cet égard, le gouvernement du Québec met au point, en décembre der-nier, une Stratégie gouvernementale d’adap-tation aux changements climatiques ainsi qu’un Plan d’action sur les changements cli-matiques (PAC 2013-2020), comportant tant des mesures pour réduire les GES que des moyens pour s’y adapter. Pour y parvenir, le ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, Pierre Arcand, déclare l’adoption du Règlement concernant le système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de GES qui a débuté le 1er janvier 2012 : « Les systèmes de plafonnement et d’échange de droits d’émis-sion de GES sont reconnus comme l’un des outils économiques les plus efficaces et les moins coûteux en matière de réduction des émissions de GES.

Par l’adoption de cette réglementation, le Québec se donne les outils pour effectuer une transition vers une économie verte, durable et prospère », affirme le ministre dans un communiqué. Dans le cadre de la mise en œuvre de son Plan 2006-2012 sur les changements climatiques, le Québec participe à l’effort mondial de réduction des émissions de GES, prenant ainsi le leadership du développement durable en Amérique du Nord. Le Directeur général de la Fondation David Suzuki au Québec, Karel Mayrand, estime qu’« en rejoignant la

Californie au sein de ce nouveau marché de droits d’émissions, le Québec se positionne comme leader en matière de lutte aux chan-gements climatiques et d’économie propre. Ce leadership est d’autant plus important dans le contexte du retrait du Canada du protocole de Kyoto et de l’inaction du gou-vernement fédéral en matière de lutte aux changements climatiques. » Le Québec demeure, somme toute, un acteur important qui s’engage dans des actions concrètes et ambitieuses quant à la protection de l’envi-ronnement.

Les conséquences du retrait canadien du Protocole de Kyoto

Après l’échec de Copenhague en 2009 et le changement de stratégie à Cancún en 2010, l’accord de Durban reflète, à première vue, une avancée dans le dossier climat. Pour la première fois en effet, les États devront prendre les mesures nécessaires pour réduire leurs émissions de GES, avec 2020 comme date butoir ; et ce, sans la participa-tion des plus gros pollueurs de la planète. D’où la question de la véritable valeur de cet accord. En réalité, la plateforme de Durban ne témoigne pas de l’urgence climatique à laquelle fait face la communauté internatio-nale. Érosion, inondations, fonte des glaces, sécheresses, les effets du réchauffement climatiques sont, somme toute, importants. Peut-on enfin passer d’un cercle infernal à un cercle plus vertueux ? Pourtant, le temps presse. Le prochain rendez-vous aura lieu au Qatar (COP 18) du 26 novembre au 7 décembre 2012.

Un iceberg au large des côtes du Groenland REUTERS

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Ces dernières années, le nombre de conflits armés a considérablement diminué, mais le nombre de victimes attribuables à la violence armée n’a pour sa part jamais cessé de croître. Un des plus grands défis sécuritaires du 21e siècle est de comprendre les mutations de la violence armée, et de s’éloigner de la typologie conventionnelle afin d’adopter une vision intégrée du phénomène.

Vers un nouveau schéma de la violence armée : quand les dynamiques de violence s’entrecroisent

ANNE-CÉCILE DEQUEN Candidate à la maîtrise en Études internationalesUniversité [email protected]

Chaque année, 526 000 personnes décè-dent de morts violentes dans le monde. Parmi les cas recensés, seulement un cas sur dix se produit dans un contexte de conflits ou est le résultat d’actes terroristes. Alors qu’on estime à 396 000 le nombre de victimes d’homicides volontaires, seule-ment 55 000 morts sont directement impu-tables à des conflits armés. Ces données, présentées dans l’édition 2011 du Fardeau mondial de la violence armée, vont à l’en-contre des idées reçues selon lesquelles un conflit armé est par essence plus meurtrier que les nouvelles formes de violence asso-ciées au trafic de drogue, aux insurrections ou au crime organisé. La frontière entre la violence liée aux conflits et la violence cri-minelle se révèle de moins en moins hermé-tique.

Une violence armée aux motivations multiples

La violence armée constitue un moyen d’atteindre des objectifs dont les motiva-tions peuvent être multiples et évolutives. Comme le souligne Keith Krause, direc-teur du Center on Conflict, Development and Peacebuilding de l’Institut des hautes études internationales et du développe-ment de Genève, « les frontières entre la violence politique, criminelle et interper-sonnelle sont de plus en plus floues, comme le montrent les meurtres associés au trafic de drogue en Amérique centrale ou la vio-lence servant les intérêts économiques des pirates en Somalie ». Dans ces pays, les schémas de violence se mêlent souvent aux tensions latentes et les formes de violence peuvent alors muter afin de simultanément servir des motifs économiques et répondre à des finalités politiques.

L’Amérique du Sud, première touchée Bien qu’elle représente un défi plané-

taire, la violence armée affecte un nombre limité de pays qui sont situés pour la plu-part en Amérique du Sud. Toujours selon le rapport, un quart des pays de la planète – soit approximativement 18 % de la popu-lation mondiale – subissent près de 63 % de toutes les morts violentes. Le top 5 des pays les plus touchés compte le Salvador, suivi de l’Irak, de la Jamaïque, du Honduras et de la Colombie. Plus de la moitié des qua-torze pays du classement sont situés dans les Amériques. Les résultats sont donc pro-bants : plus d’un décès sur quatre survient dans quatorze pays, alors qu’ils ne comptent que pour 5 % de la population mondiale. Par ailleurs, des distinctions s’opèrent à l’inté-rieur même des pays les plus touchés par le phénomène. Au Mexique par exemple, la

violence meurtrière se décompose régiona-lement : elle est particulièrement présente dans le nord du pays, à Ciudad Juárez, où l’on comptabilise 170,4 homicides pour 100 000 habitants, soit plus de vingt fois le taux mondial. La violence armée semble donc concentrée dans des régions précises du globe.

Existe-t-il une prédisposition à la vio-lence armée ?

À la lumière de résultats d’études scienti-fiques, la question se pose à savoir s’il existe une prédisposition à la violence armée. Il est probable qu’une série de facteurs puissent influer sur le comportement des acteurs

dont l’effet serait au final d’augmenter direc-tement le taux de violence. Ainsi, les études reprises par le Fardeau mondial de la vio-lence armée démontrent que le chômage, combiné à l’inégalité dans la répartition des richesses, favorise la recrudescence des homicides. On note également que les tensions sociales, dues principalement à un sentiment d’injustice, provoquent l’augmen-tation du nombre d’homicides violents liés à des vols ou à des cambriolages.

Dans les États défaillants, qui sont mar-qués par l’omniprésence de gangs et de groupes armés, le nombre d’homicides volontaires bat des records. Cette constata-tion semble évidente et conforte l’idée selon laquelle il existe une corrélation claire entre la faiblesse de l’État de droit et la vio-lence armée. Par exemple, dans les pays d’Amérique latine, la proportion d’homi-cides volontaires est davantage attribuable au crime organisé et aux gangs, qui comp-tabilisent 26 % des actes de violence armée.

Étonnamment, une tendance se dessine dans les pays d’Asie et d’Europe où les homi-cides contre les partenaires intimes ou les proches représentent une part élevée du nombre d’homicides totaux, comparative-ment aux pays d’Amérique (30 % contre 8 %).

Cette physionomie des différentes formes de violence dresse un portrait des conditions propices au déclenchement et à l’accentuation de la violence armée. Elle contribue également à l’amélioration des axes de recherche permettant de cibler davantage les initiatives de réduction et de prévention de la violence meurtrière; la principale préoccupation actuelle étant l’encadrement des armes de petits calibres.

La prolifération des armes légères : menace sécuritaire et défi humani-taire

Les armes légères causent la mort de plus de 500 000 personnes par an. Plus de 875 millions d’armes à feu sont actuellement en circulation dans le monde. Elles regrou-pent les armes de petit calibre (révolvers, pistolets, carabines et mitrailleuses), ainsi que les armes dites « légères » (grenades, armes à feu et missiles portatifs, mortiers

de moins de 100 mm et SATCP). Selon l’ONG suisse Small Arms Survey, 650 millions de ces armes de petits calibres se retrouvent dans les mains de civils, dont 2 à 10 millions servent aux gangs. Rien qu’aux États-Unis, le taux d’homicides entre membres de gangs est cent fois plus élevé que pour le reste de la population. L’édition 2010 du rapport de Small Arms Survey rappelle également que les cartels armés du Mexique sont res-ponsables de la mort de 28 000 personnes depuis 2006. La facilité pour les populations civiles d’accéder à ces armes combinées à la contrebande et au trafic illégal cristallise cette mutation vers une intensification de la violence armée, caractérisée par un nombre élevé d’homicides par armes à feu.

Les chiffres sont saisissants : plus de 1000 compagnies établies dans une centaine de pays différents produisent le matériel néces-saire à la confection de ces armes, ainsi que leurs munitions. Les plus grands manufac-turiers sont également les plus importants exportateurs d’armes, parmi lesquels on retrouve l’Autriche, la Belgique, le Brésil, l’Allemagne, l’Italie et les États-Unis (dont les exportations avoisinent les 100 mil-lions de dollars). De nombreux autres pays contribuent à cette industrie, mais la trans-parence des données n’est pas toujours au rendez-vous et complique la mise en place d’une classification précise. Au total, le commerce mondial pour ce type d’arme-ment génère plus de 6 milliards de dollars, un montant qui ne prend pas en compte l’économie souterraine et le trafic illégal.

L’absence de réglementation internatio-nale encadrant la vente et le recèle d’armes légères, menace l’action humanitaire et constitue un obstacle à l’instauration d’un climat sécuritaire dans des régions mar-quées par la guerre ou des conflits civils. Ce constat accablant tend à démontrer que tant et aussi longtemps qu’une telle prédo-minance dans le trafic et dans la circulation des armes légères perdurera, il ne pourra y avoir de réel progrès vis-à-vis de la réduc-tion de la violence armée.

Élaborer des solutions contre la violence

Au final, un monde sans armes et sans violence semble utopique. Il n’en demeure pas moins que les tendances lourdes évo-quées dans cet article mettent en évidence un nouveau schéma de violence et révèle la complexité du phénomène meurtrier. Afin de pallier à l’insécurité croissante et réduire l’incidence de la violence armée à travers le monde, la Déclaration de Genève sur la violence armée et le développement, adoptée par plus de cent pays, présente une feuille de route qui vise à restaurer un envi-ronnement sécuritaire et pacifique dans les régions les plus affectées par la violence. Ainsi, il est primordial de concentrer nos efforts sur l’adoption d’une vision compré-hensive et adaptée permettant de combler le vide en matière de réglementation pour combattre la culture d’impunité et freiner l’expansion de cette spirale de violence.

O. SAKAMAKI/REDUXUn membre des Amigos dos Amigos, posant avec son arme à Rocinda, Rio de Janeiro, 2007

Volume 7 - Numéro 1 - Février 2012

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Il aura fallu plus de quatre années de difficiles négociations pour que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) adopte, au mois de mai 2011, l’accord-cadre intitulé Préparation en cas de grippe pandémique : échange des virus grippaux et accès aux vaccins et autres avantages. C’est l’Indonésie qui a déclenché le processus de négociations en 2007, en annonçant vouloir cesser de fournir des échantillons de virus grippaux H5N1 hautement pathogènes au réseau mondial OMS de surveillance de la grippe. Pourquoi cette annonce spectaculaire ?

La gestion du risque de pandémie grippale,

NADIA NAFFAKHRelations internationales (RI2)Institut de relations internationales et stratégiques, Paris, [email protected]

ou comment concilier enjeux globaux et intérêts particuliers

En 2007, l’Indonésie était l’un des pays les plus touchés par les virus H5N1. Comme plus de 110 pays, elle envoyait régulière-ment des virus isolés sur son territoire au réseau mondial OMS de surveillance. Les données de la surveillance indiquaient une diversification génétique et une diffusion géographique des virus H5N1, de l’Asie du Sud-Est vers l’Europe et l’Afrique. L’OMS a dès lors émis des recommandations quant à la nature des virus H5N1 représentatifs devant être utilisés pour la production de vaccins prépandémiques dans le document de travail Availability of new H5N1 proto-type strain for influenza pandemic vaccine development datant de mai 2006. Parmi ceux-ci figurait un virus isolé en Indonésie en 2005.

Au même moment, la plupart des pays ocidentaux mettaient en place des plans nationaux de préparation à une pandémie, incluant la production de stocks de vaccins prépandémiques. En l’absence de réglemen-tation ad hoc, les pays en développement n’avaient pour leur part aucune garantie d’accès aux vaccins. Les industries phar-maceutiques étaient concentrées dans les pays occidentaux, et leur capacité de pro-duction était sans commune mesure avec les besoins globaux de vaccins en cas de pandémie.

Quel partage entre les États ? L’Indonésie a protesté contre le fait qu’un

virus issu de son territoire ait été transmis sans son accord par l’OMS aux compagnies pharmaceutiques, et refusé d’alimenter le réseau de surveillance OMS par l’envoi d’autres virus H5N1. Ce faisant, elle a remis en cause la légitimité et l’efficacité du réseau de surveillance et a obligé l’OMS à traiter le problème de l’accès équitable aux vaccins en cas de pandémie de grippe.

En avril 2009, l’émergence d’un nouveau virus grippal H1N1 a mis en lumière la gra-vité du problème. Dès l’été 2009, les pays occidentaux ont passé des commandes auprès des compagnies pharmaceutiques, monopolisant ainsi l’ensemble des stocks en production. Mais la fabrication du vaccin s’est avérée plus difficile et plus lente que prévu, et les efforts déployés par l’OMS auprès des compagnies pharmaceutiques et des pays acheteurs n’ont pas suffi pour assurer la distribution du vaccin auprès des pays en développement. Comme la priorité

était donnée aux besoins nationaux, ces efforts sont restés nettement insuffisants et n’ont pas suffi à modifier le cours des négo-ciations entre les représentants des États membres de l’OMS, l’industrie, et la société civile.

Les revendications indonésiennesL’Indonésie, soutenue par de nombreux

pays en développement, a continué à faire valoir le droit souverain des États sur les ressources biologiques issues de leur ter-ritoire. Elle a exigé que les échanges de virus grippaux destinés à la surveillance mondiale se fassent dans le cadre juridique d’un accord de transfert de matériel, inter-disant le brevetage du matériel biologique par les industriels, et garantissant en retour un libre accès aux souches vaccinales pour les producteurs de vaccins des pays en développement. Elle a également exigé que les informations relatives à la séquence génétique des virus adressés au réseau de surveillance OMS soient déposées en libre accès dans une base de données publique, et non réservées à un nombre restreint de laboratoires de référence associés à l’OMS comme le voulait alors l’usage.

En réponse à ces revendications, les pays développés et les industriels ont cherché à maintenir le statu quo, faisant valoir le droit sou-verain des États sur le processus de pro-duction des vaccins produits sur leur territoire, et refu-sant de remettre en cause les méca-nismes habituels du marché ou encore de légiférer sur les questions de pro-priété intellectuelle. En mars 2007, les gouvernements amé-ricains et japonais se sont engagés à sub-ventionner la mise en place de moyens pour produire des vaccins dans 6 pays en déve-loppement — le Brésil, l’Inde, l’Indonésie, le Mexique, la Thaïlande et le Vietnam — à hauteur de 2,5 millions de dollars par pays. Cette démarche est très représentative de la posture des pays développés, qui préfèrent

favoriser l’accès équitable aux vaccins par le biais d’activités de type humanitaire qui sont non encadrées et non contraignantes juridiquement. Ils privilégient ainsi les dons bilatéraux, la distribution de vaccins par des organisations internationales comme l’OMS ou l’UNICEF, ou encore par des ONG comme Médecins sans Frontières, et enfin par des partenariats public-privé (GAVI Alliance).

L’OMS a invoqué les principes d’équité, de justice, de solidarité, et a souligné son intérêt de voir se mettre en place un sys-tème d’accès équitable aux vaccins en termes de santé et de sécurité mondiales. Cependant, ne pouvant pas s’appuyer sur un cadre juridique de référence, elle ne dis-posait d’aucun levier pour influencer sur les négociations. En effet, ni la Constitution de l’OMS, ni la Charte internationale des droits de l’homme, ni le Règlement sanitaire inter-national de 2005 ne contiennent de disposi-tion contraignante sur la question de l’accès équitable aux vaccins ou aux médicaments.

L’accord-cadre L’accord-cadre a finalement été conclu

en mai 2011. Il énonce une série de règles destinées à « améliorer la préparation et la riposte en cas de grippe pandémique et de renforcer la protection contre la grippe pandémique en améliorant et renforçant le système mondial OMS de surveillance de la grippe et de riposte […] avec pour but un système juste, transparent, équitable, effi-cient et efficace pour, sur un pied d’égalité, i) l’échange des virus H5N1 et autres virus grippaux susceptibles de donner lieu à une pandémie humaine ; et ii) l’accès aux vac-cins et le partage des autres avantages ». Ces règles sont juridiquement non contrai-gnantes et les États membres « sont encou-ragés à » les mettre en œuvre et les faire

respecter. Seules deux mesures concrètes sont annoncées.

D’une part, l’OMS met en place un système électronique de traçabilité et de notification des échanges de virus, et des instruments légaux appelés « accords types sur les transferts de matériels », qui régissent les

partages de virus au sein (accord-type 1) et en dehors (accord-type 2) du réseau de sur-veillance. L’ensemble du dispositif doit ren-forcer la transparence des échanges, et de ce fait, la qualité et la légitimité du réseau.

D’autre part, les fabricants de matériel de diagnostic de la grippe, de vaccins et de produits pharmaceutiques antigrip-paux, doivent désormais verser à l’OMS une contribution annuelle correspondant à 50 % des frais de fonctionnement du réseau de surveillance des virus grippaux. Cette contribution de l’ordre de 20-30 millions de dollars par an, destinés aux pays en déve-loppement, reste très insuffisante au regard de leurs besoins.

Pour le reste, le texte de l’accord respecte le statu quo et ne prend position ni sur l’épi-neuse question des droits de propriété intel-lectuelle, ni sur la contribution des pays occidentaux à l’approvisionnement en vac-cins des pays en développement. Il ne fait pas référence au Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques, signé en octobre 2010, qui contient pourtant des dis-positions contraignantes quant à la « néces-sité de mesures expéditives d’accès rapide aux ressources génétiques et de partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation, y compris l’accès de ceux qui sont dans le besoin, en particu-lier les pays en développement, à des trai-tements abordables », dans des « situations d’urgence (…) qui menacent ou nuisent à la santé humaine ».

Même s’il a pu être qualifié par David Fidler et Lawrence Gostin, spécialistes en biosécurité, de « jalon sur la voie de la gou-vernance mondiale de la santé », cet accord met surtout en évidence les forces qui s’op-posent au partage équitable des ressources

et à une véritable coopération en vue d’aug-menter la capacité globale de production et de distribution de vaccins. Seules une forte volonté politique et l’adoption de normes internationales ayant valeur contraignante pourront favoriser une réponse solidaire à une crise sanitaire globale.

LE TEMPSLe virus de la grippe aviaire H5N1

Volume 7 - Numéro 1 - Février 2012

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En juillet se tiendront les prochaines élections fédérales en terre mexicaine. Le président Felipe Calderón tire sa révérence après les six années passées à la tête de l’État que lui autorise la Constitution et laisse derrière lui un État dévasté par la guerre contre les narcotrafiquants. Les dommages collatéraux depuis le début des opérations en 2006 s’élèvent à plus de 47 500 morts selon l’Agence France-Presse.

ANNE-MARIE ROULEAU Candidate au Baccalauréat en Études internationales et langues modernesUniversité [email protected]

Crise sociale à l’Est du Rio Grande

8 mai 2011, Ciudad de México, Mexique. 85 000 manifestants répondent à l’appel du poète mexicain Javier Sicilia, dont le fils a été l’une des victimes innocentes du conflit qui oppose les forces de l’ordre aux narcos trafiquants du Mexique, et manifestent dans les rues contre la terreur qu’ils font régner dans son pays. Cependant, ces derniers ne semblent pas être les seuls responsables de ce fléau.

Felipe Calderón réitérait quelques jours plus tôt dans un discours sa conviction d’obtenir la victoire contre les cartels : « parce que nous avons la raison, parce que nous avons la loi et parce que nous avons la force, nous gagnerons ». Pourtant, la col-laboration entre certains politiques et mili-taires bien en vue avec les narcos, il devient dès lors quasi impossible d’enrayer le fléau.

Y a-t-il des élites corrompues au Mexique ?

Vincente Fox, dans Revolution of Hope, sa plus récente publication, résume en une phrase la tragique réalité de la corruption au Mexique : « généralement, les présidents ne se retirent pas en campagne pour écrire leurs mémoires. Plusieurs fuient à l’étranger pour échapper à l’extradition ». Le Mexique connaît en effet un niveau élevé de cor-ruption qui implique les narcotrafiquants, les entrepreneurs privés, une partie de la police, de l’armée et de la classe politique.Il nous suffit de citer quelques exemples. En 1995, le général Guitérrez Rebolla, devenu célèbre après avoir contribué à l’arrestation de hauts dirigeants du cartel de Sinaloa,

sera promu directeur de l’Institut national pour le combat des drogues puis sera arrêté deux ans plus tard après que ses liens avec le cartel de Juarez aient été révélés.

En 1999, Bill Clinton a rencontré Ernesto Zedillo, alors président mexicain, dans le but de mettre sur pied le plan Mérida visant à coordonner les activités des deux pays dans la lutte contre les cartels de drogue. Ironie du sort, le propriétaire du ranch où a eu lieu la rencontre, Roberto Hernandez Ramirez, était alors un magnat du trafic de la cocaïne au Mexique.

Anabel Hernandez, journaliste mexicaine connue pour son combat contre la corrup-tion au Mexique, mentionnait dans son œuvre-choc Los señores del narco publiée en 2012, que tous les présidents mexicains avaient été appuyés par un cartel, en faisant référence ici au président Felipe Calderón.

Il est facile de comprendre la méfiance grandissante du peuple mexicain vis-à-vis son gouvernement. En théorie, l’État est souverain son territoire, mais qu’advient-il si ce dernier est remplacé à l’interne par d’autres acteurs qui ne jouissent pas de la légitimité que lui confère le vote populaire ?

Les organisations criminelles recrutent au sein des institutions pour combler leurs rangs et pour consolider leur influence sur l’État. Un ancien tueur à gages, dans son autobiographie, el Sicario, aborde ce sujet en attirant l’attention sur cette dualité entre gouvernement et crime organisé. De plus, le

salaire fourni à un employé de la fonction publique est de 150 $ pesos par mois tandis que le salaire offert par les cartels s’élève à 1000 $. Les cartels ne prennent pas seu-lement en charge la sécurité publique des citoyens, mais investissent d’autres sphères tout aussi importantes telles que l’économie mexicaine.

Le Michoacán, État côtier du Pacifique, possède l’un des ports les plus importants du pays : Lázaro Cárdenas. Lieu de prédi-lection pour la circulation des stupéfiants, l’État a aussi servi de résidence du cartel disparu de La Familia. Dans certaines régions limitrophes à Morelia, la capitale de l’État, plusieurs communautés urbaines

et villageoises se sont opposées vigoureu-sement à l’arrestation du chef de clan, car la disparition de ce groupe constituait une menace à l’économie locale.

Le cas de la communauté d’Apatzingán est

foudroyant. Apatzingán de la Constitución, ville de 100 000 habitants qui a vu naître la Constitution de la République mexicaine, abrita à l’été 2011 une manifestation en

faveur du maintien de ce groupe criminel, et qui plus est, du main-tien de la loi d’Omerta. La Familia était une source de revenues pour la communauté du fait qu’elle sollicitait le secteur tertiaire, les employées agricoles, le nettoyage, les achats de produits locaux d’arti-sanat, etc. Elle investis-sait enfin dans les écoles et dans l’électrification des campagnes, etc.

Cette image salvatrice des narcos s’accom-pagne du rêve américain que partagent plusieurs habitants des régions frontalières. Selon le recensement américain de 2010, 31,8 millions

REUTERSLe président Felipe Calderón, lors d'un discours prononcé le 5 mai 2011, qui réitère sa confiance envers la guerre menée contre le crime organisé

d’Américains sont d’origine ou de descen-dances mexicaines. Cette population a été exposée au luxe et à la technologie de leur riche voisin.

Seulement, l’État peine à offrir des condi-tions de vie descente à ses citoyens puisque, selon les données de la Banque Mondiale de 2008, 47,7 % de la population mexicaine vit sous le seuil de la pauvreté. La voix du crime organisée semble la dernière option pour plusieurs Mexicains qui aspirent à un futur meilleur.

L’État en disgrâceL’accès au rêve américain passe inévi-

tablement par l’une des villes qui bordent

la frontière des États-Unis. Parmi elles se trouve Ciudad Juárez, capitale de l’État du Chihuahua et 6e plus grande ville du pays. Selon un rapport du département d’État américain datant de janvier 2009, 1800 homicides y ont été commis depuis janvier 2008, faisant de Ciudad Juárez la ville la plus dangereuse du pays.

Lieu d’affrontement entre les cartels rivaux du Sinaloa et du Chihuahua, véri-tables maîtres du jeu dans le trafic de la drogue, les effets collatéraux y sont nom-breux et désastreux : balles perdues, bar-rages routiers, raids nocturnes, assassinats, banditisme, etc. La loi y est systématique-ment violée. S’aventurer au soleil couchant est un dernier recours. La police gouverne-mentale qui y est stationnée enregistre le plus haut taux de désertion du pays.

Un jeune avocat, Netzaí Sandoval, a

réclamé en décembre dernier un procès international contre le président Calderón après avoir recensé et documenté près de 470 cas de tortures, d’agressions physiques, mentales et sexuelles. Appuyé par plus de 23 000 signatures de citoyens, selon une entrevue accordée à La Presse, il accole ainsi un peu plus l’État mexicain au pied du mur.

AFP-ALFREDO ESTRELLAManifestation du 8 mai 2011 à Mexico City, menée sous le symbole du No + (mas) sur un fond rouge, soit l'arrêt de la violence entourant le conflit.

Volume 7 - Numéro 1 - Février 2012

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Depuis Noël 2011, le Nigeria est en proie à une vague d’attentats sans précédent. Ces attentats, revendiqués par Boko Haram, une secte islamiste radicale qui veut imposer la charia au Nigeria, visent la communauté chrétienne et l’État nigérian. Les attentats se sont ainsi multipliés à Abuja, la capitale du pays, à Jos, ville en proie à une violence communautaire endémique, et à Kano, la deuxième ville du pays.

Portrait des tensions communautaires au Nigeria

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La série d’attentats qui a frappé le Nigeria est localisée essentiellement au nord du pays, et elle est principalement dirigée contre des églises et des postes de police. Ces attaques ont gagné en intensité au point de causer la mort de 80 personnes entre Noël et le jour de l’an selon l’Agence France-Presse. Le bilan s’est alourdi après la série d’attaques à Kano qui a couté la vie à plus de 185 per-sonnes le 24 janvier dernier. Ces attentats viennent porter à 250 le nombre de victimes au cours des trois premières semaines de janvier 2012 selon l’organisation de défense des droits de l’Homme Human Rights Watch.

Portrait des violences Marc-Antoine Pérouse de Montclos, cher-

cheur à l’Institut français de recherche pour le développement, observe que le Nigeria est en proie depuis la décolonisation à des vagues de contestations et de rébellions sans toutefois glisser irrémédiablement dans la guerre civile. De telles violences étaient déjà manifestes en 1980 lors de l’insurrection du mouvement Maitatsine,

un groupe islamiste, qui avait causé plus de 5000 morts.

Le delta du Niger, région située au sud-est du Nigeria, constitue depuis la fin des années 1990 un autre foyer de violences récurrentes liées aux revendications de mouvements sécessionnistes et de groupes armés. C’est aussi le cas pour Lagos, capi-tale économique du pays situé au sud-ouest de la République fédérale du Nigeria, qui a été mis à feu et à sang au début des années 2000, lorsqu’un groupe nationaliste yoruba, de l’ethnie dominante du Sud du pays, a

attaqué les quartiers ibo, haoussa et ijaw, qui sont d’autres ethnies présentes dans le sud-est du pays et dans le Delta du Niger.

La situation est tout aussi tendue à Jos au nord du Nigeria, qui est le théâtre d’af-frontements meurtriers entre différentes communautés. En 2001, un conflit meur-trier a opposé les milices de la communauté des haoussas et Fulanis, majoritairement

musulmanes, et les milices de la commu-nauté des Beroms, majoritairement chré-tiennes concernant des « problèmes d’accès à la terre, à la répartition des postes politi-ques, à des affrontements classiques entre agriculteurs et éleveurs à propos du passage du bétail sur des terres cultivées » souligne Marc-Antoine Pérouse de Montclos.

La secte Boko HaramMarc-Antoine Pérouse de Montclos rap-

pelle qu’initialement, Boko Haram n’était pas un mouvement violent. Il est entré dans l’engrenage de la violence, et s’est fixé comme objectif de provoquer une guerre de religion au Nigéria depuis la répression de juillet 2009, qui a causé la mort de 700 membres de Boko Haram et a précipité les cadres de l’organisation dans l’exil, où ils ont été récupérés par le djihadisme interna-tional.

Le message de Abubakar Shekau, le chef de Boko Haram, mis en ligne sur YouTube le mardi 10 janvier 2012, accuse l’État nigé-rian d’être responsable de la reprise des vio-lences interconfessionnelles après la série d’attentats perpétrés par son groupe contre

des églises le jour de Noël : « Nous sommes en guerre contre les chrétiens parce que le monde entier sait ce qu’ils nous ont fait. Tout le monde a vu comment ils nous ont traités et ce qui s’est passé entre nous et les agents de sécurité armés ».

Seulement, selon Laurent Fouchard les appuis de la secte Boko Haram sont minori-taires, et sont localisés à des communautés

spécifiques du nord du pays. Sa représentati-vité est limitée en outre du fait que le clergé musulman condamne ses attaques. C’est ce qu’affirme notamment Pierre Cherruau, directeur de la rédaction de Slate Afrique, en expliquant que « Boko Haram cherche également à faire peur à un certain nombre de musulmans modérés, car la grande majo-rité des musulmans ne partage pas sa vision de l’islam ». Selon Marc-Antoine Pérouse de Montclos, cette tendance ne semble pas prête à s’inverser puisqu’à la suite des atten-tats de Kano, la capitale musulmane du nord du Nigeria, les musulmans ont affiché leur solidarité en masse avec les victimes des attentats.

La stratégie du président Goodluck Jonathan

Il n’est pas exclu que la situation puisse se dégrader un peu plus au Nigeria, et pour-rait à terme dégénérer à des affrontements confessionnels entre les communautés musulmanes et chrétiennes. La réunion des leaders chrétiens le samedi 7 janvier a fait apparaitre un consensus dans cette communauté. Après avoir qualifié les atten-tats meurtriers qui secouent actuellement

le nord-est du Nigéria de « nettoyages ethniques et religieux », les chrétiens « ont décidé de définir les moyens nécessaires pour se défendre face à ces tue-ries insensées », souligne Ayo Oritsejafor, chef de l’Association chrétienne du Nigeria.

Dans le même ordre d’idée, l’inefficacité de la stratégie appliquée par le président Goodluck Jonathan pour circons-crire les tentations com-munautaires et l’inertie des gouverneurs des États du Nord sont peu rassurantes en vue d’une issue au conflit. Selon Marc-Antoine Pérouse de Montclos, « [i]l n’y a, pour l’heure au Nigeria, aucune véritable stratégie contre-insurrectionnelle. La seule réponse aux attaques de Boko Haram a été le «nettoyage » de quartiers entiers de Maiduguri [ville située au nord du pays] par les soldats de l’armée nigériane, qui tirent sur tout le monde », précise-t-il. Selon lui, cette stratégie qui se base sur la fermeté a

contribué largement à la dérive terroriste de Boko Haram. Il semble cependant y avoir au Nigeria « un consensus politique autour du maintien de l’unité du pays […] [car] le pou-voir est entre les mains de coalitions régio-nales qui ont besoin les unes des autres pour s’y maintenir », selon Marc-Antoine Pérouse de Montclos.

AFOLABI SOTUNDE/REUTERSSur les lieux de l'attentat, devant l'église Sainte-Thérèse à Madalla, au Nigéria

OTAIFOHELABOR BENDiplômé de maitrise en Science PolitiqueChaire du Canada en surveillance et construction sociale du risque, Université Laval [email protected]

Volume 7 - Numéro 1 - Février 2012

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Le 1er janvier dernier, la nouvelle constitution est entrée en vigueur en Hongrie. Les critiques adressées à cette nouvelle constitution ont fusées de toutes parts et des observateurs tels que Paul Krugman, prix Nobel d’économie, et Kim Lane Scheppele, professeure en affaires publiques à l’Université Princeton, soutiennent que la Hongrie vient de franchir un pas de plus en direction de l’autoritarisme. Les modifications apportées par le gouvernement de Viktor Orban depuis son arrivée au pouvoir démontrent en effet un affaiblissement des institutions démocratiques du pays. Mais il y a également d’autres aspects qui entrent en ligne de compte, comme la montée de l’extrême droite et la discrimination à l’égard des Roms.

La Hongrie glisse-t-elle vers l’autoritarisme?

BRUNO LAVALLÉE-MONTAMBAULTCandidat à la maîtrise en sciences politiquesUniversité de Montré[email protected]

Volume 7 - Numéro 1 - Février 2012

Un gouvernement majoritaireLes élections législatives de mai 2010 ont

porté au pouvoir le gouvernement du parti Fidesz, dirigé par Viktor Orban. C’est avec une majorité écrasante (68 % des sièges et 53 % des suffrages) au Parlement hongrois que le nouveau gouvernement a entrepris la transformation des institutions démo-cratiques du pays. Avec le contrôle de plus des deux tiers des sièges, le gouvernement Orban s’est vu attribuer les pleins pouvoirs pour modifier à sa guise la constitution. Seu-lement pour la première année législative, il a amendé à dix reprises la loi suprême de la Hongrie. Ce révisionnisme constitutionnel a franchi une étape décisive le 1er janvier 2012, alors qu’une toute nouvelle constitu-tion reprenant les précédents amendements entrait en vigueur.

Comme le souligne Kim Lane Scheppele, « cette activité constitutionnelle a trans-formé le paysage légal au point d’éliminer les outils de contrôle du pouvoir gouverne-mental et de mettre pratiquement tous les pouvoirs entre les mains du parti qui forme actuellement le gouvernement ». En plus de modifier les assises constitutionnelles du pays, le nouveau gouvernement hon-grois, pour étendre davantage son pouvoir, a nommé des personnalités politiques pro-ches du parti Fidesz à des postes clés d’ins-titutions de l’État qui sont supposées être indépendantes et à l’abri de l’ingérence du gouvernement.

La nouvelle constitution et la justiceLa nouvelle constitution (incluant les

amendements antérieurs) modifie en pro-fondeur les institutions politiques de la Hongrie, au détriment de la démocratie. Selon Kim Lane Scheppele, les institutions juridiques sont très durement touchées par cette reconfiguration constitutionnelle. Par exemple, l’indépendance de la Cour consti-tutionnelle, une institution clé d’une démo-cratie qui respecte la séparation des pou-voirs et la primauté du droit, a été affaiblie de trois façons.

Premièrement, le nombre de juges à la Cour constitutionnelle a été augmenté de neuf à quinze, permettant ainsi au gouver-nement de nommer ses propres alliés politi-ques. Deuxièmement, la plus haute cour du pays « ne peut plus examiner les lois qui ont un impact sur le budget, comme les lois rela-tives aux impôts et aux programmes d’aus-térité », précise Scheppele. Et finalement, il sera plus difficile de contester la constitu-tionnalité d’une loi, puisqu’il faudra main-tenant passer préalablement par un long

processus juridique devant les tribunaux inférieurs, plutôt que de passer directe-ment à la Cour constitutionnelle. Scheppele résume : « l’ancienne Cour constitution-nelle, qui servait de principal outil de sur-veillance du pouvoir gouvernemental dans un système parlementaire unicaméral, est maintenant fonctionnellement morte. »

Les critiques fusentUne des lois les plus controversées qui

a été adoptées par le gouvernement Orban porte sur les médias. Entrée en vigueur le 1er janvier 2011, la Loi sur les médias a créé un organisme de contrôle des médias, le Conseil des médias, dirigé par des membres proches du gouvernement. Cette nouvelle loi prévoit d’importantes amendes en cas « d’atteinte à l’intérêt public, l’ordre public et la morale », ou encore dans des situations où les médias présenteraient des « informa-tions partiales ». Le gouvernement Orban offre donc un énorme pouvoir d’interpréta-tion au Conseil des médias, lequel n’est pas véritablement indépendant. Ainsi, la prin-cipale radio d’opposition Klubradio perdra sa fréquence de diffusion à Budapest dès le 1er mars prochain. Même si le pouvoir se défend de priver d’antenne Klubradio pour des « considérations politiques », Andras Piko, rédacteur de cette radio, déclare sans hésitation que « le gouvernement est déter-miné à créer une presse sous contrôle ».

Cette loi sur les médias n’a pas manqué d’être la cible de nombreuses critiques : d’une part, elle a été vivement dénoncée à l’interne par certains médias hongrois, notamment par le principal quotidien, Nep-szabadsag, qui titrait, au lendemain de l’en-trée en vigueur de cette loi, « La liberté de la presse n’existe plus en Hongrie » ; d’autre part, de nombreuses critiques provenant de l’extérieur ont été formulées entre autres par Human Rights Watch, par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), ainsi que par certains pays de l’Union européenne (UE) tels que la France. En réponse à ces critiques, le gouvernement hongrois a apporté des amendements à la Loi sur les médias. Par contre, ces amende-ments sont jugés insuffisants par Reporter sans frontières, car la composition et les attributions du Conseil des médias demeu-rent inchangées, donc il reste sujet aux pressions politiques.

Les critiques se font plus insistantes de la part des gouvernements européens dans le domaine économique. Ce qui inquiète beaucoup l’UE, c’est le renforcement de l’influence du gouvernement Orban sur la

Banque centrale hongroise. En réaction, l’Union européenne a annoncé, le 17 jan-vier dernier, le lancement d’une procédure d’infraction au droit communautaire euro-péen à l’encontre de la Hongrie. Pour faire pression sur le gouvernement hongrois, la Commission européenne a conditionné toute éventuelle négociation sur un prêt à une modification du texte de loi. Tout porte à croire que le gouvernement Orban fera

quelques concessions dans ce dossier. Par exemple, le gouvernement voulait fusionner la Banque centrale et l’autorité de régula-tion des marchés, un projet qu’il devrait abandonner sous peu.

Est-ce que la communauté européenne réagit de façon suffisante à la menace qui pèse sur les institutions démocratiques hongroises ? En réponse à cette question, Kim Lane Scheppele affirme que l’UE vient tout juste de commencer à réagir et qu’il est encore difficile de savoir si elle va se commettre, car, en toile de fond, le parti d’extrême droite Jobbik multiplie les appels pour que la Hongrie quitte l’UE. Ainsi, avec l’accroissement du sentiment antieuropéen, il sera difficile pour l’Union européenne de faire pression sur la Hongrie, explique Scheppele.

L’extrême droiteÀ propos du parti ultranationaliste Jobbik,

le politologue Krisztian Szabados affir-mait en 2007 qu’en Hongrie « la montée de l’extrême droite constitue un vrai risque ». D’ailleurs, aux élections législatives de 2010, Jobbik est allé chercher près de 17 % des suffrages, pour un total de 47 sièges au parlement, formant ainsi la deuxième opposition. De plus, Kim Lane Scheppele soutient que, même si officiellement Fidesz garde ses distances par rapport à Jobbik, le parti au pouvoir s’est approprié, pendant la campagne électorale, de nombreux thèmes abordés dans la plate-forme électorale de Jobbik. Aussi, elle explique que le gouverne-ment adopte des mesures et un discours qui fait écho aux revendications des électeurs du parti d’extrême droite.

Le parti Jobbik est, comme le souligne l’économiste et chroniqueur au New York Times Paul Krugman, « un cauchemar tout droit sorti des années 30 », il est « antisé-mite, antirom, et il a même une branche paramilitaire ». Cette Garde magyare (ou Garde hongroise), qui affiche des symboles propres à l’époque nazie, « est officiellement interdite, mais elle parvient toujours à faire

des apparitions publiques », explique Schep-pele. Ce que redoute beaucoup cette der-nière, c’est « la présence de forces parami-litaires encore plus radicales [que la Garde magyare] qui opèrent dans le pays ».

La discrimination envers les RomsLa Garde magyare et d’autres groupes

paramilitaires organisent des patrouilles musclées dans des villages à forte popu-

lation rom. Par exemple, en avril dernier, des actes d’intimidation dans le village de Gyöngyöspata ont fait fuir plus de 200 femmes et enfants roms qui craignaient pour leur sécurité. La milice Vedero, après avoir effectué jour et nuit des patrouilles dans les rues du village, soi-disant pour « restaurer l’ordre » et pour protéger la population hongroise de la « criminalité tsigane », a annoncé son intention de tenir un camp d’entraî-nement de trois jours. La police locale n’est pas

intervenue et la population locale a hébergé les miliciens.

Le gouvernement Orban y va aussi de ses propres mesures discriminatoires, notam-ment la création de camps de travail pour les sans-emplois. Sans que ce soit explici-tement dirigé contre les Roms, tout porte à croire que c’est le cas, alors que près de 50 % des Roms sont sans-emploi. Ce programme « d’aide sociale » a été lancé à Gyöngyöspata et 36 des 40 travailleurs du camp de travail étaient Roms, soulignait en septembre 2011 le magazine Bloomberg Businessweek.

Comme le dénonce Peter Juhász de l’Union des libertés civiles hongroises, le gouvernement donne l’impression de vouloir « garder les Roms sous son contrôle ». Kim Lane Scheppele s’accorde avec cette com-préhension des actions gouvernementales à l’endroit des Roms : en plus des camps de travail obligatoire surveillés par des poli-ciers à la retraite, « on prévoit l’adoption de peines criminelles plus longues », ce qui illustre bien la politique raciale officieuse du gouvernement Orban, car en Hongrie « la vaste majorité des personnes recon-nues coupables de crimes sont des Roms », explique-t-elle.

Le glissementAvec tous ces éléments, et c’est sans parler

des libertés religieuses, de la question de la citoyenneté, de la modification de la loi électorale et de la question de l’avortement, est-il juste de parler d’un glissement vers l’autoritarisme ? Scheppele affirme que « la démocratie hongroise était très dynamique avant 2010. Maintenant, elle est verrouillée par un parti responsable du pouvoir. » Pour Paul Krugman, il ne fait aucun doute que la Hongrie glisse vers l’autoritarisme : selon lui, on assiste « au rétablissement d’un régime autoritaire, sous un vernis démocra-tique mince comme du papier, en plein cœur de l’Europe ».

Une manifestation de la Garde magyare en 2009 à la place Kossuth à Budapest, devant le Parlement

ROMAN DUX, 2009

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Même si l’euro est menacé de disparaître, une politique économique et fiscale commune peine à voir le jour en Europe. C’est pourtant l’approfondissement des mécanismes de solidarité et une coopération politique et économique accrue entre les États qui conditionnent l’avenir de l’Euro.

MARIE-CHRISTINE AUBÉCandidate au baccalauréat en Affaires publiques et relations internationalesUniversité Laval marie-christine.aube.1@ulaval.

OTAIFOHELABOR BENDiplômé de maitrise en Science PolitiqueChaire du Canada en surveillance et construction sociale du risque, Université Laval [email protected]

La crise de l’Euro a-t-elle politisée davantage l’Union européenne?

Pas d’euro sans une union politiqueVoilà dix ans maintenant que la monnaie

unique européenne a pris la place des mon-naies nationales, mais pourtant, elle est déjà menacée de disparaître. Nombreux sont les économistes, comme Jacques Attali, à reconnaître que l’Union européenne va vers la catastrophe si elle ne remplace pas

sa politique actuelle, qui consiste à fournir des liquidités pour régler les problèmes de solvabilité de ses membres, par une poli-tique fiscale et budgétaire commune. Selon Guillaume Klossa, une convergence sociale et fiscale ferait en sorte de réduire les dis-parités entre les différentes économies de la zone euro, ce qui permettrait à la Banque centrale européenne d’être le seul acteur qui puisse emprunter au nom de l’Europe pour éviter qu’on en fasse un mauvais usage selon Attali.

Comme le souligne Jean Pisani-Ferry, une politique budgétaire européenne per-mettrait un contrôle européen des déficits des budgets nationaux, tandis que la non-

ingérence dans la gestion budgétaire des 17 pays de la zone euro a conduit à « un aveuglement collectif » sur les finances grecques : « Depuis dix ans, l’écart moyen entre le déficit budgétaire réel [grecque] et le chiffre notifié à la Commission euro-péenne a été de 3,3 % du produit intérieur brut (PIB) », précise-t-il.

L’encadrement par l’Union européenne de la politique budgétaire des États peine à se dessiner

Le pari fait par la zone euro consistant à créer une union monétaire sans une union économique et politique a montré ses limites lors de la crise grecque. Non seulement elle a été incapable d’imposer sa politique fis-cale à un État membre du fait de l’absence de mécanisme européen de réaction qui est confié au Fonds monétaire international, mais il est aussi manifeste que la crise de la dette n’a pas politisé davantage l’Union européenne.

Il suffit en effet de se pencher sur les quatre derniers plans de sauvetage mis de

l’avant en Europe (en mai 2010 et juillet 2011 pour la Grèce, en novembre 2010 pour l’Irlande et en mai 2011 au Portugal), pour se rendre compte que les mécanismes européens de sortie solidaire de la crise ne vont pas vers un fédéralisme budgétaire, à savoir un budget fort et intégré au niveau européen. Selon Jean Pisani-Ferry, l’Union européenne mise davantage sur « des aides temporaires conditionnées à des efforts de redressement et, éventuellement à des rené-gociations de la dette ».

De surplus, l’accord signé à Bruxelles le 27 octobre 2011 dernier met en place un mécanisme de gestion des crises. L’une des mesures phares de cet accord obligera les États de l’Union européenne à conserver l’équilibre budgétaire. De plus, le déficit structurel de chaque État ne devra pas excéder 0,5 % du PIB. Pour autant, cet accord ne prévoit pas de règles concrètes permettant à la Cour de justice européenne de jouer son rôle de garante de la règle d’or budgétaire. De ce fait, la surveillance des partenaires de la zone euro reste inadaptée, souligne Attali.

Depuis que la crise de l’euro sévit sur le continent, les eurodéputés sont plus actifs que jamais pour tenter de trouver des solu-tions à la crise. Plusieurs réunions ont eu lieu entre les dirigeants des 27 pays mem-bres de l’Union européenne où ils ont dis-cuté des issues envisageables à la crise, dont la mise en place d’euro-obligations.

Une volonté de dépasser le cadre national

L’instauration d’euro-obligations nécessi-terait des concessions politiques majeures de la part des États membres. Toutefois, il faudrait s’assurer que les mesures entre-prises soient bel et bien été interprétées et appliquées avec une même rigueur à travers

l’Europe. Pour ce faire, certains députés européens, comme Pervenche Berès, ont pour objectif de « parvenir à un compromis entre groupes politiques et proposer des mesures pour sortir de la crise ». Cela signifie qu’il y a une certaine volonté supra-nationale à accélérer le processus de politi-sation de l’Union européenne.

La crise de l’euro a permis de mettre en lumière le fait que plusieurs pays interpré-taient à leur guise les politiques économi-ques émises par l’Union européenne. Cette incohérence consubstantielle à la politique monétaire actuelle a motivé les acteurs européens à mettre en place une politique économique européenne commune. Selon la députée européenne Sylvie Goulard, il y a urgence de faire converger les politiques économiques européennes.

Dans le même ordre d’idées, l’instaura-tion de certains mécanismes préventifs per-mettrait d’éviter à l’avenir la répétition d’une telle crise. En fait, une surveillance budgé-taire et une coordination politique accrues des euro-obligations sont indispensables. Les sanctions contre les États fautifs ont en outre été envisagées. Le président de la Commission, José Manuel Barroso, n’a pas manqué de rappeler « l’objectif de gouver-nance renforcée, de discipline et de conver-gence de la zone euro » en soutenant l’idée des euro-obligations. Il y a donc une volonté claire d’apprendre des erreurs de la crise en tentant d’accélérer la politisation de l’Union européenne.

Qui plus est, la crise de l’euro a fait resurgir la question de la modification du traité de l’Union européenne. En effet, cette crise a clairement mis en évidence les déficiences actuelles du traité de Lisbonne. Selon cer-tains experts de la Commission, les change-ments apportés nécessiteraient une modifi-cation à l’article 125 concernant la « clause de non-renflouement » qui spécifie que les États doivent assumer seuls leurs engage-ments financiers. Ainsi, en modifiant en partie le traité européen, il serait possible de conclure que la crise de l’euro a permis de politiser l’Union européenne.

Le logo de l’Euro devant les bâtiments de la Banque Centrale Européenne à Francfort, en Allemagne. AFP / DANIEL ROLAND

EUROPA.EU

Volume 7 - Numéro 1 - Février 2012

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Le changement de leadership chinois en 2012

En octobre prochain, lors du XVIIIe Congrès du Parti communiste chinois (PCC), nous connaîtrons les successeurs du président Hu Jintao et du premier ministre Wen Jiabao. Avec la transition nord-coréenne, le sauvetage de l’euro et la relance de l’économie mondiale, la Chine, grande puissance économique et force diplomatique émergente, est de plus en plus sollicitée par ses partenaires. Sa capacité de projection et d’influence culturelle croissante soulève aussi des interrogations quant à l’émergence d’un Consensus de Beijing. Plus que jamais, il semble important de connaître les futurs dirigeants du pays et la manière dont ils seront désignés.

VINCENT FRADETTECandidat à la maîtrise en science politique Université [email protected]

En plus du secrétariat général du PCC, la présidence et la primature changeront de mains. Par ailleurs, nombre de gou-verneurs et de secrétaires provinciaux seront promus, transférés ou se joindront au Politburo. La transition touchera aussi l’Armée populaire de libération (APL) ainsi que la direction des 130 grandes sociétés d’État, dont 40 figuraient au classement For-tune Global 500 en 2010. Selon The Econo-mist, c’est près de 70 % des élites dirigeantes du pays qui seront alors renouvelées.

Les informations sur les prises de position de Xi Jinping et de Li Keqiang, les candidats pressentis à la tête du PCC, sont rares. Leur réserve s’explique par la volonté de ne pas nuire à leur ascension. Ces deux candidats représentent les deux plus grandes factions du PCC : les élitistes, représentés par Xi, qui souhaitent une croissance économique sou-tenue à tout prix, et les populistes, repré-sentés par Li qui défendent les droits écono-miques et la justice sociale de la population chinoise.

Xi Jinping, président pres-senti : parcours et idées

Selon sa biographie officielle de l’agence Xinhua, Xi Jinping est né au Shaanxi en 1953, est bachelier en théorie marxiste et diplômé en génie et en droit de l’Université Qinghua. Fils d’un cofondateur du PCC et ancien vice-premier ministre, Xi Zhongxun, il est marié à Peng Liyuan, célèbre chanteuse de l’APL et est l’un des rares politi-ciens actuels qui ait servi dans l’armée. Selon STRATFOR, une firme de consultant en matière straté-gique, il appartient à la « clique des petits princes », qui regroupe les enfants d’ex-diri-geants du Parti. Xi a connu une carrière ful-gurante. D’abord secrétaire de Fuzhou, puis gouverneur du Fujian et du Zhejiang, il est nommé secrétaire de Shanghai en 2007.

The Economist, le dit réputé pour son franc-parler et sa croisade contre la cor-ruption. Il est favorable au commerce et au libéralisme économique et souhaite la réduction des inégalités socio-économiques entre les nouveaux riches et les exclus du développement économique qu’il juge dan-gereuses. Il tolère mal les critiques adres-

sées à la Chine et fustige les « Occidentaux morts d’ennui et au ventre plein donnant des leçons ». Selon l’organe de presse de l’APL, le 2 juin 2011, il a d’ailleurs réitéré l’appui de la Chine au multilatéralisme lors d’une ren-contre avec le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon, et suggéré à l’organisation de s’en tenir à sa charte et à ses principes. Cet appel a été lancé en pleine crise libyenne, alors que l’OTAN intervenait sous l’égide onusienne.

Li Keqiang, premier ministre pres-senti : parcours et idées

Né en Anhui en 1955, Li Keqiang est bache-lier en droit, docteur en économie de l’Uni-versité Beida et a été agriculteur entre 1974 et 1976. Li est né dans une famille modeste. Il a été secrétaire de la Ligue de la jeunesse communiste (LJC), vice-secrétaire puis vice-gouverneur et enfin gouverneur au Henan entre 1998 et 1999, lors du scandale du sang contaminé. De 2004 à 2007, il a été secrétaire au Liaoning.

Selon Cheng Li du China Leadership Monitor, Li Keqiang appartiens à la faction dite des « populistes ». Il est réputé pour sa connaissance de l’économie et est considéré comme l’un des principaux porte-paroles du Parti en la matière. Personnage politique terne, il est perçu comme étant la copie car-bone de Hu dont il serait le protégé. Selon le Quotidien du peuple, il souhaite l’élar-gissement du marché intérieur chinois par l’accroissement des salaires moyens. Il souhaite en outre donner un coup de frein à la spéculation immobilière. Il est préoc-cupé par les questions de logement social, de santé publique, de redistribution de la richesse et d’énergie renouvelable.

La cinquième génération de dirigeants Cheng Li dresse le portrait de cette

génération majoritairement diplômée du 2e cycle (économie, management, science politique ou droit), en opposition à la précé-dente génération qui est composée à majo-rité d’ingénieurs devenus par la suite tech-nocrates. La plupart ont été envoyés à la campagne comme ouvriers ou paysans pen-dant la Révolution culturelle (±1966-1976). Toujours selon Li, 68 % d’entre eux auraient œuvré comme secrétaire ou chef de cabinet de hauts dirigeants et 52 % auraient été diri-geants au sein de la Jeunesse communiste chinoise (LJC). Ils seraient donc nombreux à être proches de Hu et à l’appuyer dans ses prétentions à jouer un rôle cen-tral dans la politique chinoise.

Le processus de transition Selon la constitution, c’est le

comité permanent de l’Assem-blée populaire nationale (APN) qui élit le président pour un mandat renouvelable une fois. Le président choisit par la suite le premier ministre avec l’appro-bation du comité permanent de l’APN (articles 62.4, 62.5 et 80). En réalité, la décision est prise par les hautes instances du PCC et traduit les rapports de force entre les différentes factions.

Après avoir été la cause de confrontations ouvertes entre les différentes factions, le pro-cessus de transition semble aujourd’hui vouloir se norma-liser, voire à s’institutionnaliser. Pour le futur président, la pre-mière étape consiste d’abord à être nommé au secrétariat du Parti, puis président de l’École centrale du PCC, pre-mier vice-président de la Commission mili-taire centrale (CMC) et vice-président de la République au moins deux ans avant la transition, puis à devenir secrétaire général du Parti, et enfin président de la République et président de la CMC. Pour le futur pre-mier ministre, la transition suppose d’avoir été nommé au Politburo puis secrétaire adjoint du Conseil d’État et vice-premier ministre exécutif. À cela s’ajoute une stricte limite d’âge de la retraite.

L’État chinois aujourd’huiOfficiellement communiste, la Chine

conjugue, depuis la libéralisation écono-mique lancée par Deng Xiaoping en 1978, la « dictature du prolétariat » avec une « éco-nomie socialiste de marché » proclamée en 2003. Le PCC a adopté, en 2006, l’objectif de créer une « société harmonieuse » de « moyenne aisance ». Cela reprend la conception confucianiste traditionnelle de la légitimité politique. Le tout est également cohérent avec l’idée de « légitimation par la performance » avancée par Zhu Yuchao dans un article du Journal of Chinese Poli-tical Science qui veut qu’un contrat social tacite ait été passé entre le PCC et la popu-lation : la toute-puissance du Parti est acceptée par la population en contrepartie

de quoi elle se voit garantit l’amélioration de sa situation matérielle.

Le premier mandat du nouveau tandem devrait s’inscrire dans la continuité. Il sera occupé à consolider la position de la Chine à titre de nouvelle grande puissance mondiale et à appliquer le 12e Plan quinquennal (2011-2015) qui prévoit des investissements de 1500 milliards de dollars américains dans sept nouveaux secteurs industriels stratégi-ques. Il entend ainsi faire évoluer l’économie chinoise vers un modèle axé sur les produits technologiques à haute valeur ajoutée. L’ob-jectif consiste à faire croître sept secteurs industriels - les énergies alternatives, les

biotechnologies, les voitures écoénergéti-ques, les technologies de l’information, la production industrielle haut de gamme, les matériaux de pointe, l’efficacité énergétique et la protection environnementale - de 3 à 8 % du PIB d’ici 2015 et à 15 % en 2020.

Le Parti cherche à éliminer la corrup-tion qui constitue sûrement la plus grave menace à sa gouverne. Entre 16 000 et 18 000 cadres gouvernementaux chinois auraient fui le pays, emportant avec eux 121 milliards de dollars américains entre 1995 et 2008 selon un rapport de la Banque cen-trale. Les autorités font aussi état de 80 000 à 100 000 manifestations par an entre 2008 et 2010 contre les expropriations illégales et la corruption ou en faveur des droits écono-miques et culturels.

Globalement, il semble que l’actuel équi-libre des forces entre les deux grandes factions du Parti communiste chinois sera préservé après 2013 grâce à la pro-bable nomination du tandem formé de Xi Jinping et de Li Keqiang. La composition du Politburo pourrait également réserver des surprises, favorisant une faction au détri-ment de l’autre, et pourrait au final venir changer la donne des rapports qu’entretient la Chine avec ses partenaires.

Structure du pouvoir en Chine TNE ECONOMIST INTELLIGENCE UNIT

Li Keqiang QUOTIDIEN DU PEUPLE

Volume 7 - Numéro 1 - Février 2012

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19www.regardcritique.ulaval.ca

La Société des relations internationales de Québec (SORIQ), organisme à but non lucratif et à caractère non partisan, a pour mission de promouvoir l’intérêt du public à l’égard des relations internationales.

  Tribune internationale reconnue, elle permet aux milieux économique et politique, à la haute fonction publique, aux universitaires ainsi qu’aux milieux de la culture et des communications d’avoir un accès privilégié à une information et des contacts de qualité nécessaires à une compréhension juste de ces enjeux et à une action efficace sur la scène internationale.

  La SORIQ sert de forum où l’on aborde et analyse, par des exposés, des discussions et des débats, toutes les dimensions des relations internationales.

ACTIVITÉS À VENIR:

PASCAL PARADIS23 février 2012 à 17 h 00

PETER O’DONOHUE6 mars 2012 à 17 h 00

PIERRE-MICHEL BOUCHARD13 mars 2012 à 12 h 00

NELSON MICHAUD11 avril 2012 à 12 h 00

PAUL-ANDRÉE COMEAU2 mai 2012 à 16 h 30

Alors que nous sommes dans l’attente des premiers bourgeons du « printemps arabe », Sami Aoun et Julien Saada nous dressent un bilan et soulignent les défis à relever pour les pays de la région pour parvenir à la démocratie. Sami Aoun est professeur titulaire à l’École de politique appliquée à l’Université de Sherbrooke. Spécialiste du Moyen-Orient, le professeur Aoun est de plus membre du Comité consul-tatif sur la sécurité nationale du Canada et chercheur associé à l’Observatoire sur le Moyen-Orient de la Chaire Raoul-Dandu-rand (UQAM). Julien Saada, quant à lui, est directeur adjoint de l’Observatoire sur le Moyen-Orient de la Chaire Raoul-Dan-durand en études stratégiques et diploma-tiques et doctorant en science politique à l’UQAM. Ses recherches portent essentiel-lement sur l’impact des nouvelles technolo-gies et des médias au Moyen-Orient.

Julien Saada a d’ailleurs introduit le propos en revenant sur la notion de « révo-lution 2.0 » souvent abordée par les médias pour mettre en exergue le rôle joué par les

« PRINTEMPS ARABE » 1 AN APRÈS : BILAN ET PERSPECTIVESmédias dans les différentes révoltes qui ont secoué le monde arabe. Pour lui ladite « révolution 2.0 » n’a pas eu lieu. Cepen-dant, il convient de s’interroger sur l’impact des réseaux sociaux. Les réseaux sociaux pourraient ainsi avoir plusieurs effets sur les individus, la société civile et le pouvoir en place. Ces différents effets peuvent se résumer en la capacité à modifier le com-portement de l’individu par la technologie, à apporter une synergie entre les groupes, à permettre une mobilisation collective, mais aussi à solliciter et dévoiler la capacité des États à lutter dans le cadre de ces nou-velles technologies et enfin à toucher une audience internationale. Il ne faut toutefois pas oublier le rôle d’Al-Jazeera, la chaine panarabe permettant au Qatar de rayonner sur la scène internationale et de participer activement dans les bouleversements qui ont touché la région.

Succédant à ces interrogations sur les réseaux sociaux, Samy Aoun nous pré-sente les différents acteurs de la région et les tendances lourdes guidant les évolu-

Dans sa présentation, Monsieur Pierre Quirion, directeur à la prospection des investissements étrangers pour l’Amérique du Nord chez Québec International, revient sur la santé économique de la région de Québec et sur la mission et les réussites de Québec International. Québec Interna-tional est une agence de développement économique régionale qui a pour mission de favoriser la croissance des entreprises, de soutenir les secteurs dominants et d’at-tirer dans la région de Québec les talents et les investisseurs. Les mandats de Québec International se résument en la promotion d’un environnement d’affaires concurren-tiel dans la région de Québec ainsi qu’en la création de conditions favorables à la com-pétitivité grâce aux innovations et aide de financement. Ainsi, Québec International développe une expertise dans différents domaines, c’est-à-dire la commercialisation et l’exportation, l’entreprenariat technolo-gique et le financement, le recrutement à l’international, les stratégies d’éco-effica-cité et enfin le soutien aux investisseurs et filiales.

tions futures dans les régimes de la région. Sami Aoun a commencé à affirmer que l’État « sultanien » arrivait à sa fin, que les États dans le monde arabe n’avaient plus les moyens de contrôler leur population. On assiste à l’émergence d’une société civile. En parallèle à ses révoltes, il convient de considérer le mouvement islamiste. Pour Sami Aoun, nous arrivons à un moment isla-miste. Fort d’une historicité de 80 ans, les islamistes n’ont presque jamais eu la chance de gouverner. À présent, les islamistes sont organisés et sont appelés à jouer un rôle conséquent dans les années à venir au vu de leur capacité organisationnelle. Les Frères musulmans en Égypte ont un soutien consi-dérable. Cependant, pour pouvoir acquérir une légitimité politique ils se doivent par delà leur slogan définir un programme poli-tique. Auparavant, le défaut du panarabisme était de ne pas avoir pu greffer les valeurs démocratiques. Si jamais l’islamisme commet la même erreur, alors les nouveaux régimes dominés par les partis islamistes seront des échecs...

LA RÉGION DE QUÉBEC, LES VECTEURS DE FORCE D’UN MILIEU D’AFFAIRES DYNAMIQUE ET EN CROISSANCE.

La mission de Québec International est d’autant plus cruciale qu’elle a lieu dans un climat économique prospère pour la région de Québec et ouvert à de multiples possibi-lités. En effet, tous les indicateurs économi-ques montrent des résultats favorables et positifs. Contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer dans le climat récessionniste, la croissance pour 2011 pour la région de Québec est de 2 %. En moyenne, sur les trois ans, la croissance pour la région de Québec est à 2,1 %. Le Québec a évité la récession et se classe parmi les meilleures régions au niveau de la constance de la croissance éco-nomique. Québec a ainsi poursuivi sa crois-sance et se doit de continuer à se développer a affirmé Monsieur Pierre Quirion. Les pro-jets de développement sont nombreux dans la région de Québec. 100 projets ont pris fin en 2011. 120 projets sont en cours pour la période 2012-2020. De plus, le revenu par habitant en moyenne est assez élevé et est de 31.000 dollars par an. Au début des années 2000, les Américains importaient plus de 80 % de la production de la région

de Québec, maintenant les chiffres sont de 69 %. Il y a donc un progrès, mais ce n’est pas encore suffisant. Il faut diversifier l’éco-nomie québécoise.

Québec international a ainsi contribué à aider les entreprises québécoises en organi-sant des missions de recrutement à l’inter-national, particulièrement en Europe. La région de Québec manque en effet de main-d’œuvre. Ainsi, cela s’avère nécessaire de dénicher les talents permettant le dévelop-pement de Québec. Parallèlement à cela, Québec International cherche à attirer les entreprises étrangères pour qu’elles s’ins-tallent à Québec en jouant sur les forces de la région. La région de Québec se veut par exemple très compétitive en matière de coûts et de possibilités de rabattements fis-caux. 70 à 75 % des investissements provien-nent d’ailleurs de filiales étrangères.

Cependant, de nombreux défis attendent la région de Québec. Les projets de par le monde sont de plus en plus orientés vers

les petits projets. Il s’agit donc de se faire toujours très compétitif pour attirer les investisseurs. La région de Québec doit se montrer proactive pour réussir à contrer la montée de la Chine en essayant de percer d’autres marchés, comme les marchés européens. La mission de Québec Interna-tional est ainsi d’aider et d’accompagner le développement économique de la région de Québec.

Volume 7 - Numéro 1 - Février 2012

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Des d i s c i p l i ne s p i l i e r s : s c i ence p o l i t i q u e , d ro i t , écono m i e • De ss ém i na i re s t h ém a t i q u e s q u i i n t èg rent ce s d i s c i p l i ne s • Un m i l i eu d er ech er ch e s t i m u l a n t • L ’ e x p e r t i s e d e p ro f e s s e u r s r ép u t é s e t d ed i p l om a te s en r é s i d ence • La p o s s i b i l i t é d ’ é t u d i e r à l ’ é t ra ng er p o u ru ne s e s s i o n • Des s t a g es d a ns d es o rg a ni s m es p res t i g i eu x • Un ta u xd e p l a cem ent d e 90 % • Un p a s s ep or t p o u r u ne ca r r i è re i n t e r na t i ona l e