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Les nouveaux territoires de l’État © URBA IMAGES - AIR FRANCE (SITE ARCHÉOLOGIQUE - OPPIDIUM GAULOIS D’ENSERUNE - HÉRAULT) Longtemps incarnée par la figure tutélaire du préfet, et matérialisée par l’action quotidienne des administrations déconcentrées ou des services publics, l’intervention de l’État dans les territoires n’est plus ce qu’elle était. Fermetures de services, amenuisement des subventions, dépérissement des fonctions d’assistance technique que remplissaient naguère les sous-préfectures, les DDAF ou les DDE… Tout cela contribue à diffuser le sentiment d’un « retrait », voire d’un « désengagement » de l’État. Entrée dans sa phase de mise en œuvre, la révision générale des politiques publiques (RGPP) accentue ce sentiment d’éloignement à travers le parti pris de régionalisation qui l’anime. L’État déserte-t-il pour autant les territoires ? Très souvent entendu, ce refrain occulte le caractère protéiforme de l’action de l’État. Car si la proximité physique de ses services s’étiole indiscutablement, l’État reste agissant dans les territoires par mille autres ressorts, parfois invisibles. Que ce soit par la norme, l’action directe de ses agences, ses concours financiers aux collectivités ou via les puissants flux de revenus qui transitent par les budgets sociaux. Même si elle s’inscrit dans une histoire de longue durée, ponctuée de multiples tentatives avortées ou de semi-réussites, la réorganisation des services ter- ritoriaux de l’État dans le cadre de la RGPP n’a plus rien de cosmétique. Un : le préfet de région devient le patron et non un simple « primus inter pares ». Deux : la fusion des filières techniques et des grands corps autour de missions transversales est décidée. Bien que les mots d’ordre employés rappellent les précédentes réformes administratives (de 1964, lors de la création des préfectures de région, au rapport Picq en 1995), l’affaire semble autrement plus sérieuse. Mais avec quels attendus ? Censées gagner en polyvalence, resserrées autour de missions à forte valeur ajoutée, les nouvelles organi- sations déconcentrées de l’État (cf. p.14) ne sont-elles qu’un repli tactique pour tenir compte de la maturité acquise par les collectivités locales ? Ou préfigurent- elles une reprise en main des territoires ? Big-bang des services déconcentrés Tout en faisant le bonheur de nombreux cabinets d’au- dit, la RGPP laisse perplexes nombre d’élus locaux, voire d’agents de l’État eux-mêmes, qui peinent à en discerner les objectifs et les résultats concrets. Elle rompt en tout état de cause avec le thème de la « déconcentration » présenté, depuis les lois Defferre, comme le « deuxième pilier » de la décentralisation. À l’État « partenaire » de toutes les politiques locales semble succéder une nouvelle division du travail avec les collectivités. Depuis la publication du rapport Lambert, en décembre 2007, chacun constatait les nombreux dou- blons auxquels a conduit la cogestion systématique des politiques locales et le maintien en vis-à-vis de deux filières administratives parallèles. N’était-il pas dans Dossier Intercommunalités AdCF N° 141 - Janvier 2010 9

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Les nouveaux territoires de l’État

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Longtemps incarnée par la figure tutélaire du préfet, et matérialisée par l’action quotidienne des administrations déconcentrées ou des services publics, l’intervention de l’État dans les territoires n’est plus ce qu’elle était. Fermetures de services, amenuisement des subventions, dépérissement des fonctions d’assistance technique que remplissaient naguère les sous-préfectures, les DDAF ou les DDE… Tout cela contribue à diffuser le sentiment d’un « retrait », voire d’un « désengagement » de l’État. Entrée dans sa phase de mise en œuvre, la révision générale des politiques publiques (RGPP) accentue ce sentiment d’éloignement à travers le parti pris de régionalisation qui l’anime. L’État déserte-t-il pour autant les territoires ? Très souvent entendu, ce refrain occulte le caractère protéiforme de l’action de l’État. Car si la proximité physique de ses services s’étiole indiscutablement, l’État reste agissant dans les territoires par mille autres ressorts, parfois invisibles. Que ce soit par la norme, l’action directe de ses agences, ses concours financiers aux collectivités ou via les puissants flux de revenus qui transitent par les budgets sociaux.

Même si elle s’inscrit dans une histoire de longue durée, ponctuée de multiples tentatives avortées ou de semi-réussites, la réorganisation des services ter-ritoriaux de l’État dans le cadre de la RGPP n’a plus rien de cosmétique. Un : le préfet de région devient le patron et non un simple « primus inter pares ». Deux : la fusion des filières techniques et des grands corps autour de missions transversales est décidée. Bien que les mots d’ordre employés rappellent les précédentes réformes administratives (de 1964, lors de la création des préfectures de région, au rapport Picq en 1995), l’affaire semble autrement plus sérieuse. Mais avec quels attendus ?

Censées gagner en polyvalence, resserrées autour de missions à forte valeur ajoutée, les nouvelles organi-sations déconcentrées de l’État (cf. p.14) ne sont-elles qu’un repli tactique pour tenir compte de la maturité acquise par les collectivités locales ? Ou préfigurent-elles une reprise en main des territoires ?

Big-bang des services déconcentrés

Tout en faisant le bonheur de nombreux cabinets d’au-dit, la RGPP laisse perplexes nombre d’élus locaux,

voire d’agents de l’État eux-mêmes, qui peinent à en discerner les objectifs et les résultats concrets. Elle rompt en tout état de cause avec le thème de la « déconcentration » présenté, depuis les lois Defferre, comme le « deuxième pilier » de la décentralisation. À l’État « partenaire » de toutes les politiques locales semble succéder une nouvelle division du travail avec les collectivités. Depuis la publication du rapport Lambert, en décembre 2007, chacun constatait les nombreux dou-blons auxquels a conduit la cogestion systématique des politiques locales et le maintien en vis-à-vis de deux filières administratives parallèles. N’était-il pas dans

Dossier

Intercommunalités • AdCF • N° 141 - Janvier 2010 9

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Les nouveaux territoires de l’État

Les relations État-collectivités sont en pleine mutation. De nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer la recentralisation rampante à laquelle conduiraient les réformes en cours ? Partagez-vous ce sentiment ?Oui, je pense que nous sommes clairement entrés dans une phase de recentralisation. La priorité actuelle est de « dégraisser le

mammouth » à travers la RGPP. Après les administrations de l’État, ce sont les collectivités qui sont désormais en ligne de mire. La réforme n’est plus du tout inscrite dans une logique de dévolution des pouvoirs et d’accroissement de l’autonomie locale. Les projets de loi de réforme des collectivités sont, de ce point de vue, en rupture radicale avec la loi Raffarin (Ndrl : la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales) qui cherchait à baisser la voilure nationale mais par trans-fert de charges et de responsabilités aux collectivités… Le pari de Raffarin reposait sur une confiance dans les capacités de collectivités à faire mieux que l’État. Aujourd’hui, dans les quatre textes du projet de loi, il n’y a pas un mot sur une quelconque dévolution. Non pas parce que tout est fait, mais parce que la priorité est de réduire le périmètre global de l’action publique.Cela rappelle la recentralisation engagée il y a trente ans par Margaret Thatcher au Royaume-Uni. Nous passons d’un libéralisme décentralisateur, de type toc-quevillien, à un libéralisme centralisateur et jacobin. Pour baisser les prélèvements obligatoires, il faut amenuiser le rôle des collectivités, contrôler leurs ressources et réduire leur autonomie d’action.À travers la réforme de la taxe professionnelle, l’État tue l’autonomie fiscale des régions et départements. Et il oblige les collectivités du bloc communal à n’utiliser qu’un seul curseur : l’impôt ménage.

Même s’il est très marqué en France, nous devons reconnaître que des phénomènes analogues sont constatés dans d’autres pays européens. Dans le cadre du pacte de stabilité, les États cherchent partout à reprendre la main pour résorber les déficits. La crise financière va accroître cette tentation. En Allemagne, également, on assiste à un début de recentralisation. Ce processus, que l’on retrouve y compris dans les États fédéraux, est très inquiétant.

N’y a-t-il pas une contradiction à vouloir réduire le périmètre de l’action publique, tout en multipliant les mises en chantier de grands plans nationaux comme le Plan de relance, le Grenelle de l’environnement, le Grand Paris et plus récemment le Grand emprunt ?Il y a beaucoup de gesticulation au niveau national pour reprendre l’initiative et multiplier les annonces. Mais il faudra regarder avec la plus grande attention, par exemple, comment sera décliné concrètement le Grenelle de l’environnement sans augmentation des prélèvements obligatoires. Nous savons qu’une bonne part des augmentations des dépenses publiques, notam-ment locales, est liée à la prolifération des normes et des dépenses contraintes. Nous sommes actuellement dans un contexte de télescopage des émetteurs de normes qui ont proliféré : État, Union européenne, organisations internationales, autorités administratives indépendantes…

Comment expliquer cet afflux de normes ? Et quelles en sont les conséquences pour les collectivités ?L’Union européenne n’arrête pas de réglementer ! À l’international, il y a Kyoto… et maintenant Copenhague. L’État se fait lui aussi le champion de la norme, pas obligatoirement pour agir… mais pour exister.Entre l’effervescence des réglementations et la réduction de leurs libertés fiscales, les collectivités perdent toute sécurisation financière. Elles ne maîtrisent ni leurs recettes ni leurs dépenses. C’est triste à dire, mais une collectivité responsable serait avisée de geler ses investissements pendant deux ans ; notamment le niveau départemental qui me semble le plus exposé au risque. Suite page suivante

la logique des choses de repenser le positionnement des services déconcentrés de l’État et tenir compte du déplacement des capacités d’expertise et des moyens opérés par la décentralisation ? Quitte à perdre quelque peu en proximité, nombre d’élus (comme Jean-Pierre Balligand, cf. interview ci-dessous) reconnaissaient que l’État devait recentrer ses missions sur son cœur de métier régalien et les tâches qu’il est le seul à pouvoir assumer (protection civile, prévention des risques…). Pour autant, ne s’agit-il que de cela ? Car au moment même où sont promises de nouvelles offres de services aux collectivités (guichet unique de la nouvelle direction générale des finances publiques, missions d’appui des nouvelles DREAL…), certains s’inquiètent de la montée du « gouvernement à distance », selon l’expression de Renaud Epstein (cf. interview p.15). À travers des procédures ou des « instruments », un nouvel interventionnisme étatique est en gestation. Prolifération des établissements publics d’État et des opérations d’intérêt national, mise en place de tableaux de bord et d’indicateurs de performance (cf. l’ inter-view de Patrick Le Galès p.18), fixations d’objectifs chiffrés aux collectivités, durcissement des normes… L’État est, ici ou là, suspecté de reprendre directement en rênes courtes les grands dossiers stratégiques et d’adopter, sur bien d’autres, une posture de « donneur d’ordre » et de contrôleur. Comme le montre le projet de loi controversé du

« Grand Paris », au prétexte des désordres constatés dans l’organisation des collectivités, l’État relégitime son rôle de subsidiarité et ses fonctions de chef d’or-chestre. Délesté des tâches de gestion, l’État stratège pourrait ainsi préparer son retour dans la planification et les missions commandos de la période de gloire des années 1960.

« Agencification » de l’État

Outre la refonte de ses périphéries locales, la métamor-phose de l’État provient des redéploiements opérés en son centre. Sous l’influence des théories du nouveau management public s’est développée, depuis vingt ans, une action réformatrice dont la RGPP n’est que l’ultime avatar. Elle vise à recomposer au sommet un État « stratège », déléguant les fonctions d’exécution à d’autres, collectivités locales ou structures ad hoc. Épousant un modèle largement diffusé en Europe, l’État s’est ainsi diffracté en une multitude d’opéra-teurs et d’établissements publics qui transforment ses relations avec les territoires. La récente polémique sur les effectifs de l’État, consé-cutive à la publication d’un rapport de la Cour des comptes (cf. graphique p.12), a d’ailleurs rappelé que le dégonflement des services ministériels classiques s’est vu statistiquement compensé par l’accroissement concomitant des effectifs des opérateurs (cf. encadré

p.12). À l’instar de nombreux pays occidentaux, la France a connu un profond mouvement d’ « agencifica-tion »1, les élus locaux ayant pu le constater dans leurs domaines d’intervention. Ceux-ci connaissaient déjà les agences de l’eau (depuis 1964), l’ANPE, l’Ademe ou l’Anah, mais en quelques années sont apparues l’Anru (rénovation urbaine), l’Afitf (transports terrestres), l’Acsé (politique de la ville), l’AII (innovation), Oseo, les agences régionales de santé (ARS)… chargées de financer ou piloter les politiques publiques. Choisi pour sa plus grande f lexibilité, le modèle de l’agence autorise une gouvernance plus « ouverte » via les conseils d’administration (parlementaires, élus, experts, personnalités qualifiées…). Il permet égale-ment de mobiliser des recettes affectées et d’origine composite. Expert en la matière, Jean-Louis Borloo a bâti le prototype de l’agence de moyens moderne avec l’Anru, financée par le budget de l’État mais surtout par la Caisse des dépôts et le 1% Logement. Sur le même modèle, il était un temps envisagé, dans le cadre du Grenelle de l’environnement, de créer « quinze pro-grammes appuyés sur quinze agences ».

Une contractualisation en miettes

Malgré leurs avantages, les agences peuvent néan-moins tendre à une certaine recentralisation des condi-tions d’emploi des crédits par rapport à la période des

Interview

Jean-Pierre Balligand,coprésident de l’Institut de la décentralisation, député de l’Aisne, maire de Vervins et vice-président de la communauté de communes de la Thiérache du Centre.

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N° 141 - Janvier 2010 • AdCF • Intercommunalités10

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Suite de l’interview

Comment analysez-vous les effets de la RGPP sur les services déconcentrés de l’État ?J’en comprends mal la logique d’ensemble. D’un côté on réduit les moyens humains des services de l’État et, de l’autre, on multiplie les nouvelles tâches confiées aux préfets. Avec la réorganisation au niveau régional, l’État veut occuper cet échelon stratégique au moment où est fragilisée la collectivité régionale décentralisée. Mais je doute que mélanger des ingénieurs des Ponts avec des agronomes donnera une puissance régionale à l’environnement ! La capacité d’expertise des préfets a disparu, par l’appauvrissement considérable des personnels qui l’entourent. Par conséquent, les préfets feront de plus en plus d’arbitrages politiques pour assurer leur carrière…Déjà, ils mettent leur nez partout. Je préside l’Agence de développement de l’Aisne, la Sem départementale, un club de marques…. L’État ne venait jamais m’ennuyer auparavant. Aujourd’hui, via les fonds de conversion des entreprises, l’État veut tout savoir. Il voudrait coordonner l’ingénierie des structures territoriales. Il a surtout une grande capacité de nuisance…Là aussi, l’État cherche à reprendre la main au lieu de faire confiance aux collecti-vités. Dans le même temps, il sacrifie son organisation départementale. Pourtant, c’est à mes yeux celle-ci qui devrait continuer à être le cadre de déploiement de ses missions régaliennes, et notamment de la protection des biens et des personnes. C’est à l’État d’assurer la sécurité civile : les pompiers, la police, la gendarmerie, la justice… Les collectivités n’ont rien à faire dans cela. Or, on n’a eu de cesse de leur faire financer les logements des gendarmes, les casernes, les maisons de la justice ! C’est là qu’il faudrait opérer une véritable cla-rification des rôles. Le département devrait être le cadre de l’organisation de l’État et de la mise en œuvre des politiques nationales de solidarité. La région devrait être principalement celui d’une collectivité élue, dotée d’un pouvoir d’adaptation des lois ; celles-ci pourraient ainsi être moins prolixes. Pour représenter l’État au niveau régional, le Sgar suffirait. En revanche, il y aurait du sens à organiser un État « stratège » à des échelles interrégionales, sous forme d’administrations prospectives pilotées par des secrétaires d’État. Au lieu de cela, je crains que la réforme des collectivités, si elle va jusqu’au bout,

n’ait pour effet de transformer les collectivités régionales en établissements publics. Avec le système prévu pour l’élection des conseillers territoriaux, ceux-ci seront surtout rivés à leur « arrondissement-canton ». Ce sera dans la logique des choses.

Le bloc local, avec le volet intercommunalité et le statut prévu pour les métropoles, ne vous semblent-ils pas favorisés par ces réformes ? L’État est obligé de mieux organiser ces échelles, car il s’en retire. Mais que l’inter-communalité soit toujours considérée comme un « petit enfant » de la commune est imbécile. Elle est devenue beaucoup plus que cela. Il n’est plus admissible à mes yeux qu’il n’y ait pas un véritable rendez-vous citoyen pour l’intercommunalité. Le scrutin « fléché » n’apporte pas une réponse sérieuse. De même, le conseil général aurait dû devenir le « sénat » de l’intercommunalité.Les véritables représentants des territoires auraient dû être les exécutifs intercom-munaux, et non les conseillers territoriaux.Pourquoi vouloir par ailleurs supprimer les pays ? C’est une bonne échelle pour permettre aux espaces ruraux et à leurs villes d’appui de mutualiser les moyens d’ingénierie qu’ils ne trouveront plus du côté de l’État. Chez moi, le Pays de Thiérache, qui regroupe cinq communautés de communes, va investir la compétence urbanisme sur laquelle travaillent déjà deux chargés de mission. Avec le repli de l’État, les anciens services de l’équipement ne quittent plus Saint-Quentin, la ville préfecture. À l’échelle du pays, nous instruirons en commun nos dossiers d’urbanisme. Pour ce qui est des métropoles, je vois en elles les seules vraies gagnantes de la réforme. L’État amenuise en fait tous les pouvoirs locaux, sauf le pouvoir métro-politain. La métropole sera le lieu privilégié du dialogue entre l’État et six, sept, dix, quinze… aires métropolitaines qui polarisent les forces du marché. Et là où il y aura le marché, il y aura les partenariats public-privé (PPP) auxquels croit tant le gouvernement.

Propos recueillis par Nicolas Portier et Valérie Liquet

contrats de plan ou des enveloppes préfectorales. La sanctuarisation des crédits budgétaires dans les agences, protégés des régulations de Bercy, produit une contractualisation en miettes. De même, c’est l’action publique qui se retrouve exposée à des cloisonnements et à des fragmentations que l’on pensait éviter. Les fameux « tuyaux d’orgue » de l’administration pyramidale et des forteresses techniques que constituaient les grands corps (Ponts, Mines, Génie rural…) laissent place à une nébuleuse d’agences de statuts et de prérogatives divers, disposant de plus ou moins d’autonomie par rapport à leurs tutelles. Souvent plus puissantes que leurs administra-tions de rattachement, en termes de moyens d’expertise et financiers, ces agences passent du rôle d’exécution à celui du décideur effectif. Les réseaux d’action publique deviennent plus hétérogènes et plus complexes à déchiffrer.Cet éclatement de l’État et de ses programmes d’intervention ne rend, pour les élus, que plus nécessaire la structuration de capacités d’exper-tise de haut niveau et la définition d’un projet territorial fort. Confron-tés à la multiplication des appels à projets et des concours nationaux, ces élus se retrouvent davantage au contact de jurys que de partenaires. Là où certains espéraient un « rendez-vous » contractuel unique (« un territoire, un projet, un contrat » selon le rapport Chérèque de 1999), les relations État-collectivités ont au contraire évolué vers une multi-plication des scènes de négociation, chaque agence disposant de ses propres règles de fonctionnement, de son calendrier et de son modèle de gouvernance. Au sein des territoires, des « bêtes de concours » ont su habilement s’inscrire dans des compétitions permanentes faites de classements, d’opportunités de financement, voire de simples labels valorisants (écoquartiers, écocités). Mais d’autres peinent à trouver leurs repères.IL

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Les nouveaux territoires de l’État

Ces évolutions déstabilisent les services déconcentrés de l’État eux-mêmes, court-circuités par les appels à projets et les négociations directes entre les agences et les territoires. Leur crainte est de voir leur rôle réduit au contrôle de la norme (cf. p.16) ou à la transmission aux agences des dossiers préparés par les collectivités.

Cofinancements à rebours

Peu à peu, les élus font le deuil des capacités de l’État local à accompagner financièrement leurs initiatives et à investir dans les territoires. Les temps sont devenus difficiles. S’éloigne l’époque où chacun allait faire son marché à la préfecture ou au Sgar. Bien que les fonds européens aient temporairement pu compenser la baisse des moyens, l’État local est désormais perçu comme impécunieux, quand il n’est pas accusé de mendicité. Dans les faits, le poids pris dans les dépenses publiques par les budgets sociaux a érodé les marges de manœuvre disponibles pour d’autres types d’inter-vention, dont le soutien à l’investissement. Les fronts se sont même renversés avec les financements croisés. Amorcée par le plan Université 2000 dans les années 1990, la sollicitation du concours des collectivités sur les maîtrises d’ouvrage de l’État s’est systématisée. Universités, lignes à grande vitesse, routes nationales, gendarmeries, palais de justice, prisons, logement social… il n’est pas un seul projet d’investissement relatif aux responsabilités de l’État et à son patrimoine qui ne fasse appel aux cofinancements locaux. Toute évaluation sérieuse de la progression des dépenses publiques locales ne peut être menée sans intégrer ce phénomène qui n’a que peu à voir avec les transferts de compétences. Pour faire face à l’asphyxie des dépenses courantes, les capacités autonomes d’investissement des ministères ont été peu à peu sacrifiées lors des arbitrages budgé-taires ou sanctuarisées dans les agences. Mais l’autre

raison majeure tient au choix, clairement privilégié depuis quinze ans, de « débudgétiser » les interventions de l’État en privilégiant les dépenses fiscales. Là où le Parlement votait naguère des crédits bud-gétaires confiés aux ministères et gérés de manière plus ou moins déconcentrée, les plus gros efforts de la nation s’opèrent aujourd’hui via des mécanismes d’exonération ou de dégrèvements (notamment sur la fiscalité locale) mais également de crédits d’impôts, de bonification de taux d’intérêt sur fonds d’épargne ou d’aides fiscales à l’ « investissement ». Les politiques nationales du logement (aide à l’investissement locatif de type Robien-Scellier, nouveau prêt à taux zéro), de l’environnement mais aussi de l’aménagement du terri-toire (zones de revitalisation rurale, pôles de compéti-tivité, aides à l’outre-mer) ou de la politique de la ville (zones franches) ont massivement privilégié ce mode opératoire, supposé économe de coûts de gestion admi-nistrative et de prélèvements obligatoires. Évaluées à près de 70 milliards d’euros, les différentes « niches fis-cales » récemment recensées par les parlementaires sont le fruit d’une sédimentation de politiques publiques, territoriales ou sectorielles, dont sont parfois oubliées les origines, quand ce n’est l’existence même.

Bercy, seul pilote des politiques publiques ?

Vues du territoire, ces incitations fiscales (« incen-tives ») sont souvent moins tangibles et plus difficiles à inscrire dans une véritable stratégie de développement. De même sont-elles difficiles à évaluer. Nombre d’élus peinent ainsi à voir les nombreux milliards promis par les plans nationaux puisqu’ils se matérialisent par des exonérations fiscales (comme par exemple les pôles de compétitivité), des prêts à taux bonifiés accordés aux agents économiques ou des crédits d’impôts. Méca-nismes invisibles, jugés parfois « aveugles » à la diversité des contextes locaux, ces aides fiscales offrent une forte puissance de contrôle au ministère de l’Économie et

des Finances qui détient le monopole de l’information et de l’expertise fiscales. Là où un préfet, avec ses services de la DDAF, savait peu ou prou, naguère, où atterrissait une subvention de développement rural, personne ne parvient à connaître aujourd’hui l’impact réel des exonérations liées aux ZRR.Enfin, l’État n’est pas en reste pour rappeler que c’est désormais à travers ses dotations aux collectivités, concours directs et libres d’emploi, qu’il contribue désormais le plus aux projets locaux. Même si le temps qui passe conduit à occulter l’origine de ces concours,

Le maquis des opérateurs

Selon les récents décomptes réalisés en application de la LOLF, 643 opérateurs de l’État interviennent dans les multiples champs des politiques publiques. Sous des statuts divers (EPA, EPIC, associations, GIP), leurs dépenses se hissent à hauteur de 42,6 milliards d’euros dont environ 34,1 milliards proviennent de subventions directes de l’État votées par le Parlement. Le total des effectifs de ces opérateurs est estimé à 370 000 agents (250 000 hors universités et ARS), lié tant à des recrutements propres qu’à des mises à disposition. La croissance des effectifs de ces opérateurs a, ces dernières années, quasiment compensé les réductions des effectifs de l’État engagées à travers le principe de non-renouvellement d’un poste sur deux fixé par la RGPP. Le 3 décembre dernier, anticipant la parution du rapport de la Cour des comptes (cf. encadré ci-dessous), le ministre du Budget réunissait les responsables de ces opérateurs pour leur annoncer leur soumission aux principes de la RGPP : dialogue de gestion renforcé, objectifs de réalisation de 10 % d’économies en trois ans, application de la règle du 1 sur 2 pour les renouvellements de postes, mise en place de contrats de performance avec les tutelles ministérielles.

Effectifs de l’État : un exemple à ne pas suivre, selon la Cour des comptes

Dans un rapport consacré aux effectifs de l’État entre 1980 et 2008, publié le 16 décembre, la Cour des comptes note que « dans un contexte de forte progression de l’emploi public, l’État a été très loin d’être exemplaire ». Ses effectifs ont en effet augmenté de 14 % alors que s’engageaient, dans le même temps, la démarche de décentralisation et de déconcentration, ainsi qu’un recours accru à des opérateurs extérieurs à l’administration. Si bien que « la progression en apparence modérée des effectifs de l’État masque son incapacité à tirer partie des réformes de l’action publique qu’il a décidé », estime la Cour. Pour les sages, l’État a été « victime de ses rigidités et de son incapacité à définir une vision stratégique pour ses personnels ». Ils observent que « la définition du niveau des effectifs n’est pas suffisamment reliée aux missions et aux besoins ». Dès lors, introduire une norme d’évolution des effectifs, comme l’a instauré le gouvernement actuel, « ne peut trouver sa pertinence qu’à la condition d’une articulation avec une approche plus qualitative, basée sur l’analyse des missions ». La Cour précise, par ailleurs, que la progression de l’ensemble de l’emploi public, qui s’élève à 36 %, résulte essentiellement des collectivités territoriales (+ 71 %) et dans une moindre mesure des hôpitaux (+ 54 %). En 2008, les trois fonctions publiques (État, collectivités territoriales, hôpitaux) employaient 5,3 millions d’agents, dont près de la moitié appartenaient à l’État (2,5 millions d’agents). SOURCES : DIRECTION DU BUDGET – Y COMPRIS PENSIONS CIVILES ET MILITAIRES DE RETRAITE

EXTRAIT DU RAPPORT PUBLIC DE LA COUR DES COMPTES, « LES EFFECTIFS DE L’ÉTAT 1980-2008, UN ÉTAT DES LIEUX », DÉCEMBRE 2009.

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1980 1986 1990 1996 2000 2006 2007

Population

active

FPE

FPT

FPH

ÉVOLUTION DES EFFECTIFS PUBLICS

DÉPENSES PUBLIQUES DE PERSONNEL (yc pensions de retraite) - En Md€ constants, année de référence : 2000

État et administrations

centrales

Administrations publiques

locales

Fonction publique

hospitalière

Pensionsde retraite

Total

1980 77,5 17,6 25,8 19,5 140,4

1986 86,0 25,5 29,6 23,4 164,5

1990 87,0 28,1 32,2 25,8 173,1

1996 100,1 34,3 38,1 31,5 204,0

2000 108,7 41,7 41,9 35,2 227,5

2006 126,4 56,0 52,3 42,9 277,6

2007 128,6 60,6 54,1 44,6 287,9

FPE : FONCTION PUBLIQUE DE L’ÉTAT FPT : FONCTION PUBLIQUE TERRITORIALE FPH : FONCTION PUBLIQUE HOSPITALIÈRE

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Les retombées territoriales de l’État-providenceL’État, ne l’oublions pas, est en premier lieu l’organisateur des grandes missions « assurancielles » de la protec-tion sociale dont sont désormais mieux mesurées les incidences protectrices sur les territoires. Qu’elles soient administrées par des organismes gérés par les partenaires sociaux ou confiées à des collectivités, comme les départements (APA, RMI-RSA…), la dimension nationale et étatique de leur pilotage demeure.

Lissage des inégalitésOr, même si l’État-providence est réputé en crise depuis trente ans1, les dépenses publiques et prélèvements obligatoires consacrés au financement de ses prestations n’ont eu de cesse de prospérer. Pensions de retraite, indemnités chômage, allocations familiales, aides aux personnes isolées, prestations handicap, aides au logement… la part croissante des budgets nationaux alloués aux solidarités interindividuelles ou intergénéra-tionnelles a massivement contribué à harmoniser les niveaux de vie et à lisser les inégalités territoriales.Les phénomènes de transferts de richesses et de revenus qui s’opèrent via l’État-providence, mais aussi par le biais des salaires versés aux agents de l’État et des personnels hospitaliers, exercent de fait un effet puissant sur les économies locales. Des géographes, comme Félix Damette, peuvent ainsi parler de « villes d’État » dont l’assise économique repose très massivement sur ces ressorts. C’est également parce que les élus en connaissent toute l’importance et qu’ils mesurent depuis longtemps les retombées économiques liées à la présence d’un hôpital, d’un régiment ou d’une préfecture, que les réorganisations sont douloureuses.

Welfare territorialPrès de 50 % des revenus des ménages de nos territoires transitent, en moyenne, par les budgets nationaux, soit sous la forme de prestations sociales et de pensions de retraite, soit des salaires perçus par les agents de l’État (Éducation nationale, Santé, Justice, Défense, Sécurité…). Dans une économie de services fortement tirée par la consommation des ménages, ces flux redistributifs exercent un rôle considérable sur le développement local. Ils ont également pour effet d’amortir les impacts territoriaux des sinistres industriels ou des aléas que subissent les activités les plus exposées à la concurrence internationale ou à la conjoncture. Laurent Davezies a chiffré, ces dernières années, le poids relatif des revenus de transfert dans les différentes zones d’emploi. Ces travaux, en cours de réactualisation à la demande de l’AdCF et de la Caisse des dépôts, permettent de mesurer avec une réelle précision le volume des salaires publics, des pensions de retraite et des transferts sociaux (allocations chômage, familiales et autres prestations financées par le contribuable national) qui alimentent le « Welfare territorial ». Le caractère contracyclique de notre système de protection sociale, parmi les plus généreux du monde, a été mis en exergue en 2009 dans son rôle d’amortisseur de la crise financière. Son effet « bouclier » pour les territoires et les collectivités est également évident. N. P.

(1) Cf. La crise de l’État-providence, Pierre Rosanvallon, 1981

DÉPENDANCE DES TERRITOIRES AUX PRESTATIONS SOCIALES

Part des prestations sociales dans l’ensemble des revenus perçus localement

De 38 à 80

De 80 à 90

De 90 à 100

De 100 à 110

De 110 à 120

De 120 à 165

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dont une bonne part résulte historiquement de compensations d’exonérations fiscales, de trans-ferts de charges ou de remboursements de la TVA payée par les collectivités, ceux-ci sont deve-nus l’un des principaux postes budgétaires de la nation, avec près de 67 milliards d’euros en 2007 constitués pour l’essentiel (74 %) de prélèvements sur recettes. La seule dotation globale de fonction-nement, dans laquelle se sont fondues nombre de compensations fiscales, avoisine désormais les 50 milliards d’euros. Ces volumes considérables éclairent l’enjeu d’en modérer l’indexation annuelle, tant ils pèsent sur les grands équilibres budgétaires de l’État. Les interdépendances accrues entre finances natio-nales et locales les rendent totalement solidaires devant les critères du pacte de stabilité européen, quelle que soit la vertu des règles de gestion des collectivités. C’est ce processus qui conduit le ministère du Budget, en France comme dans la plupart des États de l’Union européenne, à vouloir accroître les outils centralisés de pilotage des budgets locaux par un contrôle étroit de leurs recettes. La nouvelle amputation de l’autonomie fiscale des collectivités à l’occasion de la réforme de la taxe professionnelle s’inscrit pleinement dans cette logique (cf. article p.17).

Des concours contractualisés par les préfets

Mais au-delà de cette prise de contrôle sur les recettes locales (dotations ou fiscalité), une tenta-tion, plus inédite, s’est faite jour pour en orienter également l’utilisation. Même si le phénomène reste encore marginal, la création récente de la dotation de développement urbain (DDU), dans le cadre du plan Espoir banlieues, préfigure des évolutions possibles des concours de l’État. Contractualisée par les préfets, allouée en fonc-tion des priorités définies par l’administration centrale, elle symbolise une forme de rupture avec la liberté d’emploi de la DGF obtenue avec la décentralisation. Inspirés par ce précédent, d’autres ministères s’efforcent opiniâtrement d’introduire de nou-veaux critères de répartition des dotations afin de les mettre au service de leurs priorités natio-nales (du critère « biodiversité » au critère « maire bâtisseur »…). À défaut de moyens propres, les dizaines de milliards des concours de l’État aux collectivités excitent les convoitises. Un nouveau chapitre des relations financières entre l’État et les collectivités est certainement en train de s’ouvrir sous nos yeux. L’avenir dira si le projet de conditionner les rem-boursements de TVA au seul financement de pro-grammes entrant dans les priorités nationales est réellement abandonné. Ne verra-t-on pas resurgir, sur fond de conférence des déficits publics, l’idée d’instaurer des « bonus-malus » sur la DGF en fonction de critères de bonne gestion ou d’indi-cateurs de performance ?Nicolas Portier

(1) « L’État et les agences : limitation ou extension de la puissance publique », note de veille du conseil d’analyse stratégique n° 88, 28 janvier 2008. (en indice 100 = poids moyen arithmétique des bases sociales dans l’ensemble des zones d’emplois, sachant

que le total de la base sociale, en France, représente 22 % de l’ensemble des revenus des ménages.)

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Administration territoriale de l’État : l’échelon régional, grand gagnant de la réforme

2010 devrait être l’année où l’administration territoriale de l’État basculera dans une nouvelle organisation (sauf en Île-de-France et outre-mer). La mise en place des nouvelles directions régionales vise à distinguer le pilotage des politiques publiques (au niveau régional) de leur mise en œuvre (à l’échelon départemental).

« Cette réforme est l e terreau de bouleverse-ments profonds, qu i t ou chent à t o u t e s l e s dimensions de la vie de notre

État, et qui vous permettent d’ inventer l’administration de demain ». En motivant ainsi les préfets, les recteurs, les directeurs d’administration et les secrétaires géné-raux des ministères, le 16 novembre dernier au Cnit (La Défense), François Fillon leur demandait égale-ment « un effort global, inédit par son ampleur et par sa cohérence ».La nouvelle architecture de l’administration territo-riale de l’État se caractérise par un pilotage régional renforcé puisque le préfet de région assure désormais le lien entre les ministères, les stratégies nationales, et l’administration départementale de mise en œuvre. Avec cette montée en puissance de l’échelon régional, l’État reconnaît ce dernier comme étant « la maille territoriale la plus adaptée à la programmation et à l’ impulsion des stratégies de l’État, seul ou en partenariat avec les collectivités territoriales ».Ainsi, les directions régionales définiront les moda-lités d’application des directives nationales en région et répartiront les moyens alloués par les ministères. Via son secrétariat général pour les affaires régio-nales (Sgar), le préfet de région animera la collégialité constituée par les directeurs régionaux, le recteur et le directeur général de l’agence régionale de santé, et par les préfets de département. Il arbitrera la répartition des moyens alloués dans les départements, et sera

même habilité à donner des instructions aux préfets de département.

« Un état-major resserré »L’échelon départemental, celui qui est « au plus près du terrain, au contact des administrés », comme le précise le Premier ministre, sera celui de la mise en œuvre des politiques publiques. Il continuera donc à « contribuer à l’ équilibre des territoires, fédérer les actions concourant à la cohésion sociale, garantir la sécurité sanitaire et éco-nomique, assurer l’ interface avec les politiques locales ».Les préfets de département disposent pour cela de la préfecture et des directions départementales inter-ministérielles, des unités territoriales des directions régionales et des services de police et de gendarmerie. La réduction du nombre de directions départementales vise à faire en sorte que le préfet de région « puisse dis-poser d’un état-major resserré à ses côtés, lui permettant de faire face rapidement à l’essentiel des questions de son ressort », explique-t-on à Matignon.En vertu du principe de « modularité » (principe qua-lifié de « révolutionnaire » par François Fillon), «il n’y aura plus une organisation unique sur tout le territoire », a prévenu le Premier ministre. Selon la taille des départements, il y aura deux ou trois directions inter-ministérielles*. Par ailleurs, les départements littoraux verront leur « direction départementale des territoires » (cf. schéma ci-contre) s’adjoindre le complément « … et de la mer ». Confiant, François Fillon est « certain que les élus, les citoyens, les divers partenaires de vos services ne seront pas long à savoir où s’adresser ». Selon lui, l’État sera « plus souple, plus lisible, plus modulable, y compris dans sa relation avec les collectivités territoriales ».

Loyauté et curiositéPour relever le défi, il enjoint les représentants de l’État à adopter « une vision nouvelle de l’autorité ». « Il faut sortir du modèle hiérarchique ancien », a-t-il lancé. « Il faut faire travailler en réseau », « il faut professionnaliser les fonctions et mettre les compétences au service des res-ponsables », « il faut aussi développer la collégialité »… Bref, « outre les qualités qui leur sont toujours recon-nues – la loyauté, la compétence, la rigueur, le désinté-ressement, il faut développer chez les agents de l’État ce que le monde moderne rend plus nécessaire que jamais, la souplesse, la curiosité, la créativité, la réactivité », a exposé François Fillon ; la loyauté demeurant une qua-lité première puisque « l’ inertie, le doute et l’attentisme ne seront pas tolérables », a-t-il précisé. D’autres, comme Jean-Pierre Balligand (cf. Interview p. 10), ajouteraient que les préfets ont désormais besoin d’une bonne dose de sens politique. Valérie Liquet

(*) L’organisation à deux directions interministérielles, l’une chargée des territoires (la DDT) et l’autre de la cohésion sociale et de la protection des populations (la DDCS), est la règle pour tous les départements de moins de 400 000 habitants. Au-dessus de ce seuil, le préfet peut décider de créer une troisième direction dite « de la protection des populations », la direction de la cohésion sociale devenant une direction à part.

DIRM

DRAC

DIRECCTE

DRFIPRectorat académie

ARS

DRJSCS

DRAAF

DREAL

Préfet de région

SGAR

DRAC = direction régionale des affaires culturelles

DIRM = direction interrégionale de la mer = DRAM + phares et balises (DDE) + coord. environnementale façade (DIREN)

DREAL = direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement = DRE + DRIRE (hors DI et métrologie) + DIREN

DRAAF = direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt = DRAF + SV

DRJSCS = direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale = DRJS + DRASS hors santé

DIRECCTE = direction régionale des entreprises, de la concurrence et de la consommation, du travail et de l’emploi = DRTEFP + DDTEFP + DRCCRF + DRT + DRCA + DRCE + DRIRE (DI et métrologie)

DRFIP = TPGR + services fiscaux

ARS = agence régionale de santé = ARH + GRSP + URCAM + DRASS et DDASS hors cohésion sociale + CRAM

DDT : Direction départementale des territoires

DDTM : Direction départementale des territoires et de la mer

DDCS : Direction départementale de la cohésion sociale

DDPP : Direction départementale de la protection des populations

DDCSPP : Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations

UN PILOTAGE RÉGIONAL RENFORCÉ

SOURCE : PREMIER MINISTRE, NOVEMBRE 2009

Les nouveaux territoires de l’État

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2009AU 1ER JANVIER 2010 : UNE NOUVELLE ORGANISATION

DE L’ÉTAT AU NIVEAU DÉPARTEMENTAL

N° 141 - Janvier 2010 • AdCF • Intercommunalités14

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Vous avez été l’un des premiers à analyser les recompositions en cours de l’État et l’émergence de ce que vous avez appelé le « gouvernement à distance ». Pouvez-vous expliquer cette mutation ?Le gouvernement à distance, c’est le mode de gouvernement d’un État dont l’organisation et les instruments sont bouleversés par une accumulation de réformes. Un État qui n’agit plus directement via son appareil administratif, mais en orientant l’action de tiers. Cette évolution s’est amorcée au cours des années 1990 en Grande-Bretagne et dans d’autres pays précocement convertis au New Public Management. Les spécialistes de la gouvernance ont montré combien les réformes inspirées par cette doctrine néomanagériale y avaient transformé la conduite de l’action publique. La fragmentation des grandes bureaucraties inté-grées du passé en unités autonomes et spécialisées liées par des contrats d’objectifs, l’externalisation des fonctions opérationnelles à de multiples opérateurs mis en concurrence, la généralisation des systèmes de pilotage par les indicateurs et des instruments de reporting ont profondément recomposé l’État et renouvelé ses modes d’intervention. La France n’est pas restée longtemps à l’écart de ce mouvement. Le vote de la LOLF en 2001 a marqué le point de départ d’une opération de design institution-nel, qui se prolonge aujourd’hui avec la RGPP. En même temps qu’elle a introduit une logique de performance étrangère au système administratif français, qui a toujours privilégié les processus sur les résultats, la LOLF a établi un nouveau découpage de l’action de l’État, en missions et programmes. Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, qui a érigé la réforme en mot d’ordre politique, l’appareil d’État est en chantier permanent. Il se recompose à l’échelon central (agencification), en même temps qu’il se décompose au niveau local (résidualisation). L’État aban-donne les tâches opérationnelles. Il se retire de la cogestion des territoires. Il confie la mise en œuvre de ses politiques à des tiers, juridiquement autonomes, mais financièrement dépendants, qu’il pilote à distance en les mettant en concurrence, en leur fixant des objectifs assortis d’incitations financières, en promouvant des « bonnes pratiques », en arrêtant des standards et en recourant à l’audit et au repor-ting pour contrôler la mise en œuvre.

Cette transformation de l’État et de ses modes d’intervention vous semble-t-elle s’inscrire dans un mouvement de recentralisation ou correspondre, au contraire, à une nouvelle forme de division du travail entre État et collectivités ? Juridiquement, il est difficile de parler de recentralisation. Au contraire, on assiste à un mouvement continu de transfert de nouvelles compétences aux collectivités et d’affaiblissement de la tutelle étatique. Mais l’approfondissement de la décentrali-sation s’accompagne d’un processus inédit de reconcentration qui réduit les marges de manœuvre des services départementaux : les crédits qu’ils géraient remontent vers le niveau régional ou dans les caisses de diverses agences. En cela, la trame de l’Acte II se distingue nettement de celle de l’Acte I, qui articulait décentralisation et déconcentration.Ces deux processus parallèles de transfert du pouvoir au local avaient abouti à un régime de cogestion des territoires par les collectivités et les services déconcentrés. Il n’a pas résisté au « décroisement des compétences » opéré par l’Acte II et à la

révision corollaire des politiques contractuelles. C’est bien une nouvelle division du travail qui se met en place. Dans le cadre des contractualisations territoriales, les élus locaux avaient la main sur la définition des finalités de l’action et des opérations, l’État (déconcentré) se chargeant d’instituer et d’animer des scènes de coopération entre les parties prenantes de l’action publique locale. Les rôles sont aujourd’hui inversés : les élus ont la pleine responsabilité de la mise en œuvre et de la mise en cohérence des politiques territoriales, mais l’État (central) a subtilement repris en main la définition de leur contenu à l’aide de nouveaux instruments de pilotage qui incitent les acteurs locaux à se conformer, en toute liberté, aux priorités nationales.

Le modèle de l’agence nationale, de type Anru, n’a-t-il pas le mérite de simplifier les circuits de décision et de financement ? mais aussi de permettre l’association des collectivités à la définition des politiques publiques ? Il faut d’abord souligner le succès politique du modèle. Les jugements d’échec de la politique de la ville s’accompagnent de célébrations répétées de l’Anru, dont l’efficience demeure pourtant très incertaine : le budget considérable de la réno-vation urbaine permet des réalisations visibles, mais certainement pas les résultats attendus. Au-delà de l’Anru, c’est bien un modèle organisationnel qui s’est imposé. L’architecture LOLFienne du budget de l’État faisant prévaloir les notions de mission et programme sur celle de ministère, elle conduit naturellement à des réorganisations, pour faire coïncider un programme, une structure administrative et un responsable.La simplification opérée est néanmoins discutable. La centralisation facilite la prise de décision initiale. Mais en éloignant les lieux de décision et de mise en œuvre, elle suscite des rigidités préjudiciables à l’adaptation, chemin faisant, des projets et à leur articulation transversale. La supériorité de l’agence, par rapport aux administrations traditionnelles, reste à démontrer. Le postulat semble néan-moins largement accepté. Que propose la commission Juppé-Rocard pour le Grand emprunt ? La création de trois agences pour les campus d’excellence, les énergies renouvelables et le numérique…Certes, le recours à des appels à projets permet à ces agences de confier aux acteurs locaux la responsabilité d’élaborer les projets. Mais la compétition entre territoires ainsi organisée incite les collectivités à se conformer aux attentes de l’agence pour espérer bénéficier de ses ressources.

Les services déconcentrés de l’État ne sont-ils pas eux-mêmes court-circuités par le « gouvernement à distance » et le phénomène d’ « agencification » de l’État ? Comment voyez-vous se réorganiser ces services dans le cadre de la RGPP ?Ce sont les principaux perdants. Leurs compétences se réduisent au jeu des transferts qui sont pour l’essentiel horizontaux, des services déconcentrés vers les collectivités. Les agences les contournent, en mettant en concurrence les territoires à l’échelle nationale. Que leur reste-t-il ? On observe un grand désarroi chez les agents de ces services, déstabilisés par des réformes incessantes dont ils ne per-çoivent pas – ou perçoivent trop bien – les objectifs. Le sentiment d’une remise en cause du service public et d’une fragilisation des identités professionnelles, qui donnaient sens à l’engagement des fonctionnaires, est très répandu.Les fusions annoncées marquent assurément une victoire symbolique du corps préfectoral, qui récupère en autorité sur les services territoriaux ce qu’il perd sur les élus locaux. Mais on voit mal comment la juxtaposition de services affaiblis pourrait faire sortir l’État territorial de la spirale du déclin, face à des agences qui maîtrisent les ressources financières et des collectivités qui disposent des ressources d’autorité et d’expertise. Propos recueillis par Nicolas Portier

Pour en savoir plus : - Epstein R. (2008) L’éphémère retour des villes. L’autonomie locale à l’épreuve des recompositions de l’État, Esprit, 342, pp. 136-149. - Epstein R. (2005) Gouverner à distance. Quand l’État se retire des territoires, Esprit, 319, pp. 96-111.

Interview Renaud Epstein, maître de conférences en sciences politiques à l’université de Nantes, enseignant à Sciences Po et chercheur associé à l’Institut des sciences sociales du politique (ENS Cachan), est l’inventeur du concept de « gouvernement à distance ».

« Le gouvernement à distance, c’est le mode de gouvernement d’un État dont l’organisation et les instruments sont bouleversés par une accumulation de réformes »

« Les jugements d’échec de la politique de la ville s’accompagnent de célébrations répétées de l’Anru, dont l’efficience demeure pourtant très incertaine », selon Renaud Epstein.

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Les nouveaux territoires de l’État

Outre le monopole légitime du Parle-ment sur le design de notre architec-ture institutionnelle et fiscale, l’État reste, sans commune mesure, la prin-cipale puissance d’émission des régle-mentations, y compris lorsque celles-ci dérivent de sources supranationales, européennes ou internationales. La fameuse « prolifération normative », déplorée dans quasiment toutes les sociétés développées, a pour effet de contrebalancer le processus de dévolu-tion de compétences et de moyens. Un phénomène que notre constitution uni-taire, malgré l’affirmation du caractère décentralisé de la République, contribue certainement à renforcer en France. Sou-vent dénoncée en raison de l’instabilité juridique, de la complexité de gestion ou des surcoûts auxquels elle peut expo-ser les pouvoirs locaux, cette emprise des normes préoccupe de nombreux acteurs sociaux ou agents économiques, jusqu’aux plus hautes juridictions de l’État. Dans un rapport retentissant, le Conseil d’État s’était ému il y a quelques années de ces dérives et du « droit gazeux » qui résultait de lois trop bavardes, suivies de décrets pléthoriques et de circulaires kilométriques*. Les collectivités locales seraient bien égo-centriques à se croire les seules victimes de cette évolution sociétale qui s’inscrit dans la logique de l’individualisation des

rapports sociaux, de l’extension du péri-mètre de l’État de droit, de l’éclatement des instances normatives (organisations internationales, instances européennes, comités de normalisation, autorités administratives indépendantes…). Nombre de normes nouvelles répon-dent aux attentes réelles ou supposées de l’opinion, dans des moments d’émotion consécutifs à des faits divers dramatiques (de la loi ascenseur à la loi sur les chiens dangereux). Le contrôle de la norme est également devenue un enjeu de la bataille écono-mique et du lobbying industriel, tant elle détermine les marchés d’avenir, conforte des positions dominantes voire des stratégies protectionnistes.

Des collectivités très exposéesLe résultat est là : des normes plus nom-breuses, plus complexes, plus évolu-tives imposent tant aux collectivités qu’à d’autres agents de plus en plus de dépenses ou de décisions contraintes. Le pouvoir d’achat librement « arbitrable », comme dit l’Insee, subit une certaine érosion sous l’effet des dépenses impo-sées. Comme les ménages, les collectivi-tés le ressentent fortement. Dans l ’univer s des ins t i tut ions publiques, elles restent les plus exposées à cette dérive normative dont elles ne contrôlent aucunement le processus,

et qui impacte davantage les services aux personnes, les équipements collec-tifs ou les compétences d’aménagement dont elles ont la charge. Même si les collectivités peuvent parfois se retrouver elles-mêmes en demande de réponses à des vides juridiques ou à des situations d’incertitude, la plupart déplorent les effets de « recentralisation par la norme » qui pèsent sur les politiques publiques. Des législations de plus en plus détaillées, complétées par une abon-dante littérature d’application, tendent à standardiser les politiques locales, même lorsque celles-ci recouvrent des com-pétences décentralisées. Aux objectifs de résultats sont très souvent ajoutés

des objectifs de moyens qui peuvent conduire à s’interroger sur les marges d’autonomie confiées aux assemblées locales élues. Procédures obligatoires, zonages, classements, schémas de toutes sortes… contribuent, souvent au nom des motivations les plus légitimes (pro-tection de l’environnement, prévention des risques…), à dicter l’agenda des collectivités.

Des « filtres » normatifsC’est contre cette tendance que pro-testait, fin 2007, le rapport du séna-teur Alain Lambert, bon connaisseur du coût des normes en tant qu’ancien ministre du Budget et « père » de la loi

Une recentralisation par la norme ?La responsabilité normative de l’État constitue l’un des principaux canaux par lesquels ce dernier renforce son emprise sur la gestion publique locale et la « production » du territoire.

Le premier bilan d’activité de la CCEN

Installée le 25 septembre 2008, composée d’élus* et de représentants de l’État, la Commission consultative d’évaluation des normes avait déjà examiné, à la fin 2008 – date du premier bilan de son action – 66 textes dont 46 décrets et 20 arrêtés. Au cours du dernier trimestre de 2008, elle a été réunie six fois, certaines séances ayant donné lieu à l’examen de plus de quinze textes (avec un record de dix-neuf). Les coûts de ces nouvelles normes, pour les collectivités, étaient estimés à 455,2 millions d’euros. Les économies estimées par rapport aux réglementations en vigueur, de 343 millions d’euros. Par ailleurs, 500 millions d’euros de recettes potentielles étaient mentionnés par la CCEN, en lien avec le décret relatif à la collecte, au transport, au stockage et au traitement des eaux pluviales. L’activité de la CCEN en 2009 s’est poursuivie sur un rythme tout aussi intensif, marquée par la volonté de son président, Alain Lambert, d’en renforcer l’autorité.SOURCE : RAPPORT D’ACTIVITÉ 2008 DE LA CCEN

(*) dont les présidents délégués de l’AdCF Charles-Éric Lemaignen, président de la communauté d’agglomération Orléans Val de Loire, Gérard Gouzes, président de la communauté de communes Val de Garonne et Michel Piron, président de la communauté de communes des Coteaux du Layon (désigné au titre de son mandat de député).

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L’Europe contribue largement à la fameuse prolifération normative.

Alain Lambert, sénateur de l’Orne, président de la CCEN, suggérait dans son rapport de 2007, que les administrations centrales soient tenues à la sobriété normative dans les champs de compétences décentralisés.

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organique relative aux lois de finances (LOLF) avec Didier Migaud. Alain Lambert appelait à la mise en place de « filtres » normatifs. Même son de cloche du côté de la commission des lois de l’Assemblée nationale qui, à l’initiative de son président Jean-Luc Warsmann, s’efforce, chaque année, de toiletter le « stock » législatif par le truchement d’une loi de simplification. Son récent rapport sur l’optimisation de la dépense publique propose d’aller plus loin dans ce sens.Première application tangible du rapport Lam-bert, la mise en place en 2008, au sein du Comité des finances locales (CFL), de la Com-mission consultative d’évaluation des normes (CCEN) a déjà fait les preuves de son intérêt en quelques mois d’existence (cf. encadré page précédente). Même si son rôle n’est que consul-tatif, cette commission est obligatoirement saisie des textes exerçant des incidences sur les coûts de gestion des collectivités. Sa seule mise en place a permis de mesurer l’ampleur des textes concernés et d’évaluer leurs incidences budgétaires pour les collectivi-tés (en coûts supplémentaires, mais également en recettes potentielles lorsqu’une norme est gagée par une recette). Elle aura également imposé aux administrations centrales de pré-senter leurs projets assortis d’études d’impact moins indigentes et de justifier réellement les évolutions réglementaires. Le remarquable travail de la CCEN offre ainsi une visibilité nouvelle sur le flux normatif tout en assurant un premier filtrage des textes et leur « traçabilité » (qui ? comment ? pourquoi ?). La portée consultative de ses avis ne saurait pour autant prémunir les collectivités contre l’ « acharnement textuel » dont leurs compé-tences font l’objet. Dans son rapport de 2007, Alain Lambert avait également appelé à la dévolution de com-pétences réglementaires aux collectivités, en suggérant que les administrations centrales soient tenues à la sobriété normative dans les champs de compétences décentralisés. Cette proposition n’a pas été reprise à ce jour dans les projets de réforme des collectivités. D’aucuns espèrent encore que le projet de loi annoncé sur la clarification des compétences pourrait être le bon « véhicule législatif »... N.P.

(*) La longueur moyenne du Journal officiel est passée de 15 000 pages dans les années 1980 à 23 000 aujourd’hui. Composé de 433 pages en 1973, le recueil des lois de l’Assemblée nationale en comprenait 3 721 en 2004. Même si le nombre de lois annuelles est resté stable sur cette période (de 45 à 50), celles-ci sont de plus en plus longues, atteignant fréquemment plus de 100 pages, renvoyant à un nombre proportionnellement aussi important de décrets d’application.

Hausse des dépenses publiques : à qui la faute ?

L’AdCF a engagé une étude avec Françoise Navarre, chercheur au CRETEIL (Centre de recherche sur l’espace, les transports, l’environnement et les institutions locales, institut d’urbanisme de Paris), sur « L’incidence des normes sur les coûts de fourniture des services publics d’intérêt communautaire ». Les résultats de cette étude seront diffusés dans les prochains mois.

Citée à de nombreuses reprises dans des rapports publics (Mariton, Pébereau, Richard…), une étude réalisée par le ministère de l’Économie et des Finances évalue la crois-sance de la part des dépenses publiques locales à près de 2 points de PIB depuis 1980. Cette croissance est présen-tée comme nette des transferts de compétences opérés en 1982-83 et en 2005-2006. Principales mises en cause : les communes et intercommunalités qui auraient massivement accrues leurs dépenses et leurs effectifs sans avoir été les destinataires principales des transferts de l’État. Cette polémique sera en toile de fond des prochaines conférences sur les déficits publics, qui devraient se tenir fin janvier et courant avril. Elle fait oublier un fait majeur : la très grande stabilité, depuis trente ans, dans la richesse nationale, de la part des dépenses du couple État-collec-tivités (hors budgets sociaux), ainsi que des prélèvements obligatoires qui leur sont affectés. En 1978, le poids dans le PIB des prélèvements obligatoires affectés à l’État étaient de 17,7 % et 3,2 % pour ceux reve-nant aux collectivités, soit un total de 20,9 %. Trente ans plus tard, en 2008, ces parts respectives étaient de 14,6 % et 5,8 %, soit un total en léger retrait de 20,4 % du PIB. Sur la même période, les prélèvements obligatoires affec-tés aux administrations de sécurité sociale sont passés de 15,9 % à 22,2 %, soit une croissance de 6,3 %.

Poids constant des dépenses publiquesLes vases communicants entre État et collectivités ne peu-vent en outre être résumés aux seuls transferts de compé-tences (plus ou moins bien compensés financièrement par

ailleurs). En trente ans, les collectivités ont eu à prendre en charge de nombreuses politiques nouvelles qui n’ont correspondu à aucun transfert ; l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) en est une illustration. Dans la logique même de la décentralisation, l’État a davantage fait faire en incitant les collectivités à s’engager dans des chantiers nationaux ou des politiques partagées (logement, emploi, culture…). De même, les collectivités n’étaient pas appe-lées à cofinancer les lignes ferroviaires ou les universités en 1980. La substitution des collectivités à l’État s’est opérée, de fait, sous de multiples formes. Il reste qu’elle s’est opérée à poids constant de dépenses publiques, par rapport à la richesse nationale, lorsque l’on isole les dépenses sociales. En lien avec la progression de l’État-providence et l’exten-sion des garanties collectives, l’augmentation du volume global de dépenses publiques a été constatée dans la plu-part des pays développés sur une longue période, y compris au Royaume-Uni durant les années Thatcher. Certains pays, parfois cités comme modèles, sont parvenus à réduire leurs dépenses publiques, à l’instar du Canada ou de la Nouvelle-Zélande, dans les années 1990. Mais ces pays ont massivement amputé leurs dépenses militaires avec la fin de la guerre froide et, pour certains, taillé dans leurs prestations sociales. La part des dépenses publiques dans la richesse nationale varie également avec le dynamisme de la croissance. Le taux de dépenses publiques par rapport au PIB s’était réduit en France de plus de 3 points entre 1996 et 2000 à l’issue d’une période de croissance soutenue.N.P.

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Le financement de la LGVF européenne, estimée initialement à 3 milliards d’euros, prévoyait la participation des collectivités à hauteur de 23,5 %.

Intercommunalités • AdCF • N° 141 - Janvier 2010 17

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Les nouveaux territoires de l’État

Peut-on parler de similitudes entre les évolutions récentes des modes d’action de l’État en France et les réformes conduites en Grande-Bretagne sous Tony Blair ? D’autres expériences de ce type sont-elles conduites en Europe ?

Jusqu’à un certain point, des tendances de « néo-managérialisme » sont similaires. À la suite de Mar-garet Thatcher, les néotravaillistes ont utilisé l’État pour introduire des mécanismes de marché ou de quasi-marché dans l’action publique, et imposer une nouvelle discipline à l’économie britannique associée à de l’investissement public. La déréglementation et les privatisations sont allées de pair avec la multiplica-tion et le renforcement des règles (re-réglementation). En même temps, les logiques de contrôle ont été renforcées. La « modernisation » consiste à changer la société britannique, les comportements des orga-nisations et des individus dans leur vie quotidienne afin qu’ils soient orientés, contraints, alignés sur les principes de l’économie de marché. Les néotravaillistes ont généralisé un mode de gou-vernement « activiste et centralisé » et l’introduction de logiques de concurrence avec des quasi-marchés

créés par l’État. Ils ont encouragé les acteurs à se comporter comme des individus rationnels égoïstes. Les structures de récompenses et de sanctions per-mettent de piloter les transformations des comporte-ments individuels et organisationnels.Le premier point paraît aujourd’hui banal dans le cas français. Ce n’était pas le cas en 1997 lorsque Tony Blair est élu. Entouré par un groupe de conseillers politiques et de conseillers en communication (notamment le fameux Alastair Campbell carica-turé dans le film « In the Loop » actuellement sur les écrans), le gouvernement a été extraordinairement réactif sur tous les sujets, tout le temps. Formidable communicateur, Tony Blair a passé des années à argumenter sans relâche, à justif ier des réformes indispensables « au nom de la modernisation », à annoncer des réformes et des transformations tous les jours, à combattre systématiquement les idées de l’op-position, à influencer les médias et leurs titres sans renoncer devant les pressions politiques de différents ordres. Les Britanniques parlent du gouvernement des « spin doctors ». Au-delà de la communi cation, les gouvernements Blair et Brown ont multiplié les réformes. L’activisme et le mouvement sont devenus centraux comme mode de gouvernement. Enfin, les néotravaillistes, héritiers en cela des utilitaristes anglais, n’ont pas confiance dans les groupes d’in-térêts, les syndicats ou les organisations collectives.

L’influence des théories du nouveau management public imprègne de nombreux rapports et inspire les chantiers de la revue générale des politiques publiques (RGPP). Au vu de l’expérience britannique, quels sont les mérites mais aussi les limites de ce type d’exercices ? Doit-on redouter des phénomènes d’essoufflement ou de dérives bureaucratiques, comme à l’époque de la rationalisation des choix budgétaires (RCB) ? Les néotravaillistes ont systématisé un mode de direction du gouvernement à partir d’objectifs de performance, de classement et de strict contrôle budgétaire, ce qui traduit leur croyance dans les pouvoirs magiques des indicateurs synthétiques pour entraîner des transformations rapides. Ainsi, dès 1998, le gouvernement annonce la création de 300 objectifs de performances pour tous les minis-tères, dont chacune peut faire les gros titres des journaux ! Ces objectifs étaient reliés aux ressources allouées par le ministère de Finances. Chacun de ses objectifs était ensuite décliné en dizaines ou centaines d’indicateurs spécifiques par domaine.C’est d’ailleurs l’une des caractéristiques de la gestion

néotravailliste : les réformes radicales sont portées par la multiplication des indicateurs et la redéfinition rapide des objectifs et programmes. À leurs yeux, le monde social est malléable, réactif et dynamique. Sous pression, il réagit instantanément aux injonc-tions de mobilisation des maîtres du moment. À l’ins-tar des softwares de gestion utilisés dans les grandes entreprises pour connaître en temps réel l’activité de différentes unités, ils ont généralisé les activités de « reporting », consistant à collecter des informa-tions précises sur des procédures, des résultats et les moyens utilisés dans des systèmes d’information préformatés et rendus immédiatement disponibles pour les responsables comme dans les entreprises, des responsables d’agences ou d’unités au niveau le plus bas. On ne peut qu’être surpris par l’ambition extraordi-naire de pilotage de la société par ces indicateurs, et le décalage par rapport à la fourniture des services à la population. Avec le temps, ces indicateurs ont généré des comportements massifs d’évitement de la contrainte, de bricolage des chiffres, de manipulation des données, rendant illusoire la connaissance ou l’évaluation liée à ces milliers d’indicateurs… Plus personne ne les prend au sérieux.

Vous avez développé avec plusieurs chercheurs la notion de « gouvernement par les instruments ». Quels sont les « instruments » nouveaux sur lesquels s’appuie aujourd’hui l’État dans ses relations avec les collectivités et les territoires ? Redoutez-vous un scénario de recentralisation ?On voit d’un côté la poursuite de l’utilisation d’ins-truments qui visent à mobiliser les autorités locales, les territoires, à les impliquer par la négociation dans la mise en œuvre de l’action publique (voir le RSA). D’un autre côté, la RGPP ou la LOLF sont bien des instruments de rationalisation qui suivent des logiques de pilotage par les indicateurs pouvant se révéler de puissants instruments de centralisation couplés à des agences qui renforcent ce qu’on appelle « le gouvernement à distance ». Propos recueillis par Nicolas Portier

Pour en savoir plus, les publications récentes de Patrick Le Galès : - LASCOUMES Pierre et LE GALÈS Patrick, Sociologie de l’action publique, coll. « 128. Sociologie », Armand Colin, Paris, 2007, 126 p.- LASCOUMES Pierre et LE GALÈS Patrick (dir.), Gouverner par les instruments, Presses de Sciences Po, Paris, 2004, 370 p. [ISBN 978-2-7246-0949-3] - COLE Alistair, LE GALÈS Patrick and LEVY Jonah (eds), Developments in French Politics 4, Palgrave Macmillan, New York, Basingstoke, 2008, 316 p. - FAUCHER-KING Florence et LE GALÈS Patrick, L’expérience New Labour, 1997-2009, Presses de Sciences Po, Paris (à paraître en février 2010)

Interview

Patrick Le Galès, sociologue et politiste, directeur de recherche CNRS au centre d’études européennes de Sciences Po et professeur à Sciences Po, revient sur l’expérience néotravailliste, alors que la littérature administrative, en France, cite souvent « l’exemple anglais » comme voie de modernisation de l’action publique.

« Les néotravaillistes ont généralisé l’introduction de logiques de concurrence avec des quasi-marchés créés par l’État »

Dans la comédie politique « In the Loop », sortie en novembre

dernier sur les écrans, le dircom du Premier ministre

britannique, interprété par Peter Capaldi, s’inspire directement

du vrai conseiller de Tony Blair de l’époque, Alastair Campbell.

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Contrôles et décentralisation : je t’aime, moi non plus !Du fait du nombre croissant de compétences confiées aux collectivités territoriales par l’État depuis 1982, le nombre de leurs actes ne cesse d’augmenter. Par ailleurs, la complexification croissante du cadre légal à l’intérieur duquel elles interviennent rend le contenu même de ces actes de plus en plus sensible sur le terrain juridique. Or, les contrôles a posteriori effectués par les services préfectoraux et les chambres régionales des comptes (CRC) ne sont pas forcément adaptés à cette évolution. Les réformes en cours démontrent une fois de plus la difficulté de les faire évoluer.

Conformément à l’article 1er de la Constitution, telle que modifiée par la révision de mars 2003, la République française est désormais décentralisée. Ainsi, comme le démontrait le rap-port Lambert de décembre 2007, l’en-semble des politiques publiques sont aujourd’hui majoritairement financées par les collectivités territoriales (hormis la sécurité intérieure et l’enseignement scolaire). Ce passage d’un État centralisé à une République décentralisée devait s’ac-compagner en 1982 d’une évolution des contrôles réalisés sur les actes des collectivités territoriales. Force est de constater que l’évolution des capacités d’intervention des contrôleurs n’a pas été à la hauteur de celles des contrôlés…

L’arbitrage des services préfectorauxDans le cadre du contrôle de légalité, la circulaire du 22 juillet 1982 souhai-tait que le représentant de l’État puisse uniquement saisir le juge administratif, et que seul ce dernier puisse déclarer un acte illégal. En pratique, les chiffres attestent que le déféré n’est encore aujourd’hui qu’une procédure employée en dernier recours1. Ainsi, en 2006, sur les 81 803 observations formulées par les services préfectoraux, 1,73 % d’entre elles ont été soumises au juge adminis-tratif. On peut donc en conclure que l’arbitrage est généralement rendu par les services préfectoraux et non par le juge. S’agissant des contrôles des CRC, créées par la loi du 2 mars 1982, celles-ci se sont vues confier trois principales mis-sions réalisées a posteriori : le jugement des comptes, l’examen de la gestion des collectivités et le contrôle des actes bud-gétaires. Or, tout comme les services préfectoraux, les CRC se sont difficile-ment adaptées à l’évolution des collec-tivités : leurs moyens n’ont pas suivi la

complexification sans cesse croissante du droit.

Des contrôles restés à la période préhistorique de l’intercommunalitéEn outre, l’augmentation des poli-tiques publiques transversales menées par différents échelons a-t-elle égale-ment rendu les contrôles de l’État de moins en moins efficaces. On pourrait à cet égard légitimement s’interroger sur l’impact des contrôles quant à la situation aujourd’hui si décriée de l’em-pilement des structures, de l’illisibilité de la répartition des compétences et de la multitude des financements croisés. Alors que le législateur de 1983 avait tenté d’ériger la théorie dite des « blocs de compétences » comme modèle de régulation des relations entre les collecti-vités, les différentes instances de contrôle ont préféré laisser perdurer l’idée d’une capacité d’initiative diffuse via le recours à la notion de clause générale de compé-tence. Le juge administratif, mais égale-ment le contrôle de légalité et les CRC, n’ont ainsi eu de cesse de promouvoir la possibilité, pour chacun des niveaux de collectivités, d’intervenir dès lors qu’un intérêt public local le justifiait. En effet, ces derniers continuent d’avoir recours à des principes hérités d’une période préhistorique de l’intercommunalité, celle des syndicats techniques, en fei-gnant d’ignorer les changements majeurs intervenus à la veille des années 2000. Ainsi, exclusivité, spécialité, répartition étanche de compétences ont-ils encore de beaux jours devant eux… Cette inadaptation croissante des contrôles réalisés sur les actes des col-lectivités territoriales pose aujourd’hui problème à la fois au contrôleur qu’est l’État et aux contrôlés, dans un contexte de pénurie des deniers publics où cha-cun cherche à optimiser ses actions. De

ce fait, la RGPP, la LOLF de 2001 et l’actuel projet de loi de réforme des juri-dictions financières tentent de pallier ces insuffisances en recentrant à la fois les moyens alloués à ces contrôles et les domaines sur lesquels ils vont porter.

Centralisation des moyens et des objets de contrôleSelon le Conseil constitutionnel, si le contrôle de légalité peut être adapté aux évolutions induites par la décen-tralisation, il ne peut en aucun cas être supprimé, sauf à modifier la Consti-tution2. L’État a donc cherché à réno-ver l’organisation de ce dispositif en recentrant tout d’abord les moyens qui lui sont alloués (recentralisation des ser-vices, aides extérieures telles que le pôle d’appui au contrôle de légalité basé à Lyon, télétransmission). Il a également fortement diminué la liste des actes transmissibles3 (- 23,80 % entre 2004 et 20054) et concentré les contrôles sur les domaines les plus stratégiques5 : l’inter-communalité, la commande publique, l’urbanisme et l’environnement. S’agissant des CRC, dès 2004, une convention cadre nationale permettait d’expérimenter un partenariat entre les services préfectoraux et ceux du Trésor. Néanmoins, selon le rapport susmen-tionné, l’évaluation de cette coopération s’est révélée relativement décevante du fait de la pluridisciplinarité requise pour contrôler des actes budgétaires. Une réforme plus générale a donc été lancée sous l’impulsion du discours du prési-dent de la République, du 7 novembre 2007. Ainsi, le projet de loi de réforme des juridictions financières, présenté en Conseil des ministres le 28 octobre dernier, vise d’une part, à recentrer les moyens des CRC en les rattachant à la Cour des comptes afin que, selon l’exposé des motifs, les contrôles soient

« plus homogènes et mieux ciblés » ; d’autre part, les missions des chambres seraient redéfinies via une mission d’éva-luation des politiques publiques renfor-cée avec une méthode homogène sur l’ensemble du territoire et la certification des comptes des collectivités territoriales. Cette dernière fonction, lourde à mener, pourrait nécessiter l’intervention des services du Trésor, voire de prestataires de services privés. Au vu du bilan pré-cédemment mentionné, il semble que sur des missions nécessitant un capi-tal humain et technique important, la présence d’une pluralité d’acteurs soit nécessaire, à condition qu’elle soit clai-rement organisée.

Homogénéisation et territorialisationAu final, les contrôles des collectivi-tés territoriales par l’État, qui étaient censés s’adapter à la décentralisation, sont au contraire restés dans une logique d’État central. En outre, les réformes récentes et futures démontrent l’inadé-quation croissante des techniques de contrôle. Alors que l’homogénéisation des contrôles semble adaptée à des véri-fications basées sur le droit, telles que les contrôles budgétaires ou les observations des services préfectoraux, les examens de gestion et les futures évaluations des CRC nécessiteraient une appréciation adaptée aux spécificités locales. Les ten-dances d’évolution qui se profilent vont dans le sens inverse. Floriane Boulay et Emmanuel Duru

(1) Rapport du gouvernement au Parlement sur le contrôle a posteriori des actes des collectivités locales et des établissements publics locaux, vingtième rapport, années 2004-2005-2006 (2) Conseil constitutionnel, DC n° 82-137 du 25 février 1982 (3) Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 et décret n° 2004-15 du 7 janvier 2004 (4) cf. note n° 1 (5) Circulaire du 17 janvier 2006

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