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Les nouvelles relations transatlantiques en matière de défense: Quelle rôle pour le Canada?

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Les nouvelles relationstransatlantiques en matière dedéfense: Quelle rôle pour le Canada?Frédéric Mérand aa Professeur adjoint, Département de science politique ,Université de MontréalPublished online: 14 Mar 2011.

To cite this article: Frédéric Mérand (2005) Les nouvelles relations transatlantiques en matièrede défense: Quelle rôle pour le Canada?, Canadian Foreign Policy Journal, 12:2, 33-45, DOI:10.1080/11926422.2005.9673397

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* Frédéric Mérand est Professeur adjoint, Département de science politique, Université de Montréal. Une premièreversion de cet article a été présentée lors d’un colloque sur la sécurité européenne à l’Institut d’études européennesde la University of British Columbia. L’auteur souhaite remercier les participants et organisateurs de ce colloque, enparticulier Allen Sens et Stefan Gänzle, ainsi que Maya Jegen et trois examinateurs anonymes de Politique étrangèredu Canada.

1 Les réactions à la décision du gouvernement canadien de ne pas participer au Bouclier anti-missile illustrent cedilemme : si une importante partie de la population canadienne est réticente à l’idée de coopération militaire avecles États-Unis, la communauté de défense y est, elle, très favorable. Voir également Frédéric Mérand et MichelFortmann. « Life in 3D : The Challenges Facing an Integrated Approach to Security Policy », in Denis Stairs, In theCanadian Interest? Assessing Canada’s International Policy Statement. Calgary, Canadian Defence and ForeignAffairs Institute, 2005.

© Canadian Foreign Policy, ISSN 1192-6422, Vol. 12, No. 2 (Fall 2005), 33-45

LES NOUVELLES RELATIONS TRANSATLANTIQUES EN

MATIÈRE DE DÉFENSE : QUELLE RÔLE POUR LE

CANADA?

FRÉDÉRIC MÉRAND *

Le 2 décembre 2004, l’Union européenne a pris le relais de l’Organisation du traité del’Atlantique nord (OTAN) dans sa mission d’encadrement militaire des accords de Dayton, quirèglent les conditions de paix en Bosnie-Herzégovine depuis le cessez-le-feu intervenu en

1995. Il s’agit de la première opération de grande envergure menée par l’UE dans le cadre de saPolitique de sécurité et de défense (PESD).

Du même coup, 69 militaires canadiens ont été transférés de la Force de stabilisation de l’OTAN(SFOR) à une Force militaire de l’Union européenne en Bosnie-Herzégovine (EUFOR). Après unediminution par dix du contingent canadien en octobre 2004, la majorité des effectifs de la Forceopérationnelle canadienne dans les Balkans est, au moment où sont écrites ces lignes, sous lecontrôle politique de l’Union européenne. Cette contribution, importante dans la mesure où leCanada ne fera jamais partie de cette organisation internationale s’apparentant à de nombreuxégards à une fédération d’États, marque la fin d’un débat au sein des autorités canadiennes sur lamenace potentielle que pourrait représenter la PESD pour le lien transatlantique.

Le dilemme canadien était et demeure le suivant. D’une part, la politique de défense canadienneest largement tributaire de l’architecture de sécurité du continent nord-américain et les Forcescanadiennes sont fortement intégrées à l’appareil militaire américain (Roussel 2004). D’autre part,l’identité stratégique canadienne, et en particulier cette culture de maintien de la paix voulue parles élites politiques, soutenue par la population et qui forme le quotidien des militaires canadiens,est beaucoup plus proche de celle des pays européens (Dewitt 2004). Alors que l’État-major desForces canadiennes semble s’aligner sur des conceptions sécuritaires d’inspiration américaine, le « multilatéralisme efficace » que préconise la Stratégie européenne de sécurité du HautReprésentant de l’UE, M. Javier Solana, trouve un écho certain parmi la communauté canadiennede politique étrangère1.

Pendant 50 ans, l’OTAN a permis au Canada de concilier son allégeance américaine et sesaffinités européennes. L’OTAN, que le gouvernement canadien a considéré dès la signature duTraité de Washington, en 1949, comme l’expression d’une communauté transatlantique, secaractérise en effet par une structure militaire à domination anglo-américaine chapeautée d’unestructure politique plus sensible aux vues stratégiques européennes (Forster et Wallace 2002).Dans les années qui ont suivi la fin de la Guerre froide, on a pu croire qu’un rôle croissant de

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l’OTAN au-delà du continent européen permettrait au Canada de tenir son rang dans une grandealliance transatlantique mise au service de la communauté internationale. C’est, entre autres, ceque les interventions de l’OTAN en Bosnie et au Kosovo laissaient espérer.

L’Initiative sur la défense européenne lancée à Saint-Malo par Tony Blair et Jacques Chirac endécembre 1998 est venue briser cette conviction (Dumoulin et al 2003). Probablement en raisond’une culture diplomatique plus conciliante, mais aussi parce la politique étrangère canadienne estsouvent difficile à distinguer de celle des pays de l’UE, le gouvernement canadien n’a pas versé dansla rhétorique abrupte d’une Madeleine Albright, Secrétaire d’État dans l’administration Clinton.Quelques jours après la déclaration franco-britannique de Saint-Malo, celle-ci avait signifié que, euégard à la défense du continent européen, les États-Unis ne tolèreraient pas que les pays de l’UE sedissocient de l’OTAN (« no decoupling »), en dédoublent les structures (« no duplication »), ou mêmese concertent au sein de l’OTAN (« no discrimination »). Contrairement à Washington, qui a d’abordvu la PESD comme une incongruité, puis à partir de 2000 comme une occasion de se retirer desBalkans, Ottawa s’est trouvée tiraillée entre une politique étrangère largement favorable à laconstruction européenne et une politique de défense centrée sur l’Amérique du Nord et l’OTAN.

De 1998 à tout récemment, la question de la PESD a du côté canadien été posée dans les termesd’un fonctionnaire du ministère de la Défense nationale : « What’s in it for Canada? », se demandaitJohn Bryson (2003). Jusqu’où peut-on accepter que l’Union européenne autonomise son action enmatière de politique de défense? À quel moment le renforcement des capacités européennesqu’appelle la PESD se transforme-t-il en affaiblissement de l’OTAN? Le Canada doit-il chercher àinfluencer l’élaboration de la PESD, voire à y participer? (Moens 2003; Lindley-French 2003; Fortmannet Viau 2002).

D’une certaine manière, la décision politique de participer à l’EUFOR en Bosnie met un termeà cette discussion. La contribution canadienne est en effet assez importante pour conférer unelégitimité politique à l’idée même de défense européenne, du moins dans la mesure où celle-ci sedéveloppe dans un esprit de coopération avec l’OTAN. Avec l’Opération « Althea » en Bosnie, dontl’EUFOR a la charge, il ne s’agit plus de ballons d’essai comme les contributions canadiennes àl’Opération Artemis en République démocratique du Congo et à la Mission de police de l’Unioneuropéenne en Bosnie. La première fut courte, menée par la France et avec une très modestecontribution canadienne (deux avions-cargos) alors que la dernière, bien que menée dans le cadrede la PESD, ne peut être qualifiée d’opération militaire.

Alors que les États-Unis acceptent désormais tacitement le développement de la PESD en seretirant du continent européen, le Canada est attiré dans l’orbite de la PESD, y compris pour desmissions, comme celle du Congo, qui ne requièrent par les capacités de l’OTAN selon la formulede « Berlin Plus », celle-ci prévoyant l’utilisation par l’UE des structures de planification de l’Allianceatlantique (Brenner 2002). La question pour la communauté de défense canadienne n’est plus desavoir si la PESD est bonne pour le Canada, mais comment elle doit s’y adapter.

D’UNE ARMÉE EUROPÉENNE À LA POLITIQUE EUROPÉENNEDE DÉFENSEL’Union européenne mène en Bosnie la première mission militaire importante de son histoire.Avec plus de 7000 hommes et femmes, l’EUFOR est incommensurable avec les timidesinterventions civilo-militaires menées jusqu’à ce jour par Bruxelles en Bosnie, en Macédoine etdans la République démocratique du Congo. Dans les cartons depuis plusieurs mois, l’EUFOR a été

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rendue possible grâce à l’accord donné par les membres de l’OTAN, dont les États-Unis, ausommet d’Istanbul en juin 2004, de passer le commandement de la Force de stabilisation del’OTAN à l’Union européenne. Cette opération se fait dans le cadre des accords Berlin Plus; elleimplique donc un rôle important pour les structures de planification nord-atlantiques.

La création d’une « Europe de la défense » occupe les architectes de la construction européennedepuis le début des années 1950. L’échec en 1954 du projet de Communauté européenne dedéfense (CED), qui aurait constitué un embryon d’armée européenne, a toutefois longtemps freinéles ardeurs des fédéralistes et autres « autonomistes ». Pendant les 40 années qui suivirent, il futgénéralement accepté que l’OTAN jouerait dans la sphère militaire ce que la Communautééconomique européenne jouait dans la sphère économique, mais en parallèle.

À la fin des années 1990, les assauts répétés contre la légitimité politique de l’OTAN, lesentiment d’impuissance des diplomates européens sur la scène internationale et la crisebudgétaire et opérationnelle des forces armées européennes ont amené les gouvernements del’UE à ressusciter l’idée de défense européenne (Keeler et Howorth 2003; Dumoulin et al 2003).Les projets de revitalisation de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) et d’Identité européenne desécurité et de défense (IESD) devaient permettre à l’Europe de développer à la fois ses capacitésmilitaires et son autonomie, mais dans le cadre de l’OTAN (Dumoulin et Remacle 1998; Rees 1998).Ces deux projets ne sont plus à l’ordre du jour.

La PESD diffère de ces projets avortés à plusieurs égards. Elle confère à l’UE un rôle militaire,alors qu’avec l’UEO et l’IESD on cherchait simplement à européaniser l’OTAN sans la lierformellement à l’UE. Mais la méthode envisagée n’est pas celle de la CED dans les années 1950, quis’apparentait à la démarche fonctionnaliste de Jean Monnet et des fondateurs de la Communautéeuropéenne. Cette fois-ci, les Européens ont mis l’accent sur la coordination politique etopérationnelle des capacités déjà existantes plutôt que sur la fusion des appareils militaires. Eneffet, les craintes suscitées dans plusieurs milieux par la création d’une « armée supranationale »expliquent en grande partie l’échec de la CED en 1954 (Aron et Lerner 1956; Vial 1992; Parsons2004).

La Politique européenne de sécurité et de défense consiste d’abord en une structure politiqueproprement européenne sous la gouverne du conseil des ministres des Affaires étrangères de l’UE.Cette structure décisionnelle comprend un Comité politique et de sécurité (COPS), où siègent desreprésentants politico-militaires des États-membres au rang d’ambassadeur; un Comité militaireformé de représentants des Chefs d’État-major dont le rôle est de conseiller le COPS; un État-majormilitaire qui ne remplit pas un rôle de planification mais de coordination des États-majorsnationaux; et finalement une panoplie d’organes de soutien, comme le Situation Centre, le Centresatellitaire et l’Institut d’études de sécurité.

Cette structure politique dépend toutefois de l’organisation militaire existante des États-membres et de l’OTAN. Dans l’attente d’une cellule autonome de planification réellementopérationnelle, l’UE doit avoir recours aux quartiers généraux nationaux ou nord-atlantiques,principalement le Permanent Joint Headquarters (PJHQ) britannique à Northwood, l’État-majorinterarmées (EMIA) à Creil, en France, et le SHAPE (Supreme Headquarters Allied Powers Europe)de l’OTAN, à Mons. C’est notamment le cas en Bosnie, où l’OTAN fournit un support opérationnelà l’EUFOR. Le quartier général opérationnel de l’UE est en fait le SHAPE. Le commandant del’opération est l’adjoint du commandant allié suprême pour l’Europe (DSACEUR), qui est un

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général européen. L’élément de commandement de l’UE est situé au Joint Force Command del’OTAN, à Naples. Pour le reste, ce sont principalement les task forces multinationales déjàprésentes sous la SFOR qui oeuvrent maintenant sous la direction stratégique et politique del’Union européenne. Les officiers américains s’en sont toutefois retirés.

L’Union européenne est appelée à jouer un rôle militaire de plus en plus important sur lecontinent européen, dans le pourtour méditerranéen et en Afrique subsaharienne, partout où lesÉtats-Unis ont peu d’appétit pour la gestion de crises. Même si le Traité constitutionnel n’entre pasen vigueur, plusieurs innovations qui y étaient prévues en matière de sécurité et de défense sontdéjà sur pied, comme l’Agence européenne de défense et les « battle groups » multinationaux,forme de coopération renforcée prévue dans le Traité (Howorth 2004).

LA PESD, UN POLITIQUE DE DÉFENSE EN RÉSEAULa PESD marque un compromis historique entre les positions antagonistes de la France et de laGrande-Bretagne, l’une promouvant depuis le Général de Gaulle l’autonomie militaire de l’Europeet l’autre refusant de compromettre la « relation spéciale » qu’elle entretient sur le plan politiqueet militaire avec les États-Unis.

Mais l’architecture particulière de la PESD est également le fruit de la fusion de deux champsorganisationnels jusqu’ici distincts : d’une part, la communauté de sécurité et de défensetransatlantique autour de l’OTAN et, d’autre part, la communauté de coopération politique etéconomique autour de l’Union européenne.

Un champ organisationnel est un espace où l’interaction structurée de différents acteursorganisationnels produit des politiques. Ces politiques peuvent prendre la forme de législations,de programmes, de régulations informelles ou, dans le cas qui nous occupe, de décisionsimportantes telles qu’intervenir militairement sur un territoire étranger.

Trouvant son origine dans l’analyse de politiques publiques nationales (Knoke et Laumann1987), la notion de champ organisationnel a, sous différents vocables, été utilisée pourappréhender le type de gouvernance particulier régissant les organisations internationalesfortement intégrées comme l’Union européenne. On parlera donc de « domaine de politiquespubliques » (Fligstein et McNichol 1998), de « réseau de politiques publiques » (Thatcher et LeGalès 1995) ou de « champ politique » (Favell 2000). Le champ organisationnel est constitutif de cetype de gouvernance propre à l’Union européenne, dit « à niveaux multiples », et par lequeldifférents types d’acteurs (ministères, experts, groupes de pression, politiques) sont impliqués àdifférents niveaux (local, régional, national, communautaire) dans le processus de production depolitiques (Marks et al 1996; Ansell 2000).

On peut distinguer un champ organisationnel lorsque les acteurs se reconnaissent les uns lesautres comme participant du même (en)jeu autour de la production d’un certain type depolitiques. La communication et l’interaction entre ces acteurs est relativement stable et routinière: les acteurs observent les activités se déroulant dans le champ et interprètent cette information envue d’effectuer des interventions stratégiques qui leur permettront d’influencer la production depolitiques dans un sens qui leur sera favorable. Finalement, un champ organisationnel se reconnaîtpar l’existence d’une conception dominante, d’une compréhension commune des enjeux duchamp, des règles acceptables, et de la position structurelle des acteurs impliqués.

Une approche en termes de champ organisationnel permet de concevoir l’existence decommunautés de sécurité « pluralistes », comme l’OTAN ou l’UE (Deutsch 1957; Adler et Barnett

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1998), sous un angle qui n’est pas celui habituellement privilégié dans les études de sécurité. Cescommunautés sont en effet centrées sur une organisation bureaucratique dont la relativeautonomie et les ressources mobilisables lui confèrent un pouvoir structurant dans la communauté(Barnett et Finnemore 2004). L’organisation bureaucratique, à son tour, est entourée d’un nombreimportant d’acteurs organisationnels qui participent à la production de politiques.

La politique étrangère de l’Union européenne peut ainsi être appréhendée comme un champorganisationnel où, autour de la Commission européenne (pour les relations extérieures et l’aidehumanitaire) et le secrétariat général du Conseil (pour la Coopération politique européenne puis,à partir de 1992, la Politique étrangère et de sécurité commune – PESC), gravitent un ensembled’acteurs organisationnels : directeurs politiques et directions bilatérales ou fonctionnelles desministères des Affaires étrangères, agences responsables de l’aide au développement, cabinets deschefs de gouvernement, think tanks de politique étrangère, parlementaires nationaux eteuropéens intéressés à la politique étrangère, lobbies, etc. Le champ de la politique étrangère del’UE se présentait de cette manière jusqu’à la fin des années 1990, avec une croissance importantedu nombre d’acteurs et de la densité de leurs relations à partir de l’institutionnalisation de la PESCen 1992 (Buchet de Neuilly 2005).

L’Alliance atlantique constituait alors un champ organisationnel différent, d’abord en raison del’enjeu (défense collective puis gestion militaire de crises) et des pays engagés, qui ne se recoupentpas entièrement, mais surtout de par la nature des acteurs organisationnels. Les structures civileset militaires de l’OTAN (International Staff, État-major militaire, SHAPE, etc.) sont au centre d’unréseau complexe d’acteurs politiques, de diplomates (directions « sécurité et défense » desministères des Affaires étrangères), d’experts civils (directions « politique stratégique » desministères de la Défense), et de militaires (États-majors), auquel on peut ajouter un certain nombred’instituts de stratégie, de parlementaires et de firmes de l’industrie de la défense (Forster etWallace 2002).

Avant le lancement de l’Initiative sur la défense européenne, en 1998, les champsorganisationnels de l’UE et de l’OTAN étaient parfaitement cloisonnés. À partir du traité deMaastricht, on dira de l’Union de l’Europe occidentale, pilier européen de l’OTAN, qu’elle est le «bras armé » de l’UE, mais ceci ne se traduit par aucun rapprochement institutionnel. Quant auprojet d’Identité européenne de sécurité et de défense, lancé au sommet de Berlin en 1994, il nes’agira que d’une tentative d’européanisation « socio-démographique » et non pas institutionnelledes structures de l’OTAN, l’objectif étant de valoriser le rôle des officiers européens au sein del’organisation.

Les structures élaborées à partir du compromis franco-britannique de Saint-Malo sur une « capacitéde défense autonome pour l’UE » vont entraîner une fusion partielle de ces deux champs. D’une part,on crée des organes politico-militaires au sein du secrétariat général du Conseil de l’UE : Comitépolitique et de sécurité formé de diplomates, Comité militaire et État-major formés de militaires.D’autre part, on associe la Commission à ces questions de défense par l’entremise de cellules decoordination en matière de gestion de crises. Finalement, plusieurs groupes de travail rassemblantmilitaires, diplomates et ingénieurs de l’armement sont formés pour travailler à l’élaboration et la miseen œuvre d’un Plan d’action européen sur les capacités (ECAP), qui doit donner à la PESD les moyensdont elle a besoin. Cette démarche capacitaire se voit aujourd’hui renforcée par la création d’uneAgence européenne de défense, à laquelle sont étroitement associés les ministères de la Défense, eten particulier leurs responsables de l’armement. Le comité directeur de l’Agence européenne de

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défense constitue en quelque sorte un Conseil des ministres de la défense de l’UE, quoique avec desresponsabilités plus limitées2.

À cette structure institutionnelle de base, administrativement très légère puisqu’elle sert àencadrer des réunions de militaires, de diplomates et d’experts, se grefferont plusieurs think tanksstratégiques et politiques, des parlementaires, des universitaires, et même les cabinets de relationspubliques de certaines entreprises du secteur de la défense. La PESD suscitera une activitéintellectuelle, sociale et politique sans comparaison avec les champs de l’OTAN et de la PESC dontelle est issue. Le Groupe de travail sur la défense de la Convention européenne, présidé par celuiqui deviendra ministre des Affaires étrangères de la France, Michel Barnier, sera l’occasion derassembler nombre de ces acteurs organisationnels qui agirent à titre d’experts. Outre laConvention européenne, divers événements ponctuent la vie du champ organisationnel. C’est lecas par exemple des conférences annuelles établissant les objectifs capacitaires, des sommets duConseil européen, et de la Conférence annuelle de l’Institut d’études de sécurité de l’UE,fréquentée par le « gratin » de la PESD3.

Bref, sept ans après son lancement par les gouvernements français et britannique, la PESD estdevenue un objet déjà trop complexe pour être mené par un petit nombre d’individus. Ni le couplefranco-allemand ni la relation franco-britannique ne peuvent prétendre en déterminer ledéveloppement. Dans une certaine mesure, l’évolution de la PESD s’explique par la réponsecollective du champ organisationnel à certains événements, comme le Kosovo, le 11 septembre oula guerre en Irak. Ces événements sont filtrés dans le champ de la PESD selon des modalitésparticulières puisque, à l’inverse des politiques nationales de sécurité, la PESD n’est pas fortementhiérarchisée. L’agenda de la PESD dépend donc en grande partie de la morphologie du champ :qui y participe, fait entendre sa voix et réussit à « cadrer » les événements dans un discoursrelativement cohérent et acceptable auprès des autres acteurs4. Les discussions et les arbitrages sefont à l’intérieur de ce cercle d’acteurs bien davantage qu’entre « l’UE », prise comme entité, et ses« partenaires ».

Une fois une inflexion prise au sein du champ de la PESD, il est difficile d’en dévier. La France,qui a contre son gré accepté que la PESD se fasse en étroite coopération avec l’OTAN, peutdifficilement revenir en arrière. À l’inverse, l’autonomie décisionnelle de l’UE, initialement reçueavec scepticisme à Londres, n’est plus mise en doute aujourd’hui. On pourrait multiplier lesexemples qui attestent du poids de la morphologie du champ dans l’évolution de la PESD, en citantla formule de calcul des contributions financières des États-membres aux opérations de l’UE(mécanisme « Athéna »), les structures décisionnelles et de planifications mises sur pied àBruxelles, ou le rôle important du SACEUR adjoint, le plus haut gradé européen des forces nord-atlantiques, dans la planification des opérations de l’UE. Ces évolutions furent lentes mais sontmaintenant fortement institutionnalisées. Elles ne sont donc plus négociables.

Si la morphologie du champ est fondamentale, il importe, pour y exercer quelque influence, d’yêtre présent de façon permanente et d’y agir avec pragmatisme. Le gouvernement britannique l’abien compris qui tente de se placer au cœur des discussions sur la défense européenne depuis1998, alors qu’il en était auparavant absent. Une attitude réactive ou revendicatrice ne peut seheurter qu’à l’inertie d’un champ où toute décision est le fruit d’arbitrages fort complexes5.

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2 Entretiens à l’Agence européenne de défense, Bruxelles, mai 2005.

3 Entretiens au secrétariat général du Conseil de l’UE, Bruxelles, mai 2002 et mai 2005.

4 Entretiens dans les ministères français, allemand et britannique des Affaires étrangères et de la Défense, 2002.

5 Entretien avec un ancien ministre britannique de la Défense, Londres, mai 2005.

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Washington, malgré son opposition à l’idée de défense européenne en général, n’a pas réussidepuis 2000 à en influencer le cours, encore moins à le stopper. Le désengagement des États-Unisà l’égard de l’Europe n’y est probablement pas pour rien (Keeler et Howorth 2003).

LA PESD ET LES « ÉTATS TIERS »La PESD soulève une question familière aux experts des relations extérieures de l’Unioneuropéenne : celle du rapport à un réseau d’acteurs. En effet, les relations de l’Union européenneavec les États tiers ne se font pas sur le mode westphalien du rapport d’État à État. L’UE ne parlepas d’une seule voix et, lorsqu’elle le fait, ses « représentants » ne bénéficient pas d’une grandemarge de manœuvre pour négocier avec des États tiers puisqu’ils reçoivent des instructions assezstrictes du Conseil de l’UE, lequel procède selon la formule de l’unanimité (Ginsberg 1999). LaPESD est donc le produit d’un « jeu à deux niveaux » dans lequel le niveau « interne » est beaucoupplus lourd de conséquences que le niveau international. C’est ainsi qu’on a pu accuser la politiqueétrangère de l’UE de nombrilisme.

Les politiques de l’UE ne sont pas le produit d’une hiérarchie administrative mais d’un réseaud’acteurs organisationnels et politiques (Ansell 2000). La question du rapport au réseau se poseavec une acuité toute particulière dans le domaine de la sécurité et de la défense, puisqu’il ne s’agitpas simplement de négocier un accord international ou de coordonner une position mais bien departiciper, collectivement, à des opérations militaires dont la responsabilité relève pourtant, ausens strictement politique, de l’UE seule. Les écueils sont connus : inflexibilité des structures del’UE, tendance à imposer ses positions communes une fois qu’elles sont adoptées par un lourdprocessus fondé sur le consensus, difficulté à tenir les décisions dont la mise en œuvre dépend desÉtats-membres6.

L’Union européenne est une organisation internationale, mais qui entretient des relationsparticulièrement denses avec un certain nombre de pays qui n’en sont pas membres, comme laSuisse, la Norvège, la Turquie et, dans une moindre mesure, le Canada. Eu égard à la PESD, cespartenaires négocient leur relation avec l’UE de différentes manières. La Suisse, par exemple,inscrit les questions de défense dans le cadre plus large de ses négociations bilatérales, quicouvrent le commerce et la circulation des personnes (Braillard et Schwok 2001). La Norvège, poursa part, participe de façon beaucoup plus considérable, contribuant même au budget de l’UE, enmatière de gestion de crises comme pour les fonds structurels. Ceci procède d’une stratégiepolitique que N. Graeger (2003) résume par la formule « troops for influence ». La Norvège est parexemple impliquée dans l’Agence européenne de défense. Quant à la Turquie, elle a choisi uneattitude beaucoup plus revendicatrice, menaçant de bloquer les progrès de la PESD par son veto àl’OTAN jusqu’en 2002 (Webber et al 2002). Les Etats-Unis, on l’a vu, préfèrent rester à l’écart,profitant de leur position dominante sur l’échiquier mondial pour influencer les décisionseuropéennes sans toutefois contribuer à leur mise en œuvre.

Aucune de ces options ne s’offre au Canada. La relation économique n’est pas assez étroite pourque la question de la PESD y soit inscrite, comme dans le cas de la Suisse. La légitimité de l’UE ausein de l’opinion publique – ou du moins de l’élite – n’est pas assez grande pour envisager unecontribution substantielle, ce qui est le cas de la Norvège, qui continue à jouer avec l’idée d’uneadhésion à l’UE et peut se prévaloir des arrangements prévus au sommet de Nice, en 2000, relatifsà la participation et la consultation des pays européens non membres de l’UE. Mais ne pas

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6 Entretiens au secrétariat général du Conseil de l’UE, Bruxelles, mai 2005.

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participer aux opérations de gestion de crises de l’UE, dans la mesure où elles se substituerontgraduellement à celles de l’OTAN, risque de marginaliser le Canada dans le domaine de la sécuritéinternationale, surtout alors que la plupart des pays européens membres de l’OTAN, comme laRoumanie, la Bulgarie et la Turquie, sont, à terme, appelés à rejoindre l’UE. L’option américainedu désengagement paraît dès lors irréaliste.

Pour l’essentiel, la coopération militaire entre le Canada et l’UE se fait par le biais des relationsOTAN-UE, qui sont relativement institutionnalisées et transparentes (Webber et al 2002). Mais leCanada est le seul membre de l’OTAN, avec les États-Unis, à ne pas être situé sur le continenteuropéen. Il ne jouit donc pas des relations politiques et économiques en vertu desquelles laNorvège, la Turquie ou la Bulgarie, par exemple, peuvent se permettre de dépasser le dialogueOTAN-UE et agir directement dans le champ de la PESD.

LA DÉFENSE CANADIENNE ET L’UNION EUROPÉENNEFaisant abstraction des multiples niveaux de la gouvernance européenne, le Canada continue àgérer ses relations avec l’UE selon le schéma westphalien. Ainsi, si la diplomatie canadienne traitel’UE comme s’il s’agissait d’un État avec lequel on pouvait entretenir des relations strictementbilatérales, la défense canadienne transige plutôt de façon ponctuelle avec les États européens, oualors à travers l’OTAN, comme si l’UE n’existait pas. C’est du moins la contradiction qui sous-tendles instances de concertation du Canada avec l’UE en matière de sécurité et de défense.

Sur le plan politico-diplomatique, il existe un système assez dense de contacts avec Bruxelles.Après une longue période de rapprochement économique marquée au sceau de l’Accord-cadrepour la coopération commerciale et économique de 1976, la Déclaration transatlantique a établi lesbases en 1990 d’un riche dialogue politique qui prévoit, deux fois par année, un sommet entre lePremier ministre canadien, le président de la Commission européenne et le chef de gouvernementdu pays assurant la présidence tournante de l’UE. En principe, les ministres des Affaires étrangèreset du Commerce se rencontrent aussi formellement deux à quatre fois par année.

Pour soutenir ce dialogue, une structure a été mise en place entre les ministères des Affairesétrangères et du Commerce et leurs équivalents bruxellois dès 1996, avec le Plan d’action conjointCanada-UE. Une à deux fois par année, les responsables canadiens des dossiers régionaux etfonctionnels comme l’Asie, le Moyen-Orient, l’Afrique, la non-prolifération, l’ONU, etc. rencontrentleurs homologues de la troïka européenne, c’est-à-dire les fonctionnaires de la Commissioneuropéenne, du secrétariat du Conseil, du pays qui assure la présidence tournante etéventuellement de la présidence suivante7. L’ambassadeur canadien rencontre également la troïkadu COPS, c’est-à-dire les ambassadeurs « sécurité » de l’UE, une fois par année dans le cadre desconsultations politiques et de sécurité entre le Canada et l’UE. Ces contacts culminent dans larencontre biannuelle des directeurs politiques d’Affaires étrangères Canada, de la Commissioneuropéenne, de la présidence de l’UE et du secrétariat du Conseil de l’UE.

Les relations en matière de défense proprement dite ne sont pas aussi développées. Malgré les69 militaires canadiens affectés à l’EUFOR, il n’existe pas de mécanisme consultatif formel entre leministère de la Défense du Canada et les structures militaires à Bruxelles. Seuls un officier canadiende liaison au quartier général de l’OTAN et certains éléments de la Direction « Politiques de l’OTAN» travaillent sur les questions de coopération OTAN-UE. Le contraste est frappant avec le nombrede fonctionnaires et de militaires oeuvrant sur les questions OTAN au ministère de la Défense

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7 La présidence du Conseil de l’UE, et donc de toutes les réunions du Conseil, est assurée par un État-membre. Ellechange de mains tous les six mois. Seule la présidence est habilitée à parler au nom de l’UE sur les questions PESC,avec un rôle d’appui pour le Haut Représentant, M. Solana.

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nationale, à la Délégation conjointe à Bruxelles et au sein des structures de l’OTAN, qui se chiffreà plusieurs dizaines8.

Pour l’essentiel, la coopération militaire du Canada se fait au plan bilatéral, c’est-à-dire avec lesÉtats. On trouve des officiers de liaison dans les ministères de la Défense des grandes puissancesde l’OTAN (Allemagne, France et surtout Grande-Bretagne), avec lesquelles nos opérationsmultinationales sont pourtant rares. Mais surtout, des centaines d’officiers et de diplomates serventaux États-Unis : à Washington, au NORAD et dans un certain nombre de bases américaines. Il existede nombreuses instances de planification militaire conjointe, comme le NORAD, le Groupe deplanification binational et le Comité canado-américain de coopération militaire (MCC). À cesinstances s’ajoute la Commission permanente mixte de défense (PJBD), plus politique. L’action duministère de la Défense nationale demeure ainsi imprégnée d’une culture fortement américaine etatlantiste (Roussel 2004; Dewitt 2004).

Le sous-développement des structures de consultation Canada-UE en matière de défense contrasteavec les ambitions déclarées dans la « Déclaration conjointe sur la défense et la sécurité » de 2000, cettedernière prévoyant un rôle important pour le Canada au sein du « Comité des contributeurs » –l’instance de consultation des pays tiers lors d’opérations PESD. Il est aussi nettement en deçà despropositions du ministre de la Défense, M. Art Eggleton, à la Conférence sur la sécurité de Munich en2000, à savoir la création d’un dispositif de coopération politico-militaire à niveaux multiples(Fortmann et Viau 2002). Depuis les balbutiements de la PESD, les diplomates canadiens demandentà ce que le Canada soit traité sur un pied d’égalité avec les pays européens non membres de l’UE,comme la Bulgarie, la Roumanie ou la Turquie. Confrontés à l’inertie de l’UE, peu appuyés par leministère de la Défense, leurs efforts se sont révélés vains (Fortmann et Viau 2002).

Au sommet Canada-UE du 19 juin 2005, à Niagara-on-the-Lake, le premier ministre Paul Martinet ses homologues européens ont souligné la conclusion d’un Accord-cadre qui fixe le cadrejuridique des participations futures du Canada aux opérations de gestion de crises de l’UE. Bienqu’on n’en connaisse pas encore le contenu, la négociation de cet accord, voulu par les diplomatescanadiens et surtout européens, semble s’être longtemps heurtée à la réticence de l’État-majorcanadien, qui soit n’en voyait pas l’utilité, soit en craignait les complications, et en tout cas ne leconsidérait pas comme un dossier prioritaire9.

LE CANADA, UN « PARTENAIRE STRATÉGIQUE »? Le désintérêt américain à l’égard de l’OTAN et les velléités autonomistes de l’Europe mettent leCanada dans une situation inconfortable. On voit se dessiner un nouveau partage des tâches, danslequel les États-Unis, avec ou sans l’OTAN, mèneront les opérations de grande envergure alors quel’Union européenne, avec ou sans le soutien de l’OTAN, en tout cas sans les États-Unis, s’occuperaplutôt de maintien de la paix et d’intervention humanitaire. Fidèle à une Alliance atlantiquemarginalisée et parfois instrumentalisée par les deux grandes puissances, le Canada aura de plusen plus mal à trouver sa place dans ce duopole États-Unis-Europe.

Peut-on alors faire du Canada un « partenaire stratégique » de l’UE, comme le décrit la Stratégieeuropéenne de sécurité adoptée par le Conseil européen en 2003, un terme repris en avril 2005dans l’Énoncé de politique internationale du Canada? En vérité, les relations Canada-UE secaractérisent par une forte intensité au niveau diplomatique qui n’est pas relayée dans la sphèrestratégico-militaire. La politique de défense du Canada demeure focalisée sur le niveau bilatéral

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8 Entretien, Délégation conjointe du Canada auprès de l’OTAN, Bruxelles, mai 2005.

9 Entretiens, Bruxelles, mai 2005.

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(principalement les États-Unis) et l’OTAN. On discerne bien à Ottawa un rôle croissant de l’UE enmatière de sécurité et de défense, mais on continue d’y répondre en actionnant les leviersbilatéraux (relations privilégiées avec la Grande-Bretagne et les États-Unis) et transatlantiques.

Or, pour influencer l’agenda d’une politique en réseau comme la PESD, il est important de fairesentir sa présence au sein même du champ organisationnel qui produit cette politique. En cemoment, cette présence est inadéquate. D’une part, le Comité des contributeurs, qui devait êtrele forum permettant la participation de tous les pays contributeurs à la gestion quotidienne desopérations de l’UE, ne semble pas avoir acquis le rôle qui lui était destiné10. D’autre part, aprèsavoir exigé avec insistance et obtenu un rôle dans les organes de planification de la PESD, parexemple la nomination d’officiers de liaison, le Canada semble s’être désintéressé de la question.À l’heure actuelle, la Mission canadienne auprès de l’UE ne bénéficie même pas d’un attachémilitaire.

Certains membres de l’UE ne voient pas d’un très bon œil la participation des pays tiers,particulièrement des membres non européens de l’OTAN comme le Canada, puisqu’elle pourraitreprésenter une menace pour l’intégrité du système décisionnel de l’UE et l’autonomie de sapolitique. Tant que la PESD n’aura pas complété sa montée en puissance, il leur sera inacceptablequ’elle permette un rôle trop intrusif de la part des États tiers, au-delà de la relation, déjà trèsétroite, développée avec l’OTAN (Webber et al 2002).

On pourrait toutefois envisager pour des pays comme le Canada un rôle renforcé d’observateur,ce qui leur permettrait de faire valoir leur point de vue tôt dans le processus, tout en les fidélisantà la PESD, c’est-à-dire en en faisant des partenaires stables. Ce statut de « membre associé » existaitpar exemple au sein de l’Union de l’Europe occidentale, le pilier européen de l’OTAN qui aprécédé la PESD, pour la Norvège, l’Islande et la Turquie. Bien que l’on puisse s’attendre à ce quel’UE soit réticente à l’idée d’offrir un statut d’observateur renforcé, qui n’est d’ailleurs pas prévudans les statuts de la PESD, notons que la Commission européenne, soutenue par l’UE dans sonensemble, revendique ce même privilège auprès de nombreuses enceintes internationales, enparticulier celles de l’ONU11. Un échange de bons procédés pourrait s’imposer afin de permettreaux pays tiers qui offrent à la PESD troupes et légitimité de faire entendre leur voix au sein desorganes politico-militaires de l’UE. Par ailleurs, les États les plus atlantistes de l’UE, comme laGrande-Bretagne, seraient probablement favorables à un processus de transparence quirapprocherait la PESD de l’OTAN par l’entremise des États non membres de l’UE. Des optionspragmatiques autour de cet impératif de transparence semblent donc envisageables. À condition,évidemment, que le Canada souhaite insister sur cette transparence qui la rapprocherainévitablement de l’UE.

Mais les acteurs de la politique de défense canadienne – politiques, militaires, universitaires –pourraient aussi s’engager plus fortement dans le champ organisationnel de la PESD. Si le Canadaveut tenir son rang au sein de la relation transatlantique, le prix à payer sera d’institutionnaliser lerapport que le Canada entretient avec le champ de la PESD en Europe même. Ceci pourrait se fairepar la création de structures qui favoriseront la concertation et la planification militaire avec l’UE,semblables à celles que nous possédons déjà avec les États-Unis et au sein de l’OTAN. Un dialoguesoutenu entre le ministère de la Défense et l’Agence européenne de défense permettraitégalement au Canada de profiter de nouvelles formes de coopération en matière d’armement, par

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10 Entretien avec un diplomate canadien, mai 2005.

11 Communication de la Commission européenne, « L’UE et l’ONU : le choix du multilatéralisme » (2003).

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exemple dans l’accès aux marchés et aux programmes de coproduction européens, tout en faisantmieux valoir ses intérêts.

L’Europe monte. L’OTAN, comme organe politique, est marginalisée. Si le Canada désirecontinuer à jouer un rôle central en matière de gestion de crises dans un cadre transatlantique, ildevra renforcer sa relation avec les structures politico-militaires déjà bien établies de l’Unioneuropéenne. Cela passe par une mini-révolution culturelle à Ottawa, et particulièrement au seind’un État-major encore trop fixé sur le géant américain.

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