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Les nouvelles voix de la poésie québécoise

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Contemporary French andFrancophone StudiesPublication details, including instructions for authorsand subscription information:http://www.tandfonline.com/loi/gsit20

Les nouvelles voix de la poésiequébécoiseAlisa Bélanger & Vincent DesrochesPublished online: 22 Jan 2009.

To cite this article: Alisa Bélanger & Vincent Desroches (2009) Les nouvelles voix de lapoésie québécoise, Contemporary French and Francophone Studies, 13:1, 101-108, DOI:10.1080/17409290802606887

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Contemporary French and Francophone StudiesVol. 13, No. 1, January 2009, pp. 101–108

LES NOUVELLES VOIX DE LA

POESIE QUEBECOISE

Alisa Belanger et Vincent Desroches

Consideree de tout temps comme la voie royale de la litterature, la poesieoccupe une place remarquable au sein du champ litteraire quebecois. Pendant laRevolution Tranquille, ce genre a connu son age d’or grace aux « poetes dupays », dont Gaston Miron, Paul-Marie Lapointe et Paul Chamberland, qui ontsu donner son souffle au mouvement souverainiste en dotant la poesie d’unevocation prophetique. Poussee jusqu’au devoir sous la plume de MicheleLalonde,1 cet engagement a fait de la poesie le cœur battant au poing de lalitterature quebecoise. Si le feminisme des annees 1970 a egalement puise acette source d’autorite collective la force de ses revendications poelitiques,2 lespoetes ont majoritairement abandonne une telle raison sociale a partir de 1980.Dorenavant, la necessite de trouver un langage pour faire face au vecu semblejustifier en elle-meme la prise de parole. Alors que cette singularite del’experience poetique s’est manifestee d’abord par la predominance de l’intime,elle donne lieu aujourd’hui a une extraordinaire diversification de voix etd’ecritures s’ouvrant vers de nouveaux horizons interdisciplinaires, plurilingueset transnationaux.

Il se publie, bon an mal an, plus d’une centaine de recueils au Quebec, engros le meme volume de publication qu’en France, pour une population dix foismoindre. La maturite de la litterature quebecoise ne faisant plus de doute, lespoetes se sentent desormais libres de choisir leurs filiations poetiques ; ilsecrivent non seulement contre les poetes des generations precedentes, mais aussiavec ceux qui les inspirent. La richesse de cette ascendance est evidente dans lesnombreuses anthologies parues depuis une vingtaine d’annees, dont l’incon-tournable Poesie quebecoise des origines a nos jours de Laurent Mailhot et PierreNepveu, publiee pour la premiere fois en 1981. Le choix des auteurs est

ISSN 1740-9292 (print)/ISSN 1740-9306 (online)/09/010101–8 � 2009 Taylor & Francis

DOI: 10.1080/17409290802606887

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instructif : malgre un effort important de selectivite dans la definition ducorpus, on y compte encore plus de cent poetes vivants sur un ensemble de 172.La poesie quebecoise se sent desormais assez sure d’elle-meme pour faire preuved’inclusion ; alors que les poetes Haıtiens vivant au Quebec (Phelps, Legagneur,Desrosiers) se trouvaient largement ignores dans les anthologies du vingtiemesiecle,3 on les y retrouve maintenant, en bonne place, au meme titre que lespoetes d’origine italienne (Micone, Faccia) ou arabe (Alonzo, Latif-Ghattas). Ony decouvre pour la premiere fois de nombreuses voix autochtones, dontcertaines ont egalement figure dans Litterature amerindienne du Quebec : ecrits delangue francaise, edite par Maurizio Gatti en 2004. Des poetes comme SergePatrice Thibodeau, un pilier de la litterature acadienne, ou Patrice Desbiens,bien identifie a la litterature franco-ontarienne, ont ete inclus parce qu’ils ontvecu et publie a Montreal. On pourra voir dans ces hesitations soit uneouverture, soit une appropriation ; d’autres poetes essentiels acadiens et franco-ontariens ne figurent pas sur la liste.

Par ailleurs, l’apport des ecrivaines, qui constitue sans doute l’une desspecificites du corpus national, a ete souligne par l’Anthologie de la poesie desfemmes au Quebec, editee par Nicole Brossard et Lisette Girouard. A celas’ajoutent de nombreuses anthologies selectives, dont celles des poetes duNoroıt et des Ecrits des Forges. Enfin, la poesie cotoie la prose dans unemultitude d’anthologies thematiques, telles que Baiser vertige (2006), qui reunitles ecritures gaies et lesbiennes, et Montreal vue par ses poetes (2006), ou destextes d’ecrivains quebecois et etrangers s’interpellent en plusieurs langues. Ceflorilege d’anthologies revele l’appartenance de la poesie quebecoise a unelitterature de l’exiguıte, pour emprunter le concept de Francois Pare. Mais c’estaussi une scene litteraire passionnee et irreverencieuse, comme le demontre lareception plutot bienveillante qu’a recue l’Anthologie apocryphe de la poesiequebecoise du XXe siecle, ecrite par Violette Fontaine et Pierre L’Herbier, danslequel on retrouve de delicieux pastiches tels que « Parlez quebecway »,« L’afficheur clignote » et un « Faux poeme » de Saint-Denys-Garneau debutantpar le vers « Je ne suis pas bien du tout enferme dans ce livre » (18).4

Pour se familiariser davantage avec ce corpus, il existe un bon nombred’ouvrages de reference rediges par les universitaires quebecois. La litteraturequebecoise depuis ses origines de Laurent Mailhot, plusieurs fois revue, est unexcellent point de depart ; on y trouve aussi une bibliographie d’ouvrages decritique litteraire. Le petit livre de Greif et Ouellet, La Litterature Quebecoise,1960–2000, a le merite de comporter une bibliographie des titresindispensables. L’ouvrage de Biron, Dumont et Nardout-Lafarge, Histoire de lalitterature quebecoise est l’exemple le plus recent d’un traitement recapitulatif quise veut exhaustif.

En outre, il est possible de retrouver une certaine continuite historique atravers les œuvres de poetes de renom reeditees chez Typo ou dans laprestigieuse collection « Retrospectives » de l’Hexagone. Pour prendre un

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exemple parmi tant d’autres, Madeleine Gagnon, dont l’engagement s’estaffiche dans Autographie 1. Fictions (1982), renonce aux ideologies marxiste-feministe et au parler quebecois de ses premiers textes hybrides, pour se pencherdavantage sur l’experience commune de la souffrance qui occupe une place deplus en plus importante dans A l’ombre des mots (2007). Fernand Ouellette trace,lui aussi, un parcours typique de l’epoque : des elans nationalistes ayant jaillidans Le Soleil sous la mort (1965), il passe au deuil du pere dans Les Heures (1987),pour ensuite mener des recherches sur le pouvoir spirituel du Verbe dans lestrois tomes recents de ses Chroniques. Une telle evolution progressive seremarque egalement chez de nombreux poetes dont les œuvres n’ont pas encoreete rassemblees dans leur integralite, comme Gatien Lapointe, qui, apres sacontribution a la poesie du pays dans son Ode au Saint-Laurent (1963), examinele langage du corps et les messages visuels dans ses textes des annees 80, prochesd’une poetique exploreenne,5 reunis sous le titre posthume Corps et graphies(1999).

Du debut des annees 1980 jusqu’au tournant du siecle, la tendance la plusprononcee de la poesie quebecoise etait l’ecriture de l’intime. Cette ecriture sedefinit par le questionnement des frontieres entre le public et le prive, le soi etl’autre, l’autobiographie et la fiction. Il s’agit non seulement du je, mais aussid’un nous rapproche, la relation humaine isolee dans sa geometrie la plus simple,puisqu’il semble desormais impossible de parler a la place de l’Autre,foncierement insaisissable, qui echappe a toute tentative de sommationcollective. Ainsi que l’exprime Serge Patrice Thibodeau: « [nous] n’avons depays que nous deux » (Nocturnes 15). Souvent qualifie d’intimiste avec un rien dededain par ses detracteurs, cette ecriture n’evacue pourtant pas entierement ledehors, comme en temoigne la philosophie du quotidien que Paul ChanelMalenfant elabore a petites touches depuis plusieurs annees, ainsi quel’exploration de plus en plus explicite de l’Histoire (avec un grand H) dans lapoesie de Denise Desautels.

Dans la poesie recente, chez les nouveaux poetes, le je ne disparaıt pas, maiss’eclate : il se constitue pour aussitot se dissiper dans l’anonymat de la foule etde l’infiniment petit. Aussi Benoıt Jutras ecrit-il dans L’annee de la mule (2007) :« Comprends-le enfin : tu dis je pour devenir un pollen invisible, en memetemps que la maison, aux vitres brisees, qui l’accueille » (51). A traversl’experience partout insupportable de la mort, on assiste au retour en force del’humain, souvent present chez des poetes de la releve dont les ecrituresdivergent par ailleurs. Dans Miniatures, balles perdues et autres desordres (2008), parexemple, Monique Deland constate : « [n]otre mort nous trouve sans qu’on lacherche. [. . .] on vit avec. Avec elle et avec tous les morts de l’histoire, qu’on adesormais sous la peau » (25). Trois recueils aux titres revelateurs publies aquelques mois les uns des autres, se reclament de l’experience de la solitude, quiparadoxalement, sert a creer un rapprochement avec l’Autre.6 Il serait possibled’y lire l’avenement d’un nouveau pluriel dans la poesie quebecoise, cet on de la

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personne quelconque, un etre-ensemble vacillant entre mefiance et solidarite, etdont l’interpellation est elusive.

Face au poids de l’Histoire a l’echelle mondiale, la poesie quebecoisecontemporaine se concoit comme un jeu illusoire, mais necessaire. Alors qu’ellene chante ni le pays ni l’amour, la poesie se fait plus que jamais musique, puisquela voix demeure son domaine de maıtrise privilegie. Dans Je Nathanael deNathalie Stephens, par exemple, on lit une mise en scene de ce fort-da poetique :« Je jette ma voix par la fenetre. Elle s’ecrase sur le beton. Riend’impressionnant. Une voix parmi tant d’autres. Je la jette. Je la jette et lareprends. Ma voix » (39). En renoncant aux combats ouvertement politiques, lapoesie fait donc l’experience d’une « liberation inattendue »,7 une autonomievertigineuse de la parole resultant de sa production dans un huis-clos relatif.Elise Turcotte va meme jusqu’a remarquer « le son de la peau qui se replie »(39) tandis que le corps se dematerialise en devenant chez Normand deBellefeuille « sourire et melodie / seulement » (26).

Le corps, ce territoire prive qui semble avoir remplace le pays comme lieude luttes et de recherches identitaires dans la poesie quebecoise, s’avere etre untheme particulierement riche dans l’ecriture de l’intime. Si les rythmes hachuresd’Anne-Marie Alonzo contrastent avec l’elegance lyrique et formelle de HuguesCorriveau, ils cherchent tous deux une fusion de l’amant(e)-enfant avec l’Autre,comme c’etait aussi le cas a la fin du vingtieme siecle chez bien d’autres poetes,dont Marie Uguay et Jacques Brault. Aujourd’hui, en revanche, le corps a plussouvent tendance a s’atomiser sous un regard medical ou ontologique plutotqu’amoureux : œil, bouche, nez, tete, bras, jambe, pied, sexe s’isolent – et,parfois, se detachent du reste du corps – comme si l’alienation de l’individupostmoderne l’atteignait dans sa chair meme. Faisant echo a l’automatisme secet tragique de Therese Renaud, Corinne Chevarier ecrit : « Des doigts dans sonventre cherchent sa poupee / elle a perdu ses levres sous l’oreiller / ou est sonpoing ? » (15) Ce morcellement du corps prend des dimensions encore plustroubles dans les œuvres de certains jeunes poetes, tels que Melanie Grenier etAlexandre Trudel, ou encore dans les derniers poemes de Michel Van Schendel.

La ou les souvenirs et autres hantises de la memoire dominaient l’ecriturede l’intime, c’est aujourd’hui l’ephemere qui se fait valoir davantage : insectes,lumiere, parfums ambiants, et notes de musique sont autant d’images de fragilitequi surgissent dans le moment charniere entre le passe et l’avenir. Jean-SimonDesrochers semble resumer cette ecriture de l’instant en notant, dansL’Obeissance impure (2001) : « Je suis le fils d’un moment bref / ou le hasardresserre sa barbarie » (31). On ecrit non seulement dans l’apres du desastre,mais aussi dans l’attente de son avenement nouveau et dans la conscience aiguede la memoire a venir. Pour reprendre les mots de Jean-Eric Riopel : « desetoiles mortes / eclairent nos nuits / et d’autres / encore a naıtre / veillent »(Dans le blanc 12). Cette anticipation se manifeste chez les poetes de multiplescourants, toutes generations confondues, de Tania Langlais a Martine Audet, en

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passant par Marcel Labine, qui, lui, observe une poussee vers l’avant dansl’ambiance urbaine : « Chacun se deplace a la vitesse de la planete / malgrel’attente des tourniquets du metro » (97).

Cette conscience apocalyptique, ou on percoit encore des echosmillenaristes, se conjugue sur un canevas mondialise. La ou le paysage avaitete une celebration et une reappropriation du territoire (pensons au Terre-Quebecde Paul Chamberland), on trouve desormais une ouverture de l’espace vers leplanetaire, mais souvent sur le mode de l’inquietude, comme Kim Dorel’exprime : « Le monde / je me demande / vers quels rivages / l’infection sedeverse » (12). Pierre Nepveu, dans Lignes aeriennes, elabore une esthetique dupaysage post-industriel vecu comme une perte et une confusion debouchant surl’absurde et une coupure temporelle irreparable « certain d’avoir touche lelieu / mais deporte en dedans comme on a perdu / l’heure juste et comme ondemeure orphelin / meme de ce qu’on a gagne » (102). Les poetes d’aujourd’huiont egalement une conscience aigue de la mediatisation des espaces ; le texte dupoeme doit desormais s’en demarquer et viser une autre poetique: « Pour vousqui ne voyez pas ce paysage incroyable / [. . .] / j’ai abandonne l’idee / deprendre un million / de photos par seconde » (Riopel, Fermeture 119).

D’ailleurs, la poesie quebecoise possede une tradition riche en expressionsdu mouvement contre-culturel americain, que ce soit dans l’automatisme d’unClaude Gauvreau, le jazz d’un Raoul Duguay ou la revolte hallucinee d’un DenisVanier. La critique du capitalisme etasunien, qui demeure un terrain privilegiepour affirmer une difference identitaire, fait surface de maniere ponctuelle chezla plupart des poetes quebecois. Yves Boisvert la pousse a l’extreme dans sonBang ! (2001), alors que Joel Des Rosiers la nuance dans sa participation al’ouvrage collectif Les Tours de Babel (2002). Danny Plourde en fait uneprogrammatique et un projet poetique collectif : « l’agreable legerete del’etre / arriverait tot ou tard a buter / contre l’alchimie d’un reve misau monde / par les nouveaux poetes d’Amerique » (62). Etl’americanite figure parmi les preoccupations centrales de certains poetes,comme Rene Lapierre qui elabore une œuvre particulierement dense a traverssa reflexion sur la rupture et le manque de communication dans la vie urbaine.Plusieurs revues comme Levres urbaines, Hobo-Quebec et Gaz Moutarde prennent(ou ont pris) l’americanite et la ville comme axes majeurs de leurs recherchespoetiques. Aujourd’hui, Le Quartanier, une jeune maison d’edition desireuse deranimer l’avant-garde, semble en partie prendre la releve de ces revues. Toutrecemment, Renee Gagnon y a fait paraıtre son Steve McQueen (mon amoureux)(2007), qui a renouvele la tradition d’ecrire l’americanite au feminin, dont JoseeYvon et Carole David se trouvent parmi les voix fondatrices.

Si la ville de Montreal est omnipresente dans la poesie quebecoise, on assistea une fascination renouvelee pour le voyage a l’ere de la mondialisation,ranimant ainsi une thematique deja presente au debut du vingtieme siecle, sousla plume de Paul Morin ou Alain Grandbois. A cette epoque, le voyage etait

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souvent concu comme un exil ou rite de passage necessaire. De nos jours, lespoetes ne prennent plus le large par necessite, mais plutot dans le desir dedecouvertes. Par exemple, Nicole Brossard pratique aujourd’hui une « ecrituredu mouvement »,8 dans un sens non seulement theorique, mais aussi concret,comme l’en temoigne ses poemes ecrits en voyage publies dans Je m’en vais aTrieste (2003). Et plusieurs poetes, dont Joel Pourbaix, font des « motsnomades » (Sous les debris 9) une des bases principales de leur reflexion poetique:« mediter / Japon Mexique Irelande / nous / geographie inverifiable »(Le simple geste 27). A l’exotisme deploye autrefois comme un antidote auregionalisme, se substituent la complicite et l’admiration reciproque, uneouverture au monde justifiant (et justifiee par) les residences a l’etranger et ledialogue entre poetes de pays differents. Plusieurs revues et maisons d’editionencouragent de telles rencontres transnationales : notamment, Estuaire et Exitmultiplient les numeros consacres a ce qui s’ecrit en dehors du Quebec.

De Prague a Seoul, en passant par Paris et Venise, la poesie quebecoises’internationalise. Ainsi qu’Anthony Phelps le remarque dans son recueil Unephrase lente de violoncelle (2005) : « la poesie toujours depasse le langage / et justeet vraie / chante aussi bien au-dela des traductions » (39). Les poetes quebecoissemblent desormais prets a experimenter toutes les langues, surtout les romanes,allant parfois jusqu’a ecrire des poemes entiers en espagnol ou en italien. Enparticulier, le Mexique et les pays de l’Amerique latine sont fort bien representes.Outre les multiples traductions et co-editions des Ecrits des Forges,9 on affiche aussila centralite du Mexique dans des recueils comme Mexiquatrains (2005) etL’inconscient du soleil (2003) de Jose Acquelin, ouvrages qui rappellent Fureur deMexico (1993) de Claude Beausoleil, grand defenseur de la poesie quebecoise al’etranger et precurseur en ce qui concerne sa « mise en relation » avec le monde.

Tout comme il n’est plus possible de parler de Speak White, que MicheleLalonde a recite dans l’effervescence de la Nuit de la Poesie en 1970, sansmentionner sa reecriture plurilingue et multiculturelle dans Speak What ? (1989)de Marco Micone, il faut desormais reconnaıtre les ecrivains des PremieresNations qui s’expriment en francais lorsqu’il est question de l’« indianite » de lapoesie quebecoise. Depuis ses origines, ce corpus comprend des referencesabondantes aux peuples autochtones, references le plus souvent basees sur desstereotypes figes. Que ces images aient ete employees pour juxtaposerCanadiens francais et « Sauvages » ou mises en valeur pour glorifierl’americanite des Quebecois, elles se voient aujourd’hui retravaillees dans lestextes de poetes de merite qui sont originaires des multiples communautesconcernees. Parmi les mieux connus, on retrouve Eleonore Sioui, CharlesCoocoo, Rita Mestokosho, Jean Sioui, Romeo Saganash et Guy Sioui Durand.

C’est peut-etre Amititau ! Parlons-nous ! (2008), un ouvrage consistant detextes echanges entre des ecrivains des Premieres Nations et d’autres, quiincarne le mieux les tentatives recentes de construire des ponts entre lescommunautes et les traditions esthetiques. Cela s’avere egalement revelateur du

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changement structurel qui s’est opere dans la poesie quebecoise vers le debutde ce siecle, lorsque la disparition des mouvements et ecoles a cree lescirconstances pour faire surgir des reseaux de sociabilite plus souples. Lerassemblement des poetes dans un objectif commun se poursuit toujours, maisprend de nouvelles formes : il s’agit plutot d’une « solitude rompue » quirapproche les poetes de facon ponctuelle et qui leur permet de remanier leursliens a la parution de chaque nouveau recueil. Il faudra encore attendre lerenforcement de tels liens pour regrouper ensemble les poetes francophones etanglophones du Quebec, car ceux-ci demeurent assez tranches dans leurssolitudes respectives, malgre quelques tentatives de les rapprocher.

L’americanite se fondait autrefois sur l’affirmation d’une triple nonappartenance : ni francais, ni etasunien, ni canadien anglais. Aujourd’hui cetelement cle de l’identite quebecoise s’exprime en termes positifs : francophone,et nord-americain, et multilingue, et pluriculturel, et ainsi de suite. Il n’est doncpas etonnant que la poesie quebecoise reflete cette evolution dans sadiversification tant esthetique que thematique. Apres avoir traverse une periodeou je me souviens renvoyait le plus souvent a l’enfance, la poesie quebecoisereinterprete de nouveau le sens profond de cette expression pour y lire l’histoirecommune de l’humanite et pour creer un corpus oriente vers l’avenir del’humain. Dans la poesie recente du Quebec, ce n’est ni le cri ni le chant ni lechuchotement qui domine, mais le simple besoin de respirer.

La lecture de tant de recueils nous laisse eblouis et ravis de pouvoirrapporter au lectorat etasunien la vigueur et la richesse soutenue de la poesiequebecoise. Il ne reste plus qu’a esperer que l’assurance et la justesse de sesnouvelles voix permettront a ce corpus encore meconnu de prendre enfin sonenvol aux Etats-Unis.

Notes

1 Dans Defense, Michele Lalonde definit le devoir de l’ecrivain comme celui de« rendre la parole a la collectivite dont il est issu » (165).

2 Voir Gagnon.3 Sur les poetes d’origine haıtienne, voir Vincent Desroches.4 Le vers original de Saint-Denys Garneau s’enoncait ainsi : « Je ne suis pas

bien du tout assis sur cette chaise ».5 Le langage exploreen etait le nom que Claude Gauvreau donnait a ses

glossolalies repondant a l’esthetique automatiste.6 Voir Jean-Simon Desrochers, Thibodeau et de Plourde.7 Le terme est de George Leroux dans L’engagement, recueil qu’il a coedite avec

Pierre Ouellet (8).8 Voir la preface de Dupre (15–16).9 Voir Pratt.

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Alisa Belanger is a doctoral student at the University of California, Los Angeles. She is

preparing a dissertation on Quebecois and Amerindien poetry.

Vincent Desroches is an Associate Professor of French and Francophone Studies at

Western Michigan University. His research interests Quebecois poetry and fiction. He

has recently published on Quebecois and Haitian poetry and cinema. He is currently

working on a book discussing representations of the U.S. in Quebecois cinema.

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