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Anne-Marie THIESSE LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE Les manuels scolaires régionaux de la III o République Mission Rapport final à la du Patrimoine ethnologique Appel d'offre : Les Ecrits du Lieu Juin 1996

LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

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Page 1: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

Anne-Marie THIESSE

LES PETITES PATRIES ENCLOSES

DANS LA GRANDE

Les manuels scolaires régionaux de la IIIo République

Mission

Rapport final à la

du Patrimoine ethnologique

Appel d'offre : Les Ecrits du Lieu

Juin 1996

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La Troisième République française, assurément, a été un temps fort d'affirmation de l'identité nationale. Toutefois la consécration de cette identité nationale ne s'est pas effectuée par la dénégation des identités locales, comme on l'a cru souvent, mais bien au contraire par leur célébration. Loin d'être opposés frontalement, le national et le local ont été désignés comme parfaitement solidaires, le second étant proposé comme fondement du premier. Il ne s'agissait pas seulement d'intégrer le local dans le national, mais bien plus encore de donner le sentiment d'appartenance locale comme mode d'accès privilégié à la conscience nationale. L'intérêt qu'a pu présenter, pour l'élaboration d'un large consensus et le désarmement d'éventuels conflits, une telle représentation de la nation est évident ; mais la question est alors de savoir quelles identités locales ont été construites à cette fin. La thématique régionaliste, omniprésente sous la Troisième République, a engendré un ensemble profus de discours, d'écrits, d'oeuvres littéraires et artistiques, de commémorations et de fêtes qui témoignent d'un intense travail de construction et de représentation des identités locales. Par un paradoxe qui n'est qu'apparent, la synthèse la plus élaborée, en tout cas la plus consciente, de ce grand ouvroir identitaire est fournie par l'institution scolaire. L'Ecole primaire républicaine, qui a parfois été dépeinte comme le théâtre d'un combat sans merci mené par des jacobins acharnés contre les cultures régionales, a tout au contraire cultivé le sentiment d'appartenance locale comme propédeutique indispensable au sentiment d'appartenance nationale. Ce qui impliquait la mise en forme pédagogique d'une représentation du local cohérente avec l'éducation patriotique et, par conséquent, l'élaboration de supports matériels pour cet enseignement. Les manuels scolaires explicitement destinés à faire connaître aux enfants leur "petite patrie" pour mieux les préparer à l'appréhension de la "grande Patrie" ont été nombreux. Résultant d'un dispositif complexe qui insérait dans les pratiques scolaires des représentations du local, scripturales et iconographiques, dont le statut initial pouvait être fort divers, ces manuels ont fourni à leur public-captif enfantin non seulement un savoir sur le local, mais aussi dans le même temps un modèle pour sa description et sa célébration : les exercices proposés aux écoliers soulignaient d'ailleurs expressément cet usage. Par leur patrimonalisation des identités locales, qui ne fut pas dépourvue d'efficacité et qui perdure aujourd'hui - en-dehors, il est vrai, de l'institution scolaire-, par leurs lacunes tout autant, ces manuels scolaires permettent d'observer la constitution d'une identité nationale médiatisée par le local, dans sa force et ses fragilités.

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La France est variété dans l'unité

La production de manuels scolaires à usage local a précédé la Troisième

République et son oeuvre scolaire, elle lui a survécu également puisque des ouvrages de

ce type ont été édités encore dans les années 1960. L'essentiel des entreprises en ce

domaine, toutefois, est concentré sur la période 1871-19441, le gouvernement de Vichy

ayant prolongé, en l'insérant dans l'idéologie pétainiste, le travail accompli sous la

Troisième République. L'accent mis sur la connaissance du local comme préalable à la

véritable connaissance du national, au sein de l'institution scolaire, est en effet une des

conséquences de la nouvelle définition de l'identité nationale élaborée dès les débuts de la

Troisième République et abondamment vulgarisée dans les décennies suivantes.

L'événement (pré)fondateur de la Troisième République, à savoir la débâcle

devant l'Empire allemand et le traumatisme qui en est résulté, ont entraîné un réexamen de

la véritable position du pays en tous les domaines. La suprématie supposée de la France

en matière militaire, économique, culturelle semble désormais illusoire. La France, après

1870, n'est plus perçue par ses dirigeants comme la première des nations, la plus

puissante, la plus avancée. Une nouvelle définition de la France est proposée, plus

modeste, qui établit l'excellence du pays non sur une supériorité en force, ni sur une

précellence en une domaine particulier, mais sur le rassemblement harmonieux de tous les

éléments nécessaires au bonheur humain. Selon la formule de Vidal de la Blache, "la

France a une richesse de gammes qu'on ne trouve pas ailleurs"2. C'est le mélange des

formes, des climats, des ressources naturelles qui constitue le véritable Trésor de la

France. Par conséquent, servir la Patrie, c'est d'abord connaître, faire connaître et

cultiver la merveilleuse diversité du territoire national. Comme le proclamait, dans un

discours enflammé et lyrique en Sorbonne l'universitaire Gaston Paris :

^Pour le département des Deux-Sèvres, Eric Surget a ainsi trouvé 2 géographies départementales avant la Troisième République (1838 et 1863), et 6 pour la période 1874-1931, dont 3 en 1874-75. Cf. Eric Surget, "Géographies départementales des Deux-Sèvres", Bulletin de la Société Historique et Scientifique des Deux-Sèvres, tome I, troisième série, 2° semestre 1993.

2Vidal de la Blache, Tableau de géographie de la France, réédition Tal land icr, 1979, p. 8 (1ère édition 1903). Pour une étude du Tableau de Géographie de la France, voir notamment Jean-Yves Guiomar, "le Tableau de Géographie de la France de Vidal de la Blache", dans Les Lieux de Mémoire (sous la direction de Pierre Nora), Gallimard, 1986.

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"La France (doit) susciter ou ressusciter une image d'elle-même dans toute la

richesse de son infinie diversité, dans toute la puissance de son développement

millénaire, dans toute la fécondité inépuisable de son génie. Cette image, elle se la

doit, elle la doit à la nature, qui a versé sur elle à pleines mains ce qu'ailleurs elle n'a

donné que séparément. Est-ce donc pour rien que nous sommes le pays privilégié

entre tous, qui réunit les climats et les dons les plus opposés, qui voit ses côtes

baignées et par la dure mer germanique et par l'Océan aux horizons sans fin, et par la

mer caressante et tiède où toutes les grandes civilisations se sont mirées et dont les

flots ont enfanté la beauté étemelle ? Est-ce pour rien que nos frontières, même

restreintes, hélàs ! enferment des régions aussi différentes ?"3

Le dithyrambe le plus outré est sans doute celui que livre 1' ouvrage La France,

Anthologie géographique* en s'épanchant longuement sur les prouesses accomplies par

le Grand Géomètre lorsqu'il dessina les contours d'un pays à l'essence et à au destin

exceptionnels :

"Entre toutes les régions du globe, il en est une qui attire invinciblement le

ragard par son heureuse situation, par le rythme harmonieux de ses proportions et la

netteté de ses limites. (...) La symétrie n'est pas moins belle à l'intérieur qu'à

3 Gaston Paris, discours prononcé en Sorbonne le 24 mars 1895 devant les délégués des sociétés départementales de Paris.

4Crozals (J. de), Professeur d'Histoire à la Faculté des Lettres de Grenoble, La France, Anthologie géographique, Paris, Delagrave, 4° édition, s.d. (après 1870), 427 pages, pages citées 2-10.

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- 5 -l'extérieur. Les plus importantes formations géologiques y sont à la fois contrastées

et associées dans un équilibre admirable. (...) La région dont on vient de signaler

l'ordonnance générale n'est pas moins favorisée sous le rapport du climat et des

productions que sous le rapport de la forme ; elle est à l'Europe ce que l'Europe est

au reste du monde : c'est le climat tempéré par excellence (...) Il n'est pas de pays

qui posssède une faune et une flore aussi variées. (...) Les sapins de la Scandinavie

couvrent ses montagnes et les cygnes des mers polaires se baignent dans ses étangs

du nord, tandis que le palmier africain vit en pleine terre sur ses côtes de l'extrême

sud et que le falmat déploie sur les lagunes de ses côtes ses ailes empourprées par les

feux du tropique. (...) Voilà ce qui fait le caractère spécial de la France au point de

vue de la géographie et de l'histoire, ce qui lui assure un rôle distinct dans

l'humanité. (..)5

Telle qu'elle existe aujourd'hui, dans les limites que lui a laissées la fortune des

armes, la France se distingue encore entre toutes les contrées de l'Europe par

l'élégance et l'équilibre de ses formes. Ses contours mouvementés s'harmonisent de

la manière la plus gracieuse avec la solide majesté de l'ensemble et se développent

régulièrement en une série d'ondulations rythmiques6."

Ernest Lavisse, dans son manuel Deuxième année d'histoire de France7, reprend

cette présentation énamourée de la France, nouveau pays de Chanaan où la Nature a

prodigué ses trésors :

"Nous Français sommes très fiers de notre pays, de cette terre privilégiée,

baignée par trois mers, flanquée des deux plus hautes chaînes de montagnes de

l'Europe, baignée par trois mers, arrosée par de beaux fleuves, jouissant de toutes les

nuances d'un climat tempéré, produisant tous les fruits de la terre, ornée de toutes les

fleurs."

Mais cette diversité n'est pas éparpillement dans la différence. L'unité française

est affirmée parallèlement à sa variété, avec tout autant de force. Poussant à l'extrême la

topique micheletienne d'une unité française déployée dans l'Histoire alliée à une

5Op. cit. de Crozals.p. 2-5,, texte emprunté à Henri Martin , Avant-propos de l'Histoire de France.

6Op. cit. de Crozals, p.§-8, texte emprunté à Elisée Reclus, Nouvelle Géographie universelle, tome II.

7Ernest Lavisse, Préface à la Deuxième année d'Histoire de France, 1895.

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- 6 -Géographie de la diversité complémentaire, la nouvelle définition de la nation dit/décrit la singularité des entités locales tout en leur déniant un autre mode d'existence que celui de l'intégration dans le national : pas plus qu'elles ne peuvent dans ce cadre entrer en conflit avec le national, les entités locales ne peuvent être pensées comme conflictuelles entre elles. Bien plus, même, ce discours permet d'articuler sur un nouveau mode la relation de la nation française à l'universel. La puissance économique, démographique, militaire et culturelle de la France du 18ème siècle avait permis l'affirmation d'une vocation française à l'universalité ; mais le constat du déclin n'induit pas le renoncement à cette prétention. Désormais, c'est en vertu du miracle (matérialiste) qui la fait "résumé idéal de tous les pays européens", synthèse merveilleuse de diversités complémentaires et non adverses, que la France est proposée comme fondement de l'universalité.

L'intérêt idéologique de cette représentation de la nation n'est pas seulement de redéfinir l'éminence française au sein des nations : elle a aussi vocation à désarmer les conflits intérieurs. Non pas tant ceux qui peuvent résulter de menées sécessionistes opposant une région à la nation, où à ses voisines : le danger n'est pas nul, mais il est faible. Il n'eût d'ailleurs pas été possible de définir la nation comme "unité dans la diversité" si cette unité n'avait déjà été ancienne et solide. C'est bien plutôt dans le domaine social et politique qu'il s'agit de construire un consensus. L'efficacité du discours sur la nation française comme synthèse harmonieuse de diversités tient en fait à ce qu'il permet de dire la différence en lui déniant toute valeur adversative, et surtout qu'il esquive la question sociale par un déplacement sur le domaine géographique. L'ancienneté du centralisme français concentrant en un même lieu le sommet de la hiérachie des pouvoirs (politique, économique, culturel) a engendré une homologie entre d'un côté la capitale et les positions dominantes en tous domaines, entre l'échelon local et les positions dominées de l'autre côté. De ce fait, le Peuple (au sens social) est assimilé au local. Célébrer le local et souligner sa place comme fondement premier du national, c'est affirmer l'ancrage (républicain) de la Nation dans le soubassement populaire, donner une image harmonieuse et complémentaire des diversités sociales qui sont rabattues, par une transposition elliptique, sur la représentation territoriale. L'événement majeur qui marque les débuts de la Troisième République, à savoir la Commune, a indubitablement pesé sur cette valorisation de la Province et de son peuple -rural- comme France véritable.

Cette rhétorique de l'harmonie nationale déplaçant les différences sociales sur l'espace territorial est particulièrement mise en avant dans ce qui fut la dernière grande mise en scène de l'identité française avant la seconde débâcle, celle de 1940 : lors de

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- 7 -l'Exposition internationale qui se tint à Paris en 1937, dans une période de crise économique et sociale majeure , la France fut présentée au monde sous les auspices du régionalisme. Inaugurant le Centre régional de l'exposition, qui offrait aux visiteurs un ensemble de pavillons représentant les diverses régions françaises dans un ensemble construit et cohérent, le Commissaire général de l'Exposition s'exclamait :

"L'Exposition de 1937 présentera aux yeux des visiteurs la France des métiers et des arts, la France des fêtes et des jeux, la France des chansons et des poèmes, la France des paysages. Et ainsi, tout en servant la cause de la province, elle symbolisera l'union de tous les Français."8

Mais on voit bien que ce discours de la naturelle et symphonique intégration des composantes de la nation dans leur diversité, s'il n'est pas dépourvu d'efficacité, présente aussi des fragilités qui le rendront facilement récupérable par l'idéologie pétainiste. Gagé sur le merveilleux don primordial de la diversité des sols et des climats, il ne rend compte que fort peu, et fort mal, des transformations induites par la modernité. Il ne néglige pas la dimension historique de la construction de la nation, mais il ne la mène guère au-delà du 19ème siècle et surtout ne lui donne aucune autre perspective d'évolution que la conservation de l'état bienheureux (et mythique) de communautés à peine effleurées par l'industrialisation. Et c'est plutôt sur le mode de la déploration que s'énoncent les propos concernant le présent : l'exode rural, la dépopulation des campagnes paraissent autant de menaces contre la cohésion harmonieuse du territoire et de trahisons portant atteinte à l'essence de la nation. Le monde ouvrier, parfois stigmatisé comme dégénérescence fâcheuse du corps national, est le plus souvent absent des discours sur l'unité nationale, par une mise à l'écart on ne peut plus radicale. Par conséquent, les centaines de milliers d'étrangers, venus en France essentiellement comme ouvriers industriels ou commerçants urbains, et qui font l'objet d'une intégration defacto dans la nation sous la Troisième République, sont exclus du discours sur l'identité nationale.

Mais ce n'est pas parce que de larges couches de la population n'ont pas, dans leur statut ou dans leur évolution, de place dans ce discours qu'elles ne se l'approprient pas, peu ou prou. L'acceptation large d'une représentation de la nation qui ne correspond

8Edmond Labbé, le Régionalisme et l'Exposition Internationale de Paris, 1937, Paris, brochure Imprimerie nationale, 1936

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- 8 -pas à sa réalité sociale et économique est sans doute le plus commun des phénomènes

idéologiques. Dans le cas présenté ici, l'adhésion à une construction illusoire mais

consensuelle de la nation a probablement permis de médiatiser, en différant son

appréhension, un bouleversement radical de la vie sociale et économique. D'autre part,

on peut constater que ce discours sur l'identité nationale n'a pas vraiment, en son temps,

été concurrencé par une autre représentation de la nation qui fût susceptible d'emporter

une large adhésion. Lorsque les mouvements politiques soucieux d'une prise en compte

effective du monde ouvrier et urbain sont amenés, sous la Troisième République, à

valoriser l'idée nationale, ils se réfèrent alors à ce même modèle de célébration de la

diversité nationale, y compris dans sa version la plus pittoresque. Le Congrès d'Arles du

Parti communiste, en 1935, fait ainsi usage d'exhibitions de folklore pour manifester 1'

ancrage du mouvement dans la nation française. C'est pourquoi il faut se garder

d'assigner ce discours sur l'identité nationale à une formation idéologique ou politique

précise : il s'agit là bien plutôt d'un fonds général, d'un lieu commun, plus ou moins

utilisé selon les circonstances par les diverses représentations de la société française.

La petite patrie comme premier amour

La célébration du local dans l'institution scolaire de la Troisième République

s'inscrit en outre dans une réflexion d'ordre pédagogique. Chargés de concevoir un

apprentissage du sentiment patriotique dans le cadre d'un enseignement de masse, les

responsables de la hiérarchie scolaire estiment que le public populaire enfantin qu'ils

doivent éduquer est peu apte à l'abstraction. Il leur paraît qu'un pragmatisme raisonnable

passe par l'appréhension des entités de Patrie et de Nation sous une forme vivante et

concrète. Comme l'exprime l'auteur du plus célèbre manuel scolaire de la Troisième

République, le Tour de France par deux enfants, dans sa préface ;

"On se plaint continuellement que nos enfants ne connaissent pas assez leur

pays : s'ils le connaissaient mieux, dit-on avec raison, ils l'aimeraient encore

davantage et pourraient mieux le servir. Mais nos maîtres savent combien il est

difficile de donner à l'enfant une idée nette de la patrie, ou même simplement de son

territoire et de ses ressources. La patrie ne représente pour l'écolier qu'une chose

abstraite, à laquelle, plus souvent qu'on ne croit, il peut rester étranger pendant une

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- 9 -asscz longue période de la vie. Pour frapper son esprit, il faut lui rendre la patrie visible et vivante. (...)"^

Et les deux héros juvéniles de ce roman scolaire que lurent des millions d'enfants

de la Troisième République, fuyant Phalsbourg arrachée à la France par les Prussiens,

parcoururent avec émerveillement le pays et ses richesses ; au terme de leur itinéraire, ces

deux enfants de la ville trouvèrent un foyer et un métier en s'installant dans une ferme. Ce

modèle de parcours-inventaire de la France devait avoir de nombreuses imitations dans

les décennies suivantes : toutefois une autre démarche était assez vite proposée, centrée

non sur le recensement des diverses composantes locales, mais sur l'exploration

approfondie de la réalité immédiate de l'enfant. Il s'agissait de prendre pour base des

connaissances le lieu même habité par l'enfant et développer chez ce dernier l'amour et la

fierté de sa petite patrie pour lui permettre d'étendre ensuite ces sentiments à la "grande

patrie". Comme le déclarait dès 1872 Michel Bréal :

"Je voudrais que l'enseignement géographique prît pour point de départ le lieu

même que l'enfant habitc.Quand les enfants connaîtront ce qu'au-delà du Rhin on

nomme la "patrie étroite", le moment sera venu de leur montrer la grande patrie. (...)

J'y voudrais surtout des faits et des renseignements qui fissent voir de quelle façon

chaque partie de la France contribue à la grandeur et à la prospérité de l'ensemble.

(...) Au lieu d'un patriotisme abstrait, dont il serait périlleux de tout attendre à

l'heure du danger, nous aurons un patriotisme éclairé, reposant sur l'amour que se

portent des provinces qui se connaissent et s'apprécient"10

Traduction approximative du terme allemand Heimat, le vocable "petite patrie"

fleurit en abondance sous la Troisième République. La petite patrie est un espace aimable

et protecteur, intermédiaire entre la famille et la société, dans Iesquel l'individu s'épanouit

et se développe : par ses connotations maternelles elle se distingue de la grande patrie,

également féminine, certes, dans l'appellation, mais plus altière, plus guerrière, plus

"G. Bruno, Le Tour de France par deux enfants, 1ère édition 1878.

10Michel Bréal, Professeur au Collège de France, Quelques mois sur l'Instruction publique. Hachette, 1872, p. 88-93.

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- 1 0 -virile en dernière instance. L'amour pour la petite patrie est déclaré naturel, comme celui

de l'enfant pour sa mère, l'amour de la grande patrie résultant en revanche d'un

processus éducatif. Il paraît donc logique de s'appuyer sur l'un pour élaborer l'autre.

Mais on peut s'étonner alors que les pédagogues insistent fortement sur la nécessité de

développer la connaissance de la petite patrie pour susciter chez les enfants des sentiments

à son égard. Cest que le raisonnement, parallèle à celui tenu dans l'éducation morale à

propos des sentiments des enfants pour leurs parents, suppose que l'amour, pour être

spontané et naturel, ne doit pas moins être éclairé par la connaissance. En définitive,

l'initiation à la petite patrie pratiquée dans l'enseignement primaire sera

constamment présentée sous le double signe du sentiment effusif et de

l'acquisition ordonnée de savoir. La circulaire adressée en 1911 par le Ministre de

l'Instruction Publique Maurice Faure aux Recteurs d'Académie pour les inciter à faire

enseigner l'histoire et la géographie locales développe ainsi longuement les nécessités de

la connaissance et de l'attachement affectif à la petite patrie :

"C'est un fait malheureusement trop certain que la plupart des élèves et un trop

grand nombre des Français ignorent presque entièrement tout ce qui a trait à la

géographie et à l'histoire de la commune, du département où ils sont nés et de

l'ancienne province dont ce département faisait panic avant la Révolution. Il y aurait

cependant le plus sérieux avantage à ce que tous connussent bien la physionomie

particulière de la terre natale, ses ressources, les coutumes ci les moeurs de ses

habitants, leurs traditions, contes, proverbes, légendes, le rôle qu'elle a joué dans le

passé, les citoyens éminents qu'elle a enfantés. (...)

On est d'autant plus attaché à son pays qu'on a de plus nombreuses raisons de

l'aimer, de s'y sentir en quelque sorte solidaire des générations disparues, et l'amour

du sol natal, comme je le disais à la Chambre des Députés, est le plus solide

fondement de l'amour de la patrie." ' '

La célébration de la petite patrie et de ses charmes relève aussi du discours de

déploration constamment réitéré à propos de l'exode rural et des transformations induites

Circulaire du Ministre de l'Instruction publique aux Recteurs d'Académie (25 février 1911).

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-11 -par l'industrialisation : les écoliers sont exhortés à ne pas envisager d'autre avenir que localement, dans la continuité d'une tradition rurale et artisanale que la modernisation doit perfectionner et non effacer. Il s'agit notamment, pour les responsables de l'Instruction, de faire pièce aux accusations portées contre l'école primaire qui, en supplantant l'éducation familiale et la transmission des savoirs, détournerait les enfants de leur milieu d'origine. Or, surtout dans les premières décennies de la Troisième République, la hiérarchie scolaire aussi bien que les instituteurs sont soucieux de ne pas provoquer de rupture entre les familles et l'institution scolaire publique, la paix sociale et la réussite de l'école laïque étant à ce prix. De surcroît, l'acquisition de connaissances sur l'espace local, et leur transmission, peut être perçue par les personnels de l'institution scolaire comme garantes de légitimité : l'instituteur érudit en matière d'histoire et de géographie locales se pose comme détenteur privilégié du savoir de/sur la communauté dans laquelle il évolue.

Le local comme champ privilégié de l'érudition "primaire"

Il importe aussi de souligner que l'investissement dans l'érudition locale permet également de satisfaire les appétits intellectuels d'enseignants ayant le goût du savoir et ayant bénéficié dans les Ecoles Normales d'une certaine initiation aux méthodes d'acquisition des connaissances. De nombreux instituteurs primaires investissent le champ des recherches locales tenu au XIXo siècle par les "notables" (propriétaires terriens, clercs, médecins, etc.). Entrant dans les associations locales anciennes (Sociétés littéraires, artistiques et scientifiques des départements) ou nouvelles (Syndicats d'initiative, par exemple), les instituteurs se mettent à produire des études et des monographies locales. Cette orientation spontanée rencontre l'approbation de la hiérarchie scolaire qui l'encourage régulièrement ; elle correspond de fait à un découpage implicite des champs d'investigation de la recherche qui associe le local (et le populaire) à l'enseignement du premier degré, la culture légitime et le national relevant du second degré, tandis que l'enseignement supérieur doit opérer la synthèse entre l'un et l'autre. Le grand concours national de monographies scolaires, en 1900, avait constitué une première consécration officielle de la recherche menée par les maîtres d'école. La circulaire ministérielle de 1911 salue à nouveau le travail effectué par les instituteurs pour inciter à son soutien actif :

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- 12-"Vous ne sauriez trop encourager, Monsieur le Recteur, la rédaction de

monographies communales, qui a pris un si rapide cl si heureux développement en

ces dernières années. Ces monographies sont ducs à des auteurs très divers, mais

principalement à des maîtres de renseignement primaire.

Nos instituteurs, d'ailleurs, en raison même do leurs fonctions, sont

particulièrement désignés pour entreprendre cl mener à bonne fin d'intéressants

mémoire d'histoire locale. Le plus souvent, en effet, ils sont secrétaires de mairie cl,

comme tels conservateurs des archives communales. (...) Les archives municipales

seront certainement appelées à tirer grand profit d'une (...) organisation qui serait

peut-être longtemps attendue si l'instituteur ne prenait l'initiative de recherches

historiques locales."

Et le Ministre prend le même jour un arrêté attribuant des récompenses (palmes

académiques et médailles) pour les instituteurs et institutrices qui "soit par leurs leçons,

soit par leurs recherches et publications, auront le plus utilement contribué à

l'enseignement de l'histoire et de la géographie locales." Peu après est créée une "Société

des Etudes locales dans l'enseignement public", dont le siège est à Paris, et dont la

finalité est placée sous le signe de la circulaire du 25 février 1911. Elle doit :

"encourager les études d'inlérêt local parmi les membres de renseignement,

publier des bibliographies critiques d'histoire, de folklore, de géographie, de

philologie régionales (...)." .

Les moyens d'action développés sont l'établissement de bibliographies, le prêt

d'ouvrages et des mises en contact des normaliens avec les archivistes, bibliothécaires et

"les maîtres de l'enseignement supérieur, qualifiés, pour leur enseigner les éléments de la

science, des archives et des bibliothèques, et les principes de la méthode critique." La

Société, en outre, se propose de publier des ouvrages destinés à l'enseignement du savoir

local. Le dispositif, on le voit, tend à doter les enseignants primaires engagés dans les

études locales d'une solide formation méthodologique en lien avec la modernité

universitaire. Les universitaires les plus éminents figurent d'ailleurs dans l'organigramme

de la Société : alors que Vidal de la Blache et Lavisse figurent au Comité d'Honneur, on

retrouve au Bureau et dans les Commissions (propagande, publications scientifiques,

publicatins pédagogiques) les plus hautes sommités de l'Université de l'époque : Ch. -V.

Langlois (Sorbonne), Camille Jullian (Collège de France), Lucien Gallois (Sorbonne),

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- 1 3 -Christian Pfister (Sorbonne), Mario Roques (Ecole des langues orientales), Léon

Pélissier (Montpellier). Ils côtoient divers Inspecteurs d'Académie (dont Emile

Blanguernon, futur auteur de plusieurs manuels locaux), le directeur de l'Ecole de Saint-

Cloud, quelques archivistes départementaux et Charles Beauquier, député radical du

Doubs et président de la Fédération régionaliste française. Assez vite se constituent des

groupes locaux, sur une base départementale, qui organisent des enquêtes, publient des

bulletins ou des opuscules12. La Première Guerre mondiale suspend leur activité, mais

beaucoup reprennent avec le retour à la paix13. La vitalité de ces groupes est assez forte

pour susciter l'envie des érudits ecclésiastiques : dans son ouvrage L'Histoire locale -

Moyen d'Apostolat rural14, l'Abbé Maurice, curé de Fresquienne (diocèse de Rouen),

incite ses pairs à former l'équivalent clérical de la Société des Etudes locales de

l'Enseignement public :

12Cf. cette lettre de Maurice Faure à un ami journaliste, datée du 12 mai 1914 et publiée dans l'Action régionaliste de juin-juillet 1914 : "Mon cher ami,

Je suis de tout coeur avec vous, convaincu qu'il est d'un intérêt véritablement national de ne pas laisser à l'état de lettre morte, dans quelques départements, ma circulaire du 25 février 1911, relative à l'enseignement de l'histoire et de la géographie locales à l'école.

Déjà, un admirable mouvement s'est produit en faveur de cet enseignement dans la plupart de nos départements, et nombreuses sont les monographies ou études diverses qui lui sont ducs. Mais il importe de réagir contre certaines mauvaises volontés d'anti-provincialisants oulrancicrs, très hostile à tout ce qui leur apparaît comme entaché d'esprit régionaliste.

Entreprenez une vive campagne et je la seconderai de tout mon pouvoir. Vous serez très cordialement aidé, j'en suis sûr, par les Sociétés déjà constituées pour encourager

l'enseignement de l'histoire locale, et notamment par la Société des Etudes locales, fondée par M. Joanny, inspecteur primaire à Chateaubriand et présidée d'abord par M. Langlois, directeur des Archives nationales. Cette société, qui compte plus de 4 000 membres, a établi plusieurs comités départementaux très actifs, notamment à Lille et à Lyon. Celui de Lyon, présidé par M. Klcinclausz, professeur à la Faculté des Lettres de cette ville et président actuel de la Société, organise, à l'occasion de l'exposition, un congrès de l'Histoire locale, dont je dois présider la séance d'ouverture. (..) Le congrès aura lieu les 4,5 et 6 aût. Les productions de 32 groupes (bulletins, bibliographies, manuels, monographies, etc.) seront centralisées à l'exposition de Lyon."

Il paraît à Montélimar une revue d'histoire locale, le Bassin du Rhône, ires bien conçue, sous la direction de M. Anfos Martin, inspecteur primaire.

13La Société des Etudes locales dans l'enseignement public, groupe du Tarn-el Garonne public dès 1920 un opuscule : Documents historiques sur Bourret, ancien pays et jugerie de Rivière-Verdun, par Victor Malrieu, Montauban, Librairie Masson. Le groupe de la Haute-Loire public en 1925 une étude de son vice-président, C. Fabre, ancien directeur de l'Ecole Normale de la Haute-Loire : La Haute-Loire, précis d'Histoire et Bibliographie historique. Le Puy, Imprimerie La Haute-Loire.

14Abbé a. Maurice, L'Histoire locale - Moyen d'Apostolat rural - Justifications cl méthodes. Préface de J. de Pesquidoux, Lettre de Victor Bettencourt, Président de l'Union Catholique de la France Agricole, Fécamp, Durand et fils, imprimeurs-éditeurs, 1937,70 pages.

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- 1 4 -"Lc groupe de la Seine-Inférieure, qui fui fondé en 1912 par M. P.-D.

Cusson1^, inspecteur de l'Enseignement primaire, compte aujourd'hui pas moins de

525 membres qui, sauf quelques exceptions, appartiennent tous à l'enseignement

officiel (...). Prenons le dernier bulletin paru. Il comporte 246 pages. Nous y

trouvons d'abord une Enquête sur les pauvres dans la Haute-Normandie en 1775. M.

Dubuc, un tout jeune instituteur-adjoint à Boisguillaume, avec laquel nous nous

sommes rencontrés souvent aux Archives départementales est l'auteur de cet

important travail. (...) Dans le môme bulletin, nous trouvons ensuite un autre sujet

d'histoire religieuse "le clergé des paroisses rurales du canton d'Eu pendant la

Révolution", par M. J. Vacancard, directeur d'école honoraire. (...) Plus loin c'est la

publication du Cahier de doléances de Dévillc-Ics-Rouen pour les Etats généraux de

1789 par M. R. Eude, autre instituteur. (...) Honneur à ces historiens consciencieux,

exacts, impartiaux, qui ne se laissent point influencer par un esprit sectaire et se

veulent garder indépendants pour mieux respecter la vérité historique ! Il nous est

agréable de rendre justice aux membres de cette Société qui se dévouent aux

recherches historiques (...) Devons-nous laisser aux seuls instituteurs de

faire connaître l'histoire de nos villages, de nous narrer l'action que

l'Eglise y exerça ? A en juger par la manière dont ils l'abordent, on pourrait se

fier à leurs découvertes. Mais en plein règne de laïcisme, avouons que la confiance

risque de s'avérer présomptueuse un jour ! N'est-ce pas un devoir, insistons-nous,

pour le clergé rural de s'intéresser aux recherches historiques ? Ne doit-il pas craindre

que les ouailles n'estiment l'instituteur plus savant que le curé ?"16

L'abbé Maurice avance en fait deux motifs assez différents de développement des

études locales dans le monde ecclésiastique : le premier se réfère à "l'utilité des recherches

historiques pour procurer au Peuple des lectures qui l'attachent davantage à sa Terre, à

^Dès 1888, Cusson avait été co-auteur, avec Gaillard, d'un manuel de Géographie (et histoire) du département de Seine-Inférieure, dont la préface indiquait que les auteurs avaient voulu adapter pour l'ensignement les géographies erudites déjà existantes. Ils soulignaient que la connaissance de la terre natale devait développer l'amour qui lui était dû. "Si l'étude de la géographie, en général, nous intéresse et peut nous profiter, combien nous est plus indispensable encore celle de notre région, où nous avons plus particulièrement nos relations d'affaire, nos débouchés, nos marchés d'approvisionnement, etc. etc. Et puis, connaître son département, son canton, sa commune, n'est-ce pas aussi les aimer mieux et s'y attacher plus encore ?"

6 Abbé Maurice, op. cit., p. 34

Page 15: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 1 5 -son clocher, lui fassent aimer les vieilles traditions du pays."17 Le second, moins

attendu, évoque la difficulté, par temps de déchristianisation, d'aller au Peuple et

d'aborder directement avec lui la question religieuse : entrer en matière par l'histoire

locale semble être un moyen plus efficace. "Allons au peuple avec l'histoire du pavs

natal. Nous sommes sûrs alors de le toucher : l'histoire locale peut et doit devenir un

moyen d'apostolat."18. Déclaration un peu naïve, assurément, mais qui montre bien que

le discours sur le local est enjeu social et vecteur d'un discours à portée autrement plus

large».

C'est très précocement, dès leurs années de formation, que les enseignants

sont poussés à entreprendre des études locales. Collectes de chants, contes et proverbes,

relevés de monuments historiques et observations géographiques sont au programme ...

des vacances censées ramener les élèves-maîtres dans leurs "petites patries". Les résultats

donnent lieu à des monographies, individuelles ou collectives qui peuvent éventuellement

être récompensées lors de concours idoines.20Il n'est pas rare que s'éveillent ainsi des

vocations, comme en a témoigné, par exemple, un collecteur de chansons angevines

faisant remonter sa passion pour les airs populaires à un premier pensum scolaire :

"Il y a trente ans (c'est-à-dire en 1896), mon directeur d'école donnait à ses

élèves le devoir de vacances suivant :

Io Recueillir les contes, légendes, traditions, chansons populaires et anciennes,

noöls, etc. ayant cours dans votre pays, ayant ou non un caractère local ;

2° Enumérer les préjugés et les superstitions ;

3° Faire un glossaire des expressions patoises ou patoisantes en remontant ou

non à l'étymologie.

17Abbé Maurice, op. cit., p.XI

18Abbé Maurice, op. cit., p. XVI. Souligné par l'auteur. Notons que le dernier chapitre de l'ouvrage, insistant une ultime fois sur le message, s'intitule : "L'histoire locale sert bien la cause de la Religion et de la Patrie."

19Cf. Francine Muel

20Cf. Jean-François Chanet, L'Ecole Républicaine et les petites patries, Thèse d'Histoire, Paris-1,1994. Consulter plus particulièrement les pages 1242 à 1250.

Page 16: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 1 6 -C'était nouveau pour tous, nouveau surtout pour moi qui apprenais à parler

"pointu" à la mode de la ville. Aussi, avec toute l'ardeur de mes dix-huit ans,

j'accumulai sans ordre les mots patois, les chansons de toutes sortes (les

croustillantes de préférence), les contes magiques et merveilleux du père Barreau

(...), les vieux dictons, les remèdes de 'sourciers' et je présentai, à la manière des

brocanteurs, un ramassis assez imposant de notes hétéroclites. Cette première

cueillette me donna le goût des 'vieilleries' et je continuai à glaner les vieux airs et

la poésie populaire dans différents milieux de l'Anjou."21

Cet exemple n'est assurément pas généralisable à l'ensemble du corps enseignant

de la Troisième République, mais il n'en demeure pas moins que la pratique des études

locales y a connu une extension sous-estimée ultérieurement : heureusement la

remarquable étude de Jean-François Chanet 22a permis récemment de corriger cette sous-

évaluation.

Il n'est donc pas étonnant que les manuels scolaires portant sur le local aient été

nombreux et que les auteurs en aient été généralement des membres du corps enseignant.

La question est bien plutôt de savoir si cette production abondante, répartie sur

l'ensemble du territoire et correspondant à une période de plusieurs décennies, est

déterminée par l'homogénéité professionnelle de ses auteurs ou bien si elle est la mise en

oeuvre de discours différenciés sur le local et le national.

21François Simon, préface à Chansons populaires de l'Anjou, recueillies et notées par F. Simon, Angers, Bruel, 1926, p. XI-XII.

22Jean-François Chanet, op. cit., passim

Page 17: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-17-

Manuels scolaires et identités locales

Si l'enseignement des mathématiques à l'école primaire a pu faire l'objet de quelques adaptations régionales (dans le cadre d'énoncés de problèmes faisant référence à des usages locaux), c'est bien évidemment dans le cadre d'autres disciplines qu'ont été élaborés les savoirs locaux : histoire, géographie ou français23. Les manuels scolaires dont il sera question ici portent donc sur ces disciplines, présentées séparément ou conjointement. Nombre de manuels de géographie, en effet, présentent en deuxième partie un exposé historique ; d'autre part, des manuels de lecture destinés à servir de support à l'enseignement de la langue et de la littérature offrent aussi des textes géographiques et historiques. Il semble que les goûts et les compétences des auteurs soient déterminants pour le caractère généraliste ou spécialisée de la publication.

Les manuels scolaires à usage local semblent de prime abord d'une grande diversité. Il existe bien des collections editoriales qui annoncent le projet de couvrir l'ensemble du territoire, mais dans la quasi-totalité des cas l'entreprise n'est pas parvenue à terme. Deux exceptions au moins doivent être mentionnées. La première concerne des publications des éditions Delagrave, datant des des années 1875-1880 : elles s'intitulent Lectures courantes des Ecoliers français à l'usage des écoles des deux sexes, par Caumont, et ont pour compléments le Troisième Livre de Géographie, par E. Levasseur et G. Niox.il s'agit en fait de manuels "nationaux" comportant un chapitre intitulé "Notre département". Ces manuels ont donc des éditions départementales qui ne varient entre elles que pour une partie bien définie. Le second cas est une série de Géographies départementales, couvrant l'ensemble de la France métropolitaine, l'Algérie, la Tunisie et les colonies françaises (en fait, Martinique, Guadeloupe, Réunion, Indes françaises et Madagascar). Cette collection, lancée dans les années 1880 chez Guérin, Nicolle et Cie, est encore rééditée, avec quelques remaniements et par un nouvel éditeur (Lesot) dans les années 1930 ; les ouvrages sont des brochures d'une dizaine de pages seulement,

2 3 II ne semble pas que l'enseignement de sciences naturelles ait fait l'objet d'enseignements localisés -la question de la géologie locale étant prise en charge par l'enseignement de la géographie. Quant à l'enseignement de l'agriculture, qui a subi de fortes variations selon les périodes et les régions, il a été décidé de ne pas le prendre en considération ici.

Page 18: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 1 8 -illustrées de cartes administratives, et rédigées par des directeurs d'Ecole normale et des

inspecteurs primaires.

Pour la plupart des manuels, l'initiative est locale, de même que l'éditeur. Les

auteurs sont généralement des enseignants : instituteurs, professeurs d'Ecole primaire

supérieure, d'Ecole Normale ou de lycée, ou des inspecteurs d'Académie. Il est fréquent

que l'ouvrage porte plusieurs signatures et que les remerciements rendent hommage à

l'aide apportée par des collègues, ce qui indique l'existence de réseaux professionnels

d'étude du local. Mais les remerciements mentionnent aussi souvent le soutien actif

apporté par d'autres réseaux locaux : syndicats d'initiative, ingénieurs des Ponts-et-

Chaussées, sociétés archéologiques ou littéraires, revues etc.. Les Conseils généraux,

dans plusieurs cas, ont aidé par une souscription la publication, qui est faite généralement

par un libraire-éditeur local, ou par un quotidien régional. Dans plusieurs cas, il est

indiqué que la vente des ouvrages se fait au profit des Pupilles de l'Ecole Publique.

A considérer la présentation matérielle de ces manuels, il est clair qu'il n'existe

aucun modèle officiel : les formats, les mises en page, l'ampleur même des volumes

varient considérablement puisqu'on trouve aussi bien des opuscules d'une dizaine de

pages que de copieux livres dépassant les 500 pages, des in-4° que des in-8° ou même des

in-12°. La conception des ouvrages, de même est fort variable, puisqu'on trouve des

publications où le texte est constitué essentiellement par l'auteur (les auteurs) du manuel,

tandis que d'autres sont surtout des anthologies, le mélange - dans des proportions

diverses- des textes d'auteurs et des textes cités étant le cas fréquent. Souvent, mais ce

n'est pas la règle absolue, des exercices sont proposés aux écoliers24. La diversité

formelle, toutefois, va de pair avec une forte cohérence des discours tenus, dont le

fondement est la conception des rapports entre petite et grande patrie.

240n peut signaler un cas au moins de manuel d'histoire locale, réédité dans une présentation plus luxueuse et sans appareil pédagogique, pour servir de livre de prix. Il s'agit de l'ouvrage de Risson (F.), Inspecteur primaire au Havre et Lechevalier (A), Instituteur à Cuvervillc en Caux, Etude géographique sur le Département de Seine-Inférieure (cours moyen- supérieur des Ecoles primaires), s.l.; s.d. (circa 1905-10 ). La réédition en livre de prix est faite à Paris, par la Société d'Edition et de publication Juven, collection Notre Belle France. La reliure rouge est omée d'une Normande en coiffe.

Page 19: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 1 9 -La Patrie française et les poupées russes

Le manuel Lectures courantes des écoliers français 25de Caumont présente, on l'a

signalé, un chapitre variable consacré au département, lequel s'insère dans le volume à

une place significative. La table des matières offre en effet la succession : la Famille, la

Maison, le Village, Notre Département, Notre Pays. Par élargissements successifs,

l'enfant va du cercle le plus immédiat vers l'espace le plus vaste26. Cette démarche

répond au souci pédagogique de partir du connu et du concret pour aller progressivement

vers l'inconnu et l'abstrait, mais ce système d'inclusion successive permet aussi de

transposer à chaque étape le mode d'appréhension affective et morale attaché à la

première. L'amour du citoyen pour la Patrie doit être, au terme d'un processus

d'agrandissement et de maturation, analogue à celui de l'enfant pour sa famille ;

l'attachement à la France se développe à partir de l'attachement de l'écolier pour son sol

natal27. La hiérarchie de l'enseignement primaire ne cessera de le répéter pendant

plusieurs décennies, notamment à travers les préfaces rédigées par les Inspecteurs

d'Académie pour les manuels locaux.

Dès 1891, la préface de l'Histoire de la Bretagne 28rédigée par Ch. V. Langlois,

et présentée "comme complément pour les écoles des cinq départements bretons de

25CAUMONT, Lectures courantes des écoliers français, Paris, Delagravc, s.d. (circa 1875-1880 ), 350 pages.

26Cf. la méthode mise en oeuvre dans le manuel de LAVOILLE (G.), Professeur d'Ecole Normale, Notice géographique et historique illustrée du Département de la Haute-Marne, cours de géographie R. Blanchard et D. Faucher, Librairie Gedalge, Paris, 1928, 40 pages. Le manuel s'ouvre par une série de pages blanches sur lesquelles l'écolier doit tracer successivement les cartes : de la salle de classe, de l'école, du quartier, de la commune, du territoire communal, du canton, avant de découvrir, déjà imprimée, la carte du département.

2 7 La formule suscite d'ailleurs des imitations hors frontières. Cf. G. de Montcnach : "le peuple a besoin d'une petite patrie pour mieux aimer la grande, pour la comprendre" dans L'éducation nationale dans ses rapports à la tradition, la région et la beauté, Fribourg, 1916, p. 19 cité dans Diana Le Dihn, le Heimatschutz., Lausanne, Université de Lausanne, coll. d'Histoire sous la direction du professeur Jost, 1992.

28Langlois (Ch.V.), Agrégé d'histoire, docteur es lettres, chargé de cours à la Faculté des lettres de Paris, Histoire de Bretagne, à l'usage des classes élémentaires des lycées et des collèges et des élèves qui recherchent le certificat d'études primaires, Paris, Colin, 1891,108 pages.

Page 20: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 2 0 -l'Histoire de France de M. Ernest Lavisse", affirme longuement que la France est

synthèse enchantée des petites patries, chantant à l'unisson la gloire de la Patrie :

"La France est une et indivisible, mais elle est composée de parties qui ont leur

unité. Nous sommes Français, mais nous sommes aussi Bretons, Normands,

Picards, Flamands, Lorrains, Bourguignons, Provençaux, Languedociens, Gascons.

Nous avons tous une petite patrie dont nous aimons les paysages familiers, les

costumes, les coutumes, l'accent, et dont nous sommes fiers. Aimer cette petite

patrie, rien n'est plus légitime, rien n'est plus naturel, rien n'est plus propre à

fortifier l'amour de la France, notre patrie commune.

La grande voix de la France, qui a toutes les inflexions, depuis les plus douces

jusqu'aux plus puissantes, est faite de voix distinctes, qui chantent à l'unisson.

Chacune de nos vieilles provinces joue sa partie dans ce concert, et contribue à

l'harmonieuse perfection de l'ensemble. Enlever la Bretagne, ou la Normandie, ou la

Gascogne, à la France, ce serait mutiler non seulement son territoire, mais aussi son

génie. C'est pour cela que la perte de l'Alsace-Lorrainc a été une si grave atteinte à

l'intégrité de la patrie.

Chacune de nos vieilles provinces a de glorieuses annales qui lui sont propres,

mais qui contribuent cependant à la gloire de la France entière. Etudions-les pour

avoir plus de raisons encore d'être atttachés au sol natal, pour nous rendre mieux

compte de la place et de l'importance de notre 2^pays dans l'ensemble du Pays.

Des notions d'histoires (sic) provinciale sont donc le complément nécessaire de

l'histoire de France."

Quatre décennies plus tard, l'Inspecteur d'Académie en poste à Bordeaux, dans

sa préface aux Visages de la Gironde (1934) énonce avec un lyrisme fougueux cette

conception des inclusions successives qui mène de l'amour du sol natal à celui de la

France et même de l'Humanité toute entière :

29En italique dans le texte.

Page 21: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 2 1 -"Ainsi l'enfant de chez nous retrouvera à l'Ecole cette nature qui lui est familière et

qui imprègne déjà mystérieusement toute son existence. Il y prendra de plus en plus

conscience de sa race et de son pays. Les connaissant mieux, il les sentira plus

beaux et plus dignes de son affection ; il prendra peu à peu la fierté d'être de chez lui

; il verra grandir en lui, pour la terre de ses ancêtres, un amour qui, pour être de plus

en plus raisonné, n'en deviendra que plus fervent.

Il n'est pas à craindre qu'à trop fréquenter les siens il verse dans je ne sais quel

nationalisme local, dans je ne sais quel orgueil grossier, qui glisserait ensuite

rapidement dans le ridicule et, chose plus grave, risquerait bientôt d'être aussi

agressif que mesquin. Bien au contraire : par une conséquence qui n'est contradictoire

qu'en apparence avec le dessein poursuivi, il élargira son coeur et son esprit bien au-

delà des limites du pays familier. (...)

(Nos écoliers) apprendront par là qu'être Girondin, c'est d'abord sans doute être

Aquitain ou Gascon, mais c'est aussi participer à la grande communauté française, et

même à la grande communauté humaine. La connaissance de leur histoire

particulière leur montrera par les faits les relations qui, dans tous les temps, ont uni

leur région aux diverses parties de l'Europe et du monde. Et il sera démontré une fois

de plus que l'amour du sol natal, quand il est intelligemment cultivé, loin de rétrécir

le coeur, le fait rayonner sur la terre entière."-*0

L'Inspecteur d'Académie des Hautes-Pyrénées, dans sa Lettre-préface aux Glanes

Bigourdanes, lectures d'histoire locale, mêle également pédagogie du concret et nécessité

d'enracinement du sentiment national dans le cadre familier :

"(Ce recueil) n'est pas seulement un hommage rendu aux vertus de la race et au

labeur des fiers ancêtres : à travers les événements dont au cours des siècles

3 0 Préface de S. Jolly (p. XXVI-XXVII) à GOT (Armand), instituteur, co-dircctcur de la Renaissance Provinciale, Visages de la Gironde, Livre de lectures du Pays Girondin, Bordeaux, Editions Delmas, 1934, 523 pages, Préface d'Anatole de Monzie, Introduction de O. Auriac, Inspecteur général de l'Instruction publique, Avant-propos de S. Jolly, Inspecteur d'Académie de la Gironde, ouvrage publié au profit de l'oeuvre des Pupilles de l'Ecole publique de la Gironde.Réédition 1956, même lieu, même éditeur, 335 pages, préface de Paul Mareille, Inspecteur d'Académie de la Gironde

Page 22: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 2 2 -l'ancienne province natale fut le théâtre, on comprend toujours mieux la formation

de la grande Patrie ; la connaissance de l'histoire régionale et locale fortifie, en

l'éclairant, le sentiment national.

Nous sommes tous d'accord avec les Instructions de 1923 lorsqu'elles disent que

la comparaison du passé et du présent est un des moyens de rendre vivant et sensible

l'enseignement historique prescrit par les programmes de l'école élémentaire ;

lorsqu'elles recommandent de montrer et de commenter aux écoliers les monuments

ou débris de monuments de chaque époque et d'illustrer l'histoire générale par les

souvenirs empruntés à l'histoire locale. Nous convenons que les faits historiques ne

prennent leur relief, n'acquièrent leur authentique signification et leur vraie portée

que s'ils ont pu d'abord être placés, grâce à des évocations aussi nettes que possible,

dans le cadre d'horizons familiers."31

Quelques années plus tard, les manuels scolaires locaux porteront en épigraphe la

phrase "(il faut) donner à l'enseignement de la géographie et de l'histoire un tour concret,

un caractère local et régional qui ajoutera les clartés de la connaissance à l'amour du pays"

: mais la formule canonique des Inspecteurs académiques de la Troisième République est

alors donnée comme citation du Maréchal Pétain.

La représentation de l'espace national comme série d'emboîtements successifs et

analogiques, de même que la perception de l'histoire comme accomplissement progressif

de l'harmonie présente, donnent un traitement particulier à une question qui pourrait

paraître cruciale et qui est en fait rapidement éludée dans ces ouvrages : celle de l'entité

spatiale dans laquelle s'inscrivent ces ouvrages. La petite patrie est-elle pays, canton,

département, province ou région ? On pourrait penser que les penchants intellectuels (le

pays et la région comme emblème des vidaliens) ou politiques (la province comme

étendard des antirépublicains) des auteurs de manuels induisent des choix justifiés de

manière plus ou moins polémique. En fait, le cadre adopté est généralement le

département, sans que cette décision soit explicitée. Le département, objet de tant de

critiques depuis le XIXo siècle, constamment stigmatisé pour son artificialité, semble

31 Lettre-préface (p. 8-9) de L. Filhol,, Inspecteur d'Académie des Hautcs-Pyrcnces ( à Escoula (René) (instituteur à Campan) , Glanes bigourdanes, lectures d'histoire locale, Toulouse-Paris, Privât-Didier, 1930.

Page 23: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 2 3 -s'imposer tout naturellement. Certes, le système de formation des maîtres dans les Ecoles

Normales départementales, la gestion départementale de leur carrière leur fait du

département un univers. Certes, le respect marqué de la légalité républicaine incite à

adopter ce cadre spatial. Mais la vraie raison en est peut-être la naturalisation progressive

du département, auquel s'attache un ensemble de représentations affectives et mentales, et

l'absence d'autres références aussi clairement définies. La non-coïncidence des frontières

géographiques, historiques et culturelles, et par conséquent l'impossibilité de discerner

des espaces cohérents de moyenne grandeur, peut faire d'une entité artificielle, dès lors

qu'elle devient officielle et se prolonge, un espace dans lequel s'inscrivent pratiques et

représentations. Les provinces d'Ancien Régime, au statut disparate, n'étaient guère

susceptibles de concurrencer le département, hormis sous la plume de monarchistes

engagés ; quant aux régions régulièrement proposées pour être substituées aux

départements, leur tracé semblait singulièrement hasardeux32 et leur identité douteuse dès

lors que des contours précis étaient déterminés. Mais le département retenu comme point

d'ancrage du sentiment pour "notre pays natal" n'est pas posé comme exclusif des autres

définitions spatiales passées ou présentes. Ainsi l'institeur René Escoula, qui intitule son

manuel Glanes bigourdanes précise-t- il dès l'introduction que "le département des

Hautes-Pyrénées fut formé en 1790 par la réunion de l'ancien Pays et Comté de Bigorre

et de territoires environnants empruntés surtout à l'ancien Pays des Quatre-Vallées", dont

le livre retracera l'histoire, avant de proposer "une courte promenade archéologique à

travers les vestiges du passé de chez nous, que nul, chez nous, ne devrait ignorer.33"

Et l'auteur de conclure son introduction dans une déclaration d'amour au département-

province-pays-petite patrie :

"Puissent ces Glanes bigourdanes évoquer avec suffisamment de force et d'attrait

le riche et passionnant passé de notre chère petite pairie haut-pyrénéenne, et, aidant à

la connaître davantage, contribuer à la faire encore mieux aimer."

32Selon les multiples projets de découpage régional de la France proposés depuis le milieu du XIXo

siècle, le nombre de régions françaises varie du simple au décuple, les contours différant considérablement d'une carte à l'autre. On notera que le découpage régional de la France n'a abouti qu'au prix d'un maintien du département (les régions actuels n'étant que des agrégats départementaux)

33René Escoula, op. cit., pages 11-12. Les termes soulignés le sont par l'auteur.

Page 24: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 2 4 -L'Inspecteur général de l'Instruction Publique O. Auriac, dans sa préface aux

Visages de la Gironde note que le manuel est purement girondin, jusque dans son

matériau, mais qu'à juste titre l'auteur a débordé le cadre départemental pour exprimer

l'âme du "pays" (au sens affectif du "pays de chez nous") par la réunion de tous les

"pays" (au sens vidalien) inclus dans le département ou adjacents :

"Il convenait que dans cet ouvrage tout fût girondin : Armand Got s'est imposé

cette règle absolue. Les textes sont donc d'écrivains du "pays" ou inspirés par le

"pays" ; les éditeurs sont de Bordeaux ; le papier même est fabriqué en Gironde !

Seulement, sous le nom de Gironde, M. Got entend non pas seulement notre

département, mais tout ce qui, dans le vaste pays dont Bordeaux est le centre, trouve

en Gironde son expression compete et comme son entéléchic. Les Landes ont chez

nous leur symbole : les pins et les lacs. L'Entre-deux-Mcrs et la large vallée que

s'est creusée le fleuve continuent et précisent la région agenaisc. Le Périgord finit en

une forme splendide sur les rives de la Dordogne girondine, du côté de Saint-Emilion

et du château de Montaigne. L'Angoumois et la Saintongc se retrouvent dans les

verdures, les coteaux modérés, les marais gras et fertiles du Blayais. On ne s'est donc

pas donné la peine puérile de couper les textes, au moment où ils enjambaient des

frontières artificielles, et, si le livre déborde la Gironde proprement dite, c'est pour

en retrouver les cractères propres partout où ils s'affirment (...). Les Visages sont

ainsi mieux qu'une géographie littéraire du département de la Gironde : ils en sont la

synthèse spirituelle."34

La démarche exactement inverse, mais avec un résultat similaire, est énoncée dans

le Tableau de la Géographie de la Région du Nord35, publié un an plus tôt que le manuel

girondin. L'auteur de ce manuel géographique, qui affiche la référence vidalienne dès le

titre de l'ouvrage, consacre un chapitre liminaire à discuter la question de la division

territoriale à adopter. Il commence par présenter certaines catégories, pour les réfuter : les

bassins fluviaux (réunions de régions hétérogènes), les provinces (formations artificielles

issues des aléas de l'histoire), les départements (formations articielles de l'Assemblée

3 4 0 . Auriac, préface à A. Got, Visages de la Gironde, op. cit., p. XV-XVI

35PILANT (Paul), Docteur de l'Université de Clermont, Professeur de Géographie à l'Ecole Primaire Supérieure des Garçons de Calais, Tableau de la Géographie de la Région du Nord, à l'usage des candidats au Brevet Supérieur, Lille, Editions de la Société d'Edition du Nord, Béziat et Cie, Io édition 1933,175 pages.

Page 25: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 2 5 -Constituante, créés pour faire disparaître les particularismes locaux et donc composés de

territoires empruntés à plusieurs provinces). Le géographe évoque la constitution de

régions économiques et la nécessité d'un découpage en régions du département. Mais

l'auteur, à travers une citation, évoque la force du département : "depuis cent ans que

l'ancien système dure, il a créé une mentalité particulière, une tradition locale, et pour

ainsi dire un esprit de clocher." L'auteur du manuel présente ensuite "les véritables unités

géographiques" : le pays et la région naturelle. Et de préciser :

"Plusieurs pays présentant entre eux un air de famille, ayant des rapports

fréquents, forment une région. C'est elle qui est la base de l'étude géographique de la

France, c'est elle qui est l'objet de ce livre.

Logiquement, nous devrions borner notre étude à la Région du Nord, dont

l'unité est faite de plusieurs éléments : plaine à la fois agricole et industrielle,

prédominance du climat maritime, réseau hydrographique orienté vers le nord, forte

concentration des populations.

Nous adopterions ainsi le point de vue des instructions officielles

accompagnant le programme des écoles normales du 18 aût 1920, lesquelles

recommandent l'étude de la 'région naturelle', telle que les géographes la

délimitent."36

Mais l'auteur du manuel corrige aussitôt cette déclaration d'intention régionale par

une réinscription dans le cadre du département :

"Mais à nous limiter de la sorte, nous laisserions de côté une partie du

département du Pas-de-Calais, Artois, Boulonnais, qui est intimement liée à la

plaine flamande.

Paul Pilant, op. cit., p. 9.

Page 26: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 2 6 -Aussi nous porterons nos regards vers le sud. L'unité de notre ótude en sera

certes un peu troublée, mais notre tâche serait incomplète si nous procédions

autrement "37

Peu importe, somme toute, que les auteurs se réclament du département ou de la

région, puisqu'en fait ils traitent, sans grande difficulté intellectuelle, l'un et l'autre.

Le plus surprenant, en matière de confusion entre département, région et "pays de

chez nous" est assurément l'Inspecteur de l'enseignement primaire H. Thiéry qui publie

en 1927 un manuel intitulé Notre Lorraine^ déclinant longuement les références

régionales39 ; en 1929 il publie un manuel géographique Le Département de la Meuse40

dont la première page est un ahurissant étalage de chauvinisme départemental. Encadrée

entre deux bandeaux "Un livre bien meusien", s'étale la liste de toutes les personnes

ayant participé à l'ouvrage, depuis l'auteur jusqu'aux vendeurs du libraire en passant par

les ouvriers imprimeurs et relieurs, le caractère "bien meusien" de chacun étant

souligné...La page suivante déclare à propos du département qui a fait l'objet d'une

déclaration identitaire aussi extrémiste :

"Créé en 1789 (il s'appelait alors Barrois et ne prit le nom de Meuse qu'en

1790), le département de la Meuse fut formé par la réunion de pays séparés les uns

des autres par la nature et qui ne se ressemblent guère (Barrois-Argonne-Vallée de

Meuse-Woöwre).

C'est donc une création tout à fait artificielle."

37Ibid.

38THIERY (H.), Inspecteur de l'Enseignement primaire, Noire Lorraine, recueils de lectures choisies sur le Lorraine à l'usage des élèves des classes primaires et des classes primaires supérieures, Verdun, Librairie classique R. Marchai, tome 1, Sites et paysages lorrains, 1927, 105 pages, préface d'Ernest Beauguitte, Préfet de la Manche,

39 Extraits de la Tables des matières : Plateaux et collines de Lorraine; Lacs lorrains, forêts lorraines, campagnes lorraines, sous le cil lorrain, villages lorrains, la capitale lorraine; Lorraine : terre maternelle.

40Thiery (H.), Inspecteur d'Enseignement primaire,Z.e Département de la Meuse, Verdun, Librairie classique R. Marchai, 1929,55 pages.

Page 27: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 2 7 -Au demeurant, la construction "en matriochkas" du territoire national amène à

définir chaque petite patrie comme un modèle réduit de la France, pourvu donc de ses

deux attributs d'excellence : la beauté et la variété. De même que la France est le plus beau

pays du monde et la merveilleuse harmonie de la diversité, de même chaque petite patrie

départementale est un joyau naturel aux différentes facettes. Ainsi l'exposé peut-il

aisément concilier la référence scientifique aux pays selon la terminologie de Vidal de la

Blache, la prise en compte des différences au sein de l'unité territoriale donnée comme

"notre pays natal", et le lyrisme extatique sur le miracle naturel qui en fait une terre bénie

de la nature. L'auteur de la Nouvelle Géographie du Département du Rhône et de la

Région lyonnaise*^ commence ainsi son ouvrage par des "Notes pour les maîtres" où il

explique qu'il traite du département dans le cadre de la région mais que "les vraies

divisions géographiques sont les pays déterminés et nommés par les populations avant

l'intervention des géographes" et qu'il traitera donc des "pays" inclus dans le département

du Rhône ou adjacents lorsqu'ils sont soumis à l'influence de Lyon. Mais aller vers

l'unité territoriale de base, c'est tout aussitôt repartir vers des horizons plus larges :

"NOUS NOUS SOMMES ATTACHE SURTOUT A ETABLIR QU'UN

'PAYS' QUELCONQUE NE SAIT PLUS VIVRE SEUL ; QU'EN SE

SPÉCIALISANT DANS UNE CULTURE OU UNE INDUSTRIE IL S'EST LIÉ

PLUS FORTEMENT AUX PAYS QUI SONT SES CLIENTS OU SES

FOURNISSEURS. Nous avons essayé de faire comprendre les LIENS qui unissent

toute la région et CHERCHÉ A DÉGAGER ET A DÉVELOPPER LE

SENTIMENT DE SOLIDARITÉ QUI DÉRIVE DE L'INTERDÉPENDANCE DES

PAYS, qu'ils soient lyonnais, nationaux ou mondiaux. (...) Après avoir, par

exemple, célébré comme il convient les crus réputés du Beaujolais et ses beautés

naturelles, l'attrait du Mont d'Or ou la beauté un peu sauvage des Monts de Tarare, il

ne manquera pas de fair sentir que ces pays donnent aux autres leurs produits réputés

mais ne peuvent vivre que grâce à d'autres pays et ne sauraient se passer d'eux. (...)

Le gône lyonnais est redevable au petit berger de la Dombcs, le canut vit grâce au

4Gousset (J.M.), Directeur d'école publique à Villefranche-sur Saône, Nouvelle géographie du département du Rhône et de la Région lyonnaise, Villefranche-en-BeaujoIais, Les Editions du Cuvier, J. Guillermet, 1932,150 pages.

Page 28: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 2 8 -labeur lointain des Japonais ou des Chinois qui élèvent le ver à soie ou des

bûcherons canadiens qui abattent les sapins géants."42

Deux pages plus loin, le résumé de la première leçon indique : "la Région

lyonnaise occupe une situation privilégiée sur les grandes routes naturelles internationales

formées par les vallées du Rhône et de la Saône." Le miracle naturel est explicité, mais

sobrement. En revanche, les auteurs de La Haute-Provence, Etude de géographie

régionale,^ qui citent Vidal de la Blache dans l'Introduction et ont inscrit sur la

couverture même de l'ouvrage une citation de Jean Brunhes poussent fort loin l'éloge

émerveillé de leur région qui serait, à travers ses pays, un résumé idéal de l'Europe et

bien plus encore :

"La Haute-Provence, qui comprend tout le département des Basses-Alpes, la

partie orientale de celui du Vaucluse et une bande septentrionale de celui du Var, est

une région fort variée et très pittoresque. En la parcourant, on passe de la haute

montagne avec ses sommets vertigineux, ses champs de neige, ses torrents et ses

cascades écumantes, ses prairies et ses bois, par une série de gradations insensibles,

aux plaines ensoleillées où les céréales abondent, où les figuiers, les amandiers, les

oliviers mûrissent leurs fruits, où la vigne étale ses grappes vermeilles, où les

coteaux sont tapissés de lavandes et les thyms aux parfums pénétrants.

Ici, c'est la Suisse avec ses panoramas grandioses, ses beautés sauvages, ses

sombres forêts, ses pâturages ; là, c'est l'Italie avec ses montagnes arides et

rocailleuses dévastées par les torrents ; ailleurs, ce sont les plateaux californiens et

leurs canons fantastiques. Voici maintenant, dans la partie méridionale, des paysages

qui rappellent ceux de la Grèce et de l'Espagne par la pureté de l'air, l'éclat de la

lumière, la végétation semi-tropicale.

Dans cette portion de terre provençale, d'une beauté parfois sévère et farouche,

parfois douce et caressante, mais toujours harmonieuse et prenante, tous les

paysages, toutes les cultures, tous les climats se rencontrent. Il est peu de régions

qui offrent de plus violents contrastes et une plus grande originalité ; il en est peu

42Rousset, op. cit., p. 5-6. Les passages en majuscules figurent comme tels dans le texte original.

4 3 Eisenmenger (G.), Agrégé de l'Université, Docteur ès-sciences. Professeur de Sciences naturelles au lycée de Digne et Cauvin (C), Lauréat de l'Institut, Président du Syndicat d'initiative de Digne, Professeur de géographie au lycée de Digne, La Haute-Provence, étude de Géographie régionale. Digne, chez les auteurs et les principaux libraires, AIx-les-Bains, imprimerie, P. Jacques,, 1914,250 pages.

Page 29: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 2 9 -aussi dont l'étude géographique puisse présenter autant d'intérêt et soit plus féconde

en résultats."44

Le jardin d'Eden est aussi aubaine de géographes.... Le dithyrambe s'achève par

un retour à la modestie qu'impose le régionalisme patriotique. La Haute-Provence (ou le

département des Basses-Alpes, puisqu'il est indiqué que le volume est spécifiquement

destiné aux instituteurs de ce département et qu'il leur est par ailleurs dédié) est une des

plus admirables merveilles de la nature, mais les autres régions le sont aussi pour la plus

grande gloire de la grande Patrie :

"Nous serions infiniment heureux si ce petit livre pouvait contribuer non

seulement à faire connaître une région qui est si digne de l'être, mais encore à faire

comprendre aux enfants de nos écoles que toute région est douée d'une véritable vie,

et que leur place est marquée dans l'évolution du pays naial comme elle est marquée

dans la grande Patrie."

Le premier texte de l'anthologie Visages de la Gironde est consacré à décrire

longuement le principal charme du département (pays ?) : sa variété, bien évidemment.

"Le Pays girondin

L'un des attraits du département de la Gironde provient de la variété de ses

paysages : la mer et la forêt, les pâturages et les vignobles, des colmatages plats et

des régions vallonnées, la contrée se présente sous les aspects les plus divers.

Comment dire toute la beauté de nos cours d'eau ? (...)

Le pays offre donc toute la gamme des sites : solitudes immenses où l'homme

a l'impression d'être perdu ; grandeur sauvage des dunes plantées de pins géants ;

tristesse des marais, lorsqu'à travers lea pluie, on aperçoit des troupeaux mornes,

blottis sous la bourrasque ; riante gaité de ces vignobles médoquins où , en tête des

règes sont plantés des rosiers etc. (...)"45

^Eisenmenger et Cauvin, op.cit., Avant-Propos.

45Dans : Armand Got, op. cit., texte signé J.A. Brutails, p. 3_4

Page 30: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 3 0 -La représentation de la petite patrie comme idéal résumé au second degré de

l'Europe amène même ici en note de bas de page une citation de Mauriac qui introduit

une comparaison pour le moins poussée avec l'Italie et la Norvège :

"Les deux aspects essentiels de la campagne girondine : landes et

vignobles...forêts et vignes, régions aussi différentes que peuvent être l'Italie et la

Norvège (François Mauriac)."

Le reste de la note infrapaginale est une enumeration des pays (vidaliens) du

"département formé par la Basse-Guienne".

Ajoutons que le préfacier du volume, l'ancien Ministre de l'Instruction Publique

Anatole de Monzie n'hésite pas à parler "des charmes flamands de la région du Nord (de

la Gironde)...

Une petite patrie digne de ce nom doit en fait être, à l'instar de la grande, alliance

de Nord et Sud, jamais tout uniment l'un ou l'autre. Le Vivarais, par conséquent, se voit

gratifier de paysages Scandinaves :

"Ainsi formé de roches cristallines, volcaniques et calcaires, de plateaux élevés

et d'arêtes déchiquetées, de vallées sauvages et de petites plaines fécondes, sous des

cieux ici provençaux et là presque norvégiens, le Vivarais ne saurait passer, semble-

t-il, pour une région naturelle ; il est comme écartelé entre les Alpes, le Massif

central, le couloir rhodanien, le Midi méditerranéen.

Cependant, ce pays, dès les débuts de son histoire et malgré des divisions

ecclésaistiques et administratives secondaires, a été fortement individualisé, a eu sa

vie propre et originale : ce ne peut être l'effet du hasard."46

Avant même que l'Alsace soit redevenue terre française, elle fait l'objet d'un

manuel scolaire qui la pourvoit des spécificités de toutes les petites patries : elle est

4 6 Texte d'Elie Reynier, Le Pays de Vivarais, cité p. 21 dans Ozouf (Madame R.), Professeur agrégé d'Histoire et de Géographie au Lycée de jeues Filles de Chartres) et Ozouf (R.) Directeur de l'Ecole Normale d'Instituteurs de Chartres, Lectures géographiques, ouvrage destiné à compléter tous les manuels de Géographie sur la France, Paris, Nathan, 1936,419 pages. Les termes en italique le sont dans le texte initial.

Page 31: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 3 1 -présentée, à l'instar de la Mère-patrie, comme une terre bénie du ciel, infiniment riche et

admirable dans sa diversité, synthèse miraculeuse du Nord et du Midi, réunissant tout ce

qui est nécessaire au bonheur humain. Ce manuel colligé par Christian Pfister, Professeur

à l'Université deParis (il le sera ensuite à Strasbourg), est publié pour la première fois en

1916 sous le titre Lectures alsaciennes.47 Le premier texte expose longuement les motifs

de l'amour que doit inspirer l'Alsace à ses enfants :

"Aimez-vous l'Alsace ? C'est un beau pays, une ierre bénie du ciel. Douée d'une

nature généreuses, avec ses montagnes fières et riantes, ses coteaux plantés de vigne,

Douée d'une nature généreuse, avec ses montagnes fières et riantes, ses coteaux

plantés de vigne, sa plaine féconde, ellle captive par son charme propre, ainsi que

par les merveilles du travail humain, quiconque l'a entrevue une fois. La neige

blanchit cinq mois durant les hautes cimes des Vosges, élevées comme un rempart

naturel du côté de l'Ouest, vers la Lorraine, tandis que du côté de l'Est le Rhin a un

cours si pressé, si rapide que les navires ne le remontent pas. Les collines, qui

enlacent les montagnes boisées de leurs pampres verdoyants, distillent le vin,

richesse de ses plus fiers habitants. La plaine unie, étendue entre le grand fleuve et

les coteaux, ondule, quand la moisson approche, comme une mer d'épis blonds, sous

les caresses de la brise. Villes et vallées y sont si industrieuses qu'elles font vivre

deux fois plus de population que ne peuvent en nourrir sur l'ensemble du territoire,

toutes les récoltes d'un sol riche. Telle nous apparaît l'Alsace."48

Ce premier hymne à la petite patrie est suivi d'une chanson en dialecte (avec

traduction française) sur l'amour du pays natal, qui se poursuit par un texte de Vidal de la

4 7 Pfister (Christian), Professeur à l'Université de Paris, Lectures alsaciennes, Géographie, Histoire, Biographies, 50 lectures, 38 gravures et trois cartes, Paris, A Colin, 1916, 130 pages. Un feuillet en première page indique : "on trouvera en un petit fascicule à la fin de cet exemplaire la traduction allemande des Lectures alsaciennes". Le fascicule Elsässische Lektüren, imprimé en caractères gothiques se trouve effectivement encarté à la fin. L'exemplaire que nous avons consulté au Musée National de l'Education à Rouen porte le timbre de la Société Franklin, laquelle après la fin des hostilités a participé activement à la diffusion de livres et à la création de bibliothèques en France.

48C. Pfister, op. cit., p.3-4 ; texte emprunté à C. Grad, L'Alsace, Hachette et Cie,

Page 32: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 3 2 -Blache insistant sur le caractère remarquable du climat, la pureté de l'air, et les traits tout

méridionaux d'une nature où l'arrivée du printemps est beaucoup plus précoce qu'en

Allemagne :

"Un trait de nature méridionale se prolonge par la lisière orientale des Vosges.

Le châtaignier y atteint son extrême limite vers le Nord. La faune alsacienne compte

même pluieurs animaux d'origien franchement méridionale, genette et lézard vert

entre autres, qui retrouvent leur Midi dans la zone calcaire et sèche des collines sous-

vosgiennes.

L'homme a prospéré aussi, il a profité de cette clémence accueillante de la

nature. La clarté du ciel et la douceur de vivre ont mis en lui de la gaieté. "Le naturel

de ce peuple est la joie", écrivait le premier intendant français qui gouverna l'Alsace.

Pour bien des peuples venus de contrées plus ingrates et plus sombres, ce pays a

marqué le commencement d'une émancipation de la vie besogneuse,

l'épanouissement joyeux dans une nature qui invite à la fécondité et en donne

l'exemple." 4 9

Il est difficile ici de résister au plaisir de citer l'un des deux poèmes liminaires de

l'Anthologie Classique d'Ecrivains comtois50 qui, en vers exécrables, expose

admirablement la conception de la petite patrie comme abstract de la France, variété qui

confine à l'universel puisqu'elle enferme en ses profondeurs historiques et géologiques

les origines de l'homme et de la civilisation :

"Petite Patrie Dans ces vers c'est à toi, surtout, que j'ai pensé, O petit coin de terre où m'a jeté la vie ; Où, si loin que la trace puisse en être suivie, De tous ceux dont je sors la poussière a passé,

Où vieillit, sous le voile ajouré des glycines,

49C. Pfister, op.cit., p. 6-7 ; texte emprunté à Vidal de la Blache, .

50BOIBESSOT (Henry), Professeur à l'Ecole primaire supérieure de Besançon, Anthologie classique d'écrivains comtois, Besançon, Editions de Franche-Comté et Monts-Jura, 1924,126 pages, préface de F. Launay, inspecteur d'Académie du Doubs. Les passages mis en caractères gras l'ont été par nous.

Page 33: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-33-La maison qui les vit naître, vivre et mourir ; Où, même impatient du large à parcourir, Le coeur reste attaché par toutes ses racines,

Province, que Paris traite négligemment, Quand c'est, en abrégé, la France toute entière, Ce morceau de Comté qui borde la frontière, ce Jura, diamant parmi le diamant.

Escalier de géants, où la nature étage, De plateaux en plateaux, un ensemble divin ; La plaine pour le blé, le coteau pour le vin, Et tout ce qu'en avare, ailleurs, elle partage ;

La montagne, les eaux, l'herbage, la forêt, Ce que nous offrent champ, vigne, verger, parterre ; Au point que, séparés du reste de la terre, Tout ce qu'elle a de biens encor nous sourirait.

C'est chez nous que l'homme a laissé sa trace, Au profnd de nos lacs, au sommet de nos monts : Trésors ensevelis sous d'étemels limons, Ruines de colère où le temps met sa grâce ;

Balbutiements confus de la vie et des arts. Restes mystérieux d'époques disparues, Où bien apparaissant sous le soc des charrues, Dans le creux du sillon le profil des Césars.

Creusez, creusez encore, et, nourrice sacré, Vous trouverez la mer, son sel et ses parfums, Sous les débris épars de tant d'âges défunts, Sous l'écorce par tant de guerres labourée.

Tout cela, c'est la France, elle-même, que j'ai Sous les yeux, ses jardins, son charme, son histoire ; Tout ce qui lui survint de tristesse ou de gloire, C'est, vous dis-je, la France entière, en abrégé.

Et je t'aime, et ces vers te sont une humble offrande, Toi qu'on ne peut aimer d'un amour trop fervent. Que je ne quitterai pas plus mort que vivant, Ma petite patrie, enclose dans la grande.

Georges Trouillot."

Le premier texte de lecture illustrative fourni dans le manuel Géographie et histoire

de l'Aude 51est intitulé d'ailleurs tout bonnement : "L'Aude, résumé de la France":

-''Plandé (R.), Agrégé de l'Université, Professeur au Lycée de Toulouse, Géographie et Histoire du département de l'Aude, Grenoble, Les Editions de la France Nouvelle, 1941,255 pages.

Page 34: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-34-

"Dans l'étroitesse de ses frontières, l'Aude nous offre la plaine et le désert, les

coteaux et les causses, les forêts et les landes, la mer et la montagne. Multitude

innombrable des aspects, perspective d'un nombre aussi incroyable que distinct, c'est

dans cet espace restreint, le résumé du paysage français. Dans cette composition,

tout est présent depuis la mer latine jusqu'au sommet des pics neigeux, au point que

le voyageur, ignorant des beautés de cette terre d'Aude va d'étonnement en

étonnement. Le paysage est si condensé et si varié, qu'on est surpris de découvrir

dans des sites si proches autant de perfection."̂ 2

Chérir pour servir

Le manuel scolaire est une initiation à l'admiration amoureuse et à son expression.

C'est qu'en fait l'écolier est supposé ne pas savoir reconnaître spontanément les

merveilles de sa petite patrie, trop familières pour être vraiment perçues : l'objet du

manuel est donc de lui énumérer les beautés de l'objet d'amour et leur formulation idoine.

Le manuel "de gauche" (il est édité par le Syndicat des Instituteurs53) La Haute-Savoie,

étude géographique met en scène, dans sa Préface, le petit écolier inconscient du

privilège qui l'a fait naître au milieu des plus grandes richesses naturelles. De ce fait,

l'enfant doit apprendre à connaître les épithètes convenues qu'il faut appliquer à ces

splendeurs afin d'être l'égal, en matière d'évaluation, des touristes fortunés qui savent

aimer la montagne :

"Mon enfant,

52Plandé, op. cit., p. 9 ; texte extrait de J. Girou : Itinéraire en Terre d'Aude.

53L'exemplaire déposé à la Bibliothèque du Musée des Arts et Traditions Populaires porte la dédicace manuscrite : "offert par le Syndicat des instituteurs au camarade Varagnac folk-loriste (sic)".

Page 35: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 3 5 -Tu as le privilège de vivre dans une des plus belles régions de

la terre : la nature lui a dispensé les parures les plus variées et les plus somptueuses.

Chaque jour, en venant à l'école, en trottinant le long des chemins, tu passes auprès de merveilles que tu dédaignes parce que tu ne les a jamais vraiment regardées.

Pourquoi, toi qui l'habites, n'apprendrais-tu pas à connaître ton pays ? Chaque année ramène des milliers d'étrangers venus de toutes parts, faire chez

nous provision d'air pur ; l'été escalader nos monts, l'hiver sillonner nos pentes avec luges et skis.

Ils l'apprécient, eux, la Savoie, et savent qu'elle vaut d'être connue. Pas de vastes plaines, aux routes rectilignes, aux horizons monotones : à

chaque tournant, un paysage nouveau ! Le vert des sapins ou des riches pâtures, le bleu des lacs, les

sauts des torrents, les escarpements rocheux, la blanche pureté des neiges charment qui sait les voir.

Tout comme les peuples et les hommes, les choses disent leur histoire et nulle n'est plus captivante peut-être que celle des montagnes et du sol savoyards.

Ce petit livre te la contera, les gravures te montreront les plus beaux sites, le texte te suggérera, espérons-nous, de nombreuses réflexions."^4

L'initiation à l'admiration se termine dans cette Préface par une réflexion sociale,

qu'on pourrait croire liée au cadre syndical de publication de l'ouvrage, si cette invite au

respect pour les humbles n'était fréquente dans les avertissements de manuels scolaires

régionaux. Elle conclut en incitant l'écolier à se conformer à l'ethnotype savoyard (en

l'occurrence, la caractérisation commune aux paysans de montagne) :

"Tu verras aussi que si la nature est chez nous magnifique, elle est souvent bien

dure aux paysans qui l'affrontent. Tu comprendras les difficultés vaincues par les

vieux savoyards pour tirer de leur région les richesses actuelles et, comme eux, tu

voudras être persévérant, tenace, opiniâtre au labeur."

Le regard extérieur serait plus pertinent que le regard familier pour saisir les

beautés environnantes et pourrait donc servir de référence pour l'initiation à l'amour du

5 4 Avertissement au lecteur de l'ouvrage : ROSSET (M.),Professeur d'Ecole Normale, (sous la direction de), par une équipe de professeurs et d'instituteurs, La Haute-Savoie, étude géographique, édité par le syndicat des instituteurs de Haute-Savoie, Annecy, imprimerie coopérative l'Abeille, 1935, 177 pages. Les passages mis en caractères gras l'ont été par nous.

Page 36: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 3 6 -sol natal : cette idée n'est pas rare dans les réflexions sur la petite patrie. C'est ce même

renvoi à "l'exotisme régional", nécessaire pour la pénétration par les indigènes de "la

personnalité de leur région" que met en avant un article consacré à l'enseignement de la

géographie régionale dans les Ecoles Normales :

"Un dernier élément de l'illustration consiste dans certaines lectures conseillées aux élèves, lectures qui sans être vraiment géographiques, sont du moins propres à faire pénétrer dans la vie d'une région : ce sont les romans régionalistes ou ayant la région pour cadre. (...) Ce qui anime de tels livres, c'est ce que l'on pourrait appeler un exotisme régional, un sentiment aigu, parfois comme étonné, de la personnalité de la région ; aussi en les lisant, les élèves sont-ils frappés par le caractère original des détails qui leur sont familiers, et qui par là même reliennent ordinairement peu leur attention : cela leur fait mieux prendre conscience de l'âme de cette région à laquelle ils participaient sans toujours s'en rendre clairement compte."55

Les manuels de lecture-anthologies fournissent donc aux écoliers un ensemble de

textes laudateurs consacrés à leur petite patrie et par conséquent, la liste de ses merveilles

et la manière appropriée de les percevoir. Certains auteurs d'anthologies précisent même

explicitement qu'un de leurs buts est de fournir aux écoliers des modèles de description

de leur petite patrie, destinés à l'exercice scolaire de composition française :

"Nous pensons que les éducateurs pourront trouver dans ce recueil de quoi faciliter à leurs élèves le travail si difficile de la composition française en leur donnant des modèles de description d'autant plus accessibles que les sujets sont plus familiers. Nous croyons aussi que ces Lectures éclaireront d'un jour plus vif les leçons de Géographie régionale. Enfin, nous espérons qu'elles feront mieux saisir les beautés trop souvent insoupçonnées de ce Pays, aux aspects si variés.

Mais par dessus tout, nous serions pleinement heureux si nos jeunes Lorrains, connaissant mieux leur Lorraine, lui vouaient un amour Filial- dont ne pourrait que bénéficier la Grande Patrie - qui les portât à la vouloir toujours au premier rang dans les tâches laborieuses et pacifiques comme elle le fut toujours dans les tâches guerrières."56

Le devoir d'admiration s'énonce à tout propos, enrichissant à l'occasion l'élève en

clichés convenus et comparaisons consacrées. Une leçon de géographie physique peut

55A. Ferré, "La géographie régionale à l'Ecole Normale", cité par J.F. Chanct, Thèse citée, p. 560.

56Thiéry (H.), Inspecteur de l'Enseignement primaire, Notre Lorraine, recueils de lectures choisies sur le Lorraine à l'usage des élèves des classes primaires et des classes primaires supérieures, Verdun, Librairie classique R. Marchai, 2 tomes, tome 1, Sites et paysages lorrains, 1927, 105 pages, préface d'Ernest Beauguitte, Préfet de la Manche,, tome 2, Types, moeurs et coutumes, souvenirs, 1929, 140 pages, prix Erckmann-Chatrian.Ici, préface du tome I, p. X.

Page 37: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 3 7 -ainsi se terminer, par le biais d'une analogie forcée entre géologie et architecture, en une

leçon de morale : plus me sont chers mes petits alpages savoyards que les splendides

demeures des rois....

"Conclusion : Notre pays est un édifice : Io II y a des fondations : les roches cristallines qui existent partout à une profondeur plus ou moins grande ; 2° Les matériaux de construction ont été déposés sur le socle cristallin par les mers secondaires. Ce sont les sédiments ; 3° Les mouvements de l'ère tertiaire ont soulevé et plissé ces sédiments. Ils ont aussi donné à notre pays son architecture ; 4° Les eaux courantes et les glaciers ont sculpté et sculptent encore, dans leurs moindres détails, les façades de l'édifice.

Avec ses coupoles, ses flèches, ses remparts, ses magnifiques pièces d'eau, ses parterres de fleurs, notre pays n'est-il pas mille fois plus beau que le plus beau palais du monde ?"57

Grâces soient rendues au Grand Architecte qui fit des Savoyards un peuple élu

que pourrait envier le Roi des Rois...Il faut préciser cependant que ce passage qui fournit

un modèle aisément reproductible dans les rédactions (et, au prix de quelques

allégements, dans les brochures touristiques) fait suite à un exposé savant sur les ères

géologiques, le principe du plissement des sédiments et le soulèvement alpin. La

juxtaposition de passages érudits, nourris souvent de savoirs récents, et de lyrisme sans

retenue est en effet caractéristique de ces manuels, qui montrent bien, donc, que le

discours sur la petite patrie n'est pas à classer dans un enseignement de second ordre : il

s'insère bien au contraire dans la modernité pédagogique, au niveau du primaire.

Préfaces et conclusions sont souvent des adresses directes aux écoliers pour les

exhorter à chérir intensément la petite patrie dont le manuel leur fait découvrir les beautés

"Ecoliers du Cantal ! Ce livre a été écrit pour vous. Puisse-t-il vous aider à mieux connaître, à mieux comprendre, à mieux aimer

votre belle région ! Puisse-t-il contribuer à faire de vous des hommes et des femmes fidèles à leur terroir et qui diront fièrement avec le sanflorain de Belloy, auteur dramatique du 18° siècle : "Plus je vis d'étrangers, plus j'aimais ma patrie" 58

57 ROSSET (M.).Professeur d'Ecole Normale, (sous la direction de), par une équipe de professeurs et d'instituteurs, La Haute-Savoie, étude géographique, op. cit., page 13.

58Perrier (A.), professeur de lycée et Marion (A.), inspecteur de l'enseignement primaire, La géographie par l'Observation, le département du Cantal, Géographie et histoire à l'usage des classes de fin d'études, Delalain, Paris, s.d., 18 pages.

Page 38: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 3 8 -A la suite de cette exhortation, trois écrivains illustres sont cités pour étayer cet

amour de la petite patrie auvergnate, en une synthèse détonante qui réunit Vallès, Olivier

de Magny et Lamartine (dont le rattachement au Cantal paraît quelque peu problématique

!).

Un manuel d'histoire normande s'achève par la reproduction et le commentaire

d'une médaille symbolisant "La Normandie, nourrice des hommes", destinés à préciser

aux écoliers les emblèmes Menti taires de leur région :

"En et; court tableau, l'artiste a symbolisé la patrie normande par une jeune bergère occupée à tricoter : devant elle, les troupeaux de vaches ; derrière elle, les clos de pommiers ; dans le fond, la plaine grasse que cultive le laboureur et que couvrent encore les dépouilles de la dernière récolte sous forme de meules de blé. Tout dit la fertilité de la terre. Cette médaille fut donnée en récompense à l'exposition de Rouen."5^

Et les auteurs de conclure par le voeu de réussite de leur entreprise d'éducation

amoureuse : "Puisse ce livre d'histoire contribuer à faire aimer davantage aux jeunes

générations normandes le pays qui les a vues naître ! (...) Cette rapide histoire des fastes de î'illustre Normandie fortifiera peut-être encore le sentiment qui attache le Normand au souvenir de sa province si pleine de charmes, et lui fait dire Notre France sans doute, mais aussi, avec un accent de jalouse affection : Ma Normandie.^

La nécessité de ce sentiment effusif importe tant que les manuels ne cessent de

présenter leur objectif aux écoliers. Ainsi Y Anthologie classique d'écrivains comtois

débute-t-elle par un long poème qui présente simultanément le mode de conception, le

mode d'usage et la finalité du manuel scolaire local :

"Régionalisme français

Amis, en proclamant, chaque jour, l'attirance

59Baradel (A),. Inspecteur primaire à Caen, et Fallourd (P.), Professeur à l'Ecole Normale d'instituteurs à Rouen, Petite Histoire de la Normandie, nouveau cours d'enseignement primaire, enseignement primaire supérieur, cours supérieur et cours moyen des Ecoles primaires élémentaires Paris, Juven, 1909, 92 pages.Préface de l'Inspecteur a'Académie de la Seine-Inférieure.

60Ibid. p. 90

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-39-Dc nos petits pays, si grands par leur beauté, Nous faisons mieux connaître et mieux chérir la France, Dans toute sa splendeur et son intimité.

Unissons nos efforts, afin de bien poursuivre Notre noble dessein ; sachons mettre en valeur Les sites merveilleux où nous aimons à vivre, Sans égoïsme étroit, sans esprit querelleur.

Chantons nos horizons, tourmentés ou paisibles, Bornés, plus ou moins loin, par les rocs des plateaux, Par les glaciers géants des monts inaccessibles, Par l'onde mugissante ou par d'humbles coteaux.

Chantons nos océans, nos fleuves, nos rivières, Nos cascades, nos lacs, nos sources, nos ruisseaux, Qui, comme les forêts, les landes, les clairières, Ont tenté bien souvent la lyre et les pinceaux.

Célébrons, en gourmets, nos vignes et nos treilles, Nos jardins, nos vergers, nos ruches, nos moissons, Nos belles basses-cours, nos crèches sans pareilles, Notre abondant gibier, nos savoureux poissons.

Célébrons nos cités, leur luxe, leurs lumières, Leurs parcs majesteux, leurs vastes monuments, Ainsi que nos vieux bourgs, nos hameaux, nos chaumières, Asiles du bonheur et des plaisirs charmants.

Chantons de nos aïeux les naïves coutumes, Le patois, les refrains, les danses, les pipeaux ; Remettons en honneur, s'il se peut, leurs costumes : Blouses, sabots sculptés, coiffettes et chapeaux.

Chantons les souvenirs des temps les plus antiques : Abris mystérieux, silex, marbres épars ; Nos ravissants joyaux, nos trésors artistiques : Cathédrales, moutiers, châteaux, puissants remparts.

Evoquons fièrement tous nos hommes illustres Dont la science, la foi, l'amour de l'idéal Feront vibrer les coeurs durant de nombreux lustres Et vénérer partout le nom du sol natal.

Exaltons nos héros si dignes de mémoire Qui, jadis, ont tenu notre sort entre leurs mains, Et nos soldats d'hier auréolés de gloire Qui brisèrent le choc d'ennemis inhumains.

En proclamant ainsi, chaque jour, l'attirance De nos petits pays, si grands par leur beauté, Nous ferons mieux connaître et mieux chérir la France Dans toute sa splendeur et son intimité.

Edmond Chapoy."61

Dans H. Boibessot, op. cit., p.l et 2.. Les passages mis en caractères gras l'ont été par nous.

Page 40: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 4 0 -Des paysages, une géographie, une histoire, des produits du terroir, des hommes

illustres et un folklore : tels sont les éléments, en relation d'analogie, d'une petite patrie.

Relation d'analogie plutôt que complémentarité car les divers "marqueurs identitaires"

d'un terroir sont supposés n'être pas le fruit du hasard. Ils sont supposés émaner de la

même force créatrice, qui détermine les hommes tout autant que le terre et ses produits.

La tautologie Montesquieu

Les inventaires enthousiastes des beautés variées de la région qu'on trouve dans

les manuels ne sont pas sans évoquer les "blasons" du corps de la Femme dans la poésie

amoureuse. Il s'y révèle en tout cas une forte anthropomorphisation de la petite patrie :

" Dans cette portion de terre provençale, d'une beauté parfois sévère et

farouche, parfois douce et caressante, mais toujours harmonieuse et

prenante, tous les paysages, toutes les cultures, tous les climats se rencontrent62

"Elie Reynier a, en savant et en fils amoureux de son pays, éprouvé la rudesse

prenante de la terre vivaroise."63

"Enfant,

Maintenant tu connais un peu mieux ton pays. Tu as pu te rendre compte dans ce

poetit livre qu'à l'image de la France, il présente aussi bien dans son histoire que

62Eisenmenger et Cauvin, op.cit., Avant-Propos

63 Avant-propos de Raoul Blanchard et Daniel Faucher à Reynier (Elie), Professeur à l'Ecole Normale de Privas, LArdèche, géographie-histoire, Paris, Bourrelier, s.d. (circa 1930), 34 pages, collection "Petites monographies départementales", sous la direction de Raoul Blanchard et Daniel Faucher.

Page 41: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-41 -dans sa physionomie et ses richesses, le double caractère de modération et de

variété. (...)

Enfant ! lorsque tu quitteras l'école pour embrasser une carrière, demeure en ta

petite patrie.

Elle est bonne nourricière, et nulle part tu ne goûteras mieux que dans cette

nature modeste et familière, parmi ces hommes laborieux et calmes, la joie de

vivre et de travailler. Elle est jolie, elle est bonne, et son climat est un des

plus salubres qui soient au monde."64

Mère ou fiancée (et il semble qu'elle puisse être à la fois l'une et l'autre), la petite

patrie a les traits physiques ou moraux d'une femme du pays. Si la chose mérite d'être

soulignée, c'est qu'en fait ces manuels développent parallèlement un discours selon

lequel une longue familiarité avec le sol et le climat a forgé le caractère physique et moral

des habitants. Effet Montesquieu éventuellement modernisé par la géographie humaine :

"La Race :

Les populations de la Haute-Provence résultent de nombreux mélanges. Aux

hommes primitifs au crâne dolichocéphale ou allongé, sont venus se mêler des

hommes au crâne brachycéphale ou rond. (...) Mais le milieu physique, le sol, le

climat, les occupations, ont agi sur les populations, les ont façonnées pour ainsi

dire, et ont créé un type particulier présentant des différences sensibles suivant la

région.

L'habitant des montagnes est en général brun ou châtain, de taille

moyenne ; il est trapu, d'allure lente, de caractère calme, réfléchi, obstiné, très

attaché au passé. Il a le goût du travail, de l'épargne, mais aussi l'esprit processif.

L'habitant de la plaine est d'allure plus légère, d'esprit plus mobile, plus

64LAVOILLE (G.), Professeur d'Ecole Normale, Notice géographique et historique illustrée du Département de la Haute-Marne, cours de géographie R. Blanchard et D. Faucher, Librairie Gedalge, Paris, 1928,40 pages.

Page 42: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 4 2 -enthousiaste ; ce qui le caractérise surtout c'est l'entrain, la gaîté, la faculté de saisir

les ridicules, la verve frondeuse, la raillerie mordante et imagée. Tous les deux

doivent au climat un esprit clair et net, soucieux surtout des réalités, peu enclin à la

rêverie, une grande sobriété, un attachement tout particulier au sol natal et à la

famille. (Une note infrapaginale ajoute ici : 'Les Basscs-Alpcs ont produit peu de

poètes, d'artistes, mais surtout des érudits, des historiens, des médecins, des

géomètres, des naturalistes*)"65

Les deux clairs et nets de la Haute-Provence, qui à la différence des brumes du

Nord n'offrent pas de support à la rêverie, auraient donc produit des esprits à leur image.

Mais les auteurs de cette caractérologie locale, on l'a indiqué plus haut, décrivaient la terre

provençale selon un champ sémantique emprunté au portrait moral et physique d'un

personnage féminin. L'explicitation de l'ethnotype vivarois, dans le manuel géographique

d'Elie Reynier66 met en oeuvre de manière encore plus serrée ces transferts de registres

sémantiques, qui anthropomorphisent la nature et naturalisent l'homme, en un perpétuel

jeu de reflets. :

"Ce pays si âpre et si accidenté, rocailleux, aux versants raides, au sol

granitique pauvre, n'a pu fournir des récoltes variées et appréciables que grâce à des

qualités de patience, de ténacité invincible, de résignation

courageuse, qui caractérisent le paysan vivarois. (...) Ce travail ardu et tenace, la

dissémination des hameaux et des fermes, font comprendre le caractère en apparence

rugueux et peu sociable, parfois violent, du paysan ardéchois, sa fidélité aux vieux

procédés de culture et de vie matérielle, comme aux croyances et aux pratiques

anciennes, la frugalité de ses moeurs, et sa valeur morale élevée, son esprit de

droiture et d'indépendance.

De même s'expliquent son amour passionné de la terre et de la propriété, son

attachement à l'argent, pendant longtemps si difficile à gagner et si rare, son goût de

la chicane"

65Eisenmenger et Cauvin, op.cit., p. 154. Les passages en gras le sont dans le texte original.

66 Eue Reynier, op. cit., p. 16-17. Les passages en caractères gras le sont dans dans le texte original.

Page 43: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 4 3 -Le pays est âpre et rocailleux comme le paysan ardéchois est âpre au gain et

rugueux. Le sol granitique est pauvre, comme ceux qui le cultivent, et font montre d'une

ténacité aussi invincible que la résistance de ce granit à l'érosion. Les versants raides sont

à l'image de l'homme qui y vit, droit et abrupt dans ses relations, parfois violent comme

l'orage qui emporte sa terre. La caractérisation de la terre vivaroise et de ses habitants est

d'ailleurs, dans le manuel, suivie d'un énoncé d'exercice proposé aux écoliers :

"Cherchez, dans la lecture de romans ruraux (G. Sand, R. Bazin, Moselly, Eug.

Le Roy, etc.) les caractères du pays et du paysan, leurs ressemblances et leurs

différences avec notre région et ses habitants."

Le caractère du pays, c'est celui du paysan, et réciproquement. Car la nature fait

l'homme à son image et lui imprime ses traits, mais l'homme fait la nature et lui confère

ses valeurs morales. Et c'est une figure féminine, allégorie de la terre et suprême

achèvement de la race, qui en sa jeune beauté, est généralement le symbole, au sens

étymologique, de ce double mimétisme. Le dernier texte de la Géographie d'Elie Reynier,

emprunté à Michelet, vient sur ce mode donner le complément du chapitre consacré par

l'auteur à la formation du paysan vivarais sous l'effet des déterminations du sol :

"Il est plus d'un pays, en France où le cultivateur a sur la terre un droit qui

certes est le premier de tous, celui de l'avoir faite. Je parle sans figure. Voyez ces

rocs brûlés, ces arides sommets du midi ; là, je vous prie, où serait la terre sans

l'homme ? La propriété y est toute dans le propriétaire. Elle est dans le bras

infatigable qui brise le caillou tout le jour, et mêle cette poussière d'un peu

d'humus. Elle est dans la forte échine du vigneron qui, du bas de la côte, remonte

son toujours son champ qui s'écoule toujours...

Je sentis tout cela lorsque, au mois de mai 1844, allant de Nîmes au Puy, je

traversais l'Ardèche, cette contrée si âpre où l'homme a créé tout. La nature l'avait

faite affreuse, grâce à lui, la voilà charmante ; charmante en mai, et même alors un

peu sévère, mais toujours d'un charme moral d'autant plus louchant. (...) Justement,

c'était la grande récolte ; à ce beau moment de l'année, on travaillait la soie, le

pauvre pays semblait riche ; chaque maison, sous la sombre arcade, montrait une

Page 44: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 4 4 -jeune dévideuse, qui, tout en piétinant sur la pédale du dévidoir, souriait de ses jolies

dents blanches et filait de l'or."

(Michelet, Le Peuple, Io partie, chap.I)"67

Les propos des auteurs de manuels sur le paysage et le paysan de la petite patrie

ne sont en rien une création idoine, mais la reprise de discours plus anciens, qui ont pris

au XIXo siècle leur forme définitive et dont l'oeuvre de Michelet offre sans doute les plus

belles réussites, stylistiquement parlant. Plus originale est l'insertion de ces topoï entre

des passages érudits consacrés à la formation géologique de la région ou aux statistiques

récentes de la production : mais, on le verra à d'autres occasions, le propre de ces

manuels est justement de juxtaposer des éléments relevant de formations intellectuelles et

de genres différents.

Certains éléments des ethnotypes, donnés comme caractéristiques locales, sont en

fait des caractérisations sociales convenues, générales sur l'ensemble du territoire : le

paysan (et plus particulièrement le paysan de montagne) est supposé lent, réfléchi, âpre

au gain, procédurier, attaché aux vieux usages. D'autres sont la reprise d'ethnotypes que

des personnages illustres ou des succès littéraires ont rendu célèbres et transformé donc

en marques identitaires valorisantes. Témoin cette présentation de la "race landaise", en

conclusion d'un texte qui porte en exergue un hommage à Camille Jullian :

"Dans les aspects variés de son histoire, on retrouve les traits de la race landaise

: susceptible, changeante, défiante, fière de son terroir où elle a souffert,

particulariste et éprise d'indépendance, mais non dépourvue d'esprit pratique, fertile

en vaillants capitaines et marins, moins riches en poètes et en artistes. Elle a gardé

jalousement à travers les vicissitudes son parler, ses moeurs et ses coutumes.

Comme l'a écrit avec raison un de ses illustres enfants, Pierre Benoît, 'ce petit

paysan gascon, au nez busqué, aux mollets de coq, tel que le vieux Dumas nous l'a

Elie Reynier, op. cit., p. 36.

Page 45: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-45-dépeint dans son éternel portrait de d'Artagnan' est le symbole des qualités de la

race."68

Le Normand dur à la tâche, âpre au gain, et peu soucieux d'idéal, tel que l'a fait

connaître le roman réaliste, peu sans grand effort être accommodé selon un ethnotype

-départemental- positif :

"Les habitants de la Seine-Inférieure sont généralement actifs, intelligents et

très entendus aux affaires industrielles et commerciales. Ils sont d'un caractère

paisible et réservé ; leur esprit positif est réfractaire aux idées hasardeuses, comme

aux entreprises téméraires."69

La page en regard indique benoîtement les manifestations historiques de

l'ethnotype : trop occupés à leurs affaires industrielles et commerciales, sans doute, et en

vertu probablement de leur esprit paisible, ces Normands que l'on savait par ailleurs

refuser obstinément les alternatives, n'auraient pas eu le temps de s'intéresser à la

Révolution française, qui n'aurait localement pas suscité de passion. Ils préfiguraient

Guizot quand le reste du pays s'enflammait encore pour Rousseau :

"La grande Révolution française laissa peu de traces dans ce beau pays paisible

tout occupé de travail, et le département de la Seine-Inférieure, créé en 1790, devint

un centre actif où fleurirent l'agriculture, le commerce et l'industrie."

Le paysan normand ressemble admirablement à son ethnotype littérarisé :

"Tout le monde connaît ce villageois madré et cossu que Maupassant et tant

d'autres ont immortalisé. Ce n'est pas le premier venu. Il n'est pas de ceux que la

68 Conclusion de A. Larroquette, dans Laroquette (Albert), Professeur agrégé d'Histoire, Docteur en droit et Prigent (Emile), Agrégé de l'Université, Inspecteur d'Académie, Histoire des Landes, Mont-de-Marsan, Editions Jean Lacoste, Io édition 1933,2° édition 1936,275 pages ; préface de Léo Bouyssou, député des Landes, Président du Conseil général, ouvrage honoré de spuscriptions du Conseil général des Landes, de la Chambre de commerce des Landes et des villes de Mont-de-Marsan, Dax et Saint-Scvcr.

69Cusson et Gaillard, Géographie du département de Seine-Inférieure, s.l, s.d., préface datée de 1888 , p. 11.

Page 46: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-46-caricature peut rendre ridicules. Il a un portefeuille sous sa blouse, du foin dans ses

bottes, du linge fleurant la lavande dans son armoire normande : il ne s'en vante pas,

mais il le sait... Le paysan, en tout pays, est prudent, mais la prudence du paysan

normand, va, dit-on, jusqu'à la méfiance à l'égard de l'inconnu, le 'horsain'. Son

premier mouvement est de se tenir sur la défensive, comme le premier geste de ses

aïeux devait être de porter la main à la garde de leur épée.

Nul n'excelle comme lui dans l'art de parler sans se compromettre. Le Normand

n'a pas le mensonge facile et ingénu des races ensoleillées, mais il tourne sept fois

saa langue avant de dire le fond de sa pensée. Laborieux et économe, il n'aime pas

conter ses affaires à ceux qu'elles ne regardent pas, ce qui est d'ailleurs une des

formes de sa discrétion.

Beaucoup de citadins se figurent encore le bonhomme normand avec un 'casque

à mèche' et sa compagne avec le bonnet cauchois : tout cela n'existe plus que dans

les opérettes. Ce qui, au contraire, est bien vivant, ce sont ses habitudes

d'hospitalité plantureuse. La tempérance n'y trouve pas toujours son compte, et le

trou normand est parfois une chausse-trape où plus d'une raison culbute, mais

l'intention est bonne même lorsque la main tremble un peu. Malheureusement, la

pente qui mène à l'alcoolisme est glissante, et beaucoup la descendent qui ne s'en

parçoivent qu'au fond du fossé. Aussi la race normande perd-elle de sa prestance : la

graine de cuirassiers ou de grenadiers ne lève plus comme autrefois."70

D'autres caractérisations régionales se construisent plutôt comme des "contre-

ethnotypes", qui permettent de doter les habitants d'une région à identité "ethnique" peu

marquée de qualités qui sont, en fait, le contre-pied d'un ethnotype bien connu,

dévalorisé pour les besoins de la cause. L'ethnotype assurément le plus connu sur

l'ensemble du territoire national, celui du Méridional vivace et fougueux, se transforme

en repoussoir dès lors qu'il s'agit de caractériser les habitants régions situées plus au

Nord et à caractérisation identitaire discrète.

7 0 Texte d'Albert-Petit, Histoire de Normandie, cité dans : Risson (F.), Inspecteur primaire au Havre et Lechevalier (A),. Instituteur à Cuverville en Caux, Etude géographique sur le Département de Seine-Inférieure (cours moyen- supérieur des Ecoles primaires), s.l.; s.d. (circa 1905-10 ?), p. 47-48.

Page 47: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-47-"Un mot suffit à définir leur caractère (des Berrichons) : ils ont avant tout le

sens pratique. Ils laissent à d'autres l'ivresse des folles rêveries et l'enthousiasme des

projets aventureux.

Leur intelligence est faite surtout d'esprit critique. Le jugement, le bon sens y

réfrènent les écarts d'une imagination d'ailleurs assez pauvre. De là cette prudence,

cette réserve méfiante, cette aversion instinctive pour les innovations qui va parfois

jusqu'à la routine. (..) Quoi qu'il en soit, la philosophie douce et calme des

Berrichons se rehausse volontiers d'une pointe de fine ironie à l'égard des rêveurs et

des agités. Les moqueries s'exercent particulièrement aux dépens des gens du Midi,

amoureux, comme chacun sait, des gestes larges et des phrases violemment

colorées. Tandis que le Méridional s'agite, gesticule, vibre, hurle, bondit, tonitrue,

la face placide de ses interlocuteurs s'épanouit discrètement, un éclair de malice

réprimée filtre sous les paupières mi-closes, et le coin des lèvres se plisse en un

imperceptible retroussis. (...)

Ces qualités de droiture, de sincérité, d'honnêteté, de réalisme avisé, de

pénétrante/mette, font de ces Berrichons des hommes d'affaires accomplis. On leur

reproche, à la vérité, d'être économes à l'excès, et 'têtus comme leurs moutons'.

Mais ce sont défauts qui valent presque des qualités.

On peut dire, en somme, que les Berrichons manquent d'imagination et

d'initiative, et qu'ils souffrent d'une hypertrophie de la raison et de la persévérance.

Au demeurant, ce sont gens loyaux, calmes, doux, modérés et de bonne

compagnie."71

De l'art de transformer la représentation canonique du paysan "de partout" en

ethnotype original, grâce au concours involontaire du Méridional comme repoussoir. Il

faut préciser que les Méridionaux s'irritent de ce rôle qu'on leur fait tenir bien malgré eux

71TORTRAT (Abel) instituteur à Bourges, avec la collaboration de JOUIN (Edouard) instituteur honoraire à Bourges et REDON (André) directeur d'école à Valençay, Le Berry, étude géographique et historique de la région berrichonne, Bourges, librairie-imprimerie Auxenfans, 1927,405 pages ; p. 109-110. Les passages en italique le sont dans le texte original.

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- 4 8 -et les auteurs d'un manuel provençal72 ouvrent leur chapitre "Les Hommes et les

problèmes humains" par une longue réfutation de l'ethnotype provençal, insistant bien au

contraire sur la profonde tristesse du paysage et du paysan :

"On a fait du Provençal, depuis la fin du XIXo siècle, un portrait caricatural,

sinon déformé. Daudet en a une grande part de responsabilité, avec son Tartarin. Très

vite s'est répandu le type d'un Provençal vantard et hâbleur, léger et paresseux, sans

compter d'autres accusations encore plus graves. Cet empressement à élever une

fiction en génie ordinaire d'un groupe fait irrésisitiblemcnt penser au sérieux avec

lequel les guides du château d'If racontent les sombres années de captivité du comte

de Monte-Cristo. (...)

On ne s'est pas rendu compte que la légèreté provençale n'est qu'un masque

commode ; la cordialité, l'hospitalité- "plus apparente que réelle"- , la gaieté un

reflet éphémère. (...) On n'a vu que l'extérieur, qu'un côté du caractère provençal.

C'est en méconaître la complexité. "D'un côté l'ardeur, la passion, l'éloquence, le

tapage même ; de l'autre une pensée grave, recueillie, volontiers mélancolique,

repliée sur soi-même : Mirabeau et Vauvenargues."73

Il y a une tristesse provençale. Calacaires décharnés, pins tordus, oliviers

argentés, ceps poussiéreux, stridences monotones des cigales, garrigues... grisaille et

tristesse... "La vraie Provence est triste" note encore Edmond Jaloux.

C'est une race résistante que ces Provençaux. "Cette belle lumière, ce climat

puissant trempe admirablement l'homme ; elle lui donne la force sèche, la plus

résistante."74 Un homme petit, sec, solide, comme l'olivier d'Aix, comme le Ligure

de Strabon. Une race sobre : du pain, de l'ail et des oignons, quelques anchois, des

pois chiches, le tout à l'huile d'olive - repas courants naguère encore ; pas

d'ivrognes. Une race dure au travail, toujours en lutte contre la sécheresse ou l'averse

72Pierrein (Louis) et Guiral (Pierre), Professeurs au Lycée Thiers, Marseille, Les Bouches du Rhône, histoire et géographie du département, Les Editions françaises nouvelles, Grenoble, Bordas frères, 1945, 236 pages

73Une note infrapaginale renvoie ici à Edemond Jaloux, Marseille, Emile Paul, 1926.

74Une note infrapaginale renvoie ici à Michelet, sans précisions.

Page 49: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 4 9 -torrentielle, contre la chaleur persistante d'un été long ou la brusque gelée nocturne à

la tombée du mistral."

L'insistance sur la tristesse de la nature et des hommes permet d'équilibrer

l'ethnotype méridional, entre exubérance et mélancolie, comme l'attestent les grands

hommes et par conséquent de le conformer à l'ethnotype français, comme équilibre

harmonieux des contraires, ce qui permet de faire du paysan provençal un paysan comme

les autres, pourvu des mêmes qualités d'ardeur à la tâche et de frugalité. Mais

l'utilisation de l'ethnotype méridional en repoussoir est assez commode pour que le

procédé soit utilisé à maintes reprises :

"Il y a donc une harmonie préétablie entre le tempérament girondin et la terre

girondine ou ce que, d'un terme plus compréhensif, j'appellerai la nature de la

Gironde.

Le Girondin n'a ni l'ardeur bruyante, ni les révoltes, ni les élans désordonnés du

Méridional : tous ses mouvements sont empreints de douceur et d'optimisme...

'J'accepte de bon coeur et reconnaissant ce que la nature a fait pour moi et m'en agrée

et m'en loue.' Montaigne définit ainsi cet état d'âme que symbolise 'le milieu'.

Voyez, en effet, ces roses en bordure des vignobles dans le Sauternais ou dans

le Médoc. Humez le parfum de miel qui, au mois de mai, monte des forêts

prochaines et du sol en fermentation. Sentez ces truffes voisines dont Brillât-Savarin

disait 'qu'elles rendent les femmes plus tendres et les hommes plus aimables'. (...)

Arrêtez-vous enfin devant ce bassin d'Aracachon immense mais paisible comme un

havre de grâce.

Le Girondin, qui ne connaît donc pas les passions sous leurs formes violentes,

sait unir cependant à la modération la constance, la fermeté et la noblesse. (...) Or,

cette grandeur sereine est dans les choses mêmes.

Voyez à Bordeaux, 'mélange, dt Victor Hugo, de Versailles et d'Anvers', voyez

le croissant que décrit avec tant de magnificence le fleuve puissant, mais apaisé, qui

a perdu sa fougue pyrénéenne et ne sort plus de son lit aux approches de la ville,

même dans ses jours les plus terribles. (...) Je ne sais rien de plus émouvant que la

Page 50: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-50-majesté des pins (...) maintenant sans effort apparent leur grâce si svelte contre

l'assaut du vent, tordus à la lisière juste à peine pour éveiller le sentiment d'une vie

profonde, presque humaine.

Cette complexion de l'esprit et de la nature fait que le Girondin est moins actif

que sédentaire. (...)

Si la philosophie (du Bordelais) est descendue du ciel sur la terre, ce n'est pas

pour ramper dans les bas-fonds, mais pour se tenir à des hauteurs moyennes d'où elle

ne perd de vue ni l'idéal, ni le réel.

Elle est comme un sous-produit spirituel de leur vin, et c'est le vin qui

explique, en fin de compte, la Gironde et les Girondins. (...) Le vin de Bordeaux

exige, pour être goûté, une sensibilité toute pénétrée d'intelligence et c'est par lui

que se réalise dans le tempérament girondin cette synthèse délicate de la sensualité et

de la spiritualité qui en fait la valeur infinie.

Ainsi, la Gironde, plaisant coin de terre de France, aux visages si divers, étalé

glorieusement sous un ciel doux et clément, bannit de l'âme de ses habitants tous

les excès : ceux de la passion, ceux de la joie ou de la tristesse, ceux-même de la

vertu.Mais elle les induit à une humanité vraie, c'est-à-dire sans humilité feinte,

comme sans fausse grandeur."75

L'Inspecteur général de l'Instruction publique qui se livre à ce long panégyrique

de la terre et de l'âme girondine, toutes entières forgées par l'idéal du juste milieu,

connaît ses classiques. Non pas tant les écrivains illustres qu'il cite, mais les éléments

fondamentaux de la caractérisation d'une (petite) patrie : paysages, éléments naturels,

tempérament des habitants et philosophie déployée dans l'histoire -ici est implicitement

évoquée une politique-, grands hommes du cru et, last but not least, le vin, synthèse la

plus achevée des vertus de la terre et des valeurs de la race7 6 . Tous sont en étroite

symbiose, déterminés par le même principe qui les forme et qu'ils prouvent : en

7 5 0 . Auriac, Inspecteur général de l'Instruction publique, Introduction à A. Got, Visages de la Gironde, op. cit., p. XVII-XXI.

76Un texte du manuel s'intitule "Le Vin de Bordeaux et la race"; p. 279 de la 2° édition.

Page 51: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 5 1 -l'occurrence, le juste milieu, aussi éloigné des fougues méridionales que des froideurs du

Nord. C'est très probablement à partir de la référence aux Girondins de la Première

République, valorisante sous la Troisième pour ce qu'elle est associée au refus "des excès

de la vertu" et surtout connue sur l'ensemble du territoire national, que se définit

l'ethnotype girondin de la "juste mesure", appliqué ensuite aussi bien à la nature qu'aux

habitants passés ou présents de la région. Un opportun renvoi à l'ancien maire de

Bordeaux ami de la Boëtie permet de désigner comme inhérente à l'âme girondine cette

"sagesse du milieu". La théorie du baron de la Brède, président à mortier du parlement de

Guyenne, est ici encore reprise mais dans sa causalité alternative : le climat, la nature,

forment le tempérament, mais ce tempérament s'applique aux éléments naturels

anthropomorphisés (La Garonne, devenue Gironde, se conforme à l'esprit girondin, perd

sa fougue pyrénéenne et s'apaise en atteignant Bordeaux).

Admirable tautologie Montesquieu qui permet de célébrer, par des épithètes

morales, une petite patrie qui souffre par trop de déficit en éléments naturels pittoresques :

"Notre pays meusien n'a point de sites comparables à ceux des Alpes, des

Vosges ou des Pyrénées ; ses horizons ne sauraient égaler ceux, immenses et

splendides de nos côtes ; son climat, son ciel sont loin d'approcher en douceur et en

lumière ceux de la Côte d'Azur.

Et pourtant, nous l'aimons, notre Meuse.

Pourquoi ? (...)

N'est-elle pas, Notre Meuse, la terre maternelle féconde et nourricière, aux

hommes rudes comme notre sol, simples comme notre milieu, forts et droits

comme les chênes de nos forêts, hospitaliers comme les chaudes maisons blotties

aux creux de nos vallons ?"77

77H. Thiéry, Le Département de la Meuse, op. cit. ,p. 52. Les mots en caractères gras le sont dans le texte initial.

Page 52: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 5 2 -La terre est comme les hommes qui la peuplent, les hommes sont à l'image de la

terre : l'identité se substitue à la relation de causalité, montrant bien que le matérialisme,

physique ou historique, régulièrement invoqué pour expliquer les relations intimes entre

un sol et ses habitants, n'est que la caution vaguement scientifique d'une tautologie posée

a priori.

Le sang de la race et les génies du lieu

Deux productions locales tiennent dans les blasons lyriques de la petite patrie une

place eminente, parce qu'elles font l'objet d'une reconnaissance valorisante à l'extérieur :

le vin et les grands hommes. Toutes deux sont supposées être, également, la quintessence

du génie local, sous sa double forme humaine et naturelle. Le vin naît du sol, certes, mais

il est aussi l'esprit de la race, selon une logique qui ne peut se formuler que dans le cadre

de la tautologie Montesquieu. Et si les grands hommes sont les résultats les plus achevés

du tempérament local, ils sont aussi produits naturels du sol, à l'instar des récoltes les

plus prestigieuses, dont le vin, justement. Ce que montrent bien les relevés sur le genre

de grands hommes produits par la petite patrie : hommes d'action ou poètes, marins ou

savants78.

On pourrait s'étonner de trouver dans des manuels destinés à des enfants de

moins de 12 ans des éloges vibrants du vin, s'il ne s'agissait en fait de déclarations

identitaires anthropomorphisant le sang de la vigne devenu le plus illustre rejeton de la

terre natale :

7 8 On trouve ce même principe, plus ou moins explicité, au fondement de la plupart des "Géographies littéraires" publiées dans la première moitié du XXo siècle. Le principe pouvait être parfois poussé à l'extrême, par l'établissement d'une relation entre types de production culturelle et nature géologique du sol : "Rémy de Gourmont, théoricien peu timide, voulait établir une 'carte intellectuelle de la France' et distinguait une 'région des poètes, une région des savants, une région des philosophes'. Aux poètes le terrain primaire, aux 'hommes de forte intellectualité' le jurassique, le crétacé aux mystiques de la religion, de la politique ou de la poésie. Enfin, le terrain volcanique représenterait la stérilité...tempérée par quelque rare floraison : Pascal." (Auguste Dupouy, Géographie des Lettres françaises, Paris, Colin, 1942, p. 171. L'auteur se réfère à Rémy de Gourmont, Epilogues, 3° série, 1905).

Page 53: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-53-

"Le Vin jaune

Tu as la fermeté et l'éclat de ma race Vin jaune, roi des vins, vin libre de Comté ! Pour te mûrir il faut, sur l'ardeur de l'été, Qu'octobre finissant pose un baiser de glace.

La feuille tombe alors et la grappe dorée Semble un beau fruit trop lourd, oubliée du pressoir ; Son sang ne jaillit pas tumultueux et noir Mais coule, chevelure aux cuves dénouée. (...)

Tu es le verbe ailé, la strophe dans nos fêtes, Cru de Château-Chalon, d'Arbois ou Pupillin ; Si, pour prendre un essor le vin pâle du Rhin S'appuie au froid cristal, toi, joyau ! tu reflètes,

Coulant comme un métal dans nos verres rustiques, La jeunesse et l'amour unis par les saisons, Et nous croyons tenir, vin, quand nous te buvons Tout le soleil des jours, tout l'or des Amériques !"

André-E. Maillet79

On notera que le vin du Jura porte haut la fierté nationale face au rival

germanique...Ce poème est prudemment suivi d'un texte sur "les Conséquences de

l'intempérance" alors que l'auteur de l'anthologie scolaire girondine fait suivre ses

abondants éloges des vins de Bordeaux de deux avertissements médicaux sur la nécessité

de leur consommation pour la préservation de la race (consommation avec modération,

certes, mais cela va sans dire puisque tout le manuel ne cesse de déclarer que la

modération est la caractéristique girondine par excellence) :

"Le Vin de Bordeaux et la Race Le vin de Bordeaux finit par donner à celui qui en fait sa boisson quotidienne

certains caractères spéciaux. Un esprit vif, animé, aimable ; une grande sensibilité, un peu de vanité, une forte confiance en soi-même, une grande facilité d'assimilation et peut-être une mobilité de caractère excessive : tels sont les traits de l'homme qui fait chaque jour usage du vin. Et, en réalité, ne sont-cc pas là quelques-uns ds caractères de ces populations gasconnes qui, dans notre Sud-Ouest, s'abreuvent depuis d'innombrables générations de nos vins généreux ?... Elle seront aimables et horpitalières, generases, et même quelquefois prodigues : elles aiment la gaieté, les spectacles et les discours ; elles sont tolérantes et ont horreur des excès ; elles se passionnent pour toutes les belles choses sans avoir toujours la patience de les réaliser...

7 9 H. Boibessot, op. cit., p.117. L'Index nominum du volume indique que l'auteur de ce poème est "Jurassien d'origine, directeur d'école à Arbois et a chanté, avec enthousiasme, certains aspects caractéristiques du pays".

Page 54: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 5 4 -L'usage quotidien du vin de Bordeaux non seulement ne fatigue pas mais même

contribue à l'heureux développement de l'individu et de la race. Professeur Amozan"80

Le texte suivant va plus loin encore dans l'eugénisme dyonisiaque, faisant du vin

de Bordeaux le sang régénérateur des Girondins :

"Tonique agréable du corps et de l'esprit, le vin de Bordeaux est un précieux stimulant du labeur et de la joie de vivre.

Le vin de Bordeaux est un élixir de longue vie, dit-on, et cela est vrai puisqu'on vit vieux dans la Gironde qui est le département où il y a le plus de nonagénaires et même de centenaires.

Professeur Portmann."81

Un autre texte du même volume intitulé "La grande parade des vins de Bordeaux"

porte en exergue une nouvelle déclaration médicale : "Les vins de Bordeaux sont les plus

équilibrés, les plus distingués, les plus suaves comme les plus hygiéniques, les plus

digestifs, les plus toniques de notre France, cette terre promise dont Bordeaux serait le

jardin.(Dr Paul Ramain)"82. Les médecins de la Troisième République n'étaient jamais en

manque de superlatifs dès lors qu'il s'agissait de recommander, en tant qu'autorité

scientifique, une eau minérale83 ou un vin devant être distingué de produits concurrents

et analogues. Or c'est précisément le cas, comme le souligne la note infrapaginale

adjointe :"la liste des crus classés de la Gironde, dressée par le syndicat des Courtiers en

vins près la Bourse de Bordeaux, spécialiste de la dégustation et de l'appréciation des

vins, a été établie en 1855." La tentative sera en fait officialisée par l'instauration, sur le

territoire national des appellations reconnues et judiciairement protégées qui associent

strictement un produit alcoolisé et une localisation géographique (délimitation

80Armand Got, Visages de la Gironde, op. cit., 2° édition, p. 279

81Armand Got, Visages de la Gironde, op. cit., 2° édition, p. 279.

82Armand Got, op. cit. Io édition, p. 157

83 On trouve dans quelques manuels ds notices sur les eaux minérales locales et leurs bienfaits. Ainsi trouve tout une enumeration des propriétés de l'eau de la Roche-Posay dans le manuel de SOUCHE (A.), Inspecteur de l'Enseignement primaire, Notre Petite Patrie, Loudun et Chatellerault, les pays loudunais, mirebalais et chatelleraudais, Poitiers, La Vienne et le Poitou, Histoire locale illustrée, Loudun, Imprimerie-Librairie H. Robert, 100 pages.

Page 55: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 5 5 -administrative en 1908 des appellations d'origine contrôlée, formation en 1935 d'un

Comité national des appelllations d'origine). La place tenue dans les manuels des années

1920-1930 par les éloges du vin local tient pour une bonne part à l'importance de l'enjeu

identitaire concernant la production vinicole durant ces années-là. Cela explique que le

manuel girondin offre à son jeune public, pour l'essentiel de milieu populaire, un long

texte intitulé "Ordonnance des vins de Bordeaux dans un grand dîner" où l'on apprend

qu'une entrée de cervelles gratinées doit être appuyée par un Haut-Brion, que le poulet

crapaudine appelle le Mouton-Rothschild ou le Rauzan-Ségla, et que le Château Haut-

Bailly couronne les foies gras.84 Un cliché photographique du long chapitre viticole

présente d'ailleurs aux écoliers une série d'étiquettes de grands crus.

L'école laïque n'a pas l'exclusivité de l'initiation enfantine à la perception des

crus locaux. L'Abbé Civrays, doyen de la Faculté des Lettres d'Angers, et auteur d'un

manuel à l'usage des écoles catholiques du département, Simples leçons sur l'Histoire de

l'Anjou et la Géographie du Département de Maine-et-Loire?5 s'abandonne avec plaisir à

une évocation de la vigne et du vin d'Anjou "léger, transparent, assez capiteux, gardant

une saveur de fruit, et, suivant l'expression de nos vignerons, un bouquet de terroir."

Autre série d'appellations d'origine contrôlée, la liste des grands hommes locaux

fait rarement défaut dans les manuels scolaires. Les grands hommes sont produits de

haute valeur de la terre où ils sont nés ; la gloire qu'ils ont nationalement ou

internationalement rejaillit sur leur petite patrie86. Mais, en vertu de la tautologie

Montesquieu, la connaissance des grands hommes permet de lire et de dire les

caractéristiques de leur sol natal et du tempérament de ses habitants.

84Armand Got, op.cit., Io édition, p. 167-168

8^Civrays (Abbé Th), doyen de la faculté des Lettres d'Angers, Simples leçons sur l'Histoire de l'Anjou et la Géographie du Département de Maine-et-Loire, Angers, Librairie des Editions de l'Ouest, nihil obstat et imprimatur, 1922,91 pages.

Civrays (chanoine Th), Histoire et géographie de l'Anjou, Angers, Siraudeau, 10° édition 1958,104 pages

86Etudiant les premiers musées d'ethnographie régionale en France, Isabelle Collet souligne la place importante dévolue dans les musées cantonaux ou départementaux aux grands hommes locaux, à l'époque où les places publiques et les rues se garnissent de statues. CF. Isabelle Collet, "Les premiers musées d'ethnographie régionale en France", dans Muséologie et ethnologie, Editions de la Réunion des Musées nationaux, 1987, p. 87.

Page 56: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-56-

"Châtelleraudais, Loudunais, Mirebalais sont des pays du Centre-Ouest de la France. Le Centre-Ouest de la France est non un lieu de passage indifférent et passif dans l'histoire. C'est une harmonie de pays, dans une région isthmique de haute signification européenne, où l'on a pris parti entre les races, les langues, les Etats, les politiques.

Aussi ces pays ont-ils produit des hommes représentatifs, ont-ils été des 'patries de grands hommes ' , comme on disait jadis si heureusement, hommes grands dans les lettres, comme les Sainte-Marthe, Théophraste Renaudot ; grands sans la science, comme René Descartes, étudiant et maître l'Université de Poitiers ; grands dans l'action comme Richelieu. "Pays' désigne les hommes et les lieux, la parenté du milieu et de l'esprit. On se connaît mieux soi-même en se sentant d'un pays. On connaît mieux les autres en se connaissant bien soi-même. Le souvenir des précurseurs indique des buts, des méthodes, suscite l'émulation.

Car le bon régionalisme ne recherche pas seulmement l'édification contemplative. II prospecte dans la région les gages d'avenir. Il n'est point une mode, une frivolité d'occasion, un vague regret. Il s'accompagne de l'espérance qu'un jour toutes les valeurs françaises seront reconnues. C'est une condition de l'équilibre de la nation. Il faut que chaque coin de France atteigne la perfection dans sa dignité intellectuelle et économique."87

Il est même des cas où rémunération des grands hommes est donnée comme

ultime recours pour dire le génie du lieu, alors que la caractérisation du pays et de ses

habitants tourne à l'apode, peut-être parce que l'ethnotype disponible se définit trop par la

négative. Cela concerne notamment Lyon à laquelle est atttachée une connotation de

froideur et de mystère inquiétant. Le manuel scolaire d'Henry Joly qui lui est consacré ne

résoud qu'en fin d'ouvrage la question de l'identité lyonnaise, posée dès le début comme

une énigme troublante par un texte de Sébastien Charléty :

"Le Lyonnais ne correspondant ni à une donnée physique claire, ni à une individualité historique immuable, ce serait forcer la nature que de lui découvrir les frontières naturelles qui lui manquent et la vérité que de choisir arbitrairement entre ses frontières historiques qui ont tant varié. Cet être indécis, indéterminé, existe pourtant, mais à sa manière, qui n'est pas celle de l'Auvergne ou de la Provence ou de la Bretagne. Ici, le corps est insignifiant, la tête seule importe. (...) Une ville devait y naître (au confluent du Rhône et de la Saône) et elle y est née. C'est en elle que se sont réunies et concentrées les énergies humaines qui ont imprimé leur marque aux données naturelles. Il y a eu un 'Lyonnais' dans la mesure où Lyon a grandi, s'est affirmé. Les hommes sont devenus lyonnais, bien moins pour être nés dans tel village de la civitas, du pagus, du comté ou de la province, que pour être venus des quatre coins de l'horizon participer à la vie collective de ce rendez-vous international. Ils y ont pris des habitudes communes, nées d'intérêts semblables ; ils y ont contracté une manière d'agir, un tour d'esprit particuliers et originaux, nés de la forme de vie qui leur fut imposée par leur présence sur ce coin de terre.

87Préface de J. Tourneur-Aumont, Professeur d'Histoire à l'Université de Poitiers, à SOUCHE (A.), Inspecteur de l'Enseignement primaire, Notre Petite Patrie, Loudun et Chatellerault, les pays loudunais, mirebalais et chatelleraudais, Poitiers, La Vienne et le Poitou, Histoire locale illustrée, Loudun, Imprimerie-Librairie H. Robert, 100 pages. Les passages en caractères gras le sont dans le texte original.

Page 57: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 5 7 -(...) Ces hommes se sont fondus en une population spéciale qui diffère de ses voisins les plus proches, inquiétante énigme pour l'historien qui l'étudié, pour le préfet qui l'administre, pour l'étranger qui passe."88

Le territoire lyonnais est un être monstrueux, à tous égards hydrocéphale, peuplé

d'individus venus de partout et pourtant semblables : collectivité artificielle et difforme,

faites d'apports multiples et disparates, Frankenstein parmi les naturelles merveilles

hexagonales. Quatre-vingt dix pages plus loin, au terme de l'exposé d'histoire lyonnaise,

c'est la version Metropolis de la capitale des Gaules qui surgit d'un texte proposé en

lecture aux écoliers :

"Les Lyonnais On peut enfin se demander, après avoir décrit Lyon, quels sont chez les

Lyonnais les traits de caractère les plus intéressants pour des visiteurs dominés par le souci du progrès scientifique (...).

A voir circuler et s'activer cette foule uniforme, grave et dont les visages fermés s'égayent rarement au delà d'un demi-sourire ironique, on discerne une population d'une homogénéité morale remarquable, malgré le nombre croissant des étrangers qui s'y incorporent, une population d'esprit posé, de froid bon sens. Dans cette population la pensée est à ce point anonyme et collective, que Lamartine écrit : 'Lyon a montré souvent un grand peuple, rarement de grands hommes.' Cette population paraît absorbée dans un labeur silencieux, âpre, tenace."89

Fort heureusement pour l'identité lyonnaise, l'illustre poète bourguignon se

trompait lourdement en déniant à Lyon une production locale de grands hommes. Le

chapitre suivant du manuel en donne un long relevé, selon les catégories usuelles

(hommes de guerre, voyageurs, hommes d'Etat, artistes, savants et inventeurs,

écrivains). Et la conclusion de cette liste, qui devait être initialement la conclusion de

l'ouvrage90, donne enfin la caractérisation du type lyonnais, et, par là-même du paysage

et du climat.

88 Extrait de Sébastien Charléty, Les Régions de France, II. Le Lyonnais, Paris, 1904, cité en page 11 dans JOLY (Henry), conservateur de la bibliothèque de Lyon, Petite Histoire de Lyon et du Lyonnais conforme aux instructions ministérielles, Grenoble-Paris, Arthaud, 1944,115 pages.

89Lévy-Schneider, Introduction à Lyon 1906-1926, Lyon, Rey, 1927, in-4°, (Cinquantième congrès de l'Association française pour l'avancée des Sciences), dans Henry Joly, op. cit., p. 99-100.

90 On expliquera ultérieurement dans cette étude comment ce manuel publié en 1944 a reçu un ultime ajout historique non prévu dans le plan initial.

Page 58: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-58-"La liste des hommes célèbres, auxquels Lyon et le Lyonnais ont donné

naissance, est significative ; plus qu'une longue analyse, elle marque bien le double aspect du génie de la ville.

Pauvre en hommes de guerre et en hommes d'Etat, elle est aussi moins abondante en artistes que ne le laisseraient supposer sa richesse et son importance démographique. Au contraire, elle a donné naissance à de nombreux savants et poètes, marquant ainsi une alliance originale de sens pratique et de rêve.

Le Lyonnais, travailleur acharné et sans gaieté, est tourné vers le réel. Aussi, parmi la foule laborieuse qui peuple ses ateliers, ses laboratoires, s'est-il levé toute une moisson de savants, d'inventeurs, qui ont enrichi la science et l'industrie de réalisations pratiques, il est symbolique de constater que le premier chemin de fer ait été construit entre Lyon et Saint-Etienne, pour des fins économiques. Peu de régions de France, en-dehors de Paris, ont été, plus que Lyon et le Lyonnais, un foyer de fondations ou d'inventions variées ; entre autres : première classification scientifique des plantes vers 1722 ; premier bateau à vapeur remontant la Saône en 1783 ; premier métier à tisser en 1806 ; première machine à coudre en 1829 ; principes de î'électro-dynamique découverts par André-Marie Ampère après 1820 ; principes de l'aviation moderne posés par Louis Mouillard dès 1881 ; enfin, invention du cinématographe par les frères Lumière en 1895. Cette apreté au travail, cette ingéniosité scientifique ne constituent qu'un des aspects du caractère lyonnais.

Cité de brumes, aux façades sévères, Lyon est aussi une ville restée mystique, où la vie religieuse, sous toutes ses formes, est restée intense et qui a donné naissance à des poètes et des philosophes. La floraison en a été remarquable surtout à l'époque de la renaissance et à l'orée du XIXo siècle ; ce qu'on a pu appeler 'l'école mystique de Lyon', J.B. Willermoz, Ballanche, Blanc Saint-Bonnet, C1.J. Brcdin, les philosophes J.-J. Ampère, Ozanam, les poètes V. de Laprade, J. Soulary, rejoignent à travers le temps, Maurice Scève, Louise Labbé, Pcrnette du Guillet.

Ainsi se précise le double aspect, réaliste et mystique, d'une des villes les plus originales de France. Isolée dans son labeur et son rêve, elle a profondément marqué le pays qui l'entoure ; son influence ne fait que croître et s'étend, désormais, sur une région économique beaucoup plus vaste que l'ancien Lyonnais."91

Variation du topos sur la "colline qui travaille et la colline qui prie", mais

modernisée en ce qu'elle déduit rétroactivement de l'existence d'une forte industrie

chimique et métallurgique lyonnaise un constant caractère d'innovation scientifique.

Quant à l'appellation "école mystique de Lyon", qui présente l'avantage d'avoir quelque

renommée nationale, elle est appliquée également rétroactivement à l'ensemble de la

production culturelle lyonnaise, non sans quelque audace. Et la détermination par les

grands hommes de l'ethnotype lyonnais induit la caractérisation de la ville / 'cité de

brumes, aux façades sévères", à l'image de ses habitants. Mais l'alliance entre brumes et

netteté sévère, mysticisme et science, rêverie et action nous ramène une fois de plus à

cette notion d'équilibre, de balance entre les contraires qui est, semble-t-il, l'ethnotype

français par excellence... à l'intérieur de la Nation. Le Lyonnais, superficiellement une

inquiétante énigme, s'avère finalement pour l'oeil averti une quintessence du Français.

91Henry Joly, op. cit., p. 107-108. Le passage mis en caractères gras l'a été par nous.

Page 59: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 5 9 -La référence aux grands hommes peut s'avérer utile pour prouver l'attachement

naturel et ancien à la France d'une province qui a pu connaître dans l'Histoire une

certaine indépendance, voire à une période toute récente, être la manifestation de

tendances sécessionnistes. La Petite Histoire de Bretagne92, de Jacques Levron, publiée

en 1946, insiste longuement sur cet indéfectible attachement de la Bretagne à la France,

qui n'entre pas en contradiction avec l'ethnotype du Breton fier et indépendant, comme le

prouve heureusement les grands hommes de la province. Dès les premières pages, le

manuel énonce que :

"les Bretons ne séparent pas l'amour de leur pays de celui de la France. La longue lignée des valeureux marins, de grands chefs et d'illustres écrivains qui sont nés sur son sol a servi la France et fait honneur à notre patrie autant qu'à la Bretagne." (page 9)

Le manuel a pour dernier chapitre la présentation des grands hommes, dont la

catégorie d'appartenance est déterminée par les qualités de la race :

"Peuple énergique et intrépide, les Bretons comptent naturellement un nombre considérable d'hommes célèbres qui se sont illustrés surtout comme marins, explorateurs ou soldats." (p. 126).

Et la conclusion de reprendre la leçon martelée tout au long de l'ouvrage :

"La Bretagne ne peut se passer de la Mère-Patrie. Les Bretons, souvent susceptibles, jaloux de leur indépendance, fiers de leurs qualités, n'ont jamais hésité à servir cette patrie." (p. 136)

Notons que les critères déterminant le classement comme "grand homme local"

ont connu des variations au cours de la Troisième République, la sélection devenant plus

rigoureuse et les produits douteux étant rejetés. Le manuel de Caumont présente ainsi

pour son édition des Vosges en 1877 une liste surabondante de "personnages

marquants", à commencer par les saints les plus obscurs, suivis notamment par des

92Levron (Jacques), Archiviste en chef du Maine et Loire, Petite Histoire de Bretagne, Grenoble-Paris, Arthaud, 1946,145 pages.

Page 60: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 6 0 -ostéologistes "rebouteurs de père en fils" et des pisciculteurs, un rédacteur du Code civil,

quelques parlementaires, un graveur et un quarteron de généraux. La quantité importe

encore plus que la qualité :

"Notre département est encore un de ceux qui ont fourni le plus de célébrités et d'hommes notables de toutes les catégories.

Nous mettrons au premier rang ceux qui se sont distingués par leur piété et que l'Eglise compte au nombre de ses saints ; saint Romaric, saint Déodat, saint Hydulphe, saint Leudin et saint Gondebert (..); saint Amé, saint Adelphe, sainte Mactfelde, sainte Gebertrude, saint Elphe, (...) "etc., etc.93

Assez vite en fait s'impose un label de qualité qui entraîne une importante

réduction des effectifs : le grand homme local est un grand homme national né dans la

petite patrie, à défaut un second couteau de la scène nationale. Il est assurément plus

glorieux de mettre en avant Descartes qu'un membre de l'Académie, mais les Corps

constitués étoffent utilement les troupes d'hommes illustres. En fait, le grand homme

local répond au critère de statufiabilité. La laïcisation de l'enseignement assurément n'est

pas étrangère à la disparition des ermites et martyrs aux pittoresques prénoms, mais

Rome ne leur eût peut-être pas accordé systématiquement sa bénédiction. Les saints

laïques, inventeurs à la Palissy et grands bienfaiteurs de l'humanité à la Pasteur, tiennent

les Panthéons locaux aux côtés des capitaines courageux, des maréchaux émérites et des

artistes de pinceau ou de plume. Le rattachement de l'Alsace à la France permettra

opportunément de rapporter à la grande Patrie, par le biais de la petite, une gloire de

l'humanité : l'homme né malencontreusement à Mayence qui inventa à Strasbourg

l'imprimerie.

La miniature historique

Les hommes célèbres "du pays" (dira-t-on que les femmes célèbres sont là aussi

rares qu'au Panthéon ?) sont supposés parangons des vertus de la race, aïeux de qualité

supérieure. A leurs Vies parallèles est accordée une fonction pédagogique eminente :

93CAUMONT, Lectures courantes des écoliers français, Notre Département, Les Vosges, partie départementale par Mangeonjean, Inspecteur de l'Instruction primaire, Paris, Dclagrave, 1877, p. 225.

Page 61: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-61 -

"(J'ai) donné une bonne place aux biographies des grands hommes qui ont honoré le pays et personnifié au plus haut degré les qualités des ancêtres. Il faut, en effet, faire vivre les enfants avec les âmes les plus nobles du temps passé, et je n'hésite pas à dire qu'un manuel d'histoire locale pour les enfants doit être une espèce de Plutarque de la province ou du département. (...) Et ces grands hommes ne sont pas seulement la gloire de la province, mais une partie de la gloire de la France. Les connaître, c'est donc pénétrer dans l'histoire même de la patrie et dans les meilleurs enseignements de cette histoire.."94

Les biographies de grands hommes locaux sont donc, pour l'enseignement du

premier degré, autant de De viris illustribus parvaepatriae ....ad majorem Patriae gloriam

. Si la petite patrie est digne des éloges les plus extrêmes, on l'a dit, c'est qu'elle est

composante de la merveilleuse mosaïque française, et si possible résumé idéal de la

nation. Semblablement, l'histoire locale n'est tenue pour signifiante que dans le cadre de

l'histoire nationale, dont elle doit être si possible le meilleur concentré. Elle peut ainsi être

donnée comme adjuvant de l'histoire nationale, comme dans le manuel de Julien Hay,

Histoire de France comprenant des notions d'histoire de la Mayenne 95 qui porte en

exergue deux phrases indiquant clairement le mode d'usage de l'ouvrage : "l'histoire

locale doit venir en aide à l'histoire générale" et "C'est par la petite patrie que le coeur

s'attache à la grande patrie (JJ. Rousseau)96. Les chapitres de l'histoire nationale sont ici

suivis de leurs applications dans le département97.

9 4 Avant-propos de l'auteur à : FABRE (C), Ancien Directeur de l'Ecole Normale d'Instituteurs de la Haute-Loire, vice-président de la Socité des Etudes Locales, La Haute-Loire, précis d'histoire et bibliographie historique, Le Puy-en-Velay, imprimerie "La Haute- Loire", 1925, "Publications de la Société des Etudes Locales, Section de la Haute-Loire, 75 pages.

9^Hay (Julien), Histoire de France comprenant des notions d'Histoire de la Mayenne, ouvrage rédigé conformément au programme des Ecoles primaires du département de la Mayenne, cours moyen, année du certificat d'études primaires, contenant 15 cartes, 90 gravures donnant 200 sujets différents et 250 lectures historiques empruntées à nos grands historiens, Laval, imprimerie Barnéoud et Cic, 2° édition, huitième mille, 1907, 307 pages

96La première phrase est donnée sans nom d'auteur ; en ce qui concerne la seconde, nous n'avons pu en trouver l'origine dans l'oeuvre de Rousseau ; son éventuel caractère apocryphe témoignant alors du zèle d'un pédagogue républicain. On trouve dans d'autres manuels une citatation en exergue de Rousseau qui peut être à l'origine de la déclaration IIIo République attribuée par Hay à l'auteur de l'Emile : "Pour Emile, les deux premiers points de gépgraphie seront la ville où il demeure et la maison de campagne de son père ; ensuite les lieux intermédiaires, ensuite les rivières du voisinage."

97Le mauel de Hay, qui ordonne strictement le programme par mois (avec pour chacun révisions et notions nouvelles) donne (P. 305-306) une série de "sujets donnés au certificat d'études depuis 1895" dans le département, dont celui-ci : "Nous avons deux patries : la patite ou le pays natal et la grande ou la France. Quels devoirs avons-nous à remplir vis-à-vis de chacune d'elles ?"

Page 62: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 6 2 -L'histoire locale s'écrit donc comme version miniaturisée et pertinente de l'histoire

nationale :

" Ce petit livre est offert à tous ceux qui, en Berry, étudient ou enseignent l'histoire. Aux uns, il permettra de mieux comprendre les faits généraux, de s'y intéresser davantage, en les mettant, pour ainsi dire, plus près d'eux. Aux autres, il permettra, suivant un conseil judicieux, souvent renouvelé par les autorités scolaires, de faire place à l'histoire locale dans leurs leçons.

Quest-ce que l'histoire locale ? Ce ne peut être, à mon avis, que l'histoire de la province, surtout si la province, est, comme le Berry, d'étendue restreinte, et a possédé une individualité propre, sans cesser, à aucun moment, de participer à la vie du pays tout entier. Il convient d'y ajouter les faits dont la commune ou le canton aurait été le théâtre ; mais l'instituteur pourra les résumer en quelques lignes, quand ils en vaudront la peine.

Des difficultés insurmontables empêchaient les maîtres d'utiliser l'histoire locale. Les ouvrages qui en traient sont nombreux et volumineux ; ils ne se trouvent que dans les grandes bibliothèques ; ils renferment de longs passages sans intérêt ; enfin ils ne sont pas écrits our les enfants. Un travail de recherches, de choix, d'adaptation était nécessaire. On ne pouvait l'exiger des instituteurs, je m'en suis chargé.

Dans nos écoles, on doit demander à l'histoire locale de rendre familier le passé du Berry absolument ignoré, on peut l'affirmer, et pourtant si plein d'intérêt, et d'autre part, d'éclairer, d'illustrer l'histoire de France. Chacun des faits relatés dans les récits qui suivent répond à ce double besoin. J'ai retenu seulement, des annales de la province, ce qui pourrait figurer dans les annales du pays lui-même. Tout ce qui était trop particulier, tout ce qui n'offrait qu'un intérêt purement local a été sacrifié. (...) Si les pages qui vont suivre pouvaient donner aux jeunes générations de nouvelles raisons d'aimer la petite et la grande patrie, ce me serait une précieuse récompense."98

Ces propos d'un Inspecteur de l'Enseignement primaire datent de 1905 et sont

donc antérieurs à la circulaire Maurice Faure de 1911 qui apporte un solide soutien

officiel à l'enseignement de l'histoire et de la géographie locales. Mais, comme il en est

fait état ici, les autorités pédagogiques, déjà, encouragent les instituteurs à dispenser des

leçons sur le local et n'hésitent pas, au besoin, à mettre la main à la plume pour faciliter

cet enseignement. La volonté d'écrire l'histoire locale à l'usage des écoles primaires dans

le cadre de l'histoire nationale est particulièrement manifeste dans la division en chapitres

de ce volume, qui calque celle des manuels nationaux, à quelques différences près. Il y a

ainsi quelques dédoublements de chapitres nationaux lorsque leur illustration locale est

notable : Jacques Coeur fait l'objet d'un chapitre entier, de même que Bourdaloue, le

Général Bertrand et George Sand. Les grands hommes sortent de la division à laquelle

ils sont historiquement affectés pour faire l'objet d'un long développement, sans que

98 Préface de l'auteur à PERCHAUD (J.B.), Inspecteur de l'enseignement primaire, Lectures sur l'histoire du Berry, Paris, Belin, 1905,96 pages

Page 63: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 6 3 -l'ordonnancement chronologique usuel soit modifié. L'accent est mis non sur les

spécificités de l'histoire locale, mais bien au contraire sur le fait qu'elle est au coeur de

l'histoire nationale. La première leçon, déjà, indique "qu'au temps des Gaulois, nos

ancêtres se nommaient Bituriges. (...). Ils ressemblaient aux autres Gaulois. De haute

taille, la barbe et les cheveux blonds, la peau blanche, ils étaient braves, hospitaliers,

passionnés pour les aventures et les combats." La suite immédiate nous apprend que ces

Gaulois "comme les autres" étaient de la plus haute qualité, qu'ils conquirent une bonne

partie de l'Europe, bâtirent plusieurs villes, dont Bordeaux et une cité transalpine appelée

Milan en souvenir de la petite patrie de son fondateur....Châteaumeillant ! Inventeurs de

l'art d'étamer les métaux, experts dans la culture du lin, "nos ancêtres Bituriges"

faisaient également d'excellents jambons fumés que leur enviaient les peuplades voisines.

Bref, les lointains ancêtres des Berrichons avaient à peu près tout fait, hormis découvrir

l'Amérique ; il n'est donc pas étonnant que d'autres ancêtres moins lointains, ceux qui

figurent en milieu de volume, aient été les inventeurs du sentiment national et de la

première Union sacrée :

"(durant la guerre de Cent ans), en plusieurs points du Bcrry, les habitants, nobles, bourgeois, paysans, se réunissent pour résister aux envahisseurs par leurs propres moyens. C'est à Issoudun et à Bourges que l'on trouve surtout ces groupements fraternels dans lesquels nous voyons surgir un sentiment tout nouveau, le patriotisme."99

Fraternité, liberté, union des ordres sociaux : le Berry est à ce point idéal résumé

de la Nation que le patriotisme et la République s'y sont préfigurés, avec quatre bons

siècles d'avance ....D'ailleurs, au moment de la formation des départements, et du

partage du Berry en Indre et Cher, "chose digne de remarque, la plupart des localités

limitrophes demandaient à faire partie du Berry". 10° Le résultat est qu'à l'image de la

France, le Berry départementalisé a ses frontières ratifiées par la nature, les populations et

l'esthétique géométrique : "Le Berry était désormais plus régulier de forme, plus

homogène dans ses parties, et comme toutes ses annexions étaient désirées par les

habitants, il n'y eut, pour ainsi dire, aucun étranger introduit en Berry."101 En dignes

descendants du peuple biturige , ce nec plus ultra de la gallitude, et des patriotes quasi-

yy Perchaud, op. cit., p. 30. Le terme souligné l'est dans le texte original.

100 Ibid., p. 81

101Ibid„ p. 83.

Page 64: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 6 4 -démocrates de la Guerre de Cent ans, les volontaires berrichons devaient former le fer de

lance de la résistance aux tyrans ennemis :

"Les volontaires de certaines régions se montraient turbulents ; plusieurs séditions s'étaient produites parmi ceux du Midi. Rien de semblable dans les bataillons du Cher et de l'Indre, où une discipline exacte, un courage à toute épreuve, un esprit militaire excellent ne cessèrent pas un instant de régner. Dès qu'ils eurent élu leurs chefs, ils employèrent tout leur temps à des tirs et à des marches d'entraînement sans jamais se laisser distraire de leurs patriotiques occupations. (...) L'année suivante, le bataillon du Cher contribua, par une charge magnifique, au succès de la bataille de Fleurus. (...)

Les volontaires du Cher et de l'Indre ont montré dans la défense de la patrie et de la liberté d'admirables qualités. Ils furent des soldats modèles, leur exemple doit être toujours devant les yeux des jeunes générations.102

Le procédé usuel du recours à l'ethnotype-repoussoir méridional permet de

présenter le caractère dicipliné et ordonné des volontaires Berrichons comme une

caractéristique de la race que les jeunes générations doivent cultiver. L'aboutissement de

l'histoire du Berry, présenté succinctement dans les dernières pages, est sans doute la clé

de cet ethnotype affirmé au fil des chapitres historiques : Bourges est ville d'arsenaux, et

les grandes entreprises industrielles y sont nombreuses, ainsi que les centres ferroviaires.

Respect de l'ordre et de la discipline, mais aussi esprit démocratique ne sont pas inconnus

des ouvriers berrichons : l'histoire locale s'écrivant à rebours construit les ancêtres à la

ressemblance des fils.

Les Lectures sur l'Histoire du Berry sont riches en anecdotes plaisantes ou

moralisantes 103à l'historicité douteuse : quelques années plus tard, les récits apocryphes

et les historiettes fantaisistes disparaîtront des manuels pour ne plus subsister - mais

durablement - que dans les guides touristiques de grande diffusion. Cependant les

productions aberrantes de la Légende dorée locale n'ont pas encore été éliminées en 1905

: les écoliers ont donc droit à l'horrifique histoire de Saint Greluchon, alias Corusculus,

Romain amoureux de la chrétienne Rhodène. Pour se soustraire à la concupiscence de

son fiancé, la jeune vierge se coupa avec des ciseaux nez, lèvres et oreilles, sauvant sa

foi et provoquant la conversion de son amoureux104 ! L'abolition du Concordat a pu

102Ibid., p. 84-85

103Ce recours aux anecdotes s'inscrit dans une pédagogie qui, comme le spécifiait Lavisse en préface de plusieurs de ses manuels, concevait "l'enseignement de l'histoire aux tout-petits comme une suite d'histoires racontées par les grands-pères aux petits enfants."

104Ibid. p. 11.

Page 65: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 6 5 -avoir le mérite de protéger les esprits enfantins des phantasmes sexuels sadiques du

légendaire religieux, mais certains auteurs de manuels ont ultérieurement imposé aux

enfants d'autres visions tout aussi horribles et peut-être encore plus prégnantes, parce que

dépourvues de comique involontaire (descriptions d'épidémies de peste ou de massacres,

par exemple).

La grande différence entre le manuel berrichon publié en 1905 et les

ouvrages pédagogiques ultérieurs porte donc sur la sélection de l'information historique,

qui devient beaucoup plus rigoureuse. Cette épuration témoigne d'une formation plus

solide des enseignants et de la production d'un grand nombre de travaux savants sur

l'histoire locale et régionale depuis le début du siècle105. Mais la conception de l'histoire

locale comme illustration de l'histoire nationale n'est pas modifiée. Le manuel que

l'ancien directeur de l'Ecole Normale d'Instituteurs de la Haute-Loire consacre en 1925 à

l'histoire de son département donne en notes infrapaginales une surabondances de

références erudites et des indications précises de sources qui tendent à l'emporter sur le

texte même et rendent la lecture du manuel fort ardue ; le manuel s'achève en outre par

une longue bibliographie savante sur la région. Mais la Table des Matières est analogue à

celle des manuels nationaux, et l'auteur précise bien en son Avant-propos que l'histoire

locale est celle de la province et du département dans le cadre de l'Histoire de France :

"Parmi ces personnes (les destinataires de l'ouvrage), la circulaire ministérielle du 24 février 1911 classe forcément tous ceux qui ont à enseigner l'histoire dans nos écoles, et plus particulièrement les institutrices et les instituteurs qui, souvent isolés dans d'humbles localités dépourvues de bibliothèque, ne savent où puiser les éléments mêmes d'un enseignement qu'on les oblige à donner. On a dit à ces isolés, il est vrai : "Rédigez vous-mêmes une monographie communale qui sera le noyau de vos leçons d'histoire locale.' Mais il y a des communes qui n'ont pas d'histoire. Beaucoup n'ont qu'une histoire réduite à quelques faits épars, sans lien aucun avec ce qui est réellement l'histoire. Enfin, un hameau et une commune rurale ont peu vécu de leur vie propre, mais de celle de leur province, de leur département, de la France. C'est donc l'histoire de la province et du département, liée a celle de la France, qu'il

105En octobre 1901, Camille Blochprésente devant la Société d'histoire moderne une communication sur "L'organisation des études d'histoire locale en France". L'année suivante, Pierre Caron y lit un rapport sur "L'organisation des études locales d'histoire moderne" . En 1903, Henry Berr publie, dans la Revue de synthèse historiquequ'il dirige, une "Synthèse des études relatives aux régions de la France", article exposant l'intérêt et le programme d'une étude systématique des régions françaises. Berr entreprend de publier en conséquence une série de monographies historiques régionales. Jeunes historiens, Lucien Febvre(Lû Franche-Comtél9U) et Marc Bloch (L'Ile-de-France, 1913) exposent la leurs premiers travaux d'importance.

Page 66: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-66-faut présenter aux enfants, en se bornant d'ailleurs aux grandes pages et aux choses essentielles dignes de mémoire."106

On pourrait alors s'interroger sur l'intérêt de présenter une histoire locale à

laquelle est déniée toute autonomie. Mais, et c'est le corollaire de cette présentation de

l'histoire locale qui l'ampute de tout ce qui ne relève pas du national, l'histoire de la petite

patrie est donnée comme quintessence, illustration exemplaire de l'Histoire de France.

Une autre conséquence de la construction du national sous forme d'emboîtements fait de

chaque petite patrie l'idéale miniature de la France, des origines à nos jours...

"D'ailleurs, presque toutes les pages de l'histoire du département sont des illustrations de la grande histoire de France. Adhémar de Montcil résume presque à lui seul la première croisade. La féodalité laïque ou seigneuriale a laissé sur nos coteaux, dans nos vallées, sur nos montagnes, des châteaux dont les ruines imposantes sont les témoins d'un régime social qui a duré mille ans ; et nulle part ailleurs qu'ici, ce régime féodal n'a laissé des monuments aussi nombreux et aussi éloquents. (...)Nulle part ailleurs encore, cette féodalité, que les manuels élémentaires ne signalent point par son nom, n'a fait sentir aussi bien qu'ici sa tyrannie si admirablement hiérarchisée, ainsi que ses bienfaits. Où trouver, hors de chez nous, pour l'histoire des mouvements des communes, un ensemble de preuves plus frappantes et plus instructives que la charte des franchises du Puy en 1218 et les chartes de Chapteuil, d'Auzon, de Roche-en-Régnicr, d'Artias, de Saint-Didier, etc. ? Enfin, les guerres de religion ne forment-elles point dans tout le département un drame complet et saisissant qui résume dans toutes ses manifestations, parfois obscures et toujours horribles, hélàs ! l'accès de fanatisme odieux qui ensanglanta la France pendant quarante ans ?

Sur toutes ces questions, donner une enseignement qui ne partirait pas de l'histoire locale, pour s'élever graduellement, comme disent les traités de pédagogie, du connu à l'inconnu, ce serait vouloir négliger les illustrations, pour ainsi dire matérielles, qui rendent cet enseignement intelligible et vivant. Pour m'en tenir à un exemple, je ne comprendrais pas un maître qui, ayant à exposer les empiétements patients de la royauté capétienne dans les provinces les plus reculées et les plus modestes, ne commencerait pas par lire à ses élèves le traite de paréage que Philippe-le-Bel imposa à l'évêque du Puy en 1307."107

L'histoire locale, donc, n'a de légitimité que comme concentré d'histoire nationale

: partout les Tables des Matières alignent les débuts préhistoriques (systématiques après

la Première guerre mondiale), les époques gauloise et romaine, les états postérieurs à

l'Empire romain, la féodalité, la Guerre de cent ans, les Guerres de religion, l'Ancien

Régime, la Révolution et l'Empire. Le rattachement à la France, à quelque époque qu'il

106C. Fabre, op.cit., p. IV

107C. Fabre, op. cit., p. V.

Page 67: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 6 7 -ait lieu, apparaît plutôt comme un non-événement, un enchaînement naturel. Les Glanes

bigourdanes, lectures d'histoire locale,10* présentent ainsi Le pays et Comté de Bigorre

des origines à 1607, puis le pays des Quatre-Vallées des origines à 1473 avant de traiter

de leur histoire commune après la réunion de l'un et de l'autre à la Couronne de France

mais le plan de chaque partie est bien celui des manuels nationaux. Les spécificités

bigourdanes ne sont pas totalement niées, mais elles relèvent d'une partie intitulée

"Archéologie contemporaine" qui est en fait d'ordre ethnographique, tandis que le volume

s'achève par les biographies des grands hommes du cru, tous grands patriotes, et

particulièrement le dernier, à savoir le Maréchal Foch.

Le rattachement à la Couronne de France peut même être présenté comme

aboutissement d'un préalable désir de patrie française unissant localement noblesse et

peuple. Ainsi les Dauphinois sont-ils crédités du précoce sentiment patriotique dont les

Berrichons s'accordaient la primeur :

"L'Union française Au cours de ces luttes entre la France et l'Angleterre (durant la Guerre de Cent

ans), les gentilshommes dauphinois prennent souvent parti pour le roi de France, particulièrement pour le Roi de Bourges (futur Charles VII) et avec les milices du dauphiné combattent glorieusement à Poitiers, à Verncuil, à Orléans. Pour la première fois apparaît en France le PATRIOTISME POPULAIRE.

Au milieu du 14° siècle, le dernier membre de la dynastie des Dauphins, Humbert II, qui n'a pas d'enfant , désigne comme son héritier un fils du roi de France et Charles V est le premier Dauphin royal. Il vient passer quelques mois à Grenoble.

Les deux comtés du Sud : Valentinois et Diois sont rattachés au Dauphiné en 1423. A partir de ce moment l'histoire de notre région se confond à peu près avec celle de la France."109

Un texte adjacent, emprunté à un historien local, corrige quelque peu cette vision

naturellement patriotique de l'entrée du Dauphiné dans la Nation française. Sous le titre

"Cession du Dauphiné à la France", il rappelle que le Dauphin abdiqua ses pouvoirs entre

108 Escoula (René) (instituteur à Campan), Glanes bigourdanes, lectures d'histoire locale, Toulouse-Paris, Privât-Didier, 1930.

109MEJEAN (Paul), Agrégé de l'Université, Inspecteur d'Académie, Petite Géographie et Histoire du Département de la Drôme, 1941, Editions de la France Nouvelle, p. 68. Les caractères mis en majuscules ou en gras le sont dans le texte original.

Page 68: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 6 8 -les mains du fils du roi de France en échange de 10 000 livres de rente et du paiement de

ses lourdes dettes...

Une dizaine de pages plus loin, le chapitre consacré aux Croisades, traite de la

répression de l'hérésie albigeoise en termes particulièrement virulents à l'égard des

guerriers du Nord.

"L'hérésie des Albigeois est surtout développée dans le Languedoc, mais elle déborde aussi en Provence et dans le Sud de notre département. La direction de la croisade, qui groupe surtout des guerriers du Nord de la France, est confiée à un seigneur de l'Ile-de-France, Simon de Montfort, dur et autoriatire. La répresseion de l'hérésie, menée avec fanatisme, est atroce et n'épargne pas notre région. Dans le Diois et le Valentinois, une partie de la population est favorable aux Albigeois. Certains seigneurs, Guillaume d'Adhémar, seigneur de Moniélimar, par exemple, les soutiennent Simon de Montfort vient attaquer Montélimar, y pénétre, puis assiège la Tour de Crest où s'étaient réfugiés les partisans de Guillaume d'Adhémar."110

La dénonciation de la Croisade des Albigeois sera, dans les années 1970, un

passage obligé de la Croisade occitane contre l'impérialisme français. I c i i n l a

stigmatisation de la cruauté des barons du Nord s'inscrit plutôt dans le cadre d'une

histoire républicaine, forgée au 19° siècle, attentive à déceler dans l'Histoire de France le

progrès vers une Nation de citoyens, vers la tolérance, vers l'union patriotique. Les

exactions du fanatisme, à l'occasion des Guerres de Religion, notamment, y sont

régulièrement déplorées tandis que sont soulignés les temps forts du processus

démocratique et patriotique : vaillante résistance aux envahisseurs romains, chartes

communales, Etat-généraux et cahiers de doléances, etc. Le traitement des grandes

insurrections de l'Ouest, sous la Révolution, est d'ailleurs objet de la plus grande

prudence, attribuant la révolte à des malentendus et la répression à la nécessité de sauver

la nation.

1 1 0 Ibid., . 80. Les passages mis en gras le sont dans le texte original. On peut signaler qu'un texte adjacent, emprunté à un historien local, indique qu'un des Croisés du Nord, las de la guerre vint se retirer en "hermite" près de Tain, y planta de la vigne et fut ainsi à l'origine d'une des fiertés vilicoles locales.

^ L e manuel présenté ici a été publié en 1941. Mais, comme on le précisera ultérieurement, les manuels publiés entre 1944 et 1941 ne diffèrent pas, sur l'essentiel, des manuels de la Troisième République et ne mettent pas en oeuvre une autre conception de l'histoire locale et nationale. Les différences sont surtout des ajouts ostensibles, conformes à l'esprit du temps, plaqués sur le fonds de discours Troisième République.

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- 6 9 -La supériorité de l'histoire locale résiderait aussi en ce qu'elle serait plus vivante

que l'histoire nationale. Le raisonnement serait curieux (qu'est-ce qu'une histoire vivante

?) s'il ne renvoyait à l'habituel jeu d'assimilation local/concret/populaire/familial versus

national/abstrait/intellectuel/social. L'histoire locale, c'est en fait pour l'écolier

l'émouvante histoire de ses ancêtres... qui ont eu l'heureuse idée de participer aux grands

chapitres de l'Histoire et qui ont laissé à proximité immédiate de l'école des exemples en

trois dimensions des illustrations du manuel d'histoire nationale . La circulaire

ministérielle de 1911 explicite longuement cette conception de l'histoire locale qui couple

des principes pédagogiques et une représentation de la nation en usant abondamment du

registre de l'émotion immédiate et du spectaculaire :

"Ce qui fait que l'histoire apparaît généralement à l'enfant comme une étude difficile et peu attrayante, c'est qu'elle lui est trop souvent présentée d'une manière abstraite et sans liens avec la réalité qu'il peut concevoir. On ne l'y intéresse vraiment qu'à la condition de solliciter sa curiosité ou de provoquer son émotion. C'est surtout pour lui que l'histoire doit être, suivant le mot de Michelet, une résurrection. Et comment réussira-t-on mieux à la rendre telle à ses yeux qu'en la plçant dans le cadre de son existence quotidienne, qu'en lui rappelant les faits dont sa région a été le théâtre, en lui racontant la vie de ceux de ses aïeux dont la mémoire a mérité de survivre, en lui montrant, tout près de lui, des sites, monuments, ruines, vestiges divers, propres à faire naître des visions évocatriecs et de fortes impressions ? (..) Le dolmen de la lande évoquera le souvenir de la préhistoire. À la vue de l'antique château dont la silhouette se profile sur le ciel, de la cathédrale ou de l'abbaye, de la modeste église de village, de la vieille maison commune, un commentaire sobre, mais imagé, fera apparaître et revivre en quelque sorte le moyen-âge. La statue du glorieux soldat qui se dresse sur la place publique illustrera le récit familier des héroïques épopées de la Révolution et de l'Empire. Ainsi placés, non dans un cadre imprécis et vague, mais dans leur milieu même, les faits deviendront plus impressionnants, les personnages plus réels. Ainsi nourrie pour ainsi dire des sucs du terroir, l'histoire nationale sera plus vivante et mieux comprise"

La métaphore organique finale, qui passe implicitement sans doute par l'image du

vin-sang de la race, anthropomorphise l'histoire nationale comme vivante synthèse (ou

mère-gigogne) de ses réalisations locales. Et l'Inspecteur d'Académie de l'Aisne, qui cite

cet extrait de la circulaire ministérielle en préface d'un manuel d'histoire112 redouble cette

présentation de l'histoire locale comme illustration concrète, familière et systématique de

l'histoire nationale :

112CAMUS-DAUTIGNY (L. et Ch.), Instituteurs de l'Aisne, avec la collaboration de HENIN (M.), Professeur au Lycée de Saint-Quentin et PIEUCHARD (M.) Inspecteur de l'Enseignement primaire à Saint-Quentin, Gens et choses d'autrefois, L'Aisne, Documents d'Histoire locale pour servir à l'illustration de l'Histoire de France, fascicule vendu au profit de la Caisse des Pupilles de l'Ecole, Laon, Inspection Académique, Imprimerie générale du Guetteur de l'Aisne, s.d., circa 1930,65 pages.

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-70-

"(L'histoire locale), c'est l'étude de l'histoire nationale appuyée sur la connaissance des faits du passé qui ont laissé des traces dans la région, dans la ville voisine. Chaque chapitre de l'histoire de France trouve ¡ci son feuillet initial ; les généralités historiques y sont matérialisées, illustrées, rapprochées du pays qu'habitent les enfants, et mieux mises par suite à la portée de leur curiosité, de leur intelligence et de leur sensibilité."113

Et les manuels, donc, de décrire la vie de "nos ancêtres" dans "notre région", à

l'ombre des monuments laissés sur "notre territoire familier", en une sorte de généalogie

familiale attestée par les souvenirs des aïeux laissés dans la maison ancestrale.114

"De nos plus lointains ancêtres, il ne nous reste que des armes et des outils assez rudimentaires : haches et couteaux de silex, flèches et hameçons fais d'os éclatés ou taillés. Les populations qui suivirent élevèrent un peu partout des collines artificielles ou tumuli, comme à Saint-Pierre Montlimart, d'énormes pierres fichées en terre ou menhirs, comme celles de Nidevelle, à Saint-Georges de Sept voies ou celle du Pont-Germillon."11^

L'abondance des possessifs, qui placent rédacteur du manuel , lecteurs et

personnages historiques en une même communauté a-temporelle, conduit à une sorte de

compression du temps ...et de l'espace : dans le cadre de cette "histoire vivante", les

origines du monde ont eu lieu dans le département. Et les grands ancêtres ont eu

l'heureuse idée de laisser à leurs descendants des vestiges de leur passage dans chaque

lieu-dit. En tout cas , à défaut de savoir grand chose sur eux, on n'ignore pas qu'ils

avaient le même caractère que leurs rejetons modernes :

113Ibid.,p.2,. Le passage mis en caractères gras l'a été par nous.

114Cf. les propos de Michel Bréal, op.cit., p. 100-102, en 1872, sur la perception intime et domestique de l'histoire, aux fins d'un sain patriotisme : "Il faut que l'histoire, à ses premières pages, nous prenne par nos sentiments intimes. Parlez à l'enfant de ses ancêtres et de la contrée qu'il habite ; faites-lui voir de vieux édifices, d'anciennes églises, les restes des châteaux d'autrefois. (...) Elevons donc des Français qui sachent l'histoire de leurs foyers, et qui soient fiers de leurs héros domestiques."

115Civrays (Abbé Th), doyen de la faculté des Lettres d'Angers, Simples leçons sur l'Histoire de l'Anjou et la Géographie du Département de Maine-et-Loire, Angers, Librairie des Editions de l'Ouest, nihil obstat et imprimatur, 1922,91 pages. Les caractères en gras le sont de notre fait.

Page 71: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-71 -"Aux premiers temps du monde, des hommes vécurent sur les

plateaux dénudés de nos régions. Nous retrouvons dans le sol, à faible profondeur, des silex travaillés qui furent leurs outils et leurs armes, des coquillages et de petits cailloux percés qui constituèrent leurs parures.

Puis, la température s'étant refroidie, ces hommes primitifs cherchèrent des refuges et des abris le long des falaises crayeuses qui affleurent en maints endroits du département.

Ils devinrent des troglodytes, vivant des produits de la chasse et de la pêche. Ils habitaient des grottes (boves, creuttes ou crouttcs) encore utilisées de

nos jours dans le Laonnois et le Soissonnais. Un lent adoucissement du climat ayant amélioré les conditions de vie, nous

voyons apparaître les premiers cultivateurs. Groupés en peuplades disciplinées et nombreuses, ces populations,

dont l'histoire est peu connue, élevèrent des monuments formés de grosses pierres. Ce sont des menhirs : Pargny, La Bouteille ; les dolmens et tables druidiques :

Coucy, Caranda, Vauxrezis, Mauchamps ; les alignements : Orgeval ; les allées couvertes : Pinon. Certains érudits supposent que ces vestiges indestructibles servaient de remparts à des villages ; d'autres croient que c'étaient des temples grossiers où nos aïeux adoraient le soleil.

Les tombelles (buttes ou tumuli) sont probablement les lieux de sépulture des chefs de clans et des prêtres. On en remarque encore beaucoup dans le nord du département où les terroirs comportent fréquemment un lieu-dit portant ce nom.

Des légendes situent sous ces tertres les sépultures de personnages fameux, mais les fouilles effectuées n'ont pas prouvé la véracité des traditions locales."116

Dès la nuit des temps, donc, "notre département" a probablement eu ses grands

hommes, mais si les terroirs portent encore trace en leur sein et leur nom des sépultures

de notables préhistoriques, si les traditions locales rapportent les hauts-faits des hommes

illustres du néolithique, les preuves scientifiques n'ont pas encore été apportées. (Les

deux derniers chapitres du manuel sont consacrées à la présentation des "célébrités

locales" pour l'époque contemporaine). L'énoncé, avec ces légères précautions117, de la

constitution on ne peut plus précoce des éléments fondamentaux de la définition de la

petite patrie jouxte la présentation, par clichés photographiques de grottes, pointes

moustériennes et menhirs. L'un de ces clichés est emprunté à une livraison récente du

Bulletin de la Société Préhistorique française. Erudition et discours convenu sur la petite

patrie vont souvent de pair dans ces manuels, dans un mélange qui n'est hétérogène que

116 Ibid. p. 5. Les passages mis en caractères gras l'ont été par nous.

117Le manuel de l'Inspecteur Souche consacré à Loudun et Chatellerault, op. cit., ne s'embarasse pas de telles précautions. Après avoir affirmé qu'un des dolmens régionaux est l'un des plus considérables d'Europe, et que l'on compte une bonne soixantaine de dolmens autour de Loudun, il affirme a deux reprises que ces dolmens "servaient à abriter des chefs illustres". Pour étayer ses dires, il cite un extrait de l'Histoire de France Lavisse, par G. Bloch, parue chez Hachette en 1900. La référence était peut-être encore en usage à l'époque où l'Inspecteur Souche fit ses études, elle était largement dépassée lors de la publication du manuel, en 1941. La nécessité de fournir des hommes illustres à la toute petite patrie explique sans doute ici la mauvaise foi historique.

Page 72: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 7 2 -pour le regard porté ultérieurement. Ainsi le manuel consacré par Elie Reynier à l'Ardèche

présente-t-il, à l'issue de la première leçon d'histoire, consacrée aux peuples

préhistoriques et à l'Helvie, deux textes. L'un est un sonnet d'un poète local intitulé le

Dolmen "que nos lointains aïeux dressèrent autrefois" et où vont danser les fées ; l'autre

est un extrait de l'Histoire de la Gaule, de Camille Jullian.

Un exercice proposé aux écoliers hauts-marnais leur demande d'étudier la

constance du caractère de leurs ancêtres à travers les âges. Ce caractère est préalablement

défini par l'ethnotype, lui-même déterminé comme application locale de l'ethnotype

français, et analogue, selon la tautologie Montesquieu, à la caractéristique du "pays" :

"Enfant, Maintenant tu connais un peu mieux ton pays. Tu as pu te rendre compte dans

ce petit livre qu'à l'image de la France, il présente, aussi bien dans son histoire que dans sa physionomie et ses richesses, le double caractère de modération et de variété."11*

Et le manuel de demander aux élèves du cours supérieur de :

"Rechercher dans le passé de la Haute-Marne les circonstances où nos ancêtres ont fait preuve de prudente sagesse et de pondération, de bon sens pratique ; donner des exemples de leur vaillance, de leur persévérance, de leur activité laborieuse (conquête romaine, invasions barbares, mouvement communal, réforme, révolutions, guerres, etc.).11»

Inutile de préciser que pour chaque chapitre de l'histoire nationale, (conquête

romaine, invasions barbares, et.) nos ancêtres ont rempli leur devoir de participation et

ont effectivement fait allégeance à l'ethnotype de sagesse et modération...Vaillamment,

donc, chaque petite patrie se maintient au coeur de l'Histoire à travers les âges (les

déambulations de Vercingétorix, Saint-Louis, Jeanne d'Arc et Napoléon permettent

opportunément de mettre au centre des événements la plupart des départements). Au

coeur de l'Histoire et au coeur de la France : la plupart des écoliers apprendront que c'est

118Lavoille (G.), Professeur d'Ecole Normale, Notice géographique et historique illustrée du Département de la Haute-Marne, cours de géographie R. Blanchard et D. Faucher, Librairie Gcdalge, Paris, 1928,40 pages, p. 38. Les passages en italiques le sont dans le texte original.

»»Ibid.

Page 73: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 7 3 -précisément tout près de chez eux qu'est né le sentiment national, pendant la Guerre de

Cent ans.

"La Guerre de Cent ans C'est dans notre région que se décida la sort de la Patrie

C'est encore en Poitou que, pendant la Guerre de Cent ans, va se jouer le sort de la France : crise terrible où faillit sombrer le pays. Mais depuis un siècle le Poitou confondait ses destinées avec celles de la France, et c'est sur le sol poitevin et dans les coeurs poitevins que la monarchie française et l'idée nationale vont trouver leurs plus solides appuis. (...) Pendant les cent ans de guerre anglo-française, Loudun resta "front de France" et fut l'imprenable clef stratégique de Poitou, Touraine et Anjou."120

"L'excès des malheurs fit naître un sentiment inconnu au Moyen Age : le patriotisme. On cessa d'être Normand pour devenir Français."121

Même les petits Alsaciens, devenus Français depuis peu, apprennent que

l'attachement patriotique à la France remonte à la Guerre de Cent ans, proposition qui,

concernant leur terre natale, est pour le moins hasardeuse :

"Devant l'ennemi commun tous les Français ont senti la nécessité de s'unir, jusqu' alors ils avaient vécu isolés sur leur coin de terre, indifférents les uns aux autres. Pour la première fois, au-dessus de la petite province qu'ils habitaient, ils ont vu la grande Patrie qu'il fallait défendre aux côtés de Dugucsclin et de Jeanne d'Arc."122

Le passage de l'Histoire contemporaine affecte peu la conception scolaire de

l'histoire locale, même si une évolution pédagogique, analogue à celle qui affecte les

manuels nationaux, est manifeste. Comme on l'a indiqué précédemment, les manuels

postérieurs à la Première Guerre mondiale sont débarrassés des anecdotes historiques les

plus sujettes à suspicion, et un réel effort y est mené pour présenter aux écoliers des

120 Ibid. ,p. 29. Le passage mis en caractères gras l'est dans le texte original.

121BaradeI (A),. Inspecteur primaire à Caen, et Fallourd (P.), Professeur à l'Ecole Normale d'instituteurs à Rouen, Petite Histoire de la Normandie, nouveau cours d'enseignement primaire, enseignement primaire supérieur, cours supérieur et cours moyen des Ecoles primaires élémentaires Paris, Juvcn, 1909, 92 pagesPréface de l'Inspecteur d'Académie de la Seine-Inférieure.

122Petite Histoire d'Alsace et de Strasbourg, à l'usage des écoles, Stasbourg, Libraires-éditeurs A. Vix et Cie, s.d. (circa 1920), 58 pages

Page 74: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 7 4 -documents (photographies, transcription de manuscrits). Les exercices prévoient même

des collectes de documents par les écoliers. Le chapitre "préhistoire" vient

systématiquement précéder le chapitre "temps des Gaulois", cependant que la ou les

dernière(s) page(s) porte(nt) sur les combats de 1914-1918.

Le retour de l'Alsace-Lorraine à la France entraîne la production rapide de

manuels locaux selon le modèle usuel, reproduisant la division historique adoptée pour

l'Histoire de France (avec un ajout concernant la Guerre de Trente ans) mais prévoyant

une édition bilingue. Le manuel L'Histoire de l'Alsace en 21 leçons 123de Waechter et

Bouchot fait suivre chaque chapitre d'histoire locale d'un tableau encadré et intitulé :

"Evénements correspondants de l'histoire nationale'X'histoire alsacienne, de ce fait,

semble être depuis les origines partie intégrante de l'histoire nationale. D'ailleurs le

manuel publié par Pfister en 1916 et utilisé dans les écoles après la fin de la guerre

souligne longuement que l'Alsace faisait autrefois partie de la Gaule et que les Alsaciens

des origines parlaient le celtique. Ces authentiques Gaulois étaient en butte aux menaces

des envahisseurs venus de l'Est et, précurseurs des inventeurs de la ligne Maginot,

avaient donc bâti un Heidenmauer pour se protéger124.

"Dans cette vaste enceinte les Gaulois de l'Alsace mettaient à l'abri leurs femmes et leurs enfants, leurs troupeaux, toutes les fois que le pays était envahi par les Germains de la rive droite du Rhin. Quand l'ennemi était repoussé ou s'était retiré, la population redescendait dans la plaine et reprenait ses occupations ordinaires. On devine qu'à de nombreuses reprises les barbares germains ravagèrent l'Alsace dans les siècles qui précédèrent la naissance de Jésus-Christ ,"125

12J.Cf. Waechter (Laurent), Inspecteur primaire à Strasbourg, et Bouchot (Leopold), Directeur d'école d'application à Nancy, L'Histoire de l'Alsace en 21 leçons, préface de Christian Pfister, Doyen de la Faculté des Lettres de l'Université de Strasbourg, Nancy-Paris-Strabourg, Bcrgcr-Lcvrault, Libraires éditeurs, 1924,67 pages.

124 Présentation d'esprit identique, mais avec des prudences rhétoriques (distinction entre légende et histoire) dans le manuelPe/t'ie Histoire d'Alsace et de Strasbourg, à l'usage des écoles, Strasbourg, Libraires éditeurs A. Vix et Cie, s.d., après 1918, 58 pages. "Les origines de la ville de Strasbourg se perdent dans la légende. Du temps des Celtes on trouve à son emplacement le Bois sacré avec ses trois hêtres qui ombragent l'hautel (sic) druidique. Autour de cet endroit se serait formé bien avant la naissance de Jésus-Christ une cité gauloise. L'histoire nous parle seulement de la forteresse romaine Argcntoratum, c'est-à-dire de la partie de la ville comprise entre l'église Saint-Etienne, la place du Broglie, le Temple neuf et des maisons 8 et 10 dans la rue du Vieil Hôpital. Elle a servi de rempart contre les invasions périodiques de tribus germaines."

125Pfister (Christian), Professeur à l'Université de Paris, Lectures alsaciennes. Géographie, Histoire, Biographies, 50 lectures, 38 gravures et trois cartes, Paris, A Colin, 1916, p.33

Page 75: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 7 5 -La propagande revancharde avait bien appris aux Français que les Boches étaient

l'ennemi héréditaire : on ne savait pas qu'il fallait remonter la chaîne des âges jusqu'aux

aïeux antechristiques...

Si les manuels glissent rapidement sur la période 1870-1918 , il va sans dire que

les événements les plus récents, à commencer par l'entrée victorieuse des troupes

françaises à Strasbourg, y font l'objet d'un long et enthousiaste développement. Peut-

être pour récompenser l'Alsace d'apporter à la France une pièce illustre à son Panthéon

(Gutemberg), peut-être aussi pour marquer solennellement son entrée dans la Patrie, les

manuels alsaciens ne manquent de faire figurer Pasteur parmi les grands hommes dont

peut s'enorgueillir la région (grâce au petit Joseph Meister et au mariage de l'illustre

savant avec une Strasbourgeoise).

Les manuels des années 1930 s'inscrivent encore résolument dans les

perspectives dessinées par la circulaire ministérielle de 1911, à laquelle les auteurs se

réfèrent parfois explicitement. Au demeurant, les diverses instructions ministérielles de

l'Entre-deux-Guerres font preuve d'une grande continuité en ce domaine. La chose est

peu étonnante puisque la conception des rapports entre le national et le local ne change

guère sous la Troisième République. Il est plus intéressant de noter que l'histoire locale

se trouve, sous Vichy, investie de la même fonction que sous la Troisième République.

La circulaire ministérielle du 9 octobre 1940, émanant de Jacques Chevalier, Secrétaire

général à l'Instruction Publique, reprend pour le fond les propos de Maurice Faure

abondamment diffusés et réutilisés par les Inspecteurs de l'Entre-deux-guerres. Mais le

Secrétaire général de l'Etat français feint, en bonne logique de la Révolution nationale,

d'ignorer l'abondant travail réalisé en ce domaine par la République :

"J'ai inscrit au programme quelques leçons sur l'histoire et la géographie locales. J'atends beaucoup de cette étude qui, par la suite, pourra être développée. Il faut que les enfants des écoles connaissent le petit pays où ils sont appelés à vivre. Les maîtres pourront organiser des promenades à des lieux historiques, faire admirer des monuments ou des curiosités naturelles. L'histoire locale intéresse les enfants souvent plus que l'histoire générale puisqu'ils peuvent voir les lieux où les faits historiques se sont passés. Il faut leur dire le rôle joué par leur ville ou leur province, leur montrer le château ou l'abbaye qui a dominé la vie locale, leur expliquer les particularités géographiques de la région où ils vivent. Cet enseignement est difficile car il n'existe pas partout de petits livres bien faits sur l'histoire et la géographie locales."126

*26Cité dans la Préface de Mon Département, La Haute-Loire, sa géographie, son histoire, par une réunion de professeurs, Librairie scolaire, Le Puy, s.d. (1941 ?), 60 pages.

Page 76: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 7 6 -

Avec une rhétorique plus plate, c'est bien, on le voit, le discours habituel.

D'ailleurs, les auteurs du manuel consacré à la Haute-Loire en ces années vichystes ne

s'y trompent pas, qui indiquent en préface à leur ouvrage leurs intentions et le mode

d'usage du manuel selon des formules caractéristiques du régime précédent.... à

l'exception d'un terme qui signale l'ère pétainiste.

"C'est pour répondre aux voeux du Ministre que ce petit ouvrage a été composé. (...)

La géographie reprend le même plan qui a servi pour l'étude de la France entière. De la sorte une foule de termes auront déjà été expliqués et l'étude locale fournira surtout des exemples pour mieux comprendre la géographie de la grande patrie. (...)

L'histoire reproduit de même les titres du manuel d'histoire de France au cours moyen. Il sera facile au maître de replacer ainsi dans l'ensemble de la vie nationale les faits de l'histoire locale. (..)

Un questionnaire a été rédigé, à la fin du volume, pour diriger le travail de recherche sur place. On a voulu initer l'enfant aux méthodes d'observation et l'amener à fournir un travail personnel dans l'étude du milieu où il vit. Il y trouvera les suggestions utiles pour l'établissement d'une monographie assez complète de sa commune. Rien de plus éducatif que d'exciter et de diriger ainsi sa curioisté en l'attirant à l'observation des phénomènes physiques et humains qu'il a constamment sous les yeux et qu'il ne voit que si son attention a été alertée.

Puissent les enfants de nos écoles se laisser gagner par ces leçons et grandir dans la connaissance et l'amour de leur petite province, base de l'amour pour la grande patrie."127

C'est bien évidemment l'expression "petite province" qui signale la soumission à

l'air du temps128 . Mais le manuel s'intitule Mon département, la Haute-Loire, ce qui

prouve assez, et la force du département dans la conscience nationale, et la superficialité

des changements introduits par Vichy en regard de la continuité avec la période

précédente.

La page précédant la préface porte une seule phrase, en encadré :

127lbid.

128Le pétainisme maurassien impose dans les débuts de la Révolution nationale le recours au terme province pour désigner les divisions de la France souhaitables pour l'époque contemporaine. En janvier 1941 est créée une Commission du Conseil national pour élaborer un projet de division de la France en 20 provinces. Le projet fait long feu. Cf. Pierre Barrai, "Idéal et pratique du régionalisme dans le régime de Vichy", Revue française de Sciences politiques, vol.XXIV, n°5, octobre 1974.

Page 77: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 7 7 -"L'attachement à la petite patrie, non seulement n'ôte rien à l'amour de la

grande, mais contribue à l'accroître."1^

Elle est attribuée au Maréchal Pétain, qui recycle la formule du radical Maurice

Faure, mais sans la référence à la représentation nationale :

"L'amour du sol natal, comme je le disais à la Chambre des Députés, est le plus solide fondement de l'amour de la patrie."

L'enseignement de l'histoire locale sous Vichy s'inscrit donc dans le droit fil de la

période précédente, même si quelques collections spécialisées sont lancées pour

l'occasion. Ainsi de la "Collection régionaliste Terroirs de France" des Editions France

Nouvelle qui publie quelques manuels sur des départements du Sud de la France, sous

des couvertures illustrées par Peynet. La formule maréchalienne de légitimation de

l'histoire locale, qui se plaque sur la page-titre de la collection, est une autre variante de

l'expression Troisième République :

"L'Ecole et le Terroir Comment les attacher l'un à l'autre ?

"Notamment en donnant à l'enseignement de la géographie et de l'histoire un tour concret, un caractère local et régional qui ajoutera les clanes de la connaissance à l'amour du pays'

Maréchal Pétain, L'Education nationale.".

La collection ne publie sous Vichy que quelques volumes (Drôme, Aude, Basses-

Alpes)130 ; une autre collection, "Petite histoire des Provinces françaises", lancée chez

Arthaud ne couvrira pas non plus l'ensemble annoncé131. La lenteur du service de

129Les manuels donnant en référence cette citation de Pétain (extraite d'un discours prononcé le 8 décembre 1940), la tronque systématiquement de sa fin : "en opposant une résistance invincible à tout ce qi peut nous déclasser, nous niveler, nous déraciner." Est-ce là le signe d'une allégeance mitigée à la Révolution nationale, qui garderait la référence IIP République à la petite pairie, en omettant des expressions stigmatisant l'oeuvre de cette même République ?

130D'autres volumes de la même série, reprise par Bordas, paraîtront après la Libération.

131De la même manière, des volumes de cette collection paraîtront après la Libération.

Page 78: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 7 8 -censure et plus encore la pénurie de papier132limitent fortement les publications

vichystes. D'autre part, le temps mais aussi des directives claires ont sans doute manqué

pour élaborer une nouvelle conception de l'histoire nationale et de l'histoire locale. On

peut en fait supposer que les volumes qui paraissent entre 1940-44 avaient pour

l'essentiel été conçus auparavant, ou bien reprennent pour l'essentiel le modèle

antérieur133. Les modifications les plus notables, outre les inévitables "citations" du

Maréchal, concernent une accentuation dans certains volumes, du rôle -bénéfique- de

l'Eglise au cours de l'Histoire de France. Mais il n'y a même pas, en général, de

stigmatisation de la Révolution française dans son ensemble. Le volume portant sur la

Drôme134achève son parcours local des événements historiques par l'évocation du Coup

d'Etat du 2 décembre 185 let la répression de l'opposition républicaine drômoise135 .

132Le contingent de papier alloué à l'édition en 1942 ne représente que 15% de la consommation d'avant-guerre ; le chiffre passe à 4% en 1943 et à peine 1 % pour le premier semestre de 1944. cf. Pascal Fouché, l'Edition française sous l'Occupation, Paris, Université Paris-7,1988.

133I1 y a de lourdes références à la Révolution nationale et forces citations du Maréchal dans la conclusion de le 3° édition, en 1941, du manuel de Souché(A.), Inspecteur de l'Enseignement primaire. Notre Petite Patrie, Loudun et Chatellerault, les pays loudunais, mirebalais et chalelleraudais, Poitiers, La Vienne et le Poitou, Histoire locale illustrée, Loudun, Imprimerie-Librairie H. Robert, 100 pages. Mais le fonds du volume, de toute évidence conçu avant la guerre, appartient au modèle usuel. Et l'auteur de préciser liminairement : "L'idée directrice qui relie et anime nos leçons d'histoire : la continuité de l'effort français à travers tous les régimes pour construire, maintenir ou relever la France." (caractères en gras dans le texte original). En fait, il y a allégeance ostensible au nouveau régime et déni à celui-ci de toute originalité "révolutionnaire".

Dans l'introduction de son manuel publié en 1941, Marcel Génermont précise que l'ouvrage avait été conçu dès 1937 et que l'auteur avait reçu les encouragements de l'Inspecteur d'Académie d'alors mais que "les alertes de 1938, la mobilisation de 1939 et les événements qui suivirent" en avaient retardé la réalisation. . Cf. Génermont(Marcel), Bourbonnais, mon beau pays, recueil de lectures et de dictées (auteurs bourbonnais et thèmes bourbonnais, à l'usage des élèves des cours moyens et supérieurs, cours préparatoires et Io et 2° années (écoles primaires supérieures) et clases de 7°, 6°, 5° et 4° des lycées et collèges, Moulin, Les Imprimeries réunies, 1941,134 pages.

134Méjean (Paul), Agrégé de l'Université, Inspecteur d'Académie, Petite Géographie et Histoire du Département de la Drame, 1941, Editions de la France Nouvelle, 115 pages.

135Le récit de la révolte drômoise est assez ambigu, notant alternativement l'ampleur de la répression et le grand nombre de prisonneirs remis en liberté, de même que le vote majoritaire du département pour le rétablissement de l'Empire. Mais par ailleurs, nombre d'éléments mettent l'accent sur l'ancrage du sentiment républicain parmi les paysans et singulièrement les montagnards drômois, qui sont dans ce genre d'ouvrages supposés les plus fidèles détenteurs des vertus de la race. Une note infrapaginale, propre à flatter certains amours-propres locaux, note que le canton de Vernoux, dans l'Ardèche, fut le seul de toute la France à voter contre l'Empire : reprise, sans doute, d'une référence locale valorisante sous la Troisième République, et probablement souvent rappelée alors. Le canton de Vernoux est par ailleurs à population protestante.

Page 79: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 7 9 -Précisons que ces manuels, s'ils évoquent la défaite de 1940 (ce n'est pas toujours le cas,

certains arrêtant l'exposé historique au XIXo siècle), le font alors très succinctement et

font silence sur la coupure du pays en zones et la durable Occupation allemande.

Il n'y a en définitive pas de modèle proprement vichyste des manuels d'histoire

locale. Un exemple montre plaisamment la continuité d'un discours à travers les

bouleversements historiques de l'époque, qui affecte ostensiblement, mais

superficiellement l'ouvrage. Il s'agit du manuel d'Henry Joly, Petite Histoire de Lyon et

du Lyonnais, paru dans la collection "Petites histoires des Provinces françaises" chez

Arthaud. La quatrième de couverture porte un petit texte inscrivant la collection dans le

cadre du décret du 23 novembre 1940 sur l'enseignement de l'histoire locale dans les

écoles primaires. La page de garde donne le numéro du visa de censure et du visa de

contrôle des papiers. Le copyright est de 1944. Mais l'ouvrage n'a pu de toute évidence

paraître au cours du premier semestre 1944. Il comporte donc une double fin. La

première conduisait l'histoire de Lyon, traitée fort rapidement à partir du milieu du XIXo

siècle, jusqu'en 1940.

"L'année 1939 a vu revenir la guerre et l'invasion. En juillet 1940, Lyon a connu de nouveau l'occupation étrangère. Mais la ville d'entre Rhône et Saône, qui devait fêter en 1943 son second millénnaire et dont la longue histoire comporte tant de pages sombres, garde toute sa foi dans l'avenir de la France.136

L'occupation "étrangère" semblerait n'avoir eu lieu qu'au cours du mois de juillet

1940....Suit un chapitre consacré aux hommes illustres du Lyonnais. L'ouvrage se serait

arrêté là, s'il était sorti au printemps 1944. La parution n'ayant eu lieu qu'à l'automne, le

rajout in extremis et fort visible d'un feuillet, après la série des grands hommes, donne

une nouvelle fin à l'histoire. Elle reprend donc en 1939, évoque la défaite, la zone libre,

l'arrivée des troupes allemandes en novembre 1942, la Résistance et sa répression, la

Libération.

"Délivré de l'ennemi, ayant recouvré son Conseil municipal, Lyon réparc déjà ses ruines et, confiantes dans la victoire proche, la ville et sa région participent, de tout leur labeur, à la reconstruction de la Patrie."

Ce feuillet non numéroté, qui n'est pas mentionné dans la Table des Matières, clôt

un ouvrage qui, rappelons-le, s'ouvre par le double visa de censure de l'Occupation. Un

136Henry Joly, op. cit., p. 95

Page 80: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 8 0 -autre ouvrage de la même collection, consacré à la Bourgogne, paraîtra en 1945, la

principale adaptation au changement historique étant la suppression en quatrième de

couverture de la référence aux Instructions ministérielles de 1940. Et dans les années

postérieures à la Libération se poursuivront des collections lancées avant la Seconde

guerre mondiale, selon les mêmes principes. Il y aura même parfois tout simplement

réimpression de volumes publiés dans les années 1930137.

Dans l'histoire de l'histoire locale à usage scolaire, la période vichyste n'est ni une

parenthèse, ni le moment d'élaboration d'un nouveau paradigme. Il faut bien plutôt parler

ici de la récupération d'un enseignement ayant fait ses preuves, sommairement

"maréchalisé". D'une manière générale, en fait, le discours régionaliste florissant sous la

Troisième République a fait l'objet d'une réappropriation rapide par la propagande

pétainiste qui l'a abondamment utilisé en lui rajoutant ostensiblement la célébration du

Maréchal et la stigmatisation de cette même République.138

La conception de l'histoire locale forgée par la Troisième République, il faut aussi

le noter, est reprise dans grandes modifications dans les manuels destinés aux élèves de

l'enseignement catholique. La présentation d'ensemble est similaire, si ce n'est que les

différents chapitres font la part belle au rôle de l'Eglise dans la construction de la Nation

(de ce fait, les développements consacrés à la Chouannerie sont traités avec une certaine

prudence). L'Abbé Civrays, auteur des Simples leçons sur l'Histoire de l'Anjou, reprend

ainsi dans sa lettre-préface le discours typique des Inspecteurs d'Académie, à cette

mièvrerie près que la petite patrie y devient maman. :

1 3 7 La notion d'histoire vivante est reprise dans des manuels de la Quatrième République, comme l'indique, dès le titre, l'ouvrage de : Maréchal (P.) Inspecteur de l'Enseignement primaire, L'histoire vivante, essai de méthode active, Brie et Gâtinais, préface de A. Troux, Inspecteur général de l'Instruction publique, Bourrelier, 1947, 102 pages. Comme le souligne l'Inspecteur général Troux en préface, les circulaires ministérielles ont été nombreuses, depuis celle de 1911, à recommander l'enseignement de l'histoire et de la géographie locales, jusqu'au programme de 1945 qui recommande d'utiliser au maximum "toutes les ressources de la commune ou des communes voisines (églises, monuments, vestiges, ruines, lieux historiques, monnaies, médailles, etc.) pour initier les enfants à l'histoire locale, au cours de promenades et de séances d'activités dirigées." Et le préfacier d'ajouter que les dites inductions ne prêchent que des convertis et que les instituteurs s'accordent pour la plupart sur les recommandations formulées autrefois par l'Inspecteur d'Académie Blanguernon : " Un événement de l'histoire nationale ou générale peut rester vague à l'enfant, qui vit surout par l'imagination et les sens : caractérise/.-lc au contraire par une de ses conséquences ou de ses particularités régionales ; le fait devient alors assimilable, et l'attention éveillée, retenue, le confie au souvenir. Une institution se manifeste dans les faits qui l'illustrent et la commentent : prenez ces faits de préférence encore dans l'histoire de la région : ce sont les ancêtres de nos élèves qui ont vécu, et sous les formes particulières au petit pays, les temps barbares, la féodalité, l'ancien régime, la révolution ; et l'enfant sentira passer en lui le frisson de la race."

138Cf. Anne-Marie Thiesse, op. cit., chapitre 8 "Régionalisme et Révolution nationale".

Page 81: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 8 1 -

"En menant (ce travail) à bout, je me suis souvent répété ce mot d'un contemporain : 'La France, c'est la mère ; mais la province, c'est la maman'. Tous, tant que nous sommes, nous aimons à nous dire fils de France, mais aussi fils de Bretagne, de Flandre, de Lorraine, d'Alsace, de Provence, de Gad-scogne ou d'Anjou. Nous avons tous une petite patrie dans la grande, dont les paysages, les coutumes, les costumes, la langage, l'accent, nous sont familiers, et dont nous nous plaisons à parler avec fierté. Les enfants de nos écoles doivent étudier l'histoire et la géographie de la province où ils sont nés, pour trouver dans cette étude des raisons de lui donner plus d'affection encore.

Voilà pourquoi la première partir de ce petit volume a été comprise de manière à servir de complément régional, pour l'Anjou, à l'exposé des grandes époques de l'histoire de France : Origines, Période romaine, Féodalité, XVIo, XVIIo siècles, etc.

Dans une seconde partie, c'est la figure même, les traits physiques de cette bonne terre où ils vivent, ses ressources, ses habitants, que j'ai voulu mettre sous les yeux de nos petits écoliers et leur faire mieux connaître.

(...) Que (ce petit manuel) fasse aimer davantage aux petits Angevins leur Anjou ; j'aurai conscience, alors, d'avoir fait oeuvre utile, puisque j'aurai contribué pour ma petite part, à fortifier dans leur coeur l'amour de la grande pairie commune, la France. "139

Et le chanoine Crosnier, Directeur diocésain de l'Enseignement libre en

Anjou, auquel s'adresse la lettre-préface précise par sa réponse, également publiée en

introduction au manuel, que la formule-type de l'enseignement primaire IIIo République

n'est pas plus laïque que catholique :

"Votre livre, si bien fait pour exprimer l'amour de la petite et de la grande patrie, se recommande de lui-même aux écoliers de notre Anjou catholique : je n'ai donc pas besoin de lui souhaiter le succès."140

Il convient cependant de signaler le cas de L'Histoire de Bretagne^*1 due à

l'Abbé Henri Poisson, qui s'inscrit dans une toute autre perspective que la célébration de

la petite patrie pour la plus grande gloire de la grande. Bien au contraire, ce manuel de

1930 ne cesse de célébrer la farouche lutte des Bretons contre les Francs et les Français et

d'assigner aux petits lecteurs le devoir de rendre à la Bretagne son antique splendeur.

L'ouvrage porte un "imprimi potest" du Vicaire général Gayet et cite en troisième de

couverture les prescriptions des archevêques et évêques de Rennes, Quimper et Vannes

139Civrays (Abbé Th), doyen de la faculté des Lettres d'Angers, Simples leçons sur l'Histoire de l'Anjou et la Géographie du Département de Maine-et-Loire, Angers, Librairie des Editions de l'Ouest, nihil obstat et imprimatur, 1922,91 pages

140 Ibid.

141Poisson (Henri, Abbé), Vicaire instituteur, Histoire de Bretagne pour les enfants, Rennes, Imprimerie commerciale de Bretagne, 1930,80 pages

Page 82: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-82-rendant obligatoires l'enseignement de l'histoire et de la géographie locales dans les écoles libres de leurs diocèses. Mais le livre est édité par l'Imprimerie commerciale de Bretagne et le lecteur comprend rapidement que l'idéologie développée est moins celle d'un haut clergé soucieux de composer avec les institutions de la France que celle du mouvement nationaliste breton. La préface rédigée par l'archiviste-bibliothécaire Quilgars évoque d'ailleurs d'entrée des referents locaux pour le moins païens :

"L'Histoire des ancêtres et des patries, surtout quand cette histoire est celle des Bretons et de la Bretagne, glorieuse entre toutes, presque sainte, devrait être gravée dans tous les coeurs et transmise avec respect de génération en génération, devoir qu'enseignaient avec raison les vieux Druides."

Certes, le manuel s'attache longuement à présenter les saints bretons, mais comme champions de la farouche résistance contre les ennemis de l'Est, plutôt que comme propagateurs du christianisme. Saint Hervé, "patron des bardes", tient à peu près le même rôle que Nominoë, "père de la Patrie bretonne". Saint Yves, officiai de Tréguier, est donné comme "défenseur de la Bretagne" pour s'être opposé aux prétentions du roi de France qui voulait lever lever dans son royaume une taxe sur les biens de l'Eglise et étendre la mesure à la Bretagne. Et le rattachement de la Bretagne à la France est présenté comme une défaite imputable à "de grands seigneurs, qui, pour des motifs inavouables d'ambition abandonnèrent la cause bretonne". Trahison des élites renouvelée au moment de la Révolution car "le Tiers Etat breton, composé surtout de bourgeois des villes imbus des idées erronées de Jean-Jacques Rousseau, (...) sacrifia l'intérêt de la Bretagne à ses ambitions." Suit, bien sûr, un exposé apologétique de la Chouannerie. Mais l'auteur, prudemment insiste ensuite sur le loyalisme des fiers Bretons à laquelle la France doit tant : "Depuis la nuit du 4 août 1789, la Bretagne a perdu son autonomie et son histoire se confond avec celle de la France. Elle l'a toujours loyalement servie, au prix du meilleur sang de ses fils chaque fois qu'elle a fait appel à son dévouement pour sa défense." Mais les valeureux Bretons sont bien mal récompensés par une France ingrate et éternellement ennemie, qui les a persécutés dans leur foi au moment des inventaires et a proscrit "le vieux parler de nos aïeux dans les écoles primaires". L'ouvrage s'achève par "l'hymne national breton" : Bro Goz ma Zadou (vieux pays de mes pères), donné en breton et en français. L'exorde final au petit lecteur est une invite à se rappeler le souvenir des grands héros : Judicaël, Morvan, Nominoë, Alain, Montfort et à participer au "mouvement pour la résurrection de la Bretagne". "Enfant, toi qui a appris l'histoire de notre beau pays, sois fier de ta race", clame l'auteur de cette Histoire de Bretagne, version Barzaz

Page 83: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 8 3 -Breiz™2. La quatrième de couverture est illustrée une Bretonne avec sa coiffe, des

hermines, des croix celtiques et l'inscription en majuscules Breiz. On peut douter que

l'épiscopat breton ait recommandé l'usage dans les écoles de ce manuel, significatif

surtout de l'engagement de quelques ecclésiastiques dans un mouvement nationaliste qui

conduira certains à la collaboration avec l'Allemagne nazie.

Notre Terre à travers les Eres , jusqu'au désert annoncé

"Depuis que la municipalité, en 1931, a fait réparer noire glorieux bijou féodal, des milliers de visiteurs ont pu s'émerveiller, du sommet de la Tour Carrée, au spectacle unique qui s'étend à leurs pieds.

En bas, la ville, avec ses églises, ses vieux monastères, ses antiques demeures et la verdure fleurie de leurs jardins ; puis dans le cadre immense des quatre horizons, toute une évocation de notre histoire loudunaise merveilleuse comme une belle épopée française des temps héroïques. (...)

Entre ces points historiques et vingt autres, d'où surgissent de partout l'héroïsme, la sainteté et toutes les grandeurs humaines, la pays loudunais s'étend avec ses grands bois et ses prés verts, avec ses champs si fertiles qui le faisaient appeler 'le joly chasteau blanc des longs guérets, avec ses vignobles généreux. Inoubliable vision d'une terre privilégiée..."14-'

L'ascension d'un monument historique opportunément rénové par les édiles

municipaux permettrait donc d'embrasser du regard l'histoire locale, résumé idéal, vivant

et spectaculaire("belle épopée française des temps héroïques") de l'histoire nationale. Le

principe du panorama est à dire vrai peu développé en matière d'histoire, et il est

apparemment calqué ici sur les chapitres d'ouverture des premiers manuels de

géographie.

La découverte d'un paysage à partir d'un escarpement fait partie, depuis la

première moitié du XIXo siècle au moins, du mode d'approche en usage dans les guides

de voyage et les "vues" peintes ou gravées. Il n'est donc guère étonnant que les plus

anciens manuels de géographie de la Troisième République utilisent le procédé du

142L'épopée bretonne du Barzaz-Breiz, publiée par Theodor-Hersart de la Villcmarquc en 1837 et remaniée au fil des rééditions dans le sens d'une violente charge nationaliste hostile aux Francs et aux Français, a nourri la production poétique et historique des intellectuels bretons hostiles à l'intégration nationale, tant à la fin du XIXo siècle que dans les années 1930.

143L. Charbonneau-Lasay, La Tour Carrée, 1934, Loudun, cité dans SOUCHE (A.), Inspecteur de l'Enseignement primaire, Notre Petite Patrie, Loudun et Chatellerault, les pays loudunais, mirebalais et chatelleraudais, Poitiers, La Vienne et le Poitou, Histoire locale illustrée, Loudun, Imprimerie-Librairie H. Robert, page 73.

Page 84: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 8 4 -panorama1 4 4 , sous forme de causerie-promenade, pour introduire la description du

département.

"Figurez-vous, mes amis, que vous êtes avec moi sur l'un des sommets les plus élevés de la chaîne des Vosges, sur le Ballon d'Alsace ou de saint-Maurice, à 1244 mètres au-dessus du niveau de la mer. Regardons au midi : nous apercevons d'abord le col de Valdieu et l'importante place forte de Belfort destinée à défendre ce passage ; plus loin les montagnes du Jura, et bien au-delà, en Suisse, plusieurs sommets des Alpes bernoises (..), à l'est, cette belle plaine arrosée par le Rhin que vous voyez d'ici comme un long ruban d'étoffe blanche et brillante, c'est l'Alsace, cette chère et malheureuse Alsace que la guerre de 1870-1871 nous a fait perdre. Au nord s'étend la dorsale des Vosges qui est la nouvelle limite entre la France et l'Allemagne ; nous allons la suivre."145

Le cours de géographie commence comme parcours de la ligne de crête et se

poursuit en un inventaire fastidieux des éléments caractéristiques du département : cours

d'eau, divisions administratives du département et ressources économiques, climat, etc.

La géographie du département est alors l'association d'un guide de voyage et d'un texte

analogue à ceux des annuaires statistiques des décennies antérieures :

"Charmes (3 026 habitants), après avoir été la possession des comtes de Toul, passa sous la domination des ducs de Lorraine en 1285 ; cette ville fut plusieurs fois saccagée pendant nos guerres du XVo et du XVIIo : pont de douze arches construit sur la Moselle au temps du duc Leopold ; hôpital ; fabriques de plâtre, fours à chaux, brasserie. Bettoncourt, ancienne seigneurie, château et parc. Chamagne, ancienne seigneurie ; maison où est né le célèbre paysagiste Claude Gclléc. Porson (1480 habitants), verrerie importante et siège de la communauté des soeurs-institutrices de la Providence."146

Les événements historiques dans ces premiers manuels, sont mêlés aux

descriptions géographiques, selon une logique de l'annuaire statistique qui fait suivre

l'énumération des voies de communication par la série des hommes remarquables.

Cependant, dès les premières décennies du XXo siècle, l'enseignement de la géographie

144Le principe du panorama persiste dans les manuels lorsqu'il s'agit non pas d'expliquer un paysage, mais de le décrire. Cf. cet exercice donné aux écoliers du Nord sous le titre "excursions-promenades" : "Monter sur un tertre ou sur un édifice dominant le pays. Observer et noter ce que l'on voit. Le décrire, oralement ou par écrit." Exercice donné dans le manuel de Blanchard (R.), Professeur à la Faculté des Lettres de Grenoble, et Saint-Léger (A. de), Professeur à la Faculté des Lettres de Lille, Le Département du Nord, à l'usage des élèves des cours moyens et classes de fin d'études, géographie et histoire, Paris, Editions Bourrelier et Cie, 1948, p. 2.

145CAUMONT, Lectures courantes des écoliers français, Notre Département, Les Vosges, partie départementale par Mangeonjean, Inspecteur de l'Instruction primaire, Paris, Delagravc, 1877, p. 193.

146Ibid.,p. 211

Page 85: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 8 5 -se modifie sensiblement et prend un tour nettement plus savant. Géologie et géographie

humaine, avec leur vocabulaire spécifique, viennent étoffer la géographie physique, elle-

même beaucoup plus érudite. Les savoirs universitaires en matière de géologie sont

partiellement transférés sur les manuels primaires, pour le plus grand plaisir peut-être des

enseignants, mais non sans difficultés pour les écoliers confrontés brutalement aux

terrains dévoniens ou permiens et aux trilobites en tous genres.

Géographie et histoire sont désormais distinguées, la première précédant souvent,

dans le même manuel, la seconde selon le principe de la détermination des possibles

historiques par les données matérielles. Toutefois, comme le dit précisément la phrase en

exergue du manuel consacré à la Haute-Provence, en 1914 :

"La Géographie n'est pas un inventaire, elle est une histoire. (Jean Brunhes)".

La Géographie, de fait, se donne alors comme une histoire, depuis les origines de

la Terre jusqu'à l'époque contemporaine et cette histoire s'ouvre sur des perspectives

d'avenir (développements possibles des ressources locales). La débauche d'érudition des

premiers manuels "scientifiques" fait place dans l'Entre-deux-guerres à une évaluation

plus raisonnable des capacités d'acquisition des écoliers 147; d'autre part l'exposé des

origines prend une place nettement plus réduite que l'étude des réalités contemporaines.

Mais les manuels qui maintiennent un long exposé géologique l'écrivent comme le récit

de vie d'un être organique :

"Une vieille histoire Le Savoyard croit ses montagnes éternelles. Celui qui revient au pays à la fin

de sa vie les retrouve telles que les ont contemplées il y a vingt siècles les antiques Allobroges. Leur aspect n'a-t-il donc jamais changé ? Ne le croyez pas. Les montagnes anissent, vivent et meurent comme les hommes. Mais leur histoire est beaucoup plus longue. (...)

Ere primaire. Plus tard, la croûte terrestre s'est ridée comme la pelure d'une vieille pomme. L'une d'elles a formé un bourrrelct montagneux sur l'emplacement du Mont-Blanc actuel. (..)

147Comme le note l'Inspecteur d'Académie A. Ferrand en préface à l'ouvrage de LAVOILLE (G.), Professeur d'Ecole Normale, Notice géographique et historique illustrée du Déparlement de la Haute-Marne, cours de géographie R. Blanchard et D. Faucher, Librairie Gedalge, Paris, 1928,40 pages : "(Une des difficultés essentielles de l'enseignement de la géographie) était premièrement l'abus possible de la nomenclature et du vocabuaire tchnique qui finissait par faire de la géographie un domaine fermé aux profanes, au même titre que la géométrie anlytique ou la chimie organique."

Page 86: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-86-Erc secondaire. Arrive l'Ere Secondaire. Des trombes d'eau s'abattent . La

Chaîne du Mont-Blanc s'use, s'aplanit, se transforme en un plateau semblable au plateau des Ardennes. (...) Ces deux premières périodes sont pleines de mystère. Que de jours ont passé sur ces étranges paysages qu'aucun oeil humain n'a vus !

Ere tertiaire. L'histoire de notre pays, durant l'Ere Tertiaire, est plus extraordinaire encore. (..) (Suit un exposé pédagogique sur le plissement des sédiments).

Ere quaternaire. (...) Puis vinrent des périodes de grand froid. (..) A quatre reprises, les glaciers sont descendus dans la plaine en suivant les vallées. Le glacier du Rhône a cheminé jusqu'à Lvon. Ces reptiles monstrueux et étincelants portaient sur leur dos des quantités colossales de débris rocheux arrachés aux versants des vallées. (...) Au moment de l'avant-dernière avancée des glaciers se place le plus grand événement de cette longue histoire. L'homme apparaît. Les premiers hommes qui ont vécu dans notre pays ont habité les pentes des montagnes.(..)

Une aube nouvelle se levait sur la terre."148

De la même manière que le récit préhistorique place chaque petite patrie au coeur

de l'humanité naissante, de même l'exposé géologique la met au centre des phénomènes

constitutifs de l'écorce terrestre...

"L'origine de la terre lorraine est très reculée dans l'histoire géologique de la terre. Le plateau lorrain résulte de deux formidables convulsions qui ébranlèrent l'écorce terrestre. Aucune terre n'émergeait encore en Europe lorsque la première de ces convulsions fit sortir des eaux les Vosges. Ce soulèvement fut suivi ensuite d'un affaissement lent et tout disparut dans la mer. Longtemps après, les terres immergées émergèrent à nouveau, mais lentement et longuement. En se retirant, la mer déposa des couches épaisses de matériaux divers, des sédiments, grès, marnes et argiles, clacaires en les superposant sur les flancs de la crête principale, formée, elle, de granit et de schistes, ces dépôts constituent le plateau lorrain."149

La formation de la terre nourricière de la petite patrie peut même être présentée

comme élément fondateur d'un fécondant printemps géologique, par une nature

anthropomorphisée, et pourvue d'une toponymie :

"Quand le Rhin se fut frayé un passage près de Bingen, les glaciers et les neiges disparurent, une plaine fertile se forma peu à peu. Les cimes des Vosges se couvrirent de forêts vertes et envoyèrent de belles rivières dans la plaine, se

148ROSSET (M.),Professeur d'Ecole Normale, (sous la direction de), par une équipe de professeurs et d'instituteurs, La Haute-Savoie, étude géographique, op. cit., pages 10-12.

149THIERY (H.), Inspecteur d'Enseignement primaireXe Département de la Meuse, Verdun, Librairie classique R. Marchai, 1929, p. 6.

Page 87: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 8 7 -réunissant d'abord dans le lit de I'M qui se jeta à son tour dans le Rhin. Ce superbe affluent du Rhin a donné à l'Alsace son nom et sa fertilité."150

L'exposé de géographie physique, désormais,précède systématiquement celui de

géographie humaine, à l'instar des manuels nationaux, mais les développements

consacrés aux "pays" ou aux "régions naturelles"151 s'insèrent à des places variables. On

peut trouver une section "Régions naturelles", située avant ou après la présentation de la

vie économique, ou bien le manuel présente tour à tour les "pays" en donnant pour

chaque cas géographie physique et géographie humaine.

D'une manière générale, ces manuels font preuve d'un souci de scientificité et de

pédagogie : mise en place d'un vocabulaire spécifique, présentation de nombreuses

données chiffrées, apprentissage de la lecture de cartes, présentation de croquis,

documents et clichés photographiques152. Les listes d'exercices proposés aux écoliers

préparent à l'observation, à la collecte d'informations et de matériaux. Les bibliographies

des ouvrages ne manquent pas de renvoyer à Vidal de la Blache, aux grandes

monographies universitaires, et aux travaux des sociétés savantes. Il est vrai que ces

références coexistent avec des ouvrages beaucoup plus anciens et scientifiquement

dépassés ou bien des récits de voyage documentés, comme la série d'Ardouin-Dumazet.

Certains manuels donnent même des extraits de ces publications, destinés à fournir des

exercices de dictée ou de lecture.

L'enseignement de la géographie locale est donc en fait placé sous le double signe

de l'apprentissage du raisonnement et de l'initiation à l'observation, censés rendre la

géographie aussi vivante que l'histoire. Certains manuels édités dans les années 1920-

1930 se présentent même comme de grands cahiers avec des rubriques pré-imprimées,

que les élèves doivent compléter. L'Inspecteur de l'enseignement primaire Coisy, co-

15ü Petite Histoire d'Alsace et de Strasbourg, à l'usage des écoles, Strasbourg, Libraires-éditeurs Vix et Cie, s.d., circa 1920.

15Ml semble que dans les années 1930 les manuels donnant en référence dans leur titre un nom de département appellent "régions naturelles" ce que les manuels donnant en référence dans leur titre une région appellent "pays". Ainsi, le manuel d'Elie Reynier sur l'Ardèche appclle-t-il "Régions naturelles" : "la Montagne, le Haut-Vivarais, la Cévenne, le Bas-Vivarais, le Coirón et la Région rhodanienne." Le manuel deJ.M. Rousset sur "le Rhône et la Région lyonnaise", qui consacre sa premiere division à la Région lyonnaise, passe en revue les "Pays géographiques de la Région lyonnaise" : le Beaujolais, le Maçonnais, le Massif de Tarare, le Charollais et le Brionnais,, le Lyonnais, le Mont d'Or, le Massif du Pilât, le Pays Noir, les Pays du BDauphiné, le Bugey, la Plaine de la Dombcs, la Bresse."

152Les illustrations photographiques apparaissent dès avant le Première guerre mondiale.

Page 88: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 8 8 -auteur avec l'instituteur Lapique du Département de l'Eure153 précise dans son

Introduction que ce manuel qui prévoit de larges espaces destinés à être complétés par les

élèves est en fait une incitation à l'écriture de monographies locales par les enseignants et

leur classe :

"Le maître doit faire sans cesse appel à l'esprit d'observation de l'élève, afin de stimuler son intelligence, de faciliter l'acquisition et la conservation de ce qu'il n'est pas permis d'ignorer. Ainsi, dès le cours élémentaire, une place plus large qu'autrefois doit être accordée à l'examen très simplement raisonné et commenté des faits géographiques locaux, puis régionaux : c'est du Village même que l'on doit partir à la conquête des notions fondamentales, des éléments, du b.a. ba de la géographie. Au cours supérieur et en fin d'études primaires, on étudie, de façon précise, déjà scientifique, les faits observés soit en promenade, soit sur des gravures ou des cartes bien établies (d'état-major, par exemple). Ces travaux entrepris afin de bien voir, donc de bien comprendre et connaître le cadre où l'on habite, peuvent être menés jusque dans les cours complémentaires, en travail d'équipe, au cours de séances d'activités dirigées. Pourquoi ne pas caresser le projet d'une belle collection de monographies locales, issues de l'enthousiaste collaboration de tous les enfants et de tous les maîtres de chaque département ?"

De nombreuses pages en "écriture guidée" doivent être complétées par les

éléments collectés par la classe concernant la toponymie, les ressources locales, les

activités agricoles et industrielles, etc. cependant que des espaces sont réservés pour

l'iconographie (photos, croquis, dessins ou cartes). L'amour de la petite patrie n'est pas

délaissé au profit de la seule démarche scientifique puisque le manuel se clôt par les

paroles in extenso de J'irai revoir ma Normandie et la photographie on ne peut plus

emblématique d'une coquette chaumière derrière des pommiers en fleurs.

Ce même procédé est repris dans le Cahier complémentaire de Géographie et

d'histoire 154publié en 1941, qui énonce le système de construction de l'espace par

emboîtements successifs sur le même mode lancinant que les comptines enfantines : "Ma

commune, ma commune dans son canton, mon canton dans son arrondissement, mon

arrondissement dans son département, mon département dans sa ou ses régions

153Coisy (C). Inspecteur de l'enseignement primaire, Lapique (J.), Instituteur, Le département de l'Eure, Notre canton, Notre commune, Notions de géographie et d'histoire locales à l'usage des écoles primaires, préface de Cockenpot Ch., Inspecteur d'Académie, Elbeuf, Editions et impression Paul Duval, .s. d. (post 1918), 48 pages.

154Audrin (E.), Moreau (Ch.), Timbal (L.), Cahier complémentaire de Géographie et d'Histoire, Ma commune, série B : Berry, Poitou, Angoumois, Périgord, Quercy, Edition rurale, Paris-Limoges-Nancy, Lavauzelle, 1941, 200 pages, Collection "Enfants de France". Il existe également, en parallèle, une édition urbaine.

Page 89: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 8 9 -naturelles, mon département dans son gouvernement 155, mon gouvernement et les

grandes régions naturelles de la France, mon gouvernement dans la France". Le volume

se compose de pages quadrillées où sont données des informations aux écoliers et posées

des questions auxquelles ils doivent répondre dans l'espace laissé libre. Le questionnaire

est particulièrement copieux et porte sur la composition de la population, les "vieux

usages, vieilles coutumes", les costumes, les coiffes, les recettes locales, les vieilles

légendes et vieilles chansons et même "le patois de ma commune" (une question précise:

"s'il existe une frontière linguistique, tracez la"). L'intérêt pour le domaine folklorique

n'est pas seulement une marque de l'époque : il était déjà développé dans les manuels de

la Troisième République ; la continuité avec l'époque antérieure est encore plus

significative dans le long chapitre consacré au tourisme, usuel dans les manuels des

années 1930 mais qui pourrait sembler incongru dans une publication de 1941156. Les

questions sur les activités locales s'ouvrent tout bonnement par la rubrique, à compléter,

"le domaine de mon père", qui suppose une population locale toute entière composée de

(petits) propriétaires...

La conception du manuel/cahier était déjà utilisée dans la collection de Notices

géographiques et Historiques illustrées dirigée par Raoul Blanchard et Daniel Faucher

dans l'Entre-deux-guerres157. Les deux mêmes universitaires l'explicitent après la

Libération dans leur Cahier de géographie locale15* :

155Ce manuel est le seul à notre connaissance à prendre en considération une division administrative instituée quelque temps par le régime de Vichy, les autres manuels de la période ignorant superbement les changements introduits ou imaginés par l'Etat français.

156A dire vrai, les manuels de géographie publiés sous l'Occupation consacrent systématiquement de longs développements au tourisme et à son intérêt pour le développement économique de la région. D'une manière générale, la situation de l'Occupation et ses conséquences est totalement occultée.

157cf. notamment le manuel de Lavoille (G.), Professeur d'Ecole Normale, Notice géographique et historique illustrée du Département de la Haute-Marne, cours de géographie R. Blanchard et D. Faucher, Librairie Gedalge, Paris, 1928,40 pages. L'Inspecteur d'Académie Ferrand salue en préface l'innovation qui consistent à prévoir dans l'ouvrage des pages blanches où les élèves doivent consigner les éléments relatifs à leur commune. A dire vrai, la construction de l'espace se fait en emboîtements partant de la carte de la salle de classe avec pour enchaînement : école, quartier, commune, territoire communal, canton (toutes ces cartes étant à établir par les élèves), jusqu'au débouché sur la carte du département, imprimée dans le manuel.

158BIanchard (Raoul), Professeur de Géographie à la Faculté de Grenoble, et Faucher (Daniel), Professeur de Géographie à la Faculté de Toulouse, Cahier de géographie locale, classe de fin d'études, Gedalge, 1948,44 pages.

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- 9 0 -"Les petites recherches auxquelles nous convions maîtres, élèves et parents eux-

mêmes doivent aboutir à une rédaction qui constituera une sorte de monographie géographique de la commune et de la petite région à laquelle elle appartient. (...). Dès 1923, nous marquions l'intérêt spécial qui pouvait s'attacher à l'observation du milieu local :'Dites-vous bien, faisions-nous remarquer aux élèves, que la géographie n'est pas seulement dans le manuel qui porte ce nom. Vous avez sous les yeux des faits géographiques. Votre maison, votre rue, votre village, votre ville, la vie de vos parents sont des faits géographiques."

Mais la démarche, là encore, n'a pas pour seul but explicite une pédagogie de

l'observation et du raisonnement qui "exercera sa vertu propre dans la formation

intellectuelle de l'enfant." La sempiternelle antienne de l'amour du sol natal que la

connaissance doit fortifier résonne encore dans les débuts de la Quatrième République :

"En ce qui concerne le milieu rural, à l'étude duquel ce cahier veut donner une base solide, nous avons l'espoir que lorsque l'élève le connaîtra mieux, il l'aimera davantage. L'horizon familier ne lui paraîtra plus un horizon borné. Les choses qui l'entourent deviendront capables de parler à son intelligence et à son imagination, comme un reflet de celles qui sont éparscs dans le monde. Il y prendra un sens nouveau des liens qui l'unissent à sa terre natale et a ceux qui l'y ont précédé. Per delà cette terre étroite, il n'oubliera pas la France, certes, mais il donnera au nom de sa patrie, comme au nom du patit "pays" auquel il se rattache, la profondeur émouvante de leur vraie signification."1^

Les Inspecteurs généraux de l'Instruction Publique Cressot et Troux reprennent le

thème dans une publication de la même période, destiné aux maîtres d'école, La

Géographie et l'Histoire locales 1 6 ° . L'ouvrage vise à guider les enseignants dans l'étude

du milieu et la rédaction de monographies. La préface reprend avec une remarquable

fidélité tous les arguments déployés dans les débuts de la Troisième République pour

convaincre les instituteurs de s'adonner aux études locales, mêlés aux références plus

modernes à la "pédagogie active" : il faut que l'instituteur connaisse le milieu où il vit,

qu'il s'y attache assez pour faire partager son amour aux enfants et endiguer l'exode

rural. Et ce travail lui permettra, fût-ce à un niveau modeste, de participer à la

communauté des savants :

159Ce Cahier de géographie locale, au terme d'un long questionnaire que doivent remplir les écoliers, et qui porte essentiellement sur le monde rural, se termine par des pages blanches à compléter selon les instructions fournies par les auteurs : "On rassemblera ici ce qui, d'après la monographie établie grâce aux questionnaires précédents, paraîtra le mieux caractériser la commune et la vie de ses habitants. On tâchera de dire si elle est prospère ou non ; on notera les améliorations qui paraissent souhaitables pour que la commune soit plus vivante, plus riche, plus agréable à habiter. On y pourra exprimer l'attachement que lui manifestent ses habitants."

160Cressot (J.) et Troux (A.), Inspecteur généraux de l'Instruction Publique, La Géographie et l'Histoire locales, guide pour l'étude du milieu, Bourrelier, copyright 1946,2° tirage, 1947,170 pages.

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- 9 1 -

"Souhaitons que chaque région compte bientôt une pléiade de chercheurs unis par une émulation cordiale, dans une collaboration féconde. Souhaitons que ces recherches leur procurent, au delà et au dessus d'une satisfaction de culture personnelle, un moyen de vivifier leur enseignement, d'attacher leurs élèves au sol natal, de s'attacher eux-mêmes à ce sol et à ses habitants, de participer à la fois à la science du savant et à celle du praticien, de réaliser enfin leur destinée d'homme et d'éducateur, qui est de connaître et d'aimer pour servir."

La perpétuation, à travers les décennies et les modes pédagogiques, du même

discours sur le nécessaire amour de la petite patrie témoigne sans conteste d'une

remarquable homogénéité idéologique, par delà leurs divergences politiques, des

enseignants de la Troisième République, tout imprégnés d'une conception de l'identité

nationale qui fonde l'appartenance à la communauté nationale sur l'ancrage dans des

communautés territoriales originelles, égales en droits ou en beautés et tenues pour

équivalentes. Mais cette représentation de la Nation, parce qu'elle repose implicitement

sur la mythique harmonie d'une non moins mythique France rurale, est inapte à rendre

compte du changement et de la mobilité, sociale ou géographique. De là le traitement

pour le moins parcimonieux et souvent péjoratif réservé au monde industriel et urbain, de

là surtout l'obsession constante dans les manuels scolaires de la dépopulation, qui

s'énonce moins comme un phénomène de tranferts de population que comme une

mortelle hémorragie démographique.

Le thème de la perte de population apparaît dès la première décennie du XXo siècle

dans les manuels : il n'est pas lié à des considérations d'hygiène physique, comme dans

les manuels de la fin du XIXo siècle qui énonçaient avec insistance les ravages de

l'alcoolisme et ses liens avec la mortalité précoce. Le mal dénoncé, inlassablement

désormais, est l'exode rural qui vide la France : ses campagnes, à dire vrai, mais elles

sont tenues pour la France véritable. Et les discours sur la dépopulation, qui dénoncent

l'attrait factice et l'attraction fatale des villes sur les jeunes ruraux, se nouent sur ce

fantasme d'une disparition des forces vives de la nation happées par un insatiable

Minotaure, laissant le pays exsangue :

"Les conséquences de cette émigration si active sont navrantes. Partout des fermes abandonnées, des hameaux désertés, des villages en partie ruinés, des champs livrés à la vaine pâture. L'immigration étrangère ne cesse de grandir : en raison des

Page 92: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-92-grands travaux (routes, canaux, voies ferrées), un certain nombre d'Italiens et d'Espagnols se fixent dans le pays, mais bien peu se font naturaliser."161

L'immigration étrangère , dans ce type de réflexion sur la dépopulation, n'est pas

initialement présentée comme une menace contre l'identité locale par intrusion d'un

élément allogène ; elle apparaît plutôt comme une conséquence inéluctable de

l'amoindrissement de la population autochtone, sans pouvoir réparateur puisque ces

étrangers refusent la naturalisation. Après la première Guerre mondiale, la grande

lamentation sur le dépeuplement de la France s'amplifie, l'imputant désormais à une

déplorable baisse de la natalité aussi bien qu'à l'attrait des paradis artificiels urbains :

" Lentement, mais progressivement, le pays se dépeuple. Non seulement, beaucoup de ses fils l'abandonnent, mais parmi ceux qui restent, trop peu fondent de ces beaux foyers aux nombreux enfants, espoir de l'avenir. Il y a chez nous trop de célibataires souvent inutiles, de familles de fils ou de fille unique et même de familles où jamais n'a retenti le joyeux rire d'un bébé.

Pourtant la terre meusienne est féconde et généreuse ; elle paie au centuple les soins qu'on lui donne et jamais laboureur meusien n'a vu sa huche vide. Chaque famille meusienne pourrait avoir un enfant de plus que celui-ci trouverait encore dans notre bonne terre de quoi s'assurer une vie large et surtout indépendante.

Il y a là une grave question à résoudre - une question de vie ou de mort pour notre pays. Puisse l'avenir réparer le tort immense causé déjà par le le suicide lent et incompréhensible d'une belle race qu'on représente par ailleurs comme de souveraine énergie."162

La hantise de la dépopulation est telle que même les manuels présentant les

départements à forte concentration industrielle, en expansion démographique,

s'adjoignent au choeur des lamentations : il est toujours quelque canton rural en

dépérissement, fût-ce dans un département dont le nombre d'habitants, grâce à

l'émigration issus d'autres régions, est en forte expansion. Ainsi le constat du triplement

de la population du Rhône en un siècle, loin de donner lieu à satisfaction, est-il suivi par

un long exposé sur la dépopulation des zones rurales locales et leurs funestes

conséquences :

161Eisenmenger (G.), Agrégé de l'Université, Docteur ès-sciences, Professeur de Sciences naturelles au lycée de Digne et Cauvin (C), Lauréat de l'Institut, Président du Syndicat d'initiative de Digne, Professeur de géographie au lycée de Digne, La Haute-Provence, étude de Géographie régionale. Digne, chez les auteurs et les principaux libraires, AIx-les-Bains, imprimerie, P. Jacques,, 1914, p. 159

162THIERY (H.), Inspecteur d'Enseignement primaire,Le Département de la Meuse, Verdun, Librairie classique R. Marchai, 1929, p. 47. Les passages en gras le sont dans le texte original.

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-93-"On constate dans tout le département une stagnation, voire une diminution de

la population des petites communes rurales sans industrie ou éloignées des centres attractifs. Certaines communes de montagne, isolées, ont perdu la moitié de leurs habitants. Cette diminution est due pour une part aux perles subies pendant la Grande Guerre de 1914 et pour l'autre part à l'abandon des professions rurales. Seuls les centres industriels voient leur population s'augmenter, grâce au développement de l'industrie, à l'atttrait des villes et à l'arrivée d'étrangers : Italiens, Espagnols, Polonais, Arméniens, etc. (73 243 en 1931). C'est d'ailleurs un phénomène d'ordre général inquiétant pour l'équilibre économique du pays : les campagnes se vident au profit de quelques centres urbains et surtout de villes comme Lyon, centre puissant d'atttraction. Le recensement de 1931 le fait constater à nouveau.

Ce phénomène a les conséquences suivantes : Io Certaines fermes tombent en ruines et des champs autrefois cultivés sont en friche. 2° La main-d'oeuvre agricole manque ; certaines cultures sont abandonnées et les prairies naturelles gagnent sur les terres labourées. L'élevage se développe d'autant plus que le lait, le beurre, les fromages et la viande sont de plus en plus recherchés. (...) La production industrielle dépasse parfois les besoins ou manque de débouchés et il y a alors crise de chômage. Si l'agriculture manque de bras, l'industrie en a trop."163

Le même manuel, où l'auteur ne cesse de proclamer l'impératif de solidarité

humaine universelle, présente, ce qui est rare, avec sympathie les ouvriers des industries

de la région lyonnaise (à condition qu'elles soient "traditionnelles") ; mais les ethnotypes

nationaux qu'il met en oeuvre ne sont pas exempts d'une xénophobie sélective : "Le mineur de la Loire est exposé à de multiples dangers dont les deux

principaux sont l'explosion de grisou et les éboulements. C'est une rude vie que la sienne. Il était autrefois recruté dans les rudes populations de la Haute-Loire et de l'Ardèche. On lui reprochait un amour immodéré du vin, mais que de sérieuses qualités compensaient ce défaut : endurance ramrquablc, habileté professionnelle, courage à toute épreuve dans les situations difficiels, coeur généreux pour toutes les misères de ses camarades. Seul le noyau de vieux mineurs est resté fidèle à la mine qui doit recruer aujourd'hui ses ouvriers parmi les étrangers. Si les Polonais font d'excellents ouvriers, par contre, les Algériens et les Marocains restent des travailleurs médiocres physiquement et moralement."164

Les manuels publiés sous le régime de Vichy sonnent encore plus fort le tocsin

devant la fièvre hémorragique vidant les campagnes :

"Le département des Basses-Alpes est UN DÉPARTEMENT QUI SE DÉPEUPLE. Il a perdu presque la moitié de ses habitants en un siècle, par ¡a faiblesse du nombre des naissances et surtout par l'émigration.

163ROUSSET (J.M.), Directeur d'école publique à Villefranche-sur Saône, Nouvelle géographie du département du Rhône et de la Région lyonnaise, Villefranche-en-Beaujolais, Les Editions du Cuvier, J. Guillermet, 1932, p. 132-133.

164Rousset, op. cit., p.91

Page 94: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-94-LES REGIONS LES PLUS FRAPPEES par la dépopulation sont les régions

montagneuses et particulièrement celles du Sud, plus sèches et plus pauvres. LES EMIGRANTS Bas-Alpins se fixent surtout dans les plaines et les villes

du Midi de la France. Mais certains d'entre eux sont parûsjusqu'en Amérique."1^

"Dans toutes les Alpes, depuis des siècles, des montagnards abandonnent le pays, dans lequel la vie est rude, pour se fixer dans des régions pmlus favorisées. Cependant, jusqu'au 19° siècle, les départs ont été relativement peu nombreux et la population des campagnes a augmenté jusque vers 1860 ou 1870. A partir de cette époque commence le déclin. (...) Aujourd'hui, le département de la Drôme compte parmi les départements LES PLUS FRAPPES PAR LA DEPOPULATION."166

"Dans quelle mesure nos campagnes se dépeuplent-elles ? De belles régions françaises sont devenues des régions de mort : la vallée de la Garonne, la vallée du Rhône, la région parisienne167. Le résultat, c'est l'abandon des villages et la colonisation par l'étranger. (...) La ruine et la mort sont à nos portes. Il nous .faut, de toute notre volonté de vivre, assurer la survivance de la race et l'indépendance et la fécondité de la terre : il nous faut créer des vocations agricoles.168

A la veille du baby-boom, ces manuels sont particulièrement virulents dans la

dénonciation de la dépopulation et la croissance du nombre des étrangers. Avec force

graphiques et moult calculs, l'auteur de la Géographie et histoire de l'Aude ne cesse de

répéter que la situation démographique du département est "lamentable" :

165Méjean (Paul), Agrégé de l'Université, Inspecteur d'Académie, Petite Géographie et Histoire du Département des Basses-Alpas, Lyon, Les Editions de la France Nouvelle, 1941, couverture en couleurs de R. Peynet, p. 45. Il s'agit ici d'un résumé de chapitre, précédé par un texte de l'écrivain local Maria Borrely, intitulé "Le village abandonné". Les caractères en italiques et en capitales le sont dans le texte initial.

166Méjean (Paul), Agrégé de l'Université, Inspecteur d'Académie, Petite Géographie et Histoire du Département de la Drôme, 1941, Editions de la France Nouvelle, p. 33. Les passages en capitales ou en gras le sont dans le texte original.

167Le discours ici tenu, qui pousse à l'extrême la rhétorique usuelle, transforme les régions industrielles attractives de main-d'oeuvre en triangles des Bermudes démographiques, puisque qu'elles sont désignées comme "régions de mort". L'accroissement local de population est donné comme perte, ce qui montre bien la perception de l'exode rural comme hémorragie mortelle et non comme transfert territorial de population.

168Souché(A.), Inspecteur de l'Enseignement primaire, Notre Petite Patrie, Loudun et Chalellerault, les pays loudunais, mirebalais et chatelleraudais, Poitiers, La Vienne et le Poitou, Histoire locale illustrée, Loudun, Imprimerie-Librairie H. Robert, 1941, 100 pages, p. 87. Les passages en gras le sont dans le texte original.

Page 95: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 9 5 -"En 1940-41, on a décompté 36 000 élèves d'âge scolaire. Mais, dans ce total,

figurent 5 800 étrangers : il resterait donc à peine 30 000 jeunes Français et Françaises, dont certains, en nombre impossible à évaluer, sont fils de naturalisés. La réalité paraît effroyable pour l'avenir de la région audoise. (...) Donc, en faisant état des circonstances les plus favorables, la population scolaire d'origine française serait passée en 40 ans de 57 000 à 32 000, soit une diminution de 45% (la population du département a diminué de 12%).

Cet affaiblissement dénonce le mal qui ronge la France : une diminution désastreuse des naissances a préparé une génération aux effectifs misérables. Déjà, le nombre des mariages que pourra donner cette génération est fixé, à un nombre ridiculement bas.

Si la volonté de vivre à tout prix ne l'emporte pas, si la révolution familiale n'aboutit pas, les statistiques scolaires descendront à des chiffres qui ne laisseront plus à personne aucune illusion." 16^

Il est clair que l'intégration des étrangersde facto et àtjure (il est impossible

d'évaluer le nombre d'enfants de naturalisés) ne fait nullement partie des représentations

de la petite et de la grande patrie. Seuls les manuels consacrés aux département du

Nord170 présentent les immigrations qui s'y sont mêlées comme des apports à la

population locale. Ce traitement spécifique de la question n'est sans doute pas imputable à

une moindre xénophobie des auteurs de manuels septentrionaux. Mais ils sont les seuls à

valoriser la production industrielle locale et à la présenter comme source de fierté pour

une région souvent dédaignée pour le manque de charme de ses sites et de son climat ; le

Nord, ne cessent-ils de répéter est le département de province le plus actif, le plus peuplé,

le plus riche et celui qui paie le plus d'impôts ; "il est la plus solide colonne sur quoi

repose l'édifice France."171 Dans la mesure où l'industrie et l'activité urbaine sont

données pour marque d'excellence d'un département, les forces qui y concourent, quelle

que soit leur origine, sont créditées par contre-coup d'une valeur positive, à l'inverse de

ce qui se produit pour le reste de la France, où l'espace rural est fortement privilégié par

rapport à la modernité industrielle et urbaine. Ainsi le manuel consacré aux Bouches-du-

169Plandé (R.), Agrégé de l'Université, Professeur au Lycée de Toulouse, Géographie et Histoire du département de l'Aude, Grenoble, Les Editions de la France Nouvelle, 1941, p. 73. Texte extrait de : R. Plandé, "La population de la France", dans la Géographie de la France, sous la direction de D. Fauchcr(en préparation).

170Manuels publiés avant et après la seconde Guerre mondiale.

171Blanchard (R.), Professeur à la Faculté des Lettres de Grenoble, et Saint-Léger (A. de), Professeur à la Faculté des Lettres de Lille, Le Département du Nord, à l'usage des élèves des cours moyens et classes de fin d'études, géographie et histoire, Paris, Editions Bourrelier et Cie, 1948, p.12

Page 96: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 9 6 -Rhône172 et publié en 1945, qui met l'accent sur l'ancrage du département dans la terre

provençale insiste-t-il sur la désertification des villages, l'accroissement démographique

général dû à l'immigration française ou étrangère étant présenté comme un problème

plutôt qu'un bienfait :

"Problèmes humains Villages en ruines sur les hauteurs, bastides désertes, n'est-ce pas le symbole

même du déclin du peuplement indigène dans le département ? Si les Bouches-du-Rhône ont considérablement accru leur population, c'est en effet uniquement à l'apport extérieur qu'elles le doivent. Le mouvement intérieur de la population accuse un déficit depuis 1870.

La natalité moyenne, dans le département, est une des plus faibles de France ; après avoir été longtemps supérieure à la moyenne française, elle est tombée aujourd'hui nettement au-dessous (suit un tableau de chiffres). Ce qui place le département des Bouches-du-Rhône à l'avant-demier rang des départements français. Certes, la mortalité a diminué, elle aussi, rapidement, mais insuffisamment pour laisser un excédent positif. (...)

C'est dire toute l'importance de l'immigration. L'immigration française dans le département est difficile à évaluer exactement, mais considérable à coup sûr : c'est un des plus grands centres attractifs de la population française avec la région parisienne. (...) L'immigration coloniale est plus récente : c'est surtout après 1900 qu'elle prend une certaine place dans les statistiques. (...)

Quant à l'immigration étrangère, elle s'est largement développée après 1870. (...) 5ces étrangers) présentaient un véritable intérêt économique (...) Si l'on comptait parmi eux 60% de manoeuvres - donc aisément remplaçâmes- en revanche 35% d'ouvriers qualifiés et 5% de spécialistes étaient d'un apport utile pour le département.

Malheureusement, certains de ces étrangers n'apparaissaient pas facilement assimilables; moins en raison de leur origine ethnique que de leur comportement. Au reste, le nombre de demandes de naturalisations était de 7 000 environ en 1935.

Mais nous voilà loin finalement du peuplement indigène provençal, noyé dans cet afflux d'alpins et de Corses, d'Algériens, d'Italiens et d'Espagnols ou d'Arméniens. Comment retrouver les caractères originaux de la race dans ce microcosme méditerranéen ?

Par ailleurs, ce flot se porte principalement vers les villes, et vers Marseille surtout ; ainsi s'accentue régulièrement le déséquilibre de la population dans les Bouches-du-Rhône."173

L'obsession de la dépopulation est assez forte pour que des développements sur

les funestes conséquences de l'exode rural apparaissent dans les rares manuels soucieux

de prendre en compte la modernité. Les Merveilles de France 174qu'Yvonne Ostroga

172Pierrein (Louis) et Guiral (Pierre), Professeurs au Lycée Thiers, Marseille, Les Bouches du Rhône, histoire et géographie du département. Les Editions françaises nouvelles, Grenoble, Bordas frères, 1945, 236 pages

173Pierrein et Guiral, op. cit., pages 147-149.

174Ostroga (Yvonne), Merveilles de France, Tours, Marne, 1939, sous la direction de Mariel Jean-Brunhes-Delamarre; plusieurs rééditions en 42 et 43. Ce manuel de lecture, version très modernisée de

Page 97: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 9 7 -propose aux écoliers de découvrir à travers un parcours du pays inventoriant ses

richesses comprennent les nouveautés technologiques les plus prestigieuses (paquebot

Normandie, aéroports, production de houille blanche). Mais le chapitre central est

consacré à l'Agriculture : il prend la forme d'une discussion entre écolières, groupées

autour de leur institutrice, la jeune Martine déclarant sa vocation de fermière :

"Le visage de l'institutrice s'éclaira d'un joyeux sourire : -Tu as raison, petite fille, ne quitte pas la campagne, dit-elle, on la délaisse trop, ajouta-t-elle en se tournant également vers les autres jeunes filles. Aussi la campagne se dépeuple-t-elle.

-Mais, dit une des jeunes filles étourdiment, il faut bien aussi des travailleurs et des travailleuses en ville pour les autres métiers... -Certes, répondit l'institutrice, ces autres activités sont loin d'être inutiles.

Et puis on gagne plus à la ville. -C'est vrai, répondit l'insitutrice, quand on a du travail. Mais celui-ci devient de

plus en plus aléatoire. Aujourd'hui nous assistons au spectacle suivant : à la ville, pas assez de travai pour tous les ouvriers industriels, et beaucoup de ceux-ci sont en chômage. A la campagne, pas assez de travailleurs français, l'on est obligé d'embaucher des ouvriers agricoles étrangers.

-A la ferme le chef de culture est polonais, dit une des jeunes filles. -Et ceci est très fréquent, répondit l'institutrice. Malgré ces 'remplaçants' la

campagne se dépeuple. Et comme il y a moins de paysans, les petits artisans -forgerons, menuisiers, bourreliers, charrons, etc.- et les petits commerçants des hameaux et des villages ont aussi moins de travail. Dans le Midi de la France, il y a des villages où il n'y a plus un seul habitant. Les maisons sont vides et tombent en ruine.

Papa me dit toujours que si l'on cultivait plus méthodiquement la terre de France, nous n'aurions pas besoin d'acheter tant de céréales, de légumes et de fruits à l'étranger, dit une des jeunes filles.

-Nous pourrions en tout cas en acheter beaucoup moins et dépenser ainsi moins d'argent à l'extérieur, expliqua l'institutrice.

-Mais que faut-il faire pour que l'on ne quitte pas la terre et qu'on la cultive bien partout?

-Améliorer la vie à la campagne, dit l'institutrice, en amenant à la ferme l'eau et l'électricité. Adapter l'activité agricole à la région, par exemple, ne pas s'entêter à faire pousser avec beaucoup de peine des céréales dans une région où l'élevage doit mieux réussir et puis surtout, termina l'institutrice en serant tendrement Martine contre elle, la terre de France a besoin de bons bras et de coeurs vaillants pour s'occuper d'elle et il faut souhaiter que parmi la jeunesse il y ait beaucoup de petites Martines..." 175

La crise économique est en fait fréquemment présentée dans les manuels des

années 1930 comme conséquence (châtiment ?) de l'exode rural, selon une conception du

pays qui ne tient pas l'industrialisation comme facteur de développement. On n'envisage

l'archétypal Tour de France par deux enfants est, à travers des récits de voyage effectues par de jeunes gens dans les régions "vidaliennes", un inventaire des sites, traditions et ressources de la France des années 1930.

75Y. Ostroga, op. cit., p. 63-65.

Page 98: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 98 -pas de croissance de la production industrielle - et l'offre d'emplois serait déjà excessive

par rapport à la demande. Et si nombre de manuels sont soucieux d'indiquer des

perspectives d'avenir pour les différentes petites patries, et exhortent les écoliers à y

oeuvrer, ils les envisagent dans le cadre d'une amélioration des activités agricoles et

artisanales : l'avenir comme aménagement du présent, d'un présent déjà obsolète,

l'avenir comme résurrection du passé. Avec ce correctif toutefois que les manuels

accordent une large place à un secteur d'activités en expansion effective, en lequel sont

placés les plus grands espoirs, parce qu'il permet un apport de ressources sans changer

-pense-t-on- le visage traditionnel du pays : le tourisme.

Le tourisme sauveur de la France

Le copieux manuel consacré à la Haute-Provence176 et publié en 1914 consacrait

un chapitre fourni à l'avenir de la région, partant d'un constat pessimiste sur sa

désertification déjà avancée. Les solutions proposées visaient clairement à reconstituer un

état précédent, supposé idéal :

"L'Avenir de la Haute-Provence Sommaire du chapitre : 1- Le présent est peu brillant. Les progrès de l'agriculture sont insuffisants, l'industrie n'existe plus, la montagne se dégrade et les habitants désertent le pays. L'avenir serait pourtant riant si la population savait tirer un meilleur parti des ressources du pays. 2 - Au point de vue agricole, l'introduction de nouvelles cultures (lavande, rosiers à essence, cultures maraîchères), le développement de l'irrigation, le colmatage méthodique des plaines, donneraient une grande prospérité à la Haute-Provence. 3 - L'élevage gagnerait à être intensif. La substitution de la vache au mouton, l'amélioration de la race, la création de fruitières s'imposent à bref délai. La pisciculture, l'apiculture, la sériciculture mieux pratiquées fourniraient des produits accessoires d'une grande valeur. 4- Le développement de la mutualité (syndicats agricoles, syndicats de producteurs, caisses de crédit agricole, mutuelles-bétail, mutuelles-incendie) assurerait aux cultivateurs la sécurité du lendemain. 5- Pour favoriser le développement de l'industrie, il faudrait aménager les cours d'eau, construire des barrages sur la Durance, l'Ubaye, le Verdón. En attendant, une

176Eisenmenger (G.), Agrégé de l'Université, Docteur ès-sciences, Professeur de Sciences naturelles au lycée de Digne et Cauvin (C), Lauréat de l'Institut, Président du Syndicat d'initiative de Digne, Professeur de géographie au lycée de Digne, La Haute-Provence, étude de Géographie régionale, Digne, chez les auteurs et les principaux libraires, AIx-les-Bains, imprimerie, P. Jacques, ,1914,250 pages

Page 99: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-99-foule de petites industries familiales pourraient être créées et apporteraient l'aisance dans le pays. -6 - Le commerce exige, pour prspérer, de nouvelles voies ferrées et surtout des services automobiles. Le tourisme est capable d'apporter à la Haute-Provence des bénéfices incalculables. 7- Ces transformations assureraient le bien-être à la population. Celle-ci ne tarderait pas à devenir plus nombreuse et resterait fidèlement attachée à la terre natale."177

Le développement de ce sommaire dans le chapitre fait percevoir un vif

engouement des auteurs du manuel pour la construction d'équipements hydro-électriques

: ils imaginent avec enthousiasme des barrages sur tous les cours d'eau, des galeries

souterraines, mais la destination de tous ces kilowatt laisse songeur. L'hydro-électricité

créera l'industrie, disent-ils, mais ils n'envisagent pas d'autre industrie que l'artisanat à

domicile, qu'on ne savait pas si gourmand en énergie...:

"L'industrie familiale pourrait s'établir dans la Haute-Provence : la force distribuée à domicile permettrait d'utiliser les bois indigènes ou étrangers, d'établir des coutelleries, de travailler l'os, l'ivoire, etc., ainsi qu'on le voit dans le Jura. Cette industrie répondrait à l'esprit et au goût de la population. En attendant, il serait facile de réaliser sans grands frais et sans l'intervention de l'Etat, un certain nombre d'améliorations, de créer des oseraies dans les iscles, d'emploucr les loisirs de l'hiver à la confection de paniers en osier, de développer l'industrie de la dentelle qu'une heureuse initiative a fait naître à Sisteron ou encore d'utiliser le buis des montagnes comme on le fait à Moustiers.178

La solution d'avenir industrielle réside donc dans la reprise d'un modèle suisse

lui-même déjà en grand déclin. Mais le modèle suisse (via d'autres imitations) inspire

aussi une autre solution d'avenir, celle-là plus prometteuse, dont les bénéfices escomptés

ne sont pas seulement monétaires : le tourisme amènerait, selon la formule helvétique

"propre en ordre", une meilleure hygiène locale. Il serait justifié par la beauté des sites (

ce qui entraîne la reprise du dithyrambe émerveillé sur la petite patrie) et ne devrait son

retard qu'à l'insuffisance d'équipements corrects179 :

"La création du chemin de fer Grenoble-Côte d'Azur à voie large et pour trains rapides permettrait de faire connaître les Alpes de Provence au grand public hivernant

177Eisenmenger (G.),et Cauvin (C), op. cit., pages 220-221.

178Ibid., p. 232.

179Les auteurs reprennent ici le discours développé à la même époque par le Touring-Club, qui s'affaire à développer l'équpement hôtelier et l'hygiène des établissements destinés aux touristes. Cf. Catherine Bertho-Lavenir

Page 100: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 1 0 0 -sur la Riviera. La Haute-Provence est encore ignorée et pourtant peu de régions possèdent un ensemble aussi complet de tout ce qui peut séduire les voyageurs : variété infinie des sites tour à tour imposants et sévères, calmes et gracieux, gorges fantastiques, panoramas grandioses, torrents, lacs et cascades, et surtout un climat d'une luminosité incomparable. A cette région déjà pénétrée par un certain nombre de grandes voies touristiques, il manque un aménagement rationnel des hôtels, des villages et des stations thermales. Il ne faut pas oublier que les étrangers laissent annuellement en France une somme égale au revenu des valeurs mobilières : plus d'un milliard en 1912. De cette somme, la Haute-Provence mériterait d'avoir une plus large part.

Le tourisme peut rapporter à la région des bénéfices incalculables. Il entraîne non seulement une circulation plus grande de l'argent, mais encore l'utilisation des ressources, la création de grandes voies nouvelles, la transformation des habitudes, l'amélioration des hôtels, la canalisation des eaux de consommation, le développement de l'hygiène."180

Et la fin de ce chapitre consacré à l'avenir de la Haute-Provence reprend ce thème

de l'hygiène, physique et morale, qui doit transformer le pays et lui attacher ses habitants

: il faut que se développent les habitudes de propreté, que l'aménagement des villages

fasse plus de place à l'esthétique, que la fréquentation des bibliothèques prenne le pas sur

celle des cafés, pour lutter contre la dégénérescence de la race.

"Donner à la population plus de bien-être en lui fournissant le moyen de l'acquérir par le travail, lui inspirer le souci de l'hygiène, le désir d'embellir le milieu dans lequel elle vit, doit être la préoccupation constante de tous ceux qui s'intéressent à l'avenir de la Haute-Provence. C'est là le seul moyen d'attacher au sol une population qui l'abandonne, de lui faire aimer la petite patrie tout en lui permettant de travailler plus utilement encore à la prospérité de la grande."181

Les manuels de géographie de l'Entre-deux-guerres consacrent systématiquement

un développement au tourisme et à son intérêt pour l'avenir de la région. Les écoliers sont

même souvent sollicités à participer à l'essor de cette activité, notamment par des

exercices leur demandant de recenser les sites pittoresques et les monuments "à visiter" de

leur région. Le manuel d'Elie Reynier donne une appréciation positive du tourisme en

Ardèche, déplorant seulement l'insuffisance de structures appropriées :

"Le tourisme, quoiqu'insuffisamment aménagé encore, apporte une activité et des profits appréciables : le Vivarais, sans avoir de glaciers, de pics élevés, de paysages grandioses, est extrêmement varié : grottes et cagnons (sic) calcaires du Chassezac et de l'Ardèche, gorges profondes du Haut-Vi varáis et du lanargue, cratères et coulées basaltiques de la Cévenne, sucs volcaniques du plateau. Le Syndicat

180Ibid., p. 233-235.

181Ibid., p. 235.

Page 101: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-101 -d'Initiative du Vivarais à Vals182, les syndicats locaux (Sainte-Agrève, Lalouvcsc, les Vans, Vernoux), attirent un nombre toujours plus grand de visiteurs, et les séjours d'été dans la montagne se multiplient."183

L'exercice proposé aux écoliers ensuite leur demande de "tracer un voyage

pittoresque dans le département, d'un jour, de plusieurs jours, en partant d'un centre

déterminé", et donc à se livrer à la rédaction d'une brochure de syndicat d'initiative.

Les exercices de récit d'une promenade scolaire, ou de description d'un panorama

à partir d'un point de vue sont fréquents dans ces manuels. L'ouvrage consacré en 1935 à

la Haute-Savoie expose bien sûr longuement aux écoliers la richesse touristique du

département, les bienfaits qui en découlent et la nécessité d'améliorer encore l'équipement

d'accueil de la région. Mais le livre offre de surcroît une série de "lectures" donnant des

modèles de récits d'excursions locales. Ces textes, rédigés pour la plupart à la première

personne du pluriel, sont donnés sans noms d'auteurs ni indications de provenance, mais

leur style laisse à penser qu'il s'agit de récits de promenades (par de grands élèves, par

des normaliens ?) retravaillés par les auteurs du manuel :

"Du haut du Salève (...) Nous grimpons un sentier abrupt à même la falaise de calcaire jaune,

friable, traître au pas et qui fit du Salève une alpe plus homicide que bien d'autres plus élevées. (...)Nous voici dans les prés. (..) Quel admirable belvédère ! A droite toute la plaine du Léman jusqu'aux crêtes du Vuache et du Jura. (...) A gauche, les Bornes aux mamelons semblabes à des taupinières. (...) On arrive à Cruscillcs, tout étonné, car cette montagne étrange, pareille à nulle autre, finit alors qu'on s'y attend le moins."184

182Une note infrapaginale indique que c'est le Syndicat d'Initiative qui a fourni plusieurs photographies illustrant l'article.

183Reynier (Eue), Professeur à l'Ecole Normale de Privas, L'Ardèche, géographie-histoire, Paris, Bourrelier, s.d. (circa 1930), 34 pages, collection "Petites monographies départementales", sous la direction de Raoul Blanchard et Daniel Faucher.p. 22

184Rosset(M.),Professeur d'Ecole Normale, (sous la direction de), par une équipe de professeurs et d'instituteurs, La Haute-Savoie, étude géographique, édité par le syndicat des instituteurs de Haute-Savoie, Annecy, imprimerie coopérative l'Abeille, 1935,177 pages, page 142-143.

Page 102: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-102-Le texte suivant, "Le Chablais vu du Léman", retrace une excursion en bateau de

promenade et permet d'énumérer la liste des vues à ne pas manquer, des commentaires

indispensables et des métaphores appropriées :

"Retournons. Dans le couchant, le lac semble d'or fondu. Les côtes se piquent de points lumineux. Une à une les cimes s'éteignent et longtemps la Dent d'Oche veille, fanal obstiné sur son chaos de rocs et d'éboulis."185

La lecture retraçant "L'ascension du Mont-Blanc" est l'occasion pour les écoliers

d'apprendre que le parcours des sommets part de refuges précis et s'accompagne d'une

réflexion métaphysique sur les effrayants infinis ainsi que de considérations toutes

kantiennes sur le sublime :

"On accède généralement au Mont-Blanc par la cabane des Grands Mulets ou par la cabane de l'Aiguille du Goûter. (...) On part avant le jour de l'un ou de l'autre refuge... A la lumière d'une lanterne portée par le guide, la caravane lentement enfonce les pointes de ses crampons dans la neige dure. (...) Puis le ciel pâlit et les montagnes apparaissent tels des monstres ténébreux sur les glaciers livides. Le coeur bat dans la poitrine, le corps se penche sur la pente raide, les oreilles bourdonnent et l'on avance sans parler car on est engagé dans la lutte où doit vaincre celui qui est fort et volontaire. (...) Du sommet (..) le regard se perd sur un océan pétrifié de montagnes dont les vagues démesurées se perdent à l'infini...(...) Le vent mord les visages sous la laine du bonnnet rabattu. (...) On a l'impression qu'un souffle vous emporterait comme fétu dans l'espace, par-delà ces pointements noirs ou blancs qui sont tous des monts de trois ou quatre mille mètres.

Solitude effroyable et sublime que les bruits de la vallée n'atteignent pas et que les brumes assiègent par vagues furieuses à moins que, dans les beaux jours, une lumière souveraine ne la transforme en une echarpe de cristal, jetée dans le lac serein de l'espace."186

Quant à l'évocation du lac d'Annecy, par-delà les lourdeurs d'un style "primaire"

marqué qui file et refile la métaphore éculée des reflets-pierres précieuses, elle montre

comment tisser le réseau des "marqueurs" de la petite patrie : paysage varié dans son

unité, vignoble, référence Scandinave pour un paysage plutôt méridional, allusions aux

hommes illustres, points de vue, vieilles pierres et renvois aux profondeurs de l'histoire.

185Ibid. p. 144

186Ibid. p. 145.

Page 103: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-103-"Le lac d'Annecy semble perpétuellement paré pour une cérémonie princière.

(...) Le couchant le constelle de rubis. Il est tantôt d'émeraude et tantôt de spahir. Le soir, lorsque les hôtels du rivage le ponctuent de leurs feux, il paraît serti de

topazes, d'améthystes et de grenats. (...) A l'arrière-saison, les pampres de Chavoires le festonnent de feuilles et de

grappes dorées. Dans les journées d'hiver, toutes ouatées de neige, ses eaux glauques ont le

calme, l'impassible splendeur des fiords norvégiens. (...) Les poètes et les écrivains, Taine et Theuriet l'ont chanté. Mais le lac garde un secret. Il faut, pour le déceler, monter à la Puya par un de ces soirs d'automne dont la

mélancolie évoque invinciblement les passés révolus. Parmi les châtaigniers et les chênes noueux dont les feuilles roussies font déjà

sur le sol un tapis léger, voyez la lune, à son lever, éclairer un à un les créneaux démantelés du Parmelan et ce qui reste du donjon en ruines de la Tournette. Les contours indécis du lac se précisent peu à peu, et, entre deux troncs tordus, à travers les branches menues et demi-dépouillées, vous ne sauriez manquer d'apercevoir, pour peu que vous y prêtiez attention, la barque fugitive de la druidesse Vélléda, glissant silencieusement sur les flots sereins.

Le lac d'Annecy est notre vieux lac gaulois."187

La présentation de ces textes dans le manuel fournit donc un ensemble complet et

élaboré de thèmes et d'expressions pour la composition française, mais plus encore sans

doute pour la rédaction de brochures touristiques ; la plupart des ouvrages scolaires

insistent d'ailleurs sur la nécessité de développer la propagande en faveur de la région.

A la même période, un manuel de géographie du Nord188 signale que la région est

certes dépourvue de sites naturels attractifs, mais qu'elle peut attirer les amateurs de

vieilles pierres et qu'elle bénéficie en tout cas du tourisme "mortuaire" consécutif aux

boucheries de la Grande Guerre :

"Les souvenirs historiques fourmillent dans notre région. N'est-ellc pas la terre des Communes du Moyen-Age? (....) Enfin les lieux où luttèrent nos soldats, unis à ceux de Belgique, de Grande-Bretagne, des Dominions, sont devenus lieux de pèlerinage, parcourus chaque année par des milliers de personnes (Arras et ses environs, N.D. de Lorette).

Il est inutile de souligner l'importance du tourisme et quel élément de prospérité il constitue pour les cités où il est florissant. Mais pour faire connaître les richesses touristiques de notre région, une propagande est nécessaire. C'est aux intéressés

187Ibid. p. 146

188Pilant (Paul), Docteur de l'Université de Clermont, Professeur de Géographie ù l'Ecole Primaire Supérieure des Garçons de Calais, Tableau de la Géographie de la Région du Nord, a l'usage des candidats au Brevet Supérieur, Lille, Editions de la Société d'Edition du Nord, Béziat et Cic, Io édition 1933,175 pages.

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-104-(compagnies de chemin de fer et de navigation, syndicats de commerçants, syndicats d'initiative surtout) à l'entreprendre."189

Le manuel de Géographie et Histoire de la Drôme publié en 1941 donne donc aux

écoliers les exercices suivants : "

"Visite en groupe (ou visite individuelle) au Syndicat d'initiative local où tous renseignements seront aimablement fournis.

Rédaction : Rédigez et illustrez un projet de prospectus touristique pour votre localité."190

Ces exercices s'appliquent au chapitre "Tourisme et villégiature" où il est

expliqué, en toute occultation du grand déplacement de population de 1940 et de la

situation pour le moins particulière de 1941, que :

"Le tourisme et la villégiature constituent depuis quelques années un élément de la prospérité économique d'un pays. Le passage et le séjour prolongé d'étrangers ou d'habitants d'autres régions se traduisent par un apport d'argent dans le département, par un gain supplémentaire, non seulement pour les hôteliers et commerçants et les services de transport, mais encore pour les agriculteurs qui, indirectement, nourrissent les visiteurs."191

Et le manuel de recenser les monuments historiques, les sites, et les ressources

climatiques permettant séjours estivaux et hivernaux. Le développement du ski dans le

Vercors est noté avec satisfaction et la partie Géographie de l'ouvrage s'ouvre d'ailleurs

par un cliché photographique sur les sports d'hiver. Cela dans le temps où la Drôme en

général, le Vercors en particulier, commencent à attirer une population engagée dans

d'autres luttes que le développement du tourisme L.Le même Inspecteur d'Académie

publie la même année un manuel consacré aux Basses-Alpes192où il insiste également sur

les bienfaits du tourisme et les nécessités de le développer. Une "lecture à commenter" en

clôture du chapitre forme le départ d'une brochure touristique sur le canon du Verdón :

189Pilant P., op. cit., p. 120

190Méjean (Paul), Agrégé de l'Université, Inspecteur d'Académie, Petite Géographie et Histoire du Département de la Drôme, 1941, Editions de la France Nouvelle, 115 pages., p. 31.

191 Ibid. p. 30

192Méjean (Paul), Agrégé de l'Université, Inspecteur d'Académie, Petite Géographie et Histoire du Département des Basses-Alpas, Lyon, Les Editions de la France Nouvelle, 1941, 100 pages, couverture en couleurs de R. Peynet.

Page 105: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 105 -

"Les sites grandioses du Verdón ne commencent qu'en aval du pont de Soleil, deux kilomètres après avoir quitté la route de Castellane à Draguignan. Le lit de la rivière se resserre tout à coup entre ses deux rives surélevées et forme une gorge pittoresque que suit la route menant à Rougon et à Moustiers sainte-Marie. Plus loin vers l'aval le grand canon faufile sa faille formidable et tragique entre les murailles de roc à pic dépassant parfois 500 à 600 mètred.Parmi les rocs polis par le courant, les blocs énormes où l'écume se heurte et bondit rageusement, l'eau glauque se rue avec des luisances d'acier, des reflets d'émeraude et d'aigue-marine. Du haut de la route de la Palud, le long des crêtes qui suivent les sinuosités du fantastique couloir, c'est le vertige. En bas, si l'on a osé se risquer à dévaler le précipice, parmi les anfractuosités, en s'accrochant aux racines et aux buissons, c'est l'écrasement.

...Le grand canon du Verdón est une incomparable merveille, beaucoup plus grandiose et plus extraordinaire que les gorges du Tarn."193

Rien ne manque des éléments à mentionner : le parcours, les points de vue, les

chiffres à citer, les incontournables métaphores joaillères, l'effroi du spectateur, et même

la publicité comparative à propos des rivales gorges du Tarn...

Un ouvrage de la même collection, publié en 1942194, célèbre lui aussi les attraits

de son département (l'Aude) et les possibilités de tourisme archéologique, balnéaire et

thermal. Les écoliers du Centre et du Sud-Ouest sont au même moment incités à dresser

la liste des curiosités touristiques de leur région195 tandis que les élèves de Haute-Loire

apprennent qu'à défaut "d'aspects aussi prestigieux que la mer, la haute montagne ou les

glaciers", leur département offre des panoramas grandioses, des châteaux en nids d'aigle,

et un chef-lieu doté d'un site volcanique exceptionnel et d'une protection mariale non

moins réputée196. Entre autres exercices, les enfants doivent "tracer le parcours d'une

excursion intéressante dans votre commune. Que permet-elle de voir ?"197. Ces

développements touristiques sont de toute évidence parfaitement inadaptés à la situation

de l'Occupation ; leur présence indique en fait que les chapitres consacrés à la question

étaient devenus d'usage dans tous les manuels de la période antérieure.

193Méjean, op.cit., Les Basses-Alpes, p. 40.

194Plandé (R.), Agrégé de l'Université, Professeur au Lycée de Toulouse, Géographie et Histoire du département de l'Aude, Grenoble, Les Editions de la France Nouvelle, 1941

195Cf. Audrin (E.), Moreau (Ch.), Timbal (L.), Cahier complémentaire de Géographie et d'Histoire, Ma commune, série B : Berry, Poitou, Angoumois, Périgord, Quercy, Edition rurale, Paris-Limoges-Nancy, Lavauzelle, 1941,200 pages, Collection "Enfants de France".

196A/o« Département, La Haute-Loire, sa géographie, son histoire, par une réunion de professeurs, Librairie scolaire, Le Puy, s.d. (1941 ou 1942), p. 32.

197Ibid., p. 59.

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-106-Le recensement des monuments historiques (depuis les dolmens), des sites, des

hommes illustres et des ressources gastronomiques et bachiques, que les écoliers étaient

appelé à lire et à compléter, a pris dans l'Entre-deux-Guerres un double rôle : l'initiation

des enfants à l'amour de la petite patrie se double désormais d'un apprentissage du

discours à usage extérieur sur le pays.198 Il n'est pas étonnant que les auteurs de manuels

remercient les syndicats d'initiative locaux pour avoir fourni l'illustration photographique

: à l'admiration des autochtones et des touristes sont proposés les mêmes éléments, selon

les mêmes perspectives. Les monuments historiques se voient généralement en contre-

plongée, -du haut de ces pierres, les siècles vous contemplent- , tandis que la nature

apparaît essentiellement par des paysages "liquides" bordés d'arbres : cascades, cours

d'eaux, lacs encadrés de rocs, selon une esthétique picturale des années 1850 largement

vulgarisée au XXo siècle. Mais l'illustration photographique ne rend pas compte d'un

élément, représenté parfois par des bois gravés, en tous cas par les textes, à savoir le

folklore local. L'inventaire des coutumes et des traditions locales tient en effet dans les

manuels postérieurs à la première Guerre mondiale une place eminente, au moins égale au

repérage des monuments historiques et sites emblématiques de la région.

Entre patrimoine et revival : les traditions

Les manuels locaux ont précocement traité de la culture populaire, des traditions

ou même de la langue vernaculaire, mais à la fin du XIXo siècle la référence s'énonce

plutôt sur le mode patrimonial. L'Histoire de Bretagne de Langlois, publiée en 1891, qui

idéologiquement s'inscrit résolument dans le camp républicain, a son dernier chapitre

illustré par des Bretons et Bretonnes en costumes. Le manuel s'achève de fait par des

considérations sur la costume traditionnel et son usage :

"Les costumes du peuple, surtout en Cornouaillcs (Finistère), les grands chapeaux, les gilets brodés, les larges pantalons des hommes, les coiffes et les vestes des femmes sont à la fois riches et d'une élégance sobre. Il faut les conserver avec respect comme la langue et les chansons des anciens, car ces vieilles choses,

19° Les Lectures géographiques par Ozouf (Madame R.), Professeur agrégé d'Histoire et de Géographie au Lycée de jeues Filles de Chartres) et Ozouf (R.) Directeur de l'Ecole Normale d'Instituteurs de Chartres, "ouvrage destiné à compléter tous les manuels de Géographie sur la France", (Paris, Nathan, 1936,419 pages) sont une anthologie de textes consacrés aux différentes régions (vidalicnncs). Cet ouvrage, destiné au maître, qui peut y puiser des textes de lecture ou de dictée, rassemble des extraits de romans rcgionalistes contemporains, de grandes monographies géographiques, mais aussi de publications du Touring-CIub.

Page 107: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-107-façonnées et employées par tant de générations passées, ont un charme que les choses modernes n'ont pas"199

La salle de France du Musée d'ethnographie du Trocadéro a ouvert en 1884, les

costumes de Comouailles (Finistère) tenant une bonne place dans les collections. L'usage

assigné ici aux divers objets des "traditions populaires", selon le nom donné à

l'association dirigée par Paul Sébillot depuis 1886, est proprement muséographique : il

s'agit de conserver, dans un passéisme nostalgique, des usages tenus justement pour

dépassés et défunts. Langue et chansons relèvent, comme les costumes, de ces vieilles

choses que pare la beauté du Mort. Pourtant, la langue et la littérature bretonnes font

l'objet d'un traitement préalable complexe, qui les fait balancer entre vie et mort, selon

une logique idéologique qui prend en considération des enjeux nationaux et locaux. Le

manuel consacre en effet un long paragraphe à la langue et à la littérature bretonnes, qui

fait clairement allusion aux controverses philologiques récentes :

"La plus grande gloire littéraire de la Bretagne bretonnante, c'est sa collection de légendes et de chants populaires (gwerz, sonn) ; la poésie particulière du peuple breton parfume ces légendes et ces chants. (...) On croyait ces chants très anciens, du temps de Nomenoö ; au contraire, ils sont très modernes et le peuple les rajeunit continuellement en même temps qu'il en augmente de trésor."

Et le manuel de préciser que les principaux de ces chants ont été recueillis par

Luzel. Il est clair que l'auteur prend ici le parti du philologue Luzel, qui a dénoncé comme

forgery l'épopée du Barzaz-Breiz que Theodor-Hersart de la Villemarqué soutenait être

de la plus haute antiquité bretonne200. Collecteur soucieux de l'authenticité des textes

recueillis, Luzel, au fait des théories contemporaines en matière de diffusion de la

littérature orale, a établi la facture moderne de la plupart des chants collectables et leur

renouvellement par la transmission. Contre la version aristocratique, nationaliste et

scientifiquement contestée, l'auteur du manuel prend donc parti pour les philologues

reconnus, la collecte non nationaliste, et, de ce fait, pour la perception d'une littérature

orale "in progress". Mais la suite de ses propos reprécise le statut de la langue bretonne

comme matériau scientifique et historique respectable, plus que comme pratique :

^Langlois (Ch.V.), Agrégé d'histoire, docteur es lettres, chargé de cours à la Faculté des lettres de Paris, Histoire de Bretagne, à l'usage des classes élémentaires des lycées et des collèges et des élèves qui recherchent le certificat d'études primaires, Paris, Colin, 1891,108 pages, page 107.

200pour u n e présentation de la controverse autour du Barzaz-Breiz à la fin du XIXo siècle, voir Guiomar, Les Lieux de Mémoire

Page 108: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-108-

"Aujourd'hui la langue bretonne est étudiée par les savants ; ils comparent ses dialectes, la rattachent aux autres langues celtiques et écrivent son histoire."

Un manuel normand du début du siècle201 traite encore des "moeurs et coutumes"

comme usages en voie de disparition, sur un ton mêlé de soulagement et de nostalgie.

L'auteur note d'abord que l'instruction populaire a fait d'énormes progrès, mais reste à

développer dans certains cantons. Au demeurant, le paysan tout absorbé dans son labeur

lit peu, ne se préoccupe guère de politique et fidèle à son ethnotype, ne se préoccupe

guère de la vie politique : "ses opinions sont celles qui concordent le mieux avec ses

traditions ancestrales et son intérêt particulier." Un paragraphe est consacré aux usages

linguistiques :

"On parle couramment le français dans les villes et les bourgs. A la campagne, on parle patois, et c'est en patois que délibèrent la plupart des assemblées municipales. Toutefois, lorsque le paysan se trouve en présence d'un homme qu'il suppose instruit, il emploie le français le plus pur possible.

Le patois cauchois ressemble beaucoup au dialecte normand du Moyen Âge ; la patois brayon se rapproche du dialecte picard."

Il est clair que l'auteur n'ignore pas les travaux des philologues locaux, y compris

pour la référence ennoblissante à la langue médiévale, usuelle à l'époque chez les

régionalistes pour apporter une légitimité aux patois. Comme il note la situation de

diglossie locale, où le parler s'adapte à l'interlocuteur, l'auteur relève la disparition de

spécificités locales en matière de vêtement :

"Il n'y a plus, à vrai dire, de costumes locaux. De jour en jour, la longue blouse bleue des fermiers cède le pas au veston de drap. Le dimanche, les femmes s'habillent à la mode de la ville, ou à peu près."

De la même manière, les vieilles croyances sont rapportées à un passé révolu.

"Les superstitions sont disparues ou en voie de disparaître. Les guérisseurs de gens et de bestiaux par attouchements et incantations se font extrêmement rares, et l'on ne croit guère aux histoires de revenants, de sorciers, de dames blanches et de

2ülRisson (F.), Inspecteur primaire au Havre et Lechevalier (A), . Instituteur à Cuverville en Caux, Etude géographique sur le Département de Seine-Inférieure (cours moyen- supérieur des Ecoles primaires), s.l.; s.d. (circa 1905-10 ?), p. 46-47

Page 109: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-109-loups-garous que de vieilles personnes racontent parfois à la veillée. Plus tenaces sont les pèlerinages à certaines sources miraculeuses, vénérées de nos aïeux dès avant le christianisme : ils sont l'objet de fêtes locales en dehors de l'assemblée qui est la fête patronale du village. On fête encore les Rois la nuit du 5 janvier, l'entrée et la sortie de la moisson, mais avec moins d'entrain, paraît-il qu'autrefois."

On ne peut pas dire que l'entrée dans la modernité et l'effacement consécutif des

vieilles traditions soient dénoncés comme des calamités, même si un léger regret se laisse

percevoir : "Grâce à l'instruction, grâce aux chemins de fer, citadins et paysans se mêlent

de plus en plus. Ainsi s'évanouissent les traditions qui font l'originalité champêtre."

Les manuels antérieurs à la première Guerre mondiale, loin de combattre les

anciennes coutumes et usages linguistiques vernaculaires en font état comme de vestiges,

assez respectables pour être patrimonialisés, muséographiés, classifies. L'attitude change

grandement dans l'Entre-deux-guerres, où la collecte frénétique des vieilles coutumes, en

vue de leur revitalisation, est imposée comme devoir majeur aux écoliers et aux élèves-

maîtres. Avec quelque retard sur les sociétés régionalistes, qui déploient depuis 1900 une

activité intense pour le maintien, et plus encore le renouveau des traditions, écoles

primaires et écoles normales à partir des années 1920 deviennent des hauts-lieux de

formation folkloriste. Il y avait déjà bien eu avant 1914 des initiatives locales, menées par

tel ou tel instituteur, éventuellement encouragées par la hiérarchie ; mais après la fin des

hostilités, le mouvement devient général, et systématique. Des grands concours

régionaux et nationaux de monographies sont organisés entre les élèves-maîtres, qui ne

portent plus seulement sur les sites, monuments et ressources locales : coutumes,

costumes, art populaire et littérature orale sont systématiquement au programme. Les

élèves féminines de l'Ecole Normale de Pau doivent pendant leurs vacances établir des

monographies historiques ou géographiques de leur commune, mais tout aussi bien :

"recueillir des légendes, contes, ou vieilles chansons ; plusieurs apporteront des documents intéressant pour les leçons de sociologie en recueillant les traditions qui régnent encore, d'une manière originale, dans le Béarn et le Pays Basque."202

A Bar-le-Duc, les normaliennes participent au concours national de monographies

par une étude sur "Vieilles coutumes et vieilles choses de chez nous"203, dont les items

202Rapport de l'Inspecteur d'Académie S. Joly, dans Bulletin départemental des Basses-Pyrénées, octobre 1928, p. 142-143, cité dans Jean-François Chanet, Thèse citée , p. 595.

203Cf. Chanet, Thèse citée, p. 597.

Page 110: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-110-sont repris aux folkloristes (réunions de mai, veillées, coutumes d'appariement des

couples, etc.) tandis que le normaliens du Jura envoient une monographie sur les

cheminées sarrasines.

Les manuels désormais prévoient systématiquement des chapitres sur les

coutumes et traditions, qui ne sont plus désormais perçues comme vestiges respectables

du passé, mais comme usages encore vivants, ou à faire revivre. Les rares ouvrages qui

insistent sur la disparition des vieux usages le font sur le mode de la déploration

pathétique, glissent cependant qu'après tout les traditions ne sont pas encore perdues, sur

un ton qui laisse pressentir une volonté de réintroduire ces coutumes passées, fût-ce pour

d'autres usages (le tourisme gastronomique, par exemple) :

"La dernière guerre, en même temps qu'elle ravageait une grande partie du sol de notre département, a porté un coup mortel aux vieilles coutumes de chez nous, transmises jusqu'à nos pères, depuis des siècles. (...)

Les 'mascarades', durant l'époque du Carême, visitent toujours les veilloirs de nos villages ; mais, les déguisements, eux aussi, se sont modernisés, si j'ose dire !... Les vieilles roubaches verdâtres et râpées, les précieux châles-tapis, les bonnets de grognards de l'Empire, les gibus poilus, les longues blouses bleues à broderies blanches, toutes ces défroques séculaires, témoins d'un autre âge, sont délaissées par les jeunes gens !...(...)

La charmante coutume du Trimâzo" quand revient le joli mois de mai est encore en usage dans notre Meuse. (..)

Les rustiques 'recinadesé' ou réveillons de jadis ont fait place dans maintes familles villageoises à de véritables festins où figurent des huîtres de marque et les champagnes authentiques !...

C'est le progrès, dit-on !.. Mais où êtes-vous, bonnes 'grillades' savoureuses, gros boudins onctueux et

'côtelettes' dodues que nos grands-mères faisaient doucement frire, au-dessus des rouges braises G.)?"204

En fait, on peut tout à la fois tancer la jeunesse accusée de délaisser les anciens

usages pour les plaisirs frelatés des villes, noter avec satisfaction que les vieux usages

persistent, au prix de quelques remaniements, et allécher le lecteur par l'évocation de ces

"plats de grands-mères", que la gastronomie, depuis les années 30, ne cesse de

redécouvrir...On peut trouver ce discours contradictoire, il n'en appartient pas moins au

fonds de commerce des propos ordinaires sur la tradition et le local. Nombre d'articles

parus dans des quotidiens ou hebdomadaires locaux, dans les 70 dernières décennies,

204Georges Lionnais, membre de la Société des Gens de Lettres, dans Thiéry (H.), Inspecteur d'Enseignement primaire,Le Département de la Meuse, Verdun, Librairie classique R. Marchai, 1929, 55 pages, ici p. 48-49.

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- I l l -

brodent sur ce canevas et l'on tient là certainement le plus prolifique "marronnier" de la

presse régionale. Mais ce n'est pas là le discours majoritaire des manuels de l'Entre-deux-

Guerres. Leurs auteurs, ils le manifestent par leurs références bibliographiques et leur

appareil conceptuel, ont lu et pratiqué les études folkloriques. La volonté de scientificité

monographique est évidente dans leurs propos ; par ailleurs, ils présentent les traditions

non pas dans la situation d'abandon tragique, mais sur le mode du passé encore vivant,

qu'il faut éventuellement inscrire dans l'avenir.

Les Glanes bigourdanes205, publiées en 1930 font suivre l'exposé historique d'un

chapitre curieusement intitulé "Archéologie contemporaine" qui présente en fait une série

de textes, adaptés pour les écoliers, portant sur l'architecture traditionnelle, les

instruments d'éclairage, les anciennes unités de mesure, "l'origine des noms de famille

bigourdans", "le langage des Bigourdans" et "le maïs". Cette "archéologie

contemporaine" souligne régulièrement la continuité du passé dans le présent :

"Nos montagnes pyrénéennes gardent la trace encore visible des principaux genres de luminaires, même les plus anciens, dans les villages oubliés et dans les retraites des bergers.

Voici d'abord les têdes, nous avons ensuite les cándeles et enfin les caleys."

Le texte explique ensuite, au présent de l'indicatif, le mode détaillé de fabrication

de ces différents luminaires et certains usages spécifiques, avant de conclure :

"On se sert encore de ces petites lampes, même dans quelques maisons des villes. En les regardant luire et fumer, on peut se reporter à vingt siècles en arrière ; il n'y a rien de changé."

Egalement au présent est rédigé le texte sur la culture et les usages du maïs, qui

détaille la préparation des mets locaux à base de jaune farine :

"Il y a encore le pastet de heritous. A la fin de la grosse affaire nommée, en Bigorre, el pèle-porc, après avoir fondu la graisse, on met en réserve les résidus, heritous ou gressillous, et dans le grand chaudron, on met force farine de maïs avec de l'eau. Après une heure ou deux de cuisson, on obtient un régal apprécié dans le pays et qu'on nomme aussi pastet gras.

La micque de porc est le reste du sang de boudin cuit avec la farine de maïs ; c'est un milhas noir qui rentre dans la cuisine du pèle-porc."

205Escoula (René) (instituteur à Campan), Glanes bigourdanes, lectures d'histoire locale, Toulouse-Paris, Privât-Didier, 1930, Lettre-préface (p. 8-9) de L. Filhol, , Inspecteur d'Académie des Hautes-Pyrénées. Le chapitre Archéologie contemporaine occupe les pages 181 à 219.

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- 112-

Ces textes, adaptations de publications savantes locales datant du début du siècle,

traitent en fait de la réalité familière aux enfants sur le mode impersonnel de la troisième

personne et les termes locaux sont mis en italique. En revanche, le texte portant sur "le

langage bigourdan", adapté de Simin Palay, implique dans une même communauté auteur

et lecteurs, tous locuteurs de "notre langage". L'écriture au présent, l'affirmation de la

continuité à travers les âges, le déploiement de références savantes (à la phonétique)

comme on en trouve dans les textes contigus permet en fait, en esquive de toute

polémique, de présenter "notre langue" comme plus ancienne que le français, invariante à

travers les siècles, toujours en usage, et de grande beauté. Le tout se terminant par

l'évocation des malheurs qui viendraient à survenir, si la langue venait à tomber au rang

de patois et à disparaître. Le mode verbal adopté dans ce passage est le conditionnel, qui

marque clairement que l'abandon progressif de la langue gasconne n'est pas tenu pour

réalité. Cela en 1930, et dans un manuel scolaire préfacé, élogieusement, par l'Inspecteur

d'Académie...:

"Les premiers documents écrits de notre langage ne remontent pas au delà de l'an mil, mais, déjà, tandis que le français est encore en formation, le gascon y apparaît nettement et correctement fixé. On peut dire qu'il n'a pas changé depuis au moins sept siècles et que nous nous exprimons, à peu près, comme nos lointains aïeux. Il ne faudrait pas croire, en effet, que la langue des poèmes des troubadours gascons, Cercamon et Marcabru, par exemple, soit la langue du peuple. (,..°)

Il ne faudrait pas en déduire que le Ingage courant fût pauvre et sans beauté. Les compositions de nos contemporains sont là pour démontrer le contraire. Le gascon est un dialect riche et varié ; son vocabulaire contient environ quarante mille mots, presque autant que le français (le Dictionnaire de Littré renferme quarante-deux mille termes). (...)

Envisagée du point de vue social, la langue de chez nous apparaît comme assez riche pour suffire à l'expression de la pensée, du moins dans les besoins de la vie courante. Ceux qui ont recours au français, ceux qui francisent, agissent le plus souvent par ignorance : ils ne connaissent pas bien leur langue maternelle. D'autre part, les félibres, dans leurs oeuvres, ont prouvé que celle-ci avait assez de souplesse pour constituer une langue littéraire de réelle beauté.

Il est à souhaiter que ces félibres, mainteneurs de l'esprit de la race et du meilleur langage, soient de plus en plus nombreux. C'est pour beaucoup par l'écriture, par sa littéraire qu'une langue se développe, s'enrichit... et se défend. Si, pour la conserver, on comptait seulement sur la tradition orale, il est certain qu'on ne l'empêcherait pas de se corrompre rapidement, de tomber au rang de patois et, finalement, de disparaître. Or une langue qui disparaît est une perte irrémédiable pour la pensée humaine et qui ne peut être compensée.

Simin Palay"206

Un manuel s'ouvrant par la formule canonique sur l'amour de la petite patrie

conduisant à l'amour de la grande peut donc inviter la jeunesse locale à maintenir l'usage

206Ibid., p. 189.

Page 113: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-113 -de la langue vernaculaire pour répondre à ses devoirs d'humanité, et à participer au mouvement félibréen.

L'attitude de l'école républicaine, plus précisément de ses personnels et de sa hiérachie, a été longuement analysée par Jean-François Chanet, dans une étude aussi riche que fine207. Il a bien montré que la représentation commune, forgée dans les années 1970, d'une école laïque livrant impitoyablement la guerre aux "patois" et torturant psychologiquement les petits enfants surpris à laisser échapper quelques mots de leur parler maternel ne correspondait que très partiellement à la réalité. Le traitement des langues et des patois, à l'école primaire, a été sous la Troisième République une question jugée complexe, objet de longs débats au sein de l'institution, les opinions étant diversifiées, nuancées, plus ou moins adaptées aux réalités locales. Les instituteurs, lorsqu'ils étaient confrontés à déjeunes enfants ne comprenant pas le français ont bien dû admettre, dans une phase d'adaptation, des échanges ne passant pas par la langue nationale. Des essais pédagogiques ont été faits, pour tirer parti de la connaissance d'une langue vernaculaire dans l'apprentisssage du français et il fut assez commun d'utiliser les parlers d'oc comme "latin du pauvre", le renvoi au terme occitan permettant, à l'instar de l'étymon latin, d'expliquer certaines bizarreries de l'orthographe française. Il est indubitable que la langue française a été retenue pour seule et unique langue d'enseignement dans les écoles de la République, cela ne signifie pas que tous les autres parlers en aient été totalement proscrits sous peine des pires sévices.

En tout cas, aucun manuel départemental ne se livre à une charge contre la langue ou le "patois" local. Au pire y a-t-il silence sur la question. Mais le recours à des termes locaux, généralement en italique, pour désigner telle ou telle réalité de la petite patrie, est fréquent. Enfin et surtout il apparaît que dans l'Entre-deux-guerres la langue locale fait l'objet de développements de plus en plus importants et qu'elle relève des marqueurs identitaires valorisés. Si l'exemple bigourdan, cité plus haut, est extrême en ce qu'il incite les enfants à maintenir le gascon et à entrer dans le Félibrige, il est plus usuel que les auteurs de manuel indiquent que le parler local est un élément du patrimoine trop original pour être dédaigné et sombrer dans l'oubli.

207Chanet (Jean-François), Thèse citée.

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- 114-

Le manuel sur la Haute-Savoie208 édité par le syndicat des instituteurs ouvre son

copieux chapitre "Le Folk-lore savoyard" par des considérations montrant que les auteurs

ont lu Van Gennep (explicitement cité), Varagnac et divers autres ethnographes

contemporains. L'étude du folklore, disent-ils, "est celle d'une tradition vivante, sans

cesse renouvelée et non l'étude de croyances périmées qui vont mourir." Et la première

partie du chapitre porte sur le patois savoyard. Les considérations empruntées à la

phonétique historique et les comparaisons entre les variables locales sont abondantes et

savantes. Le patois savoyard, selon l'habitude régionaliste, est rapproché du moyen-

français, par divers exemples de vocabulaire. Puis les auteurs constatent que son usage

diminue, imputant ce déclin aux familles et à la jeune génération qui refuserait l'humble

défroque de ses ancêtres. Les enseignants qui ont rédigé le manuel feignent d'ignorer que

l'école, à défaut d'avoir frontalement combattu les "patois" a en tout cas fait prendre

conscience aux écoliers des "niveaux de langue", socialement connotes, le patois étant

classé précisément au bas de cette échelle :

"Le patois perd du terrain chaque jour. Il y a une trentaine d'années, il était parlé dans touts les familles paysannes, et les enfants allant à l'école s'entretenaient entre eux en patois. Aujourd'hui les parents parlent français à leurs enfants, et beaucoup de ceux-ci ignorent complètement le patois dont ils ont même un peu honte, comme on a honte de vêtements grossiers."2^

Mais le constat final est optimiste : le dialecte savoyard restera pour sa saveur, son

fruité, son goût unique puisqu'il est -à l'instar des vins et fromages locaux- produit du

cru à nul autre pareil : "Cependant notre dialecte savoyard ne disparaîtra pas entièrement Ses mots les

plus représentatifs, imagés, pittoresques, son style direct, ses constructions grammaticales propres continueront à donner au français local une couleur bien particulière qu'on ne retrouvera pas ailleurs."

La partie suivante, qui traite des chansons savoyardes, est écrit selon le même

processus discursif : présentation de l'état passé, constat du déclin, affirmation que ce

déclin est limité (éphémère) et exemple montrant la vitalité de la chanson traditionnelle :

208Rosset(M.),Professeur d'Ecole Normale, (sous la direction de), par une équipe de professeurs et d'instituteurs, La Haute-Savoie, étude géographique, édité par le syndicat des instituteurs de Haute-Savoie, Annecy, imprimerie coopérative l'Abeille, 1935,177 pages.

209Ibid., page 133

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-115-

"II se dégage de nos chansons populaires une poésie intense et évocatrice. (..) C'est pour cela, quelle que soit la faveur de la chanson de café-concert, celle-ci

reste éphémère, tandis que les chansons populaires, séculaires déjà, se perpétueront encore dans nos vallées et nos alpages. Nous donnons ci-après une chanson de moisson, la plus connue : La Bella Louison, une chanson adaptée sur un air populaire, chantée dans beaucoup de nos écoles, et la chanson qui accompagne un jeu d'enfants encore couramment pratiqué."210

On trouve encore dans le chapitre "Folklore" des notes sur les jeux (avec

formulettes en patois) et une étude sur les noms de lieux. Mais l'information folklorique

est utilisée dans d'autres chapitres : proverbes relatifs au temps dans le chapitre "Climat",

textes de lecture sur la légende et la fabrication du reblochon, sur le nom des vaches etc.

Il semble bien, même si Jes indications explicites font défaut, que ces passages soient des

réécritures de devoirs rédigés par des élèves (élèves-maîtres de l'Ecole Normale?), avec,

pour ces pages, un double statut : donner une issue valorisante à des travaux scolaires,

fournir un modèle pour des travaux similaires, à échelle plus modeste.

Le manuel girondin contemporain211 va jusqu'à publier dans son fort long

chapitre "La Gironde des Traditions" deux textes signés : Ecole de Saint-Aubin-de-

Médoc. L'un est une description de "la barbe" qui insère dans le plus pur style de

rédaction primaire le résultat probable d'une enquête scolaire sur les usages traditionnels

en temps de vendanges :

"La'barbe' C'est le dernier jour des vendanges. Voilà le moment de se faire la 'barbe'.

Garçons et filles, petits et grands, commencent à se lancer des regards malins, car c'est à savoir qui héritera le premier. Marcel, vivement, prend une belle grappe, l'écrase dans sa main et court après Germaine, qui s'échappe à toutes jambes en criant : 'Laisse-moi ! je ne veux pas !'. Après une belle course, Marcel réussit à rattraper Germaine. Il la retient par le tablier et lui barbouille la figure de jus rouge foncé et de graines écrasées. La jolie Germaine ! Elle a beau frotter et refrotter sa figure avec son mouchoir, elle sera marquée jusqu'à ce soir. Elle veut prendre sa revanche. Elle la prend. Les grands aussi se font la barbe."212

210Ibid. p. 135.

21 ̂ o t (Armand), instituteur, co-directeur de la Renaissance Provinciale, Visages de la Gironde, Livre de lectures du Pays Girondin, Bordeaux, Editions Delmas, 1934, 523 pages, Préface d'Anatole de Monzie, Introduction de O. Auriac, Inspecteur général de l'Instruction publique, Avant-propos de S. Jolly, Inspecteur d'Académie de la Gironde, ouvrage publié au profit de l'oeuvre des Pupilles de l'Ecole publique de la Gironde

212Ibid., page 468.

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-116-L'autre porte sur la plantation de "blandons" honorifiques après un succès aux

élections. Rédigé à la première personne du singulier et mettant en scène un narrateur-

enfant, ce petit texte où fleurissent les passés simples caractéristiques du style de la

rédaction, fait alterner récit d'aventure (domestique) et description de la coutume :

"Le "blandón' Après l'élection du nouveau maire qui a eu lieu le 19 mai, le lendemain soir, je

vis arriver trois hommes derrière le parc des vaches. D'abord, j'ai cru que c'étaient des voleurs, alors, je me suis échappé. Mais, après, j'ai vu que ces hommes venaient de planter un blandón, chez moi, parce que mon père a été élu conseiller encore.

Au bout du blandón, qui était un grand pin pelé, il y avait quelques branchettes, puis bien en haut, on avait mis un drapeau. Les hommes ont creusé un trou profond devant la porte et ils ont planté le blandón.

Quelques voisins, les hommes, mon père et ma mère trinquèrent et causèrent jusqu'à deux heures du matin."213

Le manuel Aux beaux pays de Loire, publié en 1936, est ordonné selon le rythme

des saisons de l'année scolaire (automne, hiver, printemps, été) et chaque partie s'ouvre

par une rubrique intitulée "Le folklore du mois", rédigée par J. M. Rougé, co-auteur de

l'ouvrage et conservateur du Musée du Folklore de Loches. Evocation des travaux

rustiques entrecoupées de proverbes relatifs au climat et présentation des fêtes anciennes

font l'essentiel des ces pages qui recourent aux termes locaux dans un style qui n'est pas

sans évoquer les modernes almanachs des champs ou les articles "sur les traditions" de la

presse locale : "Juillet C'est le mois des moissons. La 'métive', la rude moisson d'autrefois, n'était

point une fête comparable à celle des vendanges. Toute la maisonnée peinait à la ferme.

Levés dès 'patron minette', les moissonneurs s'en allaient vers les champs après avoir mangé une bonne 'rôtie' au 'jus du bois tortu'.

Ils partaient la faux sur l'épaule, en dévalant par les sentes entre les blés semés de nielles, de 'panciaux' et, par malheur 'd'avoine buffe'.

(..) Vers cinq heures on portait aux moissonneurs 'un collation' composé généralment d'oeufs durs en salade et d'un 'miotte'.

Un grand repas terminait les moissons, on l'appelait 'le Javelo', du nom masculinisé de la dernière 'gerbée' ou 'javelle' mise au faîte de la dernière charretée ; soit 'Berlotte', ce qui, en ce terme, pouvait supposer que ce repas était joyeux et rendait un peu fou, c'est-à-dire "berlot*.

On chantait alors dans les campagnes tourangelles, il y a un demi-siècle, le vieux refrain :

'Dansons le javelo Not' métive est faite ! A la Madeleine (22 juillet)

213Ibid. p. 445.

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-117-Les noix sont pleines

A la Madeleine Bonhomme compte ton avoine."

Mais nombreux sont les autres textes de ce manuel qui portent sur les vieux métiers, les vieilles coutumes, les coiffes, les légendes et proverbes locaux. Au demeurant une section de 55 pages s'intitule "Les traditions des bords de Loire" : des descriptions de maisons rurales et des textes sur les veillées d'autrefois y encadrent un poème en patois de Marc Leclerc, "Ma vieille Ormoère", qui surplombe typographiquement une photo du Musée du Folklore de Loches (reconstitution d'un intérieur paysan).

Les manuels des années 1930 offrent en fait aux écoliers une fort abondante information folklorique et ethnographique, destinée d'une part à leur enseigner les traditions locales dignes d'être préservées ou reconstituées, au moins pour un usage festif ou touristique, d'autre part à leur indiquer les éléments qui doivent être étudiés pour la rédaction d'une monographie locale.

214J.M. Rougé, A. Dupuis, E. Millet, Aux beaux pays de Loire, Lectures, récits, contes, Livre de lecture à l'usage des écoles primaires, Tours, Arrault, 1936, p. 260.

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-118 -

Synthèses de textes et de références hétérogènes dont l'unité est d'ordre idéologique, déterminée par la conception de la Nation, les manuels scolaires locaux de la Troisième République ont eu aussi pour but, et souvent pour effet, de donner à lire pour faire écrire. Fournissant aux écoliers et à leurs maîtres des modèles d'écriture et un répertoire canonique de thèmes, ils les ont incités, bien au-delà de l'exercice de rédaction et de la monographie scolaire, à rédiger observations et réflexions sur la réalité locale. Brochures de syndicats d'initiative, articles de presse locale, études savantes à plus ou moins grande diffusion, écrits à usage familial : diverses et nombreuses ont été les productions engendrées plus ou moins directement par cet apprentissage à l'école de la consignation du local. Plus largement, l'initiation scolaire à ce type d'écrit a entretenu et légitimé la demande pour les publications qui en relèvent et qui forment une part importante, bien que peu connue, de la diffusion de textes. A ce titre, donc, les manuels scolaires locaux ont joué un rôle de transition et de vulgarisation, dont on peut encore aujourd'hui relever les effets, lors même que le souvenir de ces ouvrages s'est effacé.

En revanche, la conception de la Nation et de de la République dans laquelle s'inscrivait leurs propos n'a pas perduré. Le discours scolaire insistant sur la connaissance du milieu local se maintient quelque peu dans les débuts de la Quatrième République. A cela une raison évidente : la continuité temporaire du personnel enseignant qui insère dans la modernité pédagogique des "méthodes actives" un corpus et des procédures éprouvées. Nombre d'écoliers des années 1950 seront amenés à utiliser, à l'école primaire, des manuels locaux édités dans les années 1930, éventuellement légèrement remaniés. Jusqu'au milieu des années 1960, en fait, l'enseignement primaire français va utiliser abondamment, comme support de dictées, de lectures ou modèles de rédactions, des textes traitant du monde rustique et de la paysannerie. Mais il s'agit de plus en plus du monde rural en général, plutôt que de l'environnement régional. C'est qu'en fait la Quatrième République, et plus encore la Cinquième, délaissent le discours articulant fortement le local et le national pour ne plus garder que l'image, de plus en plus éloignée de la réalité, d'une France de fermes et de clochers villageois. Cette désarticulation du local et du national, associée à la représentation nostalgique et idéalisée d'un monde révolu, explique en parties certains aspects du régionalisme des années post-soixant'huitardes. L'opposition construite alors entre certaines régions et "la France" puise dans le récent discours anti-colonialiste les concepts de sous-développement,

Page 119: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

- 119 -exploitation, aliénation et colonialisme interne tandis qu'une jeunesse qui a encore appris à l'école primaire la beauté des vendanges, la convivialité des veillées et la pureté de la vie rustique fait revivre ou invente traditions, fêtes et danses "d'autrefois". C'est aussi l'époque où les best-sellers de librairie relèvent de l'évocation d'un univers disparu où les dialectes étaient vivants, les coutumes en usage et les costumes chatoyants. Et, par un retournement en apparence paradoxal, c'est la Troisième République, et plus particulièrement son oeuvre scolaire qui est déclarée coupable de l'éradication brutale de ce Paradis perdu. La légende noire de l'école républicaine qui se forge dans les années 1970 implique une amnésie niant toute la pédagogie de valorisation du local entreprise sous la Troisième République. L'évidente commodité qu'il y a à imputer à un régime défunt la responsabilité des problèmes présents n'est certainement pas ici le seul motif de ce retournement. La cause en est sans doute bien plutôt à chercher dans la crise de l'identité nationale, induite par le développement d'entités politiques supra-nationales, la mondialisation croissante de l'économie et les changements sociaux. L'identité nationale n'a pas, après la Seconde guerre mondiale, fait l'objet d'un discours fort et à visée consensuelle comme celui qui a été élaboré dans les débuts de la Troisième République : par conséquent, il n'y a pas eu non plus construction du corrolaire indispensable à toute représentation de l'identité nationale, à savoir une articulation solide entre unité et diversité. Le modèle idéologique mis en place sous la Troisième République, dont on a bien vu le caractère passéiste, n'était assurément plus opératoire sous la Cinquième : parfaitement inapte à rendre compte de la modernité industrielle, il pouvait encore moins être utilisé dans un monde bouleversé par l'urbanisation, les échanges mondiaux et la réalité post-industrielle. Le problème est surtout qu'il n'a pas été remplacé par un autre discours cohérent, peut-être également "en retard" sur la réalité économique et sociale, mais en tout cas permettant de valoriser les différents environnements dans lesquels évolue l'individu. Il était sans doute plus aisé de nier le travail idéologique entrepris sous la Troisième République que de l'analyser pour en dégager les faiblesses et les apports. Et pourtant, comment ne pas admettre qu'un des problèmes majeurs actuels réside dans le déficit d'articulation des rapports entre les parties et le tout de la nation, dans l'absence d'un discours intégrant la diversité dans l'unité, que ne viennent pas combler les références allogènes au "multi-culturalisme", faute d'opérer le dépassement du dissemblable dans l'identification commune ?

Il est vrai que sous le double effet de la loi de 1982 accroissant sensiblement le pouvoir des régions et de la construction progressive de l'Union européenne apparaît l'invocation à "l'Europe des Régions". Il s'y exprime sans doute la volonté de dépasser la carence d'identité nationale par l'expression d'un rapport direct entre local et supra-

Page 120: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-120-national. Mais le problème est là encore l'absence de discours unitaire fort sur l'Europe au sein duquel puissent être exprimées les diversités locales. "L'Europe des Régions", qui renvoit surtout à des affinités électives, plus précisément à des alliances économiques, entre quelques régions ne semble pas encore intégrer l'ensemble du territoire de l'Union européenne dans une représentation commune.

Page 121: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-121-

Manuels consultés

Arbos (Ph.) et Gachón (L.), Nouvelle géographie du Puy-de-Dôme, Clermont-Ferrand, Librairie générale Gaston Delaunay, s.d., 61 pages.

Audrin (E.), Moreau (Ch.), Timbal (L.), Cahier complémentaire de Géographie et d'Histoire, Ma commune, série B : Berry, Poitou, Angoumois, Périgord, Quercy, Edition rurale, Paris-Limoges-Nancy, Lavauzelle, 1941, 200 pages, Collection "Enfants de France".

Baradel (A), . Inspecteur primaire à Caen, et Fallourd (P.), Professeur à l'Ecole Normale d'instituteurs à Rouen, Petite Histoire de la Normandie, nouveau cours d'enseignement primaire, enseignement primaire supérieur, cours supérieur et cours moyen des Ecoles primaires élémentaires Paris, Juven, 1909, 92 pages.Préface de l'Inspecteur d'Académie de la Seine-Inférieure.

Besnier (Ch.), Inspecteur de l'enseignement primaire, Anne (Eugène), Inspecteur de l'Enseignement primaire,, La géographie par l'observation, le département de Seine-Inférieure, ouvrage à l'usage des classes primaires des cours complémentaires et spécialement des candidats au CEP., préface de E. Meyer, Inspecteur d'Académie, Paris, Librairie Delalain, s.d. 16 pages.

Blanchard (R.), Professeur à la Faculté des Lettres de Grenoble, et Saint-Léger (A. de), Professeur à la Faculté des Lettres de Lille, Le Département du Nord, à l'usage des élèves des cours moyens et classes de fin d'études, géographie et histoire, Paris, Editions Bourrelier et Cie, 1948,22 pages.

Blanchard (Raoul), Professeur de Géographie à la Faculté de Grenoble, et Faucher (Daniel), Professeur de Géographie à la Faculté de Toulouse, Cahier de géographie locale, classe de fin d'études, Gedalge, 1948,44 pages.

Boibessot (Henry), Professeur à l'Ecole primaire supérieure de Besançon, Anthologie classique d'écrivains comtois, Besançon, Editions de Franche-Comté et Monts-Jura, 1924,126 pages, préface de F. Launay, inspecteur d'Académie du Doubs.

Page 122: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-122-Boisseau (G.), Instituteur honoraire, Histoire du Département de l'Yonne, Lectures sur les faits essentiels des diverses époques depuis les temps anciens jusqu'à nos jours, Auxerre, Librairie Jeannot et Forin, 1935,195 pages.

Bouchot (Leopold), Directeur d'école à Nancy, Associé-correspondant de l'Académie de Stanislas, Leçons et récits sur l'Histoire de la Lorraine, Nancy, Berger-Levrault, 1930, 175 pages, 35° mille.

Camus-Dautigny (L. et Ch.), Instituteurs de l'Aisne, avec la collaboration de Henin (M.), Professeur au Lycée de Saint-Quentin et Pieuchard (M.) Inspecteur de l'Enseignement primaire à Saint-Quentin, Gens et choses d'autrefois, L'Aisne, Documents d'Histoire locale pour servir à l'illustration de l'Histoire de France, fascicule vendu au profit de la Caisse des Pupilles de l'Ecole, Laon, Inspection Académique, Imprimerie générale du Guetteur de l'Aisne, s.d., circa 1930, 65 pages.

Caumont, Lectures courantes des écoliers français, Notre Département, le Cher, Paris, Delagrave, s.d. (1880-1890 ?), 350 pages. * Il s'agit d'une série nationale de manuels de lectures, avec éditions spéciales par département, un chapitre central étant consacré au département considéré.

Civrays (Abbé Th), doyen de la faculté des Lettres d'Angers, Simples leçons sur

l'Histoire de l'Anjou et la Géographie du Département de Maine-et-Loire, Angers, Librairie des Editions de l'Ouest, nihil obstat et imprimatur, 1922,91 pages.

Civrays (chanoine Th), Histoire et géographie de l'Anjou, Angers, Siraudeau, 10° édition 1958, 104 pages

Coisy (C). Inspecteur de l'enseignement primaire, Lapique (J.), Instituteur, Le

département de l'Eure, Notre canton, Notre commune, Notions de géographie et d'histoire locales à l'usage des écoles primaires, préface de Cockenpot Ch., Inspecteur d'Académie, Elbeuf, Editions et impression Paul Duval, .s. d. (post 1918), 48 pages.

Cressot (J.) et Troux (A.), Inspecteur généraux de l'Instruction Publique, La Géographie et l'Histoire locales, guide pour l'étude du milieu, Bourrelier, copyright 1946, 2° tirage, 1947,170 pages.

Crozals (J. de), Professeur d'Histoire à la Faculté des Lettres de Grenoble, La France,

Anthologie géographique, Paris, Delagrave, 4° édition , s.d. (après 1870), 427 pages.

Page 123: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-123-Dubois (Marius), Gaffarel (Paul), Samat (J.B.), Histoire de Marseille, Edition de la Ville de Marseille pour les élèves de ses écoles, Marseille, Imprimerie municipale, 1928, 222 pages.

Eisenmenger (G.), Agrégé de l'Université, Docteur ès-sciences, Professeur de Sciences naturelles au lycée de Digne et Cauvin (G), Lauréat de l'Institut, Président du Syndicat d'initiative de Digne, Professeur de géographie au lycée de Digne, La Haute-Provence, étude de Géographie régionale, Digne, chez les auteurs et les principaux libraires, AIx-les-Bains, imprimerie, P. Jacques,, 1914, 250 pages.

Escoula (René) (instituteur à Campan), Glanes bigourdanes, lectures d'histoire locale, Toulouse-Paris, Privât-Didier, 1930, Lettre-préface (p. 8-9) de L. Filhol, , Inspecteur d'Académie des Hautes-Pyrénées.

Evrard (L.), Inspecteur de l'Enseignement primaire, Seine Inférieure, dans la série, Géographies départementales et coloniales de la France, Etude physique, historique, administrative, commerciale, industrielle et agricole de chaque département ou colonie avec cartes, Paris, Lesot, 1934.

Fabre (G), Ancien Directeur de l'Ecole Normale d'Instituteurs de la Haute-Loire, vice-président de la Socité des Etudes Locales, La Haute-Loire, précis d'histoire et bibliographie historique, Le Puy-en-Velay, imprimerie "La Haute- Loire", 1925, "Publications de la Société des Etudes Locales, Section de la Haute-Loire, 75 pages.

Génermont(Marcel), Bourbonnais, mon beau pays, recueil de lectures et de dictées (auteurs bourbonnais et thèmes bourbonnais, à l'usage des élèves des cours moyens et supérieurs, cours préparatoires et Io et 2° années (écoles primaires supérieures) et clases de 7°, 6°, 5° et 4° des lycées et collèges, Moulin, Les Imprimeries réunies, 1941, 134 pages.

Got (Armand), instituteur, co-directeur de la Renaissance Provinciale, Visages de la Gironde, Livre de lectures du Pays Girondin, Bordeaux, Editions Delmas, 1934, 523 pages, Préface d'Anatole de Monzie, Introduction de O. Auriac, Inspecteur général de l'Instruction publique, Avant-propos de S. Jolly, Inspecteur d'Académie de la Gironde, ouvrage publié au profit de l'oeuvre des Pupilles de l'Ecole publique de la Gironde.Réédition 1956, même lieu, même éditeur, 335 pages, préface de Paul Mareille, Inspecteur d'Académie de la Gironde.

Page 124: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-124-Hay (Julien), Histoire de France comprenant des notions d'Histoire de la Mayenne,

ouvrage rédigé conformément au programme des Ecoles primaires du département de la Mayenne, cours moyen , année du certificat d'études primaires, contenant 15 cartes, 90 gravures donnant 200 sujets différents et 250 lectures historiques empruntées à nos grands historiens, Laval, imprimerie Barnéoud et Cie, 2° édition, huitième mille, 1907, 307 pages.

Hennigé (Fr E.), L'Alsace, géographie locale et régionale à l'usage des écoles primaires et des classes primaires des lycées et collèges avec modèle d'une monographie géographique du lieu de domicile, carte en couleurs, plans et croquis, Comar, Société alsacienne d'Edition Alsatia S.A., 1920, 69 pages.

Joly (Henry), conservateur de la bibliothèque de Lyon, Petite Histoire de Lyon et du Lyonnais conforme aux instructions ministérielles, Grenoble-Paris, Arthaud, 1944, 115 pages.

Kaeppelin (Paul), Professeur agrégé d'Histoire et de Géographie, Docteur es Lettres, Le Bassin parisien et les environs de Paris, Notice géographique sur la carte murale du même auteur avec nombreux plans et profils, Paris, Hatier, 1924,146 pages.

Langlois (Ch.V.), Agrégé d'histoire, docteur es lettres, chargé de cours à la Faculté des lettres de Paris, Histoire de Bretagne, à l'usage des classes élémentaires des lycées et des collèges et des élèves qui recherchent le certificat d'études primaires, Paris, Colin, 1891, 108 pages.

Laroquette (Albert), Professeur agrégé d'Histoire, Docteur en droit et Prigent (Emile), Agrégé de l'Université, Inspecteur d'Académie, Histoire des Landes, Mont-de-Marsan, Editions Jean Lacoste, Io édition 1933, 2° édition 1936, 275 pages ; préface de Léo Bouyssou, député des Landes,. Président du Conseil général, ouvrage honoré de spuscriptions du Conseil général des Landes, de la Chambre de commerce des Landes et des villes de Mont-de-Marsan, Dax et Saint-Sever.

Lavoille (G.), Professeur d'Ecole Normale, Notice géographique et historique illustrée du Département de la Haute-Marne, cours de géographie R. Blanchard et D. Faucher, Librairie Gedalge, Paris, 1928,40 pages.

Page 125: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-125-Levron (Jacques), Archiviste en chef du Maine et Loire, Petite Histoire de Bretagne,

Grenoble-Paris, Arthaud, 1946,145 pages.

Maréchal (P.) Inspecteur de l'Enseignement primaire, L'histoire vivante, essai de méthode active, Brie et Gâtinais, préface de A. Troux, Inspecteur général de l'Instruction publique, Bourrelier, 1947,102 pages.

Mathière (G.), Professeur d'Ecole Normale, Mathière (J.), licencié es lettres, et Madame Han, professeur au lycée d'Evreux, Géographie classique du département de l'Eure, Lille, imprimerie Camille Robbe, 1922,17 pages.

Maurice (Abbé), curé de Fresqueilles, Diocèse de Rouen, L'Histoire locale moyen d'Apostolat rural, Justification et méthode, Fécamp, Imprimeurs-éditeurs L. Durand, 1937, 70 pages, Préface de MJ. de Pesquidoux, de l'Académie française, Lettre de M. Victor Bettencourt, Conseiller général de la Seine-Inférieure, Président national de l'Union catholique de la France agricole.

Méjean (Paul), Agrégé de l'Université, Inspecteur d'Académie, Petite Géographie et Histoire du Département de la Drame, 1941, Editions de la France Nouvelle, 115 pages.

Méjean (Paul), Agrégé de l'Université, Inspecteur d'Académie, Petite Géographie et Histoire du Département des Basses-Alpas, Lyon, Les Editions de la France Nouvelle, 1941,100 pages, couverture en couleurs de R. Peynet.

Ostroga (Yvonne), Merveilles de France, 349 pages ,etc. Le copyright est de 1939; plusieurs éditions en 42 et 43.

Oursel (Charles), Conservateur honoraire de la Bibliothèque de Dijon, Petite Histoire de

Bourgogne, Grenoble-Paris, Arthaud, 1946, 140 pages.

Ozouf (Madame R.), Professeur agrégé d'Histoire et de Géographie au Lycée de jeues Filles de Chartres) et Ozouf (R.) Directeur de l'Ecole Normale d'Instituteurs de Chartres, Lectures géographiques, ouvrage destiné à compléter tous les manuels de Géographie sur la France, Paris, Nathan, 1936,419 pages.

Perchaud (J.B.), Inspecteur de l'enseignement primaire, Lectures sur l'histoire du Berry, Paris, Belin, 1905, 96 pages.

Page 126: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-126-Perrier (A.), professeur de lycée et Marion (A.), inspecteur de l'enseignement primaire, La géographie par l'Observation, le département du Cantal, Géographie et histoire à l'usage des classes de fin d'études, Delalain, Paris, s.d. 1948 ?, 18 pages.

Petite Histoire d'Alsace et de Strasbourg, à l'usage des écoles, Strasbourg, Libraires éditeurs A. Vix et Cie, s.d., après 1918, 58 pages.

Pfister (Christian), Professeur à l'Université de Paris, Lectures alsaciennes, Géographie, Histoire, Biographies, 50 lectures, 38 gravures et trois cartes, Paris, A Colin, 1916, 130 pages.

Pierrein (Louis) et Guiral (Pierre), Professeurs au Lycée Thiers, Marseille, Les Bouches du Rhône, histoire et géographie du département, Les Editions françaises nouvelles, Grenoble, Bordas frères, 1945, 236 pages.

Pilant (Paul), Docteur de l'Université de Clermont, Professeur de Géographie à l'Ecole Primaire Supérieure des Garçons de Calais, Tableau de la Géographie de la Région du Nord, à l'usage des candidats au Brevet Supérieur, Lille, Editions de la Société d'Edition du Nord, Béziat et Cie, Io édition 1933,175 pages.

Poisson (Henri, Abbé), Vicaire instituteur, Histoire de Bretagne pour les enfants,

Rennes, Imprimerie commerciale de Bretagne, 1930, 80 pages

Reynier (Elie), Professeur à l'Ecole Normale de Privas, L'Ardèche, géographie-histoire,

Paris, Bourrelier, s.d. (circa 1950), 34 pages, collection "Petites monographies départementales", sous la direction de Raoul Blanchard et Daniel Faucher.

Risson (F.), Inspecteur primaire au Havre et Lechevalier (A),. Instituteur à Cuverville en Caux, Etude géographique sur le Département de Seine-Inférieure (cours moyen-supérieur des Ecoles primaires), s.L; s.d. (circa 1905-10 ?)

Rosset(M.),Professeur d'Ecole Normale, (sous la direction de), par une équipe de professeurs et d'instituteurs, La Haute-Savoie, étude géographique, édité par le syndicat des instituteurs de Haute-Savoie, Annecy, imprimerie coopérative l'Abeille, 1935, 177 pages.

Rougé (J.-M.) Conservateur-adjoint de la Bibliothèque de Tours, conservateur du Musée du Folklore de Loches et du Musée préhistorique du Grand-Pressigny, Dupuis (A.), Inspecteur de l'Enseignement primaire, Millet (E.), instituteur, Aux beaux pays de Loire,

Page 127: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-127-Orléanais,-Blésois - Touraine - Anjou, Lectures, récits, contes, Livre de lecture à l'usage des écoles primaires (CM. et CS.), des Cours complémentaires et E.P.S., des Classes des Lycées et Collèges, à partir de la sixième, Tours, Arrault, 1936, Préface de Maurice genevoix, Dessins de Edmond Rocher, compositions de Conrad.

Rousset (J.M.), Directeur d'école publique à Villefranche-sur Saône, Nouvelle

géographie du département du Rhône et de la Région lyonnaise, Villefranche-en-Beaujolais, Les Editions du Cuvier, J. Guillermet, 1932, 150 pages.

Souche (A.), Inspecteur de l'Enseignement primaire, Notre Petite Patrie, Loudun et Chatellerault, les pays loudunais, mirebalais et chatelleraudais, Poitiers, La Vienne et le Poitou, Histoire locale illustrée, Loudun, Imprimerie-Librairie H. Robert, 1941, 100 pages.

Thiéry (H.), Inspecteur d'Enseignement primaire,Le Département de la Meuse, Verdun,

Librairie classique R. Marchai, 1929, 55 pages.

Thiéry (H.), Inspecteur de l'Enseignement primaire, Notre Lorraine, recueils de lectures choisies sur le Lorraine à l'usage des élèves des classes primaires et des classes primaires supérieures, Verdun, Librairie classique R. Marchai, 2 tomes, tome 1, Sites et paysages lorrains, 1927, 105 pages, préface d'Ernest Beauguitte, Préfet de la Manche,, tome 2, Types, moeurs et coutumes, souvenirs, 1929,140 pages, prix Erckmann-Chatrian.

Tortrat (Abel) instituteur à Bourges, avec la collaboration de Jouin (Edouard) instituteur honoraire à Bourges et Redon (André) directeur d'école à Valençay, Le Berry, étude géographique et historique de la région berrichonne, Bourges, librairie-imprimerie Auxenfans, 1927,405 pages.

Autres références

Déloye (Yves), Ecole et citoyenneté, L'individualisme républicain de Jules Ferry à Vichy : controverses, Presses de la FNSP, octobre 94, 431 p.

Giolitto (Pierre), Histoire de l'enseignement primaire au XIXo siècle, tome II : les méthodes d'enseignement, Nathan, Histoire, 1984.

Page 128: LES PETITES PATRIES ENCLOSES DANS LA GRANDE - Culture

-128-Giolitto (Pierre), Histoire de la jeunesse sous Vichy, Perrin, 1991, 699 pages.

L'Alsace, une histoire, sous la direction de Bernard Vogler, Oberlin 1990, 215 pages. Manuel à usage des élèves (mais 180FF). Discours et esprit proche manuels régionaux.

Simon (François), Chansons populaires de l'Anjou, Angers, André Bruel, 1926, préface de Maurice Bouchor. N'est pas à proprement parler un manuel scolaire mais un recueil colligé par un instituteur qui a commencé ses recherches à l'Ecole Normale en 1896 sur ordre du directeur

Taboury (M.-F.), Directeur de l'Ecole primaire supérieure de Bellac pourvu du certificat d'aptitude aux fonctions d'inspecteur primaire, Géographie du département de la Haute-Vienne, Limoges, Imprimerie-librairie Vo H. Ducourtieux, 1886, 153 pages. * n'est pas un manuel scolaire, mais en est un prototype.

Waechter (Laurent), Inspecteur primaire à Strasbourg, et Bouchot (Leopold), Directeur d'école d'application à Nancy, L'Histoire de l'Alsace en 21 leçons, préface de Christian Pfister, Doyen de la Faculté des Lettres de l'Université de Strasbourg, Nancy-Paris-Strabourg, Berger-Levrault, Libraires éditeurs, 1924, 67 pages.