6
© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. *Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] Revue française d’allergologie 53 (2013) S33-S38 1. Introduction Alors que 50 % des enfants ont des sifflements respira- toires pendant leur première année de vie, seuls 20 % conti- nuent à siffler pendant le reste de leur enfance et évolueront vers un asthme [1]. Toutefois, les facteurs de persistance du wheezing chez l’enfant et, plus tard, chez l’adolescent et même chez l’adulte, restent mal identifiés malgré de nombreuses études. Cette identification précoce serait pourtant très utile, en particulier pour optimiser le traitement et le suivi des jeunes patients. Á la lumière des études de la littérature, Cowan et Guilbert [2] ont récemment analysé l’impact des facteurs de risque d’apparition et de persistance de l’asthme, leurs mécanismes potentiels, et proposent de nouvelles pistes. Une identification des phénotypes de Les phénotypes de l’asthme de l’enfant Phenotypes of asthma in children G. Dutau a , F. Lavaud b a 9, rue Maurice-Alet, 31400 Toulouse, France b Service des maladies respiratoires et allergiques, CHU de Reims, 51092 Reims cedex, France Résumé Si un enfant sur deux présente des sifflements thoraciques pendant la petite enfance, 20 % d’entre eux (ou moins) continueront à siffler plus tard, après l’âge de 6 ans. Plusieurs études ont essayé de préciser les caractéristiques cliniques de ces différents types d’évolution – les phénotypes – pour optimiser le plus tôt possible le traitement et le suivi des patients. De nouveaux phénotypes ont été mis en évidence, principalement celui de l’asthme sévère, pouvant correspondre à des situations variables (asthme allergique, asthme avec exacerbations viro-induites, asthme léger avec fluctuations soudaines et intenses du débit expiratoire). Une identification des phénotypes de l’asthme du nourrisson et du jeune enfant est-elle possible ? Si oui, quels sont les intérêts et les limites de leur identification en pratique quotidienne ? © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots-clés : Asthme ; Pédiatrie ; Phénotypes ; Épidémiologie ; Sifflements thoraciques. Abstract If one out of two children experience chest wheezing during their earliest years, at least 20% of them will continue to wheeze later, after 6 years of age. Several studies have tried to define the clinical characteristics of the different types of evolu- tion – the phenotypes – in order to optimize as early as possible the treatment and management of these patients. Several new phenotypes have been described, mainly in those children with severe asthma, which turn out to correspond to several different situations: allergic asthma, asthma with virus-induced exacerbations, and mild asthma with a sudden severe expiratory deficit. Is it possible to recognize any one of these asthma phenotypes in babies and young infants? If yes, then what are the benefits and limits of their identification in daily practice? Key words: Asthma; Children; Wheezing; Phenotypes; Epidemiology. l’asthme du nourrisson et du jeune enfant est-elle possible ? Si elle est possible, quels sont les intérêts et les limites de leur identification en pratique quotidienne ? 2. Phénotypes de l’asthme 2.1. Principales études En 1995, la célèbre étude de Tucson, Arizona, basée sur le suivi longitudinal de 1 246 nouveau-nés avait permis d’identifier 4 phénotypes d’enfants présentant un wheezing 1  (tableau 1) : i) non siffleurs (51 %), ii) siffleurs précoces transitoires (20 %), iii) siffleurs persistants (14 %), iv) siffleurs à début tardif (15 %). Les auteurs 1 Terme anglais intraduisible dans de nombreuses autres langues mais assimilable à « sifflement thoracique ».

Les phénotypes de l’asthme de l’enfant

  • Upload
    f

  • View
    226

  • Download
    1

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Les phénotypes de l’asthme de l’enfant

© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

*Auteur correspondant. Adresse e- mail : [email protected]

Revue française d’allergologie 53 (2013) S33-S38

1. Introduction

Alors que 50 % des enfants ont des sifflements respira-toires pendant leur première année de vie, seuls 20 % conti-nuent à siffler pendant le reste de leur enfance et évolueront vers un asthme  [1]. Toutefois, les facteurs de persistance du wheezing chez l’enfant et, plus tard, chez l’adolescent et même chez l’adulte, restent mal identifiés malgré de nombreuses études. Cette identification précoce serait pourtant très utile, en particulier pour optimiser le traitement et le suivi des jeunes patients. Á la lumière des études de la littérature, Cowan et Guilbert [2] ont récemment analysé l’impact des facteurs de risque d’apparition et de persistance de l’asthme, leurs mécanismes potentiels, et proposent de nouvelles pistes. Une identification des phénotypes de

Les phénotypes de l’asthme de l’enfant

Phenotypes of asthma in children

G. Dutaua, F. Lavaudb

a9, rue Maurice-Alet, 31400 Toulouse, France bService des maladies respiratoires et allergiques, CHU de Reims, 51092 Reims cedex, France

Résumé

Si un enfant sur deux présente des sifflements thoraciques pendant la petite enfance, 20 % d’entre eux (ou moins) continueront à siffler plus tard, après l’âge de 6 ans. Plusieurs études ont essayé de préciser les caractéristiques cliniques de ces différents types d’évolution – les phénotypes – pour optimiser le plus tôt possible le traitement et le suivi des patients. De nouveaux phénotypes ont été mis en évidence, principalement celui de l’asthme sévère, pouvant correspondre à des situations variables (asthme allergique, asthme avec exacerbations viro-induites, asthme léger avec fluctuations soudaines et intenses du débit expiratoire). Une identification des phénotypes de l’asthme du nourrisson et du jeune enfant est-elle possible ? Si oui, quels sont les intérêts et les limites de leur identification en pratique quotidienne ?© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.Mots-clés : Asthme ; Pédiatrie ; Phénotypes ; Épidémiologie ; Sifflements thoraciques.

Abstract

If one out of two children experience chest wheezing during their earliest years, at least 20% of them will continue to wheeze later, after 6 years of age. Several studies have tried to define the clinical characteristics of the different types of evolu-tion – the phenotypes – in order to optimize as early as possible the treatment and management of these patients. Several new phenotypes have been described, mainly in those children with severe asthma, which turn out to correspond to several different situations: allergic asthma, asthma with virus-induced exacerbations, and mild asthma with a sudden severe expiratory deficit. Is it possible to recognize any one of these asthma phenotypes in babies and young infants? If yes, then what are the benefits and limits of their identification in daily practice?Key words: Asthma; Children; Wheezing; Phenotypes; Epidemiology.

l’asthme du nourrisson et du jeune enfant est-elle possible ? Si elle est possible, quels sont les intérêts et les limites de leur identification en pratique quotidienne ?

2. Phénotypes de l’asthme

2.1. Principales études

En 1995, la célèbre étude de Tucson, Arizona, basée sur le suivi longitudinal de 1 246 nouveau-nés avait permis d’identifier 4 phénotypes d’enfants présentant un wheezing1 (tableau 1) : i) non siffleurs (51 %), ii) siffleurs précoces transitoires (20  %), iii) siffleurs persistants (14  %), iv) siffleurs à début tardif (15  %). Les auteurs

1 Terme anglais intraduisible dans de nombreuses autres langues mais assimilable à « sifflement thoracique ».

Page 2: Les phénotypes de l’asthme de l’enfant

S34 G. Dutau et al. / Revue française d’allergologie 53 (2013) S33-S38

avaient montré que les deux principaux facteurs de risque de persistance du wheezing étaient l’existence d’une atopie (symptômes allergiques IgE-dépendants) et le début tardif du wheezing [1].

L’étude italienne SIDRIA (Italian studies on respiratory disorders in childhood and the Environment), basée sur des questionnaires adressés aux familles de 16 333 enfants d’âge scolaire (6-7  ans) donnait la répartition suivante  : i) non siffleurs (83 %), ii) siffleurs précoces transitoires (7 %), iii) siffleurs persistants (4 %), iv) siffleurs à début tardif (6 %). Si le nombre des non siffleurs était plus important que dans l’étude de Tucson, les facteurs de risque de persistance de l’asthme étaient identiques [3].

L’étude prospective AVON longitudinal study of parents and children (ALSPAC) était basée sur la déclarations des mères sur les sifflements respiratoires de leurs enfants (au nombre de 6 265) de la naissance jusqu’à 6 mois, puis de 30 mois jusqu’à 42 mois  [4]. Ainsi 70  % des enfants qui sifflaient entre 0 et 6 mois ne sifflaient plus 3 ans plus tard. Fait important, cette étude ajoutait deux nouveaux phéno-types à ceux des études précédentes avec 6 catégories  : i) nourrissons n’ayant jamais eu de wheezing ou rarement (59 %), ii) nourrissons ayant présenté un wheezing précoce mais transitoire (16 %), iii) wheezing précoce et persistant (9 %), iv) wheezing à début intermédiaire, commun de 6 à 18 mois, diminuant de fréquence ensuite (3 %), v) wheezing à début tardif (2 %), vi) wheezing persistant (4 %) [4].

Dans tous les groupes, les facteurs de risque de persis-tance de l’asthme étaient les antécédents familiaux d’asthme (en particulier maternel) et les antécédents personnels d’ato-pie (eczéma, allergie alimentaire). Le wheezing transitoire était associé au tabagisme maternel pendant la grossesse et à la présence de frères et/ou sœurs plus âgés. Le wheezing persistant était associé à la prématurité et à des conditions socio-économiques défavorables [4].

Comme l’étude ALSPAC  [4], une étude longitudinale néerlandaise portant sur 2 810 enfants – l’étude PIAMA (Pre-

vention and incidence of asthma and mite allergy) – a égale-ment identifié 6 phénotypes [5]. C’est dans cette étude que le pourcentage de nourrissons n’ayant jamais sifflé (75 %) est le plus élevé. Par ailleurs, les pourcentages de siffleurs précoces transitoires (17 %), tardifs (2 %) et persistants (7 %) sont à des niveaux inférieurs à ceux de l’étude de Tucson.

2.2. Difficulté et utilité de la détermination des phénotypes

L’analyse des études précédentes montre que leurs résul-tats sont disparates. Cela tient surtout aux différences entre les protocoles, à la nature des études (transversales ou longi-tudinales), aux populations analysées. La détermination des profils cliniques phénotypiques n’est possible qu’au terme d’un suivi de 4 à 6 ans, chez des enfants qui pour la plupart ont reçu des traitements. Il est donc difficile, a priori, d’uti-liser ces phénotypes pour la prédiction, la prévention et le traitement des nourrissons asthmatiques puisque le praticien ne connaît le plus souvent le phénotype de son patient que tardivement, à l’issue de quelques années. 

Chez les enfants d’âge préscolaire, deux autres « formes cliniques  » –  que l’on peut appeler «  phénotypes  »  – ont été ajoutées par Brandt et coll. [6] à la liste déjà indiquée: i) le wheezing épisodique induit par les virus ; ii) le whee-zing induit par des facteurs multiples (infections virales, allergènes, tabagisme passif) avec réduction de la fonction respiratoire. Elles étaient depuis longtemps bien connues par les pédiatres-pneumologues [7-10].• En 2003, Thumerelle et coll. [7] avaient détecté par PCR (polymerase chain reaction) des sécrétions naso-phrayngées des virus dans 38 % (31/82) des cas chez les enfants asthma-tiques contre 3,7 % (1/27) chez les témoins. Les virus iden-tifiés étaient les enterovirus (15,8 %), les rhinovirus (12 %) et le virus respiratoire syncytial (7,3 %). De plus, 10 % des asthmatiques étaient positifs pour Chlamydia pneumoniae (5 %) et Mycoplasma pneumoniae (5 %).

Tableau 1

Les 4 types de wheezing dans l’étude de Tucson [1].

Wheezing Disparition %

Phénotypes vers 6 ans

Non siffleurs Aucun 51

Siffleurs précoces transitoires* <3 ans oui 20

Siffleurs persistants ** <3 ans non 14

Siffleurs à début tardif *** 3-6 ans non 5

* Le wheezing précoce transitoire commence pendant la première année, disparaît à l’âge préscolaire, est associé à une diminution de la fonction respiratoire (petites voies aériennes), à un tabagisme maternel, à la présence de frères et sœurs, au placement en crèche.** Le wheezing persistant non atopique, non associé à des symptômes d’atopie (allergie) commence chez le nourrisson (< 24 mois) et disparaît pendant l’enfance.*** Si la fréquence de ce type de wheezing augmente avec l’âge, il peut cependant commencer très tôt dans la vie. Il est associé à des antécédents personnels ou familiaux d’allergie, à une réduction de la fonction respiratoire et à une hyper réactivité bronchique (HRB). C’est dans ces groupes (wheezing IgE-dépendant à début précoce et wheezing IgE-dépendant à début tardif) que se recrutent les asthmes persistant pendant l’enfance et l’âge adulte.

Page 3: Les phénotypes de l’asthme de l’enfant

S35G. Dutau et al. / Revue française d’allergologie 53 (2013) S33-S38

• En 2005, Johnston et coll.  [10] ont comparé 57  enfants âgés de 5 à 15  ans admis aux urgences entre le 10 et le 30  septembre 2001 (groupe I) et 157  enfants témoins volontaires, appariés, atteints d’asthme de sévérité identique (groupe  II). Les picornavirus (rhinovirus et entérovirus) furent plus souvent détectés par PCR chez les enfants atteints d’asthme aigu grave que chez les témoins (52 % vs. 29 % : p = 0,002). Par ailleurs, des virus de type quelconque furent plus souvent isolés chez les premiers (62 %) que chez les seconds (41 %) (p = 0,011) [10]. Fait important, les enfants du groupe I recevaient 2 fois moins souvent des corticoïdes inhalés que les témoins (49 % vs. 85 % : p < 0,0001) ainsi que des antagonistes des récepteurs des leucotriènes (9 % vs. 21 % : p = 0,04) [10].

Si elles sont connues dans la plupart des pays (Canada, États-Unis, Royaume-Uni, Finlande, Australie, etc.) les épi-démies d’asthme de septembre le sont beaucoup moins en France [11]. Les données françaises de l’INVS (Institut de veille sanitaire) effectuées à partir du PMSI (Programme de médicalisation des systèmes d’information) montrent aussi, de façon statistique, l’existence de ces épidémies à la ren-trée [12]. Ce syndrome doit inciter à poursuivre le traitement de fond par les corticoïdes inhalés pendant les vacances, et à réévaluer ses modalités avant la rentrée scolaire

En France, Just et al.  [13], insistant sur la variété des phénotypes de l’asthme, indiquent que l’asthme sévère est souvent allergique. Les virus à tropisme respiratoire (rhino-virus surtout) sont les plus souvent impliqués au cours des exacerbations de l’asthme [14]. Le risque d’hospitalisation est maximal lorsque l’exposition aux allergènes et aux virus sont associées (OR 19,5 [IC95 % : 3,7–101,5]) [15], ce qui est particulièrement le cas à la rentrée des classes [11].

Toutefois, à l’évidence, il existe des chevauchements entre les différents phénotypes qui ne sont pas immuables dans le temps.• Calhoun et coll.  [16] ont montré que le même médecin pouvait évaluer de façon différente le même patient à des moments successifs de l’évolution de son asthme. En d’autres termes, la variabilité des symptômes peut modifier l’identification des phénotypes et le classement du patient dans les stades de gravité proposé par le GINA (Global ini-tiative for asthma) [17]. Dans cette étude, 85 patients atteints d’asthme persistant modéré ou sévère au moment de leur inclusion ont été suivis pendant 12 semaines. Malgré cette cotation initiale, ils ont passé globalement 23 % du temps avec un asthme intermittent ou persistant léger pendant les 12 semaines de leur suivi. En appliquant des critères indi-viduels, le pourcentage du temps passé avec un d’asthme persistant modéré ou persistant sévère fut de 52 % d’après la valeur du DEP matinal, de 59 % d’après l’utilisation de bêta2-stimulants de courte durée d’action et de 45 % d’après les symptômes d’asthme.• Chips et coll.  [18] ont étudié pendant 12 semaines 276 enfants de 4 à 11 ans atteints d’asthme modéré à sévère au moment de leur inclusion. Seulement 55 % d’entre eux

passèrent le temps du suivi avec des symptômes d’asthme modéré à sévère. Le reste du temps fut passé avec des symptômes soit moins soit plus importants. Comme dans l’étude précédente  [16], la sévérité de l’asthme ne pouvait être appréciée par l’évaluation ponctuelle des symptômes cliniques, l’utilisation de bêta2-stimulants ou les mesures de la fonction respiratoire.

L’asthme est donc une affection variable dans le temps. Méconnaître cette notion entraîne une sous-estimation de sa sévérité avec, comme conséquence, un traitement de fond insuffisant. Mais il existe aussi un risque inverse, la suresti-mation de la sévérité de l’asthme. Il est donc indispensable de classer les patients par niveau de contrôle [17].

3. Conséquences pour la pratique clinique

Dans la pratique clinique, il est important de reconnaître le phénotype d’asthme sévère, les facteurs de risque d’appa-rition de l’asthme, et les facteurs de risque de sa persistance.

3.1. Asthme sévère

Par rapport aux autres phénotypes d’asthme (asthme léger à modéré), cette variété d’asthme, plus fréquente chez le gar-çon que chez la fille2, se singularise par : i) des exacerbations fréquentes, ii) une ou des allergies IgE-dépendantes, iii) un syndrome obstructif plus important, iv) une augmentation du NO exhalé (NOe) en dépit d’un traitement par les corti-coïdes inhalés à doses fortes (> 400 μg/jour de dipropionate de béclométhasone ou équivalents)3 [19-22].

Les enfants atteints d’asthmes sévères (ou susceptibles d’en développer un) peuvent être repérés très tôt, avant l’âge de 2 ans, car ils ont souvent présenté (ou présentent encore) une dermatite atopique, ont des prick tests cutanés d’allergie et/ou des dosages d’IgE spécifiques (IgEs) positifs.

La précocité du début et l’existence d’une polysensibili-sation vis-à-vis des allergènes usuels n’est pas rare : 10 % d’une cohorte de 1  850 nourrissons avaient une rhinite allergique dans un contexte non viral [23]. Les facteurs de

2 C’est l’inverse chez l’adulte où l’asthme sévère est plus fréquent chez la femme que chez l’homme.

3 Selon plusieurs recommandations, l’asthme « difficile » est défini par un critère majeur et au moins 2 critères mineurs [19,20].

Le critère majeur est la nécessité de prendre, soit des doses élevées de corticostéroïdes inhalés équivalent à 1 200 mg de budésonide ou à 880 μg de propionate de fluticasone, soit une corticothérapie par voie générale.

Les critères mineurs sont : I) nécessité d’un traitement par un β2-stimu-lant de longue durée d’action, théophylline ou antileucotriènes, II) consom-mation presque quotidienne de β2-stimulant de courte durée d’action, III) obstruction bronchique permanente (VEMS < 80 % de la valeur théorique), IV) variations du débit expiratoire de pointe (DEP) > 20 %. La valeur li-mite du VEMS, d’abord fixée à 75 % [3], a été ramenée à 80 % chez l’en-fant [21].

Page 4: Les phénotypes de l’asthme de l’enfant

S36 G. Dutau et al. / Revue française d’allergologie 53 (2013) S33-S38

risque sont l’atopie biparentale (p = 0,036), une éosinophilie sanguine supérieure à 470 éléments/mm3 (p = 0,046), une sensibilisation aux pneumallergènes (p = 0,042), mais pas aux aliments [23].

La variabilité des symptômes d’asthme nuit à une bonne identification des phénotypes  : un asthme modéré peut cacher un asthme sévère. Ayres et coll. [24] ont décrit l’asthme instable sous le nom de brittle asthma, une forme d’asthme sévère où les patients présentent de grandes varia-tions du débit expiratoire de pointe (DEP) en dépit de fortes doses de corticoïdes inhalés. Il en existe deux types selon la soudaineté d’apparition des symptômes : • le type 1 où les variations du DEP (> 40 %) surviennent sur une longue durée (150 jours) pendant plus de la moitié du temps (> 75 jours) malgré 1500 μg de béclométhasone ou équivalent ;• le type 2 (crises d’asthme soudaines, en moins de 3 heures, sans facteur déclenchant évident) survient chez des patients dont l’asthme était jusque-là bien contrôlé avec une EFR normale ou subnormale [24].

C’est à ce second type de brittle asthma que correspond le phénotype décrit (repris) en 2008 par Caroll et coll. [25] où les enfants ont les caractéristiques de l’asthme léger, excep-tion faite d’épisodes d’asthme aigu grave pouvant nécessiter une intubation. Dans cette étude portant sur 298  enfants admis dans une unité de soins intensifs 164 (55 %) avaient été classés comme porteurs d’un asthme léger et 13 d’entre eux furent intubés (soit 18 des asthmes légers).

3.2. Facteurs de risque de développement et/ou de persistance de l’asthme

3.2.1. Symptômes allergiques

Identifiables par un interrogatoire simple, les symptômes familiaux d’atopie au sein de la famille nucléaire (père, mère, frères et sœurs) permettent de quantifier le risque allergique  : i) antécédents d’allergie vraie dans la famille, ii) antécédents d’allergie vraie chez l’enfant (eczéma, rhinite, allergie alimentaire) ; iii) sensibilisations et allergies multiples (en particulier aux blattes et/ou aux moisissures comme Alternaria, iv) éosinophilie sanguine supérieure à 4 %. Ces notions sont connues depuis longtemps [26].

3.2.2. Altérations de la fonction respiratoire

La présence d’un syndrome obstructif et/ou d’une hyper-réactivité bronchique (HRB) est associée à l’asthme sévère, mais,  chez le nourrisson et les jeunes enfants les preuves de ces altérations de la fonction respiratoire sont difficiles sinon impossibles à objectiver dans la pratique courante. Une toux d’effort par temps froid traduit souvent une HRB.

En pratique, l’avis d’un pneumologue pédiatre devrait être pris pour tout enfant suspect d’asthme sévère qui pourra affiner la prédiction en combinant l’étude de l’anamnèse, une clinique objective, une exploration allergologique, et une mesure du NOe.

3.2.3. Infections virales et colonisations bactériennes

Il est difficile de savoir si, chez le nourrisson et l’enfant d’âge préscolaire, les infections virales (surtout à rhinovirus) peuvent provoquer l’asthme ou si les enfants qui sifflent sont ceux qui développeront plus tard un asthme. Les colonisa-tions bactériennes de l’hypopharynx du nouveau-né (Strep-tococcus pneumonia ± Haemophilus influenza ± Moraxella catarrhalis) seraient corrélées à un risque d’asthme accru à l’âge de 5 ans [27].

3.2.4. Autres perspectives

Pour affiner encore l’identification des phénotypes, de nombreux auteurs n’hésitent pas à proposer le dosage de divers marqueurs de l’inflammation, la recherche de mar-queurs génétiques, l’imagerie pulmonaire, la recherche de déficits nutritionnels (vitamine D) [28]… Il n’est pas certain qu’une inflation de mesures permette d’optimiser l’identi-fication des phénotypes de l’asthme des nourrissons et des enfants d’âge préscolaire dans la pratique quotidienne.

4. Conséquences pratiques

Chez les nourrissons et les jeunes enfants siffleurs, les médecins (et les parents) veulent savoir si leur enfant est atteint d’asthme et, dans l’affirmative, si cet asthme va persis-ter. Plusieurs études décrivent 4 à 6 « phénotypes » (et même davantage) parmi lesquels les plus faciles à identifier sont « les siffleurs précoces mais transitoires » et les « siffleurs persistants » dont les sifflements peuvent être précoces ou tardifs. Mais, comme plusieurs études le soulignent, il existe de nombreux recoupements et des formes de transition.

Finalement, les facteurs de risque à la fois de survenue de l’asthme et de persistance de l’asthme sont l’existence d’une allergie. Pour la détecter il faut interroger la famille à la recherche d’antécédents atopiques (personnels et familiaux). Il est également possible de calculer des index prédictifs. Il faut surtout ne pas perdre de temps et demander dès que possible une exploration allergologique simple en se souvenant que : i) les tests cutanés d’allergie sont possibles dès les premiers mois, ii) les dosages d’IgE spécifiques peuvent venir à l’appui du diagnostic. La prévention et le traitement dépendent de ce diagnostic précis. Il faut également éliminer les facteurs nocifs de l’environnement intérieur au premier rang desquels se trouve, encore et toujours, le tabagisme passif.

Page 5: Les phénotypes de l’asthme de l’enfant

S37G. Dutau et al. / Revue française d’allergologie 53 (2013) S33-S38

5. Conclusions

L’identification des « phénotypes de l’asthme » est certai-nement une démarche utile. Mais comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, il est fort probable que cette démarche n’est pas nouvelle même si elle est qualifiée par un nom savant. Plus prosaïquement, Cowan et Guilbert [2] proposent un «  index de prédiction de l’asthme  » ou asthma-predictive index (API) par modification d’un index initialement suggéré les analyses successives de cohorte de Tucson » [29], il y a 30 ans. Et l’on retrouve la notion de conjonction de critères majeurs et mineurs, si chère aux médecins soucieux d’un encadrement précis des symptômes de leurs patients (tableau 2). Mais les symptômes de l’asthme sont par essence variables d’un sujet à l’autre et surtout chez le même sujet… La clinique avant tout et garder raison !

Déclaration d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références

[1] Martinez FD, Wright AL,Taussig LM, Holberg CJ, Halonen M, Morgan WJ. Asthma and wheezing in the first six years of life. The Group Health Medical Associates. N Engl J Med 1995;332(3):133-8.

[2] Cowan K, Cuilbert TW. Pediatric asthma phenotypes. Curr Opin Pediatr 2012;24(3):344-51.

[3] Rusconi F, Galassi C, Corbo GM, Forastiere F, Biggeri A, Ciccone G, et al. Risk factors for early, persistent, and late-onset wheezing in young children. SIDRIA Collaborative Group. Am J Respir Crit Care Med 1999;160(5 Pt1):1617-22.

[4] Sherriff A, Peters TJ, Henderson J, Strachan D. Risk factor associations with wheezing patterns in children followed longitudinally from birth to 3(1/2) years. Int J Epidemiol 2001;30(6):1473-84.

[5] Savenije OE, Granell R, Caudri D, Koppelman GH, Smit HA, et al. Comparison of childhood wheezing phenotypes in 2 birth cohorts: ALSPAC and PIAMA. J Allergy Clin Immunol 2011;127(6):1505-12.

[6] Brand PL, Baraldi E, Bisgaard H, Boner AL, Castro-Rodriguez JA, et al. Definition, assessment and treatment of wheezing disorders in preschool children: an evidence-based approach [review]. Eur Respir J 2008;32(4):1096-110.

[7] Thumerelle C, Deschildre A, Bouquillon C, Santos C, Sardet A, Sclabert M, et al. Role of viruses and atypical bacteria in exacerbation osf asthma in hospitalized children : a prospective study in the Nord-Pas de Calais region (France). Pediatr Pulmonol 2003;35(2):75-82.

[8] Johnston SL, Pattemore PK, Sanderson G, Smith S, Lampe F, Josephs L, et al. Community study of role of viral infections in exacerbations of asthma in 9-11 year old children. BMJ 1995;310:1225-9.

[9] Johnston SL, Pattemore PK, Sanderson G, Smith S, Campbell MJ, Josephs LK, et al. The relations hip between upper respiratory infec-tiologies and hospital admissions for asthma : a time-trend analysis. Am J Respir Crit Care Med 1996;154:654-60 

[10] Johnston NW, Johnston SL, Duncan JM, Greene JM, Kebadze T, Keith PK, et al. The september epidemic of asthma exacerbations in children : a search for etiology. J Allergy Clin Immunol 2005;115(1):132-8.

[11] Dutau G, Labbé A. Rentrée des classes … retour de l’asthme. Rev Fr Allergol 2011 ; 51(8) : 690-3.

[12] Pascal L, Fuhrman C, Durif L, Nicolau J, Charpin D, et al. Évolution des hospitalisations pour asthme en France métropolitaine, 1998-2002. Rev Mal Respir 2007; 24(5):581-90.

[13] Just J. L’asthme sévère est souvent allergique chez l’enfant. Rev Fr Allergol 2012;52(1):32-5.

[14] Deschildre A, Mordacq C, Delvart C, Santos C, Thumerelle C. Asthme sévère : les exacerbateurs viro-induits. Rev Fr Allergol 2012;52(3):208-11.

[15] Murray CS, Poletti G, Kebadze T, Morriss J, Woodcock A, Johnston SL, et al. Study of modifiable risk factors for asthma exacerbations : virus infection and allergen exposure increase the risk of asthma hospital admissions in children. Thorax 2006;61(5):376-82.

Tableau 2

Index de prédiction de l’asthme (IPA) modifié [2] et initial [28].

IPA modifié IPA ancien

Critères majeurs Critères majeurs

Antécédents familiaux d’asthme Antécédents familiaux d’asthme

DA diagnostiquée par un médecin DA diagnostiquée par un médecin

Sensibilisation IgE-dépendante à au moins 1 pneumallergène

Critères mineurs Critères mineurs

Sensibilisation IgE-dépendante au lait, œuf, arachide Rhinite allergique (diagnostic médical)

Wheezing* non lié aux infections ORL virales Wheezing* non lié aux infections ORL virales

Éosinophilie sanguine ≥ 4 % ** Éosinophilie sanguine ≥ 4 % **

L’IPA est positif si l’enfant siffleur* présente, à l’âge de 3 ans, 1 critère majeur ou 2 critères mineurs. Le risque de développer un asthme plus tard dans l’enfance est alors 4 à 7 fois plus élevé que chez les enfants n’ayant aucun de ces critères. DA (dermatite atopique).* Au moins 4 épisodes de wheezing (ou davantage), avec au moins 1 diagnostiqué par un médecin.** Au cours de l’enseignement médical actuel (général et allergologique) la valeur d’une éosinophilie sanguine ≥ 4 % est souvent discuté. De plus dans l’étude de Guilbert et coll. [13], les IgE totales supérieures à 100 UI/ml ont un meilleure signification statistique (p = 0,0004) que la sensibilisation aux pneumallergènes (p = 0,03) ou l’éosinophilie sanguine ≥4% (p = 0,03).

Page 6: Les phénotypes de l’asthme de l’enfant

S38 G. Dutau et al. / Revue française d’allergologie 53 (2013) S33-S38

[16] Calhoun WJ, Sutton LB, Emmett A, Dorinsky PM. Asthma variability in patients previously treated with beta2-agonists alone. J Allergy Clin Immunol 2003;112(6):1088-94.

[17] http://www.ginasthma.com

[18] Chipps BE, Spahn JD, Sorkness CA, Baitinger L, Sutton LB, Emmett AH, et al. Variability in asthma severity in pediatric subjects with asthma previously receiving short-acting beta2-agonists. J Pediatr 2006; 148(4): 517-21.

[19] Mc Kenzie. Difficult asthma in children. Eur Respir Rev 2000;10:18-22.

[20] Proceedings of the ATS workshop on refractory asthma: current understanding, recommendations, and unanswered questions. American Thoracic Society. Am J Respir Crit Care Med 2000;162:2341-51.

[21] Wenzel S. Severe asthma in adults. Am J Respir Crit Care Med 2005;172:149-60.

[22] Iliescu C, Tillié-Leblond I, Deschildre A, de Blic J. L’asthme difficile chez l’enfant. Arch Pédiatr 2002;9:1264-73.

[23] Herr M, Clarisse B, Nikasinovic L, Foucault C, Le Marec AM, et al. Does allergic rhinitis exist in infancy? Findings from the PARIS birth cohort. Allergy 2011;66(2): 214-21.

[24] Ayres JG, Miles JF, Barnes PJ. Brittle asthma. Thorax 1998;53:315-21.

[25] Carroll CL, Schramm CM, Zucker AR. Severe exacerbations in children with mild asthma: characterizing a pediatric phenotype. J Asthma 2008;45(6): 513-7.

[26] Bousquet J, Kjellman NI. Predictive value of tests in childhood allergy. J Allergy Clin Immunol 1986;78(5 Pt2):1019-1022.

[27] Bisgaard H, Hermansen MN, Bonnelykke K, Stokholm J, Baty F, et al. Association of bacteria and viruses with wheezy episodes in young children: prospective birth cohort study. BMJ 2010; 341:c4978. doi:10.1136/bmj.c4978.

[28] Dutau G, Lavaud A. Vitamine D, immunité, asthme et symptômes d’atopie. Rev Fr Allergol 2012;52(Suppl.1):S10-18.

[29] Guilbert TW, Morgan WJ, Zeiger RS, Bacharier LB, Boehmer SJ, et al. Atopic characteristics of children with recurrent wheezing at high risk for the development of childhood asthma. J Allergy Clin Immunol 2004; 114(6): 1282-7.