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Les Responsabilités du Statisticien dans la Société Author(s): Alfred Sauvy Source: International Statistical Review / Revue Internationale de Statistique, Vol. 44, No. 3 (Dec., 1976), pp. 311-316 Published by: International Statistical Institute (ISI) Stable URL: http://www.jstor.org/stable/1402346 . Accessed: 11/06/2014 08:18 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . International Statistical Institute (ISI) is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to International Statistical Review / Revue Internationale de Statistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.78.108.140 on Wed, 11 Jun 2014 08:18:57 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Les Responsabilités du Statisticien dans la Société

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Les Responsabilités du Statisticien dans la SociétéAuthor(s): Alfred SauvySource: International Statistical Review / Revue Internationale de Statistique, Vol. 44, No. 3(Dec., 1976), pp. 311-316Published by: International Statistical Institute (ISI)Stable URL: http://www.jstor.org/stable/1402346 .

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Int. Stat. Rev., Vol. 44, No. 3, 1976, pp. 311-316/Longman Group Ltd/Printed in Great Britain

Les Responsabilites du Statisticien dans la Societe

Alfred Sauvy Institut National d'Etudes Ddmographiques, Paris

Dans quelque domaine qu'il travaille, mais surtout dans le domaine 6conomique et social, le statisticien se trouve, en particulier dans une administration nationale, devant diverses respon- sabilit6s, tant dans la conduite de ses travaux que dans leur publication.

Neutralit6 et responsabilit6 Il y a 15 ans environ, a paru en Chine (et traduit en frangais) un dialogue imagine entre les tenants de deux conceptions diff6rentes de la statistique:

- selon l'un la statistique etait un simple instrument d'observation devant donner l'image exacte des faits (6conomiques surtout) dont les gouvernants ont a s'occuper.

- selon l'autre qui & la fin du d6bat prenait nettement le dessus la statistique est un instrument politique au service non seulement de la planification g6n6rale mais de l'ideologie du regime.

Ce conflit ne trouvait alors aucun echo chez les Occidentaux, ceux-ci s'en tenant a la premiere conception traditionnelle de fidelit6 aux faits.

Depuis quelques ann6es, cependant, le d6bat a reparu sous une forme tr6s voisine, parmi les statisticiens des pays occidentaux ou, du moins chez certains d'entre eux.

A l'image classique de la statistique neutre, reflet impartial de la r6alit6 sociale, ils opposent celle de l'instrument id6ologique au service de la classe dirigeante et du pouvoir, ajoutant, dans leurs commentaires, que les statistiques 6conomiques actuelles sont mises au service du pouvoir capitaliste, voire meme congues & cet effet.

Des lors se posent les questions suivantes: - la statistique doit elle 8tre congue de fagon a favoriser le regime et le pouvour? - est-elle dans certains pays concue et utilis6e de telle fagon? - quelles sont de fagon plus g6n6rale les responsabilit6s des statisticiens ? Il y a lieu de distinguer plusieurs sortes de deformations ou de deviations possibles notam-

ment: - le faux a l'e'tat pur c'est-&-dire la creation ex nihilo de chiffres ou bien le changement

d61ib6r6 de chiffres existants, dans le but de tromper - l'utilisation et l'interpre'tation dans un but pr6cis, de chiffres existants - l'?laboration de statistiques ne refletant volontairement que de fagon incorrecte ou

imparfaite l'ensemble de faits qu'elle entend repr6senter - les dvaluations incertaines - la publication partielle et sclectionnie, dans le but de tromper.

Le faux g I'itat pur

Voici un exemple: En 1933 pendant le grande crise, le gouvernement frangais redoutait un effondrement des cours du bl6. Pour l'6viter il a publi6 et comment6 un chiffre de production notablement inf~rieur & celui qui r6sultait des calculs des services. En l'esp6ce les statisticiens du ministbre de l'agriculture n'6taient gubre responsables 6tant tenus par le secret professionnel.

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Cependant le faux & l'atat pur est tres rare. Meme les dictateurs les plus d6pourvus de scrupules h6sitent devant ces proc6d6s, parce que ceux-ci peuvent vite se retourner contre eux. (Napoleon parlait d6jh de "faits s6ditieux"). Hitler et Mussolini ont, en g6n6ral, pr6f6r6 suspendre la publication de series chiffr6es ou bienjouer sur les definitions proc6d6 6tonnamment fertile.

Pendant la guerre les autorites nazies ont annonc6 qu'au 21 juin 1942 les pertes allemandes 6taient 313 345 tu6s et 92 576 disparus; compte tenu de l'exclusion de certains champs d'op ra- tion secondaires, le chiffre total pouvait 8tre port6 a 500 000.

Nous avons A cette 6poque, estim6 que le chiffre 700 000 6tait sans doute depasse sans qu'il y eit n6cessairement amputation volontaire. La totalisation pouvait ne porter que sur la compta- bilit6 des troupes de premiere ligne, ce qui excluait les deces survenus a l'arriere, meme proche. En outre, la comptabilit6 pure devait souffrir de retards plus ou moins 6tendus.

Il y avait neanmoins tromperie: si les imperfections avaient jou6 dans l'autre sens le chiffre n'aurait pas 6t6 publiC. La responsabilit6 des "statisticiens" n'6tait pas en cause ici.

La difinition La plupart des querelles statistiques ont, A l'origine, une question de d6finition.

En poussant A` l'extreme nous pourrions rappeler le cas du jeune homme de famille princiere d'Orient, candidat au baccalaur6at avant 1914. L'int6r&t diplomatique commandant l'indul- gence, de discretes recommandations avaient 6t6 donn6es. L'examinateur d'histoire, impres- sionn6 crut se tirer d'affaire en posant une question jug6e facile pour un Oriental, la date de la prise de Constantinople par les Turcs. Devant la r6ponse inattendue "1789" l'examinateur se ressaisit et dit gentiment au jeune homme: "La date que vous me citez est exacte; toutefois elle ne s'applique pas exactement A l'6venement que je vous ai cite".

Si non e perfettamente vero,. . . l'anecdote n'en est pas moins significative. La plupart des batailles de chiffres sont a base de diff6rences de definition. Les statisticiens doivent toujours precaution 616mentaire donner de fagon tres claire et complte, la definition l'origine la

port6e des chiffres qu'ils produisent. Les pr6cisions ne sont jamais excessives de ce cot6.

L'utilisation et l'interpr6tation Nous visons tout d'abord l'utilisation simple sans calcul suppl6mentaire, de chiffres

publi6s. Il est toujours facile a un pol6miste de choisir, dans l'arsenal de chiffres existants, ceux qui donnent le mieux raison & sa these. L'objectif est bien marqu6 et inflexible, les chiffres n'6tant que des moyens de l'atteindre.

Admissible pour un avocat pour le d6fenseur officiel et reconnu d'une cause, ce proc6d6 si courant ne peut naturellement qu'8tre r6prouv6 dans le cas g6n6ral. Mais tant qu'il y aura des statistiques, elles serviront d'instruments A la defense d'une these pr66tablie, qu'elle soit

inspir6e par l'ideologie ou l'int6ret. Il est rare d'ailleurs que l'interpr6tation de chiffres ne prete a" l'arbitraire meme si aucun

calcul n'est fait en partant d'eux. Nous avons un bon critere de l'absence d'arbitraire: l'accord entre deux personnes tres diff6rentes en ideologie ou en int6r&t. Dire par exemple que le nombre de naissances est tomb6 en Allemagne f6d6rale de 811 000 en 1970 'a 627 000 en 1974 en baisse de 230 n'entraine aucun d6saccord entre un conservateur et un communiste, entre un malthusien et un populationniste, parce que la d6finition de la naissance laisse trbs peu de place i l'incertitude et que l'6tat civil est bien tenu en Allemagne.

Mais s'il s'agissait de pousser plus loin l'interpr~tation, les divergences apparaitraient vite.

Les calculs d'interpritation Nombreuses sont les personnes statisticiens ou non, qui partant de donn~es positives et non

contest6es se livrent A divers calculs pour en tirer la pleine signification. Meme dans ce cas la

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notion d'objectivit6 si contest6e est loin d'etre vaine. Employons de pr6f~rence le terme de neutralitd, moins confus.

Nous pouvons alors distinguer deux attitudes: celle de 1'esprit attir6 par un resultat donn6 et celle de l'indiff~rent.

Celui qu'un resultat satisfait plus qu'un autre, quelle qu'en soit la raison, oriente presque toujours l'interpretation ou le fil de la pensee en ce sens. Cette orientation est souvent in- consciente mais l'inconscient agit toujours dans le meme sens que le ferait le conscient. La deviation est plus forte encore s'il s'agit d'un groupe homogene par l'interat ou par l'ideologie. Par le nombre et la force de la psychologie collective, le resultat favorable est obtenu avec plus de sfiret6 encore.

Pour lutter contre la deviation inconsciente, il y a tout un reseau de regles de conduite appropriees, que l'on trouve bien rarement cities dans les ouvrages ou les cours de statistique. Sans pouvoir nous 6tendre ici sur elles, disons qu'il faut infliger a l'esprit une grande mobilite, une souplesse totale, un desinteressement, une absence d'amour propre aussi et un d6sir si aigu de percer les faits qu'il doit engendrer au depart une certaine indifference aux r6sultats, indiff6rence qui n'est nullement de l'impassibilit6, mais la marque d'une soumission pure a l'experience.

Le tenant d'une ideologie peut, sans doute, la laisser un moment de c8te, pour la reprendre une fois les resultats obtenus. Il y a dans ce domaine des hommes remarquables, mais ils sont en tres faible minorit6 tant la tache est difficile. Ce n'est jamais dans les raisonnements que pechent les doctrinaires ou meme qu'ils se separent; c'est par les faits initiaux sur lesquels ils construisent leur logique.

Il est tentant, au cours de calculs d'interpretation et d'utilisation, de considerer son travail comme accompli lorsque les r6sultats v6rifient l'idee que l'on avait initialement. Ce sont au contraire ce resultats "favorables" qui doivent etre tenus pour les plus suspects et soumis a une critique severe. Sinon par une selection naturelle, les divers calculs tentes conduisent fatale- ment au but cherch6. Chacun pense alors avoir raison parce qu'il a au prealable entendu avoir raison.

L'blaboration Nous voici devant un probleme difficile a embrasser car l'6laboration, la construction, la publication de statistiques dans un service oui le travail est collectif subissent facilement les reproches de l'opposition politique qui estime l'ensemble de ces operations congu au service du pouvoir.

Nous pourrons mieux nous expliquer sur des exemples.

L'indice des prix de detail C'est le premier vise, puisque les defenseurs des salaries et des consommateurs estiment g6n6ralement cet indice trop faible, ce qui donne une image trop favorable de l'6volution du pouvoir d'achat et peut conduire a limiter les hausses de salaires jug6es opportunes.

Ainsi aprbs un demi sidcle de calcul d'indices, les critiques en restent au mime point. C'est en France que l'indice a 6t6 le plus contest6 par les syndicats en particulier sur la

question des corrections pour .aml61ioration de qualit6 qui entrainent une diminution de l'indice apparent.

Accus6 de fagon qu'il faut bien appeler infamante puisqu'il s'agit d'une trahison de sa fonction, I'INSEE a en l'espSce mal pr6sent6 la question. Sa position devrait Ctre:

Nous calculons et publions depuis longtemps des indices de prix selon une m6thode scientifique & peu pros uniforme dans les divers pays, pour pr~c6der & diverses etudes 6conomiques.

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Cet indice est un instrument un outil, que chacun peut utiliser a sa guise, comparer cet indice ta celui des salaires ou d'un autre revenu. Un marteau peut servir & enfoncer des clous ou & assassiner une rentibre. Le constructeur n'est pas en cause; c'est la responsabilit6 des utilisateurs et ne signifie 6videmment pas que personne puisse vivre dans les memes conditions qu'il y a un demi siecle. Cet indice a sa signification et rend des services auz 6conomistes d'observation. En tout 6tat de cause il n'est qu'approximatif puisque tous les changements de

qualit6 ne peuvent pas etre traduits sur le plan quantitatif et que la date de l'introduction d'un nouvel objet de consommation dans un indice souleve un certain arbitraire. Scientifiquement le probleme n'a pas de solution rigoureuse, nous le savons mais tel qu'il est il rend des services.

Si nous calculions un indice 6pousant la fagon de vivre d'une personne modeste nous retrouverions finalement son revenu ou plus exactement sa depense, ce qui lui enleverait tout

interet. Dans le calcul de cet indice des que cesse l'indiff6rence au resultat, des que se reliche la

rigueur des regles, la deviation est fatale. On ne peut tre a la fois expert et avocat. Non seulement les consommateurs, mais les critiques les plus divers les historiens etc, ont

toujours eu tendance & surestimer la hausse des prix ou & sousestimer l'am6lioration de la condition humaine. La peur de se ranger du c6to du plus fort ou dans une cat gorie techno- cratique et moralisante, indulgente aux pouvoirs, conduit a la faiblesse devant les faits. Une verification interessante peut 8tre tent~e sur une longue p'riode, en mettant bout a bout les mesures ou declarations successives au fil du temps. C'est ainsi qu'en ajustant en chaine les resultats non seulement des syndicats et des auteurs du XIXe mais ceux de Labrousse, de Levasseur, de Marc etc, on trouve que le niveau de vie actuel serait inf6rieur " celui du Moyen Age, voire du debut du XIIIe siecle.

Une methode plus directe conduit & observer non plus les prix et les revenus, mais les quantites consomm6es. Il subsiste sans doute une question de ponderation, sans solution scientifique, elle aussi, mais le sens du mouvement est en general clair et meme un certain ordre de grandeur. De la Revolution a l'6poque actuelle, les quantit6s alimentaires, en calories et en

proteines consomm6es en France par habitant (moyennes decennales) ont augmente a montr6 M. Toutain tout au long du XIXe passant de 1800 calories par jour a' la Revolution "a plus de 3000 aujourd'hui.

Pendant la crise des annees trente en France les prix de detail ont baiss6 de 24 % mais aucun consommateur n'a eu cette impression et de loin. Les statisticiens eux memes devaient revoir avec attention leurs calculs, tant le resultat les surprenait, en tant que consommateurs.

II y a dans la vie, des illusions d'optique physique, bien connues et qui sont admises de tous; tel n'est pas le cas pour les illusions d'optique sociale. Et c'est ici qu'apparait le r6le difficile du statisticien.

I1 est enfin permis de se demander quelle serait a l'6gard du calcul de l'indice l'attitude

d'opposants actuels, une fois parvenus au pouvoir et, de ce fait, vite sur la defensive en matiere de revenus distribu6s.

La comptabilitu nationale

Etablie il y a plus de 25 ans progr~s consid6rable, la comptabilit6 nationale encourt aujourd'hui maints reproches, en d6pit des am61iorations dont elle a b6n6fici6. Dans ce domaine encore il faut bien se reporter toujours aux d6finitions. La question n'est pas ici de savoir comment ces comptes pourraient &tre aml61ior6s, mais de juger s'ils sont conqus et men6s de fagon a favoriser la d6fense des int6r&ts capitalistes.

Que la comptabilit6 nationale doive &tre adapt6e au r6gime socio-6conomique n'est pas en question. La comptabilit6 d'une collectivit6 religieuse au Moyen Age 6tait sans doute conforme a cette forme de soci6t6.

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Bien des changements pourraient &tre d6cides aujourd'hui, mais comme pour la composition du budget qui sert au calcul de l'indice des prix, rien ne permet de savoir a I'avance dans quel sens ils joueraient. L'application des m6thodes de comptabilit6 des pays socialistes en par- ticulier, ne bouleverserait pas l'ensemble et sourtout ne permettrait pas de dire comment les proportions se modifieraient dans la suite.

Plus pertinents sont les reproches qui portent sur la discretion qui entoure certaines opera- tions ou situations notamment en matiere de repartition des revenus. L'incertitude des don- nees de base (qui r6sulte essentiellement du fait que certains revenus sont calculus par differ- ences m6thode toujours condamnable en metrologie statistique) la sensibilite des esprits a cet endroit servant trop facilement de pretexte au silence ou & l'abstention. Mais pour faire vraiment la lumiere il faudrait aller loin dans la recherche et dans la presentation des r6sultats.

Le secret est en principe a l'oppos6 de la democratie, puisqu'il constitue un pouvoir en soi. Il est pratiqu

' l1'exces non seulement par les gouvernements et les grandes entreprises mais par

des administrations. Personne n'aime se "livrer".

L'6valuation incertaine Le cas est frequent pour le statisticien de savoir s'il doit proceder & une evaluation hasardeuse ou s'abstenir. Pr6cisons le cas:

Une question importante est en debat devant le Parlement par exemple sur la fiscalite, sur I'avortement, sur les d6penses m6dicales, sur les retraites: les biens, la sante et souvent la vie des hommes est en jeu. Or il y a quelque part, dans un service, des statisticiens comp6tents, qui ont depuis plusieurs annees "pes6" les donn6es; doivent-ils fournir, une evaluation incertaine et jusqu'oii doivent-ils aller ?

La tentation est forte a un certain moment de recourir & une totale abstention en disant qu'il n'est pas serieux de hasarder meme une fourchette. Et cependant fait essentiel la decision du pouvoir politique devra etre prise de toute faVon. Si l'6valuation lumi"re n'est pas fournie par le statisticien confirm6 elle le sera quand meme par une personne moins competente et peutetre int6ress6e. Aussi ce scrupule tres 16gitime conduit a exclure du jugement la personne la plus apte a le formuler. Ce paradoxe se rencontre souvent sur des questions scientifiques (6nergie nucl6aire, environnement etc).

Cette opposition entre le scrupule et la r6alisation prend une forme plus g6n6rale et plus concrete: Lorsqu'un facteur une variable est jug6 trop mal connu trop fugace, il est exclu des theories des modeles et des calculs qui en r6sultent. La justification de cette exclusion est simple: "Comment voulez-vous que je parle de ce que je ne connais pas ?" Cet argument si convaincant ce scrupule si honorable reviennent, en somme a compter l'inconnue pour z6ro, ce qui n'est pas un proc6d6 scientifique tres recommandable.

Cette attitude peut cependant se justifier au moins en partie lorsque dans un total le sens de l'erreur ainsi commise est connu. Le statisticien qui refuse l'6valuation incertaine pr6f"re alors une erreur systematique a une erreur al6atoire. C'est une question de degr6 et de proportions qui se pose, mais la peur de courir un risque personnel et la prudence ne sont pas n6cessaire- ment bonnes inspiratrices.

L'"6valuation progressive La construction des premieres comptabilit~s nationales a mis en evidence de curieuses m~thodes qui ne figurent semble-t-il dans aucun manuel du moins sous cette forme. Lorsqu'un cadre est trace lorsque des tableaux existent en blanc, la tentation est forte de les remplir. Quelques chiffres bien connus assez stirs sont mis d'abord & leur place, mais le d~sir devient fort i ce moment de les completer "pour voir t titre de simple essai". De proche en proche d'audace en audace les tableaux se remplissent mais en mime temps apparaissent des contradictions que

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l'on s'efforce de lever des invraisemblances qu'il faut faire cesser. Si le nombre des liaisons entre ces donnees est suffisant l'amelioration du tableau par it6rations successives conduit a la situation de plus grande probabilit6. Quelqu'un a meme dit qu'il suffirait au debut de mettre des chiffres tires au hasard, car le r6sultat final serait le meme.

Il arrive cependant que pour des postes donnes, sans liens suffisants avec d'autres I'6valuation initiale fort incertaine et donn6e comme telle par son auteur puisse d'annee en ann6e subir des corrections jugees appropriees et acquerir peu "a peu une reputation de solidite peu meritee. Ce fut par exemple le cas des premiers calculs de balance des paiements 6tablis en France il y a plus d'un demi siecle, par Meynial. Bien que certains postes tels que les recettes du tourisme fussent assez loignees de la realit6, les resultats de l'ensemble n'ont pas 6t6 totalement inutiles.

II vient un temps cependant oui le charme cesse et oii tout l'6difice s'6croule remplac6 par un autre.

En conclusion

Nous n'avons abord6 qu'une bien faible part des responsabilit6s du statisticien. Mais le fond subsiste. Est-ce faire preuve de subjectivit6 que de placer au-dessus de toute autre consideration le souci le plus fervent de connaitre et de p6n6trer les faits au plus profond, sans 6gard aux consequences des r6sultats ? Ce n'est pas r6petons-le a la fin du travail que se trouve la neut-

ralit6, mais au depart. Reprenons le dialogue chinois cite au debut de cet article. Le r6sultat de cette pref6rence a

6t6 la fausse croyance au "bond en avant" il y a pres de 20 aus, qui a cause tant de dommages. A ce moment, en haut et en bas de l'6chelle administrative les incertitudes en matiere de recoltes ont 6t6 inconsciemment, ou par devoir civique tranch6es dans le sens favorable. L'utilisation des statistiques imparfaites est si peu concevable en Chine, que le gouvernement ne connait pas le total de la population.

Prenons maintenant le cas d'un statisticien en regime capitaliste, oppose a ce r6gime socio politique. Sa position est difficile. Personne ne reprochera certes a un statisticien d'avoir fourni aux Allemands sous l'occupation des chiffres erron6s en vue de le tromper. C'est 1a un cas extreme. Le travail devient alors politique aux risques personnels de l'interesse.

Beaucoup moins defendable serait I'attitude d'un statisticien refusant de faire correctement son metier en all6guant que 1'exercice du pouvoir est facilit6 par la connaissance correcte de la situation. Ce serait mettre un bandeau sur les yeux du pilote.

L'attitude de neutralit6 que nous sugg6rons suppose bien entendu, des institutions qui se rapprochent autant que possible de cet ideal que nous appelons d6mocratie. Non seulement le systeme statistique ne doit pas avoir de secrets, mais mettant en pratique la m6thode meme des approximations successives, il doit avoir en lui une confiance suffisante, pour se livrer entiere- ment aux critiques.

Summary The responsibilities of the statistician in Society are of many kinds. In the first instance one must cite the basic concept of statistics; according to certain points of view this is inextricably bound up with an idealogy and put at the service of it and of the socio-political regime associated with it. The traditional concept which looks to the total loyalty and impartiality is not easy to observe but constitutes the only scientific attitude.

Quarrels over figures, often arising from differences or imperfections of definitions, the statistician can never be too careful on this account. In the use of crude data each person is guided - to a lesser or greater extent - by his conditioning and attracted by results which he deserves or which seem to him to confirm his ideas. In order to fight against this tendancy strict moral discipline is necessary.

Examples are given, notably for the calculation of detailed price indices which are nationally compatible. Finally the problem of uncertain interpretation is posed: limits which the statistician must impose upon himself on this account. In conclusion, the only solution lies in the impartiality of the statistician and in the widest dissemination of results.

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