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DANS CE DOSSIER Les enjeux de l’ouverture des données publiques Brève histoire de l’open data La délicate question des usages Fiscalité numérique : stimuler la création de valeur Logiciel libre, open data, même combat ? Rédacteurs en chef du dossier : Ariane Ioannides et Richard Robert LES IDÉES EN MOUVEMENT LE MENSUEL DE LA LIGUE DE L’ENSEIGNEMENT N° 208 AVRIL 2013 9. dOssier U n débat peut en cacher un autre. La question des données numériques en est un bon exemple : elle est au cœur de plusieurs dis- cussions qui s’enchevêtrent sans se confondre. Chaque jour, de gigantesques masses de données transitent sur Internet. Nous-mêmes, nous en produisons constamment, lors de chacune de nos connexions ou de nos transactions. Ces données ont une valeur, et cette valeur croît vertigineusement à mesure que se développe l’informatique des « Big Data », qui permet d’analyser ces flux. Les organisations qui parviennent à collecter les données et à les lire bénéficient d’une information sans équivalent sur le mouvement du monde – et sur nous-mêmes : nos échanges sociaux, nos goûts, nos habitudes, les institutions et les médias que nous fréquentons… Cela pose plusieurs questions. La première est la plus familière au public : c’est le respect de la confidentialité et de la vie privée. Les géants du Web, à qui nous confions les clés de notre existence numérique, n’en sauraient-ils pas un peu trop sur nous ? Ne pourraient- ils abuser de ce savoir ? À ces questions, les réponses sont floues. Une certaine inquiétude flotte ainsi, sans pour autant que nous soyons prêts à changer nos habitudes d’internaute. Certes, il ne s’agit guère jusqu’ici que de ciblage publicitaire, mais l’idée d’être fichés nous met mal à l’aise. C’est en ayant en mémoire les fichiers de Vichy qu’a été décidée, en 1978, la création de la Cnil, qui contrôle la collec- tion et l’utilisation des données personnelles. Les outils inventés alors semblent inopérants contre les algorithmes du datamining, qui exploitent des bases de données en perpétuelle évolution, composées non pas de fiches biométriques, mais de bribes de nos existences numériques. Comment éviter les dérives ? La seconde question concerne la valeur économique et sociale de ces données. Comment éviter que la valeur associée à la vie numé- rique soit captée par quelques géants ? L ’enjeu n’est pas seulement de taxer Google, Facebook ou Amazon, dont les profits échappent largement à l’impôt. Il est aussi de protéger les consommateurs contre le pouvoir potentiellement exorbitant de ces géants. Qui nous dit, par exemple, que demain les prix des biens qui nous sont proposés en ligne n’auront pas été définis spécialement pour nous, en fonc- tion de ce que le marchand pourra savoir de nos habitudes de consommation ? La valeur économique et sociale associée aux masses de données circulant sur Internet est un bien commun, qui devrait profiter à tous. L ’idée du partage, portée à l’origine par le mouvement du logiciel libre avant de s’étendre aux contenus, atteint aujourd’hui les données. C’est dans ce contexte que s’est fait jour un mouvement promouvant une idée simple : ces données, il n’est pas illégitime de les col- lecter, mais il faut les rendre. Aux citoyens, qui doivent savoir ce qu’on sait d’eux. Aux autres acteurs économiques et sociaux, qui pour- ront eux aussi valoriser cette nouvelle « matière première » pour proposer de nouveaux services ou améliorer ce qu’ils font déjà. Les données publiques, à cet égard, sont les premières concernées : c’est tout les sens du mouvement d’open data, dont les enjeux sont à la fois démocratiques et économiques. Le mouvement d’ouverture des données publiques est une innovation majeure dans le domaine des politiques publiques. Il offre aux citoyens et à la société civile un meilleur contrôle démocratique, mais aussi une masse précieuse d’informations jusqu’ici d’accès malaisé ou difficile à exploiter. Mais là aussi des débats se font jour : quelles données mettre en ligne, comment en décider, qui saura vraiment s’en emparer et qui n’en aura pas les moyens ? Le risque existe de favoriser l’agenda de ceux qui sauront exploiter les données, au détriment de ceux qui passeront à côté sans en percevoir les enjeux. Prendre conscience de ces risques n’implique nullement de freiner un mouvement qui semble à bien des égards porteur d’avenir. Mais il est essentiel de comprendre et de faire comprendre ce qui se joue ; essentiel, aussi, de permettre à tous d’entrer dans le jeu sans en être dupe. Il y a là un espace pour la société civile et pour le monde associatif. Richard Robert © Thierry Ardouin/Tendance Floue Les révolutions de l’open data

Les révolutions de l'open data

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Dosier des Idées en Mouvement n°308, avril 2013. Mensuel de la Ligue de l'Enseignement.

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dans cE dossiER

● Les enjeux de l’ouverture des données publiques

● Brève histoire de l’open data

● La délicate question des usages

● Fiscalité numérique : stimuler la création de valeur

● Logiciel libre, open data, même combat ?

Rédacteurs en chef du dossier : Ariane Ioannides et Richard Robert

LES IDÉES EN MOUVEMENT LE MENSUEL DE LA LIGUE DE L’ENSEIGNEMENT N° 208 AVRIL 2013 9.

dOssier

Un débat peut en cacher un autre. La question des données numériques en est un bon exemple : elle est au cœur de plusieurs dis­cussions qui s’enchevêtrent sans se confondre.Chaque jour, de gigantesques masses de données transitent sur Internet. Nous­mêmes, nous en produisons constamment, lors

de chacune de nos connexions ou de nos transactions. Ces données ont une valeur, et cette valeur croît vertigineusement à mesure que se développe l’informatique des « Big Data », qui permet d’analyser ces flux. Les organisations qui parviennent à collecter les données et à les lire bénéficient d’une information sans équivalent sur le mouvement du monde – et sur nous­mêmes : nos échanges sociaux, nos goûts, nos habitudes, les institutions et les médias que nous fréquentons…

Cela pose plusieurs questions. La première est la plus familière au public : c’est le respect de la confidentialité et de la vie privée. Les géants du Web, à qui nous confions les clés de notre existence numérique, n’en sauraient­ils pas un peu trop sur nous ? Ne pourraient­ils abuser de ce savoir ? À ces questions, les réponses sont floues. Une certaine inquiétude flotte ainsi, sans pour autant que nous soyons prêts à changer nos habitudes d’internaute. Certes, il ne s’agit guère jusqu’ici que de ciblage publicitaire, mais l’idée d’être fichés nous met mal à l’aise. C’est en ayant en mémoire les fichiers de Vichy qu’a été décidée, en 1978, la création de la Cnil, qui contrôle la collec­tion et l’utilisation des données personnelles. Les outils inventés alors semblent inopérants contre les algorithmes du datamining, qui exploitent des bases de données en perpétuelle évolution, composées non pas de fiches biométriques, mais de bribes de nos existences numériques. Comment éviter les dérives ?

La seconde question concerne la valeur économique et sociale de ces données. Comment éviter que la valeur associée à la vie numé­rique soit captée par quelques géants ? L’enjeu n’est pas seulement de taxer Google, Facebook ou Amazon, dont les profits échappent largement à l’impôt. Il est aussi de protéger les consommateurs contre le pouvoir potentiellement exorbitant de ces géants. Qui nous dit, par exemple, que demain les prix des biens qui nous sont proposés en ligne n’auront pas été définis spécialement pour nous, en fonc­tion de ce que le marchand pourra savoir de nos habitudes de consommation ? La valeur économique et sociale associée aux masses de données circulant sur Internet est un bien commun, qui devrait profiter à tous. L’idée du partage, portée à l’origine par le mouvement du logiciel libre avant de s’étendre aux contenus, atteint aujourd’hui les données.

C’est dans ce contexte que s’est fait jour un mouvement promouvant une idée simple : ces données, il n’est pas illégitime de les col­lecter, mais il faut les rendre. Aux citoyens, qui doivent savoir ce qu’on sait d’eux. Aux autres acteurs économiques et sociaux, qui pour­ront eux aussi valoriser cette nouvelle « matière première » pour proposer de nouveaux services ou améliorer ce qu’ils font déjà.

Les données publiques, à cet égard, sont les premières concernées : c’est tout les sens du mouvement d’open data, dont les enjeux sont à la fois démocratiques et économiques. Le mouvement d’ouverture des données publiques est une innovation majeure dans le domaine des politiques publiques. Il offre aux citoyens et à la société civile un meilleur contrôle démocratique, mais aussi une masse précieuse d’informations jusqu’ici d’accès malaisé ou difficile à exploiter. Mais là aussi des débats se font jour : quelles données mettre en ligne, comment en décider, qui saura vraiment s’en emparer et qui n’en aura pas les moyens ? Le risque existe de favoriser l’agenda de ceux qui sauront exploiter les données, au détriment de ceux qui passeront à côté sans en percevoir les enjeux. Prendre conscience de ces risques n’implique nullement de freiner un mouvement qui semble à bien des égards porteur d’avenir. Mais il est essentiel de comprendre et de faire comprendre ce qui se joue ; essentiel, aussi, de permettre à tous d’entrer dans le jeu sans en être dupe. Il y a là un espace pour la société civile et pour le monde associatif.

● Richard Robert

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Les révolutions de l’open data

.10 LES IDÉES EN MOUVEMENT LE MENSUEL DE LA LIGUE DE L’ENSEIGNEMENT N° 208 AVRIL 2013

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« créer un bien public »Le mouvement d’« open government », lancé aux États-Unis par des acteurs

et penseurs du numérique avant d’être relayé par l’administration Obama,

gagne la France. L’ouverture des données publiques y occupe une place

centrale. Quels sont ses enjeux ? Entretien avec Henri Verdier 1.

Les Idées en mouvement : L’ouverture des données publiques est-elle une simple mode, ou s’agit-il d’un mouvement de fond ?

Henri Verdier : Ce n’est pas une mode. C’est un mouvement de fond qui emporte l’ensemble des grandes organisations, pu­bliques ou privées. C’est une ma­nière d’agir et d’être efficace après la révolution numérique. Il faut bien préciser que l’on parle ici de données publiques, c’est­à­dire de données produites dans le cadre d’une mission de service public, qui ne soient ni personnelles, ni nominatives, ni sensibles pour la sécurité. Dans ce cadre précis, le mouvement d’ouverture et de partage de ces données réunit deux principes fondamentaux.

Il repose tout d’abord sur une exigence de transparence, voire de responsabilité, qui est consub­stantielle de la République : dans une démocratie mature, le pou­voir est capable de motiver ses décisions et d’en rendre compte. Dans un État moderne, les experts acceptent de livrer les bases de leurs raisonnements, pour que chacun puisse les reprendre et les critiquer. C’est ce que les scienti­fiques et les universitaires font depuis longtemps… Avec le suc­cès d’Internet, c’est la société tout entière qui demande à entrer dans ce mode de relation fondé sur le savoir et le respect.

« De plus en plus, les

données permettent de

créer de la valeur. (…)

L’enjeu est de remettre

cette valeur en

circulation. »Mais il repose aussi sur la

nouvelle donne générée par la ré­volution numérique. De plus en plus, les données permettent de créer de la valeur. Elles per­mettent de prendre des décisions informées et en temps réel, elles permettent aux organisations d’être plus efficaces en partageant en leur sein les informations utiles

à leur action, elles permettent aux citoyens, aux associations ou aux entreprises de développer de nou­veaux services. C’est le cas par exemple d’Handimap, cette appli­cation pour smartphones qui pro­pose des itinéraires adaptés aux handicapés moteurs grâce aux données de voirie partagées par certaines municipalités.

L’enjeu est donc de remettre cette valeur en circulation. Il s’agit de créer ce que l’on appelle un bien public. En l’occurrence, un bien public informationnel.

Les innovations les plus inté­ressantes se produisent souvent quand le détenteur des données renonce à les exploiter tout seul, et quand il décide de s’organiser pour attirer tous les talents autour de cet actif. Un bon exemple est le GPS : ce système a été déve­loppé au départ par l’armée amé­ricaine, jusqu’à ce que Bill Clinton décide, en 2000, de l’ouvrir à toutes les applications civiles, sans discrimination. Ce faisant, il a lancé une filière industrielle complète.

On peut comprendre que l’utilisation des données publiques déborde largement l’administration, mais les administrations ont-elles intérêt à jouer le jeu ?

Oui, et elles s’en rendent de plus en plus compte. D’abord parce qu’elles sont souvent les premières bénéficiaires de cette ouverture. Combien de fois avons­nous cherché des informa­tions sans savoir qui les détenait ? Combien d’enseignants aime­raient fonder leurs cours sur des informations réelles et récentes ? Ou sur des données locales ?

Ensuite, parce que l’ouverture et le partage des données pu­bliques permettent de construire avec les citoyens de nouvelles formes de relations, de refonder la confiance, d’autoriser de nou­velles formes de coopération. Elle permet à l’administration de dé­multiplier son action grâce à de nouvelles stratégies d’innovation.

Certes, c’est parfois une petite révolution. Certaines administra­tions hésitent à ouvrir leurs don­

nées, notamment parce que leurs systèmes d’information n’ont pas été conçus pour cela. Le travail sur la qualité des données, les in­terfaces de consultation, les pré­cautions juridiques peut être réel. Mais plus on en fait, plus c’est fa­cile…

C’est aussi un remarquable outil de valorisation du travail des agents publics, qui permet de donner à voir la réalité du travail de l’administration. Enfin, l’ou­verture des données publiques peut être un moyen de dynamiser les politiques publiques. On peut par exemple mobiliser les acteurs privés et sociaux au service de l’intérêt général.

Pratiquement, comment faire ?C’est justement pour répondre

à cette question qu’a été créé Eta­lab, dont la mission est de coor­donner le travail des administra­tions pour permettre la mise en ligne et la réutilisation la plus large possible des données pu­bliques produites par l’adminis­tration.

La première étape, c’était de développer une plate­forme com­mune. C’est désormais chose faite : 355 000 jeux de données publiques sont désormais dispo­nibles sur www.data.gouv.fr. Pour cela, il a fallu bâtir un processus pour mettre en ligne ces données, et constituer un réseau de corres­pondants open data dans l’admi­nistration.

Mais on peut aller plus loin : nous souhaitons désormais passer à la phase d’industrialisation et construire un open data « natif », en intégrant la démarche open data à tous les échelons de l’admi­nistration française. Nous souhai­tons construire un open data avec du sens, en ouvrant les données les plus stratégiques et les plus pertinentes pour la communauté des utilisateurs. Ce seront par exemple les données à fort impact sociétal (santé, éducation, etc.), mais aussi celles à fort potentiel d’innovation sociale et écono­mique.

Comment les définir ? Cela demande de se concerter. D’ici la fin de l’année, nous allons lancer

six débats thématiques qui nous permettront de rassembler les ac­teurs concernés, par exemple dans le secteur de la santé ou de l’éducation. Ces débats seront également menés en ligne avec la communauté d’utilisateurs. L’ob­jectif est de définir des consensus positifs, sur les jeux de données qui doivent être transformés en biens communs.

Des inquiétudes se sont exprimées, par exemple sur les atteintes à la protection de la vie privée.

C’est un débat qui mérite d’être pris au sérieux. Nous avons en effet deux droits fondamen­taux qui doivent être également défendus. Le droit à la vie privée, qui protège la liberté de con­science, est l’un des piliers de la démocratie. Mais le droit à un État qui accepte la transparence et qui sache rendre des comptes est un pilier de la République. C’est d’ailleurs un droit de l’Homme décrété dès 1789 (« La société est en droit de demander compte à tout agent public de son adminis­tration »). Il faut donc veiller éga­lement à ces deux droits.

Pour ma part, je trouve que, concernant les données pu­bliques, le droit à la protection de la vie privée est plutôt bien pro­tégé en France. La loi de 1951 sur la statistique publique, par exem­ple, organise le secret statistique, ce qui exclut, de fait, les données personnelles. La loi Cada de 1978 organise l’accessibilité du citoyen

aux données publiques, mais pré­voit des exceptions en matière d’informations personnelles, de souveraineté, de conflit d’inté­rêt… Au total, il me semble que nous disposons d’un arsenal juri­dique solide pour éviter les dé­rives, et derrière cet arsenal il y a une culture politique très atten­tive à ces enjeux.

Il me semble que les inquié­tudes sur la confidentialité mas­quent un autre problème, qui de­mande réflexion : c’est l’entrée dans le monde des grands flux de données. Les particuliers, les ma­chines, les entreprises, les États produisent de plus en plus de données. Elles deviennent le socle de l’économie comme du lien so­cial. Il faudra, c’est certain, repen­ser les modalités de l’action pu­blique, la défense de l’intérêt général ou la protection des parti­culiers à l’aune de cette nouvelle donne…

● propos recueillis par Richard Robert

1. Henri Verdier dirige depuis janvier 2013 la mission Etalab qui, au sein du secrétariat général à la modernisation de l’action publique, coordonne l’action des services de l’État et de ses établissements publics pour faciliter la réutilisation la plus large possible des données publiques. Il a notamment publié, avec Nicolas Colin, L’Âge de la multitude, (Armand Colin, 2012). Il fait également partie du groupe d’experts de la Ligue de l’enseignement sur la société numérique.

LES IDÉES EN MOUVEMENT LE MENSUEL DE LA LIGUE DE L’ENSEIGNEMENT N° 208 AVRIL 2013 11.

dOssier

histoiRE

Retour sur l’ouverture des données publiquesLe terme d’open data s’est d’abord appliqué aux données scientifiques,

que les différentes institutions de recherche étaient appelées à partager

davantage. Il a depuis pris une nouvelle dimension, en étant associé à

une redéfinition de l’État.

C’est dans le monde aca­démique qu’émerge, il y a vingt ans, l’idée

d’un partage systématique des données, dans un contexte bien précis : la recherche sur le climat. L’enjeu est alors de donner à tous les spécialistes un accès à des informations précieuses, déterminantes pour l’avenir de l’humanité.

À peu près à la même épo­que émerge la culture du logi­ciel libre.

actEuRs pas consoMMatEuRs

L’insistance sur le partage y est tout aussi fondamentale, mais elle s’articule avec l’idée essentielle d’une collaboration et d’une participation. Les in­dividus sont vus comme des acteurs, et non de simples consommateurs. Au fil du temps, la culture du « libre » s’est élargie pour embrasser une vaste gamme d’activités dont l’encyclopédie Wikipedia est sans doute le symbole le plus connu. Le Web 2.0, ap­paru dans les années 2000, hé­rite de cette culture pour faire de chaque internaute un pro­ducteur, un éditeur et un dif­fuseur de contenus. On voit alors émerger la notion de plate­forme, dont les grands exemples sont Google et les

réseaux sociaux. Les plates­formes, ce sont en quelque sorte les infrastructures du Web. Le succès des géants d’Internet tient à leur capacité à offrir des services gratuits, accessibles à tous, qui appa­raissent très vite comme de vé­ritables biens publics. Sur ce modèle émerge vers 2008­2009 l’idée, portée notamment par l’auteur américain Tim O’Reilly, que l’État lui­même est une plate­forme : un dis­pensateur de services et d’in­formations, une infrastructure offrant à d’autres acteurs la possibilité de se déployer.

C’est dans ce contexte qu’émerge la question de l’ou­verture des données publiques, qui peut se lire de différentes manières.

unE diMEnsion paRticipativE Et visionnaiRE

Il y a tout d’abord la veine participative. La collecte de la donnée publique s’appuie his­toriquement sur l’idée que l’État possède une légitimité spécifique non pas seulement pour recueillir les données, mais aussi pour en faire usage. Aujourd’hui, émerge une vi­sion différente : d’autres ac­teurs – citoyens, collectifs, en­trepreneurs – sont à même de

les utiliser. Il existe une valeur ajoutée, pour la société, à lais­ser traiter ces données, soit pour en extraire une connais­sance qui a échappé à l’admi­nistration et mérite d’être por­tée à la connaissance du public, soit pour proposer au public des services que l’administra­tion ne fournit pas.

Il y a ensuite une dimension visionnaire, voire utopique. Pour leurs promoteurs, ces nouvelles manières de faire vont changer le monde : les technologies, les méthodes et plus encore les valeurs de la ré­volution numérique four­nissent des ressources presque infinies pour améliorer l’effica­cité et la transparence de l’ac­tion publique. Le mouvement de l’open data associe l’ouver­ture des données publiques à un progrès démocratique : la transparence et le contrôle de l’action publique donnent corps à l’obligation de rendre compte, la participation donne corps au rêve de la citoyenneté.

L’état Et La quEstion du MonopoLE

Cet espoir est indissociable d’une revendication nouvelle, porteuse d’un imaginaire liber­taire. En étant redéfini comme une plate­forme, l’État est sou­mis au même questionnement que les Google et autres Face­book, dont on sait qu’ils col­lectent des données sur notre existence numérique. Les plates­formes privées sont ré­gulièrement mises en cause sur la question de la confidentia­lité, mais il apparaît aussi qu’elles parviennent à valoriser financièrement ces données, par exemple pour cibler les pu­blicités. Un mouvement se des­sine alors pour, d’une part, ap­peler les utilisateurs à mieux contrôler leurs données, et d’autre part, contraindre les plates­formes à restituer les données, à les remettre à dis­position du public. Les admi­

nistrations sont soumises à une pression analogue, sur d’autres bases : la question n’est pas les revenus qu’elles en tirent, mais le fait qu’en pratiquant une forme de rétention d’informa­tion, elles privent le public d’un bien précieux, qui lui ap­partient. Pour les promoteurs de l’open data, la production du bien commun appartient à tous, et l’État n’en a pas le mo­nopole.

● Richard Robert

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La déLicatE quEstion dEs usaGEs 1

La question de la publicité des données collectées par l’État a été posée en France dès les années 1970. La loi Cada (Com-mission d’accès aux documents administratifs) de 1978, qui a créé la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) garantit un accès à ces données et précise les condi-tions d’exercice de ces droits. Le mouvement de l’open data tente d’introduire un renversement de logique : les données et informations publiques seraient publiées en ligne par défaut – avant même d’être réclamées par des tiers.Ce passage à un mode d’ouverture par défaut est une évolu-tion culturelle forte pour la plupart des acteurs publics ou pri-vés. Le lâcher prise, caractéristique de l’innovation ouverte, n’est pas un réflexe naturel dans bon nombre d’organisations, inquiètes des usages ou plutôt des mésusages qui pourraient

être faits des données ouvertes. Ne risque-t-on pas de les dénaturer en les interprétant ? Certaines données sont com-plexes à appréhender si l’on ne connaît pas le contexte de leur utilisation première : n’est-il pas risqué de les ouvrir ainsi ? La question se pose par exemple sur des statistiques sensibles, celles de la délinquance ou de la santé : les premières de-mandent à être lues avec prudence et il est très facile de leur faire dire n’importe quoi, les secondes pourraient être utilisées par des acteurs économiques animés par l’appât du gain plus que par le souci du bien public.Mais la question se pose aussi en termes pratiques, quand il s’agit par exemple de choisir les données à ouvrir que l’on souhaite mettre à disposition des réutilisateurs. Qu’est-ce qu’une donnée « bonne à ouvrir » ? Un fichier qui comporte les

horaires de bus présente, par exemple, un fort potentiel de réutilisation et de développement de services utiles. Mais il n’est pas évident de démontrer le bénéfice démocratique de l’ouverture de telles données. À l’inverse, nombre de gouver-nements et de collectivités publient en open data des données budgétaires, un réel effort de transparence mais une réutilisa-tion peu aisée en pratique tant le sujet des finances publiques reste complexe à appréhender. On s’aperçoit ainsi que la question de la mise à disposition ouvre sur celle, autrement plus complexe, des usages.R.R.

1. L’Open Data. Comprendre l’ouverture des données publiques (FYP éditions, mars 2012), de Simon Chignard, consultant et conférencier.

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« Pour les

promoteurs de l’open

data, la production

du bien commun

appartient à tous. »

.12 LES IDÉES EN MOUVEMENT LE MENSUEL DE LA LIGUE DE L’ENSEIGNEMENT N° 208 AVRIL 2013

dOssier

éconoMiE nuMéRiquE

stimuler la création de valeurLa révolution numérique voit l’apparition de nouveaux empires. Des entreprises

géantes qui tirent profit des traces que nous laissons lors de nos différents

passages sur le Net. Dans un rapport sur la fiscalité numérique qui a fait

beaucoup de bruit, Nicolas Colin 1 propose de taxer cette contribution gratuite

tout en encourageant les entreprises qui rendent les données aux utilisateurs.

La Ligue de l’enseignement : Internet s’est défini, depuis son origine, par l’ouverture et la liberté des échanges, mais on assiste aujourd’hui à l’émergence de véritables empires, qui édifient des monopoles et en tirent des profits gigantesques. Comment comprendre leur essor ?

Nicolas Colin : Il faut saluer l’acuité stratégique de ces acteurs : ce sont souvent des découvreurs de continents sur lesquels, pre­nant pied avant les autres, ils peuvent déployer leur empire. Mais il y a aussi des effets ex­trêmes de con centration, avec une loi empirique qui semble interdire qu’il y ait deux acteurs sur un même marché. C’est un phéno­mène récent : dans les années 1990, les entreprises se copiaient les unes les autres. Aujourd’hui, l’idée de développer un concur­rent à Google ou Facebook est une vue de l’esprit. Ces entre­prises conquièrent des millions d’utilisateurs en France avant même d’y ouvrir un bureau com­mercial.

En réfléchissant à ces effets de monopoles et à la possibilité de leur dissolution, on s’approche du concept de la multitude. La mul­titude, c’est vous, c’est nous, ce sont les utilisateurs, qui se préci­pitent en essaim sur un service ou un produit, et qui peuvent s’en éloigner tout aussi vite. La multi­tude est puissante, mais elle n’est pas captive. Faire levier de la mul­titude, c’est aujourd’hui le cœur de la puissance.

Comment sont nées ces positions dominantes ?

Elles sont nées, bien souvent, de l’intelligence stratégique qu’ont eue des sociétés qui ont su capter la puissance de la multitude en remettant à sa disposition une partie des ressources qu’elles avaient développées grâce à elle. Un savoir technologique par exemple, des codes, mais aussi un accès au public… Les grands

« monopoles », comme vous dites, sont des plates­formes. Elles mettent une partie de leurs res­sources à la disposition d’acteurs plus petits dans l’espoir qu’ils dé­veloppent leurs propres applica­tions. Le design de la plate­forme organise la circulation de valeur entre les utilisateurs et mobilise leur désir de contribution, pour capter le plus possible de la puis­sance créatrice de la multitude. Tant que cet échange a lieu, le monopole prospère. Mais dès que ces entreprises cessent de jouer le jeu, la multitude détecte la tenta­tion de la fermeture et de la pré­dation, puis s’échappe et file en masse vers un autre continent, vers le coup d’après.

Dans ce nouveau monde l’in­novation est continue, et les chaînes de valeur sont constam­ment réinterrogées, reconstruites. Le nouveau monde économique est marqué par une instabilité fondamentale. Les « nouveaux empires » sont justement ceux qui se réinventent le plus habile­ment, qui proposent constam­ment de nouveaux services, de nouvelles configurations d’échan­ges. Seront­ils durables ? Ils ne seront pas seuls à en décider. La multitude, qui leur confère au­jourd’hui sa puissance, peut se détourner d’eux s’ils ne la traitent pas correctement. Et d’autres continents peuvent surgir, sur les­quels elle migrera sans regrets.

Dans le rapport sur la fiscalité numérique que vous avez rendu, avec Pierre Collin, en janvier 2013, vous allez jusqu’à parler de « travail gratuit ».

Oui : quand nous utilisons des applications en ligne, nous contribuons à créer des profits pour les entreprises qui collectent les traces numériques que nous laissons derrière nous. Et ces don­nées ne sont pas seulement invo­lontaires. Dans une transaction en ligne, par exemple, nous consa­crons du temps à saisir des chaî­

nes de caractères, mais aussi en amont à choisir ce que nous al­lons acheter. Or les entreprises tirent profit de ce travail : elles nous connaissent mieux et nous intègrent à leur fichier, mais aussi plus généralement elles ap­prennent grâce à nous à faire des liens entre des biens qu’elles pro­posent, elles mesurent l’efficacité de tel visuel, elles optimisent leur référencement, apprennent à faire des recommandations à d’autres utilisateurs. Les économistes parlent d’économie contributive, de co­création, de « wikinomie » ou encore de « digital labor » pour désigner cette contribution.

« La multitude est

puissante, mais elle n’est

pas captive. Faire levier

de la multitude, c’est

aujourd’hui le cœur

de la puissance. »Avec votre coauteur, vous proposez de la taxer ?

C’était le premier enjeu de notre rapport : analyser la chaîne de valeur pour montrer qu’une partie des profits faits par les géants du Net est issue d’une contribution des utilisateurs, ce qui implique d’une part qu’ils participent à la création de valeur, et d’autre part que cette création de valeur est en partie territoria­lisée, contrairement à ce que pré­tendent les entreprises en ques­tion. Nous proposons donc d’asseoir la fiscalité des entre­prises numériques sur la collecte de données personnelles, qui se fait d’abord au niveau local – puisque tout passe par le terminal que vous utilisez, smartphone ou ordinateur.

Mais ce qui a surtout retenu l’attention dans votre rapport, c’est l’idée d’un traitement diffé-

rencié appliqué aux entreprises qui « rendent » les données aux utilisateurs et aux autres.

C’est à nos yeux très impor­tant, car l’idée n’est pas de décou­rager l’essor de l’économie numé­rique, mais au contraire de stimuler la création de valeur. En l’occurrence, l’enjeu est d’inciter les entreprises à ne pas collecter les données sans l’expliquer aux internautes, et sans qu’ils puissent en profiter. C’est ce que nous nommons le principe de « préda­teur payeur » : l’entreprise qui adopte des comportements de prédateur de données paierait beaucoup de taxes, celle au contraire qui les remet à disposi­tion du public en paie moins.

Certaines entreprises, en effet, exercent une forme de captation exclusive des données qu’elles collectent, notamment en ména­geant des obstacles de fait à la portabilité et à la réutilisation per­sonnelles de ces données par les utilisateurs. Certains des grands acteurs du Web jouent les « pro­priétaires fermés » : ils se sont en­gagés dans une logique de con­trôle et de fermeture, même s’ils laissent aux usagers l’illusion d’une forte capacité de personna­lisation de leurs outils. Ce genre de comportement est domma­geable, non seulement aux indivi­dus, qui sont ainsi réduits à une position de consommateurs et

perdent la maîtrise réelle de leur environnement numérique, mais aussi à la société dans son en­semble, car sur la base des collec­tions de données peuvent se déve­lopper de véritables écosystèmes numériques, qui sont aussi des lieux de création de valeur : va­leur sociale, valeur économique. Ce sont les entreprises qui jouent le jeu qu’il convient d’encourager.

● propos recueillis par Richard Robert

1. Nicolas Colin est inspecteur des Finances, coauteur avec Henri Verdier de L’Âge de la multitude. Entreprendre et gouverner après la révolution numérique (Armand Colin, 2012) et avec Pierre Collin d’un rapport sur la fiscalité de l’économie numérique, remis en janvier 2013.

LES IDÉES EN MOUVEMENT LE MENSUEL DE LA LIGUE DE L’ENSEIGNEMENT N° 208 AVRIL 2013 13.

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MiLitantisME

« Le libre, c’est beaucoup plus que “gratuit ” »Logiciel libre, open data… même combat ? Jean-Christophe Becquet 1,

vice-président de l’April, association pionnière du logiciel libre en France et

dont la Ligue de l’enseignement est adhérente depuis 2007, nous éclaire sur les

enjeux de ces mouvements et fait le point sur son métier de formateur militant.

L’apRiL, pRoMouvoiR Et déFEndRE LE LoGiciEL LibREL’April est depuis 1996 un acteur majeur de la démocratisation et de la diffusion du logiciel libre et des standards ouverts au-près du grand public, des professionnels et des institutions. Constituée de personnes, d’entreprises, d’associations et d’organisations, l’association sensibilise l’opinion sur les dan-gers d’une appropriation exclusive de l’information et du savoir par des intérêts privés. Parmi les nombreuses actions de sen-sibilisation, le guide Libre association, des logiciels pour libérer votre projet associatif, qui a reçu le soutien du Crédit coopératif, a été massivement diffusé aux dirigeants du monde associatif.

La manifestation « Libre en fait » est une opération nationale qui se déroule chaque année autour du 21 mars et organisée par les associations locales souvent membres de l’April. Autre type d’opération : celle de défense. « Le logiciel libre est poten-tiellement menacé par des lois ou des mauvaises pratiques notamment en matière de marchés publics », résume Jean-Christophe Becquet. L’April développe donc des actions de lobbying à destination des élus et des institutionnels. « Candi-dats.fr » vise, à chaque élection, à sensibiliser les candidats aux enjeux du logiciel libre sur les champs qui les concernent (col-

lèges et missions d’insertion pour les conseillers généraux, ly-cées, monde associatif et développement économique pour les conseillers régionaux ou expliquer les lois problématiques aux députés). « Nous invitons les candidats à signer le Pacte du logiciel libre. Quand une loi est présentée à l’Assemblée natio-nale, nous avons plus de chance d’avoir une oreille attentive et compétente sur nos sujets. » A.I.

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Les Idées en mouvement : Vous sensibilisez à l’utilisation des logiciels libres dans le secteur de la formation. Quelles sont les réactions ?

Jean-Christophe Becquet : Si le discours est bien reçu politi­quement, le transposer en pra­tique demande un accompagne­ment dès le départ. Comme dans tout engagement militant, il faut faire preuve de persévérance. La bascule sur des outils libres remet en cause beaucoup de choses pour les formateurs, par rapport à leur investissement en termes de compétences, de capitalisation de ressources pédagogiques… Il existe également des contraintes opérationnelles où tout nous échappe. Le fait, par exemple, d’être attributaire d’un marché conseil régional en Paca, dont l’extranet ne fonctionne pas avec le navigateur Web libre Mozilla Firefox, contraint les organismes de formation à conserver un poste Windows avec Internet Explorer pour pouvoir remplir leurs obli­gations légales. Ce qui est un obs­tacle technique majeur au dé­ploiement des logiciels libres sur les postes de travail.

Quels sont les freins auxquels vous êtes confrontés ?

Le problème de fond, c’est celui de la résistance au change­ment. Les gens ont un environne­ment de travail et des habitudes. Trouver d’autres repères est un effort qu’aujourd’hui encore peu de personnes consentent à faire.

Un autre obstacle majeur est celui de la vente liée. Le fait de condi­tionner l’achat d’un ordinateur à l’utilisation d’un logiciel réduit d’autant plus la motivation du grand public. Il est difficile de trouver un ordinateur sans logi­ciel ou équipé avec des logiciels libres dans une grande surface. C’est identique pour le monde professionnel. On forme les futurs citoyens, chefs d’entreprise, élus de demain avec des logiciels pro­priétaires. Et la vente liée entre­tient cette dépendance.

Il semble y avoir aussi une confusion entre le gratuit et le libre…

Cette confusion est notam­ment entretenue par des géants de l’informatique comme Google qui propose des services accessibles gratuitement et dans lesquels les gens s’engouffrent sans regard cri­tique. Ils sont puissants, efficaces et faciles à utiliser pour une asso­ciation ou un utilisateur lambda. Mais le libre, c’est beaucoup plus que le gratuit. Premièrement, gra­tuit aujourd’hui ne veut pas dire gratuit demain. Deuxièmement, ces systèmes appartiennent à des entreprises qui ont des mono­poles sur des données, ce qui pose des problèmes de liberté, de pérennité et de partage. Prenons Googlemap, un projet cartogra­phique gratuit porté par Google. C’est la multinationale qui décide de la gratuité ou de ce qui va de­venir payant, de la réalisation ou non des mises à jour, etc. Les

données fabriquées de manière citoyenne sont d’une toute autre nature… Dans le cas d’OpenStreet­Map 2, projet de fabrication colla­borative d’une base de données géographique sous licence libre, n’importe quel citoyen peut des­siner une rue, la renommer, placer des points d’intérêt (rampes d’ac­cès pour les personnes à mobilité réduite, bornes incendie, etc.). La carte est le résultat de la somme de toutes ces contributions, sans aucune restriction d’usage.

Les enjeux de l’open data et du logiciel libre se rejoignent. Leur exploitation par des grosses entreprises peut-elle poser problème ?

L’open data est une transposi­tion des problématiques du libre, non plus au logiciel mais à la don­née. L’enjeu du logiciel libre est de manipuler, traiter et stocker libre­ment l’information. Celui de l’open data est d’y accéder libre­ment. Avec OpenStreetMap, nous sommes complètement dans les mécanismes du logiciel libre et les licences écrites spécifiquement pour les bases de données re­prennent les principes du logiciel libre. Par ailleurs, il n’y a pas de craintes à avoir concernant l’usage que pourraient faire des données les « géants ». Le caractère libre des logiciels ou des données est protégé par leur licence. Suppo­sons que Google veuille soutenir OpenStreetMap en participant à sa fabrication ; toutes ses données seraient réutilisables, et surtout

Google deviendrait un utilisateur certes puissant mais comme tout le monde. De plus, le libre évite tout monopole, comme le montre l’histoire de la suite bureautique OpenOffice. Cette dernière ap­partenait à une grosse entreprise informatique, qui a été rachetée par Oracle, un mastodonte plutôt hostile au logiciel libre. Parce qu’OpenOffice était un logiciel libre, des personnes en désaccord avec la politique d’Oracle ont re­pris le code source libre d’Open­Office et ont créé une version dé­rivée : LibreOffice. Aujourd’hui, nous avons deux logiciels libres concurrents qui évoluent chacun de leur côté.

Quels sont les enjeux de l’open data et du logiciel libre pour le monde associatif ?

Ils sont avant tout éthiques. Liberté d’expression, partage des savoirs… Il existe des enjeux com­muns et des connexions avec

d’autres causes comme l’accès aux médicaments ou aux semences tra­ditionnelles, etc. En matière d’édu­cation populaire, le libre est un vecteur d’implication citoyenne. Avec l’expérience de l’OpenStreet­Map à Digne­les­Bains, nous avons une illustration concrète de comment chacun, de sa petite place, peut contribuer à un pot commun qui sera par la suite uti­lisable à un niveau planétaire. Va­loriser la dimension collaborative mais aussi la connaissance des ci­toyens de leur territoire local, c’est bien cela l’éducation populaire.

● propos recueillis par ariane ioannides

1. Directeur d’Apitux (conseil et formation en informatique libre), Jean-Christophe Becquet exerce par ailleurs en tant que coordinateur informatique à la Ligue de l’enseignement des Alpes-de-Haute-Provence. 2. OpenStreetMap est un projet international fondé en 2004 dans le but de créer une carte libre du monde. www.openstreetmap.fr

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