11
Il y a 120 ans…. LES TROUPES DE MARINE AU MEXIQUE L es drapeaux des 1 er , 2 e , 21 e et 23 e Régiments d'Infanterie de Marine portent l'inscription : "Puebla, 1863". Les étendards des 1 er et 11 e Régiments d'Artillerie de Marine: "Mexique 1838 – 1863" ; celui du 2 e R.AMa : "Vera-Cruz, 1838". La guerre du Mexique (1862-1867) n'a pas bonne réputation dans notre Histoire : elle évoque en effet les erreurs qui ont conduit le Second Empire à l'effondrement de Sedan (1870). Mais ce n'est pas là une raison pour laisser dans l'oubli ce qu'ont accompli nos anciens il y a 145 ans et il y a 120 ans au Mexique, et qui a mérité ces inscriptions aux emblèmes sous les plis desquels nous avons eu, et un certain nombre de nos jeunes ont encore aujourd'hui, la fierté de servir. Le 17 mai 1983 marquera le 120 e anniversaire de la prise de Puebla, à laquelle participaient le colonel et un bataillon de marche du Régiment d'Infanterie de Marine mis sur pied pour cette expédition, ainsi qu'une batterie d'Artillerie de Marine. "L'Ancre d'Or" faillirait à sa mission si elle ne saisissait cette occasion de retracer une page quelque peu méconnue de l'histoire de notre Arme (1) . (L'Ancre d'Or Bazeilles n° 213 – mars avril 1983) L a France, ayant de vifs sujets de plaintes contre le Mexique (2) , et toutes ses réclamations ayant été repous- sées, envoyait en 1838 une escadre, sous les ordres de l'amiral Baudin, effectuer une démonstration sur les côtes orientales de ce pays. Un bataillon d'Artillerie de la Marine, aux ordres du chef de bataillon Collombel et fort de trois compagnies (3) de cent hommes, prit part, du mois d'août 1838 au mois de juin 1839, à cette expédition. Un détachement de cinquante hommes, commandé par le lieutenant en second Frébault (4) , assurait le service des mortiers sur les bombardes le Cyclope et le Vulcain. L'accès de Vera-Cruz, principal port du pays, était dé- fendu par le fort de Saint-Jean d'Ulloa, alors armé de 193 canons et dont la réputation était redoutable. Après un bombardement naval, le 27 novembre 1838, qui provoquait l'explosion du magasin à poudres et du parc à bombes, ce fort se rendait et était occupé par l'ar- tillerie de la Marine. Puis, !e 5 décembre, une opération de vive force était effec- tuée de nuit contre Vera-Cruz. Le commandant Collombel conduisait au centre la colonne principale d'attaque en di- rection du quartier général mexicain. Le prince de Joinville (troisième fils de roi Louis- Philippe), capitaine de corvette (5) marchait à l'avant-garde ; il déploya la plus brillante conduite, entraînant ses hom- mes dans l'hôtel du gouverneur militaire, où le général mexicain Arista fut fait prisonnier. Pendant ce temps, les colonnes latérales, constituées par les compagnies de débarquement des navires, par- couraient les remparts et mettaient hors service 80 pièces de canon. ——————————————— (1) En 1962, "Tropiques", n° 449 avait évoqué le centième anniversaire de Puebla 1862 et 1863, sous la plume du général H. Jacomy. En 1973, dans ("L'Ancre d'Or", n° 151, Pierre Gentil, au retour d'un voyage au Mexique, avait, sous le titre "Les forts de Puebla en 1973", rappelé ces com- bats de 1862 et 1863 ; (2) Le Mexique était indépendant depuis 1829, après trois siècles de domination espagnole. C'est sur le rivage de Vera-Cruz que Fernand Cortez avait abordé en 1519. (3) Les commandants d'Artillerie de la Marine ne deviendront "chef d'escadron" et les unités élémentaires de cette Arme "batterie" que plus tard, en 1860. (4) Charles. Victor Frébault (1813-1888) fera une brillante carrière : en 1854, comme chef de bataillon, il commandera le détachement de l'Artillerie de Marine en mer Baltique (cf. "L'Ancre d'Or" n" 191) ; gouverneur de la Guadeloupe en 1859, général de brigade en 1861, général de division en 1867, inspecteur général de l'Arme, sénateur. (5) Il commandait "La Créole", corvette de 24 cannons. L'ARTILLERIE DE MARINE A VERA-CRUZ EN 1838 Médaille commémorative Expédition du Mexique

LES TROUPES DE MARINE AU MEXIQUE · L' "Ardente" et la "Guerrière" sont des frégates mixtes de 1 er rang à hélice, l' "Astrée" une frégate mixte de 2 e rang à hélice ; ces

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: LES TROUPES DE MARINE AU MEXIQUE · L' "Ardente" et la "Guerrière" sont des frégates mixtes de 1 er rang à hélice, l' "Astrée" une frégate mixte de 2 e rang à hélice ; ces

Il y a 120 ans….

LES TROUPES DE MARINE AU MEXIQUE

L es drapeaux des 1er, 2e, 21e et 23e Régiments d'Infanterie de Marine portent l'inscription : "Puebla, 1863". Les étendards des 1er et 11e Régiments d'Artillerie de Marine: "Mexique 1838 – 1863" ; celui du 2e R.AMa : "Vera-Cruz, 1838". La guerre du Mexique (1862-1867) n'a pas bonne réputation dans notre Histoire : elle évoque en effet les erreurs qui ont conduit le Second Empire à l'effondrement de Sedan (1870). Mais ce n'est pas là une raison pour laisser dans l'oubli ce qu'ont accompli nos anciens il y a 145 ans et il y a 120 ans au Mexique, et qui a mérité ces inscriptions aux emblèmes sous les plis desquels nous avons eu, et un certain nombre de nos jeunes ont encore aujourd'hui, la fierté de servir. Le 17 mai 1983 marquera le 120e anniversaire de la prise de Puebla, à laquelle participaient le colonel et un bataillon de marche du Régiment d'Infanterie de Marine mis sur pied pour cette expédition, ainsi qu'une batterie d'Artillerie de Marine. "L'Ancre d'Or" faillirait à sa mission si elle ne saisissait cette occasion de retracer une page quelque peu méconnue de l'histoire de notre Arme(1). (L'Ancre d'Or Bazeilles n° 213 – mars avril 1983)

L a France, ayant de vifs sujets de plaintes contre le Mexique(2), et toutes ses réclamations ayant été repous-sées, envoyait en 1838 une escadre, sous les ordres de l'amiral Baudin, effectuer une démonstration sur les côtes orientales de ce pays.

Un bataillon d'Artillerie de la Marine, aux ordres du chef de bataillon Collombel et fort de trois compagnies(3) de cent hommes, prit part, du mois d'août 1838 au mois de juin 1839, à cette expédition.

Un détachement de cinquante hommes, commandé par le lieutenant en second Frébault(4), assurait le service des mortiers sur les bombardes le Cyclope et le Vulcain.

L'accès de Vera-Cruz, principal port du pays, était dé-fendu par le fort de Saint-Jean d'Ulloa, alors armé de 193

canons et dont la réputation était redoutable. Après un bombardement naval, le 27 novembre 1838,

qui provoquait l'explosion du magasin à poudres et du parc à bombes, ce fort se rendait et était occupé par l'ar-tillerie de la Marine.

Puis, !e 5 décembre, une opération de vive force était effec-tuée de nuit contre Vera-Cruz. Le commandant Collombel conduisait au centre la colonne principale d'attaque en di-rection du quartier général mexicain.

Le prince de Joinville (troisième fils de roi Louis-Philippe), capitaine de corvette(5) marchait à l'avant-garde ; il déploya la plus brillante conduite, entraînant ses hom-mes dans l'hôtel du gouverneur militaire, où le général mexicain Arista fut fait prisonnier.

Pendant ce temps, les colonnes latérales, constituées par les compagnies de débarquement des navires, par-couraient les remparts et mettaient hors service 80 pièces de canon.

——————————————— (1) En 1962, "Tropiques", n° 449 avait évoqué le centième anniversaire de Puebla 1862 et 1863, sous la plume du général H. Jacomy. En 1973, dans ("L'Ancre d'Or", n° 151, Pierre Gentil, au retour d'un voyage au Mexique, avait, sous le titre "Les forts de Puebla en 1973", rappelé ces com-bats de 1862 et 1863 ; (2) Le Mexique était indépendant depuis 1829, après trois siècles de domination espagnole. C'est sur le rivage de Vera-Cruz que Fernand Cortez avait abordé en 1519. (3) Les commandants d'Artillerie de la Marine ne deviendront "chef d'escadron" et les unités élémentaires de cette Arme "batterie" que plus tard, en 1860. (4) Charles. Victor Frébault (1813-1888) fera une brillante carrière : en 1854, comme chef de bataillon, il commandera le détachement de l'Artillerie de Marine en mer Baltique (cf. "L'Ancre d'Or" n" 191) ; gouverneur de la Guadeloupe en 1859, général de brigade en 1861, général de division en 1867, inspecteur général de l'Arme, sénateur. (5) Il commandait "La Créole", corvette de 24 cannons.

L'ARTILLERIE DE MARINE A VERA-CRUZ EN 1838

Médaille commémorative Expédition du Mexique

Page 2: LES TROUPES DE MARINE AU MEXIQUE · L' "Ardente" et la "Guerrière" sont des frégates mixtes de 1 er rang à hélice, l' "Astrée" une frégate mixte de 2 e rang à hélice ; ces

Le Bataillon d'Artillerie de la Marine - à la tête duquel le capitaine Allier succédait au commandant Collombel (qui, atteint de fièvre jaune, était rapatrié en France) assurait l'oc-cupation du fort de Saint-Jean d'Ulloa jusqu'à sa remise aux mexicains en avril 1839 une fois la paix conclue.

Pour ce qui nous intéresse, l'expédition du Mexique peut se diviser schématiquement en quatre phases :

1.) Le débarquement à Vera-Cruz en janvier 1862, aux or-dres du contre-amiral Julien de la Gravière, d'un corps expé-ditionnaire réduit et mis sur pied, il faut le dire, avec une certaine improvisation.

Ceci dans le cadre initial d'une intervention franco-anglo-espagnole visant à sanctionner le non-respect par le gou-vernement "libéral" de Juarez de ses obligations financiè-res envers ses créanciers étrangers.

Après un séjour pénible sous le climat extrêmement malsain de la bande côtière, nos troupes sont, en mars, implantées à Téhuacan, en zone tempérée.

2.) L'action d'un corps expéditionnaire renforcé et à la tête duquel est désormais placé un général de l'Armée de Terre, le général de Laurencez.

Les Anglais et les Espagnols se sont retirés. Le dessein de l'empereur Napo-léon III est de contrecarrer l'expansion des Etats-Unis vers la mer des Caraïbes et l'Amérique latine.

Une première tentative contre Puebla échoue faute des moyens suffisants (5 mai 1862).

Le maintien des communications avec Vera-Cruz absorbe une part importante des moyens, tant en raison du climat pernicieux des terres chaudes que du fait de la guérilla.

Nous n'avons pas trouvé au Mexique les concours es-comptés. Ralliée autour de Juarez, la population, dans sa majorité, nous est hostile.

3.) Les opérations d'un corps expéditionnaire désormais commandé par le général Forey et porté à deux divisions d'infanterie et une brigade de cavalerie - que renforcent des forces auxiliaires mexicaines.

Puebla est prise !e 17 mai 1863 après un siège éprou-vant de deux mois, et au prix également de durs combats sur la ligne de communications, pour assurer l'achemine-ment de l'artillerie, des munitions, des approvisionnements nécessaires.

Nos troupes entrent à Mexico le 7 juin.

4.) Notre occupation est élargie. Pour priver les Mexicains des ressources qu'ils reçoivent

de la mer par ce point, le port de Tampico est occupé en août 1863 (il l'avait été temporairement de novembre 1862 à janvier 1863). Le maréchal Forey est remplacé par le général Bazaine.

En fin d'année 1863, des opérations sont conduites en direction de l'ouest ; en 1864, elles se poursuivent dans le nord et le sud-ouest du pays.

D ans ce cadre brossé à grands traits, les Troupes de Marine participent aux opérations initiales et à la première tentative contre Puebla en 1862, et au siège et à la prise de cette ville -en 1863.

C'est le Régiment d'Infanterie de Marine qui. ensuite oc-cupe Tampico.

Mais, jusqu'en avril 1863, les marsouins ont aussi assumé une large part de la mission obscure et éprouvante de main-tien de la ligne d'étapes de Vera-Cruz à Orizaba, et tout particulièrement dans les terres chaudes.

Le Régiment de Marche d'Infanterie de Marine mis sur

pied pour le Mexique est tiré par moitié des 1er et 2e de l'Arme, qui fournissent chacun six compagnies : trois pro-venant de France, trois des Antilles(6).

Le régiment est commandé par le colonel Hennique,

avec le drapeau du 2e Régiment - commandant en se-cond : It-colonel Charvet.

- 1er Bataillon, chef de bataillon d'Arbaud, provenant du 1er Régiment : trois compagnies de Cherbourg, trois au-tres de la Martinique ;

- 2e Bataillon, chef de bataillon Campion, provenant du 2e Régiment : trois compagnies de Brest, trois de Guade-loupe.

Initialement, le colonel Hennique se voit confier le comman-dement d'une brigade qui, outre son régiment, com-prend :

- un bataillon de matelots-fusiliers (six compagnies), - une batterie de six pièces de 4 rayées de campagne

servies par l'Artillerie de Marine. lI s'agit de la 7e Batterie (capitaine Mallat) provenant de

la Guadeloupe. L'artillerie du corps expéditionnaire est commandée par

le chef d'escadron d'Artillerie de Marine Delsaux (venant également de Guadeloupe).

Notons dès à présent qu'en juillet 1862, le régiment du Mexique recevra une septième compagnie de chacun des deux régiments, provenant des Antilles.

L’INTERVENTION FANCAISE AU MEXIQUE

DE CHERBOURG, BREST ET LORIENT A VERA-CRUZ

----------------------------------------------------- (6) Sur l'organisation et l'implantation des Troupes de Marine à l'époque, nos lecteurs peuvent se reporter au n° 191 de "L'Ancre d'Or", p. 4 et 5 (la réorganisation de 1854-55).

Page 3: LES TROUPES DE MARINE AU MEXIQUE · L' "Ardente" et la "Guerrière" sont des frégates mixtes de 1 er rang à hélice, l' "Astrée" une frégate mixte de 2 e rang à hélice ; ces

La Martinique et la Guadeloupe enverront aussi au Mexi-que :

- deux compagnies indigènes d'ouvriers du Génie ("génie colonial") - l'une de Martinique, l'autre de Guade-loupe, commandées par le capitaine d'Artillerie de Marine Maréchal, belle figure d'officier dont nous reparlerons ;

- une compagnie franche des Antilles, formée de volon-taires créoles, aux ordres du capitaine Daubas, avec un noyau d'une douzaine de cadres et soldats de l'Infanterie de Marine.

Avant de retrouver nos anciens dans l'accomplisse-ment de leurs missions de combat, il n'est pas sans inté-rêt en 1983, à l'époque des transports en Transall ou en D.C.8 d'évoquer les conditions dans lesquelles les unités expéditionnaires rejoignaient à i'époque un théâtre d'opé-rations lointain.

L es unités d'Infanterie de Marine provenant des por-tions centrales de Cherbourg et Brest sont réparties à bord des quatres frégates :

- l' "Ardente", la "Guerrière" qui quittent Brest le 12 no-vembre 1861,

- l' "Astrée" qui quitte Lorient(7) le même jour, -le "Montezuma" qui quitte Brest le 14 novembre. L' "Ardente" et la "Guerrière" sont des frégates mixtes de

1er rang à hélice, l' "Astrée" une frégate mixte de 2e rang à hélice ; ces trois bâtiments sont armés en guerre. Le "Montezuma" frégate mixte de 1er rang à roues, est armée en transport.

Le 24 novembre, ces bâtiments sont réunis en rade de

Santa-Cruz de Ténérîffe (îles Canaries) autour du vais-seau "Masséna" qui porte le pavillon de l'amiral.

Le 25 novembre, la division navale quitte Ténérife. Les bâti-ments naviguent en route libre vers la Martinique - sauf le "Montezuma" qui doit toucher d'abord à la Guadeloupe pour y prendre les trois compagnies d'Infanterie de Marine et le personnel de la Batterie d'Artillerie de Marine.

A bord des bâtiments, qui sont surchargés, la traversée est fort inconfortable. Dans les batteries, qui sont basses et où l'état de la mer nécessite généralement de maintenir les sabords fermés, il est très sagement "interdit de respirer avec le nez". L'eau douce est strictement rationnée, les rations sont peu variées. D'autre part, le charbon devant être économisé, une grande partie de la navigation se fait à la voile.

A la Martinique, où la "Guerrière" arrive le 9 décembre,

l' "Astrée" et l' "Ardente" le 10, les unités sont mises à terre et casernées ou installées au bivouac à Fort Desaix pen-dant quelques jours. L'escadre appareille de Fort-de-France le 17 décembre, mouille le 22 en rade de Kingston (Jamaïque) et arrive le 27 à La Havane (Cuba) où rallient, le 31 décembre, le "Montezuma" qui transporte les trois com-pagnies de la Guadeloupe, et le 1er janvier, le transport "Aube"(8) qui transporte les trois compagnies de la Martini-que.

A La Havane, l'escadre avait été précédée par l'aviso

"Berthollet", dont le commandant avait notamment mis-sion d'acheter 50 chevaux et 200 mulets. En effet, à son départ de métropole, le corps expéditionnaire n'a pas été pourvu de moyens de transport ; il doit se procurer ani-maux et voitures aux escales des Antilles et une fois sur place au Mexique.

Le commandant du "Berthollet" était également chargé de faire l'acquisition à La Havane de quatre chalands ma-niables pour le débarquement des chevaux.

Le 2 janvier 1862, l'escadre quitte La Havane. Le 7 au

soir, elle mouille en rade de Sacrificios devant Vera-Cruz et le célèbre fort de Saint Jean d'Ulloa. Mais, au lieu d'agir de concert avec nous selon les termes de la convention, les Espagnols nous ont précédés de trois semaines, et ont oc-cupé le fort et la ville dés le 17 décembre.

Le débarquement de nos troupes commence le 9 jan-vier. L'Infanterie de Marine n'est mise à terre que les 11, 12 et 14 janvier, pour occuper initialement à Vera-Cruz les casernes abandonnées par les Mexicains.

A la suite d'une série de contretemps, le transport la

"Meuse", à bord duquel ont été chargés le matériel d'artillerie et les effets de campement des troupes d'Infanterie de Ma-rine, n'a appareillé de Lorient que le 29 novembre, et n'arri-vera devant Vera-Cruz que le 29 janvier.

Implanté fin janvier à La Téjéria, à 12 km de Vera-Cruz sur la ligne de chemin de fer en construction - et où le co-lonel Hennique exerce d'ailleurs le commandement depuis le 11 - le régiment est installé sous de grandes tentes amé-nagées "avec des voiles de rechange et des bouts de mâts" (sic), en attendant l'arrivée de ses effets de campe-ment – qu'il recevra enfin le 5 février.

Le 13 janvier, la 10e Compagnie avait fait partie de la co-lonne d'escorte des trois commandants alliés effectuant une reconnaissance sur Medellin.

A la 7e Batterie, dès la réception du matériel débarqué

de la "Meuse", le capitaine Mallat entreprend de mettre son unité en état d'entrer en campagne. Sa tâche n'est pas fa-cile : le personnel arrive des Antilles, le matériel vient de France, les animaux ont été achetés à La Havane et au Mexique... La Batterie quittera Vera-Cruz le 19 février pour Santa Fe puis Téjéria.

Le commandement a hâte de sortir les troupes de la bande côtière, dont le climat est terriblement éprouvant. Mais les Mexicains ayant fait le vide, on a le plus grand mal à réunir le minimum de moyens de transport indispen-sable pour ce mouvement vers l'intérieur.

Au moment d'entrer en campagne, à la date du 28 jan-

vier 1862, la situation d'effectifs est la suivante : - Régiment d'Infanterie de Marine : 47 officiers, 1 296

sous-officiers et soldats, 1 cantinière, 15 chevaux, 37 mu-lets ;

- 7e Batterie : 4 officiers, 208 sous-officiers et soldats, 29 chevaux, 154 mulets.

(Le 5 février, le Régiment d'Infanterie de Marine a 85 hom-mes à l'hôpital et à l'ambulance et 98 malades sous la tente et indisponibles).

----------------------------------------------------- (7) Les trois compagnies de Cherbourg ont été amenées à Brest par le "Bayard" (vaisseau de 3e rang à hélice), l'une d'entre elles a poursuivi jus-qu'à Lorient par le "Souffleur" (aviso de 1" rang à roues). (8) "L'Aube" faisait partie des bâtiments en provenance de Méditerranée, regroupés à Santa-Cruz, de Ténériffe avec ceux venus de Brest et Lorient. Arrivé à Fort-de-France le 14 décembre, il en était reparti le 22 avec le "Montezuma".

Page 4: LES TROUPES DE MARINE AU MEXIQUE · L' "Ardente" et la "Guerrière" sont des frégates mixtes de 1 er rang à hélice, l' "Astrée" une frégate mixte de 2 e rang à hélice ; ces

Embarquées aux Antilles le 2 juillet 1862 par le paquebot "La Floride", les deux compagnies de renfort arriveront à Vera-Cruz, le 12.

La première compagnie indigène d'ouvriers du Génie

sera acheminée fin juillet par le paquebot "Le Tampico". La compagnie de volontaires embarquera le 22 octobre

sur la frégate à voiles "La Sibylle" qui a quitté Cherbourg le 16 septembre et sera à Vera-Cruz le 9 décembre.

Le passage des Cumbres. Progressant vers Puebla, nos colonnes traversent les Cumbres d’Aculcingo, après que les troupes de Zaragoza en eurent été délogées. Le danger aérien n’existait pas encore !...

Quelques mots sur la topographie et le climat du théâtre des opérations sont indispensables.

La côte orientale du Mexique est basse, sablonneuse, bordée de lagunes, exposée au "Norte" (vent du nord) parfois très violent et à juste titre redouté des naviga-teurs.

En pénétrant vers l'intérieur du pays, on trouve successi-vement :

Les Terres Chaudes (tierras calientes), bande large de 80 km environ où pendant l'été, ou saison des pluies - de mai à septembre - règne une chaleur humide et exces-sive, qui rend cette région marécageuse extrêmement mal-saine ; c'est un terrain particulièrement propice pour la fiè-vre jaune ("vomito negro") face à laquelle la médecine d'alors est désarmée.

Sur la route vers Puebla par Orizaba, le rio Chiquihuite marque la limite des terres chaudes ; au-delà de ce cours d'eau, la route gravit en lacets serrés des hauteurs (col à 375m d'altitude) qui constituent une position militaire im-portante, donnant de larges vues vers l'est et que les Mexicains ont d'ailleurs valorisée par d'importants travaux de défense. Ce sont les derniers contreforts du pic d'Oriza-

ba (5 450 m) dont, lorsque le ciel est dégagé, la silhouette domine toute la région, et accueille d'ailleurs le navigateur abordant Vera-Cruz.

Les Terres Tempérées (terras templadas), avec deux pa-liers :

-plateau de Cordoba, d'une altitude moyenne de 900m, - plateau d'Orizaba (altitude moyenne 1 200 m). Sur la route qui relie ces deux villes, on passe de l'un à

l'autre au Cerro Cacalote, "escalier" de 300m. Ce sont là des campagnes peuplées et fertiles, avec de riches planta-tions (canne à sucre, caféiers, bananiers), de belles ha-ciendas.

Sur la route vers Puebla, les terres tempérées se termi-nent au pied des Cumbres d'Aculcingo, coupure dans la gigantesque falaise qui soutient le plateau d'Anahuac. Pour gravir les dénivelées successives des Grandes Cum-bres (650 m), puis des Petites Cumbres (150m), la route dessine une quarantaine de lacets (voir l'illustration "le passage des Cumbres").

Les Terres Froides (tierras frias), au climat plus sec, avec le plateau d'Anahuac (altitude 2 200 m) où est située Pue-bla, et qui est séparé de la cuvette de Mexico par l'énorme massif du Popocatepelt (5 439 m) et de l'Ixtacci-hualt (4 790 m).

LE THEATRE DES OPERATIONS

Page 5: LES TROUPES DE MARINE AU MEXIQUE · L' "Ardente" et la "Guerrière" sont des frégates mixtes de 1 er rang à hélice, l' "Astrée" une frégate mixte de 2 e rang à hélice ; ces

Des négociations ouvertes avec le gouvernement mexi-cain aboutissent à la convention de La Soledad (19 février 1862) qui prévoit la poursuite des conversations à Orizaba et, en attendant, autorise les troupes françaises et espa-gnoles à occuper des endroits plus salubres sur les ter-res tempérées - sous réserve de rétrograder en cas de rupture des pourparlers. Le 26 février, les troupes fran-çaises se mettent en route pour Téhuacan, petite ville à 45 lieues mexicaines (188km) de Vera-Cruz, qui - après des étapes extrêmement pénibles dans la traversée des Terres Chaudes - sera atteinte le 13 mars. Les unités y sont casernées dans d'anciens couvents abandonnés (le Régiment d'Infanterie de Marine au cou-vent del Carmen, l'artillerie au couvent de San Francis-co). En mars, arrive le nouveau commandant du corps expédi-

tionnaire, le général de Laurencez : parti de Cherbourg le 28 janvier sur l'aviso rapide "Le Forfait", il a débarqué à Vera-Cruz le 6 mars ; ayant quitté ce port le 20 mars, il arrive à Téhuacan le 26.

Il n'est pas peu surpris de la situation qu'il trouve : pour se conformer aux engagements pris, nos unités doivent rétro-grader.

Parties de Téhuacan le 1er avril, elles arrivent à Cordoba le 8. Conformément à la convention, les malades (au nom-bre de 340 avec 3 médecins et 30 infirmiers) ont été lais-sés à Orizaba au passage.

Cependant, les menaces que les Mexicains font peser sur nos malades incitent le général de Laurencez à interrom-pre le mouvement rétrograde. Et, le 20 avril, nos troupes reprennent la marche vers l'ouest.

Le colonel Hennique commande l'arrière-garde, qui com-

prend notamment son 2e Bataillon. Les Mexicains ne dé-fendent pas Orizaba qui est occupée dans la journée du 21. Le 1er Bataillon rejoint les 22, 23 et 24 avril, en assurant l'escorte de convois (400 mulets chargés de vivres, 76 voi-tures chargées de matériel et de provisions en tout genre...). Nous avons relevé ces précisions dans le journal de mar-che, pour marquer de quel poids pèse la logistique dans cette expédition, et faire mieux apprécier les moyens dont on dispose généralement aujourd'hui, en 1983, pour livrer aux troupes en opérations leurs ravitaillements.

Le 26 avril, commence la marche sur Puebla (120km). Le chef de bataillon Campion demeure à Orizaba avec

deux compagnies de son Bataillon et une section d'Artil-lerie de Marine.

Assurant ce jour-là, à l'arrière-garde, la protection du convoi (220 chariots), le Régiment d'Infanterie de Marine ne participe pas, le 28, au combat qui est livré au pas-sage des Combrés d'Aculcingo, contre les troupes du gé-néral Zaragoza. Mais la batterie d'Artillerie de Marine y est engagée. Le 5 mai 1862, le Régiment et la Batterie prennent part à l'attaque de vive force contre Puebla, seconde ville du Mexique (74 000 habitants) que Zaragoza défend avec 12000 hommes.

L'action vise la colline escarpée que coiffent le couvent for-tifié de Guadalupe et le fort de Loreto qui, à un kilomètre au nord-est, dominent la ville d'une centaine de mètres.

La 7e Batterie participe au duel d'artillerie, mais sans par-

venir à faire brèche. Sept compagnies du R.I.Ma sont enga-gées sur les pentes escarpées. Un orage tropical d'une ex-ceptionnelle violence oblige à mettre fin aux assauts. Les pertes sont lourdes : au seul R.I.Ma, 7 tués, dont 3 offi-ciers, 57 blessés dont 2 officiers, 35 disparus.

LA PREMIERE TENTATIVE CONTRE PUEBLA

Profil d’après un document publié par la revue « Revue maritime et coloniale » en 1863

Page 6: LES TROUPES DE MARINE AU MEXIQUE · L' "Ardente" et la "Guerrière" sont des frégates mixtes de 1 er rang à hélice, l' "Astrée" une frégate mixte de 2 e rang à hélice ; ces

Le général de Laurencez ayant renoncé à renouveler l'attaque sur un autre point, porte son camp le 6 mai à 3 km de Puebla et s'y maintient jusqu'au 8, espérant que les Mexicains vont accepter le combat en rase-campagne ; mais ceux-ci ont la prudence de se contenter de leur suc-cès défensif.

Le corps expéditionnaire rétrograde vers Orizaba, où il arrive le 18. (Ce jour-là, un échec est infligé à l'ennemi à la

Baranca-Secca, aux portes d'Orizaba. mais l'Infanterie et l'Artillerie de Marine ne sont pas engagées dans cette ac-tion).

Le Régiment d'Infanterie de Marine et la Batterie d'Artille-

rie de Marine doivent être implantés à Cordoba.

Déchargement de chevaux dans le port de Vera-Cruz

Attaque de vive force de Puebla, 5 mai 1862. Gravure publiée par « L’Illustration » en 1862 d’après les croquis de son envoyé spécial. L’infanterie de marine gravit les pentes escarpées qui conduisent au couvent fortifié de Guadalupe, mais l’artillerie n’est pas parvenue à faire la brèche

Page 7: LES TROUPES DE MARINE AU MEXIQUE · L' "Ardente" et la "Guerrière" sont des frégates mixtes de 1 er rang à hélice, l' "Astrée" une frégate mixte de 2 e rang à hélice ; ces

Pendant la marche sur Puebla, les guérillas adverses ont inquiété Vera-Cruz et coupé les communications entre l'Armée et ce port.

Un des premiers soins du général de Laurencez est de dégager cette ligne de communication vitale.

Le colonel Hennique, disposant de son régiment renfor-cé de différentes unités, dont notamment la 1e Batterie (moins une section), reçoit mission de déloger les Mexicains installés au Chi-quihuite, endroit le plus critique de cette ligne de communication, et d'y ré-tablir le passage.

La position de Chiqui-huite est réoccupée le 24 mai (l'ennemi laisse sur le terrain dix pièces de ca-non), les abattis sont déga-gés, les ponts de bois brû-lés par l'ennemi sont ré-parés ; le passage d'un convoi de deux cents chariots vides vers Vera-Cruz est as-suré.

Le 28 mai, le régiment gagne Cordoba, qu'il met les jours suivants en état de défense. Le 14 juin, le canon se fait entendre en direction d'Onzaba où une attaque mexicaine est brisée : la section de la 7e Batterie restée à Orizaba sous le commandement du lieute-nant Bailly et implantée à l'entrée de la ville, a contribué à ce succès (La veille, le chef d'escadron Delsaux avait été enlevé par les avant-postes ennemis ; il devait être libéré, en échange d'un officier mexicain prisonnier).

D u 18 juin au 18 juillet, le It-colonel Charvet, avec initialement le 1er Bataillon renforcé de deux compagnies, tient la position de Chiquihuite. (Le 10 juillet, le commandant d'Arbaud remontera à Orizaba avec quatre compagnies). Du 26 juin au 21 juillet, le colonel Hennique, avec une co-

lonne comprenant notamment son 2e Bataillon (réduit à qua-tre compagnies) assure l'acheminement d'un important convoi de Cordoba à Tejeria (128 chariots vides) et retour de ce point à Orizaba avec 95 chariots chargés de vivres.

Citons seulement quelques lignes du journal des mar-ches et opérations du colonel Hennique :

A l'aller : « A Rio de Piedra (,) nous reconnaissons (...) les traces ré-centes d'un convoi français incendié par les guérillas mexi-cains. Le (col. Hennique) s'empresse de faire ramasser

les débris de nos malheu-reux camarades, défaire creu-ser des fosses et de leur don-ner la sépultures". Au retour : "La terre avait été détrem-pée toute la nuit par une pluie qui ressemblait à un déluge…. "Nos voitures ne peuvent avancer avec un simple atte-lage. Il faut doubler, tripler et quadrupler, il faut même dé-charger quatorze de nos voi-tures qui se sont tellement

engagées dans la boue, qu'il est impossible de les en arra-cher...

"Que chacun sache bien à l'avenir, qu'à partir du mois de juin, les convois de voitures chargées sont impossibles... tous les convois (...) doivent se faire à dos de mulets... En faisant autrement, on s'expose à perdre ses convois. On peut même dire avec certitude que pas un convoi de cha-riots chargés n'arriverait à destination, si l'ennemi savait tirer parti des immenses difficultés que nous oppose le climat depuis le mois de juin jusqu'au mois de septembre".

Au sujet des attelages, précisons que les gros chariots

mexicains à quatre roues (d'importation américaine) dont le chargement excède parfois trois tonnes, sont normalement tirés par 8 à 10 mules, quelquefois 16 ou 24…

Notre illustration complète bien les commentaires sur les

difficultés rencontrées.

LA SECURITE DE LA LIGNE DE COMMUNICATIONS

Convoi de transport au Mexique (« L’Illustration » 1° semestre 1863). Ce dessin, restitué d’après des croquis faits sur le terrain par le correspondant spécial de cette revue, illustre bien les difficultés évoquées par le journal de marche du colonel Hennique, et le poids de la logis-tique dans cette campagne, sur lequel nous avions déjà insisté.

Page 8: LES TROUPES DE MARINE AU MEXIQUE · L' "Ardente" et la "Guerrière" sont des frégates mixtes de 1 er rang à hélice, l' "Astrée" une frégate mixte de 2 e rang à hélice ; ces

D u 19 au 28 juillet, le It-colonel Charvet et ses qua-tre compagnies protègent la réparation du pont de Rio Secco.

Le 30 juillet, le régiment se trouve regroupé à Orizaba, sauf une des compagnies arrivant des Antilles et qui a été maintenue à Vera-Cruz.

Le 18 septembre, le tt-colonel Charvet redescend d'Oriza-ba vers les terres chaudes avec le 2e Bataillon pour aller garder la position de la Soledad (passage de la rivière et dépôt de vivres). En novembre, le 2e Bataillon quitte la Soledad pour Teje-ria. Le 1er Bataillon est implanté au Chiquihuite. Le colonel Hennique doit résider à Vera-Cruz comme président du conseil de guerre.

Le 19 décembre, le 1er Bataillon quitte Chiquihuite et des-cend à la Soledad, Tejeria, Medellin.

Le 2e Bataillon, avec trois compagnies (5e, 8e 13e) embar-que à Vera-Cruz dans les derniers jours de décembre pour participer à l'occupation temporaire de Tampico ; il rentrera à Vera-Cruz le 21 janvier (deux autres compagnies sont restées dans ce port, et une autre a été implantée très temporairement à Loma de Pie-dra).

Le 17 décembre, le colonel Hennique, désigné comme commandant supérieur à Orizaba, avait dû passer le com-mandement du régiment au lt-colonel Charvet ; mais après avoir rejoint son nouveau poste, il avait obtenu du com-mandant en chef de reprendre le commandement de son régiment, avec P.C. à la Soledad, qu'il avait rejoint le 3 jan-vier.

En septembre, avait débarqué le nouveau comman-

dant en chef, le général Forey : Ayant quitté Cherbourg le 28 juillet sur le vaisseau "Turenne", il était arrivé à Vera-Cruz le 21 septembre, à Orizaba le 24 octobre ; les hautes auto-rités responsables devaient, à l'époque, s'accommoder de tels délais !

Le corps expéditionnaire compte désormais deux divi-sions d'infanterie (général Bazaine, général Douay), une bri-gade de cavalerie (général de Mirandol), une réserve d'artil-lerie, du génie, des services.

Du côté mexicain, Zaragoza, mort en septembre du ty-phus, a été remplacé par Ortega.

Avant d'entreprendre la marche sur Puebla, le général

Forey organise solidement sa ligne de communication avec Vera-Cruz.

Les postes de la Tejeria, de la Soledad, de Medellin et Alvarado, sont rattachés au commandant supérieur de Ve-ra-Cruz (un capitaine de vaisseau) - les postes plus à l'ouest étant rattachés au commandant supérieur d'Oriza-ba, et tenus par des unités de la "Guerre" : infanterie de ligne, zouaves, tirailleurs algériens... Alors que le colonel Hennique va participer avec un batail-lon de marche à l'action contre Puebla, le It-colonel Char-vet et le commandant Cam pion, avec les huit compagnies restantes du régiment, sont maintenus à la sécurité de la li-gne de communication dans les Terres Chaudes : le It-colonel à la Soledad avec quatre compagnies, le comman-dant à la Tejeria avec deux compagnies et demi, une com-pagnie à Vera-Cruz, une section à Medellin.

Les compagnies du "génie colonial" sont réparties entre la Tejeria et la Soledad ; les volontaires des Antilles le sont entre Vera-Cruz et Medellin.

Dans la mission ingrate qui incombe à ces unités, le ser-vice est fait de gardes, de "reconnaissances journalières", d' "escorte(s) de convois sur toute la ligne de Vera-Cruz à Orizaba et vice-versa". ..."es guérilleros, invisibles et insai-sissables, cachés dans les broussailles qui bordent la route, épiaient continuellement une occasion favorable pour atta-quer".

Cela, nous l'avons vu, sous un climat extrêmement

éprouvant : en saison des pluies, sol détrempé, routes et chemins transformés en cloaques, où la progression des hommes et des bêtes est extrêmement pénible ; en saison sèche, poussière qui s'accumule sur les routes, rendant la marche harassante...

Sous le climat tropical des terres chaudes, les marsouins portent le chapeau de paille.

Le 31 mars, les chantiers du chemin de fer de la Sole-dad ont été envahis et les travaux perturbés.

Relevées début avril, nos huit compagnies quitteront la Soledad le 5 et arriveront à Cordoba le 8 ayant, au passage, laissé un poste à Rio Secco.

C ertains lecteurs trouveront peut-être que ces mis-sions de routine, sans faits d'armes mémorables, ne justifient guère le développement qui leur a été donné.

Nous avons pensé au contraire que ces marsouins ano-nymes, qui ont maintenu la ligne d'étapes des Terres Chau-des mexicaines, méritaient bien que leurs peines, leurs fati-gues, leurs sacrifices, soient évoqués.

Dans toutes les campagnes il en est ainsi : pour que les

objectifs du haut-commandement soient atteints, que quel-ques unités soient à même, le jour venu, d'être engagées dans l'affaire dont l'Histoire retiendra le nom et la date, beaucoup d'autres doivent, avant, pendant et après, assu-mer avec abnégation des tâches obscures : gardes, pa-trouilles, reconnaissances, escortes de convois... qui de-mandent endurance et courage, et dans lesquelles il faut demeurer capable de déployer les mêmes qualités de com-battant... avec bien peu de chance d'avoir les honneurs du communiqué !

Pour réagir contre la tentation de routine, et maintenir

leur troupe au niveau d'entraînement et de combativité in-dispensable, il faut, aux chefs des unités auxquelles incom-bent ces missions "de secteur" peu recherchées, beaucoup de force d'âme et de désintéressement. De plus, face aux situations difficiles, le chef de petite unité agissant isolément doit être capable de trouver en lui-même les ressources né-cessaires, sans pouvoir compter sur l'effet d'entraînement et d'émulation que comporte le combat "encadré ".

C'est d'ailleurs dans l'accomplissement d'une mission d'

"ouverture de route" sur la ligne d'étapes, à mi-chemin entre Vera-Cruz et Orizaba, en un lieu où les marsouins étaient souvent passés dans des missions semblables, que la 3e Compagnie du Régiment Etranger, placée ce jour-là sous le commandement du capitaine Danjou, devait, le 30 avril 1863. se sacrifier bravement au cours du combat de Ca-maron (francisé depuis en Camerone), dont la Légion cé-lèbre chaque année le souvenir, comme nous commémo-rons nous-même le sacrifice de la Maison des dernières cartouches de Bazeilles.

Page 9: LES TROUPES DE MARINE AU MEXIQUE · L' "Ardente" et la "Guerrière" sont des frégates mixtes de 1 er rang à hélice, l' "Astrée" une frégate mixte de 2 e rang à hélice ; ces

Le fort de Guadalupe en 1863 (« L’Illustration », 1° semestre 1863). En comparant avec la vue de l’attaque du 5 mai 1862 qui illustrait le 1° partie de cette article, on peut apprécier l’impor-tance des travaux défensifs effectués dans l’intervalle par les mexicains

En déployant beaucoup de ténacité, le colonel Hennique a

obtenu de participer à la marche sur Puebla avec une partie de son régiment (que certains auraient bien vu rester en to-talité sur les Terres Chaudes pour y assurer la sécurité de la ligne d'étapes).

Un bataillon de marche est constitué aux ordres du chef de bataillon Bossant avec trois compagnies du 1er Régiment (2e, 3e, 4e), trois compagnies du 2e Régiment (9e, 25e, 28e).

Ce bataillon quitte la Tejeria le 14 lévrier avec un impor-tant convoi de mulets et un autre de 85 chariots chargés de vivres. Il passe à Orizaba le 21 et arrive à Aculcingo le 22 février.

Le bataillon de marche est intégré à la brigade du général Neigre. Il quitte Aculcingo pour moitié le 7 et pour le reste le 11 mars avec un convoi de 28 chariots chargés de muni-tions.

Le journal des marches et opérations relate que, le 14, les marsouins découvrent au loin le Popocatepelt (5 439m) cou-vert de neige.

Du 17 au 21 mars, l'Infanterie de Marine escorte les convois et protège la mise en place des parcs d'artillerie et du génie au cours de l'investissement de Puebla.

Les travaux du siège ont commencé dès le 18. Les Mexicains avaient activement mis à profit le temps

qui leur avait été laissé depuis l'année précédente : la place qui avait été sérieusement fortifiée, était tenue par une garni-son de 22 000 hommes bien approvisionnés et au moral élevé.

Sur le périmètre de la ville ont été construits des ouvrages de terre se flanquant les uns les autres.

Dans la ville même, où les rues se coupent le plus souvent à angle droit, chaque îlot de maisons rectangulaire, ou "cadre", a été aménagé en vue de sa défense. Il y avait 158 "cadres", qu'on .numérota sur les plans, pour faciliter les or-dres et les compte-rendus.

LA PRISE DE PUEBLA

"Toutes les rues sont barricadés et garnies de pièces de ca-non. Chaque maison représente une forteresse remplie de défenseurs qui ne se montrent pas et qu'il est impossible de combattre, par conséquent. Les toits des maisons, qui sont plats à la mode espagnole, sont garnis d'obusiers et de sol-dats abrités derrière des monceaux de sacs de terre...".

Le bataillon d'I.Ma participe aux travaux de tranchée de jour et de nuit, et à la garde de la tranchée.

La batterie d'A.Ma, affectée à la 2e Division, prend part aux opérations du siège avec celle-ci.

La solidité des fortifications et l'opiniâtreté des combat-

tants mexicains contraignent le commandement français à faire monter de Vera-Cruz des pièces de marine de 30 rayées, dont le poids (3 800 kg) ne facilite pas l'achemine-ment dans les conditions que nous avons évoquées plus haut.

Le 6 mai, le bataillon d'I.Ma occupe cinq "cadres" dans Puebla.

..."Le service (y) est on ne peut plus pénible et (...) dange-reux. Les hommes sont en faction jour et nuit et ne sont séparés de l'ennemi que par une muraille de maison créne-lée. L'infanterie et l'artillerie mexicaines ne discontinu (...) ent pas leurs feux".

Le 8 mai, le corps de secours de l'ancien président mexicain Comonfort a été battu à San Lorenzo à quelques kilomètres au nord de Puebla.

Le 17 mai, la place capitule après 62 jours de siège depuis l'investissement :

"Le général Onega, n'ayant plus ni vivres ni munitions, ne s'était rendu qu'après avoir fait préalablement procéder à la mise hors service des bouches à feu, à la destruction de tout l'armement, et prononcé la dissolution de l'armée."

Du 20 au 25 mai, le bataillon d'I.Ma redescend vers Ori-zaba en escortant un convoi de 3 200 prisonniers (dont 1 200 officiers environ(1).

Pendant six semaines, il est retenu à Orizaba : garde du poste de Borrego (qui surplombe la ville de 350 m) et des prisonniers, escortes de convoi, service de place...

Il ne remonte à Puebla que le 13 juillet, avec un convoi de 62 voitures d'approvisionnement et 500 prisonniers mexi-cains destinés à être envoyés à Mexico.

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - (1 ) 535 officiers mexicains seront, a Vera-Cruz, embarques sur "La Cérés" destination de la France.

Puebla, la fin du siège. Dessin du Lt-colonel Capmartin d’après un croquis fait « le 17 mai à 5h du matin au moment où l’armée assiégée brûle ses poudres et détruit son matériel avant de se rendre ».

Page 10: LES TROUPES DE MARINE AU MEXIQUE · L' "Ardente" et la "Guerrière" sont des frégates mixtes de 1 er rang à hélice, l' "Astrée" une frégate mixte de 2 e rang à hélice ; ces

Plan des attaques contre Puebla. Photographie du plan (document original) dressé par le lieutenant d’infanterie de marine Laurent, au cours du siège.

Le 7 juin, en effet, les troupes françaises étaient entrées à Mexico.

La 7° Batterie d'Artillerie de Marine y est montée, elle y restera jusqu'en octobre, puis prendra part aux opérations de la 2e Division dans l'intérieur jusqu'en mai 1864.

En juillet, une assemblée de notables a érigé le Mexique en monarchie impériale, et en a offert la couronne au prince Ferdinand-Maximilien, archiduc d'Autriche.

Le 16 juillet 1863. le colonel' Hennique et le bataillon de marche quittent Puebla.

Une nouvelle mission est confiée au régiment d'Infante-rie de Marine : le général en chef a décidé de réoccuper Tampico, pour priver l'adversaire des ressources qu'il continue à recevoir de la mer par ce port.

Regroupé à Cordoba le 23, le régiment quitte cette place le 31 juillet pour gagner Vera-Cruz en parcourant une der-nière fois la route des Terres Chaudes, où ses unités ont tant peiné et souffert depuis dix-huit mois ; il fait étape à l'Atoyac, à Paso de! Matcho, àa Palo Verde, à la Soledad, à La Pulga.

Il arrive le 6 août à Vera-Cruz, au terme d'une dernière étape effectuée en chemin de fer, et embarque aussitôt sur la frégate amirale "La Bellone", la frégate "Panama", les transports "l'Entreprenante" et "l'Eure".

En quittant Vera-Cruz, disons aussi qu'avait trouvé gîte dans cette ville, cette "faune" de civils, et également de mili-taires d'une certaine espèce, qui, au titre de l'administra-tion, des fournitures et subsistances, etc., savent si bien vi-vre aux crochets des armées en campagne ; sans en parta-ger bien sûr les fatigues et les dangers...

Pour débarquer à Tampico, le colonel Hennique dis-

pose, outre son régiment, d'un petit corps auxiliaire mexi-cain de deux compagnies (122 volontaires au total) et un escadron (79 lanceros), ainsi que de deux pièces de 4 et deux pièces de 12, servies par un détachement de 14 ca-nonniers de la Marine, en attendant l'envoi d'artilleurs de l'Armée de Terre.

Rappelons que Tampico avait été occupé temporaire-ment de novembre 1882 à janvier 1883. Nous avons vu que le commandant Campion avec trois compagnies de son bataillon y avait passé trois semaines.

Le 8 août, l'escadre du contre-amiral Bosse se présente devant l'embouchure du rio Panuco et réduit au silence un fortin qui en défend l'entrée.

Le débarquement s'opère le lendemain, protégé par le feu des avisos "Le Brandon", "Le Milan" et "La Tempête". La barre est dangereuse. Pour la franchir, les chaloupes sont remorquées par des canots à vapeur (un canot et une cha-loupe sombreront).

Suspendu à cause du mauvais temps, le débarquement re-prend le 10. Le transbordement du matériel ne pourra s'ache-ver que le 15.

Mais, dés le 11 août, le colonel Hennique a pris posses-sion de la ville.

L'ennemi n'a pas défendu celle-ci, mais il la bloque étroi-tement du côté de la terre, la privant de toute communica-tion avec l'intérieur du pays.

Une compagnie est implantée à Dona-Cecilia, une au-tre à Pueblo-Viejo, une autre à Tampico-Alto.

La Marine nous a laissé une petite goélette armée en guerre avec un équipage de cinq marins français et un chaland.

Comme il importe dans une telle situation, le colonel Hennique se donne de l'air par des colonnes mobiles. Le 18 août, une colonne de 300 hommes commandées par le chef de bataillon Bossant attaque, à Altamira, les troupes du général Meija et les disperse.

De fréquentes reconnaissances ne cessent de parcou-rir le pays environnant et de donner la chasse aux bandes de guérillas qui l'infestent. Mais le climat de Tampico est particulièrement malsain en raison des lagunes, et l'état sanitaire est désastreux.

Le 1er octobre, le maréchal Forey avait remis son comman-

dement au général Bazaine. Le 30 janvier 1864, le colonel Charvet remplace à la tête

du régiment le colonel Hennique, promu général.

LE REGIMENT D’INFANTERUE DE MARINR A TAMPICO

Page 11: LES TROUPES DE MARINE AU MEXIQUE · L' "Ardente" et la "Guerrière" sont des frégates mixtes de 1 er rang à hélice, l' "Astrée" une frégate mixte de 2 e rang à hélice ; ces

Ayant achevé son séjour au Mexique, le régiment d'Infan-terie de Marine, sous les ordres du It-colonel Bossant, em-barque (à Tampico) les 5 et 6 mars sur le transport "L'Eure". Le général Hennique rentre d'ailleurs en métro-pole par le même navire.

Le colonel Charvet doit assurer le commandement jus-qu'à l'arrivée du colonel Dupin, dont la fameuse "Contre-guérilla" relève l'Infanterie de Marine à Tampico.

Fin avril, "L'Eure" débarque à Brest 22 officiers et 269 sous-officiers et soldats du 2e R.I.Ma, puis à Cherbourg 17 officiers et 344 sous-officiers et soldats du 1er R.LMa.

Quant à la 7e Batterie, après avoir reversé son matériel, elle quitte Vera-Cruz le 12 juin à bord du transport "La Saône".

Quinze jours avant, l'empereur Maximilien avait débar-qué à Vera-Cruz et avait pris la route de Mexico vers son destin tragique.

"La Saône" sera à Brest le 22 juillet

R estent encore au Mexique les deux compagnies indigènes d'ouvriers du génie, qui sont, elles aussi, employées dans les Terres Chaudes, dont leur personnel peut sans danger supporter le climat. Mais elles n'y sont pas cantonnées dans des missions de travaux, il s'en faut. Leur chef dynamique, le commandant Maréchal, les mène dans de nombreuses opé-rations. Comme, en juillet 1864, celle du Conejo où, avec l'appui des canonnières "La Ste Barbe" et "La Tactique", une forte position mexicaine armée de plusieurs canons est enlevée.

Le commandant Maréchal deviendra commandant supé-rieur à Vera-Cruz et trouvera la mort à la tête d'une opéra-tion en mars 1865. Après la disparition de leur chef, les deux compagnies du "génie colonial" seront rapatriées aux Antilles.

La compagnie franche des Antilles est également vouée aux Terres Chaudes. En dehors de la sécurité des locali-tés du littoral : Vera-Cruz, Medellin, Alvarado, Tampico... et de leur périmètre, il faut signaler sa participation à diverses opérations, et notamment à l'expédition du Conejo de juillet 1864 mentionnée ci-dessus.

En novembre 1864, son personnel arrivant en fin de contrat, la compagnie franche rentre aux Antilles pour y être dissoute.

Sur les quelque 2715 personnels des Troupes de Marine débarqués au Mexique (en comprenant les différents ren-forts), l'Infanterie de Marine a perdu prés de sept cents hommes (dont 12 officiers) tués au feu, disparus ou morts de maladie ; l'Artillerie de Marine quarante (dont 2 officiers) ; les "sapeurs" seize (nous n'avons pas le chiffre des pertes des "volontaires").

Notre action au Mexique avait bénéficié de la paralysie rela-tive des Etats-Unis aux prises avec leur guerre civile, dite de Sécession de 1861 à 1865. Les forces françaises ne pourront cependant vaincre la résistance farouche des gué-rilleros mexicains, et devront se contenter d'occuper les vil-les, en abandonnant à ces derniers la majeure partie du territoire.

L'impopularité de cette intervention, et surtout les fortes

pressions exercées sur la France à partir de 1865 par les Etats-Unis, contraindront Napoléon III à retirer ses troupes du Mexique.

Cette retraite, achevée en mars 1867, entraînera la chute de Maximilien, qui tombera aux mains des juaristes en mai 1867 et sera fusillé par eux le 19juin 1867 à Quere-taro, encadré de deux généraux mexicains.

Cette mort et l'échec de cette expédition porteront grave-ment atteinte au prestige de la France dans le monde.

Quoi qu'il en soit advenu, les Troupes de Marine avaient, au cours de la première partie de la campagne, rempli les missions qui leur avaient été confiées, en confir-mant leurs solides qualités militaires et leur réputation de dévouement et d'abnégation.

Depuis, le général Hennique s'était vu confier, à la fin

de 1863, le poste de gouverneur de la Guyane ; il devait mourir à Cayenne en 1870.

Ses anciens subordonnés du Mexique n'étaient pas non plus restés longtemps à Brest ou à Cherbourg, car les Trou-pes de Marine sont alors engagées au Sénégal, et surtout en Cochinchine - où le Régiment de Marche d'Infanterie de Marine a été renforcé en 1863 de cinq compagnies du 1er Régiment et de dix compagnies du 2e Régiment ; le 2e a également des unités en Océanie.

Quant aux enseignements de la campagne du Mexique, ils

devaient rester longtemps méconnus. Et sans doute cela est-il dommage : les méthodes de guerre révolutionnaire et les procédés de guérilla pratiqués par les Mexicains, le jeu à leur bénéfice d'une aide étrangère importante et multiforme, les services rendus par les troupes indigènes supplétives - pour se limiter à ces quelques points - auraient sûrement mérité de retenir davantage l'attention et la réflexion de nos penseurs militaires.

A quel prix ne nous faudra-t-il pas les redécouvrir plus tard ? F.L.

Débarquement de Tampico, 9 août 1863