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Les voyelles nasales du français Author(s): André Martinet Source: La Linguistique, Vol. 1, Fasc. 2 (1965), pp. 117-122 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30248776 . Accessed: 16/06/2014 11:40 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.44.77.34 on Mon, 16 Jun 2014 11:40:29 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Les voyelles nasales du français

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Les voyelles nasales du françaisAuthor(s): André MartinetSource: La Linguistique, Vol. 1, Fasc. 2 (1965), pp. 117-122Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30248776 .

Accessed: 16/06/2014 11:40

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DISCUSSIONS

Les voyelles nasales du frangais par ANDRE' MARTINET

Dans un r6cent num6ro de la revue Lingua (13, p. 62-69), Ernest F. Haden et Edward A. Bell Jr. donnent une version l6gbrement modifiee de leur communication au IXe Congres international des linguistes de Cambridge, Massachusetts. Il s'agit d'une analyse diachronique qui se fonde sur un examen des assonances, des rimes et des graphies et qui pr6sente l'evolution en des termes familiers aux cc structuralistes ). Plusieurs points de l'expos6 soulevent des problemes gen6raux sur lesquels il parait utile de revenir.

On sait que, des les plus anciens textes po6tiques de la langue, les syllabes oi a est suivi d'une consonne nasale n'assonent pas avec celles oi a est suivi d'une autre consonne; Haden et Bell condensent cette formulation sous la forme : a + N n'assone pas avec a + C. Parallblement, e + N n'assone pas avec e + C. Un peu plus tard, a + N et e + N se rencontrent dans les m8mes laisses. On en a conclu, depuis longtemps, que a et e s'6taient, a date ancienne, nasalis6s en contact avec une consonne nasale suivante, puis, finalement, confondus dans ce contexte. Doit-on, de ce fait, postuler l'existence, des le xIIe siecle, d'un phoneme vocalique nasal ? Nos auteurs n'h6sitent pas a le faire et a attribuer a cette unite un timbre interm*diaire entre celui des deux voyelles en cause, donc [E]. Ceci implique, naturellement, que la consonne nasale qui est a la source du ph6nomane a, des cette 6poque, completement disparu. On ne nous le dit pas express6ment, mais on trouve, plus loin, des transcriptions de formes du xlIIe siecle, comme [swto] pour sente, qui indiquent que tel est bien le point de vue adopt6. On ne nous pr6sente aucun argument en faveur de cette interpr6tation des faits, inter- pr6tation qui s'6carte sensiblement des points de vue traditionnels (cf., par ex., M. K. Pope, From Latin to Modern French, AA 436-437) et qui n'est guere d'accord avec les processus de nasalisation directement observables. Doit-on supposer que, de l'avis de Haden et Bell, les assonances sont un critere infaillible en ce qui concerne l'interpr6tation phonologique d'anciens 6tats de langue ?

Supposons, ce qui n'est pas stir, que les pontes qui assonent aient 6t6 aussi exigeants, en matiire d'identit6 phonologique, que la plupart des po'tes qui riment. Ceci implique simplement qu'ils ne feront pas figurer dans la meme laisse des voyelles assonantes qui ne correspondent pas au meme phoneme, mais ne veut pas dire qu'ils feront n6cessairement assoner toutes les variantes d'un meme phoneme : en danois, oi le phoneme /a/ se r6alise comme [a] le plus souvent, mais comme un [a] tres profond lors- qu'il est en contact avec /r/, un porte qui se respecte ne fera pas rimer nat (c nuit )) [nat] avec rat cc volant

- [Cut], en d6pit de l'identit6 phonolo-

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gique des deux phonemes finals de nat et de rat. Si sente (sentat) se pro- nonqait au xIe siecle [sonto], on comprend qu'un porte se soit refus" ' faire assoner ce mot avec perdre (probablement [perdra]), meme si [(] et [e] restaient des variantes d'un m8me phoneme /E/. La rbgle, pour les pobtes qui assonaient, aurait done 6t6 que seules pouvaient assoner les realisations d'un meme phoneme, mais que toutes les r6alisations d'un meme phoneme n'assonaient pas n6cessairement.

Ce qui peut avoir influenc6 le jugement de Haden et Bell est le fait qu'i partir de la fin du xIe siecle, a + N assone avec e + N. Si done n'assonent

que les realisations d'un meme phoneme, le e et le a de la graphie, lorsqu'ils sont devant n ou m, correspondent necessairement au meme phoneme. Mais alors de quel phoneme s'agit-il ? Si l'on suppose un timbre [i], comment choisir entre /e/ et /a/ ? Il n'y a, bien entendu, pas

' choisir. Nous avons affaire a un cas de neutralisation. Haden et Bell ont fort judicieusement utilis6 le concept de neutralisation pour resumer ce qu'ils disent (p. 62) de maintien de la distinction entre trois phonemes nasaux & l'intervocalique dans hameau, anneau et agneau, et de leur ( confusion fonctionnelle ) en finale de syllabe oi [m], [n], [fi], [n] ne sont que des variantes contextuelles d'une seule et meme unit6 notre N (un archiphoneme; mais le mot, tabou, n'est pas employe). Si nos auteurs avaient identifi6 une neutralisation dans le cas de [X], ils auraient peut-8tre h6sit6 & poser si t6t un phoneme vocalique nasal en franqais.

Ii n'est pas sAr, d'ailleurs, que les assonances de e N et de a + N

permettent de conclure a une confusion phonologique. Si cette confusion avait eu lieu & la date oh le suggbrent les assonances, c'est-h-dire des le

xIe siecle, on s'6tonnerait un peu que la graphie ait conserv6 la distinction entre an et en & travers les Ages avec une fidelit6 6tymologique telle que les

exceptions, comme sans pour un plus ancien sens, suggbrent une 6volution particuliere. Une autre serie de faits amine a douter de la confusion & date ancienne : comme le rappellent Haden et Bell sans le formuler de faqon tres

satisfaisante, les voyelles nasalisees anciennement par contact avec une consonne nasale appartenant a la syllabe suivante (types a + N + e, e + N + e, par exemple) se d6nasalisent (C dbs avant le xvIe si6cle

-; des

graphies comme flamme, bonne timoignent de prononciations medievales

[fla-mo], [bi-no] oh, ulterieurement, la redondance que repr6sente la conco- mitance de la nasalit6 de la voyelle et de celle de la consonne a 6te 6limin6e par elmination de la premiere. Nos auteurs suggerent que le processus de denasalisation a pu se prolonger jusqu'au XVIIIe sibcle. Ceci n'est pas vraisemblable en ce qui concerne les usages qui 6taient & l'avant-garde du mouvement : des prononciations provinciales ou campagnardes comme

[gramer] de grammaire, lorsqu'on les voit relevees comme telles, prouvent simplement que la d6nasalisation 6tait chose bien acquise chez les bourgeois parisiens qu'amusait toute prononciation qui ne s'y conformait pas. Quoi qu'il en soit de la date du phenomene, il est patent que le produit de d6na- salisation de e + N et celui de a + N ne se sont pas confondus : dans la

prononciation traditionnelle, oh le /a/ de patte est distinct du c/! de pdte, Anne se prononce comme ine, Jeanne pr6sente la meme voyelle d'arriere, et flamme rime avec adme; au contraire, femme et couenne ont la voyelle d'avant, tout comme glaner et faner qui proviennent, eux aussi de e + N

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(anciennement glener, fener). Si la voyelle de patte et celle de pite 6taient, des la fin du xve siecle, un [a] et un [a] respectivement, on pourrait supposer qu'au moment oh elles se sont d6nasalis6es la voyelle de femme 6tait un [a] et celle de flamme un [&]. Il se peut, toutefois, que l'opposition entre patte et pdte ait 6t6 plut6t de longueur que de timbre ; dans ce cas, femme aurait

pu se prononcer [fama], d'oi [fam], et flamme [fli-ma], d'oi [fla'm].

L'hypothbse que le produit de e + N a continu6 de se distinguer de celui de a + N par la quantit6 breve du premier, longue du second a pour elle qu'on s'explique assez bien ainsi pourquoi elles entraient dans les memes assonances : les pontes appariaient les voyelles de timbre identique en faisant abstraction de la quantit6. Dans un 6tat de langue od, du fait de la chute des consonnes finales de syllabe et des allongements compensatoires qui l'accompagnaient, la quantit6 vocalique 6tait en train de prendre une

importance fonctionnelle croissante, on comprend qu'une opposition de timbre ([ ]/[(]) en voie de se r6sorber, se soit mu6e en une opposition de

longueur. On sait que, toutes choses 6gales d'ailleurs, une voyelle ouverte a une dur6e plus longue qu'une voyelle ferm6e simplement parce qu'il faut

plus de temps pour ouvrir largement la bouche que pour l'ouvrir a demi. On comprend donc que si deux phonemes vocaliques qui tendent vers le meme timbre restent distincts du fait de leur dur6e, c'est le phoneme d'arti- culation plus ouverte qui sera la longue et celui d'articulation la plus ferm6e

qui sera la brive. Dans le cas de e + N et a + N, si, comme le suggerent les faits discutes ci-dessus, la confusion n'a pas 6t6 totale, on peut penser que le produit du premier est rest6 plus bref que celui du second : sente a pu etre [sAnta] avec un [9] bref et chante

[aE'nta], puis [s'anta], avec un ['] long. La oii l'on peut observer un processus de nasalisation, comme dans le

portugais contemporain, on note que la consonne qui a d6termin6 la nasali- sation de la voyelle pr6c6dente se maintient devant une occlusive, dans un

groupe [-tnt] par exemple, tandis qu'elle disparait devant une continue, d'oh [-ens-] > [-es-]. La meme situation se constate en polonais, et c'est ce

qui explique l'anglais goose, d'un ancien *gans-, en face de land, d'un ancien *land- (all. Gans, Land). La chose se comprend ais6ment : devant l'occlu- sive [t], l'occlusion de [n] se maintient; entre voyelle et la continue [s], cette occlusion peut disparaitre par assimilation au contexte des que la voyelle pr6c6dente est suffisamment nasalis6e pour assurer les distinctions n6cessaires.

On peut done supposer qu'en frannais comme ailleurs, la consonne nasale est tomb6e beaucoup plus t6t dans les produits de e + N + s, a +N +s que dans ceux de e+ N + t, a + N + t. Si, au moment oi a eu lieu le relichement de N, e + N + s 6tait prononc6 [-ans-] et a + N + s

[-a-ns-], on peut supposer que l'allongement compensatoire accompagnant l'elimination du [-n-] a abouti i noyer la diff6rence entre le [5] de e + N + s et le [-'] de a + N + s, le r6sultat 6tant dans les deux cas [-a-s-]. C'est probablement i un tel processus que l'on doit la neutralisation qui se mani- feste, dans la graphie, par le remplacement de -en- par -an- devant les consonnes continues : a partir du XIIe et du xIIIe sibcle, on trouve sans, dans, danser, frange, au lieu des plus anciens sens ou senz, denz, dencier, frenge, ou concurremment avec eux.

Rien de tout ceci ne doit nous inciter a poser, pour le XIIIe siecle, aucun phoneme nasal : sente n'est pas autre chose que /santa/, avec une variante

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nasalis6e du phoneme /a/, et chante est /Adnte/ avec une variante nasalis6e de /d/. Quant 'frange [fr~'ie],

on l'interpr6tera comme /frdnto/, [9'] n'6tant qu'une faqon, existant peut- tre concurremment avec [('n], de r6aliser /dn/ devant consonne continue.

La confusion totale des produits de e + N + C (type sente) at de ceux de a + N + C (type chante) se produira au moment oui le groupe aboutissant dans tous les cas, avant occlusive aussi bien qu'avant continue, a une voyelle nasale sans appendice consonantique aucun, l'opposition entre voyelle breve (issue de e + N) et voyelle longue (issue de a + N) sera 6liminee, toutes les voyelles de ce type 6tant longues. L'6limination definitive de tout appendice consonantique apres voyelle nasale ([ant] > [At]) represente naturellement une limitation des latitudes articulatoires des usagers puisque, au lieu de [ant] ou [ t], on ne peut plus dire que [rt]. Aussi n'a-t-elle des chances de se produire que pour autant que le maintien de cet appendice consonantique serait susceptible d'amener une confusion avec quelque autre type phonologique de la langue : il y a des chances pour que le produit de a + N ne soit toujours phon6tiquement [5] que lorsqu'il devra rester distinct d'un groupe /an/ dans une position determinee,

' la finale par exemple. Ceci ne peut. se produire en franqais que lorsque les (c e muets ) commencent a tomber, vraisemblablement vers la fin du xve siecle. Tant que paysanne se distingue de paysan du fait de sa voyelle finale, les locuteurs pourront prononcer ce dernier comme [peizan], [peiza], [peizi] selon le contexte et I'humeur du moment; c'est ce qu'on peut observer aujourd'hui dans les prononciations meridionales. Paysanne pourra, sans inconvenient, Stre prononc6 avec une voyelle nasalisae comme paysan. Mais lorsque le -e final tend a s'amuir, paysanne s'articule d'une faqon qui se rapproche de plus en plus de [peizan], c'est-a-dire de ce qui atait une des r6alisations possibles de paysan; le maintien de la distinction r6clame done que l'limi- nation de l'6l6ment consonantique apres voyelle nasale dans paysan aille de pair avec l'6limination de -e. Comme toutefois une prononciation comme [peizan] pourrait rester, pendant longtemps, ambigua, les usagers vont tendre a mieux distinguer le f6minin [peizan] du masculin [peiza] en y 6limi- nant progressivement la nasalita de la voyelle qui n'6tait que l'anticipation de celle de la consonne : [peizin] pouvait, dans certaines circonstances, etre ambigu; [peizan] ne l'est plus; il ne peut s'agir que du f6minin. On peut done poser que la denasalisation devant consonne nasale conserv6e est allee de pair avec l'elimination de tout appendice consonantique aprbs voyelle nasale conserv6e, elimination qui a 6tabli l'existence, en franqais, de phonemes vocaliques nasaux. En r6sumb, l'6volution peut tre reconstruite comme suit, en ne retenant de paysan, paysanne, que l'6lment final :

1. epoque pr6litteraire m. /-zan/ [-zan] f. /-zana/ [-zanA] 2. ]Epoque medievale m. /-zan/ [-zan] f. /-zana/ [-zana]

3. ,poque moderne m. /-zI/ [-za] f. /-zan/ [-zan]

Ce qui a empach6 Haden et Bell de reconnattre le caractere connexe des deux ph6nomines de d6nasalisation et de phonologisation de la nasalit6

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vocalique est non seulement leur datation trop ancienne de la phonolo- gisation, mais leur refus d'accepter la chute des a e muets , finals comme un trait acquis du franqais moderne, voire m8me contemporain. A les croire (p. 68-69) e a post-tonique ) n'aurait disparu qu'en cas d'elision devant voyelle suivante. Il y a 1l une croyance, assez bien ancree chez les linguistes d'Outre-Atlantique, qui se fonde probablement sur le souci pedagogique de ne pas compliquer le travail de l'6tudiant en distinguant entre la phono- logie du frangais qu'on pretend enseigner, celui des Parisiens cultiv6s du xxe siecle, et celle, combien archalque, qui convient a la lecture des vers. Certaines analyses a structuralistes )) ont pu contribuer a donner quelque lustre a une presentation qui s'est, peut-etre, voulue pragmatique, mais qui entretient des id6es fausses sur le comportement linguistique des Fran- qais d'aujourd'hui. II faut bien se convaincre que tout emploi parl6 du franqais oui il est fait une distinction entre la finale de dolmen et celle d'amene, entre coq et coque, entre lac et laque est a considerer comme archaique ou provincial. Quiconque apprend le frangais doit, comme les Franqais eux- memes, s'accoutumer a deux systemes phoniques : celui du parler ordinaire valable dans tous les milieux, et celui auquel il faut s'astreindre pour la lecture et la r6citation des vers classiques.

Ce qui frappe, dans la tentative de Haden et Bell pour donner de l'6vo- lution de la nasalit6 en frangais un traitement plus ac moderne

-, c'est le

refus d'envisager explicitement les ph6nomenes comme se determinant les uns les autres. Leur intention semble avoir et6, non de mieux faire comprendre ce qui s'est pass6 dans la langue, du xIe au xxe siecle, en matiere de nasalit6, mais de donner, des ph6nomenes et des 6tats de fait, des formulations au gofit du jour. Ii s'agit de savoir si tel phenomene peut ou non etre catalogu6 comme une ac structuralisation n; il semblerait que l'apparition d'un pho- nbme vocalique nasal en soit une, alors qu'une d6nasalisation n'a pas droit a cette 6tiquette parce qu'elle n'aboutit pas & crier ou & supprimer une nouvelle unit6 phonologique. Ce classement n'apporte rien de plus que ce que nous savions dej&; il a le disavantage de placer dans deux cases diff6rentes la nasalisation et la denasalisation qui sont, en fait, des ph6nombnes qui se conditionnent I'un I'autre.

Ce comportement de nos auteurs est d'autant plus remarquable qu'ils ont, de toute 6vidence, parfaitement discern6 certains conditionnements. L'ordre qu'ils ont adopt6 pour la presentation des faits ne laisse souvent aucun doute a cet egard : quand on commence un expose comme le leur sur un rappel que l'ancien franqais avait neutralis6, en finale de syllabe, les oppositions entre les diverses consonnes nasales, on fait plus que suggerer au lecteur que ce fait n'est pas indifferent pour la comprehension de ce qui va suivre. Mais pourquoi ne pas ajouter express6ment que, dans ces condi- tions, la r6duction de voyelle + N a voyelle nasale pouvait se produire sans faire perdre a la langue un seul trait distinctif ? Si Haden et Bell avaient os6 expliciter, pour eux-memes et pour autrui, ces rapports qu'ils entre- voyaient, ils auraient aperqu que tous les ph6nomenes dont ils traitent ne sont qu'un aspect du processus d'6limination des 6l6ments implosifs de ]a syllabe, processus qui a gouvern6 toute l'6volution phonologique du franqais jusqu'au xvie sibcle.

Un trait remarquable du processus de nasalisation du franqais est le

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retard dans r'extension du ph6nomene aux voyelles les plus fermees : le redoublement graphique des m dans femme, flamme, pomme, le m simple de lime, plume en temoignent aujourd'hui encore. Haden et Bell relevent bien les faits qui permettent de dater les ph6nomenes, mais ne proposent nulle part une explication. Or, il vaudrait la peine de se demander pourquoi flamme a deux m et lime un seul, pourquoi les assonances peuvent faire croire a un [a] nasal dans le premier, un [i] non nasal dans le second. Doit-on

supposer que le [i] n'6tait pas nasalis6 ou que la nasalisation y 6tait moins perceptible ? Ne serait-il pas utile de rappeler que la nasalisation a pour effet de laisser s'6chapper par les fosses nasales une partie considerable de l'air expir6, partie d'autant plus considerable que l'orifice buccal est plus resserr6, et que, de ce fait, I'identification des voyelles nasales les plus

fermres ([i], [ii]) peut en souffrir ? Ceci permettrait de comprendre pourquoi [i] devant nasale, par exemple, aura pu etre, pendant longtemps, peu affect6

par la nasalisation, les usagers s'efforgant, inconsciemment bien entendu, de ne pas trop anticiper, dans ce cas, l'abaissement du voile. Ceci explique des

graphies comme fine, lime, lune, plume et la libert6 d'assoner avec les memes voyelles dans d'autres contextes. Toutefois, lorsque les (c e muets )) finals ont commenc6 a s'affaiblir, il a bien fallu maintenir la distinction entre fin et

fine, c'est-a-dire nasaliser franchement le [i] du premier. Mais, pour 6viter les

inconv6nients inh6rents a la nasalisation des voyelles fermres,

la voyelle s'est ouverte, tout d'abord, sans doute, dans la mesure oui elle pouvait le faire sans entrer en conflit avec d'autres nasales. Finalement, la tendance g I'ouverture l'a emport6 sur toute la ligne, entrainant la confusion de fin et de faim et, actuellement, de brin et de brun par impossibilit6 de maintenir l'arrondisse- ment des levres pour une ouverture maxima. Les graphies leune et pleume, dont Haden et Bell rappellent l'existence, indiquent des voyelles orales dans des formes oiL la voyelle avait commenc6 ' se denasaliser et a s'ouvrir.

Un dernier point merite qu'on s'y arrete un peu. Lorsqu'il s'agit de savoir quand ce qui 6tait une succession de deux unites distinctives est devenu un seul phoneme, ce qui est le fond du probleme abordb par Haden et Bell, le proc6d6 de la commutation n'a d'interet que pour marquer que le phoneme unique (disons /a/) est phonologiquement distinct de ce qui est, synchroniquement, une succession (/an/). Mais montrer que ce qui s'6crit an commute avec ce qui s'6crit on ne prouve pas que on corresponde a un

phoneme unique, meme s'il est prouv6 que an note Ia/. On soupqonne que l'absence, dans la terminologie usuelle aux etats-Unis, d'un terme pour d6signer les rapports entre les unites coexistant dans un mbme 6noncb a

empech6 les auteurs de poser clairement le probleme. Une stricte distinction

s'impose entre les oppositions, c'est-a-dire les rapports entre une unit6 rbellement prbsente dans l'6nonc6 et les unites qui auraient pu figurer au meme endroit, et les contrastes conqus comme les rapports entre les unit6s rbellement pr6sentes dans la chaine, celles notamment qui se pr6sentent & la suite l'une de I'autre. La confusion de e + N et a + N est l' limination d'une opposition. La coalescence de /a/ et de /n/ en /I/ est I'6limination d'un contraste. Pour poser correctement les problemes que souleve la nasalisation en franqais, il est indispensable de bien distinguer les deux types de ph6no- menes, et l'emploi de deux termes diffirents, quels qu'ils soient, pour les

designer est d'un grand secours pour parvenir & une solution satisfaisante.

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