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Les disciples d’Emmaüs (Lc 24 : 1333) Raymond Bourgault, s.j. Groupe biblique de la rue SainteMarie 11 février 1978 Avertissement, Ceci est la transcription d’une rencontre d’un groupe biblique de SaintHenri (Montréal) animé par le jésuite Raymond Bourgault (19171994). L’état actuel de l’enregistrement de cette rencontre sur cassette audio rend le tout très difficile à écouter. Aussi, avonsnous pensé en faire la transcription aussi fidèle que possible, mais en reprenant certaines tournures de phrase pour en faciliter la lecture. Luc Lepage, transcription et transfert numérique. ______________________________________________________________ Luc 24, 13 Et voici que, ce même jour, deux d'entre eux faisaient route vers un village du nom d'Emmaüs, distant de Jérusalem de 60 stades, Luc 24, 14 et ils conversaient entre eux de tout ce qui était arrivé. Luc 24, 15 Et il advint, comme ils conversaient et discutaient ensemble, que Jésus en personne s'approcha, et il faisait route avec eux; Luc 24, 16 mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Luc 24, 17 Il Leur dit: "Quels sont donc ces propos que vous échangez en marchant?" Et ils s'arrêtèrent, le visage sombre. Luc 24, 18 Prenant la parole, l'un d'eux, nommé Cléophas, lui dit: "Tu es bien le seul habitant de Jérusalem à ignorer ce qui y est arrivé ces jours-ci" -- Luc 24, 19 "Quoi donc?" Leur dit-il. Ils lui dirent: "Ce qui concerne Jésus le Nazarénien, qui s'est montré un prophète puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple, Luc 24, 20 comment nos grands prêtres et nos chefs l'ont livré pour être condamné à mort et l'ont crucifié.

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     Les  disciples  d’Emmaüs  (Lc  24  :  13-­‐33)  Raymond  Bourgault,  s.j.    Groupe  biblique  de  la  rue  Sainte-­‐Marie  11  février  1978      Avertissement,    Ceci   est   la   transcription   d’une   rencontre   d’un   groupe   biblique   de   Saint-­‐Henri   (Montréal)  animé   par   le   jésuite   Raymond   Bourgault   (1917-­‐1994).   L’état   actuel   de   l’enregistrement   de  cette  rencontre  sur  cassette  audio  rend  le  tout  très  difficile  à  écouter.  Aussi,  avons-­‐nous  pensé  en   faire   la   transcription  aussi   fidèle   que  possible,  mais   en   reprenant   certaines   tournures  de  phrase  pour  en  faciliter  la  lecture.    -­‐  Luc  Lepage,  transcription  et  transfert  numérique.    ______________________________________________________________  

Luc 24, 13 Et voici que, ce même jour, deux d'entre eux faisaient route vers un village du nom d'Emmaüs, distant de Jérusalem de 60 stades, Luc 24, 14 et ils conversaient entre eux de tout ce qui était arrivé. Luc 24, 15 Et il advint, comme ils conversaient et discutaient ensemble, que Jésus en personne s'approcha, et il faisait route avec eux; Luc 24, 16 mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.

Luc 24, 17 Il Leur dit: "Quels sont donc ces propos que vous échangez en marchant?" Et ils s'arrêtèrent, le visage sombre. Luc 24, 18 Prenant la parole, l'un d'eux, nommé Cléophas, lui dit: "Tu es bien le seul habitant de Jérusalem à ignorer ce qui y est arrivé ces jours-ci" --

Luc 24, 19 "Quoi donc?" Leur dit-il. Ils lui dirent: "Ce qui concerne Jésus le Nazarénien, qui s'est montré un prophète puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple, Luc 24, 20 comment nos grands prêtres et nos chefs l'ont livré pour être condamné à mort et l'ont crucifié.

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Luc 24, 21 Nous espérions, nous, que c'était lui qui allait délivrer Israël; mais avec tout cela, voilà le troisième jour depuis que ces choses sont arrivées!

Luc 24, 22 Quelques femmes qui sont des nôtres nous ont, il est vrai, stupéfiés. S'étant rendues de grand matin au tombeau Luc 24, 23 et n'ayant pas trouvé son corps, elles sont revenues nous dire qu'elles ont même eu la vision d'anges qui le disent vivant.

Luc 24, 24 Quelques-uns des nôtres sont allés au tombeau et ont trouvé les choses tout comme les femmes avaient dit; mais lui, ils ne l'ont pas vu! Luc 24, 25 Alors il leur dit : « O cœurs sans intelligence, lents à croire à tout ce qu'ont annoncé les Prophètes!

Luc 24, 26 Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ? »

Luc 24, 27 Et, commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait. Luc 24, 28 Quand ils furent près du village où ils se rendaient, il fit semblant d'aller plus loin. Luc 24, 29 Mais ils le pressèrent en disant: "Reste avec nous, car le soir tombe et le jour déjà touche à son terme." Il entra donc pour rester avec eux.

Luc 24, 30 Et il advint, comme il était à table avec eux, qu'il prit le pain, dit la bénédiction, puis le rompit et le leur donna. Luc 24, 31 Leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent... mais il avait disparu de devant eux.

Transcription  de  l’exposé  et  des  échanges  avec  le  groupe.       La poésie exprime toujours une expérience profonde. Une expérience qui s’est passée réellement dans une personne ou bien un groupe de personnes. Le texte qui en parle, tel que nous l’avons, a été construit. Et on peut montrer par comparaison avec d’autres textes, comment l’auteur l’a composé. Or pour rejoindre son expérience fondamentale, il faut le déconstruire. Nous faisons l’expérience de déconstruction du texte à rebours de la démarche du poète qui l’a construit. Voyez, le texte est là, il faut le déconstruire afin de rejoindre l’intuition fondamentale qui l’a suscité. Alors nous partons de la surface du texte Je vais déconstruire le texte. Il n’en restera pas grande chose à la fin. Mais peu à peu, vous verrez, on le reconstruit intérieurement et alors, on rejoint un noyau expérientiel. Un noyau d’expériences très simples mais qui est exprimé dans un langage conventionnel : en d’autres mots dans un « croyable disponible1 ».                                                                                                                1  Notion  chère  à  Paul  Ricoeur  :  la  foi  s’exprime  toujours  dans  un  croyable  disponible.  

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Alors à un certain moment et dans certains milieux, il y a certains mots qu’il faut employer. Si je veux parler de Jésus à des enfants, je ne prendrai pas la « thé-andrologie ». Ils ne comprendront rien. Ça ne sert à rien d’employer ces mots-là, même si j’ai raison. Si les théologiens ont raison d’employer ce langage-là, ils ne communiqueront pas le message. Donc, selon les groupes, j’emploierai différents termes. Nous allons voir que dans certains milieux, on pouvait employer le langage de la résurrection et dans d’autres, le langage de l’ascension pour dire la même chose. On en reparlera la prochaine fois, ce ne sont pas deux évènements différents. La résurrection et l’ascension sont en un sens des langages pour dire la même chose: il n’y a qu’un évènement. Voilà pour une introduction générale. On peut regarder premièrement qu’il y avait des traditions antérieures que Luc connaissait. Luc vient de raconter le message que les femmes avaient reçu au tombeau. Si dans l’entretien de Jésus avec les deux pèlerins, Luc fait allusion au fait que les femmes sont allées au tombeau, Luc n’a pas besoin d’avoir une machine enregistreuse pour savoir qu’il devait parler de ça. C’est lui qui introduit cette scène et il se rappelle qu’il l’avait dit. De même avant ça, dans saint Jean et puis ici aussi, il est question de deux disciples qui sont allés au tombeau. Là encore, même chose. Luc n’invente pas cela, il reçoit de la tradition. On fait allusion à Jésus en tant qu’un prophète puissant en œuvres et en paroles : c’est tout l’évangile, il n’invente rien. Même si les disciples n’ont pas dit cela comme tel, Luc pouvait le leur faire dire. Donc, il y a des éléments traditionnels que Luc réemploie pour composer un poème avec des éléments qui sont croyables pour ceux qui vont écouter. Disons que ceux qui écoutent le poème des disciples d’Emmaüs en connaissent d’autres. Ils connaissent le poème de la naissance de Jésus, de son action et puis de la visite des femmes au tombeau. Luc alors compose un récit en tenant compte de tout ça. C’est un premier point.

Deuxièmement, remarquez la suite des christologies. Au verset 19 (Luc 24,19) Ce qui concerne Jésus de Nazareth se résume à ce qu’il fut un prophète puissant en actions et en paroles. Donc, on professe Jésus comme un prophète. Ça doit être un premier acte de foi, une christologie assez ancienne. André Myre2 soutient que c’est la christologie la plus ancienne et que beaucoup de chrétiens en sont restés là. On est certains que beaucoup en sont restés là. Les Judéo-chrétiens, dont nous avons les témoignages jusqu’au IVe siècle, disaient simplement que Jésus est un prophète. Ils refusaient de dire que c’est le fils de Dieu. Ça, ils le refusaient. Donc, vous avez ici une première manière de dire ce qu’est Jésus.

                                                                                                               2  Bibliste  

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Maintenant allez plus loin au verset 26. Ne fallait-il pas que le Christ souffre pour entrer dans sa gloire. C’est une deuxième christologie. Une christologie qui suppose que l’on croit que celui qu’on attendait comme Messie, comme Christ, nous, chrétiens, nous disons : il a été Messie en souffrant. Pour nous, c’est devenu banal, mais pour les premiers chrétiens c’était assez extraordinaire. Voyez, au départ, le Messie, c’était un libérateur politique. On attendait un fils de David qui soulèverait les Juifs avec une armée et qui chasserait les Romains. Concrètement, c’est ça qu’on attendait. Les Chrétiens ont dit le Messie est, en effet, le vainqueur par excellence mais l’ennemi par excellence, c’est la mort. Si vous pouvez saisir ça, c’est un point assez important. Important, car il y a là un acte créateur de la communauté chrétienne primitive. A partir de l’attente du Messie juif, conçu comme un fils de David, libérateur du peuple juif de l’envahisseur romain, les Chrétiens ont dit : l’ennemi par excellence, ce n’est pas les Romains, c’est le péché, c’est la chair, c’est la mort, c’est le diable. Et ce dont Jésus a triomphé, c’est du péché, c’est de la chair, c’est de la mort, c’est du diable. Et il a triomphé par son obéissance, car le péché c’est la désobéissance. En obéissant Jésus triomphe de l’adversaire par excellence qui est le péché, donc de Satan qui inspire le péché et donc de la mort qui est le salaire du péché. Les Chrétiens maintenant ont réfléchi beaucoup et ils pensent que celui que les Juifs attendaient n’est pas seulement un prophète puissant en œuvres et en paroles, remarquez « un prophète » comme il y en a eu d’autres. Cette fois, on dit c’est Jésus qui a souffert qui est Messie maintenant et que c’est lui que les Chrétiens confessent. Ceci est un progrès. Cela a dû prendre quelques années à l’Église pour en arriver là. Elle n’a pas vu ça le soir de Pâques. C’est une seconde christologie.

Et puis regardez maintenant la fin du verset 34 : « C’est bien vrai, le Seigneur ressuscité et il est apparu à Simon ». Ça, c’est encore une autre christologie. Jésus est Seigneur maintenant. Or le titre de Seigneur était donné aux empereurs. L’empereur est un seigneur et un grand nombre de dieux, de Baals en Orient étaient seigneur. Les Chrétiens disent cette fois : pour nous, celui qui est seigneur, donc celui qui domine, qui doit être le maître, maître de l’Église en particulier, c’est Jésus-Christ et il est ressuscité.

Ce que veut dire ressuscité, on va en parler un peu plus tard dans une seconde

partie. Nous allons causer un bout de temps ensemble du texte et après ça je donnerai une seconde partie… Donc, ce que veut dire ressusciter n’est pas évident. Mais ce que je veux signaler pour le moment, c’est que nous avons affaire à une autre christologie. Reprenons. Jésus est un prophète, Jésus est le Messie juif, mais réinterprété comme triomphant de l’ennemi par excellence qui est la mort et troisièmement il est Seigneur. Or le terme Seigneur n’est par rien qu’un nom de Jésus, c’est un attribut, Jésus est Seigneur. Et il est Seigneur parce qu’il a triomphé de la mort. Vous rappelez

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vous du texte de Ph 2, 6-11. Vous le connaissez par cœur. Est-ce qu’on pourrait le relire tout de même, ce n’est pas mauvais.

Philippiens 2, 6 Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Philippiens 2, 7 Mais il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes. S'étant comporté comme un homme, Philippiens 2, 8 il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix! Philippiens 2, 9 Aussi Dieu l'a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, Philippiens 2, 10 pour que tout, au nom de Jésus, s'agenouille, au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers, Philippiens 2, 11 et que toute langue proclame, de Jésus Christ, qu'il est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père. Regardez le verset 8 : « il s’est abaissé devenant obéissant jusqu’à la mort » En devenant obéissant, il triomphe du péché, en obéissant jusqu’à la mort et la mort sur la croix (v.8). C’est pourquoi, Dieu l’a souverainement élevé (v.9) – remarquez le terme : « élevé », nous en reparlerons à propos de l’Ascension.

Il lui a conféré le nom qui est au-dessus de tout nom (v.9). Le nom de Seigneur c’est le nom de Yahvé. Donc, Dieu lui a conféré au ciel le nom de Seigneur, son propre nom. Le nom de Yahvé, se dit en grec kyrios, traduit en Français cela donne: Seigneur. Donc Yahvé lui donne son propre nom. Évidemment, c’est un acte de foi que l’Église fait. L’Église considère que Jésus est Seigneur, c’est Yahvé parmi nous. C’est le sauveur d’Israël parmi nous. Cela est un acte de foi qui va plus loin que ce qui précède. Donc Jésus n’est pas seulement un prophète, non seulement un messie souffrant mais maintenant le Seigneur de l’Église, le Seigneur du monde. Alors il y a un progrès d’une christologie à l’autre. Ceci a du se faire au cours de la vie de l’Église et ça a du prendre un certain nombre d’années. Donc, vous voyez, c’est construit Gr : … Le titre de Seigneur lui est attribué parce il a triomphé de la mort? RB : … Non, c’est celui à qui les hommes doivent obéissance parce qu’il est Seigneur. C’est celui, qui une fois qu’il a traversé la mort, ne reste pas au ciel. Remarquez qu’il aurait bien pu traverser la mort et rester tout seul au ciel. Dans la mythologie grecque, par exemple, il y a énormément de héros comme ça qui montent au ciel et on s’en occupe plus. Mais pour les Chrétiens, Jésus n’est pas qu’au ciel ; il est sur terre. Ce sera plus facile plus tard quand je parlerai de l’ascension. Cette intuition va plus loin encore. Allez voir Ph 2,10 : « pour que tout, au nom de Jésus, s’agenouille, au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers ». Donc que tout le monde lui soit soumis. Ça va jusque-là?

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Jésus est maintenant le Seigneur ressuscité agissant en ce monde. Ce n’est pas le cas de quelqu’un simplement exalté. Ça va devenir plus clair plus tard. Alors voilà pour le troisièmement. Maintenant, on va aller lire le chapitre 8 des Actes de Apôtres, versets 26-40. Pour commencer je vais simplement relever, les détails. Je les relève en lisant le texte et je vais donner une conclusion.

Actes 8, 26 L'Ange du Seigneur s'adressa à Philippe et lui dit: "Pars et va-t'en, à l'heure de midi, sur la route qui descend de Jérusalem à Gaza; elle est déserte." Actes 8, 27 Il partit donc et s'y rendit. Justement un Ethiopien, un eunuque, haut fonctionnaire de Candace, reine d'Éthiopie, et surintendant de tous ses trésors, qui était venu en pèlerinage à Jérusalem, Actes 8, 28 s'en retournait, assis sur son char, en lisant le prophète Isaïe. Actes 8, 29 L'Esprit dit à Philippe: "Avance et rattrape ce char." Actes 8, 30 Philippe y courut, et il entendit que l'eunuque lisait le prophète Isaïe. Il lui demanda: "Comprends-tu donc ce que tu lis" -- Actes 8, 31 "Et comment le pourrais-je, dit-il, si personne ne me guide?" Et il invita Philippe à monter et à s'asseoir près de lui. Actes 8, 32 Le passage de l'Écriture qu'il lisait était le suivant: Comme une brebis il a été conduit à la boucherie; comme un agneau muet devant celui qui le tond, ainsi il n'ouvre pas la bouche. Actes 8, 33 Dans son abaissement la justice lui a été́ déniée. Sa postérité́, qui la racontera? Car sa vie est retranchée de la terre. Actes 8, 34 S'adressant à Philippe, l'eunuque lui dit: "Je t'en prie, de qui le prophète dit-il cela? De lui-même ou de quelqu'un d'autre?" Actes 8, 35 Philippe prit alors la parole et, partant de ce texte de l'Écriture, lui annonça la Bonne Nouvelle de Jésus. Actes 8, 36 Chemin faisant, ils arrivèrent à un point d'eau, et l'eunuque dit: "Voici de l'eau. Qu'est-ce qui empêche que je sois baptisé?" Actes 8, 38 Et il fit arrêter le char. Ils descendirent tous deux dans l'eau, Philippe avec l'eunuque, et il le baptisa.

Actes 8, 39 Mais, quand ils furent remontés de l'eau, l'Esprit du Seigneur enleva Philippe et l'eunuque ne le vit plus. Et il poursuivit son chemin tout joyeux. Actes 8, 40 Quant à Philippe, il se trouva à Azot. Continuant sa route, il annonçait la Bonne Nouvelle dans toutes les villes qu'il traversait, jusqu'à ce qu'il arrivât à Césarée.

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« L’ange du Seigneur s’adressa à Philippe et lui dit : tu vas te rendre vers midi, le Néguev, sur la route qui descend de Jérusalem à Gaza. Et Philippe partit aussitôt. Or un eunuque éthiopien, haut-fonctionnaire de Candace la reine d’Éthiopie et administrateur général de son trésor qui était allé à Jérusalem en pèlerinage, retournait chez lui. Donc, il est sur la route et il retourne chez lui comme les disciples d’Emmaüs retournaient chez eux. Assis dans son char, il lisait le prophète Isaïe, comme des gens discutent entre eux d’Écritures. L’Esprit dit à Philippe avance et rejoint ce char. Comme Jésus rejoint les disciples d’Emmaüs. Philippe y courut et entendit l’eunuque qui lisait le prophète Isaïe et lui-dit : est-ce que tu comprend vraiment ce que tu lis? Dans le récit d’Emmaüs : Jésus demande : « De quoi parliez-vous en chemin? Une question là aussi. Et comment le pourrais-je, répondit-il, si je n’ai pas de guide. Il invita Philippe à monter s’asseoir près de lui. C’était ce passage de l’Écriture qu’il était en train de lire: « comme une brebis que l’on conduit pour l’égorger, comme un agneau muet devant celui qui le tond, c’est ainsi qu’il n’ouvre pas la bouche, par son abaissement s’est trouvé enlevé sans jugement. Sa postérité qui le racontera puisque sa vie fut enlevée (Isaïe, 53). S’adressant à Philippe, l’eunuque lui dit : je t’en prie, de qui le prophète parle-t-il ici? De lui-même ou de quelqu’un d’autre? Philippe ouvre alors la bouche et partant de ce texte il lui annonça la Bonne Nouvelle de Jésus. Poursuivant leur chemin, ils tombèrent sur un point d’eau. L’eunuque lui dit : voici un point d’eau, qu’est-ce qui empêche que je reçoive le baptême? Il donna l’ordre d’arrêter son char. Tous les deux descendirent dans l’eau et Philippe le baptisa. Quand ils furent sortis de l’eau, l’Esprit du Seigneur emporta Philippe et l’eunuque ne le vit plus. Mais il poursuivit son chemin dans la joie. Dans Luc 24,31, Jésus disparait tandis que Philippe est emporté. Philippe s’en va ailleurs et les disciples d’Emmaüs eux-aussi s’en retournent à Jérusalem. Comme c’est Luc qui a composé les Actes, mais aussi l’Évangile, il y a en effet bien des chances qu’il ait composé les deux, on voit les parallèles.

Or qu’est-ce que Philippe dans ce récit? Philippe est sans doute un missionnaire itinérant et sur la route il évangélisait en communiquant la Bonne Nouvelle que le Messie c’est Jésus et qu’il est devenu Seigneur. On peut voir dans le personnage de Philippe le missionnaire par excellence des Hellénistes. En quelque sorte le prototype des missionnaires chrétiens hellénistes. Or, les Hellénistes s’opposaient aux Hébreux. Les Hébreux, vous rappelez-vous, voulaient simplement attendre le pèlerinage des peuples à Jérusalem. On a parlé de ça déjà. Tandis que les Hellénistes, eux, vont sur la route pour communiquer l’Évangile aux Samaritains et aux Gentils, ainsi qu’aux Grecs. Alors dans la tradition, on ne va pas parler de tous ces missionnaires, il y en a trop. On ne va pas tous les énumérer. On va parler d’un seul pour les représenter et on parle de Philippe. C’est le missionnaire type. Voyez que ce n’est pas de l’histoire. On prend un

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missionnaire et on ne parle que de lui… il y en avait surement bien d’autres, obscurs, mais ici on parle seulement de Philippe.

Mais là, la réflexion continue. On se dit, quand Philippe prêchait, est-ce lui qui

parlait? « Qui vous écoute, m’écoute » (Lc 10,16). Alors on pouvait fort bien mettre Jésus en scène comme missionnaire par excellence. C’est ce que saint Luc a fait. Jésus est le missionnaire par excellence dans le récit des disciples d’Emmaüs. Donc Luc invente ce trait pour fonder la mission, la mission de Philippe. Quand Philippe parle, les Chrétiens disent : ce n’est pas Philippe qui parle, c’est Jésus qui parle. Luc ici invente mais pour communiquer une vérité. Car c’est vrai, on le sait par ailleurs, quand nous parlons pour communiquer la doctrine, c’est Jésus en fin de compte qui parle. Alors, au lieu d’en faire simplement une vérité abstraite, saint Luc invente une petite scène, un poème. Et-ce que Philippe est disparu comme ça? Non, encore une fois, c’est un langage. L’Esprit le pousse ailleurs. Comme on voit dans les missions de saint Paul. Saint Paul veut aller quelque part et l’Esprit le pousse à partir. Or, qu’est-ce que l’Esprit. L’Esprit c’est la prophétie. C’est un prophète dans une communauté qui a du dire à Philippe : vas t’en ailleurs, vas t’en dans une nouvelle direction. C’est un récit exemplaire et non pas un récit historique. Vous voyez que historiquement, ça ne s’est pas passé comme ça.

Cinquièmement, Moïse et les prophètes. On l’avait vu à St-Hyppolite. Je vous avais expliqué tous les passages où Jésus est expliqué par Moïse et tous les prophètes: « Il a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes. »

Luc 24, 44 Puis il leur dit: "Telles sont bien les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous: il faut que s'accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes."

Je vous avais référé alors au plan de la Bible hébraïque. Si vous allez voir au début de la Bible de Jérusalem, il y a le plan de la Bible hébraïque où vous avez la Loi, les Prophètes et les Écrits et le premier ce sont les Psaumes. Alors quand on dit que Jésus leur explique cela. Vous rappelez vous ce que ça veut dire. A la synagogue, il y avait un « céder », une section du Pentateuque qui était lu. Après cela, il y avait un rabbin qui se levait et qui commentait le céder (une section de la Loi)3 par une « hapkhtarah », un texte d’un prophète. Et après ça, on chante un psaume, un « mizmo ».

                                                                                                               3  On  compte  150  céders.  

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Alors vous voyez ce qui se passe ici, ce n’est pas Jésus sur la route d’Emmaüs qui a repassé toute la Loi et les Prophètes, ce sont les premiers Chrétiens qui vont régulièrement à la synagogue, qui entendent lire la Loi et qui disent, ça se réalise en Jésus. Ils entendent le rabbin expliqué le bien et le mal, la Torah, les Prophètes et les Psaumes et qui disent, pour nous, ça éclaire qui est Jésus. Jésus n’a pas traversé toute la Loi, toute l’Écriture, ce sont les Chrétiens d’année en année qui, allant à la synagogue, interprétaient toute l’Écriture à la lumière de Jésus. Et puis, il y a une petite allusion discrète mais très intéressante. : « Leur yeux étaient empêchés de le voir » (Luc 24, 16). Comme Adam et Ève au paradis, qui sont tentés par le diable, le diable leur dit : vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des Élohim, des anges dans le ciel (Gn 3,5). Or, avec Jésus, le nouveau paradis est créé lorsque vraiment on peut voir, ce qui est à voir. Ce que les anges voient dans le ciel c’est Jésus, c’est Dieu. Et le Seigneur se promène avec eux dans le jardin à la brise du jour (Gn 3,8), et il mange avec eux, c’est de nouveau pareil. Maintenant, j’ai noté quelques points. J’ai appelé ça dramatisation. Quels sont ces propos que vous échangés en marchant? Alors, ils s’arrêtent, l’air sombre et l’un deux, nommé Cléophas lui répondit : « tu es bien le seul a séjourner à Jérusalem qui n’ait pas appris ce qui s’est passé ces jours-ci » (Luc 24,17-18). C’est une mise en scène ça. Même, s’il n’est pas au courant, comme tel, de ce qui s’est passé, il compose un petit poème. Donc, ici ou là l’auteur introduit des choses comme celle-là. Verset 25 la même chose « Esprit sans intelligence, cœur lent à croire, tout ce qu’ils ont déclaré les prophètes » : de nouveau mise en scène pour que le récit se tienne bien. Verset 28 : « ils approchèrent du village où ils allaient, il fit mine d’aller plus loin » : c’est de la mise en scène. Au verset 32 : même chose, une réflexion est mise dans leur bouche et qui est très belle d’ailleurs: « notre cœur ne brûlait-il pas en nous alors qu’il nous parlait en chemin, il nous ouvrait les Écritures ». Et puis, au verset 30, la fraction du pain et la reconnaissance. On est tenté d’interpréter ce passage par l’Eucharistie. « Quand il se mit à table avec eux, il prit le pain, prononça la bénédiction, le rompit et le leur donna ». Sur cette fraction du pain que l’ont trouve dans les Actes des Apôtres, ça été beaucoup débattu. L’accord n’est pas fait parmi les spécialistes et on ne sait pas si elle le sera jamais, mais beaucoup pensent qu’il ne s’agit pas de l’Eucharistie. Pour ma part, ça me paraît invraisemblable, que Jésus ait célébré l’Eucharistie, que lui-même l’ait célébrée. … questions du groupe … (inaudible).

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RB : Je ne vais pas entrer dès maintenant dans le débat. Puisque j’achève, je vais compléter et on pourra revenir là-dessus. On peut distinguer, je pense, la fraction du pain de l’Eucharistie parce que c’est un terme technique pour dire le geste que le président du repas faisait au début du repas juif. On commençait par la fraction du pain et on prononçait une bénédiction. Ce que nous avons repris du rituel juif. Quant au passage : Ils l’ont reconnu à la fraction du pain. Il est possible de penser qu’ils ne l’ont pas reconnu parce qu’ils ont reconnu les gestes qu’il avait faits, mais plutôt parce que lorsqu’ils étaient dans des assemblées, ils ont reconnu, que Jésus était là au milieu d’eux. Ils ont compris que c’est dans l’assemblée chrétienne que Jésus est là. Mais ils ne l’ont pas vu. Ils ont compris que ce n’est pas au temple ou ailleurs dans un lieu particulier qu’ils rencontrent Jésus. Ainsi les Hellénistes ne vont plus au temple déjà mais ils ont compris que c’est dans leurs assemblées, où ils rompaient le pain ensemble, et qu’ils partageaient leurs biens, que Jésus était là. Ça va sur ce point? C’est au départ au moment du repas ordinaire, le repas juif ordinaire que les Chrétiens, trouvent Jésus et non pas dans le temple ou dans un autre endroit spécial. Ils le trouvaient partout dans leur vie quotidienne. Quand ils rompent le pain fraternellement ensemble, dans l’unité, ils ont un seul cœur, une seule âme, Jésus est parmi eux et ils le reconnaissent en acte de foi : c’est bien là qu’il est maintenant. Dieu n’est pas dans un endroit mais partout. Là où des gens vivent la charité. Et puis un avant-dernier point : le noyau historique. On peut très bien admettre qu’il y a eu un point de départ historique. A savoir que Cléophas demeurait à Emmaüs et qu’il a été peiné de ce qui s’était passé à Jérusalem. Après la Pâque il s’en va chez lui découragé et il discute en chemin avec un compagnon. C’est très vraisemblable que des tas de gens ont fait cela. Et ils ont eu une intuition : mon Dieu, ça se peut pas qu’il soit mort celui-là. Et depuis, quelques jours se sont passés. Après trois jours, telle que le veut la mentalité de l’époque, il n’y avait plus grande chance que l’âme, qui est censée roder encore autour du cadavre, revienne. Donc, puisque ça fait trois jours maintenant, s’il avait pu ressusciter, il serait déjà revenu. Or là, ça fait trois jours, c’est donc que c’est foutu. Il ne reviendra pas. Alors les gens se disaient : ça se peut pas qu’il soit mort et il va revenir. C’est le genre d’intuition que plusieurs ont du avoir à un certain moment. Moi, je suis convaincu que c’est comme ça que l’Église a commencé. Par la certitude que dans un cas comme celui-là, ça ne se pouvait pas que Dieu ait laissé une personne comme ça, aller dans l’Hadès pourrir, se corrompre et disparaître entièrement. « Ça se peut pas! Il vit encore! » C’est à partir de là que va se faire une théologie. Ça va?

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Avant de vous parler du dernier point, à savoir qu’est-ce-que la résurrection, ou encore, qu’est ce qu’un récit de résurrection, j’aimerais qu’on cause un peu, pour voir si ce que je viens de dire est clair. Et on passera à autre chose après. Est-ce qu’il y a moyen d’échanger d’abord là-dessus? GR … commentaires du groupe. Vous voyez ce que c’est que la déconstruction? C’est l’acte par lequel on rejoint le noyau et quand on l’a rejoint, là on peut contempler dans le silence. C’est comme ça que je vois la prière. La prière qui me convient à moi, c’est ça. Je ne sais pas si elle vous convient à vous. D’autres, au contraire, veulent s’exprimer dans des assemblées. De temps en temps on peut faire cela. Pour moi la prière contemplative c’est, partant du texte, on nettoie les aspects secondaires, et on rejoint le message fondamental. A savoir que ce qui est arrivé à Jésus mérite d’être communiqué. Quand c’est communiqué, ça épanouie le cœur, ça donne le sens de l’histoire, ça fait comprendre ce qu’est l’homme en profondeur et où j’adhère à son silence (Mc 15,5). Là, on prend tout le temps nécessaire, on peut ne pas parler du tout. C’est ce qu’on appelle la prière silencieuse. En anglais « prayer for silence » : Le silence habité par la prière. Mais c’est un silence. Moi je trouve que c’est la prière la plus profonde. Voyez à quoi tend notre démarche4. Si on ne fait que la déconstruction du texte, on va dire : il n’y a rien de vrai là-dedans. Et évidemment je manque le travail de la contemplation. La contemplation vise à un moment très dense. Mais pour ça, il faut se servir de la critique. Rappelez-vous ce que je vous disais à propos de Ricoeur. Je pars de la première naïveté, je traverse la critique et j’essaie de viser la seconde naïveté. Là, j’accueil le texte comme un enfant. A savoir que Jésus est vivant, il a traversé la mort et ça mérite d’être dit pour épanouir les gens et faire bruler le cœur des gens. C’est simple, c’est très simple. Le reste est secondaire. GR : … réaction du groupe … RB : Alors le noyau historique peut être cela : l’expérience de Cléophas, mais je peux prendre comme noyau aussi la réalité de ce qui arrive avec Jésus lui-même. Ça aussi c’est un noyau, à savoir que Jésus est vivant et dans l’échange que Cléophas a avec son compagnon, Jésus est présent et se dit lui-même. Ça aussi, ça fait partie du noyau. Lorsque nous parlons de Jésus comme étant vivant, ce n’est pas nous qui disons ce que nous disons. C’est une voix autre, c’est Jésus lui-même, c’est Jésus qui se révèle lui-même dans l’échange de foi, à travers notre recherche.

                                                                                                               4  Ce  que  Raymond  Bourgault  appellera  plus  tard  la  «  mystagogie  »  :  la  conduite  des  mystes  vers  le  mystère.  Ou  encore  :  une  appropriation-­‐priante-­‐désappropriante.    

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Gr : … et les paroles que je vous disais quand j’étais encore avec vous ? … (Luc 24,44) RB : Le poète lui fait dire cela. Il n’y a peut-être rien d’historique là-dedans, GR : … c’est la voix du poète? Celui qui l’écrit lui fait dire cela? RB : C’est ça. Personne ne lui a révélé que c’était comme ça que ça s’était passé. Gr : ... c’est vraiment en communauté qu’ils ont eu une inspiration? Comme nous? RB : Je pense oui que c’est de plus en plus nécessaire qu’on soit en communauté. La contemplation personnelle doit être le fruit de l’échange. La foi se communique par le groupe en communauté. On n’a pas la foi, seul. Et je pense qu’il faut chercher ensemble. On en a discuté entre nous5, il y en a qui voulait qu’on ait une prière ensemble mais d’autres disaient non, il faut que nous trouvions ensemble le langage qui nous convient : il faut trouver un langage commun. Et puisqu’on parlait de résurrection, qu’est-ce qu’on entend par résurrection? Qu’est que nous entendons par là? Jean-Louis6, mon confrère, nous a mis sur cette piste là. N’y-a-il pas qu’à y croire naïvement? D’autres disaient non, il faut qu’on s’entende sur ce qu’on veut dire par cela. Est-ce que ça veut dire qu’il y a un corps, que Jésus a un corps ? – ce dont on va parler tout à l’heure – il faut qu’on s’entende. On va prier ensemble facilement, si on réussit à trouver un langage commun. Alors est-ce que là vous avez assez bien compris le genre d’analyse que nous faisons? Gr : … il y des parties sur la christologie qui ne sont pas claires … RB : Ce que je veux faire comprendre c’est qu’il y a une succession de christologies. Alors pendant, mettons x années, disons deux trois ans, un bon nombre de chrétiens, de ceux qui croyaient en Jésus, ont dit c’est un grand prophète, incontestablement un prophète. Et un prophète qui va libérer son peuple. Il est mort mais il va revenir. On ne sait pas comment, mais il va revenir avec puissance sur les nuées du ciel. Point. On ne pense pas à sa mort plus que ça, on ne dit pas que sa mort est rédemptrice, on ne dit pas qu’il va sauver tous les hommes, on dit simplement que c’est un prophète. Gr : … pourquoi dit-on qu’il va revenir alors?

                                                                                                               5  Allusion  au  petit  groupe  de  Jésuites  de  Saint-­‐Henri  où  habitait  Raymond  Bourgault.  6  Jean-­‐Louis  Vézina,  s.j.  

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RB : Ah, on pense à ce moment-là qu’il est comme Élie, et comme Élie était revenu, on disait que Jésus allait revenir. Comme tu vois, ça c’est une christologie, c’est un langage. Mais au départ, ils ont dit c’est juste un prophète. Point. D’autres, pour des raisons intérieures personnelles, sont beaucoup plus sensibles à l’injustice du procès qu’il lui a été intenté et sa mort. Ceux-là se disent : ça n’a pas de sens qu’un homme comme ça ait été tué. Alors, ils se mettent à réfléchir et vont lire des textes différents de ceux qui disaient que c’était un prophète. Ils vont lire le texte d’Isaïe 53 et d’autres, le texte du Ps 22 où David dit pourquoi m’as-tu abandonné? Vous comprenez, ils voient Jésus autrement que les premiers. Ils retiennent de Jésus autre chose que ses miracles, autre chose que ses paroles, autre chose que sa critique des Pharisiens et des Sadducéens, ils retiennent sa mort. Ils disent alors, ne fallait-t-il pas que le Christ souffre? Pour certains, c’était ça le Christ. Ce n’était pas le David libérateur du peuple, c’était celui qui avait triomphé de la mort. Et pour ça, il fallait qu’il passe par la mort. C’était leur christologie à eux… Bon, ça aurait pu en rester là. Le Christ alors a souffert, ensuite il est rendu au ciel, puis il est heureux là-bas. Mais les Chrétiens ont dit non ce n’est pas encore ça.

Si vous êtes patientes, je vais passer à la notion de corps. Vous allez voir c’est assez simple.

Je vous recommanderais le livre de J.A.T. Robinson.7 Je ne vous résumerai pas

tout le livre, mais je vais essayer de vous donner quelques intuitions fondamentales pour comprendre et anticiper, ce que nous allons voir plus tard à propos de l’exaltation, de l’élévation de Jésus. Il ne faut pas penser le corps avec nos catégories grecques du corps et de l’âme. Chez les Hébreux, il n’y a pas la notion aristotélicienne, d’Aristote, du corps et de l’âme, d’une âme qui anime un corps. On a plutôt la notion d’esprit et de chair. Vous connaissez ça déjà. L’esprit c’est la force, l’esprit c’est ce qui est divin. La chair, ça veut dire la viande, c’est sanguinolent, c’est mort. Alors, ça ne vit pas tout seul la viande. Alors pour que la viande, pour que la chair soit vivante, il faut que l’esprit l’anime. Mais quand l’esprit anime la chair, ça devient le corps dans le langage de saint Paul. Alors qu’est-ce que c’est que le corps. Le corps c’est ce par quoi un être spirituel se fait être au monde. Ce n’est pas exprimé comme ça dans la Bible mais c’est le sens. Alors, je peux faire mon corps. Nous avons l’expérience de ça. Je peux le laisser aller et je peux le soigner. On peut faire des exercices et finir par être capable, comme ces Chinois de contorsionner leur corps de façon extraordinaire dans des numéros de cirque. Ces

                                                                                                               7  John Arthur Thomas. Robinson. Honest To God, 1952, en français Dieu sans Dieu, aux Éditions du Chalet.  

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artistes se sont exercés pendant 20 ans pour y arriver. Donc, ils se font être dans leur corps d’une certaine manière. Le corps c’est ce par quoi je me fais être au monde d’une certaine manière. Ça, c’est une notion existentialiste. Les existentialistes, Sartre et Merleau-Ponty, ont redécouvert cela. Et c’était dans la Bible déjà. « Le corps c’est ce par quoi, un être spirituel se fait être au monde ». Alors qu’est-ce que l’Église? C’est ce par quoi le Seigneur ressuscité se fait être au monde. Alors, il n’y a pas d’autres corps du Christ que celui-là. C’est ça qu’est le corps du Christ. Saint Paul ne parle du corps du Christ que de celui-là. Le corps du Christ, c’est l’Église, il n’y en pas d’autres. Dès qu’il y a plusieurs personnes rassemblées par l’esprit du Christ, alors les gens vont savoir que je suis vivant. Si vous vous aimez les uns les autres, à ceci on reconnaîtra que vous êtes mes disciples. Donc, je suis le Seigneur et le Seigneur n’est connu comme Seigneur que lorsque des Chrétiens rassemblés vivent du même esprit, donc de la charité. Ce sont des choses que nous savons mais parfois on oublie que lorsqu’on parle du corps, c’est ça que ça veut dire. On pense que le Christ a un petit corps quelque part et on ne sait pas trop où est-ce qu’il est et ça nous embarrasse lorsqu’on parle de résurrection. Où est-il ce petit corps-là? Mais non, ce corps-là est dans le tombeau où il s’est corrompu comme tous les autres corps. Disons que je prolonge un moment cette réflexion. Je peux me demander comment les Chrétiens en sont arrivés à dire que Jésus est ressuscité. C’est ça que font les exégètes. Comment sont-ils arrivés à dire cela. Je vous répète toujours les mêmes rengaines mais on n’aura jamais fini de les comprendre. Dans le Christ, il n’y a ni homme ni femme, ni maître ni esclave, ni Grec ni Juif (Ga 3,28). Ceci condense ce qu’on a observé de Jésus. Et on a observé, en effet, que Jésus ne faisait pas de différence entre les hommes et les femmes, entre un riche et un pauvre, un Juif et un étranger parce que personne ne faisait ça de son temps Fin du côté A de la cassette. _______________________________________

Premièrement, Jésus a surpris et secondement c’est pour ça qu’il est mort parce que les gens n’étaient pas prêts à accepter cela. Alors, on s’est mis à dire, par conséquent, c’est dans cette ligne-là qu’il faut continuer. Si on veut que la grande famille humaine continue à se nouer sur elle-même dans des relations fraternelles, il faut qu’on fasse comme Jésus a fait. Donc, je peux dire que Jésus est venu sauver l’humanité

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entière et non pas seulement Israël. C’est ça que l’exégèse fait : retrouver l’expérience sous-jacente aux mots. Gr : … on s’imagine toujours que Jésus, son corps, n’est pas comme les autres. RB : Pour saint Paul, un corps c’est une communauté fraternelle. Vous êtes le corps du Christ. Il ne dit pas que chacun est le corps du Christ. Vous êtes ensemble le corps du Christ. La communauté, c’est ce qui manifeste le Seigneur ressuscité puisqu’il donne son esprit. Son esprit c’est la charité et elle fait vivre les hommes dans une communauté. Cela manifeste que Christ est vivant. Gr : … ne plus distinguer ni Juif ni Grecs, ni homme ni femme, ni maître ni esclave ce n’est pas si facile qu’on le dit. RB : Un point intéressant. Quand saint Paul écrivait ça, il savait, comme nous autres, qu’on n’est pas prêt à aller aussi loin que Jésus. C’était la même chose dans ce temps-là. Dans l’Église de Corinthe, il y avait des problèmes, comme l’inceste, ou des gens ne respectaient pas les autres, il y avait des tas de problèmes. Ce n’était pas plus reluisant à cette époque-là. Cependant, saint Paul maintient que nous sommes le corps du Christ, que la gloire de Jésus passe à travers nous. C’est le resplendissement de la lumière dans les ténèbres. GR : … c’est très beau mais sommes-nous à la hauteur? RB : Un chrétien ce n’est pas nécessairement quelqu’un qui vit cela, c’est quelqu’un qui sait qu’il devrait le vivre. Et cela suffit. Nous sommes dans le monde pour dire c’est comme ça qu’on devrait être. Nous n’en sommes pas capables par nous-même, ce n’est que l’esprit de Jésus qui peut nous faire vivre comme Jésus. Alors notre expérience de notre impuissance fait partie de la façon dont se manifeste la puissance de Jésus. Pierre n’est devenu Pierre qu’après sa conversion. Avant ça, il n’était pas Pierre, mais Satan. Arrière de moi Satan (Mt 16,23). C’est que Dieu veut réussir l’humanité. Réussir l’humanité, ça veut dire que tous les hommes soient miséricordieux envers tous les hommes. Donc, j’accepte tout le monde. Et que tout le monde accepte tout le monde. Mais ceci n’arrivera qu’à la fin des temps. Mais pour que ça se réalise, il a fallut que quelqu’un vive cela intensément. Qu’à partir de lui, il y ait un corps, des gens qui continuent à dire la même chose et essayer de le vivre. Et que progressivement on tende vers ce que saint Paul appelle le plérôme. La plénitude de celui qui est tout en tous. C’est l’achèvement de l’humanité. Car il n’y aura plus d’homme sur terre. Ça peut venir mais on ne sait pas comment. Ça peut venir par une explosion, on va être capable avant longtemps de faire sauter la terre. Pas de détruire la terre à proprement parler mais on peut faire de gros dégâts.

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L’un des plus anciens textes qui nous aide à comprendre la résurrection c’est

Ézéchiel 37,1-14.

Ézéchiel 37, 1 La main de Yahvé fut sur moi, il m'emmena par l'esprit de Yahvé, et il me déposa au milieu de la vallée, une vallée pleine d'ossements. Ézéchiel 37, 2 Il me la fit parcourir, parmi eux, en tous sens. Or les ossements étaient très nombreux sur le sol de la vallée, et ils étaient complètement desséchés.

Ézéchiel 37, 3 Il me dit: "Fils d'homme, ces ossements vivront-ils?" Je dis: "Seigneur Yahvé, c'est toi qui le sais." Ézéchiel 37, 4 Il me dit: "Prophétise sur ces ossements. Tu leur diras: Ossements desséchés, écoutez la parole de Yahvé.

Ézéchiel 37, 5 Ainsi parle le Seigneur Yahvé à ces ossements. Voici que je vais faire entrer en vous l'esprit et vous vivrez. Ézéchiel 37, 6 Je mettrai sur vous des nerfs, je ferai pousser sur vous de la chair, je tendrai sur vous de la peau, je vous donnerai un esprit et vous vivrez, et vous saurez que je suis Yahvé"

Ézéchiel 37, 7 Je prophétisai, comme j'en avais reçu l'ordre. Or il se fit un bruit au moment où je prophétisais; il y eut un frémissement et les os se rapprochèrent les uns des autres. Ézéchiel 37, 8 Je regardai: ils étaient recouverts de nerfs, la chair avait poussé et la peau s'était tendue par-dessus, mais il n'y avait pas d'esprit en eux.

Ézéchiel 37, 9 Il me dit: "Prophétise à l'esprit, prophétise, fils d'homme. Tu diras à l'esprit: ainsi parle le Seigneur Yahvé́. Viens des quatre vents, esprit, souffle sur ces morts, et qu'ils vivent." Ézéchiel 37, 10 Je prophétisai comme il m'en avait donné l'ordre, et l'esprit vint en eux, ils reprirent vie et se mirent debout sur leurs pieds: grande, immense armée.

Ézéchiel 37, 11 Alors il me dit: Fils d'homme, ces ossements, c'est toute la maison d'Israël. Les voilà qui disent: "Nos os sont desséchés, notre espérance est détruite, c'en est fait de nous." Ézéchiel 37, 12 C'est pourquoi, prophétise. Tu leur diras: Ainsi parle le Seigneur Yahvé́. Voici que j'ouvre vos tombeaux; je vais vous faire remonter de vos tombeaux, mon peuple, et je vous ramènerai sur le sol d'Israël.

Ézéchiel 37, 13 Vous saurez que je suis Yahvé́, lorsque j'ouvrirai vos tombeaux et que je vous ferai remonter de vos tombeaux, mon peuple.

Ézéchiel 37, 14 Je mettrai mon esprit en vous et vous vivrez, et je vous installerai sur votre sol, et vous saurez que moi, Yahvé́, j'ai parlé et je fais, oracle de Yahvé́.

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Il faut vous représenter le peuple en exil, au début de l’Exil probablement, autour de -580 -570 AC. Le Royaume du Nord avait été exilé en -722, le Royaume du Sud a été exilé vers -597 et il y a eu plusieurs mouvements. En fait c’est surtout l’aristocratie qui a été exilée et vers -580 toute l’élite est partie. Alors on est rendu là-bas et les gens disent : on est un peuple fini. Or Ézéchiel garde l’espérance lui. Contre toute espérance, il garde espérance. Et il dit : on va revenir. Alors pour exprimer cela, il se donne une vision, il compose un poème. Il imagine un immense champ d’ossement, un cimetière et il dit : c’est ce que nous sommes nous maintenant. On est mort. Mais comment est-ce que Dieu a créé le monde? Par son esprit, par l’esprit créateur, par la parole, qui fait qu’il y a de la vie. Et ici dans le passage, ç’est décrit de façon concrète avec les os, puis les nerfs, puis un peu de chair, puis de la peau etc. C’est de l’imagination ça. Donc, Israël va revenir à la vie par la puissance de l’esprit créateur. C’est un acte de foi en exil que fait Ézéchiel qui compose ce poème. Et il termine en disant : j’ouvrirai vos tombeaux, oh mon peuple. Vous êtes dans les tombeaux mais je vais les ouvrir. Et alors vous allez en sortir. C’est une image, évidemment. Le cimetière est une image, ouvrir les tombeaux est également une image et l’histoire du tombeau vide (Mt 16,1-8), c’est également une image. Ça aussi, c’est une image. La résurrection d’Israël, attendue pour un temps X, a été après cela annoncée dans Dn12, 2 :

Daniel 12, 2 "Un grand nombre de ceux qui dorment au pays de la poussière s'éveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour l'opprobre, pour l'horreur éternelle.

Il y a d’autres textes, mais c’est secondaire. Vers -160 AC Daniel imagine pour la fin des temps et pour toute l’humanité la résurrection des corps. Donc, au-delà d’Ézéchiel qui imaginait la résurrection d’Israël, le retour à la vie d’Israël comme communauté. Daniel, lui, passe à la limite et il imagine une résurrection pour la fin des temps. Alors primitivement, la résurrection est une idée eschatologique. A la fin des temps, il devrait y avoir résurrection, jugement et alors condamnation des uns et vie éternelle de bonheur pour les autres. Ça, c‘est l’eschatologie juive. Cette idée est conservée dans saint Paul encore dans la Première aux Corinthiens (1Co 15,13).

1 Corinthiens 15, 13 S'il n'y a pas de résurrection des morts, le Christ non plus n'est pas ressuscité.

Or on est porté à penser l’inverse : que si le Christ est ressuscité, alors il y aura résurrection. Or c’est l’inverse, il faut croire d’abord à la résurrection finale avant de penser que Jésus est ressuscité. C’est comme cela que saint Paul argumente. Vous voyez la résurrection est une idée eschatologique. C’est une espérance, une façon

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symbolique d’exprimer l’espérance que l’on a qu’Israël va revenir à la vie. Chez Daniel, d’une façon symbolique encore, on peut attendre ce qui va se passer à la fin des temps car s’il y a eu des hommes injustes ici-bas et d’autres justes, l’équilibre va se faire, Dieu va y voir lorsqu’il va y avoir le jugement à la fin des temps. Ça, c’est derrière la mentalité juive apocalyptique. C’est une certaine tradition juive, mais ce n’est pas tout le monde qui pensait ça. Dans la Bible, il y a très peu de textes qui parlent de la résurrection. Ézéchiel et Daniel sont les deux principaux. Il y a aussi le livre des Maccabées presque contemporain de Daniel, mais ils sont tardifs eux aussi. Alors, les Chrétiens se sont dits que dans le cas de Jésus la résurrection est anticipée. Il est les prémisses de la résurrection. Donc c’est sur cet horizon, sur l’arrière-fond de l’espérance de la résurrection universelle à la fin des temps, que les Chrétiens ont fini par exprimer leur foi que Jésus est vivant et ils l’ont exprimé dans le langage de la résurrection. C’est un langage, une métaphore. Dans le mot résurrection, il y a deux images en grec. L’une veut dire s’éveiller : comme quand quelqu’un est endormi et qu’il s’éveille. Mais quelqu’un peut être endormi du dernier sommeil duquel il ne peut pas se réveiller et Dieu ou Jésus l’éveille du dernier sommeil. On emploie alors le terme « egeirô » que nous traduisons par ressusciter. Ou bien, c’est un guerrier terrassé, à mort et qui se relève. Alors on emploie le terme « anistêmi », qui signifie se relever. Un guerrier terrassé à mort, normalement ne peut pas se relever. Dieu ou Jésus le fait se relever. Dans les plus anciens textes, c’est toujours Dieu qui ressuscite, il n’est jamais dit que Jésus ressuscite. C’est Dieu qui fait lever ou qui éveille Jésus. Donc, il s’agit de deux métaphores : celle du sommeil et celle du guerrier terrassé. On n’a pas d’idée concrète de ce qu’est la réalité de la personne ressuscitée. C’est une image pour exprimer que quelqu’un appartient à l’au-delà, à l’ordre céleste, à l’ordre divin, il est passé à la vie. Alors les Chrétiens disent la fin des temps est commencée en Jésus. Le récit du tombeau vide a été composé tardivement. Saint Paul ne parle jamais du tombeau vide. Les Évangiles n’ont surement pas été composés avant 65, il n’y a personne parmi les exégètes qui pensent qu’il a été composé avant cela. Saint Paul est mort probablement à ce moment-là. Saint Paul a écrit entre 50 et 60, peut-être jusqu’en 58 et il ne parlait pas du tombeau vide. Le tombeau vide n’était pas un argument. Invoquer cet argument pour dire que Jésus était ressuscité, ce n’était pas très fort. Si on l’a employé, on pouvait toujours dire que le corps avait été volé. Saint Mathieu a dû composer une petite scène pour répondre à cette objection. Le tombeau vide n’a jamais vraiment été un argument.

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En s’inspirant d’Ézéchiel, on pouvait composer une scène où on montrait que dans le cas de Jésus, la résurrection étant anticipée, Dieu a ouvert le tombeau de Jésus. Cela ne veut pas dire qu’il l’a ouvert réellement. Jésus a fort bien pu être déposé dans un caveau, mais Dieu ne l’a jamais ouvert. On n’a jamais vérifié. Ce qui est raconté de façon concrète c’est qu’on a vu les bandelettes, ce qui est de la mise en scène évidemment, et comme on disait tout à l’heure, de la dramatisation. Il y a une scène où Thomas touche les plaies de Jésus. Il y avait à la fin du premier siècle, le mouvement des Docètes qui ne croyaient pas à la réalité personnelle de Jésus. Or, ce que les Chrétiens croient c’est à la résurrection, à la survie de toute la personne. De même, sa capacité même d’agir sur les autres, et même une fois mort. C’est ça qu’est la foi chrétienne. Dans la perspective platonicienne, Platon, dit qu’une fois que l’âme a quitté le corps, elle s’en va quelque part, contemple Dieu et elle est heureuse, toute seule. Elle a son bonheur à elle seule. On a souvent prêché comme ça nous aussi. Mais ça, ce n’est pas le point de vue des chrétiens. La communion des saints suppose que je suis ressuscité avec tout ce que je suis. Bibliquement parlant, on dit cela, en disant que j’ai encore un corps. Le corps, c’est ce par quoi, un être spirituel peut agir en ce monde, ou encore dans l’humanité. Les élus au ciel sont encore agissant en ce monde. On les appelle les saints, ou la communion des saints. Alors pour dire ça, on a composé des textes, où on a dit : Jésus, c’est vraiment tout lui. Ce n’est pas rien qu’un pur esprit. On dit alors : on a touché son corps et il a même mangé du poisson (Jn 21,9-10). Vous comprenez que c’était pour répondre aux septiques, en particulier aux Grecs qui n’avaient pas la notion biblique de personne subsistant personnellement au delà de la mort. C’est raconté de façon très concrète dans le récit mais nous, on prend ça à la lettre, comme si le Christ avait un corps comme ça. Gr : … on peut penser alors que c’est la même chose pour tous les humains. La résurrection se produit au moment de la mort? RB : Oui, Gr : … parce que la résurrection, c’est la transformation de l’être, d’une vie à une autre. RB. Saint Paul parle des prémisses de ceux qui se sont endormis. Alors, les autres qui se sont endormis dans le Christ font partie du Christ. Par conséquent, ils sont vivants. Donc, je peux dire qu’ils sont ressuscités. Ce que ne dit pas saint Paul exactement mais que les deutéro pauliniennes disent (Colossiens et captivités surtout, Philémon, une partie de l’Épître aux Philippiens). Dans ces Épitres-là, l’auteur, qui n’est très probablement pas saint Paul, dit : nous sommes ressuscités avec le Christ, c’est déjà

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fait. Donc ce langage là est bien scripturaire. Comprenez vous que la résurrection dit la même chose que la mort du christ, que la transfiguration, que le baptême, que la conception virginale. C’est la même chose dans différents langages. Jésus a été fils de Dieu en puissance après sa résurrection (Rm 1,3). Remarquez la séquence ici : Au pied de la croix, celui là était vraiment fils de Dieu. A la transfiguration, le Père dit : celui-ci est mon fils. Au baptême, tu es mon fils. A la conception, l’ange dit : il sera grand, il sera dit Fils de Dieu.

C’est ce qu’on appelle la démarche régressive de la foi au fils de Dieu. Jésus a été cru fils de Dieu d’abord après sa résurrection. Il est établi fils de Dieu, mais on continue la réflexion et on se demande qu’est-ce qu’il était avant?

Il a été fils de Dieu au moment de la mort. Pourquoi? Parce c’est en obéissant jusqu’à la mort qu’il se montre fils du Père. Alors, on fait parler le soldat romain au moment où il meurt, mais c’est évidemment un soldat chrétien qu’on fait parler. Ce n’est pas l’homme qui était là au pied de la croix. Après cela, on l’anticipe au moment de la transfiguration, et aussi au moment où Jésus décide de monter à Jérusalem. Après ça on l’anticipe au moment du baptême juste avant les tentations pour qu’il reçoive l’esprit pour tenir tête aux tentations. Et après ça on l’anticipe au moment de l’incarnation, au moment où Marie reçoit l’esprit.

C’est un langage tout ça. C’est pour ça que je dis que c’est la même chose que l’on dit dans différents langages : résurrection, mort de Jésus, transfiguration, baptême, conception virginale. C’est la même vérité exprimée d’après des « croyables disponibles » différents. Mais ça ne veut pas dire que ce sont des évènements de la vie de Jésus. Il peut y avoir quelque chose d’historique, mais là c’est à la critique historique de le démontrer et c’est là un travail très difficile. Je pense que vous pigez pas mal.

Gr : … acquiescement du groupe. RB : Je pense vous avoir communiqué les intuitions fondamentales. Il ne faut jamais prendre à la lettre les récits de résurrection. Qu’est-ce que c’est que le Christ ressuscité? On n’en sait rien, c’est un mystère. Qu’est-ce que c’est qu’un corps ressuscité? On en sait rien, sinon en s’exprimant comme je le disais tout à l’heure. C’est une façon de dire que les défunts dans l’humanité continuent à faire partie de sa circulation vitale. Qu’il y a circulation de charité, de communion des saints si vous voulez. Donc, que l’on n’est pas qu’individu, mais qu’on est encore en communion. Alors

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qu’est-ce que mon confrère Rosaire8 est devenu? Où est-ce qu’il est actuellement? Est-ce que je vais le reconnaître? Ce sont des questions auxquelles, je ne peux pas répondre. C’est inutile de parler de ça. Est-ce qu’on va être plus en famille, qu’on ne l’est maintenant? Si les gens ont l’air d’y tenir, je vais dire oui … Gr : … rire du groupe. RB : mais en fait on en sait rien. La charité fait que l’on connaît tout le monde. Alors, on va connaître tout le monde. Jésus est venu justement dépasser les relations familiales. Ma mère, mes frères se sont tous ceux qui écoutent la parole de Dieu. Par conséquent, si le gens insistent pour savoir si on va être encore en famille, le genre de questions qu’on se posait autrefois, bien là, il faut les inviter à relire l’Évangile. Gr : … De nos jours, on ne parle plus de communion des saints. RB : C’est vrai qu’on en parle plus. Gr : … Pierre Benoit parle de la mission de reconnaissance. RB : Oui, c’est intéressant, c’est une idée chère à Pierre. Je vais vous donner autre chose. Regardez 1Co 9, 1

1 Corinthiens 9, 1 : Ne suis-je pas libre? Ne suis-je pas apôtre? N'ai-je donc pas vu Jésus, notre Seigneur? N'êtes- vous pas mon œuvre dans le Seigneur?

Ce passage a l’air de rien, mais c’est plein de sens. Alors vous avez : j’ai vu

Jésus notre Seigneur et je suis apôtre. Les apparitions de reconnaissance sont ordonnées aux missions. Ou inversement, comment reconnaissait-on dans l’Église primitive que quelqu’un était apôtre? Car, il y avait des pseudo-apôtres. Or, qu’est-ce qu’un apôtre? Un apôtre c’est quelqu’un qui dit : j’ai été envoyé par le Christ ressuscité, Oui, mais un tas de gens peuvent dire cela. On peut dire moi je suis envoyé par le Christ ressuscité et je pense qu’il faut faire la guerre aux Romains ou encore le Christ ressuscité m’a dit qu’il fallait faire la guerre aux Romains. Supposons que quelqu’un arrive et dise cela. Là, se sont les pseudo-apôtres dont saint Paul parle dans la seconde Épîtres aux Corinthiens.9 Des gens qui prétendaient faire des signes merveilleux,                                                                                                                8  Rosaire  Tremblay,  compagnon  de  Raymond  Bourgault  dans  la  petite  communauté  jésuite  de  Saint-­‐Henri,  prêtre  ouvrier  décédé  alors  qu’il  n’avait  pas  50  ans.    9 2 Corinthiens 11, 13 Car ces gens-là sont de faux apôtres, des ouvriers trompeurs, qui se déguisent en apôtres du Christ.

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miraculeux et qui disaient : Paul c’est un homme qui ne sait pas parler alors que nous autres nous avons beaucoup d’éloquence. Paul écrivait bien mais parlait mal alors on pouvait se moquer de lui. Ces gens se prétendaient quand même apôtres envoyés par Jésus. Vous souvenez-vous de l’image qu’il y a derrière la mission. Primitivement, la mission est un langage ancien très concret qui met en scène un royaume avec sa capitale où le roi envoie des gens dans les différents villages pour annoncer ses volontés. Par exemple : lancer ou relancer le ban, une proclamation officielle publique, pour recruter des soldats. C’est ça qui est la mission. Les Chrétiens ont dit qu’ils ont vu et ont été envoyés. Ainsi que les prophètes déjà dans l’Ancien Testament où un prophète est quelqu’un qui a assisté au conseil royal divin et qui est envoyé par le roi. Donc, qui a vu et a été envoyé. Des gens prétendaient ainsi avoir vu et avoir été envoyés. L’Église a peu à peu composé des récits de visions et donc d’apparitions pour fonder les récits de missions. Les deux sont intimement liés. Or l’apôtre est celui qui a vu le Christ ressuscité. Mais qu’est-ce qu’il a vu? C’est indémontrable. Ce que l’apôtre a vu, il ne peut pas le démontrer. Et ce n’est pas important. Saint Paul en parle et dit : vous invoquez des visions que vous avez eues parce que vous prétendez être des apôtres et même des archi-apôtres mais ce n’est pas important les visions. Mais si vous y tenez, je vais vous en raconter moi-aussi10. Les visons ne prouvent rien. Voir le Christ ressuscité, c’est avoir une vision, une intelligence, un ensemble d’intuitions de ce qu’est l’histoire du salut et le montrer par des signes. Par exemple, être capable d’endurer les 39 coups de fouets que saint Paul subit dans des synagogues. Ce sont là des signes. Or quelqu’un qui est capable d’aller jusque là comme le dit saint Paul peut se dire apôtre. La vision n’est pas suffisante, c’est par tout le comportement d’un apôtre qu’on voit qu’il est authentique. Dans le langage, on va dire Jésus le Christ est ressuscité et l’apôtre est celui qui a vu ce qui se passe au ciel. Saint Paul dit : j’ai vu ce qui se passe au ciel, comprenne qui pourra11.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         10 Galates 1, 12 ce n'est pas non plus d'un homme que je l'ai reçu ou appris, mais par une révélation de Jésus-Christ.

Actes 9, 3 Il faisait route et approchait de Damas, quand soudain une lumière venue du ciel l'enveloppa de sa clarté́. Actes 9, 4 Tombant à terre, il entendit une voix qui lui disait: "Saoul, Saoul, pourquoi me persécutes-tu" -- Actes 9, 5 "Qui es-tu, Seigneur?" Demanda-t-il. Et lui: "Je suis Jésus que tu persécutes. Actes 9, 6 Mais relève-toi, entre dans la ville, et l'on te dira ce que tu dois faire." Actes 9, 7 Ses compagnons de route s'étaient arrêtés, muets de stupeur: ils entendaient bien la voix, mais sans voir personne.

11 2 Cor 12,1 Il faut se glorifier... Cela n'est pas bon. J'en viendrai néanmoins à des visions et à des révélations du Seigneur. 2 Je connais un homme en Christ, qui fut, il y a quatorze ans, ravi jusqu'au troisième ciel (si ce fut dans son corps je ne sais, si ce fut hors de son corps je ne sais, Dieu le sait). 3 Et je sais que cet homme (si ce fut dans son corps ou sans son corps je ne sais, Dieu le sait) 4 fut enlevé dans le paradis, et qu'il entendit des paroles ineffables qu'il n'est pas permis à un homme d'exprimer. 5 Je me glorifierai d'un tel homme, mais de moi-même je ne me glorifierai pas, sinon de mes infirmités. 6 Si je voulais me glorifier, je ne serais pas un insensé, car je dirais la vérité; mais je m'en abstiens, afin que personne n'ait

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Alors qu’est-ce que veut dire : le Christ ressuscité?

C’est comme Isaïe, comme on l’a vu, qui voit Yahvé et qui entend : « saint, saint, saint ». (Isaïe 6,3). Évidemment c’est Isaïe qui compose ce poème là. Est-ce qu’il y a telle ou telle chose dans le ciel? C’est avant tout une représentation mais il raconte cela, comme si ça s’était réellement passé. Donc, la vision ne peut jamais être prise à la lettre, elle ne prouve rien mais c’est un langage pour fonder la mission. Celui qui a vu fait un acte de foi. Il n’y a pas de différence ici entre la foi et la vision. Ce qu’on appelle vision, c’est un acte de foi. Gr : … mais on dit aussi que la foi, on la reçoit. RB : Oui, « nul ne vient à moi si mon père qui l’a envoyé ne l’attire » (Jn 6,44)12 Croire en Jésus n’est pas donné à tout le monde en effet. C’est donné à un certain nombre pour qu’ils soient le corps du Christ. Afin que peu à peu les autres le sachent. C’est un don bien sûr. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis (Jn 15,16). Il est donné à certain d‘accueillir le poème invraisemblable que le Christ est mort pour toute l’humanité. Il y en a qui croit cette utopie. Gr : … et il est venu pour tout le monde. RB : C’est ce que nous disons. Gr : … si on est pas capable d’en parler, on peut au moins en vivre … c’est ça qui va parler. RB : Ça, c’est la principale parole. C’est la parole vivante. La parole parlée n’est pas autre chose qu’une instance seconde du corps. Un corps, c’est ce par quoi un esprit se fait être au monde. Parler c’est le corps à un niveau redoublé en quelque sorte. Le corps, c’est la première parole. Je parle aux autres par le seul fait que je suis là. Et lorsqu’une personne intervient dans un circuit, l’équilibre est modifié. Même si elle n’a

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       à mon sujet une opinion supérieure à ce qu'il voit en moi ou à ce qu'il entend de moi. 7 Et pour que je ne sois pas enflé d'orgueil, à cause de l'excellence de ces révélations, il m'a été mis une écharde dans la chair, un ange de Satan pour me souffleter et m'empêcher de m'enorgueillir. 8 Trois fois j'ai prié le Seigneur de l'éloigner de moi, 9 et il m'a dit: Ma grâce te suffit, car ma puissance s'accomplit dans la faiblesse. Je me glorifierai donc bien plus volontiers de mes faiblesses, afin que la puissance de Christ repose sur moi. 10 C'est pourquoi je me plais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les calamités, dans les persécutions, dans les détresses, pour Christ; car, quand je suis faible, c'est alors que je suis fort.  12  Nul ne peut venir à moi si le Père qui m'a envoyé ne l'attire; et moi, je le ressusciterai au dernier jour (Jean 6, 44)  

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pas dit un seul mot. Par sa seule présence, elle parle. Il se peut qu’elle empêche de parler aussi. RB : Vous ai-je expliqué la résurrection de Lazare? Gr : Non répond le groupe RB : Peut-être qu’on pourra parler de ça un jour. Je ne vous ai pas expliqué non plus le disciple bien aimé. Ça pourra être le prochain sujet. ___________________________ Fin de l’enregistrement. NB : L’enregistrement de la prochaine rencontre traite du thème de l’Ascension. Cette fois, il est facile d’écoute et complète admirablement bien le thème de la résurrection.