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Lésion de l’hamulus de l’hamatum Les fractures de l’apophyse unciforme (hamu- lus) de l’os crochu (os hamatum) sont des lésions rares. L’incidence de la fracture de l’hamulus de l’hamatum dans la littérature représente moins de 2 % des fractures des os du carpe. Cette inci- dence est vraisemblablement sous-estimée du fait de la méconnaissance de cette entité et de la difficulté que représente la visualisation de l’apo- physe unciforme en imagerie standard. Le dia- gnostic initial est donc souvent méconnu [1, 2, 3]. La première description d’une fracture isolée de l’hamulus date de 1901 et est attribuée à Eigen- brodt [4]. La série la plus importante appartient à Stark avec 62 cas rapportés de fracture de l’hamu- lus [5]. Cette pathologie se rencontre le plus fré- quemment chez le sportif et dans 95 % des cas, elle survient chez l’homme [5, 6]. Mécanismes lésionnels Deux mécanismes identifiés sont incriminés dans la survenue d’une telle lésion. Le premier est de type direct par choc violent répété sur la base de l’hamulus. Ce mécanisme est propre à la pratique de sports nécessitant une prise en serrage, avec appui direct sur la base de l’éminence hypothé- nar, d’une poignée ou d’un manche tels que les sports de raquette, le golf, le baseball, le hockey, le VTT… L’onde de choc est répercutée à la face ventrale du poignet par ce biais. L’analyse de notre série corroborée par une revue de la litté- rature internationale montre que dans la pratique du golf, le côté non dominant est atteint de façon préférentielle tandis que dans la pratique du tennis ou du squash, c’est le côté dominant qui est concerné. Le second mécanisme est quant à lui de type indirect et d’analyse plus complexe. Il fait intervenir un jeu de traction ligamentaire avec répercussion sur l’hamulus, secondaire à une chute en extension du poignet. La fracture de l’hamulus survient par l’action d’une force indi- recte mettant en tension le rétinaculum des flé- chisseurs (ligament annulaire antérieur du carpe) entre les éminences thénar et hypothénar. Ce même mécanisme, décrit par Palmer en 1981, est responsable des fractures de type II du tubercule du trapèze [7]. À ce phénomène vient se coupler une tension excessive du flexor carpi ulnaris (cubital anté- rieur). La résultante de toutes ces forces induit la fracture de l’hamulus [8]. Cette fracture s’assimile à une fracture de fatigue. Bases anatomiques de la région Le complexe articulaire du poignet se compose des extrémités distales des deux os de l’avant- bras et des huit os du carpe organisés en deux rangées, proximale et distale. L’hamatum appar- tient à la deuxième rangée et à la colonne ulnaire du carpe. De forme prismatique triangulaire, il présente à sa face antérieure une apophyse en forme de crochet (unciforme), l’hamulus. La confi- guration tridimensionnelle des os du carpe déter- mine une gouttière osseuse concave en palmaire, 11 P. D’Agostino, D. Le Viet 265205GGJ_TRAUMAMAIN_C11_CS6_OSX.indd 1 03/09/2016 09:26

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Lésion de l’hamulus de l’hamatum

Les fractures de l’apophyse unciforme (hamu-lus) de l’os crochu (os hamatum) sont des lésions rares. L’incidence de la fracture de l’hamulus de l’hamatum dans la littérature représente moins de 2  % des fractures des os du carpe. Cette inci-dence est vraisemblablement sous- estimée du fait de la méconnaissance de cette entité et de la difficulté que représente la visualisation de l’apo-physe unciforme en imagerie standard. Le dia-gnostic initial est donc souvent méconnu [1, 2, 3]. La première description d’une fracture isolée de l’hamulus date de 1901 et est attribuée à Eigen-brodt [4]. La série la plus importante appartient à Stark avec 62 cas rapportés de fracture de l’hamu-lus [5]. Cette pathologie se rencontre le plus fré-quemment chez le sportif et dans 95  % des cas, elle survient chez l’homme [5, 6].

Mécanismes lésionnelsDeux mécanismes identifiés sont incriminés dans la survenue d’une telle lésion. Le premier est de type direct par choc violent répété sur la base de l’hamulus. Ce mécanisme est propre à la pratique de sports nécessitant une prise en serrage, avec appui direct sur la base de l’éminence hypothé-nar, d’une poignée ou d’un manche tels que les sports de raquette, le golf, le baseball, le hockey, le VTT… L’onde de choc est répercutée à la face ventrale du poignet par ce biais. L’analyse de notre série corroborée par une revue de la litté-rature internationale montre que dans la pratique du golf, le côté non dominant est atteint de façon

préférentielle tandis que dans la pratique du tennis ou du squash, c’est le côté dominant qui est concerné. Le second mécanisme est quant à lui de type indirect et d’analyse plus complexe. Il fait intervenir un jeu de traction ligamentaire avec répercussion sur l’hamulus, secondaire à une chute en extension du poignet. La fracture de l’hamulus survient par l’action d’une force indi-recte mettant en tension le rétinaculum des flé-chisseurs (ligament annulaire antérieur du carpe) entre les éminences thénar et hypothénar. Ce même mécanisme, décrit par Palmer en 1981, est responsable des fractures de type II du tubercule du trapèze [7].

À ce phénomène vient se coupler une tension excessive du flexor carpi ulnaris (cubital anté-rieur). La résultante de toutes ces forces induit la fracture de l’hamulus [8]. Cette fracture s’assimile à une fracture de fatigue.

Bases anatomiques de la régionLe complexe articulaire du poignet se compose des extrémités distales des deux os de l’avant- bras et des huit os du carpe organisés en deux rangées, proximale et distale. L’hamatum appar-tient à la deuxième rangée et à la colonne ulnaire du carpe. De forme prismatique triangulaire, il présente à sa face antérieure une apophyse en forme de crochet (unciforme), l’hamulus. La confi-guration tridimensionnelle des os du carpe déter-mine une gouttière osseuse concave en palmaire,

11P. D’Agostino, D. Le Viet

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2 • Traumatismes ostéo-articulaires du poignet et de la main

fermée transversalement par le rétinaculum des fléchisseurs, le canal carpien. Ce ligament réti-naculaire prend ses attaches ulnaires sur le pisi-forme et l’hamulus de l’hamatum, et ses attaches radiales sur le tubercule du scaphoïde et la crête du trapèze. Ce ligament relie les aponévroses des muscles thénariens et hypothénariens. La por-tion ulnaire du rétinaculum des fléchisseurs va former avec l’os pisiforme un canal fermé à sa face antérieure par une expansion du rétinacu-lum des extenseurs, la loge de Guyon. L’hamu-lus de l’hamatum est par ailleurs, le siège de l’insertion de fibres prolongeant le flexor carpi ulnaris au départ du pisiforme, le ligament piso- hamulien (pisi- unciformien). Les insertions mus-culaires des muscles hypothénariens déterminent, avec le pisiforme et l’hamulus, un hiatus (canal piso- hamulien) dans lequel viennent cheminer la branche profonde motrice du nerf ulnaire et le rameau hypothénarien de l’artère ulnaire. Ce canal piso- hamulien, d’un point de vue anatomie topographique, est situé sous le canal de Guyon au contact de l’hamulus. Il s’agit d’un tunnel ostéo- fibromusculaire serré qui constitue, de par son anatomie, une zone de vulnérabilité pour les structures qui le traversent [9].

Anatomie vasculaire de l’hamatum et de son hamulusLa vascularisation de l’hamatum est assurée par trois sources : l’arcade dorsale inter- métacarpienne, l’artère ulnaire récurrente et l’artère ulnaire. Ces vaisseaux pénètrent dans l’hamatum par ces sur-faces non articulaires dorsale, palmaire et médiale de l’apophyse unciforme, sites d’insertion des liga-ments carpiens. La surface dorsale est de géométrie triangulaire et reçoit 3 à 5  vaisseaux qui assurent 30 à 40 % de la vascularisation de la portion dor-sale de l’hamatum. La surface palmaire est éga-lement de conformation triangulaire, mais reçoit généralement un vaisseau large unique qui entre dans l’hamatum par la base radiale de l’hamulus. Freedman observe des anastomoses entre le réseau dorsal et palmaire dans 50 % des cas de ses séries [10, 11]. L’hamulus reçoit un faible apport vascu-laire par l’intermédiaire de 1 ou 2 vaisseaux de petit calibre qui le pénètrent par sa base médiale et son sommet. Ces vaisseaux s’anastomosent entre eux mais pas avec le réseau vasculaire du corps de l’hamatum [12]. Il existe une dualité de la vascularisation de l’hamatum et de son hamulus. L’anatomie vasculaire particulière de l’hamulus, caractérisée par sa précarité et l’absence de com-

munication avec le réseau intra- osseux profond de l’hamatum, explique en partie l’évolution possible vers la pseudarthrose ou la nécrose avasculaire.

DiagnosticLe diagnostic de fracture de l’hamulus de l’hama-tum est suggéré par le mécanisme lésionnel, les signes et symptômes initiaux, mais ne se confirme que par le bilan radiologique. Le patient décrit une douleur de la paume de la main, associée ou non à une tuméfaction siégeant au bord ulnaire du poi-gnet, aggravée par la prise en serrage de la main.

À l’examen clinique, il existe une douleur pal-maire élective à la pression profonde en regard de la projection cutanée de l’hamulus de l’hamatum. Son repère se localise à 3 cm du pisiforme distalement et 1 cm en médial par rapport à l’axe longitudinal de la main, ou à 2 cm du pisiforme sur la ligne de Carter tendue du pisiforme à la tête du deuxième métacarpien [13] (Figure 11-1). Cette douleur peut parfois être retrouvée à la palpation profonde de sa face postérieure. Il peut exister une douleur à l’ab-duction ou à la flexion contrariée des cinquième et

Figure 11-1. Ligne de Carter.

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quatrième doigts, à l’inclinaison ulnaire du poignet et la pression axiale de la tête des quatrième et cin-quième métacarpiens [13, 14, 15]. Une sémiologie déficitaire neurologique dans le territoire du nerf ulnaire ou médian a minima peut être présente, et liée à l’existence d’un hématome post- fracturaire dans la loge de Guyon ou à son voisinage direct [16, 17]. La revue de la littérature montre cepen-dant que le diagnostic de fracture de l’hamulus est souvent tardif [9]. Le délai moyen avant diagnostic varie de 5 mois à plus de 10 mois selon les séries [5, 6, 14, 18]. La première manifestation clinique conduisant au diagnostic peut être une séquelle tendineuse de type ténosynovite ou une rupture fermée de fléchisseurs superficiels ou profonds des quatrième et/ou cinquième doigts, traduisant une fracture de l’hamulus passée inaperçue [19, 20]. La notion de traumatisme, son mécanisme et la symp-tomatologie objectivée doivent faire suspecter le diagnostic de fracture de l’hamulus de l’hamatum et conduire à un bilan radiologique.

Les radiographies standard (face et profil) réa-lisées systématiquement en traumatologie du poi-gnet sont très souvent insuffisantes, ces fractures passent souvent inaperçues [2, 3]. Il faut recher-cher, sur l’incidence de face comparative, la perte de contour de la projection arrondie de l’apo-physe unciforme  : l’œil ou l’anneau, correspon-dant à la projection de son insertion. L’incidence oblique de 3/4 à 45 degrés de supination du poi-gnet et déviation radiale forcée est difficilement réalisable sur un poignet traumatique doulou-reux. Les douleurs de la face palmaire imposent la réalisation de clichés spécifiques en incidence du canal carpien décrite initialement par Hart et Gaynor [21], ou en incidences rotatoires du poi-gnet de quelques degrés en cas de superposition de l’hamulus et du pisiforme [22]. Ces incidences dégagent parfaitement l’hamulus, potentialisant ainsi la recherche d’une fracture de celui- ci, et limitant les faux négatifs des clichés standard

[23, 24]. Elles permettent également d’établir le diagnostic différentiel avec la forme congénitale bipartite [25], d’explorer l’apophyse du trapèze et le pisiforme (Figure 11-2).

La scintigraphie au Technétium 99m peut mettre en évidence un foyer d’hyperfixation à la face interne du poignet qui sera alors fortement évocateur dans le contexte clinique. Elle ne revêt cependant que peu d’intérêt.

Le CT scanner comparatif des deux poignets constitue l’examen de choix [26]. Les coupes transversales permettent de dégager l’hamulus et d’établir la comparaison côté sain- atteint. L’étude réalisée par Andresen en 1999 démontre sa supé-riorité sur les radiographies conventionnelles. Le CT scanner permet le diagnostic de fracture de l’hamulus avec une sensibilité de 100 %, une spé-cificité de 94  % et une précision de 97,2  %, alors que les radiographies ne démontrent qu’une sen-sibilité de 72 %, une spécificité de 88 % avec une précision de 80,5 % [27] (Figure 11-3). Des radio-graphies négatives, même en incidences spéci-fiques, n’excluent pas avec certitude le diagnostic de fracture. Un CT scanner sera systématique-ment réalisé en l’absence de signes radiologiques évidents, complété éventuellement par une réso-nance magnétique nucléaire [28] (Figure 11-4).

Figure 11-2. Radiographie. Incidence du canal carpien. Hamulus bipartita.

Figure 11-3. CT scanner. Fracture de l’hamulus.

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4 • Traumatismes ostéo-articulaires du poignet et de la main

ÉvolutionL’évolution vers la consolidation est souvent obtenue si la prise en charge de la fracture est adéquate dès le traumatisme initial (Figure 11-5). En l’absence de diagnostic, la pseudarthrose douloureuse ou asymptomatique est l’évolution typique de la fracture de l’hamulus [13] dont le taux reste indéterminé du fait de la rareté de la lésion initiale. Cette pseudarthrose trouve en partie son explication dans la théorie vascu-laire évoquée précédemment, mais pas unique-ment. De multiples facteurs biomécaniques sont à considérer dans la survenue de ce phénomène de pseudarthrose. En effet, des forces de trac-tion sont transmises par les muscles hypothéna-riens ainsi que les ligaments transverse du carpe

et piso- hamulien qui prolonge le flexor carpi ulnaris, induisant une mobilité de l’hamulus ou un franc déplacement, compromettant ainsi sa consolidation. Ce foyer de pseudarthrose peut se rendre responsable de l’apparition de lésions nerveuses, vasculaires et tendineuses en consti-tuant un élément compressif ou d’attrition. Ces lésions sont fréquentes mais non spécifiques [29]. Parmi celles- ci ont été décrites des compressions des branches (surtout de la branche proximale motrice) du nerf ulnaire dans la loge de Guyon [5, 6, 14, 30, 31, 32]  ; des syndromes du canal carpien [14, 29, 33]  ; des compressions de l’ar-tère ulnaire (rameau hypothénarien de l’artère ulnaire) [13, 16]  ; des tendinites des fléchisseurs de l’auriculaire et de l’annulaire [34]  ; ainsi que des ruptures tendineuses des tendons fléchis-

Figure 11-4. IRM. Hamulus bipartita.

Figure 11-5. CT scanner. Fracture de l’hamulus consolidée.

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seurs de ces mêmes doigts [1, 5, 6, 19, 20, 22, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41].

Diagnostic différentielDevant un tableau douloureux siégeant dans la région du talon de la main, il faut exclure toute fracture du pisiforme ou tendinopathie inflam-matoire du flexor carpi ulnaris venant s’insérer sur le pisiforme. Dans ce dernier cas, des cal-cifications d’hydroxyapatite peuvent être mises en évidence sur les radiographies [42]. Par ail-leurs, l’imagerie permettra d’exclure l’existence d’un ossicule accessoire (l’hamuli proprium) définissant un hamulus bipartite [43, 44]. Cette anomalie congénitale est probablement le résul-tat d’une ossification incomplète de l’apophyse unciforme dont sa fréquence est estimée à 0,4 % dans la littérature [45]. L’origine congénitale sera évoquée devant l’absence de traumatisme et de chirurgie, l’aspect arrondi corticalisé et souvent bilatéral.

Prise en charge

Lésions de diagnostic précoce

Devant une fracture non déplacée, le traitement orthopédique préconisé par Bishop et Becken-baugh est unanimement admis [6]. Celui- ci consiste en une immobilisation plâtrée anti- brachiopalmaire de 6 à 8  semaines laissant libre les 3  premières articulations métacarpo- phalangiennes et immobilisant en flexion l’ar-ticulation métacarpo- phalangienne des 4e et 5e doigts. Chez le sportif de haut niveau, l’immo-bilisation prolongée est parfois refusée. L’évolu-tion inexorable est la pseudarthrose, parfois bien tolérée.

Devant une fracture déplacée, de nombreux auteurs s’accordent sur l’indication d’exérèse chirurgicale, que la fracture de l’hamulus soit associée ou non à des troubles vasculo- nerveux et tendineux, permettant ainsi l’éviction de complications ultérieures. Certains auteurs suggèrent la synthèse du fragment osseux [15, 46, 47], invoquant la restitution ad integrum du complexe anatomique lié à l’hamulus, et des théories biomécaniques issues d’une étude cadavérique selon lesquelles la résection de l’hamulus entraverait le bon fonctionnement des tendons fléchisseurs en modifiant leur course et leur force [48]. Pour notre part, ce traitement

chirurgical par ostéosynthèse, avancé comme la logique même, ne nous paraît légitime que si le patient peut espérer avec certitude en tirer un bénéfice fonctionnel supérieur. Dans la littéra-ture, aucune série n’a fait la preuve à ce jour, de la supériorité des résultats de la synthèse par rapport à la simple résection [46, 47]. De plus, il ne nous semble justifié qu’en présence d’un fragment osseux de volume suffisant pouvant être accessible à la synthèse par mini- vissage ou embrochage. Dans ce type de fracture, d’après notre expérience, il apparaît que le fragment est souvent de taille modeste et que sa configuration tridimensionnelle triangulaire, surtout corticale, rend la pose d’une vis très délicate. L’argument de reconstruction du complexe anatomique et de sa biomécanique, nous semble être un faux rai-sonnement, car la parfaite réduction et synthèse du fragment impose, pour nous, l’ouverture du canal carpien. Nous sommes en droit de nous demander alors, où est la restitution ad inte-grum  ? Enfin, cette technique est grevée d’un certain taux de morbidité lié à sa difficulté et à la présence de matériel de synthèse qu’il faut pou-voir garder à l’esprit, et ne peut se passer d’une immobilisation parfois jusqu’à consolidation. Un seul cas de figure pourrait nous faire envisager la synthèse. L’éventualité, encore jamais rencon-trée, de l’association d’une fracture de l’hamulus et du pisiforme ou d’antécédent de pisiformecto-mie. Dans cette situation, les structures vasculo- nerveuses ulnaires et leurs rameaux profonds se trouveraient privés de toute protection à leur versant interne.

Lésions de diagnostic tardif

Devant une pseudarthrose douloureuse, l’exé-rèse du fragment est logiquement indiscutable et univoque [5, 8]. Ce geste permet l’obtention d’un soulagement immédiat et évite le risque de complications. Néanmoins, Watson et Rogers ont publié en 1989 une technique de cure de pseudarthrose de l’hamulus par greffe osseuse cortico- spongieuse prélevée aux dépens du radius distal et stabilisée par embrochage [49]. Celle- ci est restée anecdotique. Les résultats fonctionnels rapportés dans la série très confi-dentielle de Scheufler en 2005 en démontrent le peu d’intérêt par rapport à la simple résection [50].

Les ruptures tendineuses associées doivent faire l’objet d’une reconstruction. Dans la litté-rature, les techniques de reconstruction les plus employées sont la greffe tendineuse libre et le transfert tendineux. La greffe fait intervenir le pal-

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maris longus ou, en son absence, le plantaire grêle ou un tendon extenseur d’orteil qui seront utilisés sur le mode intercalaire, et suturés aux extrémi-tés tendineuses distales et proximales en Pulver-taft. Le transfert tendineux utilise les fléchisseurs superficiels des doigts adjacents aux appareils flé-chisseurs à reconstruire.

Technique chirurgicaleL’intervention d’exérèse chirurgicale du frag-ment mobile (fracture déplacée, pseudarthrose) se déroule sous anesthésie générale ou locoré-gionale avec garrot pneumatique positionné à la racine du membre supérieur. Nous recom-mandons une voie d’abord anti- brachiopalmaire, le long du troisième espace palmaire inter- métacarpien, brisée au niveau du pli de flexion du poignet et pouvant être prolongée le long du flexor carpi ulnaris. L’abord du canal carpien permet une exploration précise des éléments ten-dineux, fléchisseurs profonds et superficiels, par-ticulièrement ceux des quatrième et cinquième doigts.

Il existe pratiquement toujours une lésion du plancher du canal carpien avec rupture de la capsule en regard de la base d’implanta-tion de l’apophyse unciforme. L’abord de la loge de Guyon est ensuite réalisé, permettant l’exploration du paquet vasculo- nerveux cubi-tal. La branche motrice est souvent compri-mée par contact avec le foyer osseux mobile. L’apophyse unciforme est alors réséquée en sous- périosté, en conservant les lambeaux cap-sulaires de couverture de cette apophyse  : le lambeau radial correspondant à la partie interne du canal carpien et le lambeau ulnaire à l’apo-névrose d’insertion des muscles hypothénariens sur l’hamulus. Il existe fréquemment des irré-gularités osseuses de la base d’implantation de l’apophyse qui seront abrasées à la pince gouge. Cette surface osseuse sera matelassée avec le lambeau capsulaire décrit précédem-ment (Figure 11-6). L’aspect sous- périosté de la résection à toute son importance dans l’éviction de la récidive par phénomène de remodelage osseux. Cette complication reste rare mais néan-moins décrite dans la littérature [5]. L’absence de zones compressives doit être vérifiée. Si des lésions tendineuses de type languettes ulcérées existent, elles sont régularisées. Une attelle plâ-trée anti- brachiopalmaire sera mise en place en postopératoire immédiat pour une quinzaine de jours.

• La fracture de l’hamulus de l’hamatum est une entité non exceptionnelle en traumato‑logie sportive. L’aphorisme souvent vérifié en chirurgie, selon lequel « on ne trouve que ce que l’on cherche et, on ne cherche que ce que l’on connaît  », trouve toute sa signification dans cet état de fait.• La meilleure connaissance de cette patho‑logie en permet le diagnostic plus précoce et une prise en charge adéquate. En présence d’une symptomatologie évocatrice d’une frac‑ture de l’hamulus et de radiographies négatives ou douteuses, le CT scanner est l’examen de choix pour poser le diagnostic de certitude.• De diagnostic précoce, la simple immobi‑lisation d’une fracture non déplacée permet souvent d’en obtenir la consolidation. En situation de pseudarthrose douloureuse, seule la résection chirurgicale permettra d’obtenir la résolution des symptômes et une reprise des activités normales avec une récupération complète de la force de serrage, même chez l’athlète de haut niveau (Figure 11‑7).

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Figure 11-6. Vue peropératoire. Résection de l’hamulus de l’hamatum.

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Figure 11-7. Prise en charge diagnostique et thérapeutique.

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