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Tracés. Revue de Sciences humaines #13 (2013) Hors-série 2013. Philosophie et sciences scociales ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Barbara Carnevali L’esthétique sociale entre philosophie et sciences sociales ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Référence électronique Barbara Carnevali, « L’esthétique sociale entre philosophie et sciences sociales », Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne], #13 | 2013, mis en ligne le 21 octobre 2015, consulté le 14 novembre 2013. URL : http:// traces.revues.org/5685 ; DOI : 10.4000/traces.5685 Éditeur : ENS Éditions http://traces.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://traces.revues.org/5685 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. Cet article a été téléchargé sur le portail Cairn (http://www.cairn.info). Distribution électronique Cairn pour ENS Éditions et pour Revues.org (Centre pour l'édition électronique ouverte) © ENS Éditions

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Tracés. Revue de Scienceshumaines#13  (2013)Hors-série 2013. Philosophie et sciences scociales

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Barbara Carnevali

L’esthétique sociale entre philosophieet sciences sociales................................................................................................................................................................................................................................................................................................

AvertissementLe contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive del'éditeur.Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sousréserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue,l'auteur et la référence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législationen vigueur en France.

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Référence électroniqueBarbara Carnevali, « L’esthétique sociale entre philosophie et sciences sociales », Tracés. Revue de Scienceshumaines [En ligne], #13 | 2013, mis en ligne le 21 octobre 2015, consulté le 14 novembre 2013. URL : http://traces.revues.org/5685 ; DOI : 10.4000/traces.5685

Éditeur : ENS Éditionshttp://traces.revues.orghttp://www.revues.org

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TRACÉS 2013 / HORS-SÉRIE PAGES 29-48

l’esthétique sociale entre philosophie et sciences sociales

BArBArA CArNEvAlI TrADuIT DE l’ITAlIEN PAr GIulIA PumA

Je voudrais réfléchir au rôle que la philosophie peut jouer comme média-teur dans l’établissement d’un rapport entre mon domaine et les sciences sociales en évoquant un programme de travail à venir. Issu d’une expérience de recherche concrète qui s’est développée à partir de ma formation d’his-torienne de la philosophie, ce projet s’est situé tout naturellement, dès l’ori-gine, à l’intersection de différentes disciplines, en particulier la philosophie, la sociologie, la littérature et l’histoire des arts1. Je voudrais ici tenter d’en présenter les présupposés et la méthode dans leur dimension réflexive, en commençant par tracer le champ de l’enquête, que j’appellerai « esthétique sociale »2.

1 Mon premier livre (Carnevali, 2004, 2012a) était consacré à Jean-Jacques Rousseau, le penseur moderne qui a sans doute le plus réfléchi au rôle des apparences et des inégalités symbo-liques dans la vie sociale. J’y accordais une attention particulière aux questions de la quête de reconnaissance (en identifiant une famille d’affects dont l’objet privilégié est l’image du moi renvoyée par la subjectivité des autres) et de la nature spectaculaire (représentative, ostentatoire) de l’interaction sociale. La lecture philosophique d’À la recherche du temps perdu a été un autre élément essentiel de mon parcours (Carnevali, 2006, 2012b). Le mythe de Guermantes peut être lu comme une profonde réflexion sur la dimension esthétique du prestige social. En sai-sissant la force de séduction du statut inhérente à la représentation publique d’un style de vie, Proust a touché au cœur du rapport entre la domination sociale et l’apparence sensible, un rapport que seule la culture grecque avait su auparavant thématiser avec autant de puissance. Ces approches ont convergé dans un livre sur les apparences sociales (Carnevali, 2012c), étude à valeur programmatique qui essaie de définir le champ, la méthodologie et les questions fon-damentales d’une analyse esthétique du social, en combinant les outils des sciences sociales et les connaissances propres au savoir esthétique. L’intuition qui l’inspire pourrait être résumée comme une transposition au monde social de la maxime de George Berkeley : « En société, être c’est être perçu ou percevoir. »

2 Je signale l’article d’Arnold Berleant (2005), qui porte sur un projet au titre analogue – Ideas for a Social Aesthetics – mais d’inspiration très différente, à partir d’une relecture des Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme de Friedrich Schiller.

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1. L’esthétique sociale étudie les manifestations sensibles du social, la dimen-sion esthétique de la société. On entendra le terme esthétique dans les deux acceptions fondamentales qui ont marqué l’histoire de la discipline phi-losophique à laquelle elle donne son nom : tout d’abord, l’étude de la perception sensible, l’aisthesis, et de sa forme de connaissance spécifique qu’Alexander Baumgarten définissait comme scientia cognitionis sensitivae ; ensuite, la théorie des arts, c’est-à-dire des techniques d’élaboration, de transformation et de façonnement du monde sensible. Si, à première vue, cette référence à un secteur de la philosophie qui semble tout ce qu’il y a de plus étranger à la connaissance scientifique du monde social peut sembler déroutante (on s’interrogera plus loin sur l’origine et les causes du préjugé qui conduit à séparer esthétique et société), un simple constat suffit pour-tant à montrer la pertinence d’une analyse du monde social à partir d’une perspective esthétique. Ce constat est le suivant : de nombreuses notions comptant parmi les instruments conceptuels de la sociologie, de l’ethno-logie et de l’histoire sociale appartiennent ou pourraient fort bien apparte-nir au vocabulaire de l’esthétique : style de vie, représentation, cérémonial, rite, prestige, distinction, luxe, mode, politesse, civilisation, manières… Or, cette coïncidence ne découle pas d’un simple glissement métaphorique et encore moins d’une ambiguïté de ces termes. En effet, ces notions peuvent être considérées comme esthétiques au sens le plus plein du terme, dans la mesure où elles se réfèrent toutes aux aspects sensibles, qualitatifs et formels de la réalité sociale. Les phénomènes désignés par ces notions partagent au moins deux propriétés fondamentales : ils apparaissent dans l’espace social, ils se manifestent publiquement, sous forme phénoménique, et sont donc perceptibles au moyen des sens ; ils peuvent être transformés et élaborés au moyen de techniques ou d’arts spécifiques.

Ainsi, par exemple, le concept de style de vie renvoie d’emblée à un phé-nomène public et perceptible : on le définit en effet, au sujet d’un individu ou d’un groupe, comme ce que l’on perçoit de ses habitudes, de sa tenue, de ses manières, de sa façon de parler, de se présenter et de se comporter, des biens qu’il consomme ; mais il renvoie aussi à un élément formel, à l’idée d’un code expressif doté de certaines propriétés esthétiques, analysables avec les instruments spécifiques de la branche de l’esthétique appelée sty-listique3. De même, le concept de prestige peut être défini comme la repré-

3 La notion sera ici comprise dans un sens large, qui embrasse non seulement la stylistique litté-raire, mais aussi cette branche de l’histoire de l’art qui a analysé en termes formels le style des arts plastiques, visuels ou musicaux, telle que la pratiquent Alois Riegl, Heinrich Wölfflin, Charles Rosen. Pour rendre ces affirmations moins abstraites, quelques exemples peuvent illustrer la convergence entre stylistique et étude de la société (convergence dont on trouve déjà des analyses

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sentation esthétique de la valeur sociale, comme l’ensemble des manifesta-tions sensibles au moyen desquelles un individu ou un groupe représente socialement sa supériorité : les signes de la conspicuous consumption d’après l’analyse de Thorstein Veblen, la taille des habitations ou le caractère spec-taculaire des cérémoniaux étudiés par Norbert Elias dans La société de cour, les dons sacrificiels des pratiques d’échange analysées par Marcel Mauss… À l’instar du luxe, autre phénomène proche, qui consiste en une intensifi-cation qualitative et quantitative de la dimension sensible de la consomma-tion, le prestige peut aussi être obtenu par le recours à des principes esthé-tiques opposés à l’idée de grandeur, tels le goût du détail et de la discrétion, la simplicité du less is more. Chacun de ces effets esthétiques et sociaux (style de vie, prestige, luxe) ne consiste pas seulement en des formes sensibles mais peut être obtenu et manipulé grâce à la maîtrise de techniques spécifiques praticables soit par les sujets sociaux eux-mêmes, soit à l’aide de profession-nels spécialisés.

2. En paraphrasant la définition hégélienne du beau, on pourrait donc défi-nir l’esthétique sociale comme le savoir qui a pour objet la manifestation sensible de la société. Ce savoir considère la société comme un phénomène esthétique : tout ce qui est social apparaît en effet sensiblement, donc esthé-tiquement. Mais en quoi consiste et comment s’exerce concrètement cette forme de connaissance ? Et quel rapport institue-t-elle entre le savoir philo-sophique et les sciences sociales ?

Dans la mesure où nous sommes des « êtres mondains » au sens où l’en-tendait Hannah Arendt, c’est-à-dire des êtres incarnés dans des corps qui existent en se manifestant dans le monde, des êtres qui se rapportent les uns

saisissantes dans les travaux de Georg Simmel et dans la Distinction de Pierre Bourdieu). Dans la perspective de la tradition rhétorique et littéraire qui s’est interrogée des siècles durant sur le principe de la Stiltrennung, on pourrait se demander ce qui caractérise un style de vie noble, en quoi il se distingue d’un style de vie vulgaire et combien de styles sont envisageables pour dési-gner les diverses gradations possibles. Cela revient à se demander s’il existe, entre le style élevé et le style bas, un style moyen, celui qu’Aristote associait aux « hommes comme nous » dans la Poétique, ou bien si cette troisième possibilité, comme le pensait par exemple Erich Auerbach, ne tend pas plutôt à se confondre avec la deuxième, c’est-à-dire avec le style humble, ce qui confirmerait implicitement la thèse de ceux qui conçoivent la stylistique comme un système d’écarts, d’oppositions binaires, selon les principes du structuralisme. De même, on pourrait développer dans un sens social des concepts comme celui de style baroque (comme forme qui apparente de manière transversale le style de vie de certaines élites et de certains milieux popu-laires), de minimalisme (qui irait du style de certains ordres ecclésiastiques au dandysme) ou de maniérisme (ce dernier étant particulièrement adapté à l’analyse des phénomènes esthétiques et sociaux de nature imitative et distinctive comme la mode ou le snobisme). Sur les implications identitaires du rapport aux formes et pour une extension anthropologique de la question du style, voir Macé (2011).

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aux autres par l’intermédiaire de leurs sens et qui, en tant que tels, sont néces-sairement et constamment plongés dans la dimension de l’apparence, nous savons tous ce qu’est l’esthétique sociale : nous connaissons ses lois, nous en parlons le langage et nous sommes familiers de ses artifices, même si, pour sa plus grande part, cette connaissance se présente sous forme irréfléchie, sous la forme que Pierre Bourdieu appellerait le « sens pratique ». Lorsque nous ne faisons pas appel à un expert professionnel (architecte, couturier, publicitaire), cette connaissance se présente comme un savoir-faire fondé sur la semi-spontanéité de l’habitus, sur le sens de la convenance et de l’oppor-tunité qui nous guide dans les mille petits gestes quotidiens où s’accomplit le travail sur les apparences sociales. Le sens pratique-esthétique, que l’on pourrait simplement appeler « goût social », produit des jugements et des règles esthétiques en appréciant l’esprit d’une situation et en élaborant, au cas par cas, telle ou telle manière de paraître considérée comme en accord avec les circonstances, selon des dynamiques analogues à celles de l’improvi-sation artistique. Le goût est la boussole qui nous guide dans le monde des apparences sociales : il détermine la manière qu’ont les autres de se montrer à nous et notre manière de nous montrer à eux. Il nous enseigne à choisir la tenue la plus appropriée à un état d’âme ou à une rencontre, à gommer une inflexion dialectale, à poser devant l’objectif d’un photographe ; il nous invite à employer telle ou telle expression pour saluer une personne, mais à l’évi-ter pour en saluer une autre ; il nous pousse à corriger un enfant mal élevé, à déplorer le manque de tact ou les fautes de style des autres. Toute précau-tion oratoire, toute intervention cosmétique, toute règle de diplomatie, tout souci de politesse, toute manière, bonne ou mauvaise, tout comportement qui implique ou concerne les apparences sociales et l’image publique des personnes, du geste le plus frivole au plus sérieux et lourd de conséquences, du plus ostentatoire au plus discret, du plus égoïste au plus chargé de com-préhension envers les exigences et les attentes d’autrui, relève du domaine du sens esthético-social et est soumis à ses directives.

Autrement dit, l’esthétique sociale imprègne notre vie quotidienne. Il semble de surcroît – et cela fait aujourd’hui consensus – que jamais comme aujourd’hui l’esthétique sociale n’avait joué un rôle aussi important. Pour décrire les caractères spécifiques (et même, serait-on tenté de dire, para-digmatiques) du monde contemporain, on parle ainsi souvent d’esthéti-sation de la politique et de la vie quotidienne, de société du paraître, de l’image, du spectacle4. Rares sont toutefois les réflexions philosophiques qui abordent ces questions dans une perspective réaliste et globale. Le discours

4 On en trouve un exemple récent et emblématique dans Lipovetsky et Serroy (2013).

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le plus courant relève de la critique de l’idéologie : en considérant l’en-semble du domaine des apparences sociales comme une simple pathologie de notre forme de vie moderne et capitaliste, il se substitue à une réflexion approfondie sur le rôle physiologique de l’esthétique dans le fonctionnement du corps social et dans l’existence des personnes qui en font partie.

Il existe certes d’importantes exceptions : au premier chef l’œuvre de Georg Simmel, dont l’esthétique sociologique offre aujourd’hui encore les fondements essentiels d’une compréhension philosophique de la dimension sensible du social. Allant à l’encontre de tout réductionnisme, Simmel a placé l’esthétique au centre de sa théorie sociale : il s’est interrogé sur la fonction sociale des sens, sur les dynamiques de l’expression et de la perception sociales, sur la signification sociologique de la notion de forme, sur le rôle fondamental des vêtements et des ornements, sur l’importance des pratiques mimétiques et de distinction. Il a proposé des analyses pionnières de certains de ces phé-nomènes, comme celui de la mode, où affleure le point de jonction entre l’esthétique et la sphère des interactions sociales. Le programme de l’esthé-tique sociale se présente donc à maints égards comme un développement des intuitions les plus pénétrantes de Simmel5. En partant de Thorstein Veblen et par l’intermédiaire de Max Weber, Norbert Elias, Erving Goffman et Pierre Bourdieu, on peut tracer une ligne de tradition sociologique attentive aux apparences, au rôle des styles de vie dans la stratification sociale, à des phéno-mènes symboliques au fort potentiel esthétique comme le prestige et le cha-risme. Enfin, il existe aussi des études importantes portant sur des aspects plus circonscrits des apparences sociales : ces études relèvent de l’anthropologie culturelle, de la psychologie sociale, de la sociologie de l’art, des styles de vie et de la mode, de la sémiologie, de la théorie des médias et de la culture visuelle. Cependant, une enquête réunissant et faisant dialoguer ces différents apports par-delà les frontières imposées par la division du travail intellectuel fait encore défaut : il manque à ce jour une synthèse organique et systématique articulant en un seul discours cohérent les multiples aspects de la dimension sensible du social. Or, tel est justement le projet de l’esthétique sociale.

Ce projet répondrait à mes yeux à l’un des premiers devoirs de la philo-sophie6. Le savoir spécialisé de la généralité semble en effet avoir perdu sa

5 Pour un aperçu des enjeux de l’esthétique sociologique de Simmel, voir Davis (1973), De la Fuente (2008), Mele (2011).

6 Bien qu’issue de la tradition de la philosophie sociale, la démarche proposée ici ne saurait s’insérer simplement dans la position « intégrationniste » telle que la définit Cyril Lemieux (2012). Elle reconnaît, en effet, l’existence d’une frontière légitime qui sépare la philosophie et les sciences sociales, et qui concerne non seulement leurs domaines de compétence respectifs, leurs objets mais aussi leurs méthodes. Au lieu de se fondre avec les sciences sociales dans une sorte de savoir indifférencié, la philosophie y puise ses connaissances empiriques sur la réalité,

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raison d’être : la différenciation moderne entre les disciplines a fragmenté son objet propre, le tout, en une pluralité de bribes de réalité, et le processus moderne de sécularisation a neutralisé les questions traditionnelles de Dieu, de l’âme, de l’être, et même de l’Homme, en leur substituant des hommes, c’est-à-dire des sociétés et des cultures singulières. Or, la philosophie peut encore relier et faire dialoguer des savoirs devenus distants et incommen-surables grâce à son aspiration originelle et jamais satisfaite à recomposer une totalité. Cette vocation à la liaison, à la traduction et à la synthèse peut être exercée sans prétention aucune d’en remontrer aux autres disciplines mais, au contraire, dans le respect plein et entier de leurs compétences méthodo-logiques et empiriques. La philosophie dispose pour cela des instruments de l’abstraction, de la conceptualisation et, au premier chef, d’une forme particulière de problématisation qui passe par un questionnement univer-sel. C’est à la lumière du concept d’esthétique sociale entendue comme dimension sociale sensible perceptible et manipulable artificiellement, ainsi que d’une série de questions générales telle que : « Quel est le rôle des sens, des perceptions et des formes dans les rapports sociaux ? », qu’affleure plei-nement le lien profond unissant des œuvres et des réflexions apparemment aussi éloignées que celles d’un philosophe comme Maurice Merleau-Ponty, de sociologues comme Simmel, Goffman, Bourdieu, ou d’historiens de l’art comme Ernst Gombrich ou Michael Baxandall.

Ce devoir conceptuel et abstrait de liaison et de structuration me semble cependant devoir s’accompagner d’un effort pour intégrer une philosophie des apparences sociales sur le modèle des analyses esquissées par Simmel et Arendt. La première partie de la Vie de l’esprit, où Arendt a fusionné ses lec-tures de Merleau-Ponty, de Goffman et du biologiste Adolf Portmann, offre tout particulièrement le modèle d’une anthropologie philosophique qui parvient à articuler les apports de diverses sciences sur le problème commun du self-display (Selbstdarstellung pour Portmann et presentation of self pour Goffman) au moyen du langage et de la forme de problématisation propre à la philosophie (Curtis, 1999 ; Arendt, 2005)7. Dans cette perspective, loin de se présenter comme un savoir spéculatif, l’anthropologie philosophique

en se réservant la tâche spécifique de les structurer en un tout cohérent. Par rapport à la philoso-phie des sciences sociales proposée par Bruno Karsenti (2013), la philosophie joue donc un rôle tout aussi important de collaboration, mais de manière en partie différente, puisqu’elle a une fonction de coordination et de synthèse plutôt que de critique réflexive ; moins préoccupée par des questions normatives, plus proche de l’anthropologie philosophique que de la philosophie politique, elle est également moins circonscrite aux caractéristiques propres de la modernité.

7 Il faudrait également intégrer dans cette démarche les contributions de l’anthropologie philo-sophique allemande, à commencer par l’esthésiologie d’Helmuth Plessner et la réflexion sur la notion de visibilité (Sichtbarkeit) de Hans Blumenberg (2011).

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offre un lieu de convergence, d’homogénéisation et de synthèse d’une série de faits et d’observations concrètes provenant des sciences empiriques.

3. Un autre obstacle surgit toutefois sous la forme d’un léger discrédit scienti-fique. L’esthétique sociale n’est-elle pas une connaissance trop banale et ordi-naire pour avoir quelque chose en commun avec l’exercice de la philosophie, savoir aristocratique par excellence, ayant des objets nobles et éloignés de la vie quotidienne ? Or c’est précisément cette qualité ordinaire qui pourrait confé-rer un intérêt à l’esthétique sociale aux yeux du philosophe sensible à la valeur cognitive des pratiques sociales qui recèlent, comme on sait, une connaissance apte à renverser le principe de l’ignorance socratique : la pratique ne sait pas qu’elle sait, mais elle sait dans la mesure même où elle fait. Si nous maîtri-sons tous un certain nombre de principes esthétiques et les employons dans nos interactions quotidiennes, nous ne serions en revanche que quelques-uns à savoir les expliciter de manière claire et cohérente et nous serions encore moins nombreux à savoir les situer au sein d’une philosophie des apparences sociales. Cette limite n’est toutefois pas rédhibitoire : comme tout savoir pra-tique, le sens esthético-social peut lui aussi être porté à un plus haut degré de conscience de soi, de réflexivité et de recherche de l’objectivité qui caractérise au sens épistémologique une théorie, pour peu que l’on distille avec discerne-ment critique la connaissance infuse dans les habitudes et dans les compor-tements non réfléchis, qu’ils soient stratégiques ou désintéressés (Bourdieu, 1989 ; Shusterman, 1991, 1999 ; Dewey, 2005).

Une voie d’accès supplémentaire à l’esthétique sociale reconnaît ainsi à la philosophie le devoir de réfléchir aux pratiques ordinaires de la mise en scène sociale : des pratiques les plus dilettantes, mais non moins efficaces sociale-ment, recensées dans les manuels de savoir-vivre et de bonnes manières, des principes d’éducation, des leçons d’élégance et de bon goût imparties par les amis, les collègues et les proches, aux pratiques les plus spécialisées et les plus professionnelles déployées par le personnage exemplaire du consultant en image auquel s’adressent, moyennant paiement, les entreprises et les per-sonnages publics afin d’augmenter ou de consolider leur prestige. Celui qui montre à son petit frère comment se raser ou nouer sa cravate, la vendeuse qui conseille à sa cliente la robe qui lui va le mieux, l’agent qui dissuade un acteur d’accepter un rôle inadapté pour lui, l’expert en marketing qui propose de changer le logo de l’entreprise, le designer qui relance un quotidien ou une collection en modernisant son graphisme, le communicant qui orchestre une campagne politique ou le coach qui améliore les relations entre les membres d’une équipe, tous, à des degrés de prétention divers, possèdent une remar-quable compétence dans le champ de l’esthétique sociale : tout un patrimoine

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de connaissances, de capacités, de trucs et de techniques qui, gisant dans l’ex-périence ordinaire, attendent d’être portés à la lumière et distillés, de façon réflexive et critique, par l’analyse philosophique.

4. Avant de se lancer dans ce projet, il faut toutefois s’interroger sur la place que l’esthétique sociale – non plus comme pratique, mais comme connais-sance à part entière – pourrait occuper dans le champ du savoir. Une telle parenthèse est nécessaire parce qu’elle soulève un problème à la fois théo-rique et historique. Le statut particulier de la discipline qui étudie le monde social du point de vue de sa manifestation sensible remet en cause un pré-supposé qui a la vie dure. Depuis la seconde moitié du xviiie siècle environ, la connaissance légitime de la société repose sur l’idée d’une séparation nette entre le champ de compétence de l’esthétique et celui des sciences éco-nomiques et politiques. Incarné de façon exemplaire dans le matérialisme historique et dans la sociologie durkheimienne, ce présupposé empêche d’envisager la société dans une perspective esthétique. Il tend en effet à reléguer l’esthétique dans une sphère autonome du monde social, libre, supérieure, distante des impulsions vitales qui le traversent, qu’il s’agisse d’intérêts non dissimulés, de volonté de puissance ou du simple besoin de paraître qui pousse les êtres humains, comme les autres êtres vivants, à se montrer, à se présenter et se représenter aux autres sur la scène publique en se dotant d’une consistance sensible et d’une forme. Ce paradigme, qui a pourtant rencontré des résistances internes et que l’on pourrait considérer comme dépassé8, continue à exercer une influence, non seulement sur le sens commun qui tend souvent à raisonner en opposant de façon simpliste les besoins matériels authentiques aux distractions futiles des apparences et des plaisirs esthétiques, mais également sur le plan scientifique.

Tout phénomène esthético-social est ambigu : il relève de deux dimen-sions. Pris dans son espace, un phénomène esthétique doit être considéré comme esthétique au sens social : il ne faut pas l’entendre comme une expé-rience sensible privée qui ne met en jeu que la relation du sujet à lui-même, le rapport individuel aux sensations, au plaisir, aux formes, mais comme quelque chose d’intersubjectif qui appartient au monde partagé et qui est ouvert, disponible, accessible à tous comme un espace public. De façon symétrique, un phénomène social doit être considéré comme social au sens esthétique : il ne compte pas pour sa nature matérielle et quantifiable mais

8 Cette tradition, comme on l’a vu, a été contestée de l’intérieur, y compris dans sa phase hégé-monique. Le cas le plus emblématique est précisément celui de Simmel, mais il faut aussi évoquer Gabriel Tarde ou Jean-Marie Guyau, dont les œuvres regorgent d’idées fécondes pour l’esthétique sociale.

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pour sa nature phénoménique, faite de qualités sensibles et des formes que ces qualités peuvent prendre pour se structurer. Or, alors même que la pre-mière moitié de cette sphère d’intersection – l’étude des phénomènes esthé-tiques dans leur dimension sociale – semble avoir trouvé sa place dans le système contemporain des savoirs, où elle correspond à des disciplines pra-tiquées et reconnues institutionnellement telles que la sociologie, l’anthro-pologie ou l’histoire sociale de l’art, l’autre moitié – l’étude des phénomènes sociaux dans leur dimension esthétique – demeure en grande partie dans l’ombre, subissant les soupçons que lui portent des disciplines plus légi-times qui se reconnaissent dans une définition économico-politique de la société9. L’accusation formulée le plus souvent est bien résumée par les termes d’esthétisme et d’esthétisation, qui désignent une valorisation indue des apparences et de la dimension sensible du social à laquelle correspon-drait une occultation ou un reniement de la réalité sociale authentique. Tout se passe comme si le regard esthétique sur le monde social niait ipso facto la consistance matérielle et économique de ce monde : il conduirait ainsi à occulter les dynamiques de pouvoir et à abonder dans le sens des dominants et des élites – tels sont les corollaires les plus fréquents de l’ac-cusation d’esthétisme et d’esthétisation. Or, l’esthétique sociale débouche sur des conclusions inverses puisqu’elle démontre, par exemple, qu’il existe toute une famille de pouvoirs invisibles et insidieux dont l’efficacité est fon-dée sur des dynamiques proprement esthétiques que seul un savoir attentif à la logique des phénomènes esthétiques peut aider à déchiffrer. Justement parce que cette accusation risque de nuire à la réflexion philosophique en interdisant une position correcte des problèmes, il vaut la peine de s’arrêter un moment sur les fondements et sur les raisons de son succès.

Pour simplifier, on peut reconstituer deux familles d’argumentations. L’accusation d’esthétisme considère la dimension esthétique comme super-flue et ornementale, comme un luxe, une activité du dimanche qui, fruit du privilège et de l’oisiveté, révèle chez ceux qui la pratiquent un compor-tement égoïste, antisocial et en fin de compte immoral. La notion d’esthé-tisation voit au contraire dans l’esthétique une dimension d’occultation et d’aliénation qui renverse la juste hiérarchie entre apparence et réalité et dissimule ainsi la vraie substance du monde social. Dans le premier sens, l’esthétique est donc conçue en négatif comme ce qui, tout en promettant

9 En réalité, comme on y a déjà fait allusion, des disciplines qui étudient la société d’un point de vue esthétique, telles que les fashion studies ou la théorie des médias, existent bel et bien et occupent un espace institutionnel croissant. Elles ne bénéficient pourtant pas du même prestige scientifique et de la même place que les disciplines économiques et politiques – mis à part le marketing qui, ce n’est pas un hasard, se justifie comme étant une forme d’« économie » de l’image.

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à l’individu quelque chose de très concret, à savoir l’intensification de son expérience et de son plaisir sensibles, apparaît en réalité comme un appau-vrissement par rapport à la réalité collective, la seule qui soit vraie. Dans l’esthétisation, au contraire, la dimension esthétique est conçue comme trop expansive, comme un excès, un surplus, une valeur ajoutée qui infiltre progressivement le monde social et finit par le brouiller et l’occulter. La qualité de ce qui est esthétique prend ici une acception très positive : l’es-thétique existe et exerce un pouvoir réel, facile à identifier du fait de ses effets envahissants. Elle crée dès lors une sorte de réalité parallèle au sein de la réalité, un voile d’apparences séduisantes et hypnotiques.

La première de ces positions a trouvé une justification théorique dans un passage célèbre de la Division du travail social d’Émile Durkheim, qui a durablement influencé la sociologie française :

L’art […] est absolument réfractaire à tout ce qui ressemble à une obligation, car il est le domaine de la liberté. C’est un luxe et une parure qu’il est peut-être beau d’avoir, mais que l’on ne peut pas être tenu d’acquérir : ce qui est super-flu ne s’impose pas. Au contraire, la morale, c’est le minimum indispensable, le strict nécessaire, le pain quotidien sans lequel les sociétés ne peuvent pas vivre. L’art répond au besoin que nous avons de répandre notre activité sans but, pour le plaisir de la répandre, tandis que la morale nous astreint à suivre une voie déterminée vers un but défini : qui dit obligation dit du même coup contrainte. Ainsi, quoiqu’il puisse être animé par des idées morales ou se trouver mêlé à l’évolution des phénomènes moraux proprement dits, l’art n’est pas moral par soi-même. Peut-être même l’observation établirait-elle que, chez les individus, comme dans les sociétés, un développement intempérant des facultés esthé-tiques est un grave symptôme au point de vue de la moralité. (Durkheim, 1991, p. 14 ; cf. 1963, p. 227-233)

Cette page de Durkheim est exemplaire : pour se justifier, la défiance de la sociologie française10 à l’égard de ce qui est esthétique doit non seulement faire passer pour évident le présupposé issu du xviiie siècle qui oppose l’utile au beau, le nécessaire au gratuit, mais aussi le pousser à l’extrême. En effet, l’art ne peut être défini comme un luxe et un ornement superflu que s’il est conçu comme une activité inutile, libre, dénuée d’objectif, affranchie de tout besoin réel. Durkheim n’identifie pas uniquement ces besoins avec la struc-

10 L’hostilité contre l’esthétique ou le soupçon à son égard semblent sans équivalent dans les autres traditions nationales. En Allemagne, par exemple, l’influence du romantisme, qui voit dans l’art une forme de connaissance égale, voire supérieure à la science et à la philosophie, a permis la formation d’un courant de pensée sociale qui a reconnu, même lorsqu’il est d’inspiration marxiste et qu’il critique avec vigueur les formes aliénées de l’art commercial et de consom-mation, le pouvoir de vérité de la connaissance esthétique. Pour des auteurs comme György Lukács ou Theodor W. Adorno, par exemple, des romans comme Guerre et paix ou la Recherche de Proust révèlent des vérités profondes sur la société de leur temps.

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ture économico-politique, mais les étend aux liens de la morale, évitant ainsi la hiérarchisation anthropologique qui fait primer les besoins économiques liés à la survie sur les exigences de l’esprit. L’extension de la sphère du néces-saire, toutefois, rend encore plus grave l’accusation portée contre les pratiques esthétiques, coupables de promouvoir l’individualisme et l’anomie. L’esthète est un parasite asocial qui, comme Des Esseintes, le héros d’À rebours, s’isole de la communauté pour se consacrer à sa propre jouissance égoïste. Le phéno-mène de l’esthétisme de la fin du xviiie siècle peut aisément trouver sa place et son interprétation au sein de ce paradigme.

5. La seconde accusation, que l’on peut résumer par le terme d’esthétisation, est idéalement représentée par le courant de l’école de Francfort qui s’est consacré à la « critique de l’esthétique marchande » et de l’« économie esthé-tique » (Haug, 2009 ; Böhme, 2003 ; voir aussi Assouly, 2008). Ses représen-tants partagent certains présupposés communs : 1) ils considèrent l’émer-gence et la place de plus en plus grande de la sphère esthético-sociale comme un phénomène typiquement moderne qui découle des caractères de la pro-duction capitaliste parvenue au stade ultime de son développement ; 2) ils estiment que deux phénomènes-clés sont à l’origine du processus d’esthétisa-tion sociale, la marchandise (le triomphe de la valeur d’échange sur la valeur d’usage engendre une cosmétique des biens de consommation destinée à en accroître l’attrait et le prix) et la disparition de la distinction traditionnelle entre art prestigieux et art vil (d’où tirent leur origine aussi bien l’industrie culturelle que l’art commercial destiné à légitimer un objet existant en lui conférant une aura d’appréciabilité) ; 3) ils voient dans la multiplication des besoins esthétiques des consommateurs une forme d’aliénation, un lieu de perte d’authenticité où se fait jour une vulnérabilité anthropologique qui offre au capitalisme un point d’ancrage perméable à son pouvoir. Fondée sur de tels postulats, la critique du capitalisme esthétique se considère comme le prolongement naturel de la théorie critique de la société et se réclame, en plus du Karl Marx du fétichisme de la marchandise et de la critique de la culture de masse de Theodor W. Adorno et de Max Horkheimer, du concept d’esthétisation de la politique (Ästhetisierung der Politik) théorisé par Wal-ter Benjamin au sujet du fascisme dans sa célèbre note sur L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique (2003)11. La société du spectacle de Guy Debord peut, elle aussi, s’inscrire dans cette tradition.

Les limites de cette façon de poser les rapports entre esthétique et

11 Le concept d’esthétisation de la politique est au centre de certaines interprétations historiques du nazisme et du fascisme et des autres expériences totalitaires (Groys, 1990 ; Reichel, 1997).

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r éalité sociale se révèlent avant tout dans ses conséquences paradoxales. En condamnant l’esthétisation comme le mal principal de la société contempo-raine, en réduisant les phénomènes esthétiques à la sphère matérielle dont ils ne seraient que l’épiphénomène, la lecture critico-pathologique se prive de la possibilité de comprendre ces mêmes processus avec des instruments adéquats. Il ne sert à rien de parler d’un capitalisme arrivé au stade de la pure apparence sans s’interroger sur la nature de cette apparence et sur les raisons à la fois anthropologiques et esthétiques de son triomphe. Il ne suffit pas de parler d’un monde où les images et les simulacres ont pris la place des choses sans analyser l’« efficacité des images », connue de tous ceux qui étu-dient les arts et la culture visuelle12, seule capable d’expliquer leur pouvoir de séduction. Pour séduire, il faut être attrayant, transformer l’espace per-ceptif en partage, stimuler le goût et le désir. Pourquoi, sinon, se laisserait-on enchanter par des réalités immatérielles, par d’inoffensives apparences ?

Il est donc nécessaire de compléter l’approche pathologique par une approche physiologique et de faire précéder la critique de l’esthétisme et de l’esthétisation par l’étude préliminaire de la dimension esthétique du social. Comme en médecine, le diagnostic d’un symptôme morbide en philoso-phie sociale exige que l’on détermine au préalable le fonctionnement du corps sain, sans lequel il est impossible de définir l’écart synonyme de mala-die. Le problème du taux esthétique de la modernité occidentale ne peut donc être abordé que si l’on établit avec exactitude le rôle de l’esthétique dans la vie sociale tout court.

La différence entre ces deux méthodes de recherche peut être synthéti-sée par deux séries de questions. La diffusion de phénomènes esthétiques doit-elle être dénoncée comme une maladie qui, engendrée par certaines modalités de la vie contemporaine, menace mortellement le fonctionne-ment sain du corps social ? Ou s’enracine-t-elle au contraire dans ce fonc-tionnement sain du corps social, dans sa nature fondamentalement super-ficielle et feinte ? Existe-t-il, en d’autres termes, une dimension esthétique normale, faisant si bien corps avec la nature même de la société que celle-ci ne saurait l’éliminer, sauf à renoncer à son propre bien-être, voire à sa vie ? Si, d’autre part, un coefficient esthétique invalide toute interaction normale, comment ce constat influe-t-il sur notre évaluation du présent ? Peut-on reconnaître que les apparences exercent un rôle irremplaçable dans la vie sociale sans renoncer à identifier et à critiquer les formes retorses de leur diffusion induite, de leur manipulation et de leur utilisation politique ?

12 Je renvoie principalement aux travaux de Thomas Mitchell (en particulier 2005) et de Louis Marin (1981, 1993).

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L’esthétique sociale tente de répondre à ces questions dont le champ correspond, en première instance, à l’espace d’une expérience universelle – l’étude des apparences sociales, de leur production et de leur perception dans toute société humaine possible –, puis à celui d’une expérience histo-rique – la direction et le sens particulier qu’ont pris ces processus dans notre temps et dans notre forme de vie. La dimension philosophique et la dimen-sion historique convergent dans la tentative de retracer la généalogie de l’es-thétique sociale : il lui revient d’identifier les circonstances historiques ayant conduit à la fracture entre esthétique et connaissance du monde social, ainsi qu’à la constitution des disciplines modernes de l’esthétique et de l’écono-mie comme des champs de connaissance autonomes et différenciés.

6. L’esthétique moderne est née au milieu du xviiie siècle, entre Alexan-der Baumgarten et Kant : dès l’origine, la nouvelle discipline s’est affir-mée comme philosophie de la connaissance sensible et du jugement de goût. Elle s’est ensuite, dans la première moitié du xixe siècle, entre Frie-drich Schelling, les romantiques et Hegel, transformée progressivement en philosophie de l’art. Si cette histoire est bien connue, on remarque toute-fois rarement que l’époque de sa fondation disciplinaire coïncide avec celle de l’institution de la science sociale moderne, entendue comme la torsion économico-politique classique qui a marqué l’étude de la société dans la période qui va d’Adam Smith à Adam Ferguson et Karl Marx13. L’économie politique et l’esthétique, les deux savoirs du xviiie siècle par excellence, sont deux disciplines sœurs : elles partagent le même contexte familial, c’est-à-dire les mêmes présupposés culturels et un même intérêt exclusif pour la sphère de la réalité sensible. Benedetto Croce, remarquant cette affinité, avait défini l’esthétique et l’économie comme les deux « sciences mondaines » de la modernité : des savoirs profanes, immanents et terrestres qui se recon-naissent dans leur recherche commune d’une « logique du sens », c’est-à-dire une logique de la sensibilité humaine dans ses implications cognitives et pratiques (1935, p. 43-58).

Mais comment ont-elles défini leurs objets et distingué leur champ de compétence ? Comme deux sœurs trop proches qui tentent par tous les moyens de se distinguer l’une de l’autre, chacune d’entre elles s’est définie comme la négation de l’autre : l’économie a déterminé son objet sensible comme l’utile, à l’enseigne de l’intérêt et de la nécessité matérielle, tandis

13 Cette torsion, du moins en ce qui concerne Adam Smith, est avant tout rétrospective, projetée par ceux qui cherchaient des ancêtres au marxisme. En réalité, le fondateur de l’économie classique n’a jamais défendu une vision économiste du monde social.

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que l’esthétique a désigné le beau comme inutile, à l’enseigne du désin-téressement et de la gratuité du caractère plaisant. À ces définitions par opposition a correspondu une distribution parallèle et complémentaire des champs de compétence : l’économie politique s’est attribué le champ de la nécessité économique, soumis aux lois du marché et de l’argent, domaine du « système des besoins » et d’une idée de société civile dans laquelle le concept de civilisation est entendu dans une acception qui n’a presque rien de spirituel, tandis que l’esthétique a investi le champ opposé et complé-mentaire de la gratuité, de la contemplation et du plaisir sans but, de l’il-lusion esthétique et du « libre jeu » des facultés, selon la célèbre définition kantienne14.

L’histoire de l’économie politique et de l’esthétique moderne pourrait ainsi être lue à la manière des biographies de Plutarque, comme deux vies parallèles. Les deux disciplines les plus éloignées et les plus opposées du sys-tème actuel des connaissances, qui se reprochent souvent leurs limites en s’accusant respectivement d’esthétisme ou d’esthétisation et d’économisme ou de matérialisme vulgaire, ont en réalité en partage une même racine. Elles sont nées de la même distinction transcendantale entre l’utile et le beau, le nécessaire et le frivole, l’intéressé et le gratuit. C’est à partir de cette distinction que s’est développée la manière de penser qui distingue nette-ment entre un savoir de la nécessité matérielle et un savoir des apparences gratuites. Au sein d’un tel paradigme, les phénomènes esthético-sociaux qui, dans la vie quotidienne, s’enchevêtrent étroitement dans le tissu de la Lebenswelt ont tendance à s’enrouler sur deux écheveaux spéculaires, aussi limités et abstraits l’un que l’autre : celui de la pure illusion esthétique et celui de la réalité matérielle et brute.

Face à cette séparation, la philosophie intervient par une double opéra-tion historique et généalogique. Non seulement elle étudie les conséquences de cette distinction disciplinaire sur le système contemporain du savoir, et en particulier sur l’idée de l’esthétique comme lieu d’oubli ou d’occultation du social, mais elle tente également de remonter en deçà de la différencia-tion et de la fracture advenues au xviiie siècle. Elle peut alors redécouvrir la tradition de la littérature moraliste, ainsi définie pour désigner le genre hybride, à mi-chemin entre littérature et morale, des écrivains de la Renais-sance aux Lumières. Si cette tradition possède un grand intérêt pour éclairer

14 La description proposée ici a pour seul but d’éclairer une taxonomie disciplinaire : elle ne prétend pas inscrire toutes les théories esthétiques modernes au sein d’un même cadre, ni faire remonter les origines de l’esthétisme à Kant, comme le veut un lieu commun de la sociologie marxiste accepté par Bourdieu – problème à propos duquel j’approuve les mises en garde de D’Angelo (2011, p. 66-67).

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le rapport entre philosophie et sciences sociales, c’est notamment grâce à la spécificité de son approche, qui ignore la division disciplinaire moderne. Dans la tradition moraliste, les points de vue et les préoccupations de ce que nous appelons aujourd’hui la philosophie morale, l’esthétique, l’anthro-pologie, la sociologie, la psychologie convergent en un savoir unique sur l’homme fondé sur le caractère central de la dimension esthético-sociale. Le moraliste prend très au sérieux les apparences, dont il reconnaît l’impor-tance et l’utilité. Il voit dans l’esthétique une dimension médiatrice irrem-plaçable – entre le moi et l’autre, entre le spirituel et le corporel – qui seule rend possibles les rapports sociaux et la vie morale15. La richesse de cette littérature réside ainsi dans ce qui peut apparaître aujourd’hui comme sa naïveté. La culture des apparences, qu’il faut comprendre à la fois comme patrimoine de connaissances empiriques et comme art de cultiver ces connaissances, constitue donc l’héritage précieux de la tradition moraliste, que l’esthétique sociale reconnaît comme son ancêtre idéale.

On peut distinguer deux courants dans le corpus moraliste (mais leurs parcours se recoupent et sont souvent empruntés par un même écrivain dans une même œuvre). Le premier, analytique, descriptif et démystifi-cateur, a pour principaux auteurs Michel de Montaigne, François de La Rochefoucauld et Jean de La Bruyère16. Il se propose avant tout d’observer et de décrire les comportements humains, confiant ses observations à des maximes, des essais, des caractérisations et des descriptions de mœurs ; il considère les apparences sociales comme son champ fondamental : avec sa précision presque anatomique, le regard moraliste, où le Friedrich Nietzsche d’Humain trop humain a voulu reconnaître l’ancêtre d’un nouveau réalisme moral, est né de l’insistance sur la référence à la perception visuelle liée à la métaphore du spectacle humain et de son spectateur (Van Delft, 2005), dont le moraliste tente de saisir les lois et de démasquer les artifices. En renouant avec la tradition phénoménologique de l’éthopée (comme repré-sentation mimétique de l’éthos) qui, inaugurée par Aristote et surtout par Théophraste, s’est réincarnée à l’âge moderne non seulement dans le genre psychologique des caractères, mais aussi dans celui, plus ethnologique, de la peinture des mœurs (Carnevali, 2010), et en la réinterprétant, cette famille d’écrivains a contribué pour une large part à la naissance des sciences sociales (Heilbron, 2006). Lorsque l’école moraliste classique s’est éteinte,

15 Comme le suggère le titre de l’étude d’Amedeo Quondam consacré à la lignée italienne de cette tradition : Forma del vivere. L’etica del gentiluomo e i moralisti italiani (2010).

16 La généalogie proposée ici est évidemment idéale : seul La Rochefoucauld peut sans doute être considéré comme le représentant pur d’une approche réaliste, anatomique et démystificatrice. Chez La Bruyère, il y a par exemple des formes d’outrance presque fantastique.

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au moment où s’affirmaient les différenciations entre disciplines, son héri-tage a été recueilli par le roman réaliste et par les nouvelles sciences telles que la sociologie, la psychologie et l’anthropologie (Carnevali, 2009, 2010).

Le second courant, plus prescriptif, comprend des traités tels que le Courtisan de Baldassare Castiglione, le De civilitate morum puerilium d’Érasme, le Galateo de Giovanni Della Casa, la Civil conversazione de Francesco Guazzo, les traités de civilité, fort nombreux à l’âge classique, tels que L’honnête homme de Nicolas Faret ou les Conversations du cheva-lier de Méré. En se proposant d’énoncer les règles et les codes du paraître, ces écrivains offrent ce qu’il y a de plus proche de l’idée d’une esthétique sociale entendue dans sa dimension normative (Elias, 1973 ; Burke, 1995 ; Bury, 1996 ; Ossola, 1997 ; Revel, 2006). Au sein de ce courant, on pourrait encore en identifier un autre, plus stratégique ou plus prudentiel, auquel on peut rattacher l’ensemble des réflexions qui ont analysé la tendance à la dissimulation caractéristique de la communication sociale et qui ont ensei-gné comment manier habilement les apparences au moyen de l’artifice : la Dissimulazione onesta de Torquato Accetto, l’Oràculo manual y arte de pru-dencia de Baltasar Graciàn, voire Le Prince de Machiavel (Vissing, 1986 ; Cavaillé, 2002).

7. En mettant en question la séparation disciplinaire héritée de la scis-sion advenue au xviiie siècle et en retrouvant les intuitions de la tradition moraliste qui l’avait précédée, l’esthétique sociale trouve son origine dans la conviction que les apparences sociales, tout autant que l’économie, ont leur propre façon d’être : il existe une « logique esthétique » en partie auto-nome17. Elles sont également capables d’avoir prise sur la psyché et sur la corporéité humaines d’une manière qui leur est propre et qui seule explique leur efficacité et leurs effets de pouvoir. Il nous semble ainsi que la seule façon de comprendre un phénomène esthético-social est de l’aborder iuxta propria principia, c’est-à-dire en donnant toute leur place aux sens, aux qua-lités et aux formes sensibles, au goût, en puisant dans le patrimoine d’ins-truments conceptuels et analytiques que la philosophie de la perception et celle de l’art mettent à notre disposition. Seule une compréhension imma-nente du monde des apparences sensibles, véritablement conçues comme

17 Gombrich (1974) est l’auteur de l’une des rares tentatives de réflexion épistémologique sur la méthode appropriée pour l’étude des phénomènes sociaux de nature esthétique tels que la mode ou les mutations du goût et des styles de vie. Gombrich définit non sans ironie la méthode esthético-sociale comme la « logic of vanity fair ». Il est significatif pour le propos de cette contribution que ce soit justement à lui qu’ait été confié l’article « Style » de l’International Encyclopedia of the Social Sciences dirigée par David Sills et Robert Merton.

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apparences sensibles et considérées comme quelque chose qui compte et qui agit au sens plein du terme, et non comme la simple écume de mouvements qui adviendraient dans une sphère plus profonde et importante de la réalité, permettra d’écrire l’éventuel chapitre critique de l’esthétique sociale.

Avant toute chose, l’esthétique et l’économie politique ne devraient jamais être considérées comme deux domaines indépendants ou s’excluant réciproquement. Dans l’effectivité quotidienne de notre expérience sociale, les besoins matériels se mêlent aux besoins immatériels et les dynamiques des échanges économiques se joignent aux dynamiques du paraître : les aspects esthétiques et les aspects économico-politiques s’influencent par un processus incessant d’action réciproque, sans qu’il soit besoin d’établir quelle est la dimension fondamentale, originelle ou déterminante en der-nière instance. L’esthétique sociale ne prétend ainsi en aucune manière se substituer à l’économie politique comme dimension ultime du social ; elle se reconnaît pleinement dans ce que Simmel a écrit dans la préface pro-grammatique de la Philosophie de l’argent :

[…] il s’agit de construire, sous le matérialisme historique, un étage laissant toute sa valeur explicative au rôle de la vie économique parmi les causes de la culture spirituelle, tout en reconnaissant les formes économiques elles-mêmes comme le résultat de valorisations et de dynamiques plus profondes, de pré-supposés psychologiques, voire métaphysiques. Ce qui doit se développer, dans la pratique cognitive, selon une réciprocité sans fin : à chaque interprétation d’une figure idéelle par une figure économique se liera l’exigence de saisir cette dernière à son tour par des profondeurs plus idéelles, dont il faudra de nouveau dessiner le soubassement économique général, et ainsi de suite à l’infini. Avec cette alternance, cet entrelacs de principes épistémologiques opposés dans l’abs-trait, l’unité des choses, qui paraît inaccessible à notre connaissance et pourtant fonde sa cohérence, devient pour nous pratique autant que vivante. (Simmel, 1987, p. 17)18

Dans l’articulation de ces diverses sphères de la réalité – matérielle et spirituelle, économique et esthétique – et dans le cadre de la totalité inter-prétative que Simmel appelle l’« unité des choses », la philosophie joue un rôle fondamental. Elle se nourrit de l’apport des diverses disciplines sans lesquelles elle ne pourrait voir les phénomènes empiriques ni les connaître mais elle ne peut, tout à la fois, que transcender l’horizon de chacune dans le but de comparer et de connecter leurs savoirs spécifiques. En recher-chant des liens et des analogies dans des aspects de la réalité à première vue

18 En dépit de ces déclarations pourtant sans équivoque, l’œuvre de Simmel a été accusée d’esthé-tisme, en raison du préjugé que les sciences sociales continuent de nourrir à l’égard de l’esthé-tique (Hübner-Funk, 1976, p. 44-70 ; Frisby, 1992).

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distants et incommensurables, elle les interprète et les structure en un tout cohérent. Aussi le projet de l’esthétique sociale que nous avons esquissé nous permet-il de mettre à l’épreuve cette conception unificatrice de la phi-losophie autour de la question de la manifestation sensible des phénomènes sociaux. Dans cette perspective, la philosophie n’atteint pas sa connaissance sous une forme abstraitement spéculative : elle ne déduit pas, mais distille et organise l’induction que lui offrent la sociologie, l’anthropologie et l’his-toire sociale. Elle se donne pour tâche de servir de lieu de rencontre des sciences sociales en rendant possible une synthèse interdisciplinaire grâce à une sorte de dénominateur anthropologique commun élaboré à la lumière de certaines questions fondamentales concernant la dimension esthético-sociale constitutive de la condition humaine.

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