L'été de Mohed Altrad

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Mohed Altrad a rédigé pour Midi Libre ses impressions sur ce qu’il vient de vivre

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IMars

Le port de Rotterdam est tourn vers la mer du Nord. Il laisse entrevoir un vaste plan deau couvert dune brume irise quon dirait ente sur lhorizon depuis lorigine des temps. Le fond de lair est frais. Dans le matin naissant les rues commencent semplir.Je traverse un monde que je connais mal, une culture, des rgles de vie, une histoire, une discipline, que je dcouvre en passant, sans pouvoir marrter pour men imprgner. Jy accomplis mon troisime voyage. Et toujours dans la hte. Cest souvent le cas dans le monde des affaires, du geste efficace. Aller dun point lautre, sans dtour, sans perte de temps. Parfois, pourtant, il conviendrait de sarrter, de prendre le temps que lon se refuse.Il faut avouer que nous prparons une opration dimportance. La plus grosse acquisition que nous ayons jamais ralise. Le rachat du Groupe hollandais Hertel, de taille semblable au notre: 10000 employs, 70 filiales. Une signature qui multiplierait par deux notre quotidien. Une croissance quil aurait fallu dix, vingt ans pour achever.Ce projet a fait lobjet dune longue prparation. Il y a toujours, dans ce genre de transaction, une part dombre dissimule sous une prsentation flatteuse. Nous avons travaill la rduire sans prtendre lliminer. Mais je ne me fais aucun souci. Nous nous approchons du dnouement. Cette visite est la dernire avant la conclusion, qui se fera presque mcaniquement, distance, par le relais de nos avocats. Sans dcorum ni solennit.Cest comme cela dans le monde des affaires. Mme une opration aussi symbolique que cette acquisition ne sera pas mise en scne. Sans doute parce que les enjeux sont trop lourds. Humains et financiers. Probablement aussi parce que rien nest jamais fini, acquis, que tout est en devenir, que lavenir est sans cesse construire.

II6 juin

Monaco. Un autre port. Par les immenses baies vitres de la Salle des toiles je peux voir, slevant au dessus de ma tte, ltagement de la ville accroche aux parois du rocher et, mes pieds, la Mditerrane, bleue, blanche, tale, qui aimante le regard et lgare au loin dans la contemplation et loubli.Jai t appel en ces lieux pour participer au prix de lEntrepreneur mondial de lanne. Jy reprsente le Groupe, jy reprsente la France. Nous sommes soixante six concourir, reprsentant 56 pays et 95% de la richesse mondiale. Ma prsence dans cette salle, au milieu de cette foule, ne manque pas de me surprendre mme si elle sest btie au long de ces derniers mois, travers les lections, rgionale puis nationale d'Entrepreneur Franais de l'anne, me laissant le temps de me prparer.Me prparer lide, la possibilit dtre lu. Sagissant dun prix, tant lun des candidats, jai une chance statistique de gagner. Et les rsultats du Groupe me permettent desprer.Mais les chiffres ne sont pas lunique vecteur de dcision. Chacun a les siens. Ils sont un signe, plus quune preuve. Tout aussi importants sont limage, la reprsentation, le symbole.Dans la salle, les discours se succdent, entrecoups de prsentations. Les coutant, je pense celui que je dlivrerai. Au Groupe qui sera prsent. Avant tout au Groupe, ceux qui le composent, tous, ceux qui au fil des annes lui ont permis de crotre. Cest eux que je dois dtre ici. Cest eux que je reprsente. Mon nom leur est associ.Mme si jenvisage lhypothse de remporter le prix comme une satisfaction personnelle, la reconnaissance officielle de mes paires, je ne puis me dissocier des mes collaborateurs. Sans doute ne fait-on rien par pur altruisme; ou si on le fait cela sappelle sacrifice. Mais, pour que quelque chose prenne forme et corps, pour quune uvre puisse stablir et durer on ne peut se passer dy associer ceux qui y participent. Une entreprise ne vise pas satisfaire des intrts privs mais le bien commun.

III22 juillet

Paris, plombe par la chaleur, respire mal depuis quelques semaines. Aujourdhui ne fait pas exception.Dordinaire, lorsque je suis de passage dans la capitale, je loge dans le quartier des Champs lyse. En cette fin daprs-midi, je ne change pas mes habitudes. En apparences du moins. Car ma voiture scarte insensiblement du chemin habituel, tourne quelques rues, passe un porche, sengage dans une cour. Me voici arriv.Le palais de llyse.Mon prix ma valu les assauts de la presse nationale et internationale, de nombreuses sollicitations, mais aussi des invitations. Jhonore la premire. Elle est venue du Prsident Franois Hollande. Elle nest pas tonnante, vrai dire. Logique, puisque je reprsentais la France, que le premier Reprsentant du pays dsire me rencontrer. Mais la logique est une chose, les sentiments une autre. Certes, dans le tourbillon des vnements, je nai ni le temps ni les ressources de my abandonner. Reste que je sens lmotion couver.Lentretient est chaleureux, dtendu. On y aborde, parcours rapidement, diverses questions: lconomie, le monde de lentreprise, lintgration. Nous parlons ainsi, presque une heure.Je nai pas la prtention dapporter des solutions. A peine un message. Lcho de mon exprience personnelle. Dire que la France, que jtais fier dincarner Monaco, possde dnormes ressources. Et quil faut lui faire confiance.

IV25 juillet

Lavion atterrit Nairobi, Kenya. Je suis convi, en cette fin juillet, participer au sixime Sommet mondial de lentreprenariat. Un vnement annuel, organise sous lgide du Prsident des tats-Unis, Barack Obama. Peu aprs mon prix, ses services mont contact pour me dire qu'il souhaite que jy intervenir.Obama lui-mme est prsent. Il est venu en marge du Sommet, renouer avec ses racines africaines, sa part knyane. Pour ma part, la fatigue me pse. Je ne cesse depuis juin de rponde aux sollicitations. Aussi, jattends avec hte de descendre de lavion pour humer lair de lAfrique. De sortir de laroport pour dcouvrir Nairobi, ne serait-ce qu travers les vitres de la voiture qui doit me conduire lhtel. Ce trajet me sera un dlassement, une parenthse, un moment de rverie. Je me rends pour la premire fois au Kenya.Mais ici la scurit passe avant toute autre considration. A peine ai-je mis un pied sur le tarmac que je me trouve encadr par des gardes qui mentranent vers un vhicule, et me conduisent toujours mon htel, pour quelques heures, et ensuite dans le complexe o se tiendra le Sommet et do je ne sortirai plus.Jy croise les invits (ministres, chefs d'tats, savants..). Trs nombreux.Ces journes sont organises autour de tables rondes abordant des sujets aussi divers que la logistique internationale ou le financement des start-up. Je suis privilgi pour ainsi dire. Exempt de table ronde. Lon ma rserv de prononcer lun des rares discours du Sommet.Jimaginais quil allait tre question des relations de lentreprise avec la socit. Je pensais mappesantir sur ce problme qui me tient cur. Sachant mon parcours. Profiter de cette plate-forme internationale pour soutenir lide quil ny a pas de fatalit, lide que lconomie, sans se renoncer, peut servir la socit. J'ai relat ma courte discussion avec le Pr Henri Pujol (lute contre le Cancer) peu de temps avant mon dpart : la maladie, dans certains cas, fait perdre de l'estime de soi. Que ce nest quune question dhomme, de volont.

Je maperois que ce Sommet est en partie une occasion pour mettre en contact des gens. Cest une dmarche louable, certainement. Utile. Mais je ne me suis pas prpar pour cela. Et je nai pas lnergie pour me mler aux conversations. Une autre fois peut-tre.A cette heure, je naspire quau repos.