87
L'étude des variations morphosyntaxiques du français du Sénégal INTRODUCTION L’Afrique d’expression française compte dix sept états dont les territoires occupent une zone continue qui s’étend des côtes occidentales du continent à la région des grands Lacs (mis à part la Guinée - Bissau et les enclaves anglophones de Gambie, de Sierra Leone, de Liberia, du Ghana et du Nigeria). Ce sont le Sénégal, la Mauritanie, le Mali, la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Niger, le Togo, le Bénin, le Tchad, le Cameroun, la République Centrafrique, le Congo, le Gabon, le Zaïre, le Rwanda et le Burundi. Dans ces états, regroupés généralement sous l’étiquette « d’Afrique francophone », le français est devenu l’instrument linguistique privilégié pour la scolarisation, la promotion universitaire, l’administration, les relations inter ethniques, les relations inter africaines et internationales. Bref, la langue française est devenue dans ces états l’une des clés de la modernisation et du développement. Langue de l’ancien colonisateur, imposée et sentie comme telle jusqu’en 1960, elle est devenue, avec l’indépendance, et pour des raisons socio historiques irréversibles, la langue officielle de ces états et plus particulièrement du Sénégal qui est ici l’objet de notre recherche. Cette mutation, la langue française l’a correctement accomplie dans la période de transition qui a suivi les indépendances. Cela veut dire que la langue française est restée linguistiquement et structuralement aussi proche dans les années 2000 de ce qu’elle était en 1960, en Afrique comme ailleurs, mais aussi, qu’elle est appréhendée, sociologiquement et pédagogiquement selon des modalités radicalement autres. Cependant il ne faut pas perdre de vue certaines données de base, si l’on veut comprendre la situation du français en Afrique Noire, et particulièrement au Sénégal. En premier lieu, c’est que, au Sénégal comme ailleurs, et jusqu’en 1960, le français n’a été 1

L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

  • Upload
    lamdat

  • View
    215

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

L'étude des variations morphosyntaxiques du français du Sénégal

INTRODUCTION

L’Afrique d’expression française compte dix sept états dont les territoires occupent une

zone continue qui s’étend des côtes occidentales du continent à la région des grands Lacs (mis à

part la Guinée - Bissau et les enclaves anglophones de Gambie, de Sierra Leone, de Liberia, du

Ghana et du Nigeria). Ce sont le Sénégal, la Mauritanie, le Mali, la Guinée, la Côte d’Ivoire, le

Burkina Faso, le Niger, le Togo, le Bénin, le Tchad, le Cameroun, la République Centrafrique, le

Congo, le Gabon, le Zaïre, le Rwanda et le Burundi. Dans ces états, regroupés généralement sous

l’étiquette « d’Afrique francophone », le français est devenu l’instrument linguistique privilégié

pour la scolarisation, la promotion universitaire, l’administration, les relations inter ethniques, les

relations inter africaines et internationales. Bref, la langue française est devenue dans ces états

l’une des clés de la modernisation et du développement.

Langue de l’ancien colonisateur, imposée et sentie comme telle jusqu’en 1960, elle est

devenue, avec l’indépendance, et pour des raisons socio historiques irréversibles, la langue

officielle de ces états et plus particulièrement du Sénégal qui est ici l’objet de notre recherche.

Cette mutation, la langue française l’a correctement accomplie dans la période de transition

qui a suivi les indépendances. Cela veut dire que la langue française est restée linguistiquement et

structuralement aussi proche dans les années 2000 de ce qu’elle était en 1960, en Afrique comme

ailleurs, mais aussi, qu’elle est appréhendée, sociologiquement et pédagogiquement selon des

modalités radicalement autres.

Cependant il ne faut pas perdre de vue certaines données de base, si l’on veut comprendre

la situation du français en Afrique Noire, et particulièrement au Sénégal.

En premier lieu, c’est que, au Sénégal comme ailleurs, et jusqu’en 1960, le français n’a été

1

Page 2: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

appris que par une petite minorité d’africains et que, par voie de conséquence, la masse est restée

entièrement coupée du français, plongée dans l’analphabétisme, dans une proportion moyenne de

90 %.

En second lieu, c’est que les méthodes et programmes d’enseignement, dans le primaire

comme dans le secondaire, ont été et sont encore dans l’ensemble, l’imitation pure et simple des

méthodes et des programmes en usage en France.

C’est ce qui fait que nous avons donc toutes les conditions réunies pour aboutir au Sénégal

comme ailleurs, à une créolisation de la langue française, c'est-à-dire qu’on assiste à un mélange

du français et des langues locales, se répandant dans et par les centres urbains, mais aussi par les

écoles où les maîtres n’hésitent pas à se servir des langues nationales en classe, en plein cours.

Notre recherche s’inscrit dans une problématique sociolinguistique : même si la norme en

vigueur au Sénégal est le français standard de France, au sein des professions qui promeuvent le

français comme de la large majorité de la population qui l’utilise, chacun reconnaît que le

décalage est grand entre le français académique et le français sénégalais. Le refus de la lecture

chez les jeunes scolarisés ou étudiants en est un indice flagrant. Chacun se pose la double

question de l’avenir du français au Sénégal et de la variété des langues parlées dans les rues.

Cette double question s’inscrit, en réalité, dans une perspective beaucoup plus vaste, qui

touche la diffusion du français, et donc des diverses variétés qui le composent, au Sénégal comme

ailleurs, en milieu académique et hors du milieu académique.

Cette activité d’étude et de recherche part de l’hypothèse suivante : dans leurs productions

orales en français, les locuteurs sénégalais commettent une certaine distanciation au niveau de la

morphosyntaxe due à l’influence de leurs langues maternelles ou langues premières.

L’objectif de notre recherche est de montrer en quoi les productions en français par les

sénégalais sont influencées par leurs langues maternelles. Ces recherches seront complétées et

approfondies par d’autres faits syntaxiques qui seront analysés dans le cadre de mon doctorat.

Pour étudier les hypothèses précitées ou tenter de répondre à notre problématique, nous

allons utiliser la méthode d’enquête. Ces enquêtes vont être réalisés auprès des locuteurs

sénégalais, généralement alphabétisés en français.

Nous ne perdons pas de vue, cependant, que la notion de la variation demande une

2

Page 3: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

résolution pratique, c'est-à-dire linguistique. Notre approche du français du Sénégal est donc de

type descriptif, mais l’analyse morphosyntaxique est insérée dans une description beaucoup plus

large qui a pour but de saisir la nature de l’appropriation. La première partie de notre travail met

ainsi à jour les préliminaires à une description de la variation en ciblant de manière spécifique la

notion générale de variation linguistique, les cadres méthodologiques de l’étude de la variation, la

variation en syntaxe et la théorie du français zéro. Ensuite, cette étude va être axée, dans une

seconde partie, sur la situation du français du Sénégal qui retrace respectivement le français de la

colonie du Sénégal, l’historique de l’apprentissage du français au Sénégal et enfin la situation du

français au lendemain des indépendances. Enfin dans la troisième et dernière partie, nous

étudierons la variation morphosyntaxique du français du Sénégal, ce qui nous amène d’abord à

traiter la présentation de la recherche syntaxique et ensuite la syntaxe du verbe et du nom.

En ce qui a trait au schéma de rédaction proprement dit, nous allons utiliser cette démarche

pour mieux faire ressortir les variations dans les discours de nos locuteurs par rapport à la norme

française.

Ce choix se justifie par la haute fréquence des variations relevées à ce niveau dans les

discours des sénégalais. Ces dernières vont être relevées dans des activités de production libre

touchant trois usages : d’abord l’usage privé (relation familiale : mariage), puis l’usage publique

(relation avec les clients et les collègues de travail pour les commerçants et travailleurs ; avec les

enseignants pour les étudiants) et enfin l’usage officiel (relation dans une démarche

administrative)

Par ailleurs, cette recherche s’oriente vers l’analyse contrastive. Cependant, toutes les

variations ne sauraient s’expliquer par cette méthode. Il y en a qui sont le résultat des lacunes

accumulées d’un enseignement inefficace et inapproprié. D’autres encore sont la conséquence

d’un manque de pratique langagière.

3

Page 4: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

PREMIERE PARTIE : PRELIMINAIRES A UNE DESCRIPTION DE LA VARIATION

4

Page 5: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

CHAPITRE PREMIER : La notion générale de variation linguistique

La notion de variation s’organise autour de plusieurs axes qu’il convient en premier lieu de

préciser. Elle fait appel à celle de la communauté linguistique, qui se définit comme « un groupe

d’êtres humains utilisant la même langue ou le même dialecte à un moment donné et pouvant se

communiquer entre eux »ou mieux, puisqu’un même locuteur n’est pas limité à une seule variété

ni même à une seule langue « un groupe de locuteurs qui ont en commun un ensemble d’attitudes

sociales envers la langue »1.

1. Variation par rapport à la norme

La notion de variation fait aussi intervenir celle de la norme, qui est en principe l’usage

dominant, mais qui doit correspondre aussi à un idéal esthétique ou socioculturel2. C’est par

rapport à cette norme que sont perçues des variantes pouvant se situer plus ou moins loin de

celle-ci. Selon ce critère normatif, certains auteurs parlent de fautes, d’erreurs ou d’écarts pour les

formes hors norme.

A l’intérieur de la langue normée, les variantes relèvent plutôt de registres ou niveaux de

langue différents. Les qualificatifs de ces registres peuvent être plus ou moins nombreux et

détaillés : archaïque, littéraire, soutenu, populaire, familier, vulgaire, par exemple. L’erreur

consistera ici à utiliser un mot ou une construction d’un registre inapproprié au contexte.

2.Variation par contact de langues

Les variations peuvent aussi être appréhendées, en situation plurilingue, par leur

provenance d’une langue en contact. Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations

d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions mot à mot d’une expression d’une langue

1 Ces définitions sont tirées de Cécile Canut 1996, p.349, la première empruntée à Jean Dubois et al. 1973 et la seconde à William Labov2 J. Dubois et al, Grammaire structurale du français : nom et pronom, Paris, Larousse, 1973 p.342

5

Page 6: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

dans l’autre ; les interférences, conjonctions de plusieurs influences de langues.

3.Variation selon le domaine d’observation

L’étude de la variation est différente selon le domaine où celle-ci est observée : lexique,

morphologie, phonologie, syntaxe, pragmatique, etc. La syntaxe étant ordinairement considérée

comme la partie la plus stable d’une langue, la variation morphosyntaxique est moins facilement

acceptée par les détenteurs du français standard de France. Il est étonnant de constater comme on

restreint trop souvent l’appropriation, dans l’étude des français d’Afrique, aux seules

particularités lexicales, phonétiques et discursives, interprétant à leur tour les variations

morphosyntaxiques comme un manque de maîtrise du français, comme des confusions entre

catégories grammaticales, ou encore comme une assimilation imparfaite des règles. L’étude de

ces phénomènes précités a eu en fait jusqu’à présent le seul but de la diffusion du français de

France. L’on se réfère alors continuellement à la norme du français de France pour expliquer les

variantes de la syntaxe des français d’Afrique, et l’on fait ainsi des erreurs d’interprétation.

6

Page 7: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

CHAPITRE DEUXIEME : Les cadres méthodologiques de l’étude de la variation

Les recherches sur la variation des langues sont nombreuses. Les travaux de Daniel

Véronique3, de Cécile Canut4 en particulier traitent de l’historique de la variation en linguistique.

Nous présentons ici, à l’aide notamment de leurs études, une synthèse de quelques réflexions sur

la variation linguistique préalable, indispensable à une description de la variation du français au

Sénégal. Les travaux de William Labov5 sont considérés comme fondateurs de la linguistique

variationiste. La perspective de William Labov a l’intérêt de re-insérer l’étude de la langue dans

son contexte social, donc humain.

1.Apport du variationisme

La sociolinguistique, née en 1964 avec le congrès des sociolinguistes convoqué à Los

Angeles à l’initiative de W. Bright6, vise à évaluer l’influence des facteurs sociaux sur le langage.

William Labov, qui relie langage et parole, se penche de façon beaucoup plus systématique sur

les facteurs sociaux de la variation.

William Labov(1972, a et b) s’intéresse à la variation intrinsèque de la langue et sa

conception de la variation fait partie d’un cadre théorique nouveau, que nous présentons ici

brièvement. William Labov qui a été formé à la fois à la dialectologie et à l’école structuraliste,

s’oppose aux méthodes d’analyse de cette dernière. Leur reprochant de ne pas s’appuyer sur des

données empiriques et de réduire la langue à un système d’unités, il veut insérer, dans la

linguistique structuraliste, l’étude des incidences des faits sociaux. Son objectif est de décrire et

d’expliquer tous les faits linguistiques observés, ce qui implique la place importante donnée aux

enquêtes de terrain et aux études quantitatives. Il écrit en 1972(b) :

3Daniel VERONIQUE : « Linguistique et variation : à propos du français des travailleurs migrants maghrébins » in Cahiers de linguistique d’orientalisme et de slavistique n° 13 : 147 – 163, Université de Provence, octobre 1979.4 Cécile CANUT : « Analyse de l’imaginaire linguistique. Propositions théoriques et méthodologiques pour une analyse des discours épilinguistiques », Travaux de linguistique n° 7 (annexe), Université d’Angers, 1996, b.5 William Labov : Sociolinguistic Paterns, tradition française de 1978 : Sociolinguistique, 344 p. Paris : Editions de Minuit, 1972 b6 Les participants étaient William Labov, Ch. Ferguson, Samarin, J. J. Gumperz, Heinz; seuls manquaient J. A. Fishman et L. –J. Calvet

7

Page 8: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

« l’étude de la variation ne peut être que quantitative […] ».

Son analyse de la variation est célèbre pour la notion de règle variable mais, dans sa

conception de la langue, William Labov n’a jamais mis en doute l’existence de règles

catégoriques. En fait la variation ne s’applique qu’à certaines zones d’un système. Ainsi, les

zones stables d’un système peuvent être présentées par des règles catégoriques, jamais enfreintes,

alors que les zones variables doivent être décrites par des règles variables. La règle variable

implique l’existence des formes structurellement différentes et sémantiquement équivalentes.

Des critiques sont faites à W. Labov en ce qui concerne la primauté donnée dans ses

travaux à la causalité sociale de la variation, au point de concevoir un strict parallélisme entre

variation linguistique et variation sociale. Or, si facteurs sociaux et comportements linguistiques

varient ensemble, on ne peut observer qu’une co-variation, mais cela ne signifie pas qu’il y ait

une relation de cause à effet entre les deux. C. Canut 1996 élargit la causalité de la variation

linguistique à de multiples facteurs individuels et interactifs qui ne sont pas pris en compte par

William Labov, tels que la mobilité géographique des locuteurs, la variation en contexte, les

représentations, la perception personnelle et les attitudes. En outre la notion d’interaction,

(relation à la situation de communication et à l’interlocuteur) est absente chez William Labov.

2.Apport du classement des situations linguistiques

Le but d’un classement des situations linguistiques est de fournir aux décideurs des

planifications linguistiques7 des descriptions détaillées des usages et des dynamiques linguistiques

d’un pays afin d’éclairer leur choix d’une politique et d’une planification linguistiques.

La description des variétés de langue selon les situations linguistiques demande un cadre

typologique précis qui puisse refléter avec exactitude la multiplicité des situations.

7 Pour la distinction des normes de politique linguistique, planification linguistique, aménagement linguistique, voir Robert Chaudenson 1989, p. 101, 2000, p.24 – 28.Ainsi : « la politique linguistique d’un Etat est l’ensemble des choix en matière de langue. […] La planification linguistique est la définition des stratégies de mise en oeuvre de la politique définie. […] L’aménagement linguistique consiste, dans le cadre de la planification, dans la réalisation de l’ensemble des opérations concrètes nécessaires pour atteindre les objectifs fixés. […] » (Robert Chaudenson, Mondialisation : la langue française a – t – elle encore un avenir? p.26 – 27, Coll. Langue et Développement, Paris : Didier Erudition, 2000.)

8

Page 9: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

La grille proposée par R. Chaudenson 1989,1993, a et 2000, initialement prévue pour les

situations francophones, a permis de caractériser d’autres types de situations plurilingues. Elle

tient compte essentiellement de deux paramètres : le « statut » et le « corpus », mettant ainsi en

évidence que, dans certains Etats officiellement francophones, le français a un usage en réalité

très déficitaire.

Un « statut » élevé du français dans un pays se mesure par son statut de langue officielle,

par l’étendue de ses emplois institutionnels dans les médias et dans le secteur économique privé

et par sa suprématie sur les autres langues dans ses fonctions. Un «corpus » du français élevé se

manifeste par des modes d’appropriation naturels (ou non institutionnels), par sa

vernacularisation ou sa véhicularisation, des taux élevés de compétence et d’utilisation

(production et exposition à la fois) par rapport aux autres langues locales. Ainsi la notion de

« statut » se fait selon le score obtenu dans cinq domaines, celle du « corpus » dans quatre

domaines, selon la répartition suivante :

GRILLE POUR L’ANALYSE DES SITUATIONS LINGUISTIQUES

R. Chaudenson 2000 : 111 - 112 :

STATUT CORPUS

1. Officialité 1. Appropriation linguistique

2. Usages institutionnels : - acquisition (langue première)

- textes officiels - apprentissage (langue autre

que première)

- textes administratifs nationaux 2.Vernacularisation vs

véhicularisation

- justice 3. Compétence

- administration locale 4. Production et consommation langagières.

9

Page 10: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

- religion

3. Education

4. Moyens de communication de masse :

- presse écrite

- radio

- télévision

- cinéma commercial

- édition

5. Potentialités économiques et représentations sociales

Ces deux paramètres peuvent être équilibrés, c'est-à-dire être ensemble faibles ou élevés, ou

être plus ou moins opposés. Les études faites sur le français dans les pays africains francophones

montrent généralement un déficit de « corpus » par rapport au « statut » quasi maximal. Ce

déséquilibre n’est pas favorable au développement au moins pour deux raisons (voir par exemple,

R. Chaudenson 2000 : 116 - 122 et 224 - 233) :

- le français, qui est l’outil de communication de toutes les initiatives

institutionnelles de formation est méconnu, ce qui rend la formation en partie inefficace.

- l’exclusivité du français dans l’espace linguistique officiel empêche l’aménagement

linguistique de langues nationales et, partant, qu’elles aient un rôle dans le développement.

10

Page 11: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

CHAPITRE TROISIEME : La variation en syntaxe

La méthode de William Labov avait pour objet premier les phénomènes de variations

phonologiques, mais un débat s’est très rapidement ouvert sur la possibilité d’utiliser cette

méthode pour étudier d’autres phénomènes de variations en linguistique.

D. Godard8 présente la discussion dans le domaine syntaxique et montre l’inadéquation de

la règle variable dans ce champ d’études pour plusieurs raisons essentielles. Le modèle de la

règle variable est insuffisant en syntaxe où les formes à comparer doivent avoir aussi le même

fonctionnement dans le système, c’est - à - dire être syntaxiquement équivalentes. En effet, il est

beaucoup plus pertinent, en syntaxe, d’étudier les formes qui, en plus d’avoir le même sens, ont

le même fonctionnement dans le système. En outre, le lexique interfère souvent dans les variantes

pour créer des différences de sens dans les diverses phrases de même structure prises en compte,

au point qu’elles ne sont plus sémantiquement équivalentes. Par ailleurs, l’acte d’énonciation

entre lui aussi en jeu sous divers rapports, permettant qu’une phrase soit utilisée dans un contexte

ou une situation de communication, mais pas dans d’autres. Enfin, une autre objection est que

l’intérêt de l’étude de l’hétérogénéité structurale d’une langue s’étend à toutes les possibilités

syntaxiques de cette langue, et regarde donc les compétences, alors que les études quantitatives

de la variation ne mesurent que la performance. La notion même de variante syntaxique est alors

remise en cause dans le cadre de la règle variable.

La question reste entièrement de savoir comment étudier en syntaxe les différences

dialectales d’une langue. On entend ordinairement par dialecte un système phonologique, lexical

et syntaxique particulier, au sein d’une langue. Maurice Gross rejette les notions de différences

de langue et de dialectes en tant qu’a priori ne pouvant être définies linguistiquement :

« Une théorie linguistique devrait pouvoir fournir, pour les notions de langue et de

dialecte, des définitions internes à la linguistique. Indépendamment d’un tel résultat,

il serait intéressant de disposer des définitions externes à la linguistique, ce qui

8 Godard D. : « Le programme labovien et la variation syntaxique », in Languages n° 108 : Hétérogénéité et variation : Labov, un bilan : 51 – 65, Paris : Larousse, 1992.

11

Page 12: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

constituerait un test supplémentaire de validité de la théorie, mais il n’apparaît pas

que nous soyons en possession de définitions quelconques en ce moment. La seule

voie d’approche à ces « problèmes » semble être limitée à la recherche de définitions

internes à la linguistique. »

La définition de la grammaire que donne Zelig Sabbetai Harris en 1951 exclut la notion de

différence dialectale :

« Une grammaire est un ensemble de règles formalisées qui constituent une théorie de

langue décrite.[…] La langue est alors définie comme le résultat […] des applications

de toutes les règles. Une telle définition conduit à incorporer dans la langue des

niveaux dialectaux différents, par exemple langue littéraire et langue populaire. »9

La langue apparaît ici comme composée de plusieurs dialectes ou de formes de langue

qu’une grammaire unique explicite. Par ailleurs, l’étude de la typologie des langues montre d’une

part la grande diversité des différents systèmes syntaxiques, mais d’autre part les limites des

possibilités dans lesquelles puisent les langues, même si elles peuvent paraître nombreuses. Cette

contestation met en évidence l’existence d’universaux syntaxiques et, de ce point de vue, deux ou

plusieurs langues très différentes par leur phonologie et leur lexique peuvent bien avoir une

même « grammaire ».

La notion d’acceptabilité / inacceptabilité intervient ici. La délimitation entre les phrases

acceptables et inacceptables dans une communauté linguistique n’est pas toujours nette.

« L’acceptabilité est une notion très complexe qui comporte des institutions de forme

et de sens, et qui dépend de nombreux facteurs culturels. »10

La variabilité d’une langue en plusieurs variétés ou dialectes se mesure par la variabilité de

l’acceptabilité. Pour qu’une phrase soit jugée acceptable, il ne suffit pas qu’elle soit

grammaticale, il faut qu’elle soit porteuse de sens dans la communauté linguistique.

9 Maurice Gross, Méthode en syntaxe : le régime des constructions complétives p. 228 – 229,Paris : Hermann, 1975 explicitant Harris 1951: 272 – 27310 Maurice Gross 1975: 22 - 23

12

Page 13: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

On peut concevoir une unique grammaire apte à rendre compte et à prédire toutes les

phrases d’une langue, avec tous ses dialectes et variétés. Cette grammaire générale serait formée

de multiples grammaires qui se superposent. Les possibilités de grammaire subsistent donc

conjointement chez le locuteur qui peut s’exprimer selon l’une ou l’autre langue.

Les recherches qui existent sur la variation du français en Afrique se présentent le plus

souvent comme très générales. Réalisées en Europe, elles perçoivent plus facilement les points

communs entre les divers français d’Afrique que les points de dissemblance et, ne considérant

globalement que le français d’Afrique, s’attachent à montrer que plusieurs grammaires s’y

superposent selon des critères sociolinguistiques. Ainsi des recherches telles que celles de Gabriel

Manessy11 mettent en évidence l’existence de deux normes objectives du français dans les pays

francophones d’Afrique, la norme de français populaires basilectaux et la norme de français

mésolectaux.

11Gabriel MANESSI, Le français en Afrique noire. Mythe, stratégies, pratiques, Paris, l’Harmattan, 1994.

13

Page 14: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

CHAPITRE QUATRIEME : La théorie du « français zéro »

La notion de français zéro remonte en 1981, exposée par Robert Chaudenson en 1983 au

Colloque de Linguistique et de Philosophie romane d’Aix en Provence. Le modèle théorique du

français zéro, comme l’indique le titre de R. Chaudenson et al. 1993 : Vers une approche

panlectale de la variation du français, a été présenté comme un outil susceptible de décrire toute

la variation d’une langue, en diachronie comme en synchronie, et de rendre compte des facteurs

qui déterminent la variabilité.

R. Chaudenson définit les termes « variabilité », « variante » et « variable » de la façon

suivante selon la ligne structuraliste :

« La notion de variabilité est liée au contact de l’existence, dans les diverses variétés

de français envisagées et pour un signifié donné, de signifiants différents. Ces signifiants

constituent les variantes et le signifié la variable. Celle-ci est bien entendu abstraite. »

Ce modèle de variabilité du français a été élaboré à partir des variations de la langue

observées, chez des groupes de locuteurs natifs, aussi bien dans le temps (état antérieur du

français) que dans l’espace (état actuel du français à travers tous les espaces francophones). Les

variations affectent les mêmes zones du système avec une telle régularité que l’on peut distinguer

des zones sujettes à variation par rapport à d’autres non sujettes à variation. L’ensemble de ces

variables du français est appelé français zéro. Les facteurs responsables de la variation

s’identifient avec les processus par lesquels la variation se réalise ; ils sont de trois ordres12 :

- les facteurs extrasystémiques, d’ordre sociolinguistique, sont la pression normative,

les degrés d’exposition à cette norme, le statut de la langue, les contacts de langues, les modes

d’appropriation, les mutations technologiques etc.

- les facteurs intrasystémiques, d’ordre fonctionnel, sont des processus

autorégulateurs.

12 Robert Chaudenson : Vers une approche panlectale de la variation du français, p.16, Coll. Langues et développement, Paris Didier Erudition, 1993.

14

Page 15: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

- Les facteurs intersystémiques sont des phénomènes d’emprunts et d’interférences

divers, et incluent la « convergence », qui se définit comme « la tendance à l’élimination d’une

variante native dans la langue dominante, au profit d’une variante ayant un homologue de la

langue dominante »

A partir de là, l’auteur propose un système permettant de classer les diverses variantes des

français régionaux, qui comporte quatre ensembles de traits se définissant comme suit :

- Un ensemble A regroupe les traits non sujets à variations. Ces traits sont

majoritaires et constituent le « noyau dur » de la langue.

- Un ensemble B se compose de variantes du français zéro très généralisées et non

limitées à une variété du français.

- Un ensemble C se compose de variantes du français zéro spécifiques à une région

francophone. Ces variantes peuvent avoir une cause extérieure au système, ce sont des

« autorégulations extrasystémiques », ou être générées à partir des règles même du système, ce

sont alors des « autorégulations intrasystémiques ».

- Un ensemble D est constitué des variantes « hors français zéro » c'est-à-dire

affectant une zone de la langue qui n’est atteinte dans aucun de ses autres états. Cet ensemble est

le résultat de processus d’« autorégulation intersystémique » et les interférences s’y manifestent

généralement de façon visible.

Les domaines périphériques que constituent l’acquisition du français première langue,

l’apprentissage du français langue étrangère et la créolisation sont un champ d’étude non

négligeable du français zéro. Ils permettent de vérifier si une variante fait bien partie de tel ou tel

ensemble et de mieux délimiter ce qui est réellement dû à des processus d’interférences

intersystémiques ou à des processus d’autorégulations intrasystémiques. Les variantes du français

du Sénégal se situent donc, en majorité, dans le domaine périphérique de l’apprentissage du

français langue seconde.

Appliquée à l’étude morphosyntaxique, la définition citée plus haut des termes

« variabilité », « variante » et « variable » amène à appeler variantes morphosyntaxiques les

différentes formes et constructions rencontrées dans les diverses variétés du français pour une

15

Page 16: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

même variable. La variable considérée est la construction d’un item, qu’il soit verbe, nom,

adjectif, adverbe, etc. La liste des constructions possibles pour un même item indique la

variabilité morphosyntaxique de celui-ci. Dans notre recherche morphosyntaxique, nous allons

nous limiter seulement à l’étude de la variation du verbe et du nom.

16

Page 17: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

DEUXIEME PARTIE :LA SITUATION DU FRANÇAIS AU SENEGAL

17

Page 18: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

Le français arrive pour la première fois au Sénégal en 1817. C’est à cette période que Jean

Dard ouvre la première école d’Afrique noire francophone, à Saint Louis, au Sénégal. Son but est

de promouvoir ce qu’on appelle à cette époque l’enseignement mutuel. Il s’agit d’une méthode

pédagogique qui permet à un seul enseignant de former de très nombreux élèves à la fois. Et,

pendant un siècle, l’enseignement de la langue française au Sénégal s’inspirera principalement de

ce modèle.

L’article premier de la constitution sénégalaise précise que la langue officielle de la

république du Sénégal est le français. Cette option, prise en 1960 n’a encore jamais été remise en

cause par les autorités sénégalaises, désireuses de voire s’établir au Sénégal une véritable unité

linguistique. C’est ce qui fait que le français est présent dans tous les niveaux de l’enseignement :

primaire, secondaire, universitaire et professionnel. Malgré tout, sa pratique se réduit aux gens

cultivés qui se rencontrent pour la première fois ou par hasard.

Langue outil et langue enseignée depuis la période d’avant indépendance, le français n’est

guère utilisé que par moins de 15% de la population sénégalaise. La politique linguistique définie

au Sénégal sous l’impulsion de Léopold Sédard SENGHOR est très nettement favorable à

l’extension de la langue française dans tous les domaines. Le français est encore la seule clé qui

ouvre les portes de la promotion sociale. Mais il ne s’agit pas seulement du français tel qu’on le

pratique dans une salle de classe. Ce français est à la fois celui de la rue, des villes, de l’élite, de

la masse. C’est un français né de ces contacts avec d’autres langues et d’autres réalités, pratiqué

par des locuteurs non natifs.

Le fait concerne moins les milieux ruraux où les locuteurs peuvent faire de leur langue

ethnique un usage quasi exclusif. Il relève plutôt de ce qu’il est convenu d’appeler

« l’appropriation diffuse » du français dans une situation d'urbanisation linguistique en contexte

africain francophone.

18

Page 19: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

CHAPITRE PREMIER : Le français de la colonie du Sénégal

1. Les contextes d’interactions langagières

Durant la colonisation, le français est prescrit pour toutes les interactions langagières entre

Français et Africains. Celles-ci se déroulent dans trois types de situations : les lieux de travail,

l’armée et l’école, dans lesquels on observe les représentations similaires du français et des

langues africaines.

1.1 Les lieux de travail

Les variétés de français parlées par les français des colonies ne sont pas les plus raffinées.

Gabriel Manessy les qualifie de « français vulgaire » (G. Manessy 1995). Il distingue dans les

allogènes des colonies deux groupes de personnes : la haute société coloniale et les petits colons,

beaucoup plus nombreux, qui exercent des responsabilités intermédiaires dans l’armée, la

fonction publique etc. C’est ce deuxième groupe qui est en contact avec les autochtones et au sein

de ce groupe se développe une variété de français dite et reconnue par tous comme adaptée à la

mentalité des Noirs. C’est celle que les adultes apprennent sur leur lieu de travail.

M. Delafosse 1904 consacre presque trois pages au « petit - nègre ». Ces pages, ainsi que

l’introduction à l’ouvrage entier, montrent à quel point les Européens sont redoutés face aux

langues africaines et les Africains face au français. Dans cet état des choses, M. Delafosse

propose, probablement dans la ligne adoptée d’abord par les militaires au fur et à mesure de la

conquête coloniale, puis par les colons, l’usage d’un français non seulement simplifié dans la

forme mais aussi dans le fond :

« Les indigènes ont beau parler notre langue, nous avons toujours beaucoup de mal à

nous faire comprendre d’eux et à les comprendre ; et comme il n’est pas naturel,

puisque nous nous estimons supérieurs à eux, que se soit eux qui se mettent dans

notre peau, c’est à nous de nous mettre dans la leur. […] Il faut évidemment

n’employer que les formes les plus simples des mots, mais surtout il faut n’employer

19

Page 20: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

que les mots que les Noirs peuvent comprendre. »

Même si M. Delafosse tente de montrer que le « petit nègre » est la création des Africains,

il reconnaît qu’il est parlé d’abord par les Européens, et qu’un réel apprentissage systématique du

français aux autochtones aurait été efficace.

« On nous dit que c’est nous qui avons inventé le petit nègre et que, si nous parlions

aux Noirs un français correct, ils parleraient de même. Ce raisonnement est puéril : si

nous ne voulons parler à un noir qu’un français correct, il sera plus d’un an avant de

pouvoir comprendre, et quand il nous comprendra enfin, il nous répondra en petit

nègre : voilà la vérité. (Je ne parle pas bien entendu d’un Noir auquel on apprendrait

le français de façon régulière) »

En fait cette variété de français enseignée aux autochtones est très utile pour maintenir

une distance entre les colons et leurs subordonnés, lorsque les premiers parlent dans un autre

registre.

1.2 L’armée

Une autre variété du français a été utilisée dans les interactions entre les militaires français

et les combattants africains des deux guerres mondiales, appelés indistinctement à l’époque

« tirailleurs sénégalais ». Ce parler, appelé au Sénégal et ailleurs « français tirailleur », a

probablement joué un rôle important dans la diffusion du français au Sénégal. En effet, les

anciens combattants, ou ceux qui rentraient au pays, jouissaient à leur retour d’une certaine

notoriété, entretenue par les colons, qui les reconvertissaient. Ce parler n’est pas seulement le

fruit de négociations entre langages des apprenants africains et variétés de français populaires du

début du XXe siècle parlées par les soldats français. Il semble en effet qu’au moins certains traits

du français tirailleur aient été élaborés à un niveau supérieur dans un but pédagogique.

Il existe quelques textes du début du XXe siècle décrivant « le français tirailleur », tels que

le document de 35 pages intitulé Le français / tel que le parlent / Nos tirailleurs Sénégalais, édité

20

Page 21: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

par l’imprimerie militaire universelle en 1916, que G. Manessy 1994 analyse (voir1.3). Ce

document a un but didactique ; le « langage tirailleur » ou « langage mitrailleur » y est présenté

comme le langage que doivent apprendre et utiliser les instructeurs français pour se faire

comprendre des tirailleurs sénégalais. On retrouve dans ce langage les mêmes éléments

idéologiques que dans le précédent, à savoir la représentation qu’ont les auteurs de la simplicité

des langues africaines et de la réalité sociolinguistique du « langage mitrailleur », pourtant monté

de toute pièce :

« Pour arriver à se faire comprendre rapidement des noirs, il faut […] couler sa

pensée dans la moule très simple de la phrase primitive : sujet verbe attribut (sic).

Pendant l’instruction de l’Ecole du soldat, dire sous une forme simple tout ce que l’on

fait et exiger que l’homme le répète. Cette méthode a l’avantage de tenir l’esprit de

l’homme en éveil ; d’attirer son attention sur certains détails du mécanisme des

mouvements qui lui échapperaient peut être autrement ; de créer entre l’instructeur et

ses élèves une langue commune […]. Quand le tirailleur connaît le nom des

principaux objets […] faire de petites phrases qui ne comprendront au début que trois

mots : sujet verbe complément. »

1.3 L’école

Les enfants, eux apprennent le français à l’école. L’effort de scolarisation a pris de

l’ampleur à partir de 1912 en AOF, lorsque William Ponti, Gouverneur Général, nomme Georges

Hardy inspecteur de l’enseignement en 1917. Un siècle auparavant une première école avait été

ouverte à Saint Louis du Sénégal en 1817 par Jean Dard. Georges Hardy donne, par exemple, les

directives de travail suivantes :

« Il n’est pas nécessaire que tous les indigènes, sans exception, aient accès à un

enseignement primaire. […] Mais le recrutement de l’enseignement primaire doit

faire l’objet d’un tirage attentif, il s’agit en effet de faciliter l’accès aux carrières

administratives, à ceux dont la famille a toujours secondé avec honneur notre œuvre

civilisatrice et mis son prestige héréditaire au service de nos intentions. […] Il faut

surtout éliminer avec un soin impitoyable tous ceux dont les facultés mêmes

brillantes sont insuffisamment équilibrées, tous ceux qui feront servir à la satisfaction

21

Page 22: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

de leurs appétits le savoir qu’on leur donnera, qui pousseront leurs congénères à des

révoltes et qui garderont toute leur vie l’inquiétude et la cruauté du loup dans la

cage. »

Toute la scolarisation se faisait en français, par la « méthode naturelle », c'est-à-dire sans

référence aux langues déjà acquises par les apprenants. Cette méthode, exploitée auparavant en

France, a été mise en place au Sénégal par le Général Faidherbe et le français est imposé à l’école

de la même façon dans toutes les colonies françaises : l’élève surpris en train de parler sa langue

est puni par le port d’un symbole. Il ne peut s’en défaire qu’en surprenant un autre élève en train

lui aussi de parler sa langue : après l’avoir dénoncé, il pourra lui passer le symbole.

L’enseignement et l’apprentissage du français au Sénégal, comme ailleurs en Afrique, ne

sont pas anodins, mais chargés de significations et d’enjeux. Du côté des colons, l’utilisation du

français était nécessaire pour un bon rendement de la colonie et il fallait diffuser à grande échelle

une variété de français parlé, tout en réservant l’apprentissage de la belle langue à ceux qui auront

satisfait aux critères pour participer à l’œuvre de la colonisation. Dans ces circonstances, pour les

Sénégalais, le français était à la fois le moyen indispensable pour obtenir une place à un niveau

quelconque de la société coloniale, mais et le renoncement à leurs langues maternelles, à leurs

cultures et à leurs communautés.

2.Les éléments de description du français utilisé à l’époque coloniale

A un niveau cultivé, il n’y a pas eu de négociations entre le français de France et les

variétés de langue des colonies. Makhily Gassama relève que rares sont les mots d’origines négro

africaines qui sont entrés dans le lexique français entre 1890 et 1960.

P. Guiraud 1971 (cité par M. Gassama)13 remarque aussi ce fait particulier dans le français

pourtant riche des mots d’origine arabe, asiatique, américaine. L’idéologie dominante à l’époque

de la colonisation de l’Afrique peut expliquer que, durant cette période, très peu de mots ont été

créés par rapport aux périodes précédentes.

13 Makhily GASSAMA, La langue d’Ahmadou Kourouma ou le français sous le soleil d’Afrique, p. 116, Paris : ACCT et Karthala, 1995

22

Page 23: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

A un niveau moins cultivé, le français parlé dans les interactions entre Africains et

Européens des colonies est en réalité mal connu. Les quelques documents écrits qui existent ne

nous font connaître que les représentations qu’en avaient les colons et les militaires européens ou

les intellectuels africains de l’époque. L’auteur de Visions d’Afrique donne « une version

africaine de La cigale et la fourmi attribuée à un étudiant sénégalais », qui circule, à l’époque,

jusqu’à l’Oubangui, partie de l’actuelle Centrafrique.

Il s’agit de productions burlesques forgées par les lettrés et qui ne sont sans doute pas

vraiment représentatives du français parlé à la colonie :

« Cigale y en avait chanté / Tout l’été. /

Quand y en a faire froid, / pour manger y a pas d’quoi. /

Li va trouver li fourmi / Dans son pitit nid : / - Dis zouli fourmi, /

Y en a toi / Donner couscouss à moi. /

Si non y en a moi crevé. / Ca fait trois zours pas bouffé ! - /

Li fourmi li pas zentil : / - Quoi toi y a fout’ tout l’été ? - /

- Moi y en a chanté. - / - Ti chanté ? Eh bien ti dansé /

Bougre di saloup’rie, / Maintenant ! / Allez, fout le camp ! - /

Cigale, y en a pas mangé, / Li crevé ! /

Fourmi, y en a trop mangé, / Li crevé ! /

Moralité : i bouff’s, ti bouff’s pas, / Ti crév’s kif - kif, y a pas ! »14

On remarque la similitude des traits morphosyntaxiques de cette langue avec les

descriptions de Maurice Delafosse15 qui se présente comme le modèle instrumentalisé du français

des Africains. Malgré l’incertitude du rapport entre ce type de représentations et l’état des

reproductions réelles, nous citons brièvement quelques – uns de ces traits, dans l’ordre où ils

apparaissent dans la partie grammaticale du document de l’Imprimerie militaire.

14 CORBET J.- B. : Visions d’Afrique : 92 – 93, Chambéry : Editions Route d’Assise, 1956.15 Delafosse Maurice : Le français / tel que le parlent / nos tirailleurs sénégalais, 35 pages, Imprimerie Militaire Universelle, 1916

23

Page 24: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

- Les déterminants « définis » et « indéfinis » sont supprimés pour « éviter toutes

complications », et éviter que les Africains fassent l’amalgame (déterminant / nom), et, en

conséquence, d’entendre des formes comme :

son la maison (Delafosse : 265)16

mon la tête17 (Le français … : 7)

Paradoxalement, des amalgames (déterminant / nom) sont proposés à l’usage des

instituteurs militaires :

ça y’en a mon laroute pour traduire : c’est ma route (Le

Français… :18) 18

tirailleur y a travailler avec son la main deux pour traduire : le tirailleur travaille

avec ses deux mains

- Les déterminants « possessifs » n’ont que la forme « masculine » : (mon, ton, son)

quel que soit le genre du nom.

- Les déterminants « démonstratifs » (ce, cette, ces) sont remplacés par ça antéposé

au nom ou (y en a là) postposé au nom :

ça tirailleur

tirailleur y en a là pour traduire ce tirailleur (Le Français …8).19

- Ce ne sont pas les noms et les verbes qui prennent la marque du pluriel ; celui-

16 Delafosse M. : Vocabulaires comparatifs de plus de 60 langues ou dialectes parlés à la Côte d’Ivoire et dans les régions limitrophes avec des mots linguistiques et ethnologiques, une bibliographie et une carte, p. 265, Paris : Ernest Leroux, 1904.17 Les références mentionnées (Le Français…7) veulent dire que ces exemples sont tirée du livre de Maurice Delafosse intitulé Le français / tel que le parlent / nos tirailleurs sénégalais, et le chiffre qui est après les pointillés c’est le numéro de page. 18 Cf. note 17 page 31.19C Cf. note 17 page 31.

24

Page 25: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

ci est rendu par des adverbes comme (trop, beaucoup) ou par un « numéral ».

- Les paradigmes des prénoms, sujets comme compléments, sont réduits à celui de

la forme disjointe des pronoms compléments du français : moi, toi, lui, nous, vous, eux.

Les pronoms de troisième personne peuvent aussi être remplacés par la forme (ça y en a là)

comme dans l’exemple suivant :

ça y en a là pas bon pour traduire il est mauvais, ils sont mauvais, c’est

Mauvais (Le français … : 8).

Le verbe être est remplacé par y’a (pas) ou y’en a (pas) avant les adjectifs prédicatifs pour

constituer des phrases comme :

tirailleur y en a bon, lui toujours obéir pour : le bon tirailleur obéit toujours

tirailleur y en a pas bon, lui pas obéir pour : le mauvais tirailleur n’obéit pas

(Le Français …9)

moi y en a malade pour traduire : je suis malade (M. Delafosse : 264)

Les autres verbes ont une unique forme, correspondant au participe passé ou à l’infinitif. Ils

sont précédés au passé de : y a (pas) ou y en a (pas). Ainsi :

moi parti signifie : je pars

moi parti pas signifie : je ne pars pas

moi y’a parti signifie : je suis parti

moi y’a pas parti signifie : je ne suis pas parti

(Le français …12).

25

Page 26: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

La juxtaposition est recommandée aux instructeurs plutôt que l’emploi des prépositions

et conjonctions qui sont « assez peu nombreux dans les dialectes indigènes ». On lit ainsi :

bataille fusil pour traduire : exécution au feu (Le Français …25)

salle police pour traduire : salle de police (M. Delafosse : 264)

moi parti village pour traduire : je vais au village (M. Delafosse : 265)

Maurice Delafosse propose trois possibilités pour traduire le fusil de mon camarade :

le fusil mon camarade

mon camarade son fusil

le fusil pour mon camarade

La construction avec pour est recommandée aussi par le document militaire, plutôt que la

construction avec un « possessif » pour éviter cette fois aux Africains de devoir faire la

distinction entre « féminin » et « masculin ». Ainsi :

case pour lui traduit : sa maison

case pour nous traduit : notre maison

case pour vous traduit : votre maison

case pour eux traduit : leur maison

(Le Français …9).

26

Page 27: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

CHAPITRE DEUXIEME : Historique de l’apprentissage du français

au Sénégal

A part l’école que Jean Dard avait ouvert en 1817 à Saint Louis, la première école

officielle en langue française est ouverte en 1830. De cette date à nos jours, on peut diviser les

péripéties de l’enseignement du français au Sénégal en quatre périodes distinctes.

1. Première période : 1830 - 1965

L’enseignement dispensé de 1830 à 1965 était de type normatif avec la méthode directe.

C’était un enseignement en français langue maternelle malgré la brève tentative de Jean Dard.

Les langues africaines locales étaient interdites à l’école. L’usage du « symbole », objet que

devait garder tout élève parlant en langue du terroir, permettait de rappeler à tous les élèves qu’ils

devaient oublier dans l’espace scolaire leurs langues familiales afin d’acquérir la composante

prescriptive et coercitive du français le plus châtié.

Au lendemain de l’indépendance acquise en 1960, trois possibilités étaient offertes au

Sénégal pour ce qui est de l’enseignement du français à l’école :

- Conserver le contenu et les méthodes de l’enseignement de type colonial avec la

langue française comme unique langue d’enseignement, des méthodes identiques à celles du

français langue maternelle et un enseignement très élitiste. Cette attitude a été observée de 1960 à

1965.

- Introduire les langues nationales dans l’enseignement et aboutir à un enseignement

sénégalais en langue africaine, le français n’intervenant au mieux que comme matière

d’enseignement.

27

Page 28: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

Le Sénégal n’a pas opté pour cette deuxième possibilité et les États africains qui pensaient

avoir définitivement décollé en substituant leurs langues nationales au français, sans prendre les

précautions nécessaires, ont fait des atterrissages forcés. Le Sénégal a opté pour une introduction

non précipitée des langues nationales dans le cursus scolaire.

- Conserver le français comme langue unique d’enseignement, mais l’enseigner en

tenant compte des langues nationales, principalement du wolof, langue véhiculaire nationale.

Le Sénégal, sous la présidence de Léopold Sédard Senghor, optait pour cette troisième

alternative perçue comme plus prudente et plus conforme à l’option francophone du pays.

2. Deuxième période : 1965 - 1980

Cette période correspond d’une part à la codification des langues nationales et, d’autre part,

à l’expérimentation de la méthode « Pour parler français » (PPF) du Centre de Linguistique

Appliquée de Dakar (CLAD).20

Pour mettre en pratique sa politique linguistique, le Sénégal, dirigé par Léopold Sédard

Senghor, a d’abord entrepris une politique de formation de linguistes de niveau universitaire

spécialisés dans la description des langues africaines. Puis, dès 1977, après la codification de

l’écriture des six langues nationales retenues, une première tentative d’enseignement de celles-ci

dans des classes expérimentales est lancée. Le manque de matériels didactiques et la faible

formation des maîtres ont contribué à l’échec et à la suspension de l’expérience. Durant cette

expérimentation, la langue nationale était d’abord objet d’enseignement, puis médium

d’enseignement à partir de la quatrième année de l’élémentaire.

Parallèlement à cela, l’enseignement du français se poursuivait avec une méthodologie

fondée sur des études de linguistique contrastive et des contenus mieux adaptés au contexte

socioculturel et aux besoins des élèves. Cette méthodologie a été mise en pratique par le CLAD

dans la méthode PPF. Ainsi, tout en conservant un horaire et des programmes de langue

première, on a tenté d’adapter l’enseignement aux réalités socioculturelles sénégalaises. On n’a

pas suffisamment tenu compte, dans les contenus des dossiers pédagogiques élaborés entre 20 Centre de Linguistique Appliquée de Dakar

28

Page 29: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

1965 - 1975, du contexte dans lequel vivent les élèves et, sur le plan linguistique, l’introduction

de la langue parlée a permis de faire du français non seulement une langue destinée à former une

élite, mais également et surtout un instrument permettant au plus grand nombre de faire face aux

besoins de communication en français. Le français ne devait plus être exclusivement littéraire,

mais s’ouvrir aux divers domaines d’emploi de la langue courante pratique.

Les remèdes que le CLAD se proposait d’apporter étaient définis par Maurice Calvet

(1969 : 89) de la manière suivante :

• « empêcher la créolisation des langues en contact en renforçant, grâce à la notion

de norme, le processus culturel de convergence et en ralentissant au maximum le

processus naturel de divergence;

• favoriser et promouvoir par des moyens pédagogiques appropriés, grâce aux

progrès de la linguistique, un bilinguisme harmonieux, support de deux visions du

monde, peut-être différentes, mais presque toujours complémentaires et

communicables; donner à l’élève de la classe de « langage » la possibilité d’améliorer

progressivement et sûrement ses performances, dans le cadre de compétence qu’est

toute langue, cadre préétabli et préexistant à tout apprentissage particulier;

• enfin, assurer à l’élève africain un meilleur devenir en le dotant des instruments

linguistiques nécessaires à son épanouissement d’homme moderne. »

La méthode du PPF, en usage au Sénégal de 1965 à 1980, période pendant laquelle elle a

été généralisée, a pour principale méthodologie une démarche structuro - globale dont les deux

principes fondamentaux peuvent être ainsi formulés :

1priorité de l’oral sur l’écrit, mais non primauté;

2utilisation des dialogues comme point de départ des leçons de langage.

La méthode est accompagnée d’un livre du maître conçu comme un ensemble de véritables

29

Page 30: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

fiches pédagogiques capables de combler l’insuffisance de la formation des maîtres. Une leçon de

langage du PPF se décompose en trois étapes (Présentation, Exploitation, Fixation) correspondant

chacune à des objectifs psychologiques et pédagogiques précis.

La suppression en 1981 du PPF par les États Généraux de l’Éducation et de la Formation

était inévitable. Les praticiens attendaient en vain les nouvelles directives et les nouveaux

dossiers pédagogiques qui devaient leur permettre de faire face aux nécessités quotidiennes de

leur métier. Jusqu’en 1991, l’école sénégalaise attendait des propositions de méthodologies

d’enseignement. Les classes pléthoriques et l’absence de directives pédagogiques claires ont

contribué à la dégradation de la qualité de l’enseignement au Sénégal.

3. Troisième période 1981-1991

Ainsi, 1981 ouvre le début de la troisième période qui correspond à un vide

méthodologique, à la suite de la suppression du PPF par les États Généraux de l’Éducation et de

la Formation, convoqués par le Président de la République Abdou Diouf un mois après la

démission du Président Léopold Sédard Senghor.

Les États Généraux de l’Éducation et de la Formation avaient réuni, pour la première fois

dans l’histoire didactique du Sénégal, toutes les personnes et organisations intéressées par le

processus éducatif : enseignants, chercheurs, représentants du gouvernement, syndicats, parents

d’élèves, personnalités religieuses, organisations d’étudiants. Cette grande rencontre nationale

devait procéder à une remise en question de tout le système éducatif sénégalais afin de mieux

l’adapter aux besoins d’une « école nouvelle nationale, démocratique et populaire » parce que le

système éducatif, calqué sur le modèle français, n’était plus adapté aux besoins de développement

du pays.

Un nouveau système éducatif national (fondé sur les réalités sénégalaises et africaines),

démocratique (accordant des chances égales pour tous quant à l’éducation) et populaire (rompant

avec les pratiques élitistes de la sélection élimination) devait être mis en place par une

Commission Nationale de Réforme (CNREF) chargée de finaliser les travaux des États Généraux

de l’Éducation et de la Formation. C’est dans ce contexte de refonte générale que la méthode

30

Page 31: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

d’apprentissage du français, le PPF, a été supprimée et on a enregistré une recommandation

ferme pour la promotion des langues nationales comme langues d’enseignement dans tout le

cursus scolaire. Si les conclusions de la CNREF étaient appliquées, on assisterait au Sénégal à

une nouvelle redistribution des fonctions des langues qui se résumerait selon Oumar Kâ à une

triglossie21 :

« Langue du milieu, qui véhicule les valeurs culturelles et aide au développement

cognitif de l’enfant, langue d’unification nationale, destinée à promouvoir la

conscience nationale, et langue étrangère, pour les besoins de la communication

interafricaine et internationale. ».

Le wolof serait alors la langue d’unification nationale et le français, la langue seconde.

En attendant l’application des conclusions de la CNREF déposées depuis 1984, le français,

selon les textes officiels, doit être enseigné comme langue seconde et langue étrangère. La

méthode PPF, décrite plus haut, était fortement orientée dans la perspective d’enseignement du

français langue étrangère. Rien n’est encore fait pour l’enseignement du français langue seconde

même si l’on perçoit mieux l’urgence d’une éducation bilingue (français/langue(s) nationale(s).

L’organisation du partenariat entre le français et les langues nationales a toujours été au

cœur des préoccupations des autorités politiques. C’est ce que Christian Valentin, représentant

personnel du Président de la République à la francophonie a réaffirmé dans son rapport

programme présenté au Troisième Sommet de la francophonie tenu à Dakar en mai 1989. L’idée

force de ce rapport sur l’orientation de la politique linguistique pour les pays africains

francophones comme le Sénégal est d’inciter à :

- la définition d’une véritable complémentarité français/langues nationales excluant

toute idée de hiérarchisation entre celles-ci et celle-là.

- la prise en compte du multilinguisme dans la mise en place du processus de

développement culturel, économique et social.

21 O. Ka 1993

31

Page 32: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

Cet objectif ne peut être atteint que par une politique de promotion effective des langues

nationales à côté du français par le biais de l’enseignement. Il s’agit donc de faire de la langue de

l’élève le premier instrument de découverte de son environnement, afin de mieux l’enraciner et

de mieux poser les bases d’une véritable inter – culturalité fondée sur l’appropriation linguistique

de la langue française par ses usagers. L’enseignement en langue nationale, loin d’être un frein à

l’apprentissage du français, devrait favoriser une bonne symbiose entre langues nationales et

français, en évitant la tendance à la bilingualité soustractive dont les signes précurseurs sont les

emprunts non motivés qui émaillent le discours des Sénégalais. Il s’agit de gérer une situation de

français langue seconde, car il existe au Sénégal un environnement langagier (au sens large)

porteur pour le français, qui partage sur le plan de la situation linguistique, avec le wolof, des

espaces d’usage social relativement bien définis; d’autres espaces le situent en concurrence, en

complémentarité, ou même en couple avec la langue première ou le wolof comme langue

véhiculaire, marque évidente de sa place comme langue seconde.

4. Quatrième période à partir de 1991...

L’année 1991 marque le début d’une reprise d’activités didactiques avec les manuels de

l’Institut National d’Étude et d’Action pour le Développement de l’Éducation (INEADE).

À partir de 1998, le Ministère de l’Éducation de Base et des langues nationales a initié une

réforme des cursus tentant enfin de répondre à l’exigence de l’enseignement non seulement des

langues nationales mais aussi à l’exigence d’un enseignement du français avec un statut de

langue seconde.

32

Page 33: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

CHAPITRE TROISIEME : La situation du français au lendemain

des indépendances

Les variantes et les enrichissements régionaux sont les éléments constitutifs d’une norme

propre au français en Afrique, et au Sénégal en particulier. Léopold Sédard Senghor, ancien

président de la République du Sénégal, agrégé de grammaire, écrivait dans la préface au Lexique

du français au Sénégal : « Nous sommes pour une langue française, mais avec des variantes, plus

exactement des enrichissements régionaux ». Cette variété régionale du français, qui est

conforme à une norme locale implicite, assure les fonctions de langue véhiculaire entre

sénégalais francophones appartenant à la classe moyenne lettrée. Il s’agit d’une variété

fonctionnelle du français qui, tout en étant proche du niveau standard, comporte des

régionalismes.

1. Les enrichissements régionaux

Ces particularités touchent la construction des mots et des sens ; elles peuvent être de

nature grammaticale ou stylistique : emprunts et néologismes ; restrictions, extensions de sens et

métaphores ; différences de niveau de langue ou de connotation… En voici quelques exemples :

amante a le sens de « petite amie » ; arachide est plus fréquent au Sénégal qu’en France et couvre

parfois les emplois de cacahuète ; latérite, « couche rouge ou brune des plateaux des régions

tropicales », est considéré comme une particularité par sa fréquence et par ce qu’il relevait de la

langue courante employée en Afrique par les colons.

Ailleurs, banco, harmattan, balafon, yassa et djémbé sont considérés comme des emprunts

et des néologismes liés à la nécessité de dénommer des réalités étrangères à la civilisation de

l’Hexagone. Quant à coépouse ou co-épouse « épouse d’un polygame par rapport aux autres

épouses du même homme » et bureaucrate, dans le sens non péjoratif d’«employé de bureau », ce

sont des particularités qui relèvent respectivement de la syntaxe de la sémantique de la forme des

mots et du sens. Ces mots et ces sens particuliers du français du Sénégal sont nombreux et font

33

Page 34: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

l’objet de relevés assez exhaustifs (dont on trouve une bonne partie dans l’Inventaire des

particularités lexicales du français d’Afrique noire). Le français du Sénégal n’est ni un « petit

français » ni un « français populaire », mais un français qui a su s’intégrer dans un tissu

socioculturel authentiquement sénégalais. On rencontre un important lexique dont expressions

comme : école coranique, « école religieuse musulmane où l’on enseigne l’arabe et le Coran » ;

calèche, « voiture découverte à deux roues et une seule banquette tirée par un cheval », par contre

en français central, le terme est réservé à une voiture à quatre roues munie à l’arrière d’une

capote à soufflet ; descendre, « quitter le travail ou l’école » ; dibiterie, « lieu où l’on prépare et

où l’on vend de la viande grillée ».

Il existe aussi d’autres expressions qui sont la marque de l’influence des langues nationales

sur le français comme : chercher une femme (wuut jabar), « avoir l’intention d’épouser la fille à

laquelle on vient faire la cour » ; payer leur travail (fay seen ligéy), « verser en guise de

rémunération la somme convenue pour l’exécution d’un travail » ; travailler quelqu’un,

« marabouter, envoûter ». Toutes ces expressions sont, comme dirait Macouta – Mboukou

« accessibles » à tout sénégalais francophone.

2. La coloration africaine

Ces faits de langue montrent également que les sénégalais, ayant adopté la langue française

au lendemain des indépendances, se sont réellement approprié cette langue tout en conservant

leur tradition et leur culture. En conséquence, le français a été, dans la plupart des cas, adapté aux

réalités locales. Cette nouvelle mission du français, qui consiste à véhiculer les valeurs culturelles

et linguistiques dont les sénégalais ont indéniablement besoin, explique et alimente la norme

linguistique que certains écrivains revendiquent clairement. Ainsi Massa Makan DIABATE,

auteur de la célèbre Trilogie de Kouta, déclare :

« J’essaie de donner à mon français, qui n’est pas le français de France, une

coloration africaine, en y mêlant des proverbes, des récits et surtout en faisant,

comme je l’ai toujours dit, « quelques petits bâtards à la langue française », (…) mais

je pense que je suis fondamentalement francophone ».

34

Page 35: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

Par le biais de tels écrivains, la littérature en français langue seconde procurera donc une

attestation écrite à la norme du français africain. En outre, les écrivains en général et les locuteurs

en particulier marquent, par l’usage du français qui leur est propre, leur double appartenance

nègro – africaine et francophone.

Dans les particularités du français africain en général et sénégalais en particulier, il faut

voir le signe non seulement d’une appropriation du français qui a acquis le statut de langue

seconde, mais aussi et surtout l’expression d’une revendication de copropriété, conséquence

d’une co-présence du français et des langues de souche sénégalaise sur une bonne partie de

l’étendue du territoire national. La francophonie africaine en général et la francophonie

sénégalaise en particulier, est une francophonie ouverte au souffle fécond des langues et cultures

africaines. Elle est réfutation des droits d’unicité et des revendications linguistiques du droit de

diversité des langues et des cultures dans le comportement langagier. Le français en francophonie

est une langue qui porte en elle-même les traces de son biculturalisme.

CONCLUSION PARTIELLE

En définitive, à l’exemple de nombreux pays d’Afrique, le Sénégal est caractérisé par la

diversité linguistique et culturelle de la rencontre de deux grandes civilisations : négro - africaine

et occidentale française. La civilisation négro – africaine est transmise par les nombreuses

langues nationales. Ainsi en considérant la population du Sénégal (9.2 millions), on peut dire que

les ethnies sont fort nombreuses dans ce pays, sans oublier qu’à l’intérieur de chacune des ethnies

il peut exister des sous – groupes qui parlent des langues parfois très différentes des autres

sous – groupes de la même ethnie. Quant à l’influence française, elle est arrivée avec le

commerce et la colonisation et s’est infiltrée non seulement avec sa langue, mais également sa

littérature et la Bible.

Cette situation prend plus d’ampleur avec l’infiltration de la langue française qui, dès son

arrivée sur le territoire sénégalais, a été imposée par l’administration coloniale.

Depuis les années 70, le monopole du français, langue de colonisation et langue officielle, a

été remis en question au Sénégal notamment à cause de la crise de l’éducation et de la stagnation

35

Page 36: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

du taux d’alphabétisation en français. La nécessité d’une école bilingue et d’une nouvelle place

pour le français a été réaffirmée dans les années 80 par les autorisés sénégalaises. Des obstacles

importants d’ordre extralinguistique demeurent et ne peuvent être surmontés que dans le cadre

d’une planification linguistique réelle.

Ainsi, au Sénégal on observe une expansion de l’usage du français qui concerne toutes les

catégories socioculturelles des milieux urbains, y compris les locuteurs peu scolarisés et même

les locuteurs non scolarisés. Cette large diffusion du français est favorisée par la pratique d’une

variété mixte de langue faite du mélange du français avec le véhiculaire local qu’est la langue

wolof par le biais de variations de divers types et d’alternances codiques tout aussi diversifiées.

36

Page 37: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

TROISIEME PARTIE :

LES VARIATIONS SYNTAXIQUES DU FRANÇAIS DU

SENEGAL

37

Page 38: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

CHAPITRE PREMIER : présentation de la recherche

morphosyntaxique

Notre étude n’a pas une optique comparative de deux variétés de français : le français de

France et le français du Sénégal. Il serait indispensable de limiter le relevé de faits syntaxiques à

un seul domaine d’utilisation de la langue de façon à comparer des phénomènes de registres ou

de variétés de langues équivalents. L’élaboration du français du Sénégal doit donner une vision

générale de la langue et tenir compte, d’une part, de la continuité qui existe entre les diverses

variétés du français du Sénégal et, d’autre part, des analyses déjà menées sur le français de

France et qui s’appliquent aussi au français du Sénégal.

En effet, chaque communauté qui utilise le français partage avec les autres la majeure partie

de la langue, mais possède des éléments en propre, c'est-à-dire qui n’existent pas dans les autres

variétés. Nous appelons français de France et français du Sénégal l’ensemble de ces éléments,

communs ou spécifiques, qui forment le français respectivement en France et au Sénégal.

Cependant, le français de France et le français du Sénégal sont deux variétés de langue très

inégales, au moins quant à leur statut et leur description syntaxique, pour ce qui nous intéresse

ici. Un français standard a été reconnu pour l’état actuel du français de France, ce qui est loin

d’être le cas du français du Sénégal.

Toutefois, le français normé ne suffit pas à définir le français de France, qui se compose de

l’ensemble des variétés en usage dans le pays, en tenant compte non seulement du français

standard basique, mais aussi des diverses variantes régionales, « archaïsantes » et de celles des

divers niveaux de langue. Nous nous reportons, pour le français standard de France, aux analyses

proposées par les linguistes se rattachant à la grammaire transformationnelle de Z. S. Harris,

telles que celles menées au LADL sous la direction de Maurice Gross22. Ces études ont une

ambition exhaustive et tiennent compte d’éléments de la langue qui seraient refusés par les

tenants de la norme.

22 Gross M. : Grammaire transformationnelle du français. Syntaxe du nom, p. 17 – 20 et 49 – 112 Paris : Larousse, 1977.

38

Page 39: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

D’un autre coté, le français du Sénégal est constitué en majorité d’éléments communs avec

le français de France et, à priori, tous les éléments du français de France peuvent être utilisés

aussi au Sénégal. Cependant, l’usage privilégie certaines formes du français de France par rapport

à d’autres qui sont rarement utilisées. Le français sénégalais, tel qu’on l’appelle couramment au

Sénégal, se compose des variétés de français, plus ou moins éloignées du français de France ou

qui ont cette marque aux yeux des locuteurs, allant des variétés populaires et courantes aux

variétés utilisées par les journalistes, par les enseignants ou par les auteurs, ces dernières ayant

une fonction de modèle de langue. Plusieurs de ces variétés sont normalement intégrées à la

grammaire interne d’un même locuteur et peuvent se présenter dans le corpus du même locuteur.

Elles commencent à peine à être décrites et, comme nous l’avons vu, le français sénégalais n’est

ni instrumentalisé ni standardisé.

Dans les variétés du français populaire du Sénégal, nous n’étudierons que des phénomènes

précis, qui présentent une continuité avec d’autres phénomènes relevés dans des variétés plus

soutenues. Nous ne faisons pas d’étude détaillée des constructions relevant uniquement du

français sénégalais parlé, et qui ont leurs équivalents en français parlé de France, comme les

relatives ou les complétives interrogatives spécifiques de ces variétés : elles relèvent d’une

organisation du discours propre à l’oral et ne peuvent donc pas être étudiées avec les

constructions écrites.

Dans cette étude, nous nous attachons aux deux types de variations suivantes:

- Les variations qui ne sont pas spécifiques du français du Sénégal puisqu’elles ne

sont pas impossibles en français de France. Ce qui fait leur singularité, c’est que ces constructions

sont généralisées en français du Sénégal, alors qu’elles correspondent plutôt à des variantes

stylistiques en français de France.

- Les variations les plus intéressantes sont celles qui pourraient s’orienter vers la

création d’une norme endogène par leur généralisation et leur régularité, bien qu’on ne puisse

dire encore si cette norme est totalement élaborée.

Ces variations vont être analysées de façon à proposer des bases pour une grammaire du

français du Sénégal en relation avec le français de France.

39

Page 40: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

CHAPITRE DEUXIEME : La morphosyntaxe du syntagme verbal

et nominal

Ce qui nous occupe principalement dans la présente étude est la phrase simple. La phrase

simple, ou élémentaire, est une partie autonome d’un énoncé, qui constitue une unité de sens, et

qui, formellement, comporte un élément prédicatif (en l’occurrence dans ce chapitre un verbe) et

ses actants (sujets et compléments). La phrase complexe est un énoncé composé d’au moins deux

phrases simples, conjointes par une conjonction de coordination ou une conjonction de

subordination (M. Piot 1995). Selon la démarche que nous allons adopter, le verbe se définit par

différentes constructions et différents environnements, soit les différents types de phrases dans

lesquels il peut figurer.

1. Autour du verbe

Nous avons remarqué, dans les corpus, des modifications quant à la grammaire de certains

verbes. Ces variations relèvent parfois du principe de fonctionnalité évoqué par Gabriel Manessy,

mais peuvent être parfois analysées comme des particularités d’origine intersystémique et / ou

intrasystémique. Cette grammaire des verbes se caractérise par un changement de construction

(de transitif à intransitif, de pronominal à transitif, de transitif indirect à transitif direct, et

réciproquement), et par la redistribution des traits (+ pers) et (-pers) ou par l’affectation au verbe

d’une valence particulière.

1.1 Valence particulière

Exemple :

« depuis des années et des années les élèves partent en mouvement + les professeurs

partent en mouvement + » (Etudes)

40

Page 41: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

La suite « partir en mouvement » dans le sens de « partir en grève » (on parle plutôt de

«mouvement syndical »), fait de mouvement une valence lexicale de partir.

1.2 Transitif direct à transitif indirect

C’est le cas des verbes qu’on construit avec une valence prépositionnelle alors qu’ils

devraient se construire avec une préposition zéro.

Exemples :

« c’est ça que moi je condamne mais je ne dis pas que qu’on doive assigner à la

femme mariée + de faire ceci ou cela » (Mariage) (« assigner quelqu’un » au lieu

de « assigner à quelqu’un »)

Le verbe « assigner » a deux emplois « assigner quelque chose à quelqu’un » et « assigner

quelqu’un à quelque chose. Ici le verbe « assigner » peut être remplacé par « exiger ».

« vous faites un lavage de cerveau la fille habite chez elle + elle et son papa qui est

qui est censé de lui donner tout ce qu’elle veut + » ( Mariage) (« censé lui donner »

au lieu de « censé de lui donner »).

« on + écoute écoute + tu n’a pas le droit de commenter sur le comportement de la

femme d’autrui » (Mariage) (« commenter » au lieu de « commenter sur »).

« on ne peux pas empêcher aux femmes de de mettre des dialdialis des thiourayes

non » (Mariage) (« empêcher quelqu’un » au lieu de « empêcher à quelqu’un »)

Certaines de ces formes peuvent être analysées comme le résultat d’un télescopage

syntaxique entre deux constructions sémantiquement voisines.

Exemples :

Faire des commentaires sur quelque chose commenter sur

Commenter quelque chose

41

Page 42: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

Assigner quelqu’un assigner à

Assignation à domicile

« empêcher à » peut s’analyser comme le résultat d’un croisement syntaxique avec

« interdire à »

1.2.1 Préposition zéro

Exemples :

« malheureusement les femmes ne sont pas préparées à vivre de cette manière là et

nous nous les garçons même ne sommes pas préparés à vivre de cette manière là

alors c’est que nous aspirons + » (Mariage) ( aspirer peut être remplacé par

vouloir)

« mais ces conditions sociales là ce mal là il faudra essayer de le remédier de de

comment on dit ça de le réparer est ce que tu vois » (Immigration) (croisement avec

pallier)

1.2.3 Confusion de préposition

Exemple :

« on ne peut pas obliger les gens de s’habiller de manière vraiment qui va devenir

dictatoriale par exemple » (Immigration) (emploi de « de » à la place de « à »)

En résumé, ce phénomène d’alternance de constructions transitives et intransitives de

mêmes verbes se produit en général en français du Sénégal, mais est étendu à d’autres verbes qui

ne le permettent pas en français de France.

Il existe, en fait, en français du Sénégal, plusieurs phénomènes d’alternances concernant le

type de complémentation des verbes, qui sont difficiles en français de France ou se prêtent à des

42

Page 43: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

conditions spécifiques de discours. Certains verbes qui ont obligatoirement une construction

prépositionnelle en français de France peuvent avoir, en plus, une construction non

prépositionnelle en français du Sénégal. C’est le cas des verbes parler et pardonner. D’autres

verbes dont le complément est introduit par la préposition de en français de France admettent

aussi d’autres constructions ou entrent dans une construction non prépositionnelle en français du

Sénégal. Ces alternances concernent le type de complémentation des verbes qui ont des

répercussions sur la pronominalisation.

En français du Sénégal, les compléments des verbes pardonner et parler peuvent être

construits avec ou sans préposition sans qu’on note la différence de sens ou d’emploi. Le verbe

pardonner a, en français du Sénégal deux sens proprement sénégalais : accorder une faveur à

quelqu’un et demander une faveur à quelqu’un. Ce verbe se construit, indifféremment et pour

tous ses sens, soit avec la préposition à, soit sans cette préposition.

Exemple :

FS : « Mamadou a pardonné Souleymane »

FF : « Mamadou a (accordé + demandé) faveur à Souleymane »

Le verbe parler a les mêmes sens qu’en français de France et se construit avec ou sans les

prépositions à et de qui introduisent les deux compléments de ce verbe.

Exemple :

FS : « Mamadou a parlé Souleymane ça »

FF : « Mamadou a parlé de ça à Souleymane »

1.3 De transition à pronominal

Exemples :

« nous savons nous tous qui sommes des étudiants ici + qu’ici à l’université on y

rencontre tant de problèmes + qu’on sait plus par où se donner la tête + » (Etudes)

« mais puisque les hommes savent que en emmenant plusieurs femmes + et en se

43

Page 44: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

procréant plusieurs enfants + mais ça crée des problèmes » (Mariage)

Ces variations peuvent aussi être considérées comme le résultat d’un apprentissage scolaire

non réussi. Il est difficile, dans le discours de faire très nettement la différence entre ce qui

relèverait d’une influence intrasystémique et de ce qui serait la conséquence d’un apprentissage

scolaire non satisfaisant. Les influences sont parfois superposables.

1.4 Distribution des rections autour du verbe constructeur

L’examen du corpus montre une nette préférence à mettre certaines rections en position de

préfixe contrairement à l’usage scolaire qui recommande l’ordre « valence sujet + verbe recteur +

rection(s) ». Les « si - phrase » et les « quand - phrase » rection sont souvent en position de

préfixe dans les macro syntagmes qui les contiennent.

Exemples :

« quand on est à la maison on doit s’occuper de son travail on doit faire la vaisselle

et autres + » (Mariage)

« si on ne peut pas satisfaire la nourriture quotidienne on ne pourra pas satisfaire les

problèmes universitaires » (Etudes)

« pour qu’il n’ait pratiquement pas de bruit il faut qu’on change toutes les pièces là

» (Travail)

« après la conférence rectificative de 1967 + tous les organes dirigeants du parti + à

à l’époque + qui était le seul parti marxiste au Sénégal + le parti africain de

l’indépendance + le P.A.I. Sénégal + alors tous les postes + dirigeants + tous les

dirigeants + au niveau supérieur comme au niveau + inférieur + ces gens là ont été

suspendus de leur fonction + on a crée une direction nationale provisoire » (Article

du journal Le soleil).

On remarque, dans les trois premiers exemples, les propositions subordonnées sont toujours

placées en début de phrase, devant la proposition principale. En français de France, la proposition

44

Page 45: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

subordonnée est parfois précéder la proposition principale, soit pour mettre l’accent sur ce qu’elle

énonce, soit au titre de raccord logique avec ce qui vient juste d’être énoncé. En français de

France, l’antéposition de subordonnée est particulièrement courante dans la phrase

conditionnelle. On commence volontiers par exprimer la condition avant de décliner la suite.

On remarque dans ce dernier exemple une accumulation paradigmatique à la place d’une

valence sujet.

Cette préférence pour le développement à gauche de la construction verbale touche

également les associés.

Exemples :

« donc le travail est tellement dur + il faut il faut la force humaine + tu vois +

l’énergie humaine » (travail)

« aller en grève + chaque année + et ne jamais être satisfait + c’est pas du tout

intéressant + il faut qu’on choisisse » (Etudes)

« la société musulmane + les gens + les hommes il ont tendance à avoir plusieurs

femmes. (Mariage)

Le syntagme la société musulmane, placé en tête de la construction, ne peut pas être

considéré comme un élément de rection de avoir tendance ; il lui manquerait la préposition dans

dans la construction en dispositif direct.

A ces associés à gauche, il faut ajouter les cas de double marquage :

Exemples :

« ceux qui ont les moyens + ils marient qu’une seule femme » (Mariage)

« les bruits + on ne peut pas les éliminer totalement » (Travail)

1.5 L’emploi des quantificateurs autour du verbe

On note l’usage de comparatif et l’absence de discrimination nette entre le

comptable et le non comptable due souvent à l’influence d’un substrat linguistique.

45

Page 46: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

1.5.1 « plus » à la place de « mieux »

Exemples :

« on met les Européens dans ces même conditions il ne vont pas réussir sinon il ne

vont pas faire plus que nous ça je vous le garantis » (Travail) (mieux que nous)

« les leçons sont beaucoup plus présentées ici qu’au Sénégal » (Etudes) (mieux

présentées)

Ou encore « plus que » à la place de « meilleurs »

Exemple :

« disons que les temps ne sont pas plus + que les temps anciens » (Mariage)

1.5.2 « un tout petit peu » dans la rection verbale

« un tout petit peu » qui est une traduction du quantificateur wolof tuuti rek se rencontre

dans la rection verbale des exemples suivants :

« dans un deuxième temps + je vais essayer de + parler un tout petit peu des

conditions des étudiants des problèmes que nous rencontrons le plus souvent »

(Etudes)

« en tout cas je suis un tout petit peu d’accord avec vous mais entièrement quoi »

(Mariage)

On rencontre également des cas de télescopage entre la syntaxe de plutôt et celle

de plus…que : plutôt ça mais pas ça

Plus ça que ça

46

Page 47: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

Exemple :

« bon on a constaté que ce qu’ on nous a donné + c’est plutôt théorique que

pratique » (Etudes)

1.5.3 L’emploi de « et quelque »

L’usage de quelque après un nombre est fréquent dans le français du Sénégal pour marquer

l’imprécision du chiffre avancé.

Exemple :

« Les aides vous le savez + en fait au début + c’était deux cent mille et quelque etc.

neuf mois » (Etudes)

1.6 L’interrogation et la relative

1.6.1 L’interrogation

1.6.1.1 Absence d’inversion

La tendance qui se dégage du corpus est la réalisation de l’interrogation sous le modèle de

est - ce que qui, comment de France, permet de maintenir l’ordre des mots de la phrase

déclarative simple.

Exemples :

« mais est ce que ces vêtements européens + hein + qui est à la mode actuellement

chez nous + correspond + à nos réalités » (Mariage)

« la cessation de toute publication + avant la restructuration du parti +

pour savoir + les anciens dirigeants + pourquoi ils étaient pas au congrès » (article

d’un journal) (pourquoi + sans inversion)

« parce que ça c’est un suicide comment vous pouvez dire à un père de famille qui

compte sur ses enfants » (Etudes) (comment + maintien de l’ordre)

47

Page 48: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

- Combinaison de comment et de est - ce que sans inversion.

Exemples :

« comment est ce qu’ on définit la marchandise » (travail)

« non non non il fallait que tu sois là + sinon quand je dépanne + comment est ce

que tu comprends la panne qui est à l’intérieur » (Travail)

- quel + maintien de l’ordre des mots dans la phrase assertive

Exemples :

« quel sentiment il aurait + han + y a lieu de se poser la question » (Etudes)

« quelle fac vous faites » (Etudes)

1.6.1.2 Interrogation indirecte

Exemple :

« l’année passée + c’était une année test + seulement parce que je ne savais pas que

les choses allaient réussir comme ça » (Travail)

Ces quelques exemples montrent que, dans l’usage mésolectal, la forme interrogative

conserve l’ordre des mots de la phrase déclarative simple avec la présence de est – ce que

probablement déjà senti comme une inversion. Il est aussi possible d’envisager une influence

probable de l’intonation interrogative qui maintient l’ordre des mots.

1.6.2 La relative

Le corpus présente quelques rares cas d’emploi non standard de que. L’usage de dont est

rare et les locuteurs ont tendance à utiliser un système de relatif qui reposerait sur l’opposition

qui sujet et que objet bien que les formes composées du pronom relatif soient parfois utilisées.

48

Page 49: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

Exemples :

« par exemple une femme qui est honnête + honnête dans le sens qui vous dit

toujours la vérité avec laquelle + vous sortez tous les jours + mais il est difficile de

voir ça +» (Mariage)

« bon donc il y a encore un problème de formation qui se pose et qui est encore à

l’origine de cette crise que nous traversons + que l’Université se trouve » (Etudes)

« nous devons lutter lutter avec les armes que nous disposons c'est-à-dire la grève »

(Etudes)

« une fois qu’on a compris peut être qu’il s’agit d’analyser ah + une opinion du type

un peu + ce qu’ on a ce qu’on a parlé + » (Etudes)

« l’autre jour euh + y a pas longtemps d’ailleurs + je euh discutais avec euh un des

responsables + que je préfère taire le nom » (Etudes)

Cet emploi non standard de « que » corrobore l’idée d’un usage extensif de « que »

relatif dans les conversations ordinaires.

1.7 Temps et modes

Le mode indicatif est largement dominant dans notre corpus. L’usage du mode subjonctif

souvent défectueux reste disponible. Certains locuteurs utilisent les formes du présent de

l’indicatif à la place des temps du subjonctif.

Exemples :

« mais à l’heure à l’heure actuelle penses tu qu’il est possible de chasser le président

qui est au pouvoir depuis dix ans » (Etudes)

« alors ça euh a amené beaucoup de problèmes + et beaucoup de déboires au sein

de cette Université là quoique + les gens ont lutté + de toute leur force + » (Etudes)

(quoique + indicatif)

« oui une évaluation mais en un sens depuis la dot qu’est ce qui suit qu’est ce qui suit

49

Page 50: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

jusqu’à ce que finalement tu peux consommer ton mariage » (Mariage) (jusqu’à ce

que + indicatif)

« ce qu’ on ne peut pas faire dans le cadre de nos travaux respectifs – il ne faut pas

que le syndicat nous sert à cela » (Travail)

2. Autour du nom

La syntaxe du nom ne se limite pas à la structure interne du groupe nominal et elle est donc

étudiée ici dans le cadre de la phrase simple.

Le nom, quel qu’il soit, forme éventuellement avec ses déterminants et ses expansions

(adjectifs et compléments du nom) le groupe nominal dont il est la tête.

Le groupe nominal dont la tête est un nom quelconque peut apparaître dans plusieurs

fonctions et positions. Nous nous intéresserons dans cette étude à la structure interne du groupe

nominal, et en premier lieu à la détermination. En français de France, la détermination est

souvent obligatoire, mais il existe des cas où le nom est utilisé sans déterminant. Le français du

Sénégal apporte de nouveaux éléments dans la mesure où ces phénomènes sont beaucoup plus

répandus qu’en français de France.

Nous étudierons aussi l’omission et la variation du déterminant en français du Sénégal.

Enfin nous proposerons trois analyses : la distribution de là et là – bas à la place du nom, l’usage

des prépositions autour du nom et enfin l’emploi de ça et de cela en français du Sénégal.

2.1 Omissions et variations du déterminant en français du Sénégal

Le statut du déterminant dans le groupe nominal en français du Sénégal est différent de

celui qu’il a en français de France, principalement parce qu’il n’est pas obligatoire. Dans le

rappel qui suit sur la détermination du nom en français de France (1.1), nous nous arrêtons

particulièrement sur la discussion qui a eu lieu en linguistique française à propos du déterminant

zéro ou de l’omission du déterminant.

Notre analyse va porter surtout sur les déterminants « possessifs », « définis », « indéfinis »

et les déterminants zéro. Le déterminant zéro a une fréquence et un rôle tout particuliers en

50

Page 51: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

français du Sénégal qui méritent que nous nous arrêtions, mais nous distinguons le déterminant

zéro de l’omission du déterminant quelconque. D’autre part, nous montrerons que la distribution

des déterminants « possessifs » et « définis » présente quelques aspects spécifiques en français du

Sénégal.

2.2 La détermination du nom et la discussion sur le

déterminant zéro et sur l’omission du déterminant en

français de France

Depuis 1977, les travaux de Maurice Gross sur le groupe nominal ont fondé, pour le

français, des recherches sur la détermination du nom. Nous nous reportons donc

fondamentalement à son analyse pour la présentation basique qui suit.

Le déterminant se définit, en français de France, comme l’item qui précède le nom lorsque

celui-ci a un rôle syntaxique dans la phrase. Ainsi dans la phrase suivante :

FF : (L’ + cet) enfant a vu (le + ce…) gâteau

Le déterminant (l’ + cet…) précède le sujet enfant du verbe a vu, et le déterminant

(le + ce+…) précède son complément gâteau. Les déterminants sont obligatoires en français de

France, sauf avant des noms propres, et la séquence suivante où ils ont été supprimés ne peut être

acceptée en tant que phrase :

FF : * Enfant a vu gâteau.

Dans la phrase :

FF : Il n’y a pas (ce + de + …) je n’aime pas … mange !

La séquence je n’aime pas est prise comme un nom au même titre que arrête dans :

FF : Il n’y a pas (cette + d’ + …) arrête …mange !

Dans ces deux exemples, « je n’aime pas » et « arrête » peuvent être remplacés par

« argent », ce qui donne par exemple :

51

Page 52: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

Il n’a pas d’argent … manger.

Par conséquent, le déterminant (ce + de +…) est obligatoire et la séquence suivante est

refusée en français de France.

FF : * Il n’y a pas je n’aime pas …mange !

La position du déterminant peut être remplie par des formes très variées, et une

classification des éléments qui répondent à la définition donnée ci dessus a été opérée d’après

leurs propriétés (M. Gross 1977 : 12-47). Nous avons, par exemple, les formes suivantes, selon

leur valeur et interprétation :

« définie » FF : L’enfant a vu les gâteux

« possessive » FF : Tes enfants ont vu leurs gâteux

« démonstrative » FF : Cet enfant a vu ces gâteaux

« indéfinie » FF : Des enfants ont vu un gâteau

« numérale » FF : Deux enfant ont vu deux gâteaux

« générique » FF : Les enfants voient vite les gâteaux

Un enfant voit vite du gâteau.

Ce bref rappel demande tout de même quelques commentaires :

- Les déterminants « définis » se composent essentiellement des déterminants

« définis » : l’, le, la les ; des déterminants « possessifs » : mon, ton, …mes,

tes,… ; des déterminants démonstratifs : ce, cet, …23

- La valeur « générique » est généralement rendue par un déterminant

« défini » de type : la, le, les, mais les déterminants « indéfinis » de type :

un, une, des et de la, du peuvent aussi avoir une interprétation

23 Gross M. : « Sur les déterminants dans les expressions figées », in Language n° 79 : 89 – 117, Paris, Larousse, 1985.

52

Page 53: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

« générique ».

- Quatre classes de déterminants de valeur « indéfinie » ont été définies

d’après leurs propriétés24.

Les déterminants adverbiaux qui apparaissent, par exemple, dans :

FF : Beaucoup d’enfants voient de moins en moins de gâteaux

Les déterminants adjectivaux qui apparaissent, par exemple, dans :

FF : Un seul enfant a vu l’autre gâteau

Les déterminants nominaux (P.- A. Buvet 1993 ; 1994), qui apparaissent, par exemple,

dans :

FF : Un groupe d’enfants a vu les morceaux de gâteux

Les pré – déterminants qui apparaissent par exemple dans :

FF : Environ trois enfants ont vu tous les gâteaux.

- Quel que soit le contenu du déterminant, la structure interne du groupe

nominal n’est pas modifiée : le substantif en est toujours la tête. Dans les

phrases suivantes, par exemple, de structure apparente N de N :

FF : Luc a ennuyé (une salle de) cent personnes

≠ Luc a construit une salle de cent personnes

Max achète cette (sorte de) viande

Une salle de et cette sorte de sont des déterminants nominaux : cent personnes et viande,

qui sont les compléments des verbes de ces phrases. Le déterminant nominal d’une telle phrase

ne peut être tête d’un groupe nominal dans lequel les séquences N donneraient lieu à un

« possessif ». Dans la phrase avec une salle de cent personnes, au contraire salle est tête du

24 Gross M. : Grammaire transformationnelle du français. Syntaxe du nom, p. 17 – 20 et 49 – 112 Paris : Larousse, 1977.

53

Page 54: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

groupe nominal et la construction possessive est possible. Nous avons, en effet :

FF :* Luc a ennuyé leur salle ≠ Luc a construit leur salle

Il existe des cas où le déterminant n’apparaît pas, par exemple dans certains cas de

coordination :

FF : Luc a vu les gâteaux et sucreries

ou encore dans des séquences prépositionnelles, libres ou lexicalisées, telles que, respectivement :

FF : Luc envoie un colis par avion

Luc a une voiture de fonction.

On trouve d’autre cas où le groupe nominal apparaît sans déterminant, dans des phrases

comme :

FF : Luc lui a rendu hommage

Luc fait feu de tout bois

Luc s’est battu becs et ongles,

qui posent le problème de l’existence ou pas de déterminant zéro en français de France. Cette

discussion est présentée par L. Picabia et J. – C. Anscombre 1991. Les analyses de L. Picabia

1986 ; L. Kupferman 1991 ; J.- C. Anscombre 1991 distinguent en effet, d’une part l’absence ou

l’omission du déterminant, et d’autre part le déterminant zéro qui un véritable statut de

déterminant.

L’explication traditionnelle est que le déterminant est obligatoire en français de France

actuel et que, s’il existe quelques expressions figées qui se caractérisent par l’absence de

déterminant devant le nom, ce ne sont que des vestiges d’un état de langue antérieur, dans lequel

un déterminant zéro à valeur générique existait.

Nous retenons des analyses dont nous disposons actuellement que les critères du déterminant

zéro sont : l’impossibilité de rétablir un déterminant sans changer le sens de la phrase et la valeur

54

Page 55: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

générique du groupe nominal. Faire une distinction entre l’omission du déterminant et le

déterminant zéro nous semble pertinent pour entreprendre l’étude de la morphosyntaxe du nom

du français du Sénégal.

2.3 Le déterminant zéro en français du Sénégal

Nous appelons déterminant zéro en français du Sénégal la place lexicalement vide laissée

avant le substantif et ne pouvant pas être remplie par un déterminant « défini » ou « indéfini », du

moins dans les mêmes niveaux de langue.

Le déterminant zéro apparaît, en français du Sénégal, dans des cas précis qui diffèrent

quelque peu selon le niveau de langue. En effet, dans les variétés plus soutenues du français du

Sénégal, il existe la possibilité d’omettre le déterminant avant un nom à valeur générique, mais

on ne peut pas parler de déterminant zéro.

2.3.1 Le déterminant zéro à valeur générique en français

populaire sénégalais

Le français populaire sénégalais, comme les langues africaines du Sénégal, présente des

systèmes de détermination du nom différents de celui du français de France. De fait, en français

populaire du Sénégal, les noms en fonction de sujet comme du complément apparaissent très

souvent non précédés de déterminant. On distingue deux cas :

- La valeur générique est rendue par le déterminant zéro.

- L’absence de déterminant devant un nom est toujours possible, pour toutes les valeurs que

peut avoir ce nom.

Exemples :

FPS : Tu vas prendre (bus + charrette)

Il conduit (bus + charrette)

Tu veux (yassa + banane + manioc + pagne) ?

Elle vend (yassa + banane + manioc + pagne).

55

Page 56: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

En français de France, la restitution du déterminant est obligatoire dans ces phrases, quel

que soit le niveau de langue. En français du Sénégal, celle-ci est possible, à un niveau de langue

soutenue, sur le modèle du français de France. Nous avons alors :

FF, FS : Tu vas prendre (le + un) (bus + charrette)

IL conduit les (bus + charrettes)

Les garçons n’ont qu’à vous commander

Tu veux (du yassa + de la banane + du manioc + des pagnes) ?

Elle vend (du yassa + de la banane + du manioc + des pagnes).

Nous remarquons que, dans toutes ces phrases, bien que le français de France puisse utiliser

différents déterminants, la valeur du groupe nominal est toujours générique. Dans ces exemples,

nous pouvons parler d’un déterminant zéro du français populaire du Sénégal dans la mesure où il

indique une valeur générique particulière et qu’il ne peut être remplacé par un déterminant en

français populaire du Sénégal.

2.3.2 Figement du déterminant zéro de certains noms

prédicatifs en français du Sénégal

Un nombre important de substantifs du français du Sénégal n’admettent aucun déterminant.

Les substantifs prédicatifs palabre et affaire font partie de ceux-ci. Ces substantifs prédicatifs

changent de sens lorsqu’ils sont précédés d’un déterminant. Employé sans déterminant, ils font

partie du lexique spécifique du français du Sénégal, et avec déterminant, ils ont un autre sens,

commun avec le français de France. On peut alors parler d’un déterminant zéro obligatoire devant

ces noms prédicatifs. Nous avons ici quelques phrases :

FS : Amadou a affaire FF : Amadou a des histoires

Amadou a fait affaire Amadou fait des arrangements

56

Page 57: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

malhonnêtes

Amadou fait bouche Amadou se vante

Amadou fait gros cœur Amadou est vexé

Amadou fait coco taillé Amadou s’est rasé la tête

Certaines phrases avec il y a et c’est sont figées avec le déterminant zéro comme, par

exemple :

FS : Il y a match FF : Ce n’est pas gagné d’avance

Il y a pas match FF : c’est gagné d’avance

Il n’y a pas médicament FF : c’est comme ça il n’y a rien à

faire

Il y a pardon FF : Il y a une possibilité de faveur

Il y a pas pardon FF : Il n’y a pas de possibilité de

faveur

L’introduction d’un déterminant dans ces phrases change leur sens et l’on obtient les

phrases libres du français de France :

FF : Il n’y a pas de médicament

Il y a un match

Il n’y a pas de match

Il y a un pardon

Il n’y a pas de pardon

Plusieurs conclusions peuvent être tirées de l’analyse des cas où le nom apparaît sans

déterminant en français du Sénégal.

57

Page 58: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

Tout d’abord, une différence notable avec le français de France actuel se présente dans

l’existence d’un déterminant zéro à valeur générique en français du Sénégal qui reste visible dans

toutes les variétés de la langue. La morphosyntaxe des déterminants en français du Sénégal est

ainsi sous tendue par l’opposition générique / spécifique, tout comme dans les langues

sénégalaises, alors que cette opposition n’apparaît pas de façon si claire en français de France où

les mêmes déterminants ont des valeurs diverses selon leur environnement.

Il apparaît donc que le statut même du déterminant en français du Sénégal est différent

de celui qu’il a en français de France : alors qu’il est obligatoire en français de France (ou que

son absence obéit à des règle précises), il n’est pas indispensable en français du Sénégal pour

qu’un nom ait un rôle syntaxique dans la phrase.

2.4 Remarques sur l’emploi des déterminants possessif, partitif, défini et

indéfini en français du Sénégal

En ce qui concerne l’emploi des déterminants, on note de nombreuses confusions dans

l’usage du possessif, du partitif, de l’article défini et de l’article indéfini.

Exemples :

« moi je ne paye pas han + tant que l’association ne donnera pas l’aval +

l’association donnera l’aval non » (Travail), (donne son aval)

« je m’entends avec mademoiselle si je la prends je fonde le foyer mais si ça ne

marche plus bien je cherche ailleurs + » (Mariage), (un foyer)

« bon + j’aimerais d’abord avant d’en venir aux causes du divorce + parler un peu

du …mariage + surtout les fondements du mariage + » (Mariage), (des fondements)

A ces variations d’interlangue s’ajoute l’usage récurrent de des dans la suite

syntagmatique : déterminant + adjectif + nom à la place de de.

Exemples :

« bon même au 19ème siècle la religion a été fustigée par euh par des euh par des

58

Page 59: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

grands théoriciens » (Mariage), (de grands théoriciens)

« le syndicat ne doit s’arrêter que sur la lutte…démocratique…aider ses militants…à

travailler dans des bonnes conditions » (Travail), (dans de bonnes

conditions)

« qui sont sur le marché de la concurrence qui est très rude bon ils trouvent souvent

sur ce terrain là des vieux loups de mer voyez qui sans pitié » ( Travail :

commerce), (de vieux loups)

3. La distribution de là et de là – bas dans le corpus Oral

Le corpus relève plusieurs usages de là et de là – bas employés à la place d’un nom de

lieu. Nous avons relevé des là démarcatifs du syntagme nominal, des là locatifs qui entrent dans

une opposition là / là – bas et des là proformes, c’est – à – dire qui reprennent dans une relation

d’équivalence toute une structure précédente. Nous avons aussi des là - bas locatifs dont l’emploi

semble se substituer à celui d’un pronom locatif y.

L’exemple suivant illustre assez nettement certains emplois :

« J’enseigne le vendredi soir j’ai cours + tu sais + que j’ai commencé à faire mes

cours là – bas + dans la deuxième école là + là où je suis à cheval avec on m’a

donné six heures » (Travail)

là – bas est locatif dans faire mes cours là – bas, là est un démarcatif du syntagme nominal dans

la deuxième école là alors qu’il est proforme dans là où je suis à cheval avec.

3.1 Là démarcatif du syntagme nominal

Exemples :

« mais le remplacement là dont je parlais tout à l’heure + c’est au cours du mois de

décembre » (Travail)

« et puis est ce que nos diplômes là peuvent nous servir effectivement euh à quelque

chose ici en France » (Etudes)

59

Page 60: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

« les nos papas là vont se dire les gosses là ils sont devenus fous d’avoir abandonné

leurs études » (Etudes)

3.2 Là dans la structure de type là + CV

« il y a un autre problème les vacances de Noël de Pâque etc. + là on crée un

groupe provisoire volontaire » (Etudes)

« avant nous n’avions pas de classe aussi surchargée + maintenant nous avons des

classes qui atteignent la quarantaine dès fois même jusqu’à soixante dix élèves + là

ils sont obligés + d’être assez bavards + d’être turbulents + » (Etudes) (là = dans

ces conditions)

3.3 Là – bas locatif

La place de là – bas dans le corpus à la place du pronom y permet d’envisager une analyse

intersystémique. Le calque qu’on peut repérer dans l’exemple suivant :

« mais c’est qu’il a la maison ici + il a la famille il peut aller manger là – bas »

(Mariage)

Montre que l’opposition fi / foofu en wolof est transposée en français et expliquerait la rareté du

locatif y dans les corpus. Il en est de même pour l’exemple suivant :

« décidément ce poste là risque de prendre du temps » (Travail)

« non non je ne mettrai pas de temps là – bas je reviens le mois prochain + il y a pas

de problème » (Immigration)

Je ne mettrai pas de temps là – bas est un calque du wolof et une forme qui relève du mésolectal

par opposition à la forme en y qui appartient à un niveau de langue soigné : je n’y resterai pas

longtemps.

4. L’usage de prépositions autour du nom

60

Page 61: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

Le système des prépositions en français du Sénégal semble plus réduit que dans le système

du français de France à cause d’un emploi élargi des prépositions pour, avec, dans, de,à et surtout

de la locution prépositive passe - partout au niveau de. Cette dernière tend à se substituer aux

prépositions chez, auprès de dans la structure (préposition + nom)

Exemples :

«je pense qu’au niveau du des étudiants + et au niveau des professeurs il n’y a pas

de problème mais qu’il faut revoir qu’au niveau du secrétariat » (Etudes)

« y a tout + y a tout un travail à faire au niveau des étudiants + » (Etudes)

« si nous partons de la crise qui sévit au niveau du pays et également des moyens

alloués énormes alloués au directeur technique + là aussi c’est un autre débat »

(Travail)

« bon il apprend quelques rudiments qui forcément vont lui servir au niveau du CI »

(Etudes)

« contrairement à l’Europe en Europe où par exemple le mariage se situe

uniquement au niveau au niveau seulement des des mariés et au pays c’est la grande

famille + la grande famille africaine » (Mariage)

Dans d’autres attestations telles que au niveau du restaurant, au niveau du C.O.U.D., au

niveau du marché, au niveau de l’université, au niveau de la bibliothèque, au niveau des mets, au

niveau des filles, au niveau des facultés, au niveau des quatre vingt dix minutes montrent

l’étendue du spectre d’emploi de au niveau de.

Les préposition pour et dans tendent à se substituer aux prépositions de et à dans les

exemples suivants :

« et alors ce qui habitent loin + parce qu’il paraît qu’il y a eu + un système de

rotation + et une obligation pour venir arroger » (Travail)

« les conditions de travail pour les étudiants elles se détériorent de plus en plus + »

(Etudes)

« et que surtout les les pouvoir publics essaient quand même de rendre la tâche

61

Page 62: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

beaucoup plus facile pour les étudiants qui sont très jeunes » (Etudes)

« je prends tout mon temps pour les cours je consacre tout mon temps pour les

cours » (Etudes)

La préposition dans est utilisée à la place de avec, de et parfois de en :

« est ce que maintenant c’est pas dans cette objectif + c’est pas dans cette objectif là

que l’employeur s’était placé pour recruter les ouvriers » (Travail)

« les africains + actuellement + ils ont besoin des gens qui qui leur permettrons de

sortir + dans la crise+ parce que actuellement + les africains sont + sont en

difficulté » (Immigration)

« disons + déjà même en + regardant + parce que dans ce temps là on ne se mariait

pas comme on se marie actuellement » (Mariage)

Ces quelques exemples montrent que le système prépositionnel devant un nominal en

français du Sénégal repose essentiellement sur l’emploi de trois prépositions pour, dans et au

niveau de. Les autres prépositions sont utilisées préférentiellement dans les constructions

verbales. Ainsi la préposition pour est utilisé à la place de à afin de marquer le bénéfice comme

dans l’exemple suivant :

« moi je pense que quand une femme est mariée elle doit réservée ces choses là pour

son mari » (Mariage)

5. L’emploi de ça et de cela

5.1 L’emploi de ça

Nous trouvons dans le corpus beaucoup de ça et très peu de cela ; ça apparaît dans toutes

les positions : sujet, complément :

« c’est pourquoi on est prête à partir voir + même l’année dernière…on avait

proposé ça + mais malheureusement ça n’a pas pu réussir » (Immigration)

62

Page 63: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

« non ayez le courage de réfléchir et de trouver les arguments…qui viennent étayer

votre position c’est ça le rôle d’un bon journaliste + vous prépare à ça » (Etudes)

« ils disent qu’on a payé ça à deux millions alors que c’est un millions deux cent

cinquante mille » (Mariage)

« mais euh la formation + en elle-même + ça c’est le diplôme obtenu » (Etudes)

« bon le port de l’habit par exemple du soutien gorge ou autre le fait de laisser ses

sein sortir ou autre + ça ne se permet pas dans nos sociétés + et aujourd’hui non ça

ne se permet pas » (Mariage)

5.2 L’emploi de cela

« je veut dire par cela que + ils ne + ils n’apprécient pas les choses à leur juste

valeur + » (Etudes)

« les jeunes qui se marient aujourd’hui + ne sont pas préparés à cela » (Mariage)

« cela veut donc dire que les causes qui été identifiées par les Etats Généraux ne sont

pas les seules causes » (Immigration)

L’emploi de cela dans ces exemples permet parfois d’éviter l’usage du pronom clitique

attendu dans la structure verbale.

63

Page 64: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

CONCLUSION

L’étude des divers aspects de la morphosyntaxe du français du Sénégal a tout d’abord

montré l’efficacité de la méthode transformationnelle que nous avons utilisée pour rendre compte

de phénomènes variationnels et pour proposer des orientations méthodiques pour une grammaire

du français du Sénégal en rapport avec celle du français de France. Nous avons vu que la plupart

des analyses réalisées sur le français de France par l’équipe du LADL s’appliquent aussi au

français du Sénégal. Cependant, l’étude conjointe de la syntaxe et de la morphologie a mis en

lumière deux types de faits qui distinguent ces deux variétés de français : la création de

morphèmes spécifiques au français du Sénégal et l’acquisition de propriétés particulières des

noms et des verbes, ou même des phrases, du français du Sénégal. Le système sénégalais de la

langue est un système large, fait d’alternances de constructions et de possibilités d’omettre de

nombreux éléments, aussi bien dans les constructions verbales que dans les constructions

nominales.

Les limites de ce travail sont manifestes : il ne représente que les préliminaires de ce que

pourrait être une étude morphosyntaxique du français du Sénégal. Des secteurs entiers n’ont pas

été abordés : le sujet, l’expression de l’aspect, l’adverbe, les conjonctions, etc., et, dans les

domaines étudiés, de nombreux phénomènes restent à élucider, tels que l’utilisation anaphorique

du déterminant défini, les constructions complétives, leur réduction à une infinitive, les variantes

dans les constructions prédicatives adverbiales, etc. Ce sont autant de pistes pour des recherches

postérieures. Cependant, l’étude exhaustive du français du Sénégal dépendra aussi de sa stabilité.

Les faits observés ouvrent par ailleurs des pistes d’interprétation ou de réflexion. Nous

remarquons en premier lieu que l’éloignement plus ou moins grand du français, que nous avons

souligné au cours de l’analyse morphosyntaxique présentée ici, ne constitue pas un critère

linguistique permettant d’attribuer le trait populaire aux formes spécifiques du français du

Sénégal. Une catégorisation de variétés du français du Sénégal, utile notamment pour

l’enseignement du français, est à faire, de façon à appliquer aux divers éléments de la

morphologie et de la syntaxe du français du Sénégal les mentions « populaire », « courant »,

64

Page 65: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

« soutenu », « littéraire », etc. Une étude statistique pourrait aider à déterminer les occurrences

des différentes constructions, selon des critères sociolinguistiques à définir par ailleurs.

En second lieu, les phénomènes qui existent dans certaines variétés ne peuvent être

dissociés de ceux des autres variétés. Il est, par exemple, impossible d’étudier l’absence de

déterminant zéro, en français du Sénégal, en se fondant uniquement sur un corpus relevé dans des

œuvres littéraires. Dans ces variétés de langue, le phénomène paraît restreint et circonscrit à des

cas très précis. Il paraît, de plus, tout à fait analysable à partir des possibilités du français de

France, puisque la plupart des cas où le déterminant n’apparaît pas avant le nom sont proches de

cas semblables en français de France. Pourtant on n’aura sûrement pas donné d’explication sur

l’origine de cette construction en français du Sénégal. Il est donc indispensable d’approfondir les

faits en étudiant ce qui se passe dans d’autres variétés du français du Sénégal. En particulier, le

statut du déterminant et le caractère obligatoire qu’il a en français de France, dans la plupart des

constructions, ne s’applique pas au français du Sénégal.

L’étude de la typologie des langues du monde montre qu’il existe, pour l’énoncé d’un

même fait ou d’une même idée, des possibilités de constructions variées, mais, en fin de compte,

limitées. Parmi toutes les possibilités de constructions qui existent, chaque communauté fait son

choix, sans qu’on puisse actuellement déceler avec certitude ce qui le détermine. Divers facteurs

entrent en jeu, qui influencent certainement la tendance communautaire, parmi lesquels des

facteurs intrasystémiques, relevant du système interne de la langue, des facteurs intersystémiques,

relevant du contact de plusieurs langues, et des facteurs extrasystémiques, extérieurs à la langue

(1ère partie, quatrième chapitre). La situation linguistique du Sénégal rend possible ces trois

facteurs.

Cependant, on ne peut pas diviser les faits propres au français du Sénégal et les classer

selon le facteur qui les a occasionnés. Les trois types de facteurs sont souvent mêlés dans

l’élaboration de la variation. Le système de détermination du nom en français du Sénégal peut

fournir un exemple : les variations observées exploitent et étendent des possibilités du français de

France, dans la mesure où les langues sénégalaises fournissent des modèles d’autres structures, et

dans le mesure aussi où les variantes répondent aux objectifs de la communication au sein de la

communauté. En fait, au niveau discursif, les informations données par les déterminants du

65

Page 66: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

français de France sont jugées inutiles puisque leurs valeurs ne sont pas univoques et qu’elles

peuvent presque toujours être comprises sans eux par tout sénégalais. Dans cette situation, le

déterminant zéro à valeur générique qui existe dans les langues africaines au Sénégal est

incorporé au système du français du Sénégal et, de la même façon, l’omission du déterminant,

possible aussi en langues africaines, est adoptée par le français du Sénégal. Ces deux faits

correspondent aux caractéristiques du discours sénégalais où une forte présence commune des

interlocuteurs en situation de communication est requise pour une production de sens du discours

en interactivité. Des informations qui sont données en français de France par des constituants

essentiels de la phrase seront considérées, en français du Sénégal, superflues si elles peuvent être

comprises autrement, c’est – à – dire selon des connaissances extralinguistiques communes, et les

items qui véhiculent ces informations ne sont pas soumis aux mêmes contraintes. Elles ne seront

spécifiées que pour obtenir un effet de redondance. D’autre fois, elles seront considérées comme

des précisions informatives annexes, qu’il n’est pas nécessaire de donner lors d’un premier

discours.

Du fait de la situation du français langue seconde, même si une part importante de locuteurs

sont francophones et que la diffusion du français au Sénégal a parfois une dimension intra –

familiale et intra – communautaire, le français du Sénégal appartient aux domaines périphériques

de la variation, puisque la grande majorité des locuteurs sont, au moins, bilingues. Plusieurs

phénomènes atteignent des zones invariantes dans d’autres variétés du français, du fait du contact

linguistique qui touche les conditions de transmission du français. L’étude du français au Sénégal

ne vient pas directement à l’appui de la théorie zéro, qui s’applique en priorité aux situations

d’unilinguisme, mais confirme, après confrontation des conclusions avec les observations faites

sur le français en zone native unilingue, l’interprétation de certains phénomènes par des

processus d’autorégulation, et montre la similitude de certaines stratégies d’appropriation.

Ainsi cette étude sur la description des variations morphosyntaxiques du français du

Sénégal nous permet d’envisager, pour la thèse de doctorat, l’étude des usages particuliers du

français dans ce pays afin de proposer aux Etats Généraux de l’Education et de la Formation une

nouvelle conception d’enseignement et d’analyse du français du Sénégal. Les enquêtes réalisées

au cours de nos recherches nous ont aidé à découvrir que les sénégalais s’approprient la langue

66

Page 67: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

française dans différents registres. C’est ce qui fait que, dans cette prochaine étude, nous

rechercherons ces phénomènes de langue aussi bien à l’oral qu’à l’écrit car les écrivains

sénégalais parviennent aussi à mettre en scènes différents personnages qui ont chacun une

appropriation propre du français, différente de celle des autres. En effet, comme en français de

France, cette étude nous amènerait à montrer qu’en français du Sénégal, il existe aussi les mêmes

mentions « populaire », « courant », « soutenu », « littéraire » etc. Ce qui nous amène donc à

poser la question des modes d’appropriation du français du Sénégal.

67

Page 68: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

ABREVIATIONS DES SIGLES UTILISES

ACCT : Agence de Coopération Culturelle et Technique, créée en 1970, aujourd’hui AIF.

AEF, AOF : Afrique Equatoriale Française et Afrique Occidentale Française.

AUF : Agence Universitaire de Francophonie (ex. AUPELF – UREF).

AUPELF – UREF : Association des Universités Partiellement ou Entièrement de Langue

française (créée en 1961) et Université des Réseaux d’Expression Française (créée en 1988).

CLAD : Centre de Linguistique Appliquée de Dakar.

CNREF : Commission Nationale de Réforme.

GRFL : Groupe de Recherche en Formation Linguistique.

INEADE : Institut Nationale D’Etude pour le Développement de l’Education.

LADL : Laboratoire d’Automatique Documentaire et Linguistique, Université de Paris 7.

PPF : Pour Parler Français.

UNESCO : Organisation Des Nations Unies pour l’Education, le Science et la Culture.

68

Page 69: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

ANNEXES

69

Page 70: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

GRILLE D’ENTRETIEN

INTRODUCTION

Le français contemporain parlé au Sénégal doit être analysé comme langue seconde,

c'est – à – dire comme une langue introduite par superposition, et qui, par voie de conséquence,

n’occupe que partiellement le spectre du champ communicationnel entre sénégalais. L’essentiel

des interactions entre nationaux se fait dans des situations non formelles, en langues nationales et

principalement en wolof dans les milieux urbains. Cette caractéristique sociolinguistique invite à

aborder l’étude du français au Sénégal sous le double éclairage de l’analyse interlinguistique et

intralinguistique. L’analyse intralinguistique permettra d’approcher la variation due au système

interne de la langue française (les multiples croisements sémantiques et syntaxiques possibles) et

l’analyse intersystémique nous révélera l’influence des langues nationales sur le français produit

par les nationaux (processus de restructuration du français par les langues nationales comme

domaine propice de l’innovation lexicale).

C’est ce dernier aspect de l’analyse qui retiendra le plus notre attention dans cette étude et

qui nous permettra de mettre en exergue l’existence d’un usage local du français au Sénégal à

partir de l’oral. L’oral sera le support à partir duquel nous observerons les variations

morphosyntaxiques de ce français du Sénégal.

Ce travail constitue simplement une tentative pour tâcher de voir un peu plus clair le

problème des variations dans les productions orales des sénégalais. Cette démarche est utilisée

pour mieux faire ressortir les écarts morphosyntaxiques produits dans la langue cible dus à une

parfaite maîtrise de la langue maternelle.

70

Page 71: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

Déroulement des enquêtes orales

Entretiens et sollicitation de variationsLes entretiens se présentent sous forme directive, voire sous forme de dialogue

(question / réponse) pour les locuteurs réticents ou de scolarisation moyenne, soit sous forme

semi – directive pour les véritables lettrés. Interroger les peu lettrés s’est avéré utile parce que

leurs textes en français est truffé de termes de marques wolof, signe incontestable de la présence

de cette langue dans l’environnement linguistique des Sénégalais. Pour susciter l’utilisation de

variations, on a souvent adopté un niveau de langue moyen afin de situer les interactions au

niveau mésolectal. On s’est souvent présenté comme un curieux qui voudrait connaître la

dénomination des choses.

Les locuteurs à ciblerLes catégories socioprofessionnelles suivantes ont été interrogées dans cette étude :

- les élèves et étudiants (locuteurs potentiels de la variété mésolectale, compte tenu de

leur nombre d’années de scolarisation) ;

- les commerçants qui vendent des produits importés au Sénégal et qui ont laissé leur

famille au pays ;

- Les travailleurs (fonctionnaires et artisans d’origine sénégalaise travaillant en France)

Les thèmes porteursLes études, le travail, le mariage, l’immigration, le syndicalisme et la politique sont

autant de sujets de discussion susceptibles de faire émerger l’usage des variations

morphosyntaxiques du français au Sénégal.

Exploitation des cassettesOn perdrait beaucoup de temps de faire la transcription fidèle de toutes les productions

ainsi recueillies avant de commencer le relevé des variations morphosyntaxiques. Ainsi malgré ce

manque de temps, on a adopté la démarche suivante : écouter et réécouter tout le texte et relever

71

Page 72: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

seulement la partie qui contient une variation et son contexte significatif.

Corpus Etudes

« depuis des années et des années les élèves partent en mouvement + les

professeurs partent en mouvement + » (Etudes)

La suite « partir en mouvement » dans le sens de « partir en grève » (on

parle plutôt de «mouvement syndical »), fait de mouvement une valence lexicale

de partir.

« nous savons nous tous qui sommes ici présents + qu’ici à l’université on y

rencontre tant de problèmes + qu’on sait plus par où se donner la tête + »

(Etudes) (transition à pronominal)

Ces variations peuvent aussi être considérées comme le résultat d’un apprentissage scolaire

non réussi. Il est difficile, dans le discours, de faire très nettement la différence entre ce qui

relèverait d’une influence intrasystémique et de ce qui serait la conséquence d’un apprentissage

scolaire non satisfaisant. Les influences sont parfois superposables.

« si on ne peut pas satisfaire la nourriture quotidienne on ne pourra pas

satisfaire les problèmes universitaires » (Etudes)

« aller en grève + chaque année + et ne jamais être satisfait + c’est pas du tout

intéressant + il faut qu’on choisisse » (Etudes)

« les leçons sont beaucoup présentées ici qu’au Sénégal » (Etudes) (mieux

présentées)

« dans un deuxième temps + je vais essayer de + parler un tout petit peu des

des conditions des étudiants des problèmes que nous rencontrons le plus

souvent » (Etudes) (l’emploi de un tout petit peu calqué du wolof tuuti rek)

« bon on a constaté que ce qu’ on nous a donné + c’est plutôt théorique que

72

Page 73: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

pratique » (Etudes)

« Les aides vous le savez + en fait au début + c’était deux cent mille et quelque

etc neuf mois » (Etudes)

« parce que ça c’est un suicide comment vous pouvez dire à un père de famille

qui compte sur ses enfants » (Etudes) (comment + maintien de l’ordre)

« quel sentiment il aurait + han + y a lieu de se poser la question » (Etudes)

« quelle fac vous faites » (Etudes)

« bon donc il y a encore un problème de formation qui se pose et qui encore à

l’origine de cette crise que nous traversons + que l’Université se trouve »

(Etudes)

« nous devons lutter lutter avec les armes que nous disposons c'est-à-dire la

grève » (Etudes)

« une fois qu’on a compris peut être qu’il s’agit d’analyser ah + une opinion

du type un peu + ce qu’ on a ce qu’on parlé + » (Etudes)

« l’autre jour euh + y a pas longtemps d’ailleurs + je euh discutais avec euh

un des responsables + que je préfère taire le nom » (Etudes)

« mais à l’heure à l’heure actuelle pense tu qu’il est possible de chasser le

président qui est au pouvoir depuis dix ans » (Etudes)

« alors ça euh a amené beaucoup de problèmes + et beaucoup de déboires au

sein de cette Université là quoique + les gens ont lutté + de toue leur force + »

(Etudes) (quoique + indicatif)

Corpus Mariage

« c’est ça que moi je condamne mais je ne dis pas que qu’on doive assigner à

la femme mariée + de faire ceci ou cela » (Mariage)

« vous faites un lavage de cerveau la fille habite chez elle + elle et son papa

qui est qui est censé de lui donner tout ce qu’elle veut + » ( Mariage)

73

Page 74: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

« on + écoute écoute + tu n’a pas le droit de commenter sur le comportement

de la femme d’autrui » (Mariage)

« on ne peux pas empêcher aux femmes de de mettre des dialdialis des

thiourayes non » (Mariage)

« malheureusement les femmes ne sont pas préparées à vivre de cette manière

là et nous nous les garçons même ne sommes pas préparés à vivre de cette

manière là alors c’est que nous aspirons + » (Mariage) ( peut être

remplacé par vouloir)

« mais puisque les hommes savent que en emmenant plusieurs femmes + et en

en en se procréant plusieurs enfants + mais ça crée des problèmes » (Mariage)

« quand on est à la maison on doit s’occuper de son travail on doit faire la

vaisselle et autres + » (Mariage)

« la société musulmane + les gens + les hommes il ont tendance à avoir

plusieurs femmes. (Mariage)

« ceux qui ont les moyens + il marie qu’une seule femme » (Mariage)

« disons que les temps ne sont pas plus + que les temps anciens » (Mariage)

« en tout cas je suis un tout petit peu d’accord avec vous mais entièrement quoi

» (Mariage)

« mais est ce que ces vêtements européens + hein + qui est à la mode

actuellement chez nous + correspond + à nos réalités » (Mariage)

« par exemple une femme qui est honnête + hônnete dans le sens qui vous dit

toujours la vérité avec laquelle + vous sortez tous les jours + mais il est

difficile de voir ça +» (Mariage)

« oui une évaluation mais en au sens depuis la dot qu’est ce qui suit qu’est ce

qui suit jusqu’à ce que finalement tu peux consommer ton mariage » (Mariage)

(jusqu’à ce que + indicatif)

74

Page 75: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

Corpus Immigration

« mais ces conditions sociales là ce mal là il faudra essayer de le remédier de

de comment on dit ça de le réparer est ce que tu vois » (Immigration)

(croisement avec pallier)

« on ne peut pas obliger pas les gens de s’habiller de manière vraiment qui va

devenir dictatoriale par exemple » (Immigration) (emploi de « de » à la place

de « à »)

Corpus Travail

« pour qu’il n’ait pratiquement pas de bruit il faut qu’on change toutes les

pièces là » (Travail)

« donc le travail est tellement dur + il faut il faut la force humaine + tu vois +

l’énergie humaine » (travail)

« les bruits + on ne peut pas les éliminer totalement » (Travail)

« on met les Européens dans ces même conditions il ne vont pas réussir sinon il

ne vont pas faire plus que nous ça je vous le garantis » (Travail) (mieux que

nous)

« comment est ce qu’ on définit la marchandise » (travail)

« non non non il fallait qu tu sois là + sinon quand je dépanne + comment est

ce que tu comprendre la panne qui est à l’intérieur » (Travail)

« l’année passée + c’était une année test + seulement parce que je ne savait

pas que les choses allaient réussir comme ça » (Travail)

« ce qu’ on ne peut pas faire dans le cadre de nos travaux respectifs –il ne faut

pas que le syndicat nous sert à cela » (Travail)

Article de journaux

75

Page 76: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

« après la conférence rectificatif de 1967 + tous les organes dirigeant du parti

+ à à l’époque + qui était le seul parti marxiste au Sénégal + la parti africain

de l’indépendance + le P.A.I. Sénégal + alors tous les postes + dirigeants +

tous les dirigeants + au niveau supérieur comme au niveau + inférieur + ces

gens là ont été suspendus de leur fonction + on a crée une direction nationale

provisoire » (Article du journal Le soleil).

« la cessation de toute publication + avant la restructuration du parti + pour

savoir + les anciens dirigeants + pourquoi ils étaient pas au congrès » (article

d’un journal) (pourquoi + sans inversion)

76

Page 77: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

LISTE DES PERSONNES À INTERROGER

Première personne

Nom : Mbaye Dieng

Age : 33 ans

Sexe : masculin

Profession : étudiant

Langues parlées autre que le français : wolof, toucouleur

Domaines de pratique du français : études, conversation avec des amis

Deuxième personne

Nom : Fatou Coundoul

Age : 23 ans

Sexe : féminin

Profession : étudiante

Langues parlées autre que le français : wolof

Domaines de pratique du français : études,

77

Page 78: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

Troisième personne

Nom : Soda Gueye

Age : 52 ans

Sexe : féminin

Profession : commerçante

Langues parlées autre que le français : wolof

Domaines de pratique du français : commerce

Quatrième personne

Nom : Lamine Touré

Age : 34 ans

Sexe : masculin

Profession : travailleur intérimaire dans le bâtiment

Langues parlées autre que le français : travail

Domaines de pratique du français : bambara

Cinquième personne

Nom : Viviane Diémé

Age : 31 ans

Sexe : féminin

Profession : serveuse

Langues parlées autre que le français : diola, wolof

Domaines de pratique du français : restaurant

78

Page 79: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

Sixième personne

Nom : Ibra Mbaye

Age : 28 ans

Sexe : masculin

Profession : élève

Langues parlées autre que le français : wolof

Domaines de pratique du français : études

Septième personne

Nom : Maguette Berra

Age : 25 ans

Sexe : féminin

Profession : étudiante

Langues parlées autre que le français : diola, wolof

Domaines de pratique du français : études

Huitième personne

Nom : Samba Bâ

Age : 52 ans

Sexe : masculin

Profession : cuisinier

Langues parlées autre que le français : peul

Domaines de pratique du français : travail

79

Page 80: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

Neuvième personne

Nom : Maryse Badji

Age : 26 ans

Sexe : féminin

Profession : femme de ménage

Langues parlées autre que le français : diola, wolof

Domaines de pratique du français : travail

Dixième personne

Nom : Sangue Thioune

Age : 37 ans

Sexe : masculin

Profession : commerçant

Langues parlées autre que le français : wolof

Domaines de pratique du français : commerce

Onzième personne

Nom : Ousmane Thiaw

Age : 48 ans

Sexe : masculin

Profession : électricien

Langues parlées autre que le français : wolof

Domaines de pratique du français : travail

80

Page 81: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

BIBLIOGRAPHIE

Michelle AUZANNEAU, « Identités africaines : le rap comme lieu d’expression », in Cahiers

d’études africaines, 163 - 164, XLI - 3 - 4, 2001. pp. 711 - 734.

Michelle AUZANNEAU, Margaret BENTO et Vincent FAYOLLE, « De la diversité lexicale

dans le rap Gabon et au Sénégal », in Argots et Argotologie, volume 38, 2002, pp.69 - 98.

Amadou Hampâté BA, Oui mon commandant, Acte sud, 1994.

BUVET P. – A. : Les déterminants nominaux quantifieurs, Thèse de 3e cycle 50 – 55, Université

Paris 13,1993

BUVET P. – A. : « Les déterminants nominaux », in Lingvisticae Investigationes XVIII : 1, p.

121 – 150, Amsterdam / Philadelphia : John Benjamins, 1994.

Maurice CALVET, Le français parlé, Enquête au lycée de Thiès (N°4B, 1965 46 pages).

CALVET L. J. : « L’argot comme variante diastratique, diatopique et diachronique (autour de

Pierre Guiraud) », in Parlure argotiques, Langue française n° 90 : 40 – 50, Paris : Larousse 1991.

Cécile CANUT, Dynamique linguistique au Mali, Coll. Langues et Développement, Paris :

Didier Erudition, 1996, a.

Cécile CANUT : « Analyse de l’imaginaire linguistique. Propositions théoriques et

méthodologiques pour une analyse des discours épilinguistiques », Travaux de linguistique n° 7

(annexe), Université d’Angers, 1996, b.

CHAUDENSON R. proposition pour une grille d’analyse des situations linguistiques de l’espace

francophone, A.C.C.T. et institut des Etudes Créoles et Francophone de l’Université de Provence,

1988.

81

Page 82: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

Robert CHAUDENSON, Vers une résolution francophone, p.101, Paris l’Harmattan, 1989

Robert CHAUDENSON, « Francophonie, français zéro et français régional », in D. de Robillard

et M. Beniamino (eds.), 1993, b

Robert CHAUDENSON, « créolisation, autorégulation et appropriation linguistiques. ‘On

connaît la chanson’ », in Etudes créoles, Vol. XXII, n°

1 : 56 – 80.

Robert CHAUDENSON, Mondialisation : la langue française a- t- elle encore un avenir? pp. 24 -

28 et 111 - 112, Coll. Langue et Développement, Paris : Didier Erudition, 2000

Véronique CASTELLOTI, La langue maternelle en classe de langue étrangère, CLE

International/ HER, 2001.

J. - B. CORBET : Vision d’Afrique, pp. 92 - 93, Chambéry : Edition Route d’Assise, 1956.

DAFF Moussa, « Enquête lexicale et français oral au Sénégal : Etat de la méthodologie d’enquête

mise au point par l’équipe sénégalaise » in FRANCARD Michel, LATIN Daniel, Le

Régionalisme lexical, Louvain - La - Neuve, AUPELF - UREF, DR Boeck, 1995, pp. 119 - 128.

DAFF Moussa, « Guelwaar d’Ousmane Sémbène : Un modèle d’écriture francophone

identitaire », Colloque Arts, écritures francophones et quête identitaire, décembre 1999,

Abidjan : Université de Cocody (actes à paraître)

Delafosse M. : Vocabulaires comparatifs de plus de 60 langues ou dialectes parlés à la Côte

d’Ivoire et dans les régions limitrophes avec des mots linguistiques et ethnologiques, une

bibliographie et une carte, Paris : Ernest Leroux, 1904.

Delafosse M. : Le français / tel que le parlent / nos tirailleurs sénégalais, 35 pages, Imprimerie

82

Page 83: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

Militaire Universelle, 1916.

Massa Makan DIABATE, Trilogie de Kouta, publication C.L.A.D., Dakar, 1995.

Martine DREYFUS et Caroline JUILLARD, « Le jeu de l’alternance dans la vie quotidienne des

jeunes scolarisés à Dakar et à Ziguinchor (Sénégal) : Variation dans l’usage du français et du

wolof » ; Langues déliées, in Cahiers d’études africaines, 2001, n° 41 (3 - 4), pp. 667 - 696.

DUBOIS (J.), Grammaire structurale du français : nom et pronom, Paris, Larousse, 1973.

DUBOIS (J.), Grammaire structurale du français : le verbe, Pris Larousse, 1967.

Pierre DUMONT, Les emprunts du wolof au français (N°50,1973, 442 pages).

Pierre DUMONT, Le français et les langues africaines au Sénégal, Paris, Karthala, 1983.

Pierre DUMONT, Le français langue africaine, l’Harmattan, Paris, 1990.

Makhily GASSAMA, La langue d’Ahmadou Kourouma ou le français sous le soleil d’Afrique, p.

116, Paris : ACCT et Karthala, 1995.

D.GODARD : « le programme labovien et variation syntaxique », in Langages n° 108 :

Hétérogénéité et variation : Labov, un bilan : 51 - 65, Paris, Larousse, 1992

S.GRELIER, Recherche des principales interférences dans les systèmes verbaux de l’anglais, du

wolof et du français (N°31, 1969, 179 pages).

M. Gross : Méthodes en syntaxe : le régime des constructions complétives, 413 p., Paris :

Hermann, 1975.

Gross M. : Grammaire transformationnelle du français. Syntaxe du nom, p. 17 – 20 et 49 – 112

83

Page 84: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

Paris : Larousse, 1977.

Gross M. : « Sur les déterminants dans les expressions figées », in Language n° 79 : 89 – 117,

Paris, Larousse, 1985.

JAKOBSON (R.), Essais de linguistique générale, Paris Edition de Minuit, 1963

Cheikh Hamidou KANE, L’Aventure anbigüe, Julliard, 1961

William LABOV, Language in the inner City, traduction françaises de 1978: Le parler ordinaire,

2e édition1993, 519 p. Paris: Editions de Minuit, 1972, a.

William LABOV, Sociolinguistic Paterns, traduction française de 1978 : Socilinguistique, 344 p.

Paris : Editions de Minuit, 1972,b.

William Francis MACKEY, Bilinguisme et contact des langues, Paris, Ed. Klincksieck, 1976.

Gabriel MANESSI, Le français en Afrique noire. Mythe, stratégies, pratiques, Paris, l’Harmattan,

1994.

Gabriel MANESSI : Créoles, Pidgins, variétés véhiculaires. Procès et genèse, 186 p., Coll.

Science du Langage. C.N.R.S. éd., 1995.

MBODJI (C.), « La coexistence dynamique des langues africaines et du français », (Réalités

africaines et langue française, 1975, n° 1, page 19-23)

Geneviève N’DIAYE, Initiation à la linguistique générale. Aspects et problématiques du

bilinguisme (n° 26 bis, 1967, 29 pages).

Geneviève N’DIAYE, « Le français du Sénégal et le classement des particularités lexicales », in

FRANCARD Michel, LATIN Daniel, Le Régionalisme lexical, Louvain - La - Neuve, AUPELF -

84

Page 85: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

UREF, 1995, pp.79 - 88

SEMBENE Ousmane, Ô pays mon beau peuple !, Presse Pocket, 1957

Daniel VERONIQUE : « Linguistique et variation : à propos du français des travailleurs

migrants maghrébins » in Cahiers de linguistique d’orientalisme et de slavistique n° 13 : 147 –

163, Université de Provence, octobre 1979.

Daniel VERONIQUE, « Créole, créole français et théorie de la créolisation », in Les créoles

français, L’information grammaticale n° 85 : 31 – 38, Paris : Société pour l’Information

grammaticale, 2000.

Daniel VERONIQUE : Syntaxe des langues créoles, Langages n° 138, 127 p., Paris : Larousse,

2000.

85

Page 86: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION ....................................................................................................................................... PREMIERE PARTIE : PRELIMINAIRES A UNE DESCRIPTION DE LA VARIATION ...................

CHAPITRE PREMIER : La notion générale de variation linguistique ........................................................ 1. Variation par rapport à la norme ............................................................................................................................... 2. Variation par contact de langues .............................................................................................. 3. Variation selon le domaine d’observation ................................................................................

CHAPITRE DEUXIEME : Les cadres méthodologiques de l’étude de la variation ..................................... 1. Apport du variationisme ........................................................................................................... 2. Apport du classement des situations linguistiques ..................................................................

CHAPITRE TROISIEME : La variation en syntaxe ......................................................................................

CHAPITRE QUATRIEME : La théorie du « français zéro » .........................................................................

DEUXIEME PARTIE : ............................................................................................................................... CHAPITRE PREMIER : Le français de la colonie du Sénégal ......................................................................

1. Les contextes d’interactions langagières .................................................................................. 1.1 Les lieux de travail ............................................................................................................. 1. 2 L’armée ................................................................................................................................ 1.3 L’école ................................................................................................................................

2. Les éléments de description du français utilisé à l’époque coloniale .................................... CHAPITRE DEUXIEME : Historique de l’apprentissage du français au Sénégal ......................................

1. Première période : 1830 - 1965 ................................................................................................... 2. Deuxième période : 1965 - 1980 ................................................................................................. 3. Troisième période 1981-1991 ...................................................................................................... 4. Quatrième période à partir de 1991... .........................................................................................

CHAPITRE TROISIEME : La situation du français au lendemain des indépendances .............................. 1. Les enrichissements régionaux ................................................................................................. 2. La coloration africaine .............................................................................................................. CONCLUSION ............................................................................................................ PARTIELLE

TROISIEME PARTIE : .............................................................................................................................. CHAPITRE PREMIER : présentation de la recherche morphosyntaxique ..................................................

CHAPITRE DEUXIEME : La morhosyntaxe du syntagme verbal et nominal ............................................ 1. Autour du verbe .........................................................................................................................

1.1 Valence particulière ........................................................................................................... 1.2 Transitif direct à transitif indirect ....................................................................................

1.2.1 Préposition zéro .......................................................................................................... 1.2.3 Confusion de préposition ...........................................................................................

1.3 De transition à pronominal ............................................................................................... 1.4 Distribution des rections autour du verbe constructeur ................................................ 1.5 L’emploi des quantificateurs autour du verbe ................................................................

86

Page 87: L'étude des variations morphosyntaxiques du français … · Les linguistes distinguent alors les emprunts, utilisations d’un mot d’une autre langue ; les calques, traductions

1.5.1 « plus » à la place de « mieux » ................................................................................. 1.5.2 « un tout petit peu » dans la rection verbale ........................................................... 1.5.3 L’emploi de « et quelque » .........................................................................................

1.6 L’interrogation et la relative ............................................................................................. 1.6.1 L’interrogation .................................................................................................................

1.6.1.1 Absence d’inversion .................................................................................................. 1.6.1.2 Interrogation indirecte ...........................................................................................

1.6.2 La relative ................................................................................................................... 1.7 Temps et modes ..................................................................................................................

2. Autour du nom ............................................................................................................................................................... 2.1 Omissions et variations du déterminant en français du Sénégal ................................... 2.2 La détermination du nom et la discussion sur le déterminant zéro et sur l’omission du déterminant en français de France ......................................................................................... 2.3 Le déterminant zéro en français du Sénégal ...................................................................

2.3.1 Le déterminant zéro à valeur générique en français populaire sénégalais ........... 2.3.2 Figement du déterminant zéro de certains noms prédicatifs en français du Sénégal… ....................................................................................................................................

2.4 Remarques sur l’emploi des déterminants possessif, partitif, défini et indéfini en français du Sénégal ........................................................................................................................

3. La distribution de là et là – bas dans le corpus Oral .................................................................................................... 3.1 Là démarcatif du syntagme nominal ....................................................................................... 3.2 Là dans la structure de type là + CV ....................................................................................... 3.3 Là – bas locatif .........................................................................................................................

4. L’usage de prépositions autour du nom ....................................................................................................................... 5. L’emploi de ça et de cela .............................................................................................................

5.1 L’emploi de ça .......................................................................................................................... 5.2 L’emploi de cela ..................................................................................................................

CONCLUSION ............................................................................................................................................ ABREVIATIONS DES SIGLES UTILISES ............................................................................................. ANNEXES ................................................................................................................................................... BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................................................... TABLE DES MATIERES………………………………………………………………………….….93

87