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L'Exploit de Cléobis et Biton et la Véracité d'Hérodote Author(s): B. A. van Groningen Source: Mnemosyne, Third Series, Vol. 12, Fasc. 1 (1944), pp. 34-43 Published by: BRILL Stable URL: http://www.jstor.org/stable/4427054 . Accessed: 09/10/2013 15:57 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . BRILL is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Mnemosyne. http://www.jstor.org This content downloaded from 150.108.161.71 on Wed, 9 Oct 2013 15:57:20 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

L'Exploit de Cléobis et Biton et la Véracité d'Hérodote

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L'Exploit de Cléobis et Biton et la Véracité d'HérodoteAuthor(s): B. A. van GroningenSource: Mnemosyne, Third Series, Vol. 12, Fasc. 1 (1944), pp. 34-43Published by: BRILLStable URL: http://www.jstor.org/stable/4427054 .

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L'EXPLOIT DE CL?OBIS ET BITON

ET LA V?RACIT? D'H?RODOTE

B. A. VAN GRONINGEN

Au chapitre 31 du premier livre des Histoires, H?rodote rapporte comment Solon raconte ? Cr?sus le haut fait des deux fr?res

Cl?obis et Biton1)? ?Us ?taient de race argienne, jouissaient de

ressources suffisantes et, de plus, d'une force corporelle dont

voici les preuves: tous deux pareillement avaient remport? des

prix dans les concours, et on raconte d'eux cette histoire. Un

jour de f?te d'H?ra chez les Argiens, il fallait absolument que leur m?re f?t port?e au sanctuaire par un attelage ; et leurs b?ufs

n'?taient pas arriv?s des champs en temps voulu; emp?ch?s d'attendre faute de temps, les jeunes gens se mirent eux-m?mes

sous le joug et tra?n?rent le char, le char o? leur m?re avait pris

place; ils la transport?rent pendant quarante-cinq stades et arri-

v?rent au sanctuaire. Cet exploit accompli ? la vue de l'assembl?e, ils termin?rent leur vie de la meilleure fa?on; et, dans la circon-

stance, la divinit? fit bien voir que, pour l'homme, il vaut mieux

?tre mort que vivant. Les Argiens, entourant les jeunes gens, les

f?licitaient de leur force; les Argiennes f?licitaient leur m?re

d'avoir de semblables enfants ; elle, charm?e de leur action et de

l'?loge qu'on en faisait, debout en face de la statue divine, pria la d?esse d'accorder ? Cl?obis et ? Biton, ses fils, qui l'avaient

grandement honor?e, ce que l'homme peut obtenir de meilleur.

A la suite de cette pri?re, apr?s le sacrifice et le banquet, les

jeunes gens s'endormirent dans le sanctuaire m?me; et ils ne se

relev?rent plus, mais trouv?rent l? leur fin. Les Argiens firent

aire d'eux des statues qu'ils consacr?rent ? Delphes comme celles

1) J'emprunte la traduction de M. Ph.-E. Legrand, Paris 1932 (coll. des Univ. de France).

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L'EXPLOIT DE CL?OBIS ET BITON ET LA V?RACIT? D'H?RODOTE 35

d'hommes excellents". Ailleurs !) nous lisons que la m?re s'appelait

Cydipp? et ?tait pr?tresse d'H?ra.

Or, les fouilles de Delphes ont remis au jour, en 1893 et puis encore en 1907?12, deux statues archa?ques de jeunes gens, datant du d?but du Vie si?cle et sans aucun doute jumelles. M. Homolle les a aussit?t identifi?es ? celles dont H?rodote fait

mention et, dans une communication substantielle de 19102), M. von Premerstein a mis cette identification hors de doute par la pr?cision avec laquelle il a lu et interpr?t? l'inscription. En

effet, sur le socle et entre les pieds des statues il parvint ?

distinguer deux phrases: sur la base A [??????S KAI BI]TON ;

TAN MATAPA, sur la base ? ??G?G??: TOI ??G??3) et ensuite

[???]?????S ?????? ???G???S. Voici le dessin qui marque la place des lettres entre les pieds:

Fig. 1

Plus tard M. Homolle a cru lire encore davantage4); selon lui

on aper?oit au-dessus de l'inscription A et sym?triquement par

rapport ? ???a??? t?l bvy?i le mot S?????S; il y a peut-?tre encore d'autres vestiges de lettres, mais ils sont trop vagues pour affirmer leur r?alit?. Toujours est-il qu'il arrive ? la restitution

1) Plut. cons. Apoll. 14 p. 108E; mu?. erud. 7; Luc. Charon 10; Cic. Tuse. I 47, 113.

2) Kleobis und Biton, Jahresh. d. ?st. Inst. XIII 1910 p. 41?49.

3) La lecture t?! d* ???? de Pomtow (Ditt. Sylt? 5) est mauvaise.

4) Une preuve nouvelle d. I. v?racit?.. .d'H?rodote, C-R. Acad. Inscr. 1924 p. 149?54.

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36 L'EXPLOIT de CL?OBIS ET BITON ET LA V?RACIT? d'h?rodote

suivante: ??????? ?a? ??]t?? x?v ?at??a stad??? [tet??9??ta ?]

[jt?vtje ??a??? ?d? d???? [?p?d??te??]. [???]???de? ?p??ee ????e???. L'exactitude de ces nouvelles donn?es reste douteuse, tant qu'elles n'ont pas ?t? confirm?es; seule une enqu?te sur les originaux

pourrait ?

peut-?tre ? donner un r?sultat. Mais cette incertitude

n'influe gu?re sur les consid?rations qui suivent.

Les statues et les inscriptions ont donn? lieu ? de longues discussions. Il ne semble pas inutile d'en reprendre l'examen ?

divers points de vue.

Il y a d'abord la question du dialecte. Le sculpteur est originaire

d'Argos; les statues se trouvent ? Delphes. Logiquement on n'a

donc le choix qu'entre les dialectes de ces. deux villes. Les

inscriptions sont courtes et les mots sont peu nombreux. Toujours est-il que ?at??a appartient au groupe des dialectes du nord-

ouest (Bechtel, Griech. Dial. II ? 9 p. 102) et est donc une forme

phoc?enne; d???? pour ????? est un ph?nom?ne inconnu tant ?

Delphes qu'? Argos; on trouve des cas semblables en B?otie, en

Thessalie, en Elide, m?me en Laconie et en Cr?te (Bechtel ? 14

p. 105); il est donc impossible de se prononcer avec certitude, mais il est plus probable que d???? est phoc?en qu'argolien;

???a??? (si tant est qu'il faut lire cette forme) reste en tout cas

une anomalie inexpliqu?e de part et d'autre; la erase ????e??? et

la forme non contracte ?p??ee sont plut?t argoliennes: en effet

la contraction de e + e en e? est r?guli?re dans les textes de

Delphes (Bechtel ? 6 p. 96 s.); en Argolide elle est normale, mais

non point absolue (? 9 p. 448 s.). Or la phrase dans laquelle ces

deux formes paraissent est pr?cis?ment celle qui nomme le

sculpteur Polym?d?s, Argien de naissance. Des indications pareil- les sont normalement de la main de l'artiste en personne: il est

logique qu'il a parl? et ?crit comme cela se faisait chez lui. Au

point de vue linguistique nous pouvons donc dire que l'inscription A + Bl est delphique, l'inscription B2 argienne1).

Examinons en second lieu la pal?ographie. Il convient de ne

pas oublier que les caract?res sont excessivement douteux ?

1) Ceci est d'ailleurs l'opinion d?j? d?fendue par Premerstein p. 49 et par Bechtel p. 88 et 438.

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L'EXPLOIT DE CL?OBIS ET BITON ET LA V?RACIT? D'H?RODOTE 37

titilli admodum oblitterati, dit Pomtow1). ? Pour autant que le

dessin permet d'en juger, il n'y a aucune lettre dont la forme

appartienne plut?t ? un alphabet sp?cifiquement phoc?en qu'? un alphabet strictement argien et inversement; toutes les formes

se retrouvent aussi bien dans les inscriptions anciennes de Delphes

que dans celles d'Argos2). La pal?ographie n'affecte donc en rien

la conclusion ? laquelle l'?tude des formes dialectales nous a

men?s. Il y a m?me un d?tail qui la confirme: l'inscription du

sculpteur est continue; l'autre s?pare des groupes de mots au

moyen du quadruple point3). La diff?rence n'est logique que si

les deux inscriptions n'ont pas ?t? grav?es en m?me temps ni

de la m?me main.

Observons encore la place qu'elles occupent. Si B2 est en

argolien et A + B 1 en phoc?en, B 2 est la plus ancienne des

inscriptions; elle peut encore avoir ?t? grav?e ? Argos, tandis

que l'autre a certainement ?t? pos?e ? Delphes. Ceci est confirm?

par la position respective qu'elles occupent. Si l'inscription del-

phique ?tait la plus ancienne, son auteur aurait continu? sur la

base B au m?me endroit et dans la m?me direction que sur la

base A, c'est-?-dire ? la place o? se trouve en r?alit? l'autre

texte. Dans l'?tat actuel des choses la deuxi?me partie de l'in-

scription a ?t? grav?e ? l'endroit o? il y avait encore de la place4). Il est donc pratiquement certain qu'il y a deux inscriptions

diff?rentes sur les socles: Tune, en argolien, est l'?uvre du

sculpteur; l'autre est plus r?cente: elle a ?t? pos?e ? Delphes et est ?crite dans le dialecte phoc?en.

Passons maintenant ? l'?tude de la teneur des inscriptions.

Celle du sculpteur n'offre aucune difficult?. L'autre, au contraire,

a donn? lieu ? des controverses tr?s int?ressantes. Nous songeons

1) Dans l'introduction ? Ditt. Syll3 no. 5.

2) Voir Roehl, Imagines inscr. Gr. ant. p. 36 s. et 87 s.

3) Apr?s ??t??, apr?s ???a??? et, selon M. Homolle, encore apr?s d????. 4) Si les lectures de M. Homolle sont exactes, le raisonnement reste le

m?me. Il convient encore de noter que les deux statues ont probablement ?t? plac?es Tune ? c?t? et non Tune vis-?-vis de l'autre, et de telle fa?on que A se trouvait ? gauche et B ? droite, au point de vue du spectateur; elles occupaient peut-?tre un pi?destal unique. (Cf. infra p. 42 n. 1). Dans ce cas il est encore plus ?vident que l'inscription A + B 1 ne pouvait ?tre

grav?e que l? o? nous la lisons.

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38 L'EXPLOIT DE CL?OBIS ET BITON ET LA V?RACIT? D'H?RODOTE

sp?cialement ? la th?orie de M. C. Robert1), dont voici l'essentiel.

H?rodote rapporte une l?gende qui ne doit sa naissance qu'? une fausse interpr?tation de l'inscription. Celle-ci, en effet, est

des plus ?tranges: elle ne nomme pas les Argiens qui ont d?di?

les statues, si nous en croyons l'historien; l'emploi du dialecte

phoc?en nous ?tonne; ni le nom, ni le sacerdoce de la m?re de

Cl?obis et Biton ne sont indiqu?s; les deux fr?res ne sont pas

d?sign?s comme citoyens d'Argos, donn?e importante dans le cas

qui nous occupe; enfin et surtout, il est singulier que les statues

ont ?t? plac?es en ex-voto ? Delphes et non dans l'H?ra?on d'Argos.

Ensuite, que peut donc signifier ce transport d'une femme, f?t-elle

pr?tresse? Ce sont des divinit?s qu'on peut ??e?? sur un char, afin d'introduire leur culte en un endroit o? il ?tait inconnu

auparavant2). Afin d'?viter ces difficult?s, M. Robert propose

l'explication suivante: la m?re dont il est question, est une M?re

divine, soit L?to, soit Demeter spe???????3), soit une autre que nous ne connaissons pas et il propose de consid?rer le soi-disant

?Temple des Muses" (situ? au sud de l'opisthodome du grand

temple) comme le sanctuaire de cette d?esse4). Cl?obis et Biton

seraient les citoyens de Delphes, non d'Argos, qui auraient amen?

la M?re dans son sanctuaire nouveau; il n'y a donc rien de vrai

dans ce que l'historien grec rapporte ? ce sujet; il ne fait que raconter une l?gende; il n'a rien compris de ce qui s'est pass? en r?alit? et a r?p?t? machinalement et sans reflexion aucune la

version argolienne de la l?gende: ? Argos on se rappelait encore

l'existence d'un fameux athl?te Biton, qui avait port? un jeune taureau jusqu'au temple de Zeus ? N?m?e, sur une distance de

quatre kilom?tres5); leur fantasie chauviniste s'est amus?e ? com-

biner le r?cit conserv?, en faisant usage d'?l?ments divers.

Cette th?orie est ing?nieuse, ainsi que les arguments qui doivent

1) C. Robert, Kleobis und Biton, Sitz.-Ber. Bay. Akad. Ph.-H. Kl. 1916 II p. 3?9. Les arguments ont ?t? reproduits par F. J. de Waele, De legende der vrome broeders K. en B., Hermeneus VIII (1936) p. 157?62.

2) Il compare Paus. II 10, 3 (Sicy?ne) et IG. II 1649 (Ath?nes). 3) L?to, ?tant la m?re d'Apollon; Demeter spe??????? cf. Athen. Xp.416C. 4) Les deux statues ont ?t? trouv?es pr?s du tr?sor d'Ath?nes, ? environ

25 m de ce petit temple. 5) Cf. Paus. II 19, 5.

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L'EXPLOIT DE CL?OBIS ET BITON ET LA V?RACIT? D'H?RODOTE 39

la prouver. Mais elle est fausse, et j'esp?re en faire la d?mon-

stration.

Elle entra?ne d?j? une difficult? ? priori. Elle nous oblige ?

admettre qu'H?rodote, qui non seulement connaissait Delphes pour l'avoir visit?e, mais qui, de plus, a subi ? divers points de vue

l'influence des pr?tres d'Apollon, aurait n?gligl? de s'informer sur

place au sujet d'une tradition qu'il a trouv?e int?ressante, remar-

quable et m?me importante. On sait, en effet, que l'?pisode de

Solon ? la cour de Cr?sus a d? avoir une valeur de premier ordre aux yeux de son auteur1). Cette n?gligence serait d'autant

plus ?trange, s'il avait appris l'exploit des jeunes gens ? Argos m?me. Si, d'autre part, les traditions delphique et argienne ne

concordaient pas, pourquoi n'a-t-il pas, selon son habitude,

rapport? l'une et l'autre? Comment expliquer, en outre, que, cette

fois-ci, il n'a pas pr?f?r? la version delphique? Toujours dans

l'ordre d'id?es de M. Robert, l'accord des deux traditions n'est

possible que si l'on admet que le v?ritable motif de l'?rection

des statues, savoir l'introduction d'un nouveau culte, ?tait oubli?

? Delphes apr?s moins de cent-cinquante ans, malgr? la pratique d'un culte, malgr? l'existence d'un temple et la pr?sence de deux

statues. La nouvelle th?orie d?place les, difficult?s, mais ne les

?carte pas. Il y a m?me erreur manifeste quant ? l'emploi du

verbe ??e??: l'inscription ath?nienne ? Delphes, r??dit?e sous le

no. 728 / dans la Sylloge3 de Dittenberger2) honore un citoyen d'Ath?nes parce que e?a?e? t?? ?e??? t??p?da ?? ?e?f?? ?a?

?pe????se?, ?a? t?? p??f???? ??a?e?. Or on sait3) que la

p??f???? ?tait la femme qui portait le feu sacr? du sanctuaire

d'Apollon jusqu'? Ath?nes et qui faisait le voyage en voiture.

Passons donc ? l'?tude des objections qu'on a faites ? l'inter-

pr?tation ?orthodoxe" des donn?es.

Pourquoi les statues ont-elles ?t? ?rig?es ? Delphes et non

pas ? Argos, dans l'H?ra?on m?me? La valeur de l'argument r?side plut?t dans la seconde moiti?, d'ordre n?gatif, que dans

la premi?re, qui est positive. Le nombre de monuments de toute

1) Cf. F. Hellmann, Herodots Kroisos-logos, Berlin 1934 p. 37?58. 2) Elle date de 97-6. 3) Voir Ditt. Sylt.3 711 D, note 8.

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40 L'EXPLOIT DE CL?OBIS ET BITON ET LA V?RACIT? D'H?RODOTE

esp?ce dress?s ? Olympie, D?los et Delphes, est tellement con-

sid?rable, la vari?t? des occasions, auxquelles ils avaient ?t?

pr?sent?s aux sanctuaires, tellement grande qu'il est pratiquement

superflu de vouloir pr?ciser le motif pour un cas d?termin?.

C'est-?-dire qu'en principe le motif est toujours le m?me: c'est

l'insigne renomm?e des trois sanctuaires qui entre en ligne de

compte1). Reste la deuxi?me moiti? de l'argument: pourquoi n'a-

t-on pas choisi l'H?ra?on? Ouvrons Pausanias qui a visit? ce

sanctuaire au -deuxi?me si?cle de notre ?re; son compte-rendu

remplit tout un chapitre2): il pr?cise d'abord la situation g?n?rale et d?crit le paysage; ensuite il passe ? l'expos? de ce qu'il a vu

autour du temple et ? l'int?rieur de celui-ci3): devant l'entr?e

des statues de h?ros ? notamment un Oreste ? et de pr?tresses ; dans le pronaos, ? gauche, des images tr?s anciennes des Charit?s

et, ? droite, une klin? d'H?ra avec un bouclier, ex-voto, dit-on, de M?n?las; la grande statue de la d?esse est l'?uvre de Polycl?te; une petite, d'H?b?, se trouve tout pr?s et est due au g?nie de

Naucyd?s; l'antique image d'Hera est encore visible au haut d'une

colonne. En fait d'offrandes il y a un autel en argent avec, en

relief, les noces d'H?racl?s et H?b?; un paon en or rehauss?

de pierreries, don de l'empereur Hadrien; une couronne d'or et

un manteau de pourpre provenant de N?ron. L'autel et le paon se rapportent directement au mythe et au culte de la d?esse; les

troph?es de N?ron conservaient le souvenir de sa participation aux ??a?a de 67, lors de sa ?tourn?e d'artiste" en Gr?ce4). Mais ? part ces trois offrandes, Pausanias ne nomme rien; c'est

vraiment une p?nurie de monuments tr?s remarquable dans un

sanctuaire aussi c?l?bre, centre d'un culte v?n?rable et de con-

cours tr?s fr?quent?s. L'empereur N?ron est-il donc le seul vain-

1) Premerstein a suppos? que la mort de Cl?obis et Biton dans le temple a ?t? consid?r? comme de mauvaise augure et qu'on a consult? l'oracle de Delphes; le dieu aurait r?pondu qu'il n'y avait point de souillure et les statues auraient ?t? ?rig?es en signe de reconnaissance. La th?orie est r?fut?e par L. Weber, Tellos, Kleobis und Biton, Philol. 82 (1927) p. 162, n. 8.

2) II 17. 3) Il n'a pas vu le temple ancien, br?l?.en 432, sauf quelques ruines. 4) Sur les '??a?a voir p. ex. Farnell, Cults of the Greek States I 187 s.;

sur la participation de N?ron Dessau, Gesch. d. r?m. Kaiserzeit II p. 269.

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L'EXPLOIT DE CL?OBIS ET BITON ET LA V?RACIT? D'H?RODOTE 41

queur qui ait t?moign? de sa reconnaissance? Notre ?tonnement

s'accro?t si nous comparons ce que le m?me Pausanias rapporte au sujet du temple d'Apollon Lycios ?galement situ? ? Argos l) :

ici une abondance d'?uvres d'art, entre autres la statue de l'athl?te

Biton, du pugiliste Creugas, du coureur Ladas, un relief plus r?cent repr?sentant l'exploit de Cl?obis et Biton, et tant d'autres.

Ceci ne peut ?tre un effet du hasard; l'atmosph?re des deux

temples a d? ?tre fonci?rement diff?rente : ici l'aust?re d?esse du

mariage; m?re v?n?rable et pudique, protectrice alti?re, mais

s?v?re de la cit?; l? le dieu rayonnant de jeunesse, qui se pla?t aux sports et accepte sans difficult? dans son sanctuaire des

images nues d'athl?tes. Ici un culte pratiqu? par des pr?tresses, l? un clerg? masculin. J'estime que la conclusion s'impose: des

statues d'athl?tes, m?me la statue d'un empereur artiste font d?faut

dans l'H?ra?on, parce qu'elles n'y ?taient point les bien venues.

C'est-?-dire que les images de Cl?obis et Biton n'ont pas ?t?

?rig?es dans le temple o? leur exploit avait trouv? son couronne-

ment, parce que la loi du sanctuaire et la volont? divine s'y

opposaient. Passons aux autres objections. D'abord l'inscription ne parle

aucunement des Argiens qui pourtant, au dire d'H?rodote, ont

d?di? les statues. Ce n'est pas encore assez dire; effectivement

il n'y a point d'inscription d?dicatoire: ni le fait de la cons?cration, ni le nom des donateurs ne se trouvent indiqu?s. Tout ce qu'on

lit, est ceci: Cl?obis et Biton ont accompli tel et tel exploit. Ceci

pourrait ?tre le motif all?gu? dans une d?dicace, mais, pr?sent? de cette fa?on, en dehors de tout contexte, c'est une simple mention

de fait. Et pourtant H?rodote, qui ?

je le rappelle encore ?

connaissait parfaitement Delphes, dit express?ment: ?les Argiens firent faire d'eux des statues qu'ils consacr?rent ? Delphes comme

celles d'hommes excellents". Voil? une phrase qui r?sume ad-

mirablement une-v?ritable d?dicace; rien d'essentiel n'y manque. La conclusion est, encore une fois, bien facile: H?rodote a lu

une v?ritable inscription d?dicatoire en prose ou en vers, mais

ce n'est pas celle qui nous a ?t? conserv?e. Elle se trouvait

ailleurs, en un endroit o? elle attirait plus facilement l'attention,

1) Voir II 19,3?20,7.

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42 L'EXPLOIT DE CL?OBIS ET BITON ET LA V?RACIT? D'H?RODOTE

peut-?tre sur le pi?destal commun des deux statues1). ?? a?d???

a??st?? ?e???????, tel ?tait, d'apr?s H?rodote, le consid?rant

de la d?dicace; elle ?tait donc, apparemment, con?ue en termes

tr?s g?n?raux. Ceci explique pourquoi on a ajout? ? Delphes, ?

l'usage des touristes curieux de d?tails, une note pr?cisant la

nature de l'exploit : cette note a ?t? plac?e ? un endroit plus

discret, l? o? se trouvait d?j? la signature de l'artiste.

Si vraiment il y a donc eu deux inscriptions 2), les autres ob-

jections perdent leur importance. En effet la dedicaci r?elle,

perdue actuellement, ?tait en argolien; la note ajout?e ? l'usage des visiteurs de Delphes, par contre, ?tait con?ue en phoc?en. Ni le nom, ni la fonction de la m?re des deux jeunes athl?tes

ne sont donn?s, pour la simple raison que toute l'attention allait

? l'exploit des fils3); tous les autres d?tails sont secondaires et

?taient r?serv?s aux explications orales fournies par les sacris-

tains et les guides. Enfin, pourquoi aurait-on not? que Cl?obis

et Biton ?taient Argiens? La d?dicace apprenait tout ce qu'il fallait ? ce point de vue; le fait que le sculpteur indique sa

nationalit? n'a rien ? voir ici.

Cette analyse des faits semble donc prouver que le texte

d'H?rodote et les donn?es d'ordre arch?ologique et ?pigraphique se confirment mutuellement. Il n'est plus n?cessaire d'aller cher-

cher dans le domaine sacr? de Delphes un temple r?serv? ? une

M?re divine, dont nous ne savons rien. Il n'est plus n?cessaire

de se laisser aller ? des sp?culations hasardeuses afin de prouver comment et pourquoi H?rodote 4) a form?, en accumulant erreur

sur erreur et fantaisie sur fantaisie, une l?gende qui pourtant

pr?sente tous les caract?res d'un fait bien r?el. Il va de soi que

l'interpr?tation religieuse que l'historien donne de ce fait, est d'un

autre ordre.

Encore une remarque reste ? faire: la question de savoir o?

1) Voir ci-dessus p. 37, n. 4. 2) En r?alit? il y en a trois, puisque la signature de l'artiste est ind?pendante. 3) C'est m?me l? pourquoi on a r?p?t? ici le nom des jeunes gens que

la d?dicace avait probablement d?j? indiqu?. 4) Ou la source ?crite ? laquelle il a puis?, si Weber /./. p. 162 s. a raison

de croire que tel est le cas, ce dont je doute fort.

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Page 11: L'Exploit de Cléobis et Biton et la Véracité d'Hérodote

L'EXPLOIT DE CL?OBIS ET BITON ET LA V?RACIT? D'H?RODOTE 43

H?rodote a appris l'histoire de ses deux h?ros, ? Argos ou ?

Delphes, se r?sout facilement en disant: tant ? Argos qu'? Del-

phes. Si nous ?tions ? m?me de dresser un tableau de ses voyages, o? tous se rangeraient dans un ordre strictement chronologique

?

ce qui est, on le sait, une illusion ? nous pourrions m?me dire

en quel endroit il Va apprise en premier lieu. Mais pour nous

il est plus int?ressant, ? l'heure qu'il est, de constater que la

v?racit? du P?re de l'histoire est encore une fois prouv?e dans

cette question de d?tail.

Steenwijk, Willem de Zwijgerstraat 19.

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