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jean-paul-yves-le-goff
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absolument considrable qui sont la caractristique des vangiles une fois achevs. Ceci est
rarement soulign les rares fois o Bultmann aujourd'hui est voqu, mais son valuation est
formelle : les vangiles sont des lgendes formes partir d'un petit nombre de faits qu'il veut
considrer comme historiques. Une chose est de lire dans un paragraphe, comme on le fait
dans Foi et Comprhension, que les sources chrtiennes, trs fragmentaires, sont envahies par la
lgende, autre chose est de lire, comme on peut le faire dans L'histoire de la tradition synoptique qu'
pisode aprs pisode peu prs tout est lgende.15
L'assimilation de Bultmann la catgorie des mythistes ne relve donc pas de la
diffamation. Certes, il a beaucoup crit sur les diverses acceptions possibles du concept de
dmythologisation, au point qu'on peut s'garer sur le sens exact qu'il donne au terme, mais
l'interprtation consistant l'entendre au premier degr n'a aucune raison d'tre exclue. A la
lecture de L'histoire de la tradition synoptique, on en vient se demander pourquoi Bultmann est
convaincu de l'historicit de Jsus de Nazareth et mme s'il l'est vraiment. Il faudrait pour
qu'on le sache qu'il mette la mme dtermination expliquer les raisons de l'historicit qu'il en
met souligner l'vidence de la lgende.
1. Le Tillich qu'on veut ignorer
Les ractions l'uvre de Bultmann vont tre trs diverses. Globalement, les thses de
Bultmann, malgr le succs de la critique des formes seront repousses, notamment sous la
houlette de l'un de ses disciples, Ernst Ksemann (1906-1998) qui personnifie souvent le dbut
de la deuxime qute et auquel l'on doit l'initiative des critres d'historicit relatifs aux
vangiles.16
En revanche, Paul Tillich (1886-1965), autre thologien allemand, en butte aux
tourments du nazisme qui l'amnent s'expatrier aux tats-Unis, sera assez proche de
Bultmann quant son scepticisme historique, compens, comme chez Bultmann par une
volont de refonder la foi par une sorte de sublimation. Personne, peut-tre, ne pose aussi
bien que Tillich le rapport entre le Jsus de l'histoire et le Christ de la foi ; personne ne dit aussi
bien que lui que le Jsus de l'histoire n'est pas ncessaire au Christ de la foi. Ce n'est pas par ses
doutes de nature historique que Paul Tillich est connu en Europe - au contraire : ils sont
plutt ignors - mais par l'originalit de sa thologie. Toutefois, une thse parue en 1997 due
15 Voir quelques loquents extraits en annexe. 16 Voir infra p. 380 et s.
la plume de Madeleine Lalibert, intitule Jsus le Christ entre l'histoire et la foi 17 ne laisse aucun
doute sur la proximit de ses opinions avec celles de Bultmann, dont il est le contemporain.
Certes, Tillich s'opposera Bultmann en maintes occasions et sur de nombreux points ;
notamment il proposera de substituer le terme de dlittralisation celui de dmythologisation qu'il
trouve mal venu ; mais la diffrence est surtout formelle. Tillich ira plus loin que Bultmann
quant aux consquences pour la foi du constat qu'il fait du peu de crdibilit que mrite le
Jsus de l'histoire. Les quelques parties de son uvre consacres la dlittralisation des
vangiles (mal connues en France) rpertories et analyses par Madeleine Lalibert sont :
- Les 128 thses de 1911
- La dogmatique de 1925
- La thologie systmatique de 1938
- La dynamique de la foi de 1957
- La confrence donne Dren de 1961
- Les dialogues avec les tudiants de 1963
La confrence de 1961 est un trs bon condens de ses positions. Il y fait mme
quelques confidences : c'est ds ses 14 ans qu'il a cess de croire la ralit de la rsurrection.
Dans sa jeunesse, les thories mythistes n'taient pas ridiculises comme il allait advenir et c'est
bien au premier degr qu'il allait, un peu plus tard comprendre la dmythologisation de
Bultmann. L'impossibilit de croire la rsurrection le perturbait normment jusqu'au jour
o, dit-il, la thologie de Karl Barth le dbarrassa de ce problme. Une deuxime tape vers
la libration est franchie avec ce qu'il nomme " le programme de dmythologisation de Rudolf
Bultmann ", c'est--dire, prcise-t-il, " la tentative de non seulement reprer les lments mythiques du
Nouveau Testament (cela on le tentait et on le faisait depuis cent cinquante ans) mais aussi de prsenter
aux hommes de notre temps un message chrtien entirement libr de ces lments mythiques. Et malgr toutes
les critiques qu'on puisse faire Rudolf Bultmann, par exemple son concept de mythe, je tombe d'accord avec
lui pour dire que si nous ne pouvons pas mener bien cette tche, les hommes de notre temps seront perdus pour
le message chrtien ".18
Les hommes de notre temps perdus pour le message chrtien ? Le paradoxe que
dfend Paul Tillich est que c'est le doute sur le Jsus de l'histoire qui devrait sauver le Christ de la
foi. Face au doute de nature historique qui peut assaillir le croyant, cinq attitudes, selon lui,
sont reprables l'poque o il parle :
17 Lalibert Madeleine, Jsus le Christ entre l'histoire et la foi, Mdiaspaul, 1997 18 op.cit. p 192
"Qu'en est-il maintenant de l'attitude de foi - telle sera ma deuxime considration - dans ce contexte,
c'est--dire en tenant compte de la recherche historique avec toutes ses vraisemblances et ses invraisemblances,
avec ses distinctions entre le " possiblement hypothtique ", le " probablement lgendaire " et le " certainement
mythique " ? Il y a bien quatre ou cinq rponses donner cette question.
Premirement, il existe encore une large couche de la population qui n'a encore jamais pos la question
historique, pour qui celle-ci ne signifie rien, qui considre tout uniment les sections historiques de la Bible comme
de simples comptes-rendus historiques et qui ne voit aucunement l une question pose la foi. Tel est le premier
groupe ; je ne puis vous dire son ampleur en termes quantitatifs, mais je crois que plus une culture s'urbanise,
moins il y a de gens qui persistent dans cette situation. Mais ils sont encore nombreux.
Le deuxime groupe se compose de gens dont le parcours est bien des gards semblable au mien : ils
ont reu un jour un premier choc de la part de la critique, puis peut-tre d'autres chocs ultrieurement, de sorte
que leur foi immdiate et sans rupture s'est transforme en une foi rompue, une foi combattante ; la recherche
historique a provoqu une rupture en eux-mmes, dans leur foi, et dsormais, ils combattent au nom de leur foi
partir de cette situation de rupture. Suit une troisime attitude possible, celle que je qualifierai de dfaite. Ce sont
les gens qui ont perdu le combat et se dtournent de la foi, qui ne trouvent pas de solution. Ici encore ces gens sont
fort nombreux. Je constate ce phnomne parmi la jeunesse amricaine ; les tudiants de thologie originaires de
foyers principalement conservateurs, d'un niveau culturel pas trs lev, arrivent dans les instituts de thologie, ils
doivent se frotter la science de l'Ancien et du Nouveau Testaments et s'aperoivent qu'on ne peut
identifier navement ce que dit la Bible avec la parole de Dieu, qu'on ne peut identifier navement les rcits
historiques avec d'authentiques documents historiques.
Il y a ensuite une quatrime attitude, que je qualifierais de victoire apparente. Il s'agit d'une victoire qui
n'est en fait que le refoulement du doute. Le doute est prsent, mais les forces de la tradition sont si puissantes
qu'elles interdisent la conscience historique, la probit de la conscience historique - et cet interdit ne vient pas de
l'extrieur mais de soi-mme, des forces inconscientes l'intrieur de soi. Il s'agit bien d'une victoire puisqu'elle
restaure une certaine unit, la scission de la foi rompue et combattante se trouve surmonte. Mais il s'agit d'une
victoire apparente, puisque le refoul n'est pas supprim, puisqu'il demeure et est perceptible. Or, lorsqu'un doute
refoul n'est pas intrieurement surmont, il prend les traits du fanatisme. (...) Il y a aussi une cinquime
attitude. Je la qualifierais de foi mancipe ; non pas la foi sans rupture, ni la foi combattante, ni son rejet, ni la
rpression du doute, mais bien la foi mancipe, celle qui n'est pas fanatique parce qu'elle n'a rien refouler et
est en mesure d'assimiler les rsultats de la critique. " 19
Comme Paul Tillich s'adresse en l'occurrence des tudiants en thologie, c'est--dire
de futurs pasteurs, il en vient voquer les consquences qui en rsultent pour la prdication
: " Le problme que rencontre la prdication est que dans une communaut d'une certaine taille, les cinq groupes
19 op.cit. pp 294-295
voqus prcdemment sont presque toujours prsents de manire concurrente. " Le pasteur doit donc tenir
un langage qui puisse tre reu des cinq groupes diffrents, ou plus probablement de quatre
groupes, le cinquime, qui a perdu la foi ayant physiquement disparu. On est en droit de se
demander si l'historien traitant des origines du christianisme ne se trouve pas dans une
situation similiaire. S'il est engag confessionnellement, il sera dans la position proche de celle
du prdicateur ; s'il ne l'est pas, la conscience de l'impact de ses propos sur la foi des croyants,
l'amnera probablement les moduler sensiblement.
Cette confrence de 1961 concluait un parcours d'un demi-sicle ; mais ce scepticisme
historique sublim par la foi tait dj prsent dans ses 128 thses publies en 1911, 20 dont
voici la premire : " L'nonc de la foi chrtienne " Jsus est le Christ " doit tre distingu du jugement
historique " Jsus, le Christ, a exist ". Comme tout discours thologique, celui de Paul Tillich est,
videmment sujet, interprtation et n'exclut pas la possibilit d'erreur d'interprtation. Ainsi,
il va dire, plus loin, que Jsus et le Christ sont identiques et que cette identit est la base de la
foi chrtienne. Et il justifie cette affirmation par des arguments thologiques. Jsus et le Christ
ne font qu'un thologiquement. Historiquement, si l'existence du Christ est une vidence, celle
de Jsus est beaucoup moins certaine. Par consquent, Jsus et le Christ se distinguent. Cela
dit, son objectif est, justement de librer la thologie de l'histoire. Donc, dans cette premire
thse, "Jsus est le Christ" renvoie au Christ de la foi, qui est la base du christianisme ; "Jsus, le
Christ, a exist" renvoie au contraire l'histoire - c'est le Jsus de l'histoire - et il est parfaitement
possible que cette affirmation ne soit pas vraie - ou pas absolument vraie - sans que la religion
chrtienne n'ait en souffrir, si tant est, du moins, que l'opration de libration qu'il entend
mener a russi. Ce que Tillich dnonce comme une erreur c'est que l'nonc 1 et l'nonc 2
soient considrs comme quivalents (thse 30)21 ou que la vrit du 2 soit ncessaire la
vrit du 1.
Les thses 6, 7 et 8 22 ont pour but de distinguer la preuve historique (dont relve
"Jsus, le Christ, a exist" et la preuve dogmatique ("Jsus est le Christ"). (Cette distinction est
fondamentale dans la dmarche de Tillich : c'est par la preuve dogmatique que le chrtien
peut avoir la certitude de l'identit entre Jsus et le Christ, nullement par la preuve historique).
Pratiquement toute son argumentation est de nature thologique. Ce n'est pas dans les
subtilits de la critique textuelle ou mme de la critique des formes qu'il trouve les raisons de
croire que Jsus est le Christ, c'est dans l'Ancien Testament qui annonce le Nouveau, c'est dans la
20 Elles se trouvent dans le volume 6 de ses uvres compltes, dition bilingue anglais-allemand et en Franais dans le livre de Madeleine Lalibert, pp 253-272 21 Voir en annexe douze des 128 thses. 22 id.