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L'Heptaméron, Langage Et Structure-Marcel Tetel

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un niveau de synthse, son syncrtisme prsuppose une volont libre qui domine choix et actions, fortement tay par une vision empirique de la vie; un niveau littraire ce syncrtisme produit invitablement des uvres composites, sans forme, qui en apparence dfient le concept aristotlicien dordre. Pour la reine, la religion ntait pas une abstraction, mais un organisme vivant dveloppant des normes pratiques et accessibles pour la conduite humaine; si sa position ne peut pas tre fixe, cest prcisment parce quen essayant de combler le foss entre les thses thologiques et les expriences de la vie elle trouve elle-mme une mobilit spirituelle sans repose. Cette infaillibilit de la foi cre une certaine a-religion, une indiffrence envers lEglise et la morale conventionnelle, qui son tour conduit une libert dexpression et une sincre description de la vie.Une conciliation entre une foi absolue et solide obtenue par la grce et la condition relativiste et fluide de la vie est naturellement tout fait impossible. Lme platonique, lamour idal, lamour chrtien, quel que soit le nom quon lui donne, contraste toujours normment avec la vie observable de tous les jours; en fait, un abme existe entre ces formes spiritualises damour, qui chouent mme au moment o elles sont essayes, et la norme charnelle dagir humain. Mme le mariage choue dans lHeptamron, parce que amour vertueuse demeure une denre rare chez les hommes. Seule la foi vritable peut sauver lhomme, mais peu sont ligibles, ou mme ont la capacit de recevoir la grce de Dieu. La foi et la grce de Dieu deviennent ainsi un autre idal inaccessible, tant donn la faiblesse fondamentale de lhomme. Marguerite postule un ensemble didaux lamour platonico-chrtien, le mariage, la foi - qui devraient servir de guide pour vivre; la vie cependant apparat totalement diffrente daprs elle. Il en rsulte videmment une tragique antinomie entre la vie telle quelle est et la vie telle quelle devrait viser tre, antinomie qui reflte lesprit tourment et indcis de lauteur. LHeptamron insiste sur le relativisme de la vrit et sur la difficult que les gens ont communiquer entre eux, cause de limpossibilit de discerner les vritables faits ou motivations derrire lagir humain. M. alors sent quelle fait face un univers qui ne peut pas tre saisi, o tout est falsifi et en dsintgration. Dans lH. rgne un monde dimposture, rgi par la contradiction entre lintention et laction, entre la pense et lexpression, dans la mesure o les mots offrent leurs significations multiples facettes, souvent contrastantes afin de dvoiler la duplicit et la multiplicit de la pense et de laction. Lamour dans lH. est avant tout un catalyseur pour une exposition de la conduite humaine. Le point de vue idaliste est min sinon limin par la discordance entre les faits de la vie et la rhtorique, aussi bien que par les contradictions conscientes lintrieur des discussions. M. adopte un vocabulaire ptrarquiste traditionnel et forge dautre part, un langage rotique mtaphorique qui par sa frquence et par-dessus tout par sa rserve cratrice donne une importance dominante lamour terrestre. La premire prsentation thorique de lamour platonique se trouve dans la discussion qui suit la huitime nouvelle; Dagoucin introduit limage de landrogyne pour illustrer sa thse que deux moitis, lhomme et la femme, se cherchent constamment lune lautre en vue de rformer une union parfaite, mais, dans la vie lamour est dune autre nature.Suivant des lignes ptrarquistes typiques, ce langage personnifie et mythifie lamour, le dpeint comme une maladie ou une guerre, adopte linteraction vie-mort, fait un abondant usage des images du feu, en plus hyperboles habituelles bauchant les sensations mtaphoriques du cur et des larmes. M. veut mettre en relief lirrsistible domination de lamour, ici dans son sens physique Cupidon sur lhomme et de ce dernier limpuissance et la faiblesse devant lamour.Commentaire dun extrait: De plus, tout le langage figur vibre autour dun dcouvrir double dimension (mettre nu et trouver) et culmine ironiquement sur le banal marchand, ce qui communique lamour le sens dune vulgaire marchandise, changeant constamment de main; ce sont deux images qui reviendront, la premire, cependant, restant plus importante que la dernire. Aux mains de M., le concept de lamour maladie devient le centre irradiant vers dautres thmes. Il est li, par exemple, linteraction vie-mort. une maladie donnant tel contentement, que la gurison tait la mort. Ou bien il enfante lide de dissimulation et de feinte, si rpandue les nouvelles. Lamour devient aussi lquivalent dune maladie, dun dsordre spirituel, causant un tant de dpression compltement hors de porte dune cure humaine ou de la raison; ici la fivre agit comme le noyau mtaphorique central rattach lhumeur noire, la mlancolie. Pour elle, la guerre signifie la conqute de la femme par lhomme et les incessantes confrontations entre les deux afin de raliser cette conqute. Aussi cette image dans son rle essentiel reflte la bestialit de lhomme et ses dsirs charnels incessants. En thorie, limage de la guerre comporte un sens de conqute et de victoire dans le domaine de lamour; en pratique, elle aboutit retarder ou anantir les situations. Quand succs il y a, elle survient pour rabaisser lamour un niveau matrialiste. Le feu, sous son aspect positif, il procure chaleur et subsistance, il purifie; sous son aspect ngatif, il dtruit. La seconde acception est plus frquente que la premire. En plus de la torture et de la destruction, le feu prend une consistance trs impure ou une qualit feinte pour exprimer la basse nature de cet amour. En conformit avec le trait fondamental chez M. de vouloir exposer les deux cts de la mdaille, le feu apparat et comme un agent purificateur, et comme un rvlateur de vrit. Une pouse, qui vient de trouver son mari au lit avec la servante, met le feu sous le lit, et quand la fume est sur le point de le suffoquer, elle le rveille en criant. Au niveau mtaphorique, mettre le feu et rveiller deviennent lquivalent de ramener le mari la raison, tandis que la fume garde sa connotation traditionnelle davertissement.Les discussions qui suivent les nouvelles acquirent une double dimension. Elles servent de table pour un expos de valeurs thiques et religieuses qui prsente des opinions variables, mais un niveau linguistique les discussions stabilisent souvent de nouvelles significations des mots.Avec les divergences au sein dune mme mtaphore, il n ya aucune contradiction ou faiblesse conceptuelle dans la composition narrative, seulement une ambivalence trs consciente servant accentuer les antinomies et la varit dans la conduite humaine.Ainsi M. renouvelle les lieux communs mtaphoriques du langage de lamour en leur confrant soit une signification diffrente, soit une signification antagoniste de lacception habituelle. Ce rajeunissement de mots-uss son tour rvle une attitude anti parfait-amour, souvent rencontre, ou accentue des contradictions qui tournent en drision les traditions littraires. En mme temps, des mots qui acquirent de nouvelles dimensions de signification flirtent avec leur propre dsintgration; ces traits linguistiques, en fait, correspondant formellement une vision dune insondable diversit dans les motivations humaines, avec un parallle dcoulant dune sombre condition humaine. Dans la formulation dun langage rotique,M. adhre grandement au procd qui consiste juxtaposer la connotation difiante ou spirituelle dun mot une connotation vulgaire. Elle aime dpouiller un mot de sa dignit, pour ainsi dire, en vue de rendre vidente la discordance entre lhomme ou la socit telle quelle devrait tre et telle quelle est rellement.Des articles comestibles spcifiques, tels que les confitures, les drogues et la salade, remplissent une fonction mtaphorique dans le domaine ou du parfaite amour ou de lamour charnel, ou des deux. A un niveau littral, les confitures apparaissent comme des offrandes de nourritures par une dame un homme, mais par la suite, cette signification unidimensionnelle vibre dans lesprit du lecteur et le laisse intrigu.Si la nourriture et le manger relvent du langage. Puisquil est un besoin physiologique, dans le langage imag, le boire demeure au niveau gnral de lamour physique. Cependant, il est employ comme charpente de lhypocrisie et de lironie, ou encore en raction celles-l, sauf quand il symbolise la prudence et la raison dans la recherche des satisfactions sexuelles. Limagerie animale qui a rapport aux moines fait toujours ressortir la suprmatie ans leur esprit de lamour du corps sur lamour de Dieu et un faux amour envers leurs prochains. M. slve bien davantage contre la violence et la falsification de la vrit dessein de raliser les dsirs de la chair que contre la validit et le caractre naturel de ces plaisirs.Les hommes en gnral ne se conduisent pas mieux que les moines; vu sous cet angle, lanticlricalisme de M. nimplique pas ncessairement un anticatholicisme mais bien une vrification de la bestialit dans toutes les classes de la socit.Les victimes dune passion fatale incontrlable, en quelque sorte la Phdre, reoivent lpithte de bestiales. Une femme qui a quitt son mari pour un prtre cause dun dsir inexorable est dsigne sous le nom de la bestialit est mise spcialement en vidence dans la 70me nouvelle.Peu importe jusqu quel point un chien peut tre bien dress, on ne peut jamais sy fier entirement; un amour, peu importe son degr de perfection, demeure sujet aux dfaillances humaines.Ainsi, en amour comme dans la vie, M. se fait lavocat de la raison, de la bonne conscience, de lordre et de la mesure; ce sont l les principes de conduite quelle prconise. Quant au parfait amour ou parfaite amiti quoi elle se rfre frquemment et quelle tente de donner en exemple dans certaines histoires et discussions, il paratmieux convenir aux saints quaux hommes et consquemment vou lchec. Dans le monde dapparences, la vrit se dsintgre, les mots perdent leur significations originelles; la mfiance et la dissimulation prvalent. La faade religieuse est dessein tout fait transparente de telle sorte que la barrire entre le spirituel et le charnel nexiste gure.Pour M. les mots constituent une faible barrire entre le vrai et le faux. Puisque les mots sont dits par des individus, on ne peut pas plus sy fier quaux personnes elles-mmes. Pour exprimer cette faillite verbale, elle fractionne un mot en tous ses composants possibles qui font natre son impuret, ou bien, elle revient son acception primitive. Dans un monde dapparence, lvanescence des mots traduit la duplicit des actions et des penses de lhomme. Le matrialisme falsifie des valeurs; cest un cran trompeur pour les sentiments bas et striles, voire mme saffiche-t-il comme un ornement ostentatoire. Le rsultat immdiat dune telle vision est un brouillage, mme une inversion des termes riche et pauvres; les riches matriellement sont pauvres spirituellement, et vice versa.Lhomme peut choisir de cultiver le sol, mais il ne peut tre assur de la qualit du produit; la beaut intrieure rpond la volont de Dieu, non celle de lhomme. Le pr figure comme une source de divertissement aussi bien que dillusion pour eux et pour le lecteur, parce que durant que les nouvelles constituent un passe-temps, elles rvlent une vision variable et pessimiste de la condition humaine qui contraste avec la beaut de lenvironnement.Et ne pensez pas que ceux qui poursuivent les Dames prennent tant de peine pour lamour delles. Car cest seulement pour lamour deux et de leur plaisir; il ne faut point donner tant de louange une seule vertu, quil la faille servir de manteau couvrir un si grand vice. (La Rochefoucauld) Dans le pastiche suggr, le livre apparat comme un passe-temps qui son tour mne un autre passe-temps, la recherche des plaisirs de lamour, le tout lintrieur dun cadre trompeur qui consisterait voir et regarder.Un paradoxe de plus souligne le sourire laconique de lauteur quand les soupirants heureux se vantent de leur prison. En dcouvrant la sotte nature de leur conqute, ils dcident daffronter la dame libidineuse, chacun portant une chane autour du cou. Leur lien visible marque la libert quils viennent de recouvrer sur une dame apparemment possessive; la discordance voulue entre le fait et laction, lintention, lvidence se poursuit. Lincertitude du langage cre un abme entre ce que les mots disent et ce quils signifient. Le langage ordinaire choue, parce quil mne au dsastre. Quil suffise de mentionner un cas exemplaire, la 79me nouvelle. Ici un amour est dtruit. Ici un amour est dtruit parce quun jeune homme a dit le nom de sa bienaime; le vrai coupable est la langue, signifiant la fois langue [muscle physique] et langage. Lindividu lui mme vit dans la crainte dtre incompris ou dcouvert ou bien il ne vit jamais tout fait en conformit avec une apparente bonne rputation.A un niveau littral, ne pas faire du bruit signifie cacher. En fait, quand le silence est un succs, cest quil dissimule une faute ou fait abus dune doctrine religieuse. Autrement, la crainte de faire du bruit gouverne actions et penses.Si cette prpondrance de la dissimulation reflte une vision dun monde cribl de fausset et de fourberie, les histoires elles-mmes et les discussions qui les accompagnent deviennent les agents qui exposent la comdie humaine et essaient de dmler la vrit derrire un voile, seul lment visible aux yeux des hommes. Puisque leur souci principal est de cacher leur moi intime, ils couvrent un vice foncier dune vertu apparente, tout fait de la faon que La Rochefoucauld observe chez les gens autour de lui. Seuls ceux qui ont reu la grce de Dieu nont rien cacher et demeurent dans une pure nudit constante, mais par leur nombre minime, ils ne constituent certes pas la norme. Puisque lhomme recouvre ses faiblesses et ses bas apptits, dautres tentent de les voir. En consquence, la notion de voir occupe une place importante dans les nouvelles. A lintrieur des histoires courtes, les personnages veulent voir, pour dcouvrir la vrit, parce quelle affecte leur bonheur et leur vie quotidienne. Et M. narre les histoires de telle faon que nous pouvons, nous lecteurs, voir, observer et juger la conduite des autres, et par consquent notre propre conduite.Une vue claire, donc, est en troite corrlation avec conscience, vrit et beaut, et il sensuit quune interaction mtaphorique de lumire et de noirceur peut inverser ce concept ou jongler avec lui. M. affirme maintes reprises quil existe un seul Voyant infaillible, Dieu; elle examine malgr tout la vue et le jugement humains, en dpit de toutes leurs limitations et faillites, parce que si un homme refuse daccepter la Lumire vraie dans toute sa splendeur, il doit sen remettre ses propres moyens datteindre des solutions pratiques, mme sils ne sont pas les meilleurs.La fentre est un point dattente illusoire dans le temps et dans lespace, parce que le bonheur nexiste pas dans le prsent, mais dans un pass statique et lointain ou dans un futur inaccessible. De cette fentre, seule la dception soffre au spectateur. Dans des nouvelles, la fentre tient lieu de moyen de communication, de catalyseur du dsir, de fuite dun pril dtourn, doccasion propice une action douteuse et vilaine. La dialectique de lumire/obscurit avec son corrlatif vue/ccit forme une trs importante partie mtaphorique de lesthtique de M. Cette dialectique oppose lamour idal la luxure, la dissimulation la divulgation, le royaume terrestre et le jugement divin, et elle se rvle une technique narrative heureuse.