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1 INTRODUCTION Cette thèse est organisée autour d'une problématique centrale: l’étude de la structure de phrase en russe, une langue indo-européenne du groupe slave oriental auquel appartiennent l'ukrainien et le biélorusse, et qui est parlée par environ 160 millions de locuteurs. Le russe est une langue reconnue par la liberté relative de l’ordre de mots, où les valeurs communicatives interagissent avec les relations syntaxiques. Nous explorons ces relations syntaxiques, ainsi que des raisons qui provoquent un changement d’ordre de mots. Nous accordons une importance particulière au mouvement des syntagmes dans les questions multiples et dans les constructions focalisées. Chomsky (1994) propose une modification radicale de la théorie X-barre classique (Chomsky 1970, 1981), en permettant la projection de spécifieurs multiples pour une tête fonctionnelle donnée. Koizumi (1994, 1995) et les travaux subséquents (Richards 1997; Pesetsky 2000 entre autres) voient les questions multiples dans les langues slaves comme un indice empirique en faveur de cette hypothèse pour la projection CP. La présente thèse entend montrer que les constructions à déplacement multiple des syntagmes wh- du russe ne constituent en rien une évidence en faveur de cette hypothèse. Nous allons démontrer que ces constructions impliquent plutôt des projections fonctionnelles multiples associées chacune à un trait LF spécifié. Ceci explique indépendamment la liberté relative de l’ordre de mots dans la phrase russe.

Liakin 2003

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INTRODUCTION

Cette thèse est organisée autour d'une problématique centrale: l’étude de la structure de

phrase en russe, une langue indo-européenne du groupe slave oriental auquel

appartiennent l'ukrainien et le biélorusse, et qui est parlée par environ 160 millions de

locuteurs. Le russe est une langue reconnue par la liberté relative de l’ordre de mots, où

les valeurs communicatives interagissent avec les relations syntaxiques. Nous explorons

ces relations syntaxiques, ainsi que des raisons qui provoquent un changement d’ordre de

mots. Nous accordons une importance particulière au mouvement des syntagmes dans les

questions multiples et dans les constructions focalisées.

Chomsky (1994) propose une modification radicale de la théorie X-barre

classique (Chomsky 1970, 1981), en permettant la projection de spécifieurs multiples

pour une tête fonctionnelle donnée. Koizumi (1994, 1995) et les travaux subséquents

(Richards 1997; Pesetsky 2000 entre autres) voient les questions multiples dans les

langues slaves comme un indice empirique en faveur de cette hypothèse pour la

projection CP. La présente thèse entend montrer que les constructions à déplacement

multiple des syntagmes wh- du russe ne constituent en rien une évidence en faveur de

cette hypothèse. Nous allons démontrer que ces constructions impliquent plutôt des

projections fonctionnelles multiples associées chacune à un trait LF spécifié. Ceci

explique indépendamment la liberté relative de l’ordre de mots dans la phrase russe.

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Alors que le français permet seulement l’ordre SVO pour une phrase simple,

illustré en (1), le russe est plus flexible. Les phrases en (2) montrent trois permutations

d’ordre de mots possibles en russe:

(1) a. Les parents aiment les enfants. [SVO]

b. * Les parents les enfants aiment [SOV]

c. * Les enfants les parents aiment [OSV]

(2) a. Roditeli ljubjat detej. [SVO]

Parents-NOM aiment enfants-ACC

b. Roditeli detej ljubjat. [SOV]

Parents-NOM enfants-ACC aiment

c. Detej roditeli ljubjat. [OSV]

enfants-ACC parents-NOM aiment

‘Les parents aiment les enfants.’

En mettant de côté les facteurs pragmatiques, les phrases en (2) représentent la même

proposition. Étant donné que cette thèse se situe dans le cadre théorique de la grammaire

générative qui présuppose un ordre de mots de base commun pour une langue donnée,

nous devons déterminer cet ordre de base en russe et proposer une explication pour

chaque combinaison dérivée.

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Dans ce qui suit nous exposons les grandes lignes du cadre théorique et

présentons le plan de la thèse.

0.1. Le cadre théorique

Chomsky (1975) avance l’hypothèse que l’acquisition d’une grammaire par l’enfant est

biologiquement prédéterminée. L’enfant humain est équipé à la naissance d’un bio-

programme Langage qui le prédispose à l’acquisition d’une grammaire, tout comme le

système d’exploitation prédispose un ordinateur à recevoir un certain type de programme.

À la base de cette conception, Chomsky invoque d’abord des arguments d’ordre

biologique: l’acquisition d’une langue est une caractéristique de l’espèce humaine et

s’accomplit chez tous les humains au même âge et en un temps analogue, se stabilise à la

puberté et tout enfant est capable d’acquérir n’importe quelle langue naturelle. Chomsky

constate qu’à un certain niveau d’abstraction, toutes les grammaires de langues naturelles

se ressemblent. Il avance l’hypothèse que le bio-programme Langage, qu’il nomme

Grammaire Universelle, contient des instructions très précises contraignant la classe des

grammaires possibles. La tâche principale des linguistes théoriciens dans ce cadre est de

construire une théorie de la Grammaire Universelle qui est capable de saisir les propriétés

universelles de la langue. Cette théorie doit être assez flexible pour s’adapter aux

singularités de chaque langue, captées à travers des paramètres. Ainsi, les différences

entre les langues pourraient se réduire à un ensemble fini de choix binaires inscrits dans

la Grammaire Universelle. La théorie devrait produire des grammaires qui soient en

même temps faciles à étudier et adéquates du point de vue descriptif. C’est cette approche

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qui est à la base du Programme Minimaliste de Chomsky (1993, 1995, 2000, 2001), qui

constitue le cadre théorique de notre thèse et dont nous résumons les traits pertinents dans

la section qui suit.

0.1.1. Le Programme Minimaliste

0.1.1.1. Le modèle de la grammaire

Selon le Programme Minimaliste, la grammaire est composée d’un lexique et d’un

système computationnel. Le lexique spécifie les propriétés idiosyncrasiques des items

lexicaux et certaines de ces propriétés déterminent la structure syntaxique dans laquelle

l’item en question peut apparaître. Le système computationnel comprend seulement deux

opérations Fusion (Merge) et Attirer-F (Attract-F): l’opération Fusion prend deux objets

syntaxiques α et β et les combine en un nouvel objet, en projetant soit α soit

β; l’opération Attirer-F opère l’attraction des traits formels des catégories lexicales dans

le domaine de vérification d’une catégorie fonctionnelle. La structure résultante est

interprétée à deux niveaux dits “d’interface”: FP (Forme Phonologique) qui désigne

l’interface entre le système de la langue et le système cognitif “Perceptuel-Articulatoire”,

et FL (Forme Logique) qui désigne l’interface entre le système de la langue et le système

cognitif “Conceptuel-Intentionnel”. Nous schématisons ce modèle en (3):

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(3)

Lexique

Système computationnel

Épelle

Forme phonologique Forme logique FP FL

La condition d’Interprétabilité Complète stipule qu’il ne devrait y avoir de

symboles superflus dans une dérivation: tous les traits phonétiques s’interprètent en FP et

tous les traits sémantiques en FL. Le point à partir duquel il y a production d’une forme

phonologique a pour nom Épelle (Spell-Out), la dérivation continuant ensuite pour

donner la forme logique. Il n’y a donc plus d’accès possible au lexique après Épelle.

0.1.1.2. Le système computationnel

0.1.1.2.1. Fusion et l’hypothèse des spécifieurs multiples

Selon la théorie X-barre standard qui propose que la syntaxe interne de différents types

de syntagmes est unifiée (Chomsky 1970), une catégorie X projette trois niveaux: X (dit

aussi X-zéro), X’ (barre), et XP. Les constituants (projections maximales) sont définis sur

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la base de leur propre tête qui est une catégorie de rang minimal (verbe, nom, adjectif,

etc.). Cette tête peut être précédée et suivie par d’autres constituants:

(4) XP V Spécifeur X’ V Xº Complément

En (4) la tête Xº se combine avec un complément à sa droite et étend la structure à X’. X’

se combine avec un spécifieur à sa gauche, en formant ainsi XP, une catégorie maximale.

Ainsi, le schéma X-barre est un modèle abstrait exprimant une généralisation de la

composition interne des constituants syntaxiques. Chomsky (1986: 3) ne limite pas le

nombre de spécifieurs et de compléments mais il suggère, suivant Kayne (1984), que le

nombre devrait être probablement limité à zéro ou à un.

Dans le cadre Minimaliste (Chomsky 1995, 2000), les positions de spécifieur et

de complément ne sont pas automatiquement présentes avec l’insertion du X° dans la

dérivation: elles sont absentes sauf si elles sont créées par des exigences additionnelles

comme, par exemple, un verbe transitif, qui exige un complément, tandis qu’un verbe

intransitif ne l’exige pas.

Chomsky (1995: 245) remarque que la structure X-barre révisée n’exclut pas la

structure en (5), où il existe deux projections intermédiaires X’, d’où la possibilité de

deux spécifieurs:

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(5) XP V Spec1 X’ V Spec2 X’ V

X YP

Chomsky suppose qu’un trait [-interprétable] F de la tête Xº en (5) peut ne pas être

nécessairement effacé après sa vérification et peut, ainsi, participer dans la vérification

encore une fois dans le deuxième spécifieur.

0.1.1.2.2. Attirer-F (Accord) et interprétabilité des traits

Chomsky (1995) distingue plusieurs types de traits morphologiques (TM): les traits-phi

(le genre, la personne et le nombre), les traits casuels (ex. Accusatif, Nominatif) et les

traits catégoriels (V, N, D). La vérification des TMs s’effectue par l’attraction des

catégories lexicales dans le domaine de vérification d’une catégorie fonctionnelle et

s’accomplit si les traits de deux catégories sont identiques. Chomsky fait la distinction en

FL entre les traits qui sont [+interprétable] (traits catégoriels) et [-interprétable] (traits

casuels des arguments et des assignateurs de Cas). Si le TM est marqué [+interprétable],

alors il ne doit pas être vérifié pour la convergence, tandis que les TMs [-interprétable]

doivent être vérifiés et éliminés à FL. Tous les TMs des catégories fonctionnelles sont

[-interprétable] à FL et doivent y être vérifiés et éliminés. Une autre distinction est faite

concernant la force relative des TMs. Les traits forts doivent être vérifiés avant Épelle,

tandis que les TMs faibles sont vérifiés à FL. Seuls les TMs des catégories fonctionnelles

peuvent être forts.

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Comme nous avons mentionné, la montée des catégories lexicales dans le

domaine de vérification d’une catégorie fonctionnelle est réalisée par l’opération

Attirer-F qui est reliée aux notions de proximité et d’équidistance:

(6) Attract-F:

K attracts F if F is the closest feature that can enter into a checking relation with a

sublabel of K (Chomsky 1995: 297)

(7) Closeness

If β c-commands α and τ is the target of raising, then β is closer to K than α

unless β is in the same minimal domain as (a) τ or (b) α (Chomsky 1995: 356)

(8) Equidistance

γ and β are equidistant from α if γ and β are in the same minimal domain

(Chomsky 1995: 356)

Concernant les définitions en (7) et (8), Chomsky affirme que toutes les relations

entre les éléments doivent être “locales”. Il considère les relations spécifieur-tête et tête-

tête comme les configurations de base de la morphologie flexionnelle. Une notion

importante que l’auteur définit est celle de domaines de “localité” pour une tête ou une

chaîne: le domaine interne est son argument; le domaine de vérification est son spécifieur

et les adjoints. L’assignation des rôles-θ se fait dans le domaine interne, tandis que

l’assignation de cas est généralement faite dans le domaine de vérification. Ensemble, le

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domaine interne et le domaine de vérification forment le domaine minimal, la notion qui

est utilisée pour définir la distance du mouvement – toute position à l’intérieur du

domaine minimal est équidistante. Dans le cas du mouvement, la tête et la queue, toutes

les deux, sont considérées: le domaine minimal après le mouvement inclut les spécifieurs

de la tête et de la trace et ainsi, ils sont équidistants pour le mouvement.

Dans les derniers développements du Programme Minimaliste, Chomsky (2000,

2001) remplace l’opération Attirer-F par la relation Accord (Agree) qui poursuit le même

but : celui de l’élimination des traits non-interprétables de l’Investigateur (Probe) (tête

fonctionnelle) et de la Cible (Goal) (item lexical). Chomsky soutient qu'il existe trois

conditions pour que la relation Accord se tienne entre l’Investigateur et la Cible: la

relation structurale, l’activité et l’équivalence. La première condition, la relation

structurale, exige que la Cible soit c-commandée par l’Investigateur et qu'aucune autre

Cible potentielle n'intervienne entre eux (cette condition remplace la notion

d'équidistance). La deuxième condition, l'activité, signifie que l’Investigateur et la Cible

doivent être actives dans le sens qu'ils doivent avoir des traits non-interprétables. La

dernière condition, l'équivalence, stipule que les traits vérifiés doivent être identiques.

Ainsi, la vérification des traits est symétrique – les traits non-interprétables de

l’Investigateur et de la Cible doivent être vérifiés et effacés pour que la dérivation

converge.

0.1.1.2.3. Des ajustements à la théorie générale

Dans cette thèse nous poursuivons deux buts théoriques. Premièrement, nous adoptons un

modèle asymétrique de la vérification des traits. Nous suivons l’hypothèse de Ndayiragije

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(1998, 1999) qui remarque (1998: 68) qu’étant donné que la vérification des traits

morphologiques a lieu dans le domaine d’une catégorie fonctionnelle et

qu’indépendamment les traits morphologiques des catégories fonctionnelles sont

présumés [-interprétables], et donc doivent être vérifiés et éliminés, il devient superflu

d’exiger que les traits morphologiques des catégories lexicales soient vérifiés pour qu’il y

ait convergence. Ainsi nous affirmons que seuls les traits morphologiques des catégories

fonctionnelles requièrent d’être vérifiés pour qu’il y ait convergence.

Deuxièmement, nous soutenons que l’hypothèse des spécifieurs multiples n’a pas

d’appui empirique en russe et nous adoptons la structure X-barre standard qui présume un

spécifieur par projection. Cette approche s’inscrit dans le cadre de la Condition de la

Structure Non Ambiguë de Hale et Keyser (1993) et de l’Axiome de la Correspondance

Linéaire de Kayne (1994). Hale et Keyser (1993: 66–67), dans leur discussion de la

relation fixe entre les rôles thématiques et les positions syntaxiques, remarquent que la

théorie grammaticale exige que les projections soient non ambiguës. Chaque tête lexicale

X détermine une projection non ambiguë de sa catégorie et un arrangement non ambigu

de ses arguments comme spécifieurs et compléments. Ils considèrent la Condition de la

Structure Non Ambiguë comme celle qui interdit les projections intermédiaires multiples,

d’où l’interdiction des spécifieurs multiples. Kayne (1994) propose l’Axiome de la

Correspondance Linéaire selon laquelle la c-commande asymétrique impose l’ordre

linéaire des éléments terminaux, d’où l’existence de l’ordre universel Spécifieur-tête-

complément. Kayne (1994:22) souligne que la limitation sur les spécifieurs n’est pas

controversée et que sa dérivation est manifestement désirable.

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0.2. Le plan de la thèse

Cette thèse est organisée en quatre chapitres. Dans les deux premiers chapitres nous

procédons à une analyse de deux couches de la représentation structurale d’une phrase en

russe: la couche du complémenteur (le domaine CP) et la couche flexionnelle (le domaine

IP). Dans le Chapitre I, nous démontrons qu’en russe plusieurs faits suggèrent qu’on

puisse analyser le domaine CP comme un faisceau des catégories fonctionnelles qui sont

conformes à une organisation structurale stricte. Nous présentons une étude des

propriétés syntaxiques et des contraintes distributionnelles des éléments que l’on retrouve

dans la périphérie gauche en russe en analysant chaque projection fonctionnelle et les

éléments que celles-ci accueillent et nous proposons que le domaine CP en russe est

composé d’au moins six projections fonctionnelles: ForceP, TopP, IntP, FocP, ModP et

FinP.

Dans le Chapitre II, nous proposons que la structure de IP en russe contient cinq

projections fonctionnelles distinctes: TP, FocP, ClitP, ModP et NegP. Nous analysons des

arguments empiriques en faveur et contre l’éclatement de la tête Infl en deux projections

maximales AgrP et IP (suivant Pollock (1989)), en présentant une discussion du

problème de l’inventaire des catégories fonctionnelles, et nous en tirons la conclusion que

la projection IP en russe est à un niveau et, donc, ne doit pas être éclatée. Suivant Bailyn

(1995, 2001), nous démontrons également que le russe est une langue SVO sans montée

du verbe dans Infl. Nous soutenons que les possibilités d’avoir les ordres de mots OSV et

SOV sont réalisées par la focalisation de l’Objet soit dans le domaine CP (OSV) soit dans

le domaine IP (SOV). Nous discutons les raisons de la dérivation de l’ordre OVS et

mettons en question l’analyse de Bailyn (2001) qui, pour expliquer pourquoi un DP

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Nominatif ne monte pas toujours dans [Spec, IP], soutient que l’économie est calculée

localement, et que tous les arguments internes sont équidistants de la position du

spécifieur de IP. Nous démontrons que cette analyse est incapable d’expliquer certains

phénomènes reliés aux constructions en question et nous suggérons que l’ordre de mots

OVS en russe doit plutôt être relié à la topicalisation.

Dans le Chapitre III, nous démontrons qu’il existe deux possibilités syntaxiques

en russe pour focaliser un syntagme à partir d’une phrase déclarative neutre: une dans la

périphérie gauche et l’autre dans le domaine IP, entre TP et vP, contrairement aux

propositions de King (1995) qui affirme qu’il existe une seule position associée avec le

focus contrastif en russe (IP) et aussi contre celle de Junghanns et Zybatow (1995) et

Zybatow et Mehlhorn (1999) qui soutiennent qu’il n’y a aucune position dans la structure

de phrase qui pourrait être associée avec le focus contrastif. Selon notre hypothèse, les

deux positions de focus en russe accueillent les syntagmes contrastivement focalisés,

mais elles se distinguent à l’égard de l’exhaustivité. En nous basant sur deux tests

d’exhaustivité, celui de Szabolcsi (1981) et de Farkas (Kiss 1998, communication

personnelle), nous proposons que seule la tête Focº de la périphérie gauche peut attirer les

syntagmes focalisés exhaustifs. Nous explorons également le comportement des

syntagmes focalisés et des syntagmes wh-, et nous confirmons la relation présumée entre

le focus et les questions, ce qui permet aux syntagmes wh- de cibler les mêmes positions

dans la phrase que les éléments focalisés.

Dans le Chapitre IV, nous donnons des réponses aux trois questions qui entourent

la problématique et définissent un programme de recherche fructueux sur les langues à

déplacement multiple des syntagmes wh-: le problème de typologie des langues, la

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violation des Effets de Supériorité et la variation à l’intérieur des langues à déplacement

multiple des syntagmes wh-. Nous proposons une analyse alternative des questions

multiples en russe qui n’est pas uniquement reliée à la topicalisation ou à la focalisation

comme le suggèrent Stepanov (1997) et Strahov (2001), et nous soutenons que ce

phénomène en russe dépend des facteurs du discours. Nous démontrons que le

déplacement multiple des syntagmes wh- ne doit pas être éliminé de la typologie inter-

linguistique, contrairement à la proposition de Bošković (2002). Les critères qui

mettraient le russe dans le même groupe de langues comme le chinois et le japonais

s’appliquent également à d’autres langues à déplacement multiple des syntagmes wh-

comme le bulgare, le roumain et le serbo-croate, qui, selon la classification de Bošković,

font partie de deux groupes différents. Le chapitre se conclut par la proposition de garder

la typologie qui contient quatre principaux types de langues d’après la façon de placer les

syntagmes wh- dans la phrase. Par contre, nous proposons de sous-diviser le groupe des

langues à déplacement multiple des syntagmes wh- en fonction de la présence de la

catégorie fonctionnelle D-WhP dans la périphérie gauche de la proposition matrice ou

dans celle de l’enchâssée interrogative. Cette catégorie est reliée au discours et aux

intentions du locuteur: un des syntagmes wh- est plus important pour le locuteur que

d’autres et ce qui force son mouvement dans la position initiale de la phrase.

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CHAPITRE I LA STRUCTURE DE CP EN RUSSE

1.0. L’hypothèse de l’éclatement de CP: Rizzi (1997)

Rizzi (1997) affirme que la représentation structurale d’une phrase consiste en

trois couches: la couche lexicale, qui spécifie les propriétées théta du verbe; la couche

flexionnelle (IP), qui projette les spécifications morphologiques et est responsable de la

légitimisation des traits argumentaux comme le Cas et l’accord; la couche du

complémenteur (CP), est d’habitude dominée par un morphème fonctionnel libre (que,

that), et est responsable des éléments topicalisés, focalisés, les syntagmes wh-, les

pronoms relatifs, etc.

Dans son étude de la périphérie gauche (la couche CP), Rizzi (1997) propose

l’éclatement de CP en plusieurs projections fonctionnelles, étant donné que la tête unique

Cº n’est pas capable d’accommoder les contraintes distributionnelles des différents

opérateurs accueillis par la couche CP, comme par exemple le fait que les pronoms

relatifs en italien doivent précéder le Topique:

(1) a. Un uomo a cui, il premio Nobel, lo daranno senz’altro.

Un homme à qui le prix Nobel ils donneront sans doute

‘Un homme, auquel on donnera sans doute le prix Nobel.’

b. * Un uomo, il premio Nobel, a cui lo daranno senz’altro.

Un homme le prix Nobel à qui ils donneront sans doute

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Chacune des catégories fonctionnelles dans la couche CP correspond à un trait

spécifique: Force (ForceP), Topique (TopP), Focus (FocP) et Finité (FinP). La Force sert

d’interface entre la phrase enchâssée et la phrase principale, et indique qu’une phrase est

interrogative, assertive, exclamative, etc. Le Topique exprime une information connue,

tandis que le reste de la phrase introduit une information nouvelle; le Topique n’est pas

quantificationnel – il lie une constante nulle ou un pronom. Le Focus exprime une

information nouvelle et est quantificationnel – il lie une variable. La Finité exprime la

finité/non-finité de la phrase enchâssée. Rizzi (2001a, 2001b) ajoute à cette liste deux

autres catégories: Interrogativité (IntP) – une position, distincte du site d’atterrissage des

syntagmes wh-, et Modification (ModP) – une position compatible avec les traits de

manière, de mesure, etc, un site pour les adverbes qui montent en raison de la

modification de la structure à laquelle ils sont reliés. La linéarisation de ces projections

est représentée en (2) :

(2) [ Force Top Int Top Focus Top Mod Top Fin IP ]

Selon Rizzi, le Topique en italien est itératif et peut apparaître dans plusieurs

positions:

(3) a. Credo che a Gianni, QUESTO, domani, gli dovremmo dire

C Top Foc Top IP

crois que à Gianni cela demain nous devrions dire

‘Je crois que, à Gianni, demain, c’est ça, que nous devrions lui dire.’

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La phrase du russe en (4) montre qu’une seule projection CP ne peut pas rendre

compte de quatre éléments que l’on retrouve dans sa couche dans la proposition

enchâssée:

(4) On skazal, čto, Ivanu, etu knigu, vozmožno, oni

Il a dit que à Ivan-Top ce livre-Foc probablement ils

ne otdadut.

ne retourneront

‘Il a dit, qu’à Ivan, c’est ce livre, ils ne retourneront pas probablement.’

Dans ce chapitre nous démontrons qu’en russe tout semble suggérer une analyse

du domaine CP comme un faisceau des catégories fonctionnelles qui sont conformes à

une organisation structurale stricte. Nous présentons une étude des propriétés syntaxiques

et des contraintes distributives des éléments que l’on retrouve dans la périphérie gauche

de la phrase russe, en analysant chaque projection fonctionnelle et les éléments que

celles-ci accueillent. Nous retrouvons les mêmes six catégories fonctionnelles dans le

domaine CP en russe que celles de l’italien en (3) proposées par Rizzi. Mais, nous

démontrons, qu’à la différence de l’italien, le focus et les syntagmes wh- ne sont pas en

distribution complémentaire en russe, ce qui donne un statut spécial aux projections qui

les accueillent. Nous présenterons aussi des contraintes concernant l’itérativité des

Topiques. Par ailleurs, dans le Chapitre IV, l’analyse des propriétés des syntagmes wh-

nous permettra de proposer une septième projection qui est absente en italien et en

d’autres langues romanes.

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1.1. Éclatement de CP en russe

1.1.1. Force

Dans une phrase, le complémenteur identifie que celle-ci est une phrase déclarative,

relative, exclamative, interrogative, etc. Cheng (1991) appelle cette information – le type

de la phrase, ou, selon Chomsky (1995), – la spécification de Force. C’est cette dernière

définition que Rizzi adopte pour son système, en affirmant que CP doit avoir au sommet

une certaine spécification qui permet de faire au moins une distinction entre une phrase

déclarative et une phrase interrogative, qui est la Force de la phrase. En russe la Force est

représentée par la conjonction čto (que) et les pronoms relatifs que nous illustrons en (5)1:

(5) a. Ja dumaju, čto ty skoro pročitaeš etu knigu.

Je pense que tu bientôt liras ce livre

‘Je pense que tu liras bientôt ce livre.’

b. My posmotreli fil’m, kotoromu oni točno

nous avons regardé film auquel ils sûrement

dadut nagradu.

donneront prix

‘Nous avons regardé le film, auquel on attribuera sûrement un prix.’

1 Dans les exemples de ce chapitre nous mettons en gras italiques l’élément relié au titre de la section, et nous mettons en italiques les éléments auquels celui-ci est contrasté.

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L’analyse des propriétés distributives de la conjonction čto et des pronoms relatifs

à l’intérieur de leurs propositions enchâssées montre qu’aucun élément ne peut les

précéder en russe. L’agrammaticalité des phrases (6b) et (6d) confirme que les Topiques

ne peuvent pas précéder les éléments de Force.

(6) a. Ja dumaju, čto, moju knigu, ty eë pročitaeš.

Je pense que mon livre-Top tu PRON-3SG-ACC liras

‘Je pense que mon livre, tu le liras.’

b. * Ja dumaju, moju knigu, čto ty eë pročitaeš.

Je pense mon livre-Top que tu PRON-3SG-ACC liras

‘Je pense que ce livre, tu le liras.’

c. ? My posmotreli fil’m, kotoromu, nagradu, oni točno

nous avons regardé film auquel prix-Top ils sûrement

eë dadut.

la donneront

‘Nous avons regardé le film, auquel, le prix, on l’attribuera sûrement.’

d. * … fil’m, nagradu, kotoromu, oni eë točno dadut.

film prix-Top auquel ils la sûrement donneront

‘… le film, auquel, le prix, on l’attribuera sûrement.’

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De même, les syntagmes focalisés2 doivent suivre čto et le pronom relatif. Toute

tentative de les interchanger conduit à l’agrammaticalité de la phrase comme le montrent

les exemples (7b) et (7d).

(7) a. Ja dumaju, čto etu knigu ty skoro pročitaeš.

Je pense que ce livre-Foc tu bientôt liras

‘Je pense que c’est ce livre que tu liras (est non pas un autre).’

b. * Ja dumaju, etu knigu čto ty skoro pročitaeš.

Je pense ce livre-Foc que tu bientôt liras

‘Je pense que c’est ce livre que tu liras (est non pas un autre).’

c. … fil’m, kotoromu nagradu oni točno dadut.

film auquel prix-Foc ils sûrement donneront

‘Le film, auquel, c’est le prix (et rien d’autre) qu’on attribuera sûrement.’

d. * … fil’m, nagradu kotoromu, oni točno dadut.

film prix-Foc auquel ils sûrement donneront

‘Le film, auquel, c’est le prix (et rien d’autre) qu’on attribuera sûrement.’

Les syntagmes wh-, d-liés (8a–b) ou simples (8c–d), de nouveau, ne peuvent pas

précéder les éléments de Force, d’où, seules les phrases possibles sont celles en (8a) et

(8c): 2 Les synatgmes focalisées en russe sont accompagnées d’un contour intonationnel particulier

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(8) a. Ty skazal, čto kakuju knigu ty pročitaeš?

tu a dit que quel livre tu liras

‘Tu as dit que quel livre tu liras?’

b. * Ty skazal, kakuju knigu čto ty pročitaeš?

tu a dit quel livre que tu liras

‘Tu as dit que quel livre tu liras?’

c. … fil’m, kotoromu kakuju nagradu oni točno dadut.

film auquel quel prix ils sûrement donneront

‘Le film, auquel, quel prix on attribuera sûrement?’

d. * … fil’m, kakuju nagradu kotoromu oni točno dadut.

film quel prix auquel ils sûrement donneront

‘Le film, auquel, quel prix on attribuera sûrement?’

La distribution de la négation et des adverbes-modificateurs de phrase reconfirme

l’hypothèse que les éléments porteurs de la spécification de Force (les pronoms relatifs et

la conjonction čto) se trouvent le plus haut dans la hiérarchie du domaine CP.

Page 21: Liakin 2003

21

(9) a. … fil’m, kotoromu nikogda oni ne dadut nagradu.

film auquel jamais ils ne donneront prix

‘… le film, auquel jamais on n’attribuera un prix.’

b. ?* … fil’m, nikogda kotoromu oni ne dadut nagradu.

film jamais auquel ils ne donneront prix

‘… le film, auquel jamais on n’attribuera un prix.’

c. … fil’m, kotoromu vozmožno oni dadut nagradu.

film auquel probablement ils donneront prix

‘…le film, auquel, probablement, on attribuera sûrement un prix.’

d. * … fil’m, vozmožno kotoromu oni dadut nagradu.

film probablement auquel ils donneront prix

‘… le film, auquel, probablement, on attribuera sûrement un prix.’

e. Ja dumaju, čto, nikogda, ty ne pročitaeš etu knigu.

Je pense que jamais tu ne liras ce livre

‘Je pense que jamais tu ne liras ce livre.’

f. * Ja dumaju, nikogda čto ty ne pročitaeš etu knigu.

Je pense jamais que tu ne liras ce livre

‘Je pense que jamais tu ne liras ce livre.’

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22

g. Ja dumaju, čto, vozmožno, ty ne pročitaeš etu knigu.

Je pense que probablement tu ne liras ce livre

‘Je pense que probablement tu ne liras pas ce livre.’

h. * Ja dumaju, vozmožno, čto ty ne pročitaeš etu knigu.

Je pense possiblement que tu ne liras ce livre

‘Je pense que probablement tu ne liras pas ce livre.’

Les données en (5)–(9) montrent que la position occupée par la conjonction čto et

les pronoms relatifs est distincte3 de celle d’autres éléments que l’on retrouve

traditionnellement dans le domaine de CP et, suivant Rizzi (1997), nous proposons qu’ils

appartiennent à la catégorie fonctionnelle ForceP. Nous résumons notre conclusion en

(10):

(10) ForceP > (Topique ou Wh- ou Focus ou Adverbe) čto ou Op relatif

1.1.2. Topique

Prince (1981a) remarque que la notion du topique a autant de définitions qu’il y a de

linguistes qui en traitent, bien qu’en général il soit défini comme ce dont il s’agit dans la

phrase. Selon van Dijk (1977), une distinction importante doit être faite entre le topique

3 Les pronoms relatifs et la conjonction čto ne peuvent jamais apparaître dans la même phrase et, ainsi, ils sont en distribution complémentaire, un arguments de plus qu’ils occupent la même position.

Page 23: Liakin 2003

23

discursif et le topique phrastique. Ainsi, dans l’énonciation en (11), le topique phrastique

est Nicolas, tandis que la force de Nicolas est le topique discursif:

(11) Nicolas, il est un garçon ordinaire, mais sa force physique est impressionnante.

Dans ce chapitre nous utilisons la notion du topique phrastique étant donné que

nous analysons la structure de phrase. Comme définition, nous utilisons la définition

classique de Hockett (1958: 201): “The most general characteristic of predicative

constructions is suggested by the terms ‘topic’ and ‘comment’ for their ICs [immediate

constituents]: the speaker announces a topic and then says something about it”.

La topicalisation est assez fréquente en russe. Elle se réalise par le détachement

intonatif d'un groupe nominal ou tout autre syntagme initial, repris par un argument nul

ou un pronom explicite (cette reprise étant optionnelle) dans la phrase. La topicalisation

consiste à rappeler où établir ce dont on va dire quelque chose (le topique). Le topique en

russe est exprimé par deux moyens principaux: une adjonction à la base4, comme en

(12a) ou par une construction syntaxique spéciale qui implique toute une phrase

contenant l’élément topicalisé comme en (12b):

4 Nous supposons que le topique est généré à la base dans sa positon de surface en russe, étant donné qu’il n’est pas sensible aux îlots, comme on voit dans l’exemple en (i) où le topique appartient à une enchâssée qui est un îlot adjoint: (i) Knigi, Ivan nam skažet, esli ty (ih) prinesëš. Livres-Top Ivan nous dira si tu les apporteras ‘Les livres, Ivan nous dira si tu les apporteras.’

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24

(12) a. Knigu, on (eë) pročital.

Livre-Top il PRON-3SG-ACC a lu

‘Le livre, il l’a lu.’

b. Esli govorit’ o knige, on (eë) pročital.

si parler de livre il PRON-3SG-ACC a lu

‘En ce qui concerne le livre, il l’a lu.’

Le syntagme topicalisé occupe en général la position initiale de la phrase sauf

dans les cas où il est précédé par la conjonction čto ou un opérateur relatif comme dans

les exemples en (6) de la section 1.1.1. Tout autre syntagme doit suivre le Topique,

comme les syntagmes wh- dans les exemples en (13), la phrase en (13a) étant une phrase

interrogative neutre.

(13) a. Komu oni dadut nagradu?

à qui ils donneront prix

‘A qui on attribuera le prix?’

b. * Komu, nagradu, oni eë dadut?

à qui prix-Top ils PRON-3SG-ACC donneront

‘Le prix, à qui on l’attribuera?’

Page 25: Liakin 2003

25

c. Nagradu, komu oni eë dadut?

prix-Top à qui ils PRON-3SG-ACC donneront

‘Le prix, à qui on l’attribuera?’

L’agrammaticalité de la phrase en (13b) découle du fait que le Topique en russe

doit précéder les syntagmes wh-. Le même résultat distributif s’applique aux syntagmes

focalisés qui sont aberrants dans une position pré-topique, ce que nous illustrons dans le

phrases en (14):

(14) a. * Etomu fil’mu, nagradu, oni eë dadut.

à ce film-Foc prix-Top ils PRON-3SG-ACC donneront

‘Le prix, c’est à ce film qu’on l’attribuera (et à aucun autre)’

b. Nagradu, etomu fil’mu oni eë dadut.

prix-Top à ce film-Foc ils PRON-3SG-ACC donneront

‘Le prix, c’est à ce film qu’on l’attribuera (et à aucun autre).’

La négation et les adverbes-modificateurs, comme attendu, doivent également

suivre le Topique, d’où l’agrammaticalité des phrases en (15a) et (15c).

(15) a. * Nikogda, nagradu, oni eë ne dadut etomu fil’mu.

jamais prix–Top ils PRON-3SG-ACC ne donneront à ce film

‘Le prix, jamais on ne l’attribuera à ce film.’

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26

b. Nagradu, nikogda oni eë ne dadut etomu fil’mu.

prix-Top jamais ils PRON-3SG-ACC ne donneront à ce film

‘Le prix, jamais on ne l’attribuera à ce film.’

c. * Vozmožno, nagradu, oni eë dadut etomu fil’mu.

probablement prix-Top ils PRON-3SG-ACC donneront à ce film

‘Le prix, probablement, on l’attribuera à ce film.’

d. Nagradu, vozmožno oni eë dadut etomu fil’mu.

prix-Top probablement ils PRON-3SG-ACC donneront à ce film

‘Le prix, probablement, on l’attribuera à ce film?’

Rizzi (1997) soutient que le Topique en italien est itératif et peut apparaître dans quatre

positions. Les données du russe présentées dans cette section nous démontrent que le

Topique doit suivre les éléments de Force et précéder tous les autres éléments (focus,

wh-, adverbes, etc.). Mais il existe une contrainte distributionnelle qui nous permet de

dire que le Topique est également itératif en russe – un Topique peut rompre une

séquence des syntagmes wh- (mais comme nous avons vu en (13b), il ne peut pas suivre

un syntagme wh-):

Page 27: Liakin 2003

27

(16) Kto Ivanu čto podarit na den’ roždenija?

Qui à Ivan-Top quoi offrira pour anniversaire

‘À Ivan, qui offrira quoi pour son anniversaire?’

Ainsi, à la différence de quatre positions du Topique en italien (Rizzi 1997), nous

retrouvons en russe seulement deux positions pour les Topiques dans la périphérie

gauche, ce qui nous permet de parler de semi-itérativité du Topique en russe. La

distribution du Topique par rapport aux autres éléments dans la couche CP nous mène à

la structure en (17), où le Topique peut être précédé par un élément de Force et être suivi

d’un élément quantificationnel (avec la possibilité de rompre la séquence des syntagmes

wh-):

(17) ForceP >TopP > Wh > TopP > (Wh ou Focus ou Adverbe)

1.1.3. Focus

Rizzi (1997: 298) remarque qu’en italien un syntagme wh- et un syntagme focalisé sont

incompatibles, en l’illustrant par ses exemples en (45) que nous reprenons en (18) :

(18) a. *A chi il Premio Nobel dovrebbero dare?

À qui le Prix Nobel-Foc devraient-ils donner

‘A qui devraient-ils donner le Prix Nobel (et rien d’autre)?’

Page 28: Liakin 2003

28

b. * Il Premio Nobel a chi dovrebbero dare?

Le Prix Nobel-Foc à qui devraient-ils donner

Pour expliquer cette incompatibilité, Rizzi propose que les syntagmes wh-

montent dans [Spec, FocP]. Puisque les éléments focalisés et les syntagmes wh- se

disputent la même position, ils ne peuvent pas être cooccurents.

En russe, au contraire, ces deux types de syntagmes peuvent être cooccurents et

ont un ordre libre entre eux (19a–b), même si certains locuteurs les trouvent moins

acceptables:

(19) a. ? Komu nagradu oni dadut?

À qui prix-Foc ils donneront

‘A qui est-ce qu’ils donneront le prix (et rien d’autre)?’

b. ? Nagradu komu oni dadut?

prix-Foc à qui ils donneront

‘A qui est-ce qu’ils donneront le prix (et rien d’autre)?’

Nous croyons que la possibilité d’avoir un syntagme wh- et un DP focalisé dans la

même phrase en russe est due au fait qu’un syntagme wh- est considéré par sa nature

porteur du trait [focus] (Horvath 1986; Stjepanović 1995; Bošković 1998). Par ailleurs,

comme nous l’avons vu dans la section précédente, le russe permet d’avoir plusieurs

syntagmes wh- dans la périphérie gauche, ce qui pourrait expliquer le contraste entre le

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29

russe (20a) et l’italien (20b–c) (Anna Moro, communication personnelle) concernant la

cooccurrence de deux types de syntagmes:

(20) a. Komu čto oni dadut? [russe]

À qui quoi ils donneront

‘Qu’est-ce qu’ils donneront à qui?’

b. * A chi che daranno? [italien]

À qui quoi donneront

‘Qu’est-ce qu’ils donneront à qui?’

c. * Che a chi daranno? [italien]

quoi à qui donneront

Nous reviendrons aux syntagmes focalisés et les syntagmes wh- plus en détail

dans les Chapitres III et IV qui seront consacrés à la focalisation et au mouvement wh-

respectivement.

1.1.4. Interrogativité

Rizzi (2001) propose de faire une distinction entre la position des conjonctions che ‘que’

(déclarative) et se ‘si’ (interrogative) en italien. En se basant sur leurs propriétés

distributives, Rizzi affirme que che est un marqueur de Force tandis que se est un

marqueur d’interrogativité et doit être inséré dans la position, qu’il propose d’appeler

Page 30: Liakin 2003

30

Intº (Interrogativité), entre le Topique et le Focus. C’est le fait que che doit précéder le

Topique (21) et si peut le suivre (22a) ou le précéder (22b) qui permet à Rizzi de tirer

cette conclusion:

(21) a. Credo che à Gianni, avrebbero dovuto dirgli la verità.

Crois que à Gianni auraient dû dire la vérité

‘Je crois qu’à Gianni, ils auraient dû lui dire la vérité.’

b. * Credo, à Gianni, che, avrebbero dovuto dirgli la verità.

Crois à Gianni que auraient dû dire la vérité

(22) a. Non so se, à Gianni, avrebbero dovuto dirgli la verità.

Non sais si à Gianni auraient dû dire la vérité

‘Je ne sais pas si, à Gianni, ils auraient dû dire la vérité.’

b. Non so, à Gianni, se avrebbero dovuto dirgli la verità.

Non sais à Gianni si auraient dû dire la vérité

En ce qui concerne le russe, deux éléments enclitiques nous permettent de parler

de l’interrogativité dans cette langue – le clitique interrogative li et le clitique že qui est

un marquer de focus contrastif ou d’une question non-résolue dans le discours. Leur

distribution dans la phrase par rapport aux autres éléments suggère qu’en russe il y a une

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31

raison de postuler une projection fonctionnelle IntP. Nous empruntons ce nom de Rizzi

(2001).

1.1.4.1. Le clitique interrogatif li

Toute phrase enchâssée à temps fini en russe doit avoir Cº ou la position [Spec, CP]

remplie. À la différence de l’anglais, le complémenteur ne peut pas être effacé.

(23) a. Oni znajut, *(čto) ja priexal.

Ils savent que je suis arrivé

‘Ils savent que je suis arrivé.’

b. They know (that) I arrived.

La phrase en (23a) montre que les complémenteurs sont obligatoires dans les phrases

enchâssées à temps fini. Quand čto est effacé, la phrase devient agrammaticale. La phrase

en (24) est un exemple d’une question enchâssée qui commence par un syntagme wh-

dans [Spec, CP]. Si le syntagme wh- occupe une autre position dans la phrase (24b), la

phrase devient agrammaticale:

(24) a. Oni znajut, kogda ja priexal.

Ils savent quand je suis arrivé

‘Ils savent quand je suis arrivé.’

Page 32: Liakin 2003

32

b. * Oni znajut, ja priexal kogda.

Ils savent je suis arrivé quand

Le contraste entre (25b) et (25c–e) montre que li ne peut pas apparaître au début

de la phrase et doit avoir un hôte syntaxique à sa gauche.

(25) a. On kupil rubašku.

Il a acheté chemise

‘Il a acheté une chemise.’

b. Rubašku li on kupil?5

chemise-Foc CL-INT il a acheté

‘Est-ce une chemise qu’il a achetée? (ou peut-être un complet?)’

c. * Li rubašku on kupil.

CL-INT chemise il a acheté

‘Est-ce une chemise qu’il a achetée? (ou peut-être un complet?)’

d. * Li on kupil rubašku.

CL-INT il a acheté chemise

‘Est-ce lui qui a acheté une chemise? (ou quelqu’un d’autre?)’

5 Une question neutre avec le clitique li sans le focus sur l’élément questionné est agrammaticale: (i) * On li kupil rubašku? Il CL-INT a acheté chemise ‘Est-ce qu’il a achetée une chemise?

Page 33: Liakin 2003

33

e. * Li kupil on rubašku?

CL-INT a acheté il chemise

‘A-t-il acheté une chemise?’

Il existe deux façons de poser les questions totales en russe: soit changer

l’intonation de la phrase déclarative correspondante, comme en (26), soit employer le

clitique li précédé par un élément questionné comme en (27a–b).

(26) On kupil knigu? (avec une intonation appropriée)6

Il a acheté livre

‘A-t-il acheté un livre?’

(27) a. Knigu li on kupil?

Livre CL-INT il a acheté

‘Est-ce un livre qu’il a acheté?’

b. On li kupil knigu?

il CL-INT a acheté livre

‘Est-ce lui qui a acheté un livre?’

c. Kupil li on knigu?

a acheté CL-INT il livre

‘Est-ce qu’il a acheté un livre?’ 6 Tout changement de l’ordre de mots fait perdre la lecture neutre de la question.

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34

Pourtant, dans les questions totales enchâssées le clitique est toujours obligatoire:

(28) a. Oni ne znajut, knigu li on kupil.

ils ne savent livre CL-INT il a acheté

‘Ils ne savent pas si c’est le livre qu’il a acheté’

b. Oni ne znajut, on li kupil knigu.

ils ne savent il CL-INT a acheté livre

‘Ils ne savent pas si c’est lui qui a acheté le livre’

c. * Oni ne znajut, knigu on kupil?

ils ne savent livre il a acheté

d. * Oni ne znajut, on kupil knigu?

ils ne savent il a acheté livre

Les phrases en (28a–b) sont des questions enchâssées totales bien formées. Le DP objet

direct (28a) ou le DP sujet (28b) sont dans la position initiale de la phrase et sont suivis

du clitique li. Pourtant, si l’enclitique n’apparaît pas dans la phrase enchâssée, la phrase

est agrammaticale, peu importe l’ordre de mots ou l’intonation, comme en (28c) et (28d).

Puisque li légitime les phrases à interrogation totale directe et indirecte, nous

concluons que l’enclitique li doit être dans Cº.

Page 35: Liakin 2003

35

Étant donné que nous proposons pour le russe l’éclatement de CP en plusieurs

projections fonctionnelles, dans ce qui suit, nous argumentons en faveur de la projection

IntP, dont li occupe la position de tête.

En (29b–d) nous présentons les questions possibles à la déclaration en (29a).

Nous donnons l’explication du contexte de chaque question qui permet de mieux saisir la

situation du discours:

(29) a. On kupil krasnuju rubašku.

Il a acheté rouge chemise

‘Il a acheté une chemise rouge.’

b. Krasnuju rubašku li on kupil?7

rouge chemise CL-INT il a acheté

‘Est-ce une chemise rouge qu’il a achetée? (ou peut-être un complet?)’

Situation: la couleur n’a aucune importance pour celui qui pose la

question, c’est l’objet même qui l’intéresse

7 Franks et King (2000: 189) affirment qu’une phrase comme celle en (29b) devrait être agrammaticale puisqu’ils présument que li doit suivre le premier mot prosodique de la phrase comme dans l’exemple en (29c). Mais pour les locuteurs natifs du russe cette phrase est parfaitement acceptable comme la réplique à l’affirmation (29a) dans le contexte où le locuteur a des doutes concernant l’objet en entier (la chemise même) et non pas concernant la couleur de cette chemise et où (29b) est équivalent de (i): (i) Rubašku li on kupil? chemise CL-INT il a acheté ‘Est-ce une chemise qu’il a achetée? (ou peut être un complet?)’ Ainsi, li aurait comme hôte syntaxique à sa gauche non pas un mot prosodique, mais un syntagme.

Page 36: Liakin 2003

36

c. Krasnuju li rubašku on kupil?

rouge CL-INT chemise il a acheté

‘Est-ce une chemise rouge qu’il a achetée? (ou un t-shirt?)’

Situation: C’est toujours l’objet même qui intéresse celui qui pose la

question, mais il essaye d’en détacher une nuance de couleur

d. Krasnuju li on kupil rubašku?

rouge CL-INT il a acheté chemise

‘Est-ce une chemise rouge qu’il a achetée?’

Situation: Celui qui pose la question a des doutes concernant la couleur

e. *? Rubašku li krasnuju on kupil?

chemise CL-INT rouge il a acheté

f. *? Rubašku li on kupil krasnuju?

chemise CL-INT il a acheté rouge

Nous proposons que les phrases (29b–d) auront la représentation arborescente du

domaine CP en (30) où la projection fonctionnelle IntP, avec le clitique li dans sa position

de tête, domine la projection fonctionnelle FocP:

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37

(30) IntP V

Int’ V Int FocP li V Foc’ V Foc TP V …

En (29b) le DP krasnuju rubašku est focalisé et monte dans [Spec, FocP] pour vérifier le

trait [+focus] de Focº et est par suite attiré dans [Spec, IntP]. Nous n’avons pas de preuve

que le DP en question monte directement dans [Spec, IntP]. Si c’était le cas, la phrase

(29c) serait agrammaticale, mais celle-ci est bien formée. Par ailleurs, si le clitique li est

absent dans la phrase, le DP krasnuju rubašku est permis dans la périphérie gauche

seulement s’il est focalisé (31) ou topicalisé:

(31) Krasnuju rubašku on kupil?

rouge chemise-Foc il a acheté

‘C’est une chemise rouge qu’il a achetée? (et rien d’autre)’

Ainsi, en (29b) tout le DP krasnuju rubašku est questionné, en même temps il est

focalisé. En (29c) une partie du DP est questionnée (krasnuju); en même temps tout le DP

nie la valeur assignée à la variable dans la spécification du contexte et est focalisé. Tandis

qu’en (29d) aucune valeur n’est niée, la couleur n’est pas focalisée – elle est juste

questionnée.

Page 38: Liakin 2003

38

Selon ces observations, la projection IntP se trouve plus haut que FocP, mais plus

bas que TopP, étant donné que le Topique dans la phrase doit précéder tout élément dans

la position [Spec, IntP], ce que nous illustrons dans les exemples en (32):

(32) a. Ivan, krasnuju rubašku li on kupil.

Ivan-Top rouge chemise CL-INT il a acheté

‘Ivan, est-ce une chemise rouge qu’il a achetée?’

b. Ivan, krasnuju li rubašku on kupil.

Ivan-Top, rouge CL-INT chemise il a acheté

c. * Krasnuju rubašku li, Ivan, on kupil.

rouge chemise CL-INT Ivan il a acheté

Nous illustrons la dérivation partielle de la phrase (32a) en (33):

(33) TopP V

Ivan Top’ V Top IntP V krasnuju rubašku i Int’ V Int FocP li V ti Foc’ V Foc TP V …

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39

1.1.4.1.1. Rudin, King et Izvorski (1996)

Rudin, King et Izvorski (1996) proposent que li se trouve dans Cº et est une réalisation

lexicale du trait [+Q] (=[+interrogatif]) et, optionnellement, du trait [+F] (=[+focus]).

Selon eux, l’optionalité du trait [+F] est due au fait qu’en précédant li le verbe peut avoir

deux lectures: neutre (34a) et focalisée (34b) (= (17a–b) de Rudin, King et Izvorski

1996: 217):

(34) a. Oni sprosili, [ušël] li Ivan včera.

Ils ont demandé est parti Q Ivan hier

‘Ils ont demandé si Ivan était parti hier.’

b. Oni sprosili, [UŠËL]F li Ivan včera.

Ils ont demandé est parti Q Ivan hier

‘Ils ont demandé si Ivan était [parti]F hier.’

Comme nous avons suggéré dans la section précédente, le clitique li se trouve dans Intº et

que la projection fonctionnelle IntP domine FocP. De façon intéressante, un élément

focalisé peut suivre li si celui-ci est précédé par un verbe ayant une lecture neutre en

(35a), mais il est agrammatical en (35b) où li est précédé par un verbe focalisé:

(35) a. Oni sprosili, ušël li v kino Ivan.

Ils ont demandé est parti CL-INT à cinéma-Foc Ivan

‘Ils ont demandé si c’était au cinéma qu’Ivan était parti (et pas ailleurs).’

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40

b. * Oni sprosili, UŠËL li v kino Ivan.

Ils ont demandé est parti-Foc CL-INT à cinéma-Foc Ivan

Les phrases en (35) nous démontrent que la position de spécifieur de IntP est un site des

éléments questionnés et que tout élément focalisé dans cette position monte d’abord dans

[Spec, FocP] pour vérifier le trait [focus] fort de Focº et par la suite il est attiré dans

[Spec, IntP] pour vérifier le trait [interrogativité] de Intº. Ainsi, l’analyse qui propose

l’éclatement de CP en plusieurs projections fonctionnelles permet de rendre compte de

l’optionalité du trait [+focus] du syntagme qui précède le clitique li que Rudin, King et

Izvorski (1996) attribue à la tête Cº.

1.1.4.2. L’enclitique že

Un argument en faveur de deux projections distinctes (IntP et FocP) est donné par

l’enclitique že (marqueur du focus contrastif ou marqueur d’insistance), qui, selon nous,

peut occuper deux positions: celle de Intº et celle de Focº.

McCoy (2001) considère deux principales fonctions de že: premièrement že est un

enclitique d’un élément marqué par le trait [contrastif], et deuxièmement, il renvoie à un

élément saillant ou une question non-résolue dans le discours. Že peut être précédé par un

élément focalisé (36a) ou un syntagme wh- (36c) et ne peut jamais apparaître dans la

position initiale de la phrase comme illustré dans les exemples (36b) et (36d):

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41

(36) a. Knigu že on kupil.

Livre en fait il a acheté

‘C’est en fait le livre qu’il a acheté. (et rien d’autre)

b. * Že knigu on kupil.

en fait livre il a acheté

c. Kuda že on poexal?

Où en fait il est partie

‘Où, en fait, est-il parti?

d. * Že kuda on poexal?

en fait où il est partie

Nous proposons que dans une phrase déclarative že est dans Focº (36a), tandis que dans

une phrase interrogative (36c) že est dans Intº. Cette analyse de že nous permet

d’expliquer le contraste entre (37a) et (37b). Quand la phrase contient un syntagme wh-

(kuda) et un syntagme focalisé (knigu), le seul ordre possible est celui en (37a): syntagme

-wh že syntagme focalisé. En d’autre mots, quand že est présent dans la phrase et la

phrase est déclarative, il occupe la position de Focº, mais si la phrase est interrogative že

est dans Intº et seul le syntagme wh- est capable d’occuper la position de [Spec, IntP].

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42

(37) a. Kuda že knigu on položil?

Où CL-INT livre il a mis

‘Où, en fait, il a mis le livre? (et non pas le cahier)’

b. * Knigu že kuda on položil?

Livre clit où il a mis

L’agrammaticalité de (38), où le syntagme focalisé précède le syntagme wh-, montre que

IntP se trouve plus haut que FocP.

(38) * Knigu kuda že on položil?

livre où clit il a mis

‘Où, en fait, il a mis le livre? (et non pas le cahier)’

1.1.4.3. Že et li comme têtes fonctionnelles

Nous proposons que ces deux clitiques occupent les positions de têtes fonctionnelles.

Suivant notre discussion dans 1.1.4.1, le clitique li occupe la position Intº. Le clitique že,

par contre, peut occuper deux positions: celle de Intº (si la phrase est interrogative) en

distribution complémentaire avec li et celle de Focº (si la phrase est déclarative). Comme

premier argument en faveur de la position de tête de ces clitiques, nous prenons la

propriété syntaxique de ces éléments d’avoir un hôte syntaxique à leur gauche. En (25b)

et (36b,d) nous avons démontré que li et že ne peuvent pas apparaître dans la position

Page 43: Liakin 2003

43

initiale de la phrase, ce qui indique qu’ils ne peuvent apparaître dans la position de

spécifieur d’une tête fonctionnelle, tandis que le syntagme qui précède ces clitiques est

dans le spécifieur de la projection fonctionnelle (IntP ou FocP) dont li et že occupent la

position de tête.

Il existe trois tests standards pour déterminer si un clitique est dans la position de

spécifieur ou dans la position de tête – la modification, la coordination et l’isolation

(Kayne 1975; Baltin 1982). Si l’élément peut être modifié par un autre, alors il est dans le

Spec, sinon il occupe la position de tête (39). Le deuxième test, celui de coordination dit

que si un élément peut se trouver dans une construction coordonnée, alors il est dans le

Spec (40). Selon le test de l’isolation, si l’élément peut apparaître tout seul dans la phrase

alors il n’est pas une tête (41). Les tests sont de Kayne (1975)8, mais les exemples sont

modifiés:

(39) a. N’interroge qu'eux deux

b. Interroge-les (*deux)

(40) a. Interroge Jean et Marie

b. Interroge-le (*et la)

(41) Q Qui as-tu vu?

A Lui/*Le

8 Il est à noter que les tests de Kayne s’appliquent à des clitiques pronominaux. Même si že et li ne sont pas des clitiques pronominaux, les tests nous permettent de démontrer clairement leur comportement.

Page 44: Liakin 2003

44

Les deux clitiques russes ne peuvent être modifiés par aucun élément (42), ne

peuvent pas se trouver dans une construction coordonnée avec un autre clitique ou tout

autre élément (43), et ne peuvent pas apparaître en isolation (44). Ces exemples sont très

aberrants, et il est même très difficile de penser aux contextes possibles d’application de

ces tests, ce qui confirme l’hypothèse que les deux clitiques occupent les positions de

têtes fonctionnelles.

(42) a. Knigu (*eto) li (*eto) on kupil?

Livre (*ce) CL-INT (*ce) il a acheté

b. Knigu (*eto) že (*eto) on kupil.

Livre (*ce) že (*ce) il a acheté

(43) a. Knigu li (*i že) on kupil?

Livre CL-INT et že il a acheté

b. Knigu že (*i li) on kupil.

Livre že et CL-INT il a acheté

(44) Q Kuda on idët?

Où il va

‘Où va-t-il?’

A *Li/*Že

Page 45: Liakin 2003

45

La distribution des clitiques li et že par rapport à d’autres éléments dans la phrase nous

amène à la structure en (45):

(45) Force > Topique > IntP > FocP

1.1.5. Position des adverbes: Modification

Rizzi (2001a), en révision de Rizzi (1997), remarque qu’il existe quatre types de traits

syntaxiques: argumentaux (personne, nombre, cas, genre), quantificationnels (wh-,

négation, focus etc.), modificateurs (évaluatif, épistémique, de mesure, de manière etc.) et

le topique. Il propose de réunir tous les traits qui légitiment les adverbes sous la tête

Modification (Mod), la position dans laquelle les adverbes se déplacent pour une raison

autre que la focalisation ou la topicalisation.

Nous proposons qu’en russe les adverbes apparaissent dans la périphérie gauche

pour trois raisons: la focalisation, la topicalisation et la modification qui est une relation

substantive entre l’adverbe et la structure à laquelle il est relié.

Les exemples en (46) illustrent le comportement de l’adverbe célératif bystro

(rapidement) quand il apparaît dans la même phrase avec un adverbe épistémique

vozmožno (probablement) (46a–d) et quand il apparaît tous seul (46e). Le contraste entre

les phrases (46c) et (46e) montre que l’adverbe bystro peut monter dans la périphérie

gauche quand il est le seul adverbe dans la phrase (46e), mais que sa montée est bloquée

par un adverbe épistémique dans (46c).

Page 46: Liakin 2003

46

(46) a. Mal’čik vozmožno bystro našël rešenie.

Garçon probablement rapidement a trouvé solution.

‘Le garçon a probablement vite trouvé la solution.’

b. * Mal’čik bystro vozmožno našël rešenie.

Garçon rapidement probablement a trouvé solution.

c. * Bystro, mal’čik vozmožno našël rešenie.

rapidement garçon probablement a trouvé solution.

* ‘Vite, le garçon a probablement trouvé la solution.’

d. Vozmožno, mal’čik bystro našël rešenie.

probablement garçon rapidement a trouvé solution.

‘Probablement, le garçon a vite trouvé la solution.’

e. Bystro, mal’čik našël rešenie.

rapidement garçon a trouvé solution.

‘Vite, le garçon a trouvé la solution.’

La phrase en (46c) devient grammaticale si l’adverbe bystro est focalisé (47).

Dans ce cas, le deuxième adverbe ne bloque pas la montée de l’adverbe célératif:

(47) Bystro, mal’čik vozmožno našël rešenie.

Rapidement-Foc garçon probablement a trouvé solution.

‘Vite, le garçon a probablement trouvé la solution’ (et non pas lentement).

Page 47: Liakin 2003

47

Les données en (46)–(47) nous indiquent qu’en (46e) et (47), l’adverbe bystro apparaît

dans deux positions différentes: FocP quand il est focalisé (47), et ModP (suivant le

modèle de Rizzi) quand il monte pour la raison de modification de la structure à laquelle

il est relié. La distribution des syntagmes wh- par rapport à l’adverbe bystro suggère que

ModP est situé plus bas que FocP, étant donné que l’adverbe bystro ne peut pas précéder

le syntagme wh- dans une phrase interrogative, d’où la non-acceptabilité de la phrase en

(48b):

(48) a. Čto bystro mal’čik našël?

Quoi rapidement garçon a trouvé.

‘Qu’est-ce que le garçon a vite trouvé?’

b. * Bystro čto mal’čik našël?

rapidement quoi garçon a trouvé.

‘Qu’est-ce que le garçon a vite trouvé?’

Comme nous avons mentionné, les adverbes peuvent être également topicalisés en

russe. Le même adverbe bystro est topicalisé en (49b) suivant la situation dans la phrase

en (49a):

(49) a. Vse dumali, čto my bystro rešili problemu, no …

tous pensaient que nous vite avons résolu problème mais

‘Tout le monde a pensé que nous avons vite résolu le problème, mais ….

Page 48: Liakin 2003

48

b. Bystro, my eë ne rešili.

Vite-Top nous la nég avons résolu

‘Vite, nous ne l’avons pas résolu.’

Étant donné notre discussion des syntagmes topicalisés dans la section 1.1.2, la montée

de l’adverbe topicalisé ne devrait pas être bloquée par un syntagme focalisé ou un

syntagme wh-; la présence d’un adverbe épistémique n’empêcherait pas la montée de

l’adverbe en question non plus. Les phrases en (50) illustrent cette prédiction:

(50) a. Bystro, tol’ko ja eë rešu.

Rapidement-Top seulement moi-Foc la résoudrai

‘Vite, seulement moi la résoudrai (et personne d’autre).’

b. Bystro, kto eë rešit?

Rapidement-Top qui la résoudra

‘Vite, qui la résoudra?’

c. Bystro, my vozmožno eë ne rešim.

Rapidement-Top nous probablement la nég résoudrons

‘Vite, nous ne le résoudrons pas probablement.’

Ainsi, nous distinguons trois positions pour les adverbes dans la couche CP: TopP – pour

les adverbes topicalisés, FocP – pour les adverbes focalisés et ModP – pour les adverbes

Page 49: Liakin 2003

49

qui montent en raison de la modification de la structure. Ceci nous amène à la structure

de la périphérie gauche en (51):

(51) ForceP > TopP > IntP > FocP > ModP

1.1.6. Finité

Rizzi (1997) et (2001) suggère que la couche CP est une zone structurale qui est

délimitée par deux têtes et leurs projections: Force, qui exprime le type de la phrase

(déclarative, exclamative etc.) en délimitant le haut du système, et Finité, qui s’accorde

en finité avec le IP adjacent et qui marque la limite basse du système. Ainsi, pour que Cº

soit sensible à la finité (de sorte que certains types de Cº sélectionnent une phrase à temps

fini, et d’autres – une phrase à temps non-fini), Cº doit avoir une spécification du type de

finité qu’il enchâsse. Selon Rizzi, les complémenteurs finis dans les langues romanes

sont, en général, exprimés sous Force, tandis que les complémenteurs prépositionnels

infinitivaux sont dans Finº (Finité). Comme argument pour cette distinction, Rizzi affirme

que les Topiques précèdent ceux-ci, mais doivent suivre ceux-là, comme dans les

exemples (52)–(53) de l’italien:

(52) a. Credo che dovrei parlare a Gianni domani

crois que doit parler à Gianni demain

‘Je crois que je devrais parler à Gianni demain’

Page 50: Liakin 2003

50

b. Credo di dover parlare a Gianni domani

crois de devoir parler à Gianni demain

‘Je crois devoir parler à Gianni demain’

(53) a. Credo che a Gianni gli dovrei parlare domani

crois que à Gianni lui doit parler demain

‘À Gianni, je crois que je devrais lui parler demain’

b. Credo a Gianni di dovergli parlare domani

crois à Gianni de devoir parler demain

‘À Gianni, je crois devoir lui parler demain’

En russe, l’équivalent des complémenteurs prépositionnels des langues romanes est le

complémenteur čtoby qui introduit des phrases infinitivales, comme dans l’exemples en

(54).

(54) a. On prišël, čtoby počitat’ knigu.

Il est venu pour lire livre

‘Il est venu pour lire le livre.’

Le Topique dans ce type de phrases est aberrant, mais la distribution du complémenteur

par rapport aux autres éléments dans la périphérie gauche suggère que čtoby marque

vraiment la limite basse du système. Les phrases en (55a–b) montrent que les DPs et les

Page 51: Liakin 2003

51

adverbes focalisés précèdent čtoby et ainsi se trouvent plus haut dans la structure de

périphérie gauche:

(55) a. On prišël, knigu čtoby počitat’.

Il est venu livre-Foc pour lire

‘C’est pour lire un livre (et rein d’autre) qu’il est venu.’

b. On prišël, spokojno čtoby počitat’.

Il est venu tranquillement-Foc pour lire

‘C’est pour lire tranquillement qu’il est venu (sans être dérangé).’

Un autre argument en faveur de cette analyse est présenté par le clitique li. En

(56a) li avec le DP (knigi) précèdent le complémenteur čtoby et la phrase est

grammaticale. Mais si le complémenteur čtoby précède le clitique li et son hôte knigu, la

phrase devient agrammaticale. Nous pouvons ainsi affirmer que FinP se trouve plus bas

que IntP.

(56) a. On prišël, knigu li čtoby počitat’?’

Il est venu livre CL-INT pour lire

‘Est-ce pour lire le livre qu’il est venu?’

b. * On prišël, čtoby knigu li počitat’?’

Il est venu pour livre CL-INT lire

‘Est-ce pour lire le livre qu’il est venu?’

Page 52: Liakin 2003

52

Compte tenue de toutes les contraintes distributionnelles des différents opérateurs

accueillis par la couche CP, nous proposons que la structure de la couche CP en russe est

celle en (57):

(57) Force > Topique > IntP > FocP > ModP > FinP

1.2. Conclusion

Dans ce chapitre nous avons proposé l’éclatement de CP en plusieurs projections

fonctionnelles en russe. En nous basant sur les contraintes distributionnelles des

différents opérateurs accueillis par la couche CP, nous avons fourni des arguments qui

justifient au moins six projections. Nous pouvons diviser toutes ces projections en deux

systèmes: le système Force—Finité et le système Topique—Focus.

Le système Force—Finité se base sur la nature du complémenteur. Vu de

l’extérieur, le complémenteur indique si la phrase est déclarative, interrogative, etc.; vu

de l’intérieur, le complémenteur montre un certain degré de finité de IP: le

complémenteur čto apparaît dans une phrase à temps fini, tandis que čtoby apparaît dans

une phrase à mode non-fini.

L’autre usage du domaine CP est celui du site d’accueil des éléments focalisés et

topicalisés. Même si, à première vue, ces deux types d’éléments semblent occuper la

même position, leur distribution dans la phrase montre qu’ils occupent deux positions

différentes, et en plus de cela, le Focus est quantificationnel (il contient un opérateur et

une variable), tandis que le Topique ne l’est pas. Le Topique n’est pas quantificationnel

parce que la valeur que sa trace reçoit dans l’interprétation ne change pas.

Page 53: Liakin 2003

53

Selon notre analyse la couche CP en russe aura la représentation en (58):

(58) ForceP V Force’ V Force TopP V Top’ V Top IntP V Int’ V Int FocP V Foc’ V Fol ModP V Mod’ V Mod FinP V Fin’ V Fin IP

Dans le chapitre suivant nous démontrerons que le domaine IP en russe peut également

être analysé comme un faisceau de catégories fonctionnelles.

Page 54: Liakin 2003

54

CHAPITRE II LA STRUCTURE DE IP EN RUSSE

2.0. Introduction

Dans le même cadre où nous avons exposé la structure de CP en russe dans le chapitre

précédent, dans ce chapitre nous présentons la structure de la couche flexionnelle (IP). En

nous basant sur les propriétés distributives des éléments que nous retrouvons dans le

domaine IP, nous proposerons que la structure de IP contient cinq projections

fonctionnelles distinctes, hiérarchisées comme suit:

(1) TP > FocP > ClitP > ModP > NegP

Nous verrons que seule une structure à plusieurs projections fonctionnelles nous permet

de rendre compte de phrases comme celle en (2) mettant en présence quatre syntagmes

dans le domaine IP, le sujet DP mal’čik occupant la position [Spec, TP]:

(2) Mal’čik knigu emu nikogda ne otdast.

garçon livre-Foc lui jamais ne donnera

‘C’est le livre que le garçon ne lui donnera jamais.’

Nous soulèverons plusieurs questions au cours de cette discussion qui entourent la

problématique de l’ordre de mot en russe. Nous analyserons également des arguments

empiriques en faveur et contre l’éclatement de la tête Infl en deux projections maximales

Page 55: Liakin 2003

55

AgrP et IP. Nous en tirerons les conclusions que la projection IP en russe ne doit pas être

éclatée et que le russe est une langue SVO sans montée du verbe dans Infl.

2.1. Hypothèse de l’éclatement de IP

Dans son étude des différences systématiques entre le français et l’anglais relativement à

la syntaxe des questions, des adverbes et de la négation, Pollock (1989) propose que la

structure de IP est plus riche que ne le suggèrent les travaux de l’époque. Il présente des

arguments empiriques en faveur de l’éclatement de la tête Infl en deux projections

maximales AgrP et IP, en supposant ainsi que Infl ne devrait pas être considéré comme

un constituant avec deux séries de traits (±Agr, ±Temps), mais que chacune de ses séries

serait la tête syntaxique d’une projection maximale, les deux pouvant être séparées par la

projection maximale NegP:

(3) IP V I’ V I NegP V

Neg AgrP V Agr VP V (Adv) VP V V …

Ainsi, Pollock (1989: 383) soutient que le mouvement du verbe n’est pas un

processus à une opération, mais plutôt la somme de deux processus “locaux”: le premier

consiste en déplacement verbal court (V Agr), le deuxième consiste en mouvement

Page 56: Liakin 2003

56

vers Infl (V-Agr Infl). Les phrases en (4)–(6) illustrent la différence entre ces deux

processus.

(4) a. Ne pas sembler content …

b. * Ne sembler pas content …

(5) a. Michael has not done the job

b. * Michael not has done the job

(6) b. Michel ne mange pas le gâteau.

b. * Michel ne pas mange le gâteau.

Dans l’exemple français en (4a), l’infinitif sembler monte seulement dans l’Agr

(V Agr), sa montée dans Infl étant bloquée par Neg (pas), d’où l’agrammaticalité de

(4b). Dans les exemples en (5)–(6), au contraire, nous avons le mouvement vers Infl

(V-Agr Infl): en (5) l’auxiliaire has en anglais et en (6) le verbe mange en français

précèdent la négation (not et pas) et sont, ainsi, dans Infl.

En élaborant la théorie de Infl de Pollock (1989), Chomsky (1993) propose la

structure de base de la phrase en (7):

Page 57: Liakin 2003

57

(7) CP V Spec C’ V C AgrSP V Spec AgrS’ V AgrS TP V Spec T’ V T AgrOP V Spec AgrO’ V AgrO VP V Sujet V’ V V Objet

Dans cette structure, le sujet (argument externe) et l’objet (argument interne) sont

générés à l’intérieur de VP et sont légitimés dans le domaine fonctionnel de VP incluant

au moins trois projections fonctionnelles AgrOP, TP et AgrSP. La position du spécifieur

de AgrOP est le domaine de vérification de l’objet. Le sujet, quant à lui, a deux domaines

de vérification, les positions de spécifieurs de TP et de AgrSP. Le trait [cas] est vérifié

dans [Spec, TP], tandis que les traits-φ (les traits d’accord) sont vérifiés dans

[Spec, AgrSP] ce qui reflète l’accord sujet-verbe. Ainsi, Chomsky (1993: 7) définit Agr

comme une collection de traits-φ (le genre, le nombre, la personne) qui sont communs

aux systèmes d’accord du sujet et de l’objet, bien que AgrS et AgrO puissent être des

sélections différentes (deux projections fonctionnelles à part), aussi comme deux noms ou

deux verbes peuvent être différents. Pour la projection Temps, Chomsky (1993: 7)

Page 58: Liakin 2003

58

remarque que les propriétés casuelles dépendent des caractéristiques de Temps et

présume (1993: 45, fn. 11) qu’un NP monte dans [Spec, TP] pour l’assignation du cas, et

ensuite dans [Spec, AgrSP] pour l’accord.

Iatridou (1990: 553), dans sa discussion de l’inventaire des catégories

fonctionnelles, suggère que les langues peuvent différer relativement aux catégories

fonctionnelles qu’elles sélectionnent et, ainsi, des faits indépendants pour appuyer AgrP

doivent être trouvées dans chaque langue séparément. C’est ici que la question de

l’acquisition des catégories fonctionnelles prend une grande importance, d’où le grand

nombre de travaux linguistiques qui en traitent (Rizzi 1993; Weinberg 1994;

Wexler 1994 entre autres).

L’enfant qui apprend la langue doit faire face à trois problèmes concernant les

catégories fonctionnelles. Premièrement il doit déterminer quelles catégories

fonctionnelles y jouent un rôle et quelle est leur nature. Deuxièmement, il doit déterminer

la séquence des catégories fonctionnelles dans sa langue. Troisièmement, il doit

déterminer si une catégorie fonctionnelle donnée est présente dans chaque type de phrase

ou non. Ainsi l’enfant ne présumera pas automatiquement que la catégorie fonctionnelle

F est présente dans la langue, à moins qu’il trouve des indices que ceci est vrai.

Considérons maintenant la structure de IP à la lumière de son acquisition par un

apprenant. Thraìnsson (1996: 262) propose le Paramètre de l’Inflection Éclatée (PIÉ)

(The Split-IP Parameter (SIP)):

Page 59: Liakin 2003

59

(8) Languages that have a positive value for SIP have AgrSP and TP as separate

functional projections. Languages with a negative value of SIP are characterized

by an unsplit (pre-Pollockian) IP.

Selon Thraìnsson (1996: 267) les faits qui déclenchent un réglage positif pour le

PIÉ pourraient être, premièrement, la morphologie temporelle et celle d’accord riches;

deuxièmement, des preuves syntaxiques pour des positions additionnelles fournies par la

structure éclatée de IP (la présence de Spec-AgrSp, AgrSP, Spec-TP, TP comme

positions pour les projections maximales et les têtes).

Roberts (1993: 267) soutient que la morphologie verbale est riche dans le sens

approprié, si la distinction en personne à la fois au singulier et au pluriel existe pour un

temps/mode donné. Selon cette définition, l’anglais n’a pas une morphologie verbale

riche, tandis que le français l’a. Thraìnsson (1996) remarque que même si cette définition

de la morphologie verbale riche fait des prédictions empiriques correctes, il est plutôt

mystérieux qu’une distinction entre deux ou plus de personnes dans la morphologie

d’accord déclenche un réglage positif pour le paramètre concernant l’inclusion de Agr et

de Temps dans l’inventaire des catégories syntaxiques.

Bobaljik et Jonas (1993) font une proposition différente. Ils proposent que la

position de spécifieur de TP est légitimée seulement dans les langues qui ont de la

morphologie indépendante pour Accord (nombre, personne, cas) et pour Temps. La

morphologie de l’Accord et du Temps est indépendante si la forme verbale peut porter en

même temps le marqueur d’accord (la personne, le nombre) et le marqueur temporel.

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60

Comme illustration de la proposition de Bobaljik et Jonas (1993), Thraìnsson

(1996: 269) donne le tableau suivant:

(9) Paradigmes de conjugaison du verbe “fumer” en islandais et en anglais

islandais anglais

sg.

pl.

1

2

3

1

2

3

Présent

reyk.i

reyk.ir

reyk.ir

reykj.um

reyk.i∂

reykj.a

smoke.Agr

Passé

reyk.t.i

reyk.t.ir

reyk.t.ir

reykj.t.um

reyk.t.i∂

reykj.t.a

smoke.T. Agr

Présent

smoke

smoke

smokes

smoke

smoke

smoke

smoke.Agr

Passé

smoked

smoked

smoked

smoked

smoked

smoked

smoke.T

Les paradigmes en (9) montrent qu’en anglais il existe un accord minimal au

présent et aucun accord au passé; tandis qu’en islandais nous sommes en présence de

l’accord en nombre et en personne au présent et au passé, ce qui montre que l’islandais a

de la morphologie indépendante.

Franks et Greenberg (1994), suivant Pollock (1989) et Ouhalla (1991), proposent

également d’éclater IP en russe en deux projections fonctionnelles: AgrP et TnsP (=TP).

Ces auteurs affirment que Agr représente seulement l’accord en personne:

Page 61: Liakin 2003

61

(10) AgrP V Spec Agr’ V Agr TnsP V Tns VP V V

Avant de continuer la discussion, nous donnons en (11) les paradigmes de la

conjugaison en russe du verbe enregistrer au présent, au passé et au futur:

(11) Paradigme de conjugaison du verbe “enregistrer” en russe

sg.

pl.

1

2

3

1

2

3

Présent

zapisyva.ju

zapisyva.ješ’

zapisyva.jet

zapisyva.jem

zapisyva.jete

zapisyva.jut

enregistrer.T+Agr

Passé

zapisyva.l

zapisyva.l

zapisyva.l

zapisyva.l.i

zapisyva.l.i

zapisyva.l.i

enregistrer.T. Agr

Futur

zapiš.u

zapiš.eš’

zapiš.et

zapiš.em

zapiš.ete

zapiš.ut

enregistrer.T+Agr

On remarque dans les formes verbales du présent et du futur que la morphologie

temporelle et celle de l’accord en personne et en nombre sont fusionnées et ne peuvent

pas être décomposées. Ainsi la terminaison –jut dans la forme verbale zapisyvajut

Page 62: Liakin 2003

62

désigne la troisième personne au présent du pluriel. Le paradigme du passé se caractérise

par la non-distinction de la personne (le morphème –i dans la forme verbale zapisyvali

désigne le pluriel à n’importe quelle personne).

Essayons de voir comment ces données peuvent nous aider à déterminer si le

Paramètre de l’Inflection Éclatée a une valeur positive ou négative en russe. Le premier

critère est celui de la distinction en personne à la fois au singulier et au pluriel. Ce critère

aura la valeur négative, étant donné que même si au présent et futur le trait de personne

est présent9, au passé, il est absent comme tel. Ainsi, en revenant à la proposition de

Franks et Greenberg (1994) que Agr représente seulement l’accord en personne, la

structure en (10) n’est pas motivée.

Le deuxième critère pour attribuer une valeur positive au Paramètre de

l’Inflection Éclatée est la présence sur la forme verbale des marqueurs indépendants

d’accord (la personne, le nombre) et de temps. Ce critère, de nouveau, aura une valeur

négative. Au présent et au futur la morphologie temporelle et celle de l’accord sont

fusionnées et il est impossible de les considérer indépendamment. Au passé, même si

cette distinction est possible, on distingue le nombre mais pas la personne. Étant donné

ceci, dans la structure en (10), il est peu probable d’associer un morphème distinct à

chacune des têtes fonctionnelles.

Ces faits nous mènent à la conclusion que le Paramètre de l’Inflection Éclatée a

une valeur négative en russe et, ainsi, le russe possède la projection IP non-éclatée.

9 Il est présent sous forme fusionnée avec d’autres trait d’accord et n’apparaît jamais tout seul. Comme conséquence, nous soutenons qu’il ne s’agit pas d’un trait indépendant.

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63

2.2. Ordre de mots: position verbale, les traits de Infl

Le but principal de cette section est de déterminer les ordres de mots possibles en russe

avec une attention particulière au mouvement du verbe et des traits qui forcent le

mouvement des syntagmes dans IP. Nous démontrons que les différentes possibilités

d’ordre de mots en russe sont reliées à la structure de IP et de CP. Nous soutenons que,

premièrement, l'ordre SOV est dû à la présence de la projection FocP dans le domaine IP;

deuxièmement, l'ordre OSV est dû à la présence de la projection FocP dans le domaine

CP; troisièment, l'ordre OVS s'explique par la présence de la projection FocP dans le

domaine IP (le sujet introduit une information), tandis que le reste de la phrase est le

topique (TopP de la périphérie gauche).

Le russe se caractérise par un ordre de mots relativement libre, mais il est

considéré comme une langue SVO dans les contextes neutres (Isačenko 1967; Kovtunova

1976; Restan 1981; Bailyn 1995), que nous illustrons dans l’exemple en (12):

(12) a. Devočka čitaet knigi. SVO

Fille-NOM lit livres-ACC

‘La fille lit les livres.’

Nous posons, suivant Bailyn (1995), que le verbe en russe ne monte pas dans INFL et

correspond ainsi à l’anglais (une langue SVO sans montée du verbe) et non au français

(une langue SVO avec la montée du verbe). Nous le démontrons par le test qui nous

permet de déterminer la position verbale – le placement des adverbes. Nous illustrons en

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64

(13)–(16) le placement des adverbes par rapport au verbe en russe (13)–(14), en anglais

(15) et en français (16)10:

(13) a. Ja dumaju, čto devočka často čitaet knigi. [S-adv-VO]

Je pense que fille souvent lit livres

‘Je pense que la fille lit souvent les livres’

b. * Ja dumaju, čto devočka čitaet často knigi. *[SV-adv-O]

Je pense que fille lit souvent livres

(14) a. Ja dumaju, čto devočka redko čitaet knigi. [S-adv-VO]

Je pense que fille rarement lit livres

‘Je pense que la fille lit rarement les livres’

b. * Ja dumaju, čto devočka čitaet redko knigi. *[SV-adv-O]

Je pense que fille lit rarement livres

(15) a. I think the girl often reads books. [S-adv-VO]

b. I think the girl rarely reads books. [S-adv-VO]

c. * I think the girl reads often books *[SV-adv-O]

d. * I think the girl reads rarely books *[SV-adv-O]

10 Dans cette section nous utilisons les phrases enchâssées pour neutraliser le plus possible les effets du discours. Le même contraste s’applique aux phrases principales de la même façon dans un contexte neutre.

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(16) a. Je pense que la fille lit souvent les livres. [SV-adv-O]

b. Je pense que la fille lit rarement les livres. [SV-adv-O]

c. *Je pense que la fille souvent lit les livres. *[S-adv-VO]

d. *Je pense que la fille rarement lit les livres. *[S-adv-VO]

Comme nous pouvons le remarquer, les adverbes en russe se comportent de la même

façon que les adverbes anglais en ce qu’ils doivent obligatoirement précéder le verbe

comme en (13a), (14a) et (15a–b). La position post-verbale de l’adverbe est aberrante en

russe et en anglais (13b), (14b), (15c–d), contrairement au français, où la position post-

verbale est la seule possible dans ce contexte (16a–b) vs. (16c–d).

Compte tenu de la distribution des adverbes par rapport au verbe, nous concluons

que le russe est une langue SVO sans montée du verbe dans Infl comme l’anglais.

King (1995) propose une analyse alternative et suppose que le russe est une

langue VSO avec la montée obligatoire du verbe dans l’Infl. Comme nous l’avons

démontré ci-haut, nous n’avons pas de raisons de croire que le verbe doit monter dans

Infl en russe. En plus, les constructions avec le verbe dans la position initiale sont rares et

ne fournissent pas de preuve pour la montée du verbe en russe. Ces phrases sont

démodées et nous les retrouvons seulement dans les contes pour les enfants:

(17) Posadil ded repku. [VSO]

a planté papy-NOM navet-ACC

‘Le papy a planté le navet.’ (Bailyn 2001: 281)

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Un autre argument contre l’affirmation que le russe est une langue VSO est le fait que les

constructions VSO sont aberrantes dans les phrases enchâssées ce que nous démontrons

dans l’exemple en (18):

(18) * Denis skazal, čto posadil ded repku.

Denis a dit que a planté papy navet

‘Denis a dit que le papy a planté le navet.’

Bailyn (2001) compare cette phrase à l’ordre de mots neutre trouvé dans les langues

celtiques comme le gallois (langue VSO):

(19) Gwelodd Mair y ddamwain. [V-S-O] gallois

a vu Marie un accident

‘Marie a vu un accident.’ (Bailyn 2001: 281)

Le même auteur compare aussi les constructions ditransitives VSO-OI dans les deux

langues. Celles-ci sont agrammaticales en russe, contrairement à l’ordre standard avec le

verbe initial en gallois:

(20) * Dal učitel’ knigu mal’čiku včera. *[V-S-O-OI] russe

A donné professeur livre-ACC garçon-DAT hier

‘Hier, le professeur a donné le livre au garçon.’ (Bailyn 2001: 281)

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(21) Rhoddodd yr athro lyfr i’r bachgen ddoe. [V-S-O-OI] gallois

a donné le prof livre à.le garçon hier

‘Hier, le professeur a donné le livre au garçon.’ (Bailyn 2001: 282)

Cette comparaison avec les constructions ditransitives dans une langue celtique nous

démontre une fois de plus que le russe n’est pas une langue VSO.

Comme nous avons mentionné, le russe se caractérise par un ordre de mots

relativement libre. Considérons maintenant d’autres ordres de mots possibles et essayons

de donner une explication à chacune de ces possibilités syntaxiques.

(22) a. Devočka čitatet knigi. [SVO]

fille-NOM lit livres-ACC

‘La fille lit les livres.’

b. Knigi devočka čitaet. [OSV]

livres-ACC fille-NOM lit

‘Ce sont les livres que la fille lit.’

c. ?? Knigi čitaet devočka. [OVS]

livres-ACC lit fille-NOM

‘La fille lit les livres.’

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d. Devočka kinigi čitaet. [SOV]

Fille-NOM livres-ACC lit

‘Ce sont les livres que la fille lit.’

La phrase en (22a) est une phrase qui est utilisée dans un contexte neutre. L’ordre OSV

en (22b) est possible seulement si l’objet est focalisé et dans ce cas-là l’objet se trouve

dans la périphérie gauche dans [Spec, FocP], comme nous avons discuté dans le Chapitre

I. C’est également la focalisation qui nous permet d’obtenir l’ordre SOV en (24d). Nous

reviendrons à la différence entre la focalisation en (22b) et (22d) dans le Chapitre III, et

nous nous arrêterons maintenant sur la phrase (22c). Selon Bailyn (2001), cette phrase

peut avoir une lecture “neutre”11, comme celle en (22a), même si la plupart des locuteurs

la trouvent mal formée avec cette lecture. Dans ce qui suit nous essayerons de répondre à

la question de savoir si les ordres de mots SVO et OVS12 peuvent toujours permettre la

même lecture “neutre” en russe.

En (23) et (25) nous donnons deux autres exemples de l’ordre OVS (on passe sous

silence ici toute lecture focalisée):

11 Baylin illustre la lecture neutre d’une phrase OVS par l’exemple suivant: (i) Ètu knigu čitaet Ivan ce-ACC livre-ACC lit Ivan-NOM ‘Ivan lit ce livre.’ 12 Dans ce qui suit nous utilisons la notion de l’Objet dans les acronymes SVO et OVS comme étant celle de tout complément verbal PP ou DP pour faciliter la discussion.

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(23) V kino pošël mal’čik.

à cinéma-ACC est allé garçon-NOM

‘Le garçon est allé au cinéma.’

(24) Škola daët xorošuju rabotu

école-NOM donne bon-ACC travail-ACC

‘Un bon travail est donné par l'école.’

(25) Školoi daëtsja xorošaja rabota

école-INSTR donner-PASSIF bon-NOM travail-NOM

‘Un bon travail est donné par l'école.’

La différence principale entre les phrases (23) et (25) consiste en ce que la phrase en (25)

est une phrase passive dont la forme active est illustrée en (24) où un DP Instrumental

occupe la position initiale de la phrase. Liakin et Ndayiragije (2000) proposent une

analyse des phrases passives contenant un morphème verbal –sja, selon laquelle les DPs

(PPs) non-Nominatifs occupent la position du sujet. Notre analyse se base sur les trois

postulats en (26):

(26) a. -sja est un marqueur de voix occupant la position tête de la projection

fonctionnelle vP de Chomsky (1995), correspondant à la projection de la voix

(Voice Phrase) de Kratzer (1994) ou à celle de la transitivité (Transitivity Phrase)

de Collins (1997);

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b. -sja assigne un Cas nul (Chomsky et Lasnik 1993) qui doit être vérifié et

éliminé pour assurer la convergence en FL;

c. le Cas nul de –sja est [faible], tout comme le Cas Nominatif de T. Cependant, le

trait EPP de T est [fort]. (Liakin et Ndayiragije 2000: 113)

Selon ces postulats la phrase en (25) aura la structure de base en (27) où

l’Argument externe (školoi) monte en position [Spéc, vP] pour vérifier le Cas nul de v.

Cette vérification du Cas nul de v par l’Argument externe fait en sorte que ce dernier

garde son Cas inhérent Instrumental (voilà pourquoi l’Argument Objet (xorošaja rabota)

est marqué du Cas Nominatif). Ensuite il est attiré vers [Spéc, TP] pour vérifier le trait

EPP [fort] de T. Comme cet argument doté du Cas inhérent Instrumental ne peut pas

vérifier le Cas structural Nominatif de T, celui-ci attire en FL le trait [cas] de l’Argument

Objet non déplacé en syntaxe:

(27) TP

V Spec T'

V T vP

V Spec v' V

v VP - sja V

-Cas školoi V' V

V xorošaja rabota

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Liakin et Ndayiragije (2000) considèrent également des cas où certains verbes intransitifs

réalisent un Sujet Datif quand –sja est suffixé au verbe. Ceci est illustré en (28b), dérivé à

partir de (28a):

(28) a. Ja ne xoču rabotat.’

Je-NOM ne vouloir-1SG-PRÉS travailler

‘Je ne veux pas travailler.’

b. Mne ne rabotaetsja

je-DAT nég travailler-IMPERF-3SG-PRÉS-SJA

‘Je ne suis pas dans l’état de travailler.’

En (28), l’Argument externe du verbe travailler vérifie également le Cas nul de v, ce qui

déclenche l’apparition du Cas inhérent Datif sur cet argument. La montée de ce dernier

vers [Spéc, TP] permet de vérifier le trait EPP fort de T. L’absence de l’Argument Objet

pouvant vérifier le Cas Nominatif de T déclenche la morphologie impersonnelle sur le

verbe. La présence obligatoire de cette morphologie impersonnelle suggère que la

vérification du Cas structural Nominatif est indissociable de la vérification de ses traits-

phi. Ceci est confirmé par les phrases en (25) et (28) où l’on voit clairement que seul

l’agent marqué du Cas Nominatif déclenche l’accord avec le verbe.

Ainsi, pour expliquer la présence des DPs non-Nominatifs dans la positon du

Sujet, nous proposons que le trait Cas Nominatif de T est faible en russe, tandis que son

trait EPP est fort. Notre analyse était basée sur les constructions passives.

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Bailyn (2001, à paraître) propose des postulats semblables qui, selon l’auteur,

peuvent être appliqués à toutes les constructions OVS en russe. L’analyse de Bailyn est

basée sur trois hypothèses que nous donnons en (29)13.

(29) a. Le trait [EPP] de I est fort et peut être vérifié par tout XP

b. Le trait [Cas Nominatif] de T est faible

c. Le trait [T] de T est fort et doit être vérifié avant FL. Si le trait [EPP] est vérifié

par un DP Nominatif, alors c’est celui-ci qui vérifie le trait [T]; dans tout autre cas

(un XP non-Nominatif), [T] est vérifié par la montée verbale.

Nous illustrons cette analyse sur les exemples en (30) ayant la représentation de base en

(31)14:

(30) a. Mal’čik pošël v kino

garçon-NOM est allé à cinéma-ACC

‘Le garçon est allé au cinéma.’

13 Nous ne présentons pas ici les détails théoriques de l’analyse de Bailyn. Le but principal de cette discussion est de démontrer que l’analyse de Bailyn ne couvre pas tous les aspects de l’ordre OVS en russe. L’analyse que nous proposons est tentative puisqu’elle est hors de la portée de cette thèse et aucune de nos analyses ne repose la-dessus. Quand même, les conclusions tirées nous aiderons à mieux comprendre les constructions SOV avec un objet focalisé auxquelles nous reviendrons dans ce chapitre et dans le Chapitre III. 14 L’interprétation neutre de la phrase (30b) est d’après Bailyn. Voir notre discussion plus loin dans cette section.

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b. V kino pošël mal’čik.

à cinéma-ACC est allé garçon-NOM

‘Le garçon est allé au cinéma.’

(31) IP V

Spec I' V T TrP15

V mal’čik Tr' V

Tr VP V

V PP pošël v kino

Dans (30a) c’est le DP Sujet (mal’čik) qui monte dans le [Spec, IP] et, ainsi, vérifie [EPP]

et [T] de I, tandis qu’en (30b), la montée de l’Objet PP (v kino) pour vérifier le trait [EPP]

de T déclenche la montée verbale dans T pour la raison de vérification du traits [T]. Pour

expliquer pourquoi le DP Nominatif ne monte pas toujours dans [Spec, IP], Bailyn

propose, suivant Collins (1997), que l’économie est calculée localement, et que tous les

arguments internes sont équidistants de la position [Spec, IP].

Dans ce qui suit nous allons démontrer que cette analyse est incapable

d’expliquer certains phénomènes reliés aux constructions en question, et nous

suggérerons que l’ordre OVS en russe doit plutôt être relié à d’autres facteurs. Nous

proposons de séparer les constructions OVS en deux groupes: d’un côté, les constructions

15 Bailyn présuppose une catégorie fonctionnelle entre IP et VP (minimal), qui correspond à TrP (Collins 1997) ou vP (Chomsky 1995), et dont le spécifieur accueille l’argument externe.

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où l’Objet et le verbe sont topicalisés; de l’autre côté, les constructions qui sont marquées

par la nature du verbe – les constructions passives avec les verbes en –sja et les

constructions qui comportent un verbe psychologique à objet expérienceur.

L’analyse de Bailyn ne prédit pas l’agrammaticalité de la phrase (31b), où un DP

Instrumental est déplacé dans [Spec, TP], où seul l’ordre SVO (31a) est grammatical dans

un contexte neutre.

(31) a. Mal’čik udaril kulakom.

Garcon -NOM a frappé point-INSTR

‘Le garçon a frappé avec le point.’

b. * Kulakom udaril mal’čik.

point-INSTR a frappé garcon-NOM

Si on applique en (31) le principe selon lequel l’économie est calculée localement, la

phrase en (31b) devrait être grammaticale (mal’čik et kulakom sont équidistants de

[Spec, IP]), mais contrairement aux prédictions, elle ne l’est pas.

Si nous revenons à la phrase en (25), que nous répétons en (32), où le DP

Instrumental occupe la position du sujet, nous expliquons ce fait par la morphologie

passive du verbe (morphème –sja) qui déclenche la vérification du trait [EPP] de T par un

DP Instrumental.

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(32) Školoi daëtsja xorošaja rabota

école-INSTR donner-passif bon-NOM travail-NOM

‘Un bon travail est donné par l'école.’

Un autre contre-argument à cette analyse est donné par les phrases en (33), où le

DP Nominatif en (33a) est remplacé par un pronom qui doit être préposé au verbe (33c)

et ne peut pas être postposé (33b):

(33) a. Na nebe svetit zvezda.

dans ciel-LOC brille étoile-NOM

‘Une étoile brille dans le ciel.’

b. * Na nebe svetit ona.

dans ciel-LOC brille elle-NOM

‘Elle brille dans le ciel.’

c. Ona svetit na nebe.

elle-NOM brille dans ciel-LOC

Comme le démontre l’agrammaticalité de le phrase (33b), le DP Nominatif ne peut pas

être remplacé par un pronom dans sa position post-verbale. Pour que la phrase soit

grammaticale, le pronom doit se trouver dans la position pré-verbale, que nous illustrons

en (33c).

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Nous obtenons exactement le même résultat avec un Objet Accusatif:

(34) a. Knigu pišet pisatel’.

livre-ACC écrit écrivain-NOM

‘L’écrivain écrit un livre.’

b. * Knigu pišet on.

livre-ACC écrit il-NOM

‘Il écrit un livre.’

c. On pišet knigu

il-NOM écrit livre-ACC

Le fait que le DP Nominatif dans les constructions OVS ne peut pas être remplacé

par un pronom nous mène à la conclusion que le sujet peut apparaître dans la position

finale seulement s’il représente une information nouvelle dans la phrase. Ceci est

confirmé par les phrases en (35) qui représentent des phrases avec un sujet-topique, repris

par un pronom plus loin dans la phrase. Comme la phrase contient un Topique, l’élément

qui le remplace dans la phrase ne peut plus être considéré comme une information

nouvelle:

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(35) a. * Zvezda, v nebe svetit ona

étoile-NOM-Top dans ciel-LOC brille elle-NOM

‘L’étoile, elle brille dans le ciel.’

b. Zvezda, ona svetit v nebe

étoile- NOM-Top il-NOM brille dans ciel-LOC

‘L’étoile, elle brille dans le ciel.’

L’agrammaticalité de (35a) s’explique par le fait que le pronom ona n’est plus une

information nouvelle de la phrase et c’est pourquoi il doit être dans la position pré-

verbale comme en (35b).

Considérons l’exemple en (33a) du point de vue de la nature casuelle de XP Sujet,

qui dans ce cas-là s’avère être Locative. Nous ne pouvons pas supposer que DP marqué

du cas Locatif est capable de vérifier [EPP] de T, comme le confirme l’agrammaticalité

de la phrase (36b) dans un contexte neutre:

(36) a. Učitel’ živët v derevne.

Professeur-NOM habite à campagne-LOC

‘Le professeur habite à la campagne.’

b. * V derevne živët učitel.’

à campagne-LOC habite professeur-NOM

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La phrase (36b) deviendra grammaticale si le groupement PP + Verbe (V derevne živët)

est considéré comme le Topique de la phrase et le DP (učitel’) est une information

nouvelle.

Compte tenu des exemples (35)–(36) nous proposons que l’ordre OVS en russe

n’est pas nécessairement dû au fait que le trait [EPP] fort est vérifié par un XP non-

Nominatif comme l’affirme Bailyn (2001). Étant donné qu’il s’agit clairement dans ces

cas de l’introduction d’information nouvelle, nous proposons que la partie qui précède la

nouvelle information est le Topique et ainsi se trouve dans la périphérie gauche de la

phrase et que c’est le DP Nominatif en position postverbale qui vérifie le trait [EPP].

L’idée selon laquelle les éléments qui précèdent un sujet post-verbal sont

topicalisés n’est pas nouvelle. Belletti (1999) propose une analyse similaire pour les

constructions VOS en italien comme celle en (37) qui serait une réponse à la question:

Chi ha capito il problema? (Qui a compris le problème?):

(37) Ha capito il problema Gianni.

A compris le problème Gianni

‘Gianni a compris le problème’

Selon son analyse, le DP Gianni introduit une information nouvelle et est, ainsi, focalisé,

en occupant la position de spécifieur d’une projection fonctionnelle FocP qui domine

directement la projection VP, tandis que la partie Ha capito il problema est le topique de

la phrase. Belletti soutient qu’en italien il existe une projection fonctionnelle Topique

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dans le domaine de IP dominant la projection FocP sus-mentionnée et c’est là que monte

la partie Ha capito il problema.

Dans la section 2.3 nous présenterons des faits empiriques en faveur de la

projection FocP dans le domaine IP. Dans les constructions en question, le spécifieur de

FocP serait le site de transit vers le [Spec, TP] du DP Nominatif représentant

l’information nouvelle où celui-ci vérifiera le trait [EPP], tandis que le Topique de la

phrase serait dans la périphérie gauche.

Mais, comme nous l’avons déjà mentionné dans ce chapitre, l’ordre de mots OVS

n’est pas seulement dû à la topicalisation d’une partie de la phrase. Prenons d’autres

exemples avec un XP non-Nominatif dans la position du sujet.

(38) a. Denisa razdražet šum.

Denis-ACC irrite bruit-NOM

‘Le bruit irrite Denis.’

b. Šum razdražet Denisa

bruit-NOM irrite Denis-ACC

(39) a. Denisu nadoelo ožidanie.

Denis-DAT agace attente-NOM

‘L’attente agace Denis.’

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b. Ožidanie nadoelo Denisu.

Attente-NOM agace Denis-DAT

Nous remarquons dans les exemples (38)–(39) que les DPs Accusatif (Denisa) et Datif

(Denisu) peuvent apparaître dans la position initiale de la phrase et semblent soutenir

l’analyse de Bailyn (2001), en permettant à tout XP de vérifier le trait [EPP] de T. Mais

avant de discuter ces exemples, considérons d’autres constructions avec les DPs

Accusatifs et Datifs:

(40) a. Denis kupil knigu.

Denis-NOM a acheté livre-ACC

‘Denis a acheté un livre.’

b. * Knigu kupil Denis.

Livre-ACC a acheté Denis-NOM

(41) a. Ivan kupil Denisu knigu

Ivan- NOM a acheté Denis-DAT livre-ACC

‘Ivan a acheté un livre à Denis.’

b. * Denisu kupuil Ivan knigu

Denis-DAT a acheté Ivan-NOM livre-ACC

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De nouveau, comme dans le cas du Locatif, nous ne pouvons pas affirmer que les DPs

Accusatifs et Datifs vérifient le trait [EPP] de T. Mais, par contre, nous pouvons

remarquer que les deux exemples avec un DP non-Nominatif dans la position initiale

(40a)–(41a) contiennent un verbe psychologique à objet expérienceur. Ceci est vrai non

seulement pour ces exemples, mais également pour d’autres phrases comprenant des

verbes psychologiques à objet expérienceur en russe:

(42) Denisa utomljaet etot razgovor.

Denis-ACC fatigue cette-NOM discusion-NOM

‘Cette discussion fatigue Denis.’

(43) Mne nravitsja tvoja pesnja.

Je-DAT plait ta-NOM chanson-NOM

‘Ta chanson me plaît.’

Pour conclure cette discussion nous affirmons que la proposition de Bailyn (2001), que le

trait [EPP] de I peut être vérifié par tout XP, ne peut pas être basée uniquement sur le

principe que l’économie est calculée localement, et que tous les arguments internes sont

équidistants de la position [Spec, IP]. Nous avons relevé plusieurs contre-exemples à

cette analyse et nous proposons de séparer les constructions OVS en deux groupes: d’un

côté, les constructions où l’Objet et le verbe sont topicalisés comme en (33); de l’autre

côté, les constructions qui sont marquées par la nature du verbe – les constructions

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passives avec [–sja] comme en (32) et les constructions qui comportent un verbe

psychologique à objet expérienceur.

Dans la section suivante nous analyserons les éléments présents dans le domaine

IP et proposerons une analyse qui permettra un ordre logique des ces éléments compte

tenu de leur distribution.

2.3. La position des adverbes, de la négation et des syntagmes focalisés

Nous soutenons que le domaine IP en russe accueille les syntagmes focalisés qui, selon

nous, occupent la position de spécifieur de la projection fonctionnelle FocP. Dans ce qui

suit nous appportons des arguments en faveur de cette hypothèse.

La phrase neutre en (44a) peut avoir quatre variantes focalisées16:

(44) a. Denis poedet v teatr na mašine.

Denis ira à théâtre en voiture

‘Denis ira au théâtre en voiture.’

b. V teatr Denis poedet na mašine.

à théâtre-Foc Denis ira en voiture

‘C’est au théâtre que Denis ira en voiture.’

c. Na mašine Denis poedet v teatr.

en voiture-Foc Denis ira à théâtre

‘C’est en voiture Denis ira au théâtre.’

16 Nous mettons en gras dans les exemples tous les syntagmes focalisés

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d. Denis v teatr poedet na mašine.

Denis à théâtre-Foc ira en voiture

‘C’est au théâtre que Denis ira en voiture.’

e. Denis na mašine poedet v teatr.

Denis en voiture-Foc ira à théâtre

‘C’est en voiture que Denis ira au théâtre.’

Comme nous avons vu dans le Chapitre I, les syntagmes focalisés en (44b–c) se trouvent

dans la périphérie gauche car ils précèdent le sujet de la phrase. Dans les phrases (44d–e),

au contraire, les syntagmes focalisés suivent le sujet et occupent la position pré-verbale,

ce qui nous pousse à supposer que ces syntagmes se trouvent dans le domaine IP de la

phrase.

Comme nous avons mentionné dans la section 2.2, les adverbes en russe

précèdent le verbe comme en (45b):

(45) a. Denis poedet na mašine.

Denis ira en voiture

‘Denis ira en voiture.’

b. Denis bystro poedet na mašine.

Denis vite ira en voiture

‘Denis ira vite en voiture.’

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Essayons de déterminer la position des adverbes dans la structure de phrase. Cette

position est dans le domaine de IP, étant donné que le sujet de la phrase (45b) Denis n’est

pas topicalisé et occupe la position de [Spec, IP]. La distribution de l’adverbe et d’un

élément focalisé dans la même phrase nous démontre qu’ils occupent des positions

différentes – les phrases en (46) illustrent le comportement des syntagmes focalisés du

domaine IP par rapport aux adverbes où (46a) est une phrase neutre:

(46) a. Denis bystro poedet v teatr na mašine.

Denis vite ira à théâtre en voiture

‘Denis ira vite au théâtre en voiture.’

b. Denis v teatr bystro poedet na mašine.

Denis à théâtre-Foc vite ira en voiture

‘C’est au théâtre que Denis ira vite en voiture.’

c. Denis bystro v teatr poedet na mašine.

Denis vite à théâtre-Foc ira en voiture

Lecture 1 de (48c) : * ‘C’est au théâtre que Denis ira vite en voiture.’

Lecture2 de (48c) : ‘Denis (Top), rapidement (Top), c’est au théâtre qu’il ira en voiture.’

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d. Denis na mašine bystro poedet w teatr.

Denis en voiture-Foc vite ira à théâtre

‘C’est en voiture que Denis ira vite au théâtre.’

e. Denis bystro na mašine poedet w teatr.

Denis vite en voiture-Foc ira à théâtre

Lecture 1 de (48e): * ‘C’est en voiture que Denis ira vite au théâtre.’

Lecture2 de (48e): ‘Denis (Top), rapidement (Top), c’est en voiture qu’il ira au théâtre.’

Le contraste entre les phrases (46b,d) et les lectures 1 des phrases (46c,e) nous indique

que le syntagme focalisé se trouve plus haut dans la structure que l’adverbe: le syntagme

focalisé doit toujours précéder un adverbe qui a une lecture neutre. Les phrases en (46c,e)

pourraient être grammaticales seulement à condition que la partie Denis bystro qui

précède le syntagme focalisé soit topicalisée et se trouve dans le domaine CP. Ainsi pour

pouvoir précéder le syntagme focalisé, l’adverbe doit être topicalisé.

En ce qui concerne la position des adverbes, nous proposons qu’ils sont générés

dans la position de spécifieur de la projection fonctionnelle ModP qui se situe entre FocP

et vP et qui est un site des adverbes-modificateurs de verbes. À la différence de ModP de

la périphérie gauche (47a), les adverbes du domaine IP (47b) ne modifient pas la

structure entière de la phrase, mais seulement l’action représentée par le verbe:

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(47) a. Vozmožno Denis priedet na mašine.

probablement Denis viendra en voiture

‘Denis viendra probablement en voiture.’

b. Denis bystro priedet na mašine.

Denis vite viendra en voiture

‘Denis viendra vite en voiture.’

Nous illustrons en (48)la dérivation partielle de (46b):

(48) TP V Denis i T’ V T FocP V

v teatr j Foc’ V Foc ModP V bystro Mod’ V Mod vP… ti, tj

Parmi les autres éléments de la couche IP, nous retrouvons la négation représentée

par la particule ne et un élément forclusif (comme nikogda):

(49) Denis nikogda ne poedet na mašine.

Denis jamais ne ira en voiture

‘Denis n’ira jamais en voiture’

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La distribution de l’adverbe et de l’élément forclusif dans la même phrase nous démontre

qu’ils occupent deux positions différentes:

(50) a. Denis nikogda bystro ne poedet.

Denis jamais vite ne ira

‘Denis n’ira jamais vite.’

b. * Denis bystro nikogda ne poedet.

Denis vite jamais ne ira

‘Denis n’ira jamais vite.’

c. * Denis nikogda ne bystro poedet.

Denis jamais ne vite ira

‘Denis n’ira jamais vite.’

Les phrases en (50) confirment que l’adverbe bystro ne peut pas précéder l’élément

forclusif nikogda dans une phrase neutre, mais doit toujours précéder la particule

négative ne. Mais si l’adverbe est focalisé, il doit précéder l’élément forclusif:

(51) a. Denis bystro nikogda ne poedet.

Denis vite-Foc jamais ne ira

‘C’est vite que Denis n’ira jamais (et non pas lentement).’

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b. * Denis nikogda bystro ne poedet.

Denis jamais vite-Foc ne ira

Nous expliquons ce contraste par le fait que la négation nikogda est intrinsèquement

focalisée et, en (49) et (50a), il monte dans [Spec, FocP] à partir de sa position de base

[Spec, NegP]. Ainsi la projection NegP est dominée par FocP et ModP. Nous illustrons

en (53) la dérivation de (50a):

(52) = (50a) Denis nikogda bystro ne poedet.

Denis jamais vite ne ira

‘Denis n’ira jamais vite.’

(53) TP V Denis i T’ V T FocP V

nikogda j Foc’ V Foc ModP V bystro Mod’ V Mod NegP V t j Neg’ V Neg vP ne V t i v’ V v VP

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Mais si la phrase contient un autre élément focalisé (l’adverbe bystro en (51a)), nikogda

doit rester dans sa position de base [Spec, NegP], puisque le trait [focus] de Focº est

vérifié par l’adverbe bystro:

(54) = (51a) Denis bystro nikogda ne poedet.

Denis vite-Foc jamais ne ira

‘C’est vite que Denis n’ira jamais (et non pas lentement).’

(55) TP V Denis i T’ V T FocP V

bystro j Foc’ V Foc ModP V t j Mod’ V Mod NegP V nikogda Neg’ V Neg vP ne V t i v’ V v VP

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Compte tenu de la distribution des adverbes, de la négation et des syntagmes focalisés,

nous proposons la hiérarchie des projections fonctionnelles suivante pour le domaine IP

en russe: TP > FocP > ModP > NegP.

2.4. Les pronoms objets

Une autre classe d’éléments que nous retrouvons dans le domaine IP en russe sont les

pronoms objets comme le pronom objet direct eë en (56):

(56) a. Denis ljubit Natašu.

Denis aime Natasha

‘Denis aime Natasha.’

b. Denis eë ljubit.

Denis PRON-3SG-FEM-ACC aime

‘Denis l’aime.’

c. * Denis ljubit eë.

Denis aime PRON-3SG-FEM-ACC

d. Denis ljubit eë.

Denis aime-Foc PRON-3SG-FEM-ACC.

‘Denis l’aime.’

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91

Comme nous pouvons remarquer des phrases (56b)–(56d), le pronom objet doit précéder

le verbe et il le suit seulement à condition que le verbe soit focalisé.

Selon Franks et King (2000) les pronoms objets en russe ne sont pas des clitiques,

puisqu’ils ne correspondent pas aux caractéristiques de vrais clitiques que l’on retrouve

dans d’autres langues slaves. Les auteurs supposent (2000: 4) que les clitiques sont des

items lexicaux qui ne servent jamais comme un domaine prosodique indépendant; comme

résultat, ils doivent toujours faire partie d’un autre domaine adjacent pour l’attribution

d’un accent. C’est pourquoi les clitiques sont prosodiquement faibles et, ainsi, sont non-

accentués. Les exemples en (57b)–(58b) qui sont des réponses aux questions (57a)–(58a)

prouvent que les pronoms objets direct et indirect n’ont pas besoin d’un domaine adjacent

et peuvent être indépendants:

(57) a. Kogo Denis ljubit?

qui Denis aime

‘Qui est-ce qui aime Denis?’

b. Eë.

PRON-3SG-FEM-ACC

Elle.17

17 Contrairement au français, le russe n’a pas de distinction entre pronoms toniques et atones. Les pronoms français elle et la n’ont qu’un équivalent en russe – eë.

Page 92: Liakin 2003

92

(58) a. Komu Denis prinës knigi?

à qui Denis a apporté livres

‘À qui Denis a-t-il apporté des livres?’

b. Im.

PRON-3PL-DAT

À eux.

Même si les pronoms objets en russe ne sont pas des clitiques, ils ne peuvent pas

rester dans leur position de base (56c) qui est celle des objets pleins (56a). Ils doivent

monter dans une position dans le domaine IP, puisqu’ils suivent le sujet de la phrase

(56b)18.

La distribution des pronoms objets par rapport aux adverbes que nous illustrons

dans les exemples en (59) nous démontre que les pronoms objets doivent les précéder, ce

qui est confirmé par la non-acceptabilité de l’exemple (59b) dans un contexte neutre:

(59) a. Denis eë krepko ljubit.

Denis PRON-3SG-FEM-ACC fort aime

‘Denis l’aime fort.’

18 Un pronom objet peut également apparaître dans la périphérie gauche à condition qu’il soit topicalisé ou focalisé : (i) a. Eë, Denis vsegda ljubil. la-Top Denis toujours aimait Elle, Denis l’aimait toujours

Page 93: Liakin 2003

93

b. * Denis krepko eë ljubit.

Denis fort PRON-3SG-FEM-ACC aime

Mais la phrase non-acceptable en (59b) devient grammaticale si l’adverbe est

focalisé:

(60) a. Denis krepko eë ljubit.

Denis fort-Foc PRON-3SG-FEM-ACC aime

‘C’est fort que Denis l’aime.’

Ainsi, les pronoms objets doivent suivre les syntagmes focalisés, mais ils précèdent les

adverbes: FocP > Pronom Objet > ModP.

En qui concerne la distribution des pronoms objets par rapport à la négation, (61a)

illustre l’ordre neutre d’une phrase qui contient les deux éléments, (61b) étant une phrase

où le pronom objet est focalisé:

(61) a. Denis nikogda eë ne ljubil.

Denis jamais PRON-3SG-FEM-ACC ne aimait

‘Denis ne l’a jamais aimée.’

b. Denis eë nikogda ne ljubil.

Denis PRON-3SG-FEM-ACC-Foc jamais ne aimait

‘C’était elle, que Denis n’a jamais aimée.’

Page 94: Liakin 2003

94

Le comportement de la négation nikogda par rapport à un pronom objet confirme notre

hypothèse que nikogda monte dans [Spec, FocP] dans une phrase neutre, et qui si un

autre élément focalisé est présent dans la phrase (pronom eë dans notre cas), nikogda

reste dans sa position de base [Spec, NegP].

Ces données nous poussent à proposer une autre position dans le domaine IP qui

serait le site des pronoms objets: la projection ClitP19 (suivant la nomenclature de

Sportiche 1992). Ainsi nous posons que les pronoms objets en russe sont dans la position

de spécifieur de leur propre projection et ne sont pas rattachés à une autre tête existante

comme par exemple Temps, qui sert de hôte syntaxique pour les clitiques en bulgare

(Tomič 1996). Nous illustrons la structure finale du domaine IP en (62):

(62) TP > FocP > ClitP > ModP > NegP

2.5. Conclusion

Dans ce chapitre, en nous basant sur les propriétés syntaxiques et distributives des

éléments que nous retrouvons dans le domaine IP, nous avons proposé que la structure de

IP en russe contient cinq projections fonctionnelles distinctes: TP, FocP, ClitP, ModP et

NegP. Nous avons démontré que le russe est une langue SVO sans montée du verbe dans

Infl. Nous soutenons que les possibilités d’avoir les ordres de mots OSV et SOV sont

réalisées par la focalisation de l’Objet soit dans la périphérie gauche (OSV) soit dans le

domaine IP (SOV). Nous avons également discuté les raisons pour l’ordre OVS et avons

mis en question l’analyse de Bailyn (2001) qui, pour expliquer pourquoi un DP

19 Même si les clitiques comme tels sont absent en russe, nous préférons garder pour la projection fonctionnelle un nom déjà existant – ClitP qui est un site des pronoms dans d’autres langues, au lieu de proposer un autre nom qui pourrait être PrObjP ou même AgrOP.

Page 95: Liakin 2003

95

Nominatif ne monte pas toujours dans [Spec, IP], affirme, suivant Collins (1997), que

l’économie est calculée localement, et que tous les arguments internes sont équidistants

de la position [Spec, IP]. Nous avons démontré que cette analyse est incapable

d’expliquer certains phénomènes reliés aux constructions en question et nous avons

suggéré que l’ordre OVS en russe doit plutôt être relié à la topicalisation ou à la nature du

verbe.

Page 96: Liakin 2003

96

CHAPITRE III POSITION DES SYNTAGMES FOCALISES20

3.0. Introduction

Ce chapitre présente les discussions autour de la notion du focus, ainsi que notre

proposition d’analyse des syntagmes focalisés en russe. De von der Gabelentz (1869) à

Kiss (1998) et Zubizaretta (1998), de l’École de Prague à la grammaire générative, nous

parcourons l’évolution de la notion du focus et présentons notre analyse des syntagmes

focalisés en russe. Contrairement aux analyses antérieures (King 1995; Junghanns et

Zybatow 1995; Zybatow et Mehlhorn 1999), nous affirmons qu’il existe deux possibilités

syntaxiques en russe pour focaliser un syntagme à partir d’une phrase déclarative neutre:

une dans la périphérie gauche et l’autre dans le domaine IP, entre TP et vP. Nous

démontrons que ces deux positions sont les positions de spécifieurs de la projection

fonctionnelle FocP. En nous basant sur les deux tests d’exhaustivité, celui de Szabolcsi

(1981) et celui de Farkas (Kiss 1998, communication personnelle), nous proposons que

ces deux positions se distinguent à l’égard de l’exhaustivité, ce qui expliquerait la

hiérarchie que l’on retrouve dans le positionnement des XPs focalisés en russe. Les deux

positions sont capables d’accueillir les syntagmes contrastés, mais seule la position

[Spec, FocP] de la périphérie gauche peut accueillir les syntagmes exhaustifs. La

discussion sur la relation entre les syntagmes focalisés et les syntagmes wh- clôt ce

chapitre.

20 Ce chapitre est une version revue et augmentée de Liakin (2003).

Page 97: Liakin 2003

97

3.1. Le focus comme une notion linguistique

Au dix-neuvième siècle, les philologues (von der Gabelentz 1869 et Paul 1880 entre

autres) commencent à rendre compte de la structure sujet-prédicat traditionnelle et

purement descriptive en termes de syntaxe. Plus cette structure est reconstruite, plus

conscients deviennent les linguistes du fait qu’il existe un résidu qui n’est pas capté par la

description syntaxique. En particulier, la présentation du contenu de la phrase ne

correspond pas toujours aux catégories syntaxiques. Par conséquent, une structure

additionnelle de la phrase est introduite, qui, par la suite, a reçu des étiquettes différentes,

mais qu’on sous-entend toujours comme une structure sujet-prédicat additionnelle. La

base théorique pour cette structure additionnelle varie selon la formation théorique des

chercheurs. Ainsi von der Gabelentz (1869), suivi par Paul (1880), introduit la paire sujet

psychologique – prédicat psychologique, étant donné que, selon leur approche, la

psychologie est la base ultime pour la structure de la langue. Amman (1929) utilise les

termes thème – rhème, tandis que les linguistes de l’École de Prague employent topique –

commentaire, les deux étant empruntés de la rhétorique et de la philologie. C’est une

progression de la base psychologique vers la théorie de communication (la base

informative). C’est Halliday (1967) qui apporte l’opposition thème – rhème au

structuralisme américain, et ce sont Chomsky (1971) et Jackendoff (1972) qui

reformulent la distinction en termes de focus – présupposition, en soulignant la nature

sémantico-pragmatique de la distinction. Toutes ces approches ont en commun les deux

suppositions suivantes: premièrement, la dichotomie de la phrase en deux parties

disjointes relativement à leur contenu informationnel; deuxièmement, la distinction entre

les parties en termes de leur contribution au sens de la phrase.

Page 98: Liakin 2003

98

L’évolution de la notion du focus comme un trait syntaxique (Jackendoff 1972)

prend ses racines dans la recherche de Halliday (1967), qui introduit la notion du focus de

l’information comme la proposition pour la description de la structure informative de

l’anglais. Ainsi, la notion du focus sous-entend une construction hypothétique qui

possède un corrélat phonologique (l’accent de phrase), un corrélat sémantico-

pragmatique (l’information nouvelle), et, selon Jackendoff (1972), un corrélat syntaxique

(un trait syntaxique [+F]).

Chomsky & Halle (1968), Bresnan (1971), Lakoff (1972), Stockwell (1972) et

Berman & Szamosi (1972) supposent qu’il existe une relation directe entre une phrase

bien-formée et la position de l’accent phrastique (ou l’accent nucléaire). Ces auteurs

posent que la relation entre la structure syntaxique et l’occurrence de l’accent nucléaire se

traduit dans un ensemble spécifique de règles, dont la plus proéminente est la règle de

l’accent nucléaire, proposée par Chomsky & Halle (1968). Une approche similaire

adoptée par Liberman & Prince (1977), qui étudient le processus de l’application de la

syntaxe à la phonologie du point de vue phonologique, et non pas du point de vue

syntaxique comme les auteurs susmentionnés. Vue de la perspective modulaire,

l’approche de Liberman & Prince suppose que le composant syntaxique, représenté par

les parenthèses étiquetées des structures de surface, peut être traduit directement en

phonologie de l’intonation.

L’approche syntaxique a été critiquée par Bolinger (1972), un adepte de

l’approche sémantico-pragmatique, dont l’idée centrale est que la distribution de l’accent

phrastique est déterminée par l’accentuation sémantique et affective, et non pas par la

structure syntaxique. Schmerling (1976), bien qu’une adepte de la même approche,

Page 99: Liakin 2003

99

critique non seulement l’approche syntaxique, mais aussi l’approche alternative

programmatique de Bolinger. Elle dénonce la règle de l’accent nucléaire et la notion de

l’intonation normale, qui a été considérée comme allant de soi dans la recherche

linguistique de cette époque. Schmerling montre que les règles basées sur la syntaxe

comme la règle de l’accent nucléaire sont sujettes à la circularité puisqu’elles

fonctionnent selon l’aphorisme “my rules account for normal stress, and, ‘normal stress’

means the stress my rules predict” (1976: 48). Au lieu de cela, elle propose que le

placement de l’accent est le résultat de l’interaction des facteurs sémantiques, contextuels

et rythmiques.

L’approche du focus comme une information nouvelle a été introduite par

Halliday (1967). Bien que son approche soit encore basée sur la terminologie des

linguistes de l’École de Prague (Mathesius (1929) et Fibras (1966)), il transcende les

termes comme thème vs. rhème, et introduit les termes information donnée vs.

information nouvelle, qui influencent encore maintenant les discussions de

l’interprétation des structures focalisées. On peut regrouper dans cette tradition Chomsky

(1971), Akmajian (1973), Williams (1980) et Höhle (1982), puisqu’ils perçoivent la

notion du focus comme une notion pragmatique dans la mesure où ils emploient le terme

focus comme synonyme de la nouvelle information, et utilisent le terme présupposition

pour l’information donnée. Plus exactement, Chomsky (1971) avance l’hypothèse que

certains aspects de l’interprétation sémantique sont déterminés par la structure de surface

en établissant ainsi le focus et la présupposition: le constituant focalisé contient un centre

d’intonation, tout en étant marqué par lui, tandis que la présupposition est obtenue en

remplaçant le focus par une variable. Selon Chomsky (1971), l’interprétation sémantique

Page 100: Liakin 2003

100

de (1a) et (1b) montre que Alex est le focus de la phrase et chante la chanson est la

présupposition. Dans (1c) la présupposition reste la même, mais le focus change à

Nicolas.

(1) a. Est-ce Alex qui chante la chanson?

b. Ce n’est pas Alex qui chante la chanson.

c. Non, c’est Nicolas qui chante la chanson.

Jackendoff (1972) suit Chomsky (1971), en affirmant que la division en

présupposition et en focus fait la partie de la représentation sémantique de la phrase.

Jackendoff (1972: 230) caractérise le focus et la présupposition comme les définitions de

travail en relation envers le modèle discursif, qui implique un locuteur et un auditeur,

presque dans le sens de Chafe (1970):

We will use “focus of a sentence” to denote the information in the sentence that is

assumed by the speaker not to be shared by him and the hearer, and

“presupposition of a sentence” to denote the information in the sentence that is

assumed by the speaker to be shared by him and the hearer.

La définition de la notion de présupposition explique pourquoi la phrase (3a) dans le

contexte (2) est bien formée par opposition à (3b) qui est apragmatique dans le même

contexte:

Page 101: Liakin 2003

101

(2) Est-ce Denis qui étudie la phonologie?

(3) a. Non, c’est Sveta qui étudie la phonologie.

b. # Non, c’est Sveta qui étudie la syntaxe.

Jackendoff spécifie le focus comme un marqueur syntaxique F qui peut être

associé avec tout nœud en structure de surface: “One artificial construct is required: a

syntactic marker F which can be associated with any node in the surface structure (1972:

240).” Selon cet auteur, le focus n’est pas sous-entendu comme un réflexe de phonologie

comme dans l’approche de Chomsky (1971), mais constitue plutôt une notion qui est

pertinente pour la phonologie et pour la sémantique. Ce trait est interprété selon la règle

de l’assignation de l’accent (4) du côté phonologique, et selon la règle de l’assignation du

focus (5) du côté sémantique:

(4) Stress Assignment Rule (Jackendoff 1972: 237)

If a phrase is chosen as the focus of a sentence S, the highest stress in S will be on

the syllable of P that is assigned highest stress by the regular stress rule.

(5) Focus Assignment Rule first approximation (Jackendoff 1972: 240)

The semantic material associated with surface structure nodes dominated by F is

the Focus of the sentence. To derive the Presupposition, substitute appropriate

semantic variables for the focused material.

Page 102: Liakin 2003

102

Le trait focus F sur le nœud NP en (6) est phonologiquement interprété comme

l’accent d’intensité sur Fred, et son interprétation sémantique dit que Fred est le focus,

alors que Sam talked to someone est la présupposition. La structure de surface annotée est

parfois appelée la structure focus:

(6) Le trait focus F et ses interprétations phonologique et sémantique

S structure focus V NP VP V V NPF structure de surface [Sam talked] [to Fred]F Stress Assignment Rule Focus Assignment Rule Sam talked to Fred focus: Fred présup: Sam talked to x H*L interprétation phonologique interprétation sémantique

Ainsi, Jackendoff sépare explicitement la notion de focus de sa représentation

phonologique et de son interprétation sémantique.

3.2. Des analyses récentes

Il existe un consensus de plus en plus répandu parmi les syntacticiens qui étudient

la structure informative de la phrase, que le focus présentationnel et le focus contrastif

sont deux types universels de structure informative, qui possèdent différentes

Page 103: Liakin 2003

103

représentations sémantiques et syntaxiques (Kiss 1995, 1998; Winkler 1997;

Drubig 1994; Kenesei 1996 entre autres). Dans ce qui suit, nous offrons une brève

présentation des analyses les plus récentes sur le focus que nous croyons les plus

pertinentes pour notre recherche.

3.2.1. Kiss (1995, 1998) Kiss (1995) soutient que l’expression de l’identification ou du contraste est reliée

universellement avec une position structurale. Cette position est associée avec sa propre

projection fonctionnelle, FocP, qui se trouve plus haut que IP (à l’intérieur de CP) mais à

côté du verbe fléchi. FocP doit projeter dans toute langue si la phrase contient un élément

porteur du trait [focus]. Cet élément est appelé le focus contrastif ou le focus

d’identification en fonction de la contribution sémantique que le focus apporte. Les

éléments qui portent le trait [focus] affectent les conditions de vérité de la phrase et sont

associés à la projection FocP contre laquelle ils vérifient leurs traits dans la dérivation.

Selon Kiss, on distingue deux types de langues: d’un côté, les langues où l’élément

focalisé monte obligatoirement dans FocP en syntaxe visible (p. ex. l’hongrois), de

l’autre, les langues où la montée dans FocP se passe invisiblement en FL (p. ex. le grec).

Kiss distingue deux types de focus: le focus informationnel (ou présentationnel) et

le focus d’identification (ou contrastif). Le focus contrastif exprime une identification

exhaustive et n’a pas besoin d’être présent dans chaque phrase. De plus, il peut

déclencher la réorganisation des éléments de la phrase. Le focus informationnel, quant à

lui, transmet tout simplement l’information non-présupposée, sans exprimer une

identification exhaustive, il est présent dans chaque phrase et ne déclenche aucune

Page 104: Liakin 2003

104

réorganisation syntaxique. Ces deux types de focus sont illustrés par les données du

hongrois en (7) (Kiss (1998: 247)):

(7) a. Tegnap este Marinak mutattam be Pétert.

dernière nuit Mary-Foc ai introduit PERF Pierre

‘C’était à Marie que j’ai introduit Pierre la nuit passée.’

b. Tegnap este mutattam be Pétert Marinak.

Dernière nuit ai introduit PERF Pierre Mary

‘La nuit passée j’ai introduit Pierre à Marie.’

Selon Kiss, en (7a) le focus exprime une identification exhaustive et signifie que de

tout l’ensemble d’individus présents dans le domaine de discours, c’était Marie et

personne d’autre à qui j’ai introduit Pierre la nuit dernière. La phrase en (7b), de l’autre

côté, présente Marie simplement comme une information non-présupposée (focus

informationnel), sans faire penser que Marie a été nécessairement la seule de l’ensemble

de personnes en question auxquelles j’ai introduit Pierre.

Kiss (1998) souligne que le focus contrastif introduit un opérateur qui change la

condition de vérité de la phrase ou les conséquences logiques de la phrase, ce qui n’est

pas le cas avec le focus informationnel. Le focus contrastif est associé avec une position

syntaxique particulière, tandis que le focus informationnel ne l’est pas. En plus, l’auteure

remarque qu’il y a deux versions du focus contrastif: le focus contrastif peut exprimer le

contraste, qui est une identification avec exclusion ou il peut exprimer l’identification

Page 105: Liakin 2003

105

tout simplement. Selon Kiss (1998), le focus d’identification exprime le contraste s’il

opère sur un ensemble fermé d’entités dont les membres sont connus aux participants de

la conversation. Toutefois, le focus d’identification peut opérer aussi sur un ensemble

d’entités ouvert, comme dans l’exemple hongrois en (8b) qui est une réponse à la

question (8a) (Kiss (1998: 268)):

(8) a. Ki írta a Háború és békét?

Qui a écrit la guerre et paix

‘Qui a écrit La guerre et la paix?’

b. A Háború és békét Tolsztoj írta.

La guerre et paix Tolstoy-Foc a écrit

‘C’est Tolstoy qui a écrit La guerre et la paix.’

La réponse en (8b) ne présuppose pas un ensemble fermé d’écrivains qui aurait pu écrire

La guerre et la paix.

3.2.2. Zubizaretta (1998) Tout comme Kiss (1995, 1998) Zubizaretta distingue entre le focus présentationnel et le

focus contrastif, et ses conclusions concernant la syntaxe et la sémantique de ces deux

types de focus sont similaires à celles de Kiss et ne seront pas discutées ici. Pourtant,

nous nous arrêterons sur son analyse du focus contrastif.

Page 106: Liakin 2003

106

L’auteure constate que le focus contrastif a deux effets: il nie la valeur assignée à

la variable dans la spécification du contexte et, en même temps, il introduit une valeur

alternative pour cette variable. L’exemple en (9), de Zubizaretta (1998: 7), illustre une

déclaration contrastive et sa spécification du contexte (entre crochets):

(9) John is wearing a red shirt today (not a blue shirt).

[John is wearing a blue shirt today.]

Dans son analyse du champ préverbal en espagnol et en italien, Zubizaretta soutient que

ces deux langues ont différentes réalisations structurales du focus. Selon l’auteure, le

Temps (T) est considéré comme une catégorie syncrétique (dans le sens de Giorgi et

Pianesi 1996), dans laquelle le trait T(emps) peut entrer en combinaison avec les traits

fonctionnels discursifs, comme topique ou focus, en formant des catégories syntaxiques

T/topique ou T/focus. Ainsi, l’auteure propose pour l’espagnol une “analyse généralisée

de TP” (generalized TP analysis). Zubizaretta remarque que du point de vue de

l’approche minimaliste de Chomsky (1995), le syncrétisme de traits est désirable et

garantit la structure minimale dans une dérivation donnée. Différents types de

constituants peuvent occuper la position [Spec, TP]: les syntagmes topicalisés, focalisés,

les syntagmes wh- et les sujets, et, ainsi, T joue un rôle crucial dans la vérification du cas

Nominatif et des traits discursifs qui appartiennent à la couche extérieure de la structure

de phrase.

Zubizaretta, suivant Belletti et Shlonsky (1995), propose que [Spec, TP] en italien

est exclusivement occupé par le sujet, et que les syntagmes focalisés sont disloqués à

Page 107: Liakin 2003

107

gauche, en occupant une position au-dessus de TP. Le contraste entre l’espagnol et

l’italien est, entre autres, dû au fait que l’italien ne permet pas l’ordre VSO et que les

sujets post-verbaux sont disloqués à droite (suivant Kayne (1994)). Ceci suggère que le

cas Nominatif en italien doit être vérifié en syntaxe visible dans [Spec, TP]. En plus, en

italien (10), le focus préverbal ou un constituant emphatique peut ne pas être adjacent au

verbe:

(10) a. Questo Gianni ti dirà (non quello che pensavi).

cela Gianni te dira (non ce que (tu) pensais)

‘C’est cela que Gianni te dira (et non pas ce que tu pensais)

(Rizzi 1995: 299)

b. Qualcosa, di sicuro, io farò.

Quelque chose sûrement je ferai

‘Quelque chose, je le ferai sûrement.’

(Cinque 1990: 15)

En ce qui concerne l’espagnol, Zubizaretta soutient qu’un élément focalisé (11a–b) ou un

élément emphatique (11c–d) doivent être adjacents au champ verbal, puisque selon

l’auteure (1998: 103) le trait fonctionnel [focus] forme une catégorie syncrétique avec T.

Zubizaretta explique l’agrammaticalité de (11a) et (11c) par le fait que l’élément

topicalisé occupe une position au-dessus de TP; c’est pourquoi ni le syntagme focalisé

(11a), ni le syntagme emphatique (11c) ne peuvent précéder le Topique:

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108

(11) a. * Las espinacas, Pedro trajo (y no las papas)

les épinards-Foc Pedro-Top a apporté et non les patates

‘Ce sont les épinards que Pedro a apporté (et non pas les patates).’

b. Estoy segura que, Pedro, las espinacas trajo (y no las

(je) suis sûr que Pedro-Top les épinards-Foc a apporté et non les

patates)

papas)

‘Pedro, ce sont les épinards qu’il a apporté (et non pas les patates).’

c. * ALGO, María te habrá dicho para que te

Quelque chose María-Top te aurait dit pour que tu

hayas enojado tanto.

soit fâché tant

‘Marie t’aurait dit quelque chose pour que tu sois si fâché.’

d. Estoy segura que, María, ALGO te habrá dicho para

(je) suis sûre que María-Top quelque chose te aurait dit pour

que te hayas enojado tanto.

que tu soit fâché tant

(Zubizaretta 1998: 103–104)

Page 109: Liakin 2003

109

Zubizaretta propose ainsi qu’en italien la projection FocP se trouve entre CP et TP,

suivant Rizzi (1995). L’espagnol, pour sa part, n’aurait pas la projection FocP puisque

Zubizaretta y considère le focus comme un trait syntaxique incorporé à T.

3.3. Le focus en russe

Dans cette section nous démontrons que le russe est une langue qui possède deux

positions structurales pour les syntagmes focalisés: une dans la périphérie gauche et

l’autre dans la périphérie droite, entre TP et vP. Nous expliquons la présence de deux

positions par l’exhaustivité du Focus de la périphérie gauche.

3.3.1. Les positions des XPs focalisés en russe Il existe deux possibilités syntaxiques en russe pour focaliser un syntagme à partir d’une

phrase déclarative neutre (12a). La première possibilité est de déplacer le syntagme en

question dans la position initiale de la phrase comme en (12b); la deuxième est de le

déplacer dans la position préverbale comme en (12c). Dans les deux cas nous avons une

lecture contrastive de l’élément focalisé, les deux étant accompagnées d’un contour

intonationnel particulier:

(12) a. Deti čitajut knigi.

Enfants lisent livres

‘Les enfants lisent les livres.’

Page 110: Liakin 2003

110

b. Knigi deti čitajut.

Livres-Foc enfants lisent

‘Ce sont les livres que les enfants lisent (et non pas les revues).’

c. Deti knigi čitajut.

Enfants livres-Foc lisent

‘Ce sont les livres que les enfants lisent (et non pas les revues).’

Une troisième position est associée avec la position finale dans la phrase à laquelle cet

élément focalisé appartient:

(13) Deti čitajut knigi, a ne žurnaly.

Enfants lisent livres-Foc et ne revues

‘Ce sont les livres que les enfants lisent et non pas les revues.’

À la différence de (12b–c), la construction en (13) est plus appropriée lorsqu’elle est

opposée à un syntagme, et elle se distingue par un contour intonationnel moins fort. Si

l’élément auquel le syntagme focalisé s’oppose est absent en (13), il s’agira d’un focus

qui exprime uniquement l’identification sans aucun contraste. Cette identification sans

contraste peut être illustrée par la situation dans laquelle le locuteur exprime sa joie par le

fait que les enfants ont commencé enfin à lire des livres, ce qu’ils n’ont jamais fait

auparavant.

Page 111: Liakin 2003

111

King (1993, 1995), Junghanns et Zybatow (1995) et Zybatow et Mehlhorn (1999)

considèrent la notion du focus contrastif en russe et expliquent les données en (12–13)

sous deux angles différents que nous présentons dans la section suivante.

3.3.2. Analyses antérieures

King (1993, 1995) présume qu’il existe une position associée avec le focus contrastif qui

correspond à la position canonique linéaire du focus dans les phrases à connotations

émotives. Selon King, dans les phrases à connotations émotives la position ordinaire pour

les syntagmes focalisés est la position pré-verbale. L’auteure propose que cette position

est celle de [Spec, IP]. Selon son analyse, la phrase en (14) aura la dérivation en (15) :

(14) Ja xleb pokupaju.

je pain-Foc achète

‘C’est le pain que j’achète (et non pas le lait).’

(15) IP V NPi IP Ja V NPj I’ xleb V V + Ik VP V ti V’ V tk tj

Page 112: Liakin 2003

112

King soutient que le russe est une langue VSO, où le verbe monte obligatoirement dans Iº

et elle affirme que si le sujet précède le verbe, il est topicalisé et est adjoint à IP. Dans le

Chapitre II nous avons présenté des arguments qui soutiennent l’hypothèse selon laquelle

le russe est une langue SVO, et ainsi, le fait que le sujet précède le verbe, n’est pas dû

uniquement à la topicalisation. De plus, même si cette analyse rend compte du focus

préverbal, elle ne pourra pas expliquer le placement du DP focalisé dans la position

initiale de la phrase comme en (16):

(16) Xleb ja pokupaju.

Pain-Foc je achète

‘C’est le pain que j’achète. (et non pas le lait).

Ici, si le DP focalisé est dans le [Spec, IP], le DP sujet, étant situé plus bas que l’élément

focalisé, ne peut pas être adjoint à IP, et ainsi, l’analyse qui prévoit une position unique

pour les DPs focalisés en russe n’est pas souhaitable.

Junghanns et Zybatow (1995) et Zybatow et Mehlhorn (1999) soutiennent qu’il

n’y aurait aucune position spécifique dans la structure de la phrase qui puisse être

associée avec le focus contrastif. Selon ces auteurs, le focus contrastif peut être assigné à

tout constituant in situ ou après un mouvement, par conséquent, le focus contrastif peut

être réalisé dans la périphérie gauche ou droite, ou à l’intérieur de la phrase comme dans

les exemples en (12)–(13). Même si à première vue cette analyse semble rendre compte

des données en (12)–(13), elle n’explique pas le contraste entre (17a–b) dans le contexte

Page 113: Liakin 2003

113

où une personne voit des enfants dans la voiture et elle pense que les enfants lisent une

revue scientifique, mais quelqu’un lui réplique:

(17) a. Deti skazki čitajut v mašine.

Enfants contes-Foc lisent dans voiture

‘Ce sont les contes que les enfants lisent dans la voiture (et non pas une

revue scientifique).’

b. * Deti čitajut skazki v mašine.

Enfants lisent contes-Foc dans voiture

Un autre argument contre une analyse qui propose qu’il n’y aurait aucune position dans la

structure de la phrase qui puisse être associée avec le focus contrastif serait la distribution

des syntagmes focalisés dans la périphérie gauche, où, comme nous avons vu dans le

Chapitre I, ceux-ci doivent suivre la conjonction čto (18) et les topiques (19):

(18) a. Ja dumaju, čto etu knigu ty skoro pročitaeš.

Je pense que ce livre-Foc tu bientôt liras

‘Je pense que c’est ce livre que tu liras (est non pas un autre).’

b. * Ja dumaju, etu knigu čto ty skoro pročitaeš.

Je pense ce livre-Foc que tu bientôt liras

‘Je pense que c’est ce livre que tu liras (est non pas un autre).’

Page 114: Liakin 2003

114

(19) a. * Etomu fil’mu, nagradu, oni eë dadut.

à ce film-Foc prix-Top ils la donneront

‘Le prix, c’est à ce film qu’on l’attribuera (et à aucun d’autre).’

b. Nagradu, etomu fil’mu oni eë dadut.

Prix-Top à ce film-Foc ils la donneront

‘Le prix, c’est à ce film qu’on l’attribuera (et à aucun d’autre).’

Ainsi, les deux analyses des syntagmes focalisés en russe ne permettent pas de

rendre compte du fait que les syntagmes focalisés peuvent apparaître dans les deux

périphéries. Dans ce qui suit, nous démontrons qu’il y a en russe deux positions distinctes

pour les syntagmes focalisés et qu’il existe une raison pour faire cette distinction

puisqu’elles se comportent différemment par rapport à leur interprétation sémantique.

3.3.3. Quelles sont ces positions de focus?

Il existe un argument en faveur de deux positions pour les syntagmes focalisés en russe :

l’une au-dessus de TP et l’autre entre TP et vP. Selon Jackendoff (1972), certains

adverbes, comme wisely, sont ambigus entre une lecture phrastique et une lecture

de manière. Considérons les phrases russes en (20)–(22) où nous employons l’adverbe

russe blagorazumno ‘intelligemment’, équivalent à wisely:

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115

(20) My blagorazumno Alekseju daëm sovety.

nous intelligemment à Alexis-Foc donnons conseils

‘Nous donnons des conseils à Alexis d’une manière intelligente.’ (lecture de

manière)

‘C’est intelligent de notre part de donner des conseils à Alexis.’ (lecture

phrastique)

(21) My Alekseju blagorazumno daëm sovety.

nous à Alexis-Foc intelligemment donnons conseils

‘Nous donnons des conseils à Alexis d’une manière intelligente.’

# ‘C’est intelligent de notre part de donner des conseils à Alexis.’

(22) Alekseju my blagorazumno daëm sovety.

à Alexis-Foc nous intelligemment donnons conseils

‘Nous donnons des conseils à Alexis d’une manière intelligente.’

‘C’est intelligent de notre part de donner des conseils à Alexis.

En (20), où l’adverbe précède l’élément focalisé, nous avons la lecture de manière aussi

bien que la lecture phrastique. En (21), où l’élément focalisé précède l’adverbe, la seule

lecture possible est celle de manière. En (22), où l’élément focalisé est dans la position

initiale de la phrase, nous pouvons avoir les deux lectures, comme en (20).

Pour interpréter ce contraste, nous adoptons les arguments de Watanabe (1993) et

de Bošković (1997) selon lesquels les adverbes phrastiques sont adjoints à TP, tandis que

Page 116: Liakin 2003

116

les adverbes de manière sont adjoints à VP (ce qui correspond à la projection ModP dans

les domaines CP et IP selon notre analyse). Le contraste dans l’interprétation de l’adverbe

dans ces phrases suggère qu’une position de focus se trouve sous TP. Les cas où nous

avons une lecture phrastique de l’adverbe, en (20) et (22), signifient que l’adverbe peut

être dans [Spec, ModP] de la périphérie gauche, tandis que quand cette lecture n’est pas

disponible (21), l’adverbe ne peut pas s’y trouver et doit se situer plus bas dans la

structure. Puisque dans l’exemple (21), où le syntagme focalisé précède l’adverbe, nous

ne pouvons pas avoir la lecture phrastique, le syntagme focalisé doit se trouver dans une

position qui se trouve entre TP et vP. Si l’adverbe précède le syntagme focalisé, comme

en (20), nous pouvons avoir les deux lectures. Cela veut dire que l’adverbe peut être dans

[Spec, ModP] de la périphérie gauche ou dans celui du domaine IP, ce qui signifie que le

syntagme focalisé est situé au moins plus haut que vP. L’exemple en (22) montre que

quand le syntagme focalisé se trouve dans la position initiale de la phrase, nous pouvons

avoir les deux lectures et, ainsi, le syntagme focalisé peut monter dans une position au-

dessus de TP.

3.3.4. FocP dans la périphérie gauche

Dans le Chapitre I, nous avons suggéré l’existence de la projection fonctionnelle FocP

dans la périphérie gauche. Dans les lignes qui suivent, nous montrons que Focº de la

périphérie gauche en russe possède le trait fort [focus]. Nous nous baserons sur les

constructions avec le clitique že qui, selon l’analyse proposée, occupe la position de tête

de FocP.

Page 117: Liakin 2003

117

D’abord nous essayerons de montrer que l’élément qui précède le clitique že est

toujours focalisé. Comme le remarquent Kiss (1998), Kenesei (1986), Rudin, King et

Izvorski (1996) et Szabolcsi (1994) entre autres, les quantificateurs existentiels comme

quelqu’un ou quelque chose sont par nature incapables d’apparaître dans une position

focalisée. L’agrammaticalité des phrases en (23b) et (24b) montre qu’en russe les

quantificateurs existentiels ne peuvent pas précéder že et ainsi, cette position est réservée

aux syntagmes focalisés:

(23) a. Knigu že Ivan pročital.

livre-Foc že Ivan a lu

‘C’est en fait un livre que Ivan a lu.’

b. * Čto-nibud’ že Ivan pročital.

Quelque chose-Foc že Ivan a lu

* ‘C’est en fait quelque chose que Ivan a lu.’

(24) a. Ivan že protčital knigu.

Ivan-Foc že a lu livre

‘C’est en fait Ivan qui a lu le livre.’

b. * Kto-nibud’ že protčital etu knigu.

quelqu’un že a lu livre

* ‘C’est en fait quelqu’un qui a lu le livre.’

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118

Un autre exemple nous est donné par la distribution des adverbes sensibles au focus

comme par exemple seulement qui, selon Rooth (1992) et von Fintel (1994), est sensible

à la focalisation:

(25) a. Tol’ko tsvety že ty dal Marii.

seulement fleurs-Foc že tu a donné à Maria

‘C’est en fait seulement les fleurs que tu as données à Maria.’

b. * Tsvety že ty tol’ko Marii dal.

fleurs-Foc že tu seulement à Maria-Foc a donné

* ‘C’est en fait les fleurs que tu as données seulement à Maria.’

L’agrammaticalité de la phrase (25b) nous montre que si un élément focalisé est présent

dans la phrase (le DP tsvety) et est associé à l’élément qui précède že, le deuxième

élément focalisé dans la phrase (tol’ko Marii) devient aberrant puisque seulement un seul

syntagme focalisé est permis dans la phrase.

D’après ces deux tests (distribution des quantificateurs existentiels et de l’adverbe

seulement), nous concluons que la position du spécifieur de la projection fonctionnelle

FocP de la périphérie gauche est le site d’atterrissage éventuel des syntagmes focalisés en

russe.

Nous présumons que la phrase en (12b) que nous répétons en (26) aura la

dérivation en (27):

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119

(26) Knigi deti čitajut.

Livres-Foc enfants lisent

‘Ce sont les livres que les enfants lisent.’

(27) FocP V Knigi Foc’ V Foc TP V Deti T’ V T vP V t Sujet v’ V v VP V V t Objet čitajut

Dans la dérivation en (27) la phrase contient la tête fonctionnelle Focº ayant un trait

formel [focus] fort qui exige la vérification dans la configuration spécifieur-tête pour la

convergence de la dérivation. Le seul candidat possible pour cette vérification est un item

lexical avec un trait formel [focus] – l’objet direct knigi. Le sujet deti, quant à lui, monte

dans [Spec, TP] pour vérifier le trait OCC fort de Tº.

Page 120: Liakin 2003

120

3.3.5. FocP du domaine IP

Nous soutenons que la deuxième position du focus en russe est celle du spécifieur de la

projection fonctionnelle FocP, située entre TP et vP comme nous avons démontré dans le

Chapitre II. Ainsi, en (12b) que nous reprenons en (28), le syntagme focalisé knigi se

trouve dans le domaine IP:

(28) Deti knigi čitajut.

Enfants livres-Foc lisent

‘Ce sont les livres que les enfants lisent.’

De façon intéressante, le même marqueur du focus contrastif že peut apparaître dans le

domaine IP pour marquer un syntagme focalisé:

(29) Deti knigi že čitajut.

Enfants livres-Foc že lisent

‘Ce sont en fait les livres que les enfants lisent.’

En conséquence, le test de distribution des quantificateurs existentiels s’applique dans

cette position. L’agrammaticalité de (30) confirme notre hypothèse:

(30) * Deti čto-nibud’ že čitajut.

Enfants quelque chose-Foc že lisent

* ‘C’est en fait quelque chose que les enfants lisent.’

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Nous proposons pour la phrase (29) la dérivation en (31) où la projection FocP est

générée dans le domaine IP:

(31) TP V Deti T’ V T FocP V knigi Foc’ V Foc vP V t Sujet v’ V v VP V V t Objet čitajut

Dans cette dérivation, l’objet direct knigi vérifie un trait formel [focus] de la tête

fonctionnelle Focº, étant le seul candidat possible pour cette vérification. Le sujet deti, est

quant à lui attiré dans [Spec, TP] pour vérifier le trait OCC fort de Tº.

Une question logique que nous nous posons est la suivante: s’il existe deux

positions pour les syntagmes focalisés en russe, qu’est-ce qui les distingue? Dans ce qui

suit, nous démontrerons que ces deux positions se distinguent à l’égard de l’exhaustivité.

Ces deux positions sont capables d’accueillir les syntagmes contrastés, mais seule la

position [Spec, FocP] de la périphérie gauche peut accueillir les syntagmes exhaustifs.

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3.4. La contrastivité du Focus

Comme nous avons mentionné, les deux positions de spécifieur de la projection

fonctionnelle FocP de la périphérie gauche et du domaine IP peuvent accueillir les

syntagmes contrastés, où le focus nie la valeur assignée à la variable dans la spécification

du contexte et, en même temps, introduit une valeur alternative pour cette variable. Les

phrases en (32b–c) sont des répliques possibles à l’affirmation en (32a):

(32) a. Ivan pokupaet kvartiru.

Ivan achète appartement

‘Ivan achète un appartement.’

b. Dom Ivan pokupaet.

Maison Ivan achète

‘C’est une maison qu’Ivan achète (et rien d’autre).’

c. Ivan dom pokupaet.

Ivan maison achète

‘C’est une maison qu’Ivan achète (et rien d’autre).’

En (32b–c) le focus nie la valeur, assignée à la variable (appartement), et, en même

temps, il introduit une valeur alternative pour cette variable (maison) et, ainsi, les deux

positions sont compatibles avec le focus contrastif.

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123

3.5. L’exhaustivité du Focus de la périphérie gauche

Si les deux positions de focus en russe sont compatibles avec le focus contrastif, dans ce

qui suit, nous démontrerons que ces deux positions se distinguent à l’égard de

l’exhaustivité. Il existe deux tests d’exhaustivité: celui de Szabolcsi (1981) et celui de

Farkas (Kiss 1998, communication personnelle).

3.5.1. Le test de Szabolcsi (1981)

Le test de Szabolcsi implique une paire de phrases, dans lesquelles la première phrase a

un focus qui consiste en un DP coordonné, tandis que dans la deuxième phrase, un des

DPs coordonnés est omis. Si la deuxième phrase n’est pas une conséquence logique de la

première phrase, le focus exprime l’identification exhaustive. Kiss (1998: 250) illustre

plus amplement ce test par les exemples du hongrois que nous reproduisons en (33)–(34).

La phrase en (33a) contient un focus contrastif, tandis que celle en (34a) contient un

focus informationnel :

(33) a. Mari egy kalapot és egy kabátot nézett ki magának.

Marie un chapeau-Foc et un manteau-Foc a pris à soi

‘C’était un chapeau et un manteau que Marie a pris pour elle-même.’

b. Mari egy kalapot nézett ki magának.

Marie un chapeau-Foc a pris à soi

‘C’était un chapeau que Marie a pris pour elle-même.’

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(34) a. Mari ki nézett magának egy kalapot és egy kabátot.

Marie a pris à soi un chapeau et un manteau

‘Mary a pris un chapeau et un manteau pour elle-même.’

b. Mari ki nézett magának egy kalapot.

Marie a pris à soi un chapeau

‘Marie a pris un chapeau pour elle-même.’

La phrase hongroise et sa traduction française en (33b) ne sont pas une conséquence

logique de (33a), au contraire, ils contredisent (33a), car si c’était vrai que Marie a pris

seulement un chapeau et un manteau, ce ne serait pas vrai qu’elle a pris seulement un

chapeau. Cependant, l’exemple hongrois et sa traduction française en (34b) sont une

conséquence logique de (34a). Ainsi, le focus d’identification en (33) passe le test

d’exhaustivité, tandis que le focus informationnel en (34) ne le passe pas parce que (34b)

est une conséquence logique de (34a).

Appliquons maintenant ce test au russe en prenant le contexte (35)21. Dans ce

contexte, la phrase (36b) n’est pas une conséquence logique de la phrase (36a) dans ce

sens que si c’était vrai que les garçons voulaient seulement le portefeuille et les clefs de

la voiture (= condition de vérité pour (36a)), ce ne serait pas vrai qu’ils voulaient

seulement les clefs de la voiture (= condition de vérité pour (36b)). Ainsi les exemples en

(36) passent le test d’exhaustivité dans le sens que le focus d’un syntagme focalisé dans

la périphérie gauche est exhaustif.

21 Nous changeons le contexte de la situation pour démontrer que le test peut s’appliquer dans des contextes différents. Avec le contexte du test de Szabolcsi (1981) nous obtenons exactement le même résultat.

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125

(35) Le père donne au fils les clefs de la voiture. Le fils sort dehors. Quelques garçons

plus âgés et plus forts s’approchent de lui.

(36) a. Ključi i košelëk oni xoteli.

Clefs-Foc et portefeuille-Foc ils voulaient

‘Ce sont les clefs et le portefeuille qu’ils voulaient.’

b. Ključi oni xoteli.

clefs-Foc ils voulaient

‘Ce sont les clefs qu’ils voulaient (exclusivement).’

Par contre, dans les exemples en (37), la condition de vérité pour (37a) implique celle

pour (37b) et (37c): si c’était vrai que les garçons voulaient les clefs et le portefeuille, il

serait aussi vrai qu’ils voulaient les clefs (37b) ou le portefeuille (37c). Il n’y a rien en

(37b) et (37c) qui nous indique que les garçons voulaient seulement les clefs ou le

portefeuille et rien d’autre. Autrement dit, les DPs ključi et košelëk en (37a) ont une

lecture différente de celle en (37b) et (37c).

(37) a. Oni xoteli ključi i košelëk.

ils voulaient clefs et portefeuille

‘Ils voulaient les clefs et le portefeuille.’

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126

b. Oni xoteli kluči.

ils voulaient clefs

‘Ils voulaient les clefs.’

c. Oni xoteli košelëk.

ils voulaient portefeuille

‘Ils voulaient le portefeuille.’

Les exemples en (38) se comportent exactement de la même façon que ceux en (37). La

phrase (38b) ne veut pas dire que les garçons voulaient seulement les clefs et rien d’autre.

(38) a. Oni ključi i košelëk xoteli.

ils clefs-Foc et portefeuille-Foc voulaient

‘Ce sont les clefs et le portefeuille qu’ils voulaient.’

b. Oni ključi xoteli.

ils clefs-Foc voulaient

‘Ce sont les clefs qu’ils voulaient.’

Bref, seulement le syntagme focalisé dans la position initiale de la phrase comme en

(36) (FocP de la périphérie gauche) passe le test d’exhaustivité de Szabolcsi (1981), à la

différence de l’autre position focus (38) qui a la même relation que dans la phrase non-

focalisée.

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127

3.5.2. Le test de Farkas

Farkas propose un test d’identification exhaustive basé sur les deux dialogues suivants

(Kiss 1998, communication personnelle):

(39) a. A: Mari egy kalapot nézett ki magának

Marie un chapeau-Foc a pris à soi

‘C’était un chapeau que Marie a pris pour elle-même.’

B: Nem, egy kabátot is ki nézett

non un manteau-Foc aussi a pris

‘Non, elle a pris un manteau aussi.’

b. A: Mari ki nézett magának egy kalapot.

Marie a pris à soi un chapeau

‘Marie a pris un chapeau pour elle-même.’

B: # Nem, egy kabátot is ki nézett

# ‘Non, elle a pris un manteau aussi.’

Puisque le dialogue en (39) décrit une situation où Marie a choisi un chapeau, la phrase

niant le fait que Marie a choisi seulement un chapeau et rien d’autre ne peut être

interprétée comme une négation d’exhaustivité. Cette interprétation est disponible

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seulement dans le cas des phrases en (39a) incluant le focus contrastif en hongrois et un

constituent clivé dans la traduction française et elle est donc absente dans (39b).

Appliquons maintenant le même test au russe en reprenant la situation (35),

répétée comme (40) ci-dessous.

(40) Le père donne au fils les clefs de la voiture. Le fils sort dehors. Quelques garçons

plus âgés et plus forts s’approchent de lui.

Ainsi dans la phrase (41b), la négation sert à nier la proposition (41a), en la remplaçant

par la proposition košelëk oni xoteli en (41b). En (41c), pourtant, la présence de tože

“aussi” indique que la négation ne nie pas la proposition (41a) mais sert plutôt à nier le

fait que les garçons voulaient seulement les clefs et rien d’autre (négation d’exhaustivité).

L’acceptabilité de la réponse (41c) indique que dans cet exemple il s’agit d’un focus

exhaustif.

(41) a. Ključi oni xoteli.

clefs-Foc ils voulaient

‘Ce sont les clefs qu’ils voulaient.’

b. Net, košelëk oni xoteli.

non portefeuille-Foc ils voulaient

‘Non, c’est le portefeuille qu’ils voulaient.’

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129

c. Net, košelëk oni xoteli tože.

non portefeuille-Foc ils voulaient aussi

‘Non, c’est le portefeuille qu’ils voulaient aussi.’

Notons que la présence de tože en (42c) et (43c) est apragmatique; en (42) l’objet reste in

situ et en (43) il est déplacé dans la position préverbale. Ceci découle du fait, que la seule

interprétation de la négation en (42b–c) et (43b–c) est celle de nier toutes entières les

propositions (42a) et (43a), respectivement. La négation d’exhaustivité n’est pas

disponible dans ces deux cas.

(42) a. Oni xoteli ključi.

ils voulaient clefs

‘Ils voulaient les clefs.’

b. Net, oni xoteli košelëk

non ils voulaient portefeuille

‘Non, ils voulaient le portefeuille.’

c. # Net, oni xoteli košelëk tože.

non ils voulaient portefeuille aussi

‘Non, ils voulaient aussi le portefeuille.’

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(43) a. Oni ključi xoteli.

ils clefs-Foc voulaient

‘Ce sont les clefs qu’ils voulaient.’

b. Net, oni košelëk xoteli

non ils portefeuille-Foc voulaient

‘Non, c’est le portefeuille qu’ils voulaient.’

c. # Net, oni košelëk xoteli tože.

non ils portefeuille-Foc voulaient aussi

‘Non, c’est le portefeuille qu’ils voulaient aussi.’

Ainsi nous observons une fois de plus que seulement le syntagme focalisé dans la

position initiale de la phrase passe le test d’exhaustivité.

Les deux tests d’exhaustivité présentés ci-haut appuient notre hypothèse qu’il y a

deux positions focus en russe. Bien que chacune de ces positions puisse servir d’un site

d’atterrissage pour les syntagmes focalisés, seule la tête Focº de la périphérie gauche peut

attirer les syntagmes focalisés exhaustifs et se distingue ainsi de la tête Focº située dans le

domaine IP.

3.6. Le focus dans la position finale de la phrase

Nous venons de démontrer qu’il existe deux positions pour les syntagmes focalisés en

russe dans les domaine CP et IP qui, selon nous, se distinguent à l’égard de l’exhaustivité

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131

du syntagme focalisé. Une question qu’il nous reste à éclairer est le statut des syntagmes

focalisés dans la position finale de la phrase.

Nous avons déjà mentionné dans la section 3.3.1 que le russe permet un syntagme

focalisé dans la position finale de la phrase et que ces constructions sont plus logiques

avec un élément auquel le syntagme focalisé s’oppose, comme en (13) que nous répétons

en (44), et qu’elles se distinguent des syntagmes focalisés dans d’autres positions par un

contour intonationnel moins fort:

(44) Deti čitajut knigi, a ne žurnaly.

enfants lisent livres-Foc et NEG revues

‘Ce sont les livres que les enfants lisent et non pas les revues.’

Si l’élément auquel le syntagme focalisé s’oppose est absent en (44), il s’agira d’un focus

qui exprime juste l’identification sans aucun contraste:

(45) Deti čitajut knigi.

enfants lisent livres

‘Les enfants lisent les livres.’

Si cette position finale était le site des syntagmes contrastivement focalisés, la phrase (46)

devrait être acceptable étant donné que le clitique že est un marqueur de contraste comme

nous avons pu voir dans ce chapitre:

Page 132: Liakin 2003

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(46) * Deti čitajut knigi že.

enfants lisent livres-Foc že

‘Ce sont en fait les livres que les enfants lisent.’

L’agrammaticalité de (46) nous démontre que le focus de la position finale de la phrase

n’a pas le même statut que celui du domaine IP et de la couche CP. Les phrases en (47)

confirment que le focus dans toute position interne au VP présente le même

comportement qu’en (46):

(47) a. * Deti čitajut knigi že v mašine.

enfants lisent livres-Foc že dans voiture

‘Ce sont en fait les livres que les enfants lisent dans la voiture.’

b. * Deti čitajut knigi v mašine že.

enfants lisent livres dans voiture-Foc že

‘C’est dans la voiture que que les enfants lisent les livres.’

L’agrammaticalité des phrases (47a) et (47b) suggère que le focus interne au VP est un

phénomène à part qui n’est pas relié au contraste. Ce contraste est un argument

supplémentaire contre la proposition de Junghanns et Zybatow (1995) et Zybatow et

Mehlhorn (1999), qui soutiennent qu’il n’y aucune position spécifique dans la structure

de phrase qui pourrait être associée avec le focus contrastif. Nous proposons que le focus

Page 133: Liakin 2003

133

contrastif est associé à deux positions dans la phrase (FocP dans la périphérie gauche et

dans le domaine IP) et que celui du domaine VP est une identification sans contraste.

3.7. La relation entre le focus et les syntagmes wh-

Avant de conclure ce chapitre nous voudrions examiner le parallèle entre les syntagmes

focalisés et les syntagmes wh- pour nous amener au traitement uniforme de ces deux

types de syntagmes, étant donné que le chapitre suivant sera consacré aux constructions à

déplacement multiple des syntagmes wh-.

3.7.1. Pourquoi une relation étroite?

Une discussion pertinente dans le domaine de la structure informative de la phrase tourne

autour de la relation présumée entre le focus et les questions. Le premier fait qui nous

permet d’en parler est qu’une question wh- demande toujours une réponse focalisée. Le

constituent qui correspond au syntagme wh- de la phrase interrogative, est forcément

focalisé. La réponse à cette question peut être soit le focus (48b) ou un constituent qui

contient le focus (49b) (ici, le focus présuppose un contexte à choix multiple d’une

structure plus élevée et exclut des alternatives (Kuno 1982)):

(48) a. Qui va venir?

b. Nicolas (va venir)

(49) a. Qui va venir?

b. L’écrivain russe (va venir)

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134

La réponse à la question peut aussi être une phrase qui contient un élément focalisé et est

un écho redondant de la question. Dans ce cas-là, la phrase–réponse entière doit être

focalisée (50b):

(50) a. Qu’est-ce qui va se passer?

b. Nicolas va venir.

De façon intéressante, nous pouvons également avoir la structure à choix multiple

(51b) :

(51) a. Pourquoi t’étonnes-tu?

b. Parce que l’écrivain russe va venir (et pas roumain).

Dans les langues où le focus se manifeste seulement de façon prosodique l’effet du focus

de la réponse par rapport à la question peut se voir comme une conséquence du fait que la

réponse à une question wh- doit se comporter comme un énoncé indépendant, qui exige

une montée prosodique.

Comme le remarque Drubig (2000), il existe beaucoup de langues avec des

structures de focus morpho-syntaxiques, comme, par exemple, l’akan, une langue Kwa

parlée au Ghana, qui a une construction focus dans laquelle le constituant focalisé

apparaît obligatoirement dans la périphérie gauche et est suivi de la particule-focus na.

Une question wh- construite au moyen d’une telle phrase démontre la même structure: le

syntagme wh- apparaît dans la position initiale et est accompagné par le marqueur du

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135

focus. Dans les réponses deux types de particule peuvent apparaître: le marqueur du focus

na apparaît dans la réponse phrastique (52A1), tandis que le marqueur du focus a apparaît

dans la réponse à un terme :

(52) Q: Hena na Ama rehwehwe?

qui Foc Ama cherche

‘C’est qui qu’Ama cherche?’

A1: Kofi na *(Ama rehwehwe)

Kofi FOC Ama cherche

A2: Kofi a *(Ama rehwehwe)

Kofi FOC

‘(It is) KOFI (that Ama is looking for)’ ( = (3) de Drubig 2000: 5)

Un autre fait qui nous permet de parler de la relation présumée entre le focus et

les questions est que dans les langues avec un pied-piping des syntagmes wh-, les

syntagmes wh- apparaissent dans la position focus. Grâce au travail typologique

(Croft 1990; Givón 1990) cette généralisation est presque reconnue comme un trait

universel des langues naturelles. Nous avons la meilleure preuve dans des langues où le

syntagme focalisé monte dans une position syntaxique spécifique: le hongrois et le

basque sont les représentants les plus cités de ce type de langue, où les syntagmes

focalisés et les syntagmes wh- se retrouvent dans la position préverbale. Cette position est

Page 136: Liakin 2003

136

la plus répandue et peut être observée dans beaucoup de langues (Kiss 1995, 1998). Aussi

fréquentes sont les langues avec le focus dans la position initiale dans la phrase, comme

le russe ou l’akan, comme dans l’exemple en (52). Comme le remarquent Watters (1979)

et Tuller (1992), un petit nombre de langues bantu et de langues chadiennes ont le focus

dans la position post-verbale, mais, comme les auteurs le présument, les constructions

focus dans ces langues sont reliées au focus préverbal de façon dérivationnelle. Rares

sont les langues – le tangale, le ngizim (Tuller 1992) ou le kirundi (Ndayiragije 1999),

par exemple – où le focus occupe forcément la position finale de la phrase. Mais, comme

le mentionnent Mallinson et Blake (1981: 152), le déplacement obligatoire ou optionnel

des syntagmes focalisés est un phénomène très fréquent dans les langues du monde et on

se demande s’il ne s’agit pas d’un phénomène universel.

Depuis Horvath (1986), il est devenu une pratique standard dans la grammaire

générative de considérer les syntagmes wh- comme porteur du trait [focus], ce qui leur

permet de cibler la même position que les éléments focalisés. Rochemont (1978) et

Culicover et Rochemont (1983) avaient déjà proposé des analyses dans ce sens. Plus

exactement Rochemont (1986: 19) remarque que le syntagme wh- peut être considéré

comme un opérateur qui, dans la phrase, lie une position ouverte, à laquelle celui qui

parle a l’intention d’attribuer une valeur appropriée – le focus ou la nouvelle information.

Le même type de débat surgit en sémantique. Hamblin (1973) propose une

approche sémantique sous la forme d’une analyse unifiée des phrases déclaratives et

interrogatives. Son approche est centrée autour de la notion de l’ensemble de dénotation,

qui est très similaire à l’ensemble des alternatives que Rooth (1985) propose dans sa

sémantique pour le focus. Hong (1995) va plus loin et développe la sémantique

Page 137: Liakin 2003

137

compositionnelle pour les questions wh- où le syntagme wh- est interprété comme le

focus sémantique, et le morphème-Q est défini comme un opérateur sensible au focus,

semblable aux particules de focus comme only et even, avec lesquelles les syntagmes wh-

sont associés.

3.7.2. Le mouvement des syntagmes wh- et des syntagmes focalisés : les îlots

Le mouvement de syntagmes focalisé en russe est sujet aux mêmes contraintes des îlots

forts et des îlots faibles que les syntagmes wh-, ce que nous illustrons plus loin.

Considérons d’abord les contraintes des îlots forts. Les exemples en (53) représentent

l’extraction wh- d’un argument à partir d’un CP dominé par un NP; ceux en (54)

représentent l’extraction wh- d’un adjoint dans le même contexte:

(53) a. Oni poznakomilis’ s devuškoj, [kotoraja pisala

ils ont rencontré avec fille [qui écrivait

knigi o Kanade].

livres sur Canada ]

‘Ils ont rencontré une fille qui écrivait des livres sur le Canada.’

b. * Čto oni poznakomilis’ s devuškoj, [kotoraja

quoi ils ont rencontré avec fille [qui

pisala t o Kanade]?

écrivait t sur Canada ]

* ‘Qu’est-ce qu’ils ont rencontré une fille qui écrivait sur le Canada?’

Page 138: Liakin 2003

138

c. * Knigi oni poznakomilis’ s devuškoj, [kotoraja

livres -Foc ils ont rencontré avec fille [qui

pisala t o Kanade].

écrivait t sur Canada ]

* ‘Ce sont des livres (et rien d’autre) qu’ils ont rencontré une fille qui

écrivait sur le Canada.’

(54) a. Oni poznakomilis’ s devuškoj, [kotoraja očen’

ils ont rencontré avec fille [qui très

krasivo pisala].

joli écrivait]

‘Ils ont rencontré une fille qui écrivait très bien.’

b. * Kak krasivo oni poznakomilis’ s devuškoj,

comment joli ils ont rencontré avec fille

[kotoraja t pisala]?

[qui t écrivait]

* ‘A quel point bien ont-ils rencontré une fille qui écrivait?’

c. * Očen’ krasivo oni poznakomilis’ s devuškoj,

très joli-Foc ils ont rencontré avec fille

[kotoraja t pisala].

[qui t écrivait]

* ‘C’est très bien (et non pas mal) qu’ils ont rencontré une fille qui

écrivait.’

Page 139: Liakin 2003

139

Étant donné que les syntagmes wh- en (53b) et (54b) sont extraits d’une phrase relative

qui représente un îlot fort pour le mouvement, ces phrases sont agrammaticales. Nous

présumons, également, que les phrases en (56c) et (57c) sont agrammaticales pour la

même raison, c’est-à-dire que les syntagmes focalisés déplacés se comportent de la même

façon à l’égard des îlots forts que les syntagmes wh-.

Nous avons exactement le même effet si nous faisons l’extraction à partir d’une

phrase adjointe. Les exemples en (55) illustrent l’extraction des NPs, tandis que ceux en

(56) – l’extraction des non-NPs:

(55) a. Ja ušël v kino, [sdelav vse

je suis parti à cinema [ayant fait tous

dela doma].

affaires maison]

‘Je suis parti au cinéma après avoir fait tout à la maison.’

b. * Čto ja ušël v kino, [sdelav t

Quoi je suis parti à cinema [ayant fait t

doma]?

maison]

* ‘Quoi suis-je parti après avoir fait à la maison ?’

Page 140: Liakin 2003

140

c. * Vse dela ja ušël v kino, [sdelav

tous affaires-Foc je suis parti à cinema [ayant fait

t doma].

t maison]

* ‘C’est tout à la maison que je suis parti après avoir fait.’

(56) a. On prišël poest’, [vymyv očen’

Il est venu manger [aynat lavé très

tščatel’no ruki].

avec soin mains]

‘Il est venu manger après avoir lavé avec un grand soin les mains’

b. * Kak tščatel’no on prišël poest’,

comment avec soin il est venu manger

[vymyv t ruki]?

[aynat lavé t mains]

* ‘Avec quel soin est-il venu manger après avoir lavé les mains?’

c. * Očen’ tščatel’no on prišël poest’,

très avec soin-Foc il est venu manger

[vymyv t ruki].

[aynat lavé t mains]

* ‘C’est avec un grand soin, qu’il est venu manger après avoir lavé les

mains?’

Page 141: Liakin 2003

141

En ce qui concerne les îlots faibles, selon Cinque (1990), ils ne s’appliquent

qu’aux non-NPs. Les exemples en (57)–(58) montrent l’extraction à partir des îlots factifs

et des enchâssées interrogatives. Les phrases (57b) et (58c) représentent les îlots factifs à

partir desquels on extrait les adjuvants (un syntagme wh- et un syntagme focalisé):

(57) a. On vozmuščaetsja [čto ja prišël očen’ grjaznyj].

Il est indigné [que je suis venu très sale]

‘Il est indigné que je suis venu très sale.’

b. * Naskol’ko grjaznym on vozmuščaetsja [čto ja prišël t]

comment sale il est indigné [que je suis venu t]

* ‘A quel point sale est-il indigné que je suis venu?’

c. * Očen’ grjaznym on vozmuščaetsja [čto ja prišël t]

très sale-Foc il est indigné [que je suis venu t]

* ‘C’est très sale qu’il est indigné que je suis venu?’

Les deux phrases (57b–c) sont agrammaticales, confirmant une fois de plus les

ressemblances dans le comportement des syntagmes focalisés et des syntagmes wh-. Le

même résultat est obtenu avec l’extraction à partir d’une enchâssée interrogative:

Page 142: Liakin 2003

142

(58) a. Ty interesuešsja, [na čto ja smotrju tak

tu t’intéresses [à quoi je regarde si

dolgo].

longtemps]

‘Tu t’intéresses à ce que je regarde si longtemps.’

b. * Kak ty interesuešsja, [na čto ja smotrju t].

comment tu t’intéresses [à quoi je regarde t]

* ‘Comment t’intéresses-tu à ce que je regarde.’

c. * Tak dolgo ty interesuešsja, [na čto ja

si longtemps-Foc tu t’intéresses [à quoi je

smotrju t].

regarde t]

* ‘C’est si longtemps que tu t’intéresses à ce que je regarde.’

3.8. Conclusion

Dans ce chapitre nous avons démontré qu’il existe deux positions syntaxiques en russe

pour focaliser un syntagme à partir d’une phrase déclarative neutre : une dans la

périphérie gauche et l’autre dans le domaine IP. Cette conclusion va à l’encontre de la

proposition de King (1995) qui affirme qu’il existe une seule position associée avec le

focus contrastif en russe (IP) et celle de Junghanns et Zybatow (1995) et Zybatow et

Mehlhorn (1999) qui soutiennent qu’il n’y aucune position dans la structure de phrase qui

Page 143: Liakin 2003

143

pourrait être associée avec le focus contrastif. Si les deux positions de focus en russe

acceuillent les syntagmes focalisés contrastifs, elles se distinguent à l’égard de

l’exhaustivité. En nous basant sur deux tests d’exhaustivité, celui de Szabolcsi (1981) et

de Farkas (Kiss 1998, communication personnelle), nous avons proposé que seule la tête

Focº de la périphérie gauche peut attirer les syntagmes focalisés exhaustifs. Nous avons

également exploré le comportement des syntagmes focalisés et des syntagmes wh-, et

nous avons confirmé la relation présumée entre le focus et les questions ce qui permet

aux syntagmes wh- de cibler les mêmes positions dans la phrase que les éléments

focalisés.

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144

CHAPITRE IV LES QUESTIONS MULTIPLES

4.0. Introduction

Dans ce chapitre nous donnons les réponses aux trois questions qui entourent la

problématique et définissent un programme de recherche fructueux sur les langues à

déplacement multiple des syntagmes wh- tel que le russe dont une illustration est donnée

en (1):

(1) Kto čto ljubit?

qui quoi aime

‘Qui aime quoi?’

Ces questions sont reliées au problème de typologie des langues, à la violation des Effets

de Supériorité et à la variation à l’intérieur des langues à déplacement multiple des

syntagmes wh- que nous appellerons des langues à MWF (multiple wh- fronting)22.

4.0.1. Problème de typologie

Traditionnellement, on distingue quatre principaux types de langues d’après la façon de

placer les syntagmes wh- dans la phrase (Rudin 1988). Dans certaines langues, comme

l’anglais, on retrouve toujours seulement un syntagme wh- au début de la phrase. Ainsi

dans la question multiple (2a), what est dans la périphérie gauche (position initiale),

tandis que to whom reste in situ.

22 Nous mettons en gras les syntagmes wh- à travers le chapitre pour faciliter la présentation.

Page 145: Liakin 2003

145

(2) a. What did you say to whom?

b. * What to whom did you say?

D’autres langues, comme le chinois, gardent tous les syntagmes wh- in situ:

(3) John gei-le shei shenme?

John a donné quoi à qui

‘Qu’est-ce que John a donné à qui?’ (Bošković 2002: 352)

Dans le troisième groupe on retrouve le français qui peut suivre les deux modèles

précédents comme en (4a–b):

(4) a. Qu’as-tu demandé à qui?

b. Tu as demandé quoi à qui?

Le quatrième, et le dernier, groupe inclut toutes les langues slaves et certaines langues

romanes comme le roumain, où tous les syntagmes wh- doivent obligatoirement monter

dans la position initiale de la phrase, ce que nous illustrons dans l’exemple en (5) du

bulgare:

(5) a. Koj kogo vižda?

qui-NOM qui-ACC voit

‘Qui voit qui?’

Page 146: Liakin 2003

146

b. * Koj vižda kogo?

qui-NOM voit qui-ACC

La question qui se pose est la suivante: les langues comme le russe forment-elles

vraiment une quatrième catégorie à part à côté de l’anglais, le français et le chinois?

4.0.2. Violation des Effets de Supériorité

Dans une question multiple en anglais (6) et en français (7) le syntagme wh- Nominatif

doit toujours précéder tout autre syntagme wh-.

(6) a. Who went where?

b. * Where who went?

(7) a. Qui est allé où?

b. * Où qui est allé?

En russe, contrairement au français et à l’anglais, l’ordre des syntagmes wh- est libre:

(8) a. Kto kuda pošël?

Qui où est allé

‘Qui est allé où?’

Page 147: Liakin 2003

147

b. Kuda kto pošël?

où qui est allé

Les phrases en (9) confirment l’ordre libre des syntagmes wh- pour les constructions qui

contiennent trois syntagmes wh-:

(9) a. Kto čto kuda položil?

Qui quoi où a mis

‘Qui a mis quoi, où?’

b. Kto kuda čto položil?

Qui où quoi a mis

c. Čto kto kuda položil?

quoi qui où a mis

d. Čto kuda kto položil?

quoi où qui a mis

e. Kuda kto čto položil?

où qui quoi a mis

Page 148: Liakin 2003

148

f. Kuda čto kto položil?

où quoi qui a mis

Si nous appliquons l’analyse traditionnelle d’après laquelle les syntagmes wh- montent

dans une position donnée dans la périphérie gauche (CP) en formant des spécifieurs

multiples où sous forme de l’adjonction multiple, alors dans les exemples (8b) et (9c–f)

nous avons la violation de la Condition de Supériorité de Chomsky (1973) dont nous

donnons la formulation originale en (10) :

(10) No rule can involve X, Y in the structure …X…[…Z…WYV…] where the rule

applies ambiguously to Z and Y, and Z is superior to Y. The category A is

superior to the category B if every major category dominating A dominates B as

well but not conversely. (1973: 246)

En appliquant (10) à l’exemple en (8b), X correspond à la position Wh- (la position dans

la périphérie gauche qui attire le syntagme wh-) et Y correspond à la position de base du

syntagme wh- kuda. Le Z intermédiaire correspondrait au syntagme wh- sujet kto auquel

la règle du mouvement wh- s’appliquerait. Selon cette condition kto devrait bloquer le

mouvement de kuda, rendant ainsi la phrase (8b) agrammaticale, ce qui n’est pas le cas.

Page 149: Liakin 2003

149

D’où vient cette asymétrie? Pourquoi la Condition de supériorité ou, en termes

minimalistes, de la Condition sur les chaînes minimales23, est violée en russe? Ou bien

s’agit-il des positions structurales différentes pour les syntagmes wh- en russe?

4.0.3. Variation à l’intérieur des langues à MWF

Les exemples (11)–(12) montrent qu’il existe deux types de langues à l’intérieur des

langues à MWF: d’un côté le bulgare (11a–b), où l’ordre des syntagmes wh- est

partiellement fixe (le syntagme wh- Nominatif doit précéder tous les autres syntagmes

wh-); de l’autre côté, le russe, où l’ordre est libre (12a–b):

(11) a. Koj kakvo e kazal? [bulgare]

qui quoi a dit

‘Qui a dit quoi?’

b. * Kakvo koj e kazal?

quoi qui a dit

(12) a. Kto kogo ljubit? [russe]

qui-NOM qui-ACC aime

‘Qui aime qui?’

23 Minimal Link Condition: (i) K attracts α only if there is no β, β closer to K than α, such that K attracts β. (Chomsky 1995: 311)

Page 150: Liakin 2003

150

b. Kogo kto ljubit?

qui-ACC qui-NOM aime

Pourquoi cette variation existe-t-elle à l’intérieur des langues à MWF?

Pour rendre compte de toute la problématique évoquée ci-haut, nous proposons,

suivant notre hypothèse de l’éclatement de CP, que les syntagmes wh- dans une question

multiple se déplacent dans des projections fonctionnelles distinctes de la périphérie

gauche: nous présenterons par la suite des fait qui appuient l’existence de ces projections

et leur nature distincte. En passant par les analyses antérieures des constructions à MWF

(section 4.1), nous présenterons de nouveaux faits (section 4.2) qui permettent de rendre

compte de la problématique des constructions à MWF en russe et dans d’autre langues, et

de démontrer que les langues à MWF forment une classe distincte (contra Bošković

(2002)). La section 4.3 présente une application de notre analyse aux propriétés

syntaxiques des constructions en question. Nos conclusions nous permettront de proposer

une nouvelle typologie pour les langues à MWF.

4.1. Analyses antérieures

4.1.1. Rudin (1988)

Pour expliquer la variation à l’intérieur des langues à MWF Rudin (1988) propose que les

deux groupes de langues se distinguent d’après leur façon de remplir le Comp. L’auteure

suppose que tous les syntagmes wh- déplacés en bulgare forment un constituant et se

trouvent dans le spécifieur de CP. Elle propose pour (11a) la structure de CP en (13) et la

structure FP en (14) où le premier syntagme wh- est substitué dans la position [Spec, CP]

Page 151: Liakin 2003

151

tandis que le deuxième syntagme wh- est adjoint au spécifieur de CP (cette adjonction est

à droite). Selon Rudin, la substitution d’une projection maximale dans la position de

spécifieur est un des types possibles de mouvement (suivant Chomsky 1986) qui est

également appliqué au mouvement wh- en anglais.

(13) CP V

SpecCP IP V

SpecCP Syntagme wh- Syntagme wh-

(14) [SpecCPi [SpecCP koji] kakvoj][Compi][IP ti . . . tj . . .]

Pour expliquer l’agrammaticalité de la phrase (11b), Rudin suppose qu’en (15) qui est

une structure FP de (11b), le Comp est coïndexé avec l’objet et non pas avec le sujet, et

c’est pourquoi la trace du sujet n’est pas gouvernée par une tête et la phrase devient

agrammaticale.

(15) [SpecCPj [SpecCP kakvoj] koji][Compj][IP ti . . . tj . . .]

En ce qui concerne les autres langues, y compris le russe, Rudin propose la

structure en (16) dans laquelle le syntagme wh- initial se trouve dans la position de

spécifieur de CP, tandis que tout autre syntagme wh- est adjoint à IP:

Page 152: Liakin 2003

152

(16) CP V WH C’ V C IP V WH IP V WH IP Rudin ne discute pas en détails ces constructions en russe mais elle sous-entend que le

russe fait partie de ce groupe. Selon son analyse les phrases (12a–b) auraient la structure

FP en (17a) et (17b) respectivement:

(17) a. [SpecCPi kto][Compi][IP kogoj [IP ti . . . tj . . .]]

b. [SpecCPj kogo][Compj][IP ktoi [IP ti . . . tj . . .]]

Rudin explique la grammaticalité de (17b) par le fait que la trace du sujet ti est gouvernée

par INFL qui est une tête et qui compte comme une catégorie lexicale étant donné sa

coïndexation avec le sujet NP.

Comme nous avons vu dans le Chapitre I, tous les syntagmes wh- se trouvent bien

dans la périphérie gauche en russe, et l’éclatement de CP en plusieurs projections

fonctionnelles nous permet d’en rendre compte, ce qui sera confirmé par notre analyse

plus loin. En ce qui concerne le bulgare, nous démontrons dans la section suivante que les

analyses qui proposent l’adjonction au spécifieur de CP ou les spécifieurs multiple de CP

doivent être révisées.

Page 153: Liakin 2003

153

4.1.2. Richards (1997, 1998), Pesetsky (2000)

Richards (1997, 1998) et Pesetsky (2000) proposent une explication des Effets de

Supériorité dans les questions à trois syntagmes wh- en bulgare:

(18) a. Koj kogo kakvo e pital?

qui à qui quoi a demandé

‘Qui a demandé quoi à qui?’

b. Koj kakvo kogo e pital?

Qui quoi à qui a demandé (Pesetsky 2000)

Les exemples en (11) démontrent que le syntagme wh- Nominatif doit précéder tout autre

syntagme wh-. Mais dans une question à trois syntagmes wh-, l’ordre des syntagmes wh-

non-Nominatifs est libre, ce que nous illustrons par les exemples (18a–b).

Suivant Koizumi (1994, 1995), Pesetsky propose que tous les syntagmes wh- en

bulgare sont en relation de spécifieur avec la même tête interrogative. Il appelle cette tête

interrogative “le complémenteur à spécifieurs multiples” ou Cm-spec. Pesetsky (2000: 27)

propose que la capacité du complémenteur à spécifieurs multiples d’attirer plus qu’un

syntagme wh- indique que le trait de Cº responsable du mouvement wh- n’a pas besoin

d’être effacé et n’épuise pas sa capacité de motiver le mouvement wh- jusqu’à ce que sa

projection maximale soit entièrement construite. Pour expliquer les Effets de Supériorité

dans ces constructions, Pesetsky se base sur le principe de la conformité minimale

(“Principle of Minimal Compliance”) de Richards (1998: 601):

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154

(19) For any dependency D that obeys constraint C, any elements that are relevant for

determining whether D obeys C can be ignored for the rest of the derivation for

purposes of determining whether any other dependency D' obeys C.

L’application du principe de la conformité minimale aux exemples en (18) est la

suivante: le syntagme wh- le plus haut koj monte dans le spécifieur extérieur de CP pour

vérifier le trait [wh-] fort de Cº, satisfaisant ainsi à la Condition de Supériorité et étant

donné le principe de la conformité minimale, l’ordre dans lequel d’autres syntagmes wh-

montent dans les spécifieurs intérieurs de CP est libre, ce qui prédit la bonne formation

des phrases en (18a–b).

Même si les analyses de Richards et de Pesetsky permettent de rendre compte des

données du bulgare, elles ne peuvent pas s’étendre au russe où la Condition de

Supériorité n’est jamais satisfaite (12a–b).

En plus, les phrases en (20–22) du bulgare posent un problème aux analyses de

Rudin, Richards et Pesetsky: les syntagmes wh- en bulgare ne forment pas un constituent

et, donc, ni adjonction multiple ni spécifieurs multiples ne peuvent rendre compte des

éléments qui rompent la séquence des syntagmes wh-:

(20) Koj sigurno kakvo e kupil?

Qui probablement quoi a acheté

‘Qui a probablement a acheté quoi?’ (Lambova 2000)

Page 155: Liakin 2003

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(21) Koj umelo kakvo e prikril?

Qui intelligemment quoi a caché

‘Qui a intelligemment caché quoi?’ (Lambova 2000)

(22) Koj li kakvo na kogo e dal?

Qui CL-INT quoi à qui a donné

‘Qui a donné quoi à qui, je m’intéresse?’ (Tomić 1996)

Dans ce qui suit nous démontrons que les analyses à spécifieurs multiples de C ou

à adjonction multiple à CP ne peuvent pas rendre compte des données en (20–22).

Selon l’hypothèse des spécifieurs multiples la phrase en (20) devrait avoir la

structure de CP en (23) :

(23) CP V Koj C’

V sigurno C’ V kakvo C’ V C TP …

Koizumi (1994, 1995) et Pesetsky (2000) supposent que C en bulgare a un trait

fort [wh-] qui peut permettre n’importe quel nombre de syntagmes wh- dans ses positions

de spécifieur. Mais en (20) le syntagme sigurno, premièrement, n’est pas un syntagme

wh- et, deuxièmement, ne possède pas de trait [wh-] qui pourrait vérifier celui de C.

Donc, dans le cas en question, après avoir rempli le premier spécifieur avec le syntagme

Page 156: Liakin 2003

156

wh- koj, la dérivation capotera étant donné la disparité entre les traits du syntagme

sigurno et le trait [wh-] de C.

Exactement la même chose arrive en (21). Le syntagme umelo n’est pas un

syntagme wh- et ne possède pas de trait [wh-] qui pourrait vérifier le trait fort [wh-] de C.

De nouveau, la dérivation capotera.

Dans le cas du clitique interrogatif li (22), les auteurs auraient pu argumenter que

li, étant un clitique interrogatif, possède un trait [wh-] capable de vérifier celui de C, mais

ceci va à l’encontre de l’hypothèse générale que li est généré dans Cº (King 1994; Tomić

1996; Rudin, King et Izvorski 1996).

En ce qui concerne l’analyse proposant une adjonction multiple au spécifieur de

CP, elle fait face au même problème: la disparité entre les traits de sigurno et umelo et le

trait [wh-] de Cº amènera au capotage de la dérivation.

On ne retient donc ni l’analyse proposant les specifieurs multiples de Cº, ni

l’adjonction multiple à CP.

Dans les deux sections suivantes nous analysons des travaux qui sont consacrés

directement aux constructions à MWF en russe et qui présentent ce phénomène de deux

angles différents: celui de Strahov (2001) et celui de Stepanov (1998).

4.1.3. Strahov (2001)

Strahov (2001) considère les syntagmes wh- dans les constructions à MWF comme des

topiques multiples, étant donné que le russe permet les topiques multiples. Nous

illustrons cette possibilité en (24):

Page 157: Liakin 2003

157

(24) Maksimu, knigu, Denis eë emu dal.

À Maxim-Top livre-Top Denis le lui a donné

‘Le livre à Maxim, Denis le lui a donné.’

Ainsi, selon son analyse, dans la phrase en (25a), dont nous donnons une représentation

partielle en (25b), les deux syntagmes wh- sont des topiques:

(25) a. Komu čto Denis dal?

À qui-Top quoi-Top Denis a donné

‘Qu’est-ce que Denis a donné à qui?’

b. TopP V Komu TopP V čto TopP V Top’ V Top IP …

Nous soutenons que l’analyse qui propose de considérer les syntagmes wh- dans

les questions multiples comme des topiques multiples n’a pas de force. Les faits suivants

montrent que l’analyse de Strahov ne peut pas être maintenue: premièrement, les DPs

Topiques en (24) sont repris par des pronoms, absents en (25a); deuxièmement, les DPs

Topiques et les syntagmes wh- Topiques ne se comportent pas de la même façon quand il

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158

s’agit de l’extraction d’une phrase enchâssée si celle-ci est un îlot adjoint. À partir de la

phrase (26), on peut déplacer dans la matrice les topiques DPs (27), tandis que tout

mouvement wh- est agrammatical (28).

(26) Maksim raduetsja, kogda Nataša posylaet mame pis’ma.

Maxim est content quand Natasha envoie maman-DAT lettres-ACC

‘Maxim est content quand Natasha envoie des lettres à maman.’

(27) Mame, pis’ma, Maksim raduetsja, kogda Nataša ej ix posylaet.

À maman-Top letttre-Top Maxim est content quand Natasha lui les envoie

‘Des lettres à maman, Maxim est content quand Natasha les lui envoie.’

(28) a. * Komu čto Maksim raduetsja, kogda Nataša posylaet?

À qui quoi Maxim est content quand Natasha envoie

‘Maxim est content quand quoi Natasha envoie-t-elle à qui?.’

b. * Čto komu Maksim raduetsja, kogda Nataša posylaet?

quoi à qui Maxim est content quand Natasha envoie

Les phrases en (29–31) confirment le fait que les topiques DPs et les syntagmes wh-

présentent des comportements différents quant à l’extraction à partir d’une proposition

enchâssée. Cette extraction est possible seulement dans le cas des topiques DPs comme

illustré en (30):

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159

(29) Maksim nam pozvonit, esli Nataša prinesët detjam knigi.

Maxim nous-DAT appellera si Natasha apportera enfants-DAT livres-ACC

‘Maxim nous appellera si Natasha apporte les livres aux enfants.’

(30) Detjam, knigi Maksim nam pozvonit, esli Nataša

enfant-Top livres-Top Maxim nous-DAT appellera si Natasha

ix im prinesët.

les leur apportera

‘Les livres aux enfants, Maxim nous appellera si Natasha les leur apporte.’

(31) a. * Komu čto Maksim nam pozvonit, esli Nataša prinesët.

À qui quoi Maxim nous-DAT appellera si Natasha apportera

‘Maxim nous appellera si quoi Natasha apporte à qui?’

b. * Čto komu Maksim nam pozvonit, esli Nataša prinesët.

quoi à qui Maxim nous-DAT appellera si Natasha apportera

‘Maxim nous appellera si quoi Natasha apporte à qui?’

Ainsi l’analyse qui propose de considérer les syntagmes wh- dans les questions multiples

comme des topiques multiples n’a pas de force. Les topiques et les syntagmes wh- se

comportent différemment quant à l’extraction à partir d’une phrase enchâssée, ce qui

nous démontre la nature différente de leurs traits et de ceux qu’ils vérifient.

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160

4.1.4. Stepanov (1998)

Stepanov (1998) suggère que tous les syntagmes wh- dans les constructions à MWF sont

adjoints à AgrSP et il n’y a pas de mouvement dans [Spec, CP]. Il affirme que AgrS a un

trait [focus] faible qui est [+interprétable]24 et, ainsi, n’est pas éliminé après la

vérification. Donc, dans une question multiple tous les syntagmes wh- montent pour

vérifier leur trait [focus] fort contre le trait correspondant d’AgrS:

(32) AgrSP V Wh1 AgrSP V Wh2 AgrSP V AgrS’ V AgrS IP …

L’analyse de Stepanov est basée sur l’idée de Bošković (1997, 1998) que le

mouvement focus se distingue du mouvement wh- par la position où le trait fort

déclencheur du mouvement réside (nous reviendrons à l’analyse de Bošković dans la

section suivante).

Stepanov compare le russe avec le chinois où il n’y a pas de mouvement wh-, car

celui-là permet les deux types de réponses aux questions à MWF (une paire multiple et

24 La question qui se pose est la suivante: pourquoi ce trait participe-t-il dans la vérification s’il est [+interprétable]?

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161

une paire unique). Ainsi la question en (34) peut avoir deux types de réponses: une paire

unique (35a) ou une paire multiple (35b):

(34) Kto čto kupil?

Qui quoi a acheté

‘Qui a acheté quoi?’

(35) a. Denis kupil knigi.

Denis a acheté livres

‘Denis a acheté des livres.’

b. Denis kupil knigi, a Nataša fotoal’bom.

Denis a acheté livres et Nataša album de photos

‘Denis a acheté des livres, et Natasha a acheté un album de photos.’

Or, nous avons des faits empiriques qui montrent qu’il s’agit des positions

différentes pour les syntagmes wh-, et non pas d’une position unique. La phrase (36)

contient le clitique že, qui selon notre analyse présentée dans le Chapitre I occupe la

position de tête d’une projection fonctionnelle FocP:

(36) Kuda že Maxim položil knigu?

Où clit Maxim a mis livre

‘Où, en fait, Maxim a mis le livre?’

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162

Si, comme l’affirme Stepanov, le sujet Maxim occupe la position de spécifieur de AgrSP,

le syntagme wh- kuda ne peut pas être adjoint à AgrSP et doit se trouver plus haut dans

la structure, dans la position de spécifieur de projection fonctionnelle FocP dont že

occupe la position de tête.

Un autre contre-argument vient du fait que les syntagmes wh- peuvent être séparés par un

Topique (37)–(38), ce qui veut dire les deux syntagmes wh- occupent deux positions

différentes (d’après notre hypothèse de l’éclatement de CP):

(37) a. Komu Maksim kogda napisal pis’mo?

À qui Maxim-Top quand a écrit la lettre

‘Maxim, à qui a-t-il écrit la lettre quand?’

b. Kogda Maksim komu napisal pis’mo?

quand Maxim-Top à qui a écrit la lettre

(38) a. Kto po-tvoemu kogda vernulsja domoj?

Qui à ton avis-Top quand est rentré maison

‘À ton avis, qui est rentré quand à la maison?’

a. Kodga po-tvoemu kto vernulsja domoj?

Quand à ton avis-Top qui est rentré maison

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163

Ainsi, nous croyons avoir démontré que l’analyse proposant l’adjonction multiple

à AgrSP (voir TP) n’a pas de force et qu’il s’agit de plusieurs positions différentes. Dans

la section suivante nous closons notre survol des analyses antérieures par celle de

Bošković (1997, 1998, 2002) qui englobe le plus en détail la problématique de ce

chapitre.

4.1.5. Bošković (1997, 1998, 2002)

Bošković (1997, 1998) propose pour l’exemple (39) du bulgare que le syntagme wh- le

plus haut (sujet-wh koj) monte le premier pour vérifier le trait [wh-] fort de C, satisfaisant

ainsi la condition de supériorité.

(39) Koj kakvo pie?

Qui quoi boit

‘Qui boit quoi?’

(40) CP V Koj C’

V kakvo C’ V C TP …

Le mouvement d’autres syntagmes wh- serait un cas de mouvement focus pur. Selon

Bošković, le mouvement focus se distingue du mouvement wh- selon l’endroit où le trait

fort déclencheur du mouvement réside. L’auteur présume que, dans le mouvement focus,

le trait fort réside dans l’élément qui subit le mouvement (syntagme wh-), tandis que,

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164

dans le mouvement wh-, il réside dans la cible (tête Cº). En présentant son analyse,

Bošković se réfère aux deux options possibles pour le placement des syntagmes wh-

déplacés (adjonction multiple ou spécifieurs multiples).

En ce qui concerne le groupe russe et serbo-croate caractérisé par un ordre libre

des syntagmes wh-, Bošković propose que, dans ces langues, le mouvement wh- ne se

passe pas avant FL et il souligne que la tête C de la projection CP possède le trait fort

[wh-] et est insérée en FL25. L’insertion de C en FL est la seule façon pour ces langues

d’éviter le mouvement wh- visible et est ainsi une instance du mouvement focus pur.

Ainsi le premier syntagme wh- est dans le spécifieur de CP, tandis que d’autres sont

adjoints à AgrSP.

En se basant entre autres sur l’analyse de Stepanov (1998), Bošković (2002)

suggère d’éliminer le type de langues à MWF de la typologie linguistique que nous avons

présentée dans l’introduction à ce chapitre. Il propose de garder juste les trois types de

langues représentés par l’anglais (auquel s’ajouteraient le bulgare et le roumain pour les

langues à MWF), le français (auquel s’ajouterait le serbo-croate pour les langues à MWF)

et le chinois (auquel s’ajouterait le russe pour les langues à MWF). L’argument principal

pour son analyse est la possibilité d’avoir les réponses à paire unique vs. paires multiples,

qui, selon lui, découlerait de la présence-absence des Effets de Supériorité dans les

langues à MWF. Selon Bošković, le type anglais permettrait seulement les réponses à

paires multiples (présence des Effets de Supériorité). Le type français permettrait

seulement les réponses à paires multiples dans les phrases enchâssées, et les deux

réponses dans les phrases matrices (absence des effet de supériorité). Le type chinois

25 De façon importante, cette analyse qui présume l’insertion en FL de la tête C porteuse d’un trait fort ne suit pas l’hypothèse standard (Chomsky 1995) selon laquelle les traits forts doivent être éliminés avant FL.

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165

permettrait les réponses à paire unique et à paires multiples puisque l’ordre des

syntagmes wh- est toujours libre.

Compte tenu de toutes les analyses des constructions à MWF présentées dans

cette section, nous affirmons que la nature du déplacement multiple des syntagmes wh-

n’est pas un débat clos et que les questions auxquelles nous nous adressons dans cette

thèse (la typologie des langues, la violation des Effets de Supériorité et la variation à

l’intérieur des langues à MWF) restent ouvertes.

4.2. Discussion

4.2.1. La question de typologie: qu’est-ce qu’une langue à wh- in situ?

Nous venons de voir que Bošković propose d’éliminer MWF de la typologie inter-

linguistique. Dans cette section nous démontrons qu’il n’existe pas de preuves directes

pour tirer cette conclusion. Dans leurs travaux sur le mouvement wh- en russe, Stepanov

(1998), Strahov (2001) et Bošković (2002) entre autres soutient que la langue russe est

une langue à wh- in situ comme le chinois et le japonais contrairement aux langues

comme le bulgare et le roumain où il y a un vrai mouvement wh-. Les auteurs donnent

cinq raisons pour affirmer que le russe est une langue à wh- in situ. Ces raisons sont

basées sur les données du chinois et du japonais tirées principalement de Cheng (1991,

1997):

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166

(41) a. les syntagmes wh- in situ

b. la possibilité d’avoir les réponses à paire unique et à paire multiple

c. la présence d’une particule qui marque le type de phrase dans les questions

à syntagmes wh-

d. la présence d’une particule qui marque le type de phrase dans les questions

totales

e. les syntagmes wh- sont des pronoms indéfinis

Voyons comment le russe et d’autres langues à MWF se comportent par rapport

aux critères en (41).

4.2.1.1. Les syntagmes wh- in situ

Strahov (2001) affirme que le russe est une langue à wh- in situ puisqu’il permet les

syntagmes wh- in situ comme en (42):

(42) Denis ljubit kogo?

Denis aime qui

‘Denis aime qui?’

* ‘Qui est-ce que Denis aime?’

Mais, comme nous pouvons voir de la traduction de cette phrase en français, il s’agit

d’une question écho. Cette question peut se poser seulement dans le contexte où le

locuteur a mal entendu, a mal compris ou fait semblant de ne pas croire l’objet de la

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question et il veut clarifier ce point. Dans toute autre situation qui est hors contexte écho,

le syntagme wh- ne peut pas rester in situ:

(43) Kogo Denis ljubit?

Qui Denis aime

‘Qui est-ce que Denis aime?’

On retrouve ce phénomène des questions-écho dans plusieurs langues qui ne sont pas des

langues à wh- in situ comme l’anglais (44a), le serbo-croate (44b), le bulgare (44c), le

roumain (44d) et, ainsi, nous ne pouvons pas tenir compte de cet argument pour affirmer

que le russe est une langue à wh- in situ:

(44) a. Denis loves who? [anglais]

b. Denis voli koga? [serbo-croate]

Denis aime qui

‘Denis aime qui?’ (Željka Paunović, communication personnelle)

c. Denis vižda kogo? [bulgare]

Denis voit qui

‘Denis voit qui?’ (Ivan A Derzhanski, communication personnelle)

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d. Denis vede pe cine? [roumain]

Denis voit qui

‘Denis voit qui?’ (Stanca Somesfalean, communication personnelle)

4.2.1.2. Les réponses à paires multiples et à paire unique

Le contexte qui précède la question multiple joue un rôle important dans la possibilité

d’avoir une réponse à paires multiples ou à paire unique. Imaginons la première situation:

C’est une fête. Denis est dans la cuisine et demande à Natasha de se renseigner auprès

des invités, qui va boire du vin rouge, qui va boire du vin blanc et qui va boire de la

bière. Natasha revient et Denis demande:

(45) Kto čto xočet?

Qui quoi veut

‘Qui veut quoi?’

Ici, dans la réponse, on s’attend sans aucun doute à une paire multiple: Nicolas et Ivan

prendrons du rouge, Pascale, Julie vont boire du blanc et tous les autres vont boire de la

bière.

Prenons la situation suivante: Denis est dans la cuisine et il entend ses amis dans

le salon qui discutent le fait que quelqu’un veut quelque chose. Denis est au courant de la

situation, mais ne sait ni de qui ni de quoi il s’agit. Il arrive et pose la question en (45).

Ici, seulement une paire unique est possible comme la réponse: Pascale veut

s’acheter une nouvelle robe.

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169

Comme nous avons pu confirmer avec les locuteurs natifs du roumain, le roumain

permet les réponses à paires multiples et à paire unique. La question en (46) (Gabriela

Alboiu, communication personnelle26) peut se poser dans les deux situations décrites ci-

haut et donner lieu aux mêmes types de réponses qu’en russe.

(46) Cine ce vrea?

Qui quoi veut

‘Qui veut quoi?’

Ainsi le roumain est similaire au russe en ce qui concerne la possibilité d’avoir

des réponses à paire unique et paire multiple. En ce qui concerne le serbo-croate,

Bošković (2002) affirme que cette langue permet les réponses à paires multiples et à paire

unique si les syntagmes wh- sont dans la proposition matrice et seulement les réponses à

paires multiples si les syntagmes wh- sont dans la proposition enchâssée. De nouveau les

deux types de réponses sont possibles. Ainsi, le critère (41b) s’applique aux trois langues

qui, selon Bošković, font partie de trois groupes différents.

4.2.1.3. La présence d’une particule qui marque les questions à syntagmes wh- Strahov (2001), partant de l’idée de Cheng (1991) que les langues à wh- in situ possèdent

une particule qui signale la phrase comme une question totale, remarque qu’en russe les

syntagmes wh- et le clitique interrogative li sont en distribution complémentaire:

26 Nous remercions Gabriela Alboiu pour toutes les données du roumain que nous utilisons dans ce chapitre.

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(47) a. Kuda ja ego položila.

Où je le ai mis

‘Où je l’ai mis?’

b. * Kuda li ja ego položila.

Où li je le ai mis

‘Où est-ce que je l’ai mis?’

Strahov propose que le russe possède une particule de classification du type de phrase qui

est phonologiquement nulle [Wh ø] et qui classifie la phrase comme une question wh-.

Cette particule phonologiquement nulle est en distribution complémentaire avec la

particule interrogative li dans les phrases interrogatives.

Mais en bulgare (48) et en serbo-croate (49) le même clitique interrogative li peut

classifier la phrase comme une question wh- (48a) et (49a) ou, comme en russe, elle peut

être phonologiquement nulle [Wh ø] (48b) et (49b):

(48) a. Kâde li sâm go složila? [bulgare]

où li suis le mis

‘Où est-ce que j’aurais pu le mettre?’ (Tisheva et Dzhonova 2002: 16)

b. Kâde sâm go složila?

où suis le mis

‘Où est-ce que je l’ai mis?’ (Tisheva et Dzhonova 2002: 16)

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(49) a. Koga li Petar voli? [serbo-croate]

Qui li Petar aime

‘Qui est-ce que, en fait, Petar aime?’ (Bošković 2001: 26)

b. Koga Petar voli?

Qui Petar aime

‘Qui est-ce que Petar aime?’ (Bošković 2001: 26)

En ce qui concerne le roumain, comme en russe, il n’y a aucun marqueur explicite dans

les questions wh- dans cette langue, mais on pourrait également supposer qu’il est

phonologiquement nul.

De nouveau, cet argument ne nous permet pas de diviser les langues à MWF en

trois groupes, en mettant le russe parmi les langues à wh- in situ.

4.2.1.4. La présence d’une particule qui marque le type de phrase dans les questions

totales Suivant toujours l’idée de Cheng (1991) d’après qui les langues avec un marquage

spécial dans les questions totales sont des langues à wh- in situ, Strahov (2001) propose

que le clitique interrogative li est un marqueur de question totale en russe :

(50) Knigu li ty prinës?

Livre li tu as apporté

‘Est-ce le livre que tu as apporté?’

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Mais on retrouve exactement le même clitique interrogative en bulgare (51) et en serbo-

croate (52):

(51) Knigata li donese?

Livre li as apporté

‘Est-ce le livre que tu as apporté?’ (Tisheva et Dzhonova 2002: 11)

(52) Knjige li Ana čita?

livres li Ana lit

‘Est-ce les livres qu’Ana lit?’ (Bošković 2001: 27)

Ainsi les trois langues ont le même clitique li qui marque le type de phrase dans

les questions totales. En ce qui concerne le roumain, il n’y a aucun marqueur explicite

des questions totales dans cette langue, mais, comme dans le cas des question wh-, on

pourrait supposer qu’il est phonologiquement nul. Selon ce critère les quatre langues ne

peuvent pas donc être séparées en trois groupes.

4.2.1.5. Les syntagmes wh- sont des pronoms indéfinis

En chinois et en japonais, des langues à wh- in situ, les syntagmes wh- ont la même

forme que les pronoms indéfinis. Strahov (2001) utilise ce fait pour soutenir que le russe

est aussi une langue à wh- in situ. Elle l’illustre par l’exemple en (53).

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(53) Esli ty kogo vstretiš’, to skaži emu, čto menja net doma.

Si tu quelqu’un rencontre alors dis lui que je nég maison

‘Si tu rencontres quelqu’un, dis-lui que je ne suis pas chez moi.’ (2001: 297)

Dans cet exemple la forme du pronom indéfini kogo est la même que celle d’un syntagme

wh-:

(54) Kogo ty ljubiš’?

qui tu aimes

‘Qui aimes-tu?’

Mais il est à noter que la forme complète de ce pronom indéfini est kogo-to. La

règle générale de la formation des pronoms indéfinis est la suivante : syntagme wh- +

particule ‘-to’ :

(55)

Syntagme wh- Pronom indéfini

kto (qui-NOM) kto-to (quelqu’un-NOM)

čto (quoi) čto-to (quelque chose)

gde (où) gde-to (quelque part)

kogo (qui-ACC) kogo-to (quelqu’un-ACC)

čem (quoi-INSTR) čem-to (par quelque chose)

Dans l’exemple en (53), selon les normes stylistiques de la langue il est préférable

d’utiliser la forme complète du pronom:

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(56) Esli ty kogo-to vstretiš’, to skaži emu, čto menja net doma.

Si tu quelqu’un rencontre alors dis lui que je nég maison

‘Si tu vois quelqu’un, dis-lui que je ne suis pas chez moi.’

Comparons deux autres exemples :

(57) a. Ona kuda-to ušla.

Elle quelque part partie

‘Elle est partie quelque part.’

b. *Ona kuda ušla.

Elle quelque part partie

L’agrammaticalité de (57b) nous montre que l’on ne peut pas affirmer que les syntagmes

wh- sont identiques aux pronoms indéfinis en russe. Certaines conditions du discours

nous permettent de remplacer la forme du pronom indéfini par la forme du syntagme wh-.

Nous avons une explication possible: dans une longue phrase le locuteur a tendance à

couper certaines syllabes des mots (surtout s’il s’agit de particule/suffixe dérivationnel) à

condition que le sens y reste toujours. C’est ce qui se passe à notre avis dans les longues

phrases en russe comme dans l’exemple en (53), contrairement à une phrase courte en

(57b).

En plus, si l’on compare le russe avec le bulgare, le roumain et le serbo-croate, on

obtient le même résultat au niveau de la formation des pronoms indéfinis – il y a un

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morphème qui se rattache au syntagme wh- correspondant (-va en roumain, nja- en

bulgare et ne- en serbo-croate). La table en (58) représente cette formation en roumain,

celle en (59) en bulgare et celle en (60) en serbo-croate:

(58) Formes des pronoms indéfinis et des syntagmes wh- en roumain

Syntagme wh- Pronom indéfini

cine (qui) cineva (quelqu’un)

ce (quoi) ceva (quelque chose)

cîte (combien) cîteva (quelque)

unde (où) undeva (quelque part)

(59) Formes des pronoms indéfinis et des syntagmes wh- en bulgare

Syntagme wh- Pronom indéfini

koj (qui) njakoj (quelqu’un)

kakvo (quoi) njakakvo (quelque chose)

koga (quand) njakoga (à un moment)

kŭde (où) njakŭde (quelque part)

(60) Formes des pronoms indéfinis et des syntagmes wh- en serbo-croate

Syntagme wh- Pronom indéfini

ko (qui) neko (quelqu’un)

šta(quoi) nešta (quelque chose)

gde (où) negde (quelque part)

kako (comment) nekako (d’une manière)

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Comme nous pouvons le voir, les quatre langues forment les pronoms indéfinis de

la même façon, en ajoutant un morphème avant ou après la forme du syntagme wh-

correspondant. Même si en bulgare, en roumain et en serbo-croate il est agrammatical

d’enlever ce morphème et de garder le sens du pronom indéfini, nous n’avons pas de

preuves directes pour affirmer que les quatre langues sont différentes concernant la

relation entre les syntagmes wh- et les pronoms indéfinis.

Nous avons, ainsi, parcouru les cinq critères qui, selon Stepanov (1998), Strahov

(2001) et Bošković (2002), relient le russe avec les langues à wh- in situ. De façon

intéressante les mêmes cinq critères s’appliquent également à trois autres langues à MWF

(le bulgare, le roumain et le serbo-croate) qui, selon la classification de Bošković, font

partie de deux groupes différents. Ainsi la classification proposée par Bošković (2002)

doit être révisée. Selon ces critères, le russe, le bulgare et le roumain sont des langues à

wh- in situ (ce qui n’est pas le cas), et nous ne savons pas toujours pourquoi ces langues

sont quand même différentes. Il semblerait donc que le MWF ne soit pas un

épiphénomène comme le prétend Bošković.

4.2.2. La violation des Effets de Supériorité Dans cette section, nous démontrons que la violation des effets de Supériorité en russe est

une illusion et que les syntagmes wh- ciblent des projections distinctes (D-WhP et FocP).

Nous argumentons pour l’existence de la catégorie fonctionnelle D-WhP qui attire le

syntagme wh- le plus haut dans une question multiple. Cette catégorie est reliée au

discours et aux intentions du locuteur – un des syntagmes wh- est plus important pour le

locuteur que d’autres.

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177

Deux tests permettent d’affirmer que les syntagmes wh- dans une question

multiple occupent des positions différentes. Le premier test implique une question de

clarification à une question déjà posée, en russe et en roumain.

4.2.2.1. Test de clarification

Comme nous avons déjà mentionné au début du chapitre, le russe (61a–b), contrairement

au roumain (62a–b), permet l’ordre libre des syntagmes wh- dans les constructions à

MWF:

(61) a. Kto čto kupil? [russe]

Qui quoi a acheté

‘Qui a acheté quoi?’

b. Čto kto kupil?

Quoi qui a acheté

‘Qui a acheté quoi?’

(62) a. Cine ce vrea? [roumain]

Qui quoi veut

‘Qui veut quoi?’

b. * Ce cine vrea?

Quoi qui veut

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Nous proposons un test qui impliquerait une question de clarification: soit sur le

sujet (63), soit sur l’objet (64). Ce test nous démontre l’importance du premier syntagme

wh- au locuteur.

(63) Qui est-ce qui t’intéresse?

(64) Qu’est-ce qui t’intéresse?

Supposons qu’il y a deux personnes (Nicolas et Maxim) qui font plusieurs achats

différents. En posant la question en (63) le locuteur veut juste savoir laquelle de deux

personnes l’intéresse plus, alors qu’en posant (64) il veut savoir quel achat l’intéresse

plus.

De façon intéressante, l’équivalent russe et roumain de la question en (63) est

possible comme la suite des questions (61a) et (62a), mais elle est apragmatique pour la

question (61b). De façon parallèle, la question en (64) est possible pour les phrases (61b)

et (62a), alors qu’elle est agrammaticale pour la question (61a). En d’autres mots, en

roumain, où l’ordre des syntagmes wh- est fixe, les deux questions (63)–(64) sont

possibles pour la phrase (62a), tandis qu’en russe seule la question qui porte sur le

premier des deux syntagmes wh- est possible dans chaque cas.

Ce test démontre le statut spécial du premier syntagme wh- en russe: celui-ci est

plus important pour le locuteur. Ceci veut dire qu’il occupe une position différente des

autres syntagmes wh- dans la phrase.

Page 179: Liakin 2003

179

4.2.2.3. Questions dans une situation donnée

Nous avons un autre argument fort que la position du syntagme wh- le plus haut dans une

question multiple en russe est différente des autres. L’affirmation en (65) présente une

situation où on connaît le sujet (les enfants), mais on n’a pas d’indice de la destination

(où ils vont partir) – le verbe uedut (partiront) présume une destination et on sait que les

enfants partent dans des endroits différents. Une question simple est possible dans les

deux cas: pour le sujet (66a) et pour la destination (66b). Mais dans une question multiple

(le locuteur veut préciser et les participants et les destinations) le syntagme wh- sujet doit

suivre le syntagme wh- destination (66c vs. 66d), et la réponse à cette question sera

nécessairement une paire multiple. Nous expliquons la non-acceptabilité de la question en

(66d) par le fait que le locuteur est plus intéressé par le fait présupposé, mais inconnu (la

destination) que par le connu27 (les enfants).

(65) Deti skoro uedut.

Enfants bientôt partiront

‘Les enfants partiront bientôt.’

(66) a. Kto skoro uedet?

Qui bientôt partira?

‘Qui partira bientôt?’

27 Quelqu’un pourrait se demander pourquoi on peut questionner un fait connu dans (66a,c). Ici il y a deux réponses possibles: premièrement le locuteur a mal compris de qui il s’agit; deuxièmement, le sujet est multiple (plusieurs enfants) et on peut donc questionner une partie de ce groupe.

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180

b. Kuda deti skoro uedut?

Où enfants bientôt partiront

‘Où les enfants partiront-ils bientôt?’

c. Kuda kto uedet?

Où qui partira

‘Qui partira où?’

d. * Kto kuda uedet?

Qui où partira

Le fait que le syntagme wh- kuda puisse précéder le syntagme wh- kto (66c), mais ne

peut pas le suivre (66d), nous suggère qu’il s’agit de deux positions structurales

différentes et que l’ordre libre de syntagmes wh- dans un contexte neutre est toujours dû

à la situation du discours. Cette position est absente dans les langues comme le français et

l’anglais où le syntagme wh- Nominatif doit toujours occuper la position initiale de la

phrase, et où on ne peut pas déplacer deux syntagmes wh- dans la position initiale.

On obtient exactement le même résultat si on a un objet direct présent et un objet indirect

(destinataire) implicite comme dans l’affirmation en (67):

(67) Maksim razdal svoi vešči.

Maxim a distribué ses vêtements

‘Maxim a distribué ses vêtements.’

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181

(68) a. Komu čto on razdal?

À qui quoi il a distribué

‘À qui a-t-il distribué quoi?’

b. * Čto komu on razdal?

quoi à qui il a distribué

De nouveau la seule question multiple possible est celle où le syntagme wh- représentant

un objet inconnu (destinataire) précède le l’objet connu (68a). Mais si l’inconnu disparaît

de la phrase, l’ordre des syntagmes wh- devient libre comme dans les questions en (70) et

(72) à partir des affirmations en (69) et (71):

(69) Denis uedet v Moskvu, a Maksim uedet v Minsk.

Denis partira à Moscou et Maxim partira à Minsk

‘Denis partira à Moscou et Maxim partira à Minsk.’

(70) a. Kuda kto uedet?

Où qui partira

‘Qui partira où?’

b. Kto kuda uedet?

Qui où partira

Page 182: Liakin 2003

182

(71) Maxim otdal Aleksandru rubašku, a Sergeiu štany.

Maxim a donné Alexandre-DAT chemise-ACC et Serge-DAT pantalon-ACC

‘Maxim a donné la chemise à Alexandre et le pantalon à Serge.’

(72) a. Komu čto on otdal?

À qui quoi il a donné

‘À qui a-t-il donné quoi?’

b. Čto komu on otdal?

quoi à qui il a donné

On obtient exactement le même résultat si dans la phrase de départ les deux éléments sont

inconnus et, ainsi, peuvent avoir le même niveau d’importance pour le locuteur:

(73) a. Vse raziedutsja po raznym gorodam.

Tous partiront dans différentes villes

‘Chacun partira dans une ville différente.’

b. Kuda kto uedet?

Où qui partira

‘Qui partira où?’

Page 183: Liakin 2003

183

c. Kto kuda uedet?

Qui où partira

Ce test nous démontre que si tous les syntagmes wh- repésentent des éléments qui ont un

niveau identique de “(in)connaissance” pour le locuteur, l’ordre de syntagmes wh- est

libre; alors que si nous sommes en présence d’un élément inconnu dans la phrase, le

syntagme wh- qui le représente occupe nécessairement la position initiale de la phrase.

4.2.3. Analyse

Les résultats des tests présentés dans les deux sections précédentes nous amènent à l’idée

qu’en russe dans une question multiple avec deux syntagmes wh-, il y a toujours un qui

suscite le plus l’intérêt du locuteur et qui monte dans une projection distincte tandis que

l’autre syntagme monte à cause de la focalisation. On appellera cette projection distincte

– D-WhP, qui possède un trait wh- relié au discours [wh-disc]28 qui est toujours fort en

russe. Nous expliquons la force du trait [wh-disc] par le fait qu’aucun syntagme wh- en

russe ne peut rester in situ: il doit monter obligatoirement. Ainsi dans les questions

multiples en russe on ne peut pas parler de l’absence des Effets de Supériorité. L’ordre

apparemment libre des syntagmes wh- est dû à la présence d’une catégorie fonctionnelle

reliée au discours.

28 Chomsky (2000, 2001) suggère que l’idée de la force d’un trait FL soit remplacée par la généralisation de EPP ou OCC. EPP/OCC est un trait FP d’un trait FL. Nous suggérons que le trait [wh-disc] est associé avec un trait FP OCC qui force l’attraction avant Épelle d’un item lexical ayant le trait FL approprié pour vérifier ce trait [wh-disc]. Cette hypothèse suit bien la conclusion de Chomsky (2001: 10) :

Optimally, OCC should be available only when necessary: that is, when it contributes to an outcome at SEM [semantics] that is not otherwise expressible. … Hence H has OCC only if that yields new scopal or discourse-related properties. ... Informally, we can think of OCC as having the “function” of providing new interpretations.

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184

Dans le Chapitre III nous avons démontré qu’il existe deux possibilités

syntaxiques en russe pour focaliser un syntagme à partir d’une phrase déclarative neutre:

une dans la périphérie gauche et l’autre dans le domaine IP, entre TP et vP ce qui nous

permet de générer deux positions FocP. Les deux positions sont capables d’accueillir les

syntagmes contrastés, mais seule la position [Spec, FocP] de la périphérie gauche peut

accueillir les syntagmes exhaustifs.

Nous proposons de décomposer le trait [focus] en 2 traits: [focus] – focus

contrastif, et [focusEx] – focus contrastif et exhaustif (la notion de l’exhaustivité du focus

est toujours reliée au contraste). Ainsi, nous présumons que dans une question multiple

comme celle en (74), dont la dérivation est illustrée en (75), les deux syntagmes wh- sont

porteurs d’un de ces traits, surtout qu’il est devenu une pratique standard (Horvath 1986)

dans la grammaire générative de considérer les syntagmes wh- comme porteurs du trait

[focus], ce qui leur permet de cibler la même position que les éléments focalisés:

(74) Čto kto kupil?

quoi qui a acheté

‘Qui a acheté quoi?’

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(75) D-WhP V Čto i D-WhP’ V DWhP FocP V t2 j Foc’ V

Foc TP V kto i T’ V

T vP V t1 i v’ V

v VP kupil V V t1 j

Si l’objet wh- est sélectionné avec le trait [focusEx], le sujet wh- monte vérifier le

trait fort OCC de T°. Par suite l’objet wh- est attiré par FocP pour vérifier le trait fort

[focusEx] de Foc° et ensuite D-WhP l’attire pour vérifier son trait [wh-disc]. Nous

soutenons que dans la phrase (74) c’est le syntagme wh-objet qui est sélectionné de la

numération avec le trait [wh-disc] et c’est lui qui est attiré dans le domaine de vérification

de D-WhP, car si c’était le contraire et le syntagme wh-sujet était sélectionné avec ce

trait, nous aurions obtenu la phrase en (76) où le sujet est plus important au locuteur:

(76) Kto čto kupil?

qui quoi a acheté

‘Qui a acheté quoi?’

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186

En ce qui concerne une question simple, nous proposons que le syntagme wh- est

attiré dans le [Spec, FocP] et il s’agit d’une focalisation. La projection D-WhP n’est pas

générée dans ce type de question car il n’y a pas de choix pour le locuteur. Si cette

projection était générée dans les questions simples, la phrase (77b) serait acceptable, ce

qui n’est pas le cas:

(77) a. Knigu, komu on prinës?

livre-Top à qui il apporté

‘Le livre, à qui il l’a apporté?

b. * Komu knigu on prinës

à qui livre-Top il apporté

Dans le Chapitre I nous avons démontré que le Topique doit précéder le Focus (77a) et ne

peut pas le suivre (77b). Si la projection D-WhP faisait partie de la structure des

questions simples, la question (77b) devrait être acceptable étant donné le fait que

D-WhP peut précéder un Topique, ce que nous illustrons en (78):

(78) Kto Maximu čto prinës?

qui à Maxim-Top quoi a apporté

‘À Maxim, qui a apporté quoi?’

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Ainsi, la projection D-WhP n’est pas générée dans les questions simples. Selon cette

proposition la phrase en (79) aura la dérivation en (80):

(79) Čto Denis kupil?

Quoi Denis a acheté

‘Qu’est-ce que Denis a acheté?’

(80) FocP V Čto j Foc’ V Foc TP V Denis i T’ V

T vP V t i v’ V v VP kupil V V t j

La dérivation (80) contient la tête fonctionnelle Focº ayant un trait formel

[focusEx] qui exige la vérification dans la configuration spécifieur-tête pour la

convergence de la dérivation. Le seul candidat possible pour cette vérification est un item

lexical avec un trait formel [focusEx], l’objet direct (čto).

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Si l’objet direct est sélectionné de la numération avec le trait [focus], nous

obtiendrons la phrase en (81a). Ici, l’objet direct vérifie le trait formel [focus] de la tête

fonctionnelle Focº du domaine IP, le DP Sujet Denis occupant la position de [Spec, TP]

puisqu’il n’est ni topicalisé, ni focalisé, ce que nous illustrons en (81b):

(81) a. Denis čto kupil?

Denis quoi a acheté

‘Qu’est-ce que Denis a acheté?’

b. TP V Denis i T’ V T FocP V čto j Foc’ V

Foc vP V t i v’ V v VP kupil V V t j

Dans la section suivante nous présentons certaines propriétés syntaxiques des

questions multiples en russe et nous montrons comment notre analyse en rend compte.

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189

4.2.4. Extension de l’analyse

Nous avons déjà expliqué le comportement des syntagmes wh- dans les questions

matrices à deux syntagmes wh-. Dans cette section nous étendons notre analyse aux

phrases qui contiennent trois syntagmes wh- (4.2.4.1); qui incluent un élément entre les

syntagmes wh- (4.2.4.2); ainsi qu’aux phrases qui contiennent une enchâssée que nous

examinerons du point de vue de la possibilité de l’extraction des syntagmes wh- (4.2.4.3).

4.2.4.1. Trois syntagmes wh-

Les questions à trois syntagmes wh- sont rares et sont utilisées surtout avec les verbes qui

sélectionnent deux compléments, comme dans le cas du verbe dat’ (donner):

(82) a. Kto komu čto dal?

qui à qui quoi a donné

‘Qui a donné quoi à qui?’

b. Kto čto komu dal?

qui quoi à qui a donné

c. Čto kto komu dal?

quoi qui à qui a donné

d. Čto komu kto dal?

à qui qui quoi a donné

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e. Komu kto čto dal?

à qui qui quoi a donné

f. Komu čto kto dal?

à qui quoi qui a donné

L’ordre libre des syntagmes wh- déplacés suggère deux niveaux d’importance pour le

locuteur. Si en (82a–b) son intérêt est représenté sous la forme: Sujet < Objet Indirect,

Objet Direct, en (82c–d) ses intentions changent entièrement et c’est l’objet direct suivi

du sujet ou objet indirect qui l’intéressent plus: Objet Direct < Sujet, Objet Indirect. Ce

fait nous suggère que la projection fonctionnelle D-WhP est une projection à deux

niveaux. Nous proposons d’éclater le trait [wh-disc] en deux traits [D, wh] où [D] est un

trait discursif qui est vérifié par le syntagme wh- le plus important pour le locuteur.

Comme preuve de notre hypothèse prenons la phrase (83) qui commence un dialogue:

(83) Druzija vernuli vsju odeždu moim roditeljam.

Amis-NOM ont rendu tous vêtements-ACC mes-DAT parents-DAT

'Les amis ont donné tous les vêtements à mes parents.'

Pour l'interlocuteur la situation est la suivante: les parents (COI) – il les connaît; les amis

(Sujet) – il y en a plusieurs et il ne sait pas qui parmi eux rendait les vêtements; tous les

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191

vêtements (COD) – il ne sait pas quels vêtements exactement chacun rendait (vestes?

pantalons? etc.).

Les questions possibles et impossibles que l’interlocuteur peut poser suivant la

phrase en (83) sont illustrées en (84):

(84) a. Kto čto komu vernul?

qui quoi à qui a rendu

‘Qui a rendu quoi à qui?’

b. Čto kto komu vernul?

quoi qui à qui a rendu

c. ?? Kto komu čto vernul?

qui à qui quoi a rendu

d. ?? Čto komu kto vernul?

quoi à qui qui a rendu

e. * Komu čto kto vernul?

à qui quoi qui a rendu

f. * Komu kto čto vernul?

à qui qui quoi a rendu

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192

Les phrases en (84) démontrent que la position du premier syntagme et la position du

deuxième syntagme sont différentes, sinon les phrases en (84c) et (84f) auraient le même

degré d'acceptabilité. Cela signifie que les deux syntagmes wh- vérifient des traits

différents, le premier syntagme wh- occupe une position à part: Spéc de D-WhP spécifié

pour le trait [D]).

Le deuxième argument en faveur de l’éclatement du trait [wh-disc] vient des

phrases (84b) et (84d). Lorsque le syntagme wh- objet indirect komu est en deuxième

position (84d), la phrase devient moins acceptable tandis que lorsqu’il est en troisième

position, la phrase est toujours grammaticale (84b). Si, dans les deux cas, le syntagme

wh- est attiré par la même tête, ceci n'expliquera pas le degré d'acceptabilité différent.

Ces arguments nous donnent la hiérarchie suivante pour le syntagme wh- objet indirect

komu:

(85)

Position dans la phrase Degrés d’acceptabilité Trait vérifié Première position (84e–f) Aberrant [D] Deuxième position (84c–d) Peu acceptable [wh] Troisième position (84a–b) Grammatical [focusEx]

Nous donnons la dérivation de (84b) en (86):

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193

(86) D-WhP(+D) V čto k D-Wh’ V DWhP D-WhP(+wh) V kto i D-Wh’ V

D-WhP FocP V t2 k Foc’ V

Foc TP V t2 i T’ V

T FocP V komu j Foc’ V Foc vP V

t1 i v’ V v TrP

V t k Tr’

V V t j

En (86) le sujet kto est sélectionné avec le trait [wh-], l’objet direct čto – avec [focusEx]

et [D], et l’objet indirect komu – avec [focus]. L’objet indirect komu vérifie le trait

[focus] de Focº du domaine IP. Le sujet monte dans [Spec, TP] pour vérifier le trait fort

OCC de Tº, tandis l’objet direct vérifie le trait [focusEx] de Focº de la périphérie gauche.

Étant donné que l’objet direct est plus important au locuteur que le sujet, c’est le

syntagme wh- kto qui monte dans le [Spec, D-WhP(+wh)], et c’est le syntagme wh- čto

qui vérifie le trait [D] de D-WhP(+D). Si l’intention du locuteur change et il est plus

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194

intéressé par le sujet, alors nous obtenons la phrase (84a) où le sujet wh- vérifie le trait

[D] de D-WhP(+D).

4.2.4.2. Les ‘intrus’

Nous avons déjà mentionné dans ce chapitre que les éléments topicalisés peuvent rompre

la séquence des syntagmes wh- dans une question multiple, donnant lieu à la

configuration [DWhP > TopP > FocP] illustrée ci-dessous:

(87) a. Kto Denisu čto prinës?

qui à Denis-Top quoi a apporté

‘À Denis, qui a apporté quoi?’

b. Čto Denisu kto prinës?

quoi à Denis-Top qui a apporté

Au Chapitre I, nous avons démontré que le Topique en russe peut apparaître dans deux

positions. Les exemples de questions multiples en (88) le montrent une fois de plus:

(88) a. Kto včera komu čto dal?

qui hier-Top à qui quoi a donné

‘Hier, qui a donné quoi à qui?’

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b. Kto komu včera čto dal?

qui à qui hier-Top quoi a donné

(88a–b) ne posent pas de problème à notre analyse. La possibilité de rompre la séquence

des syntagmes wh- par un élément topicalisé est due à l’itérativité du Topique en russe.

La question particulière à laquelle nous voudrions nous adresser dans cette section

est le statut des pronoms qui interrompent cette séquence en russe. Rudin (1988) et

Richards (1997), suivis de Bošković (1997, 1998), affirment que la possibilité de rompre

la séquence des syntagmes wh- par un clitique indique que tous les syntagmes wh-, sauf

le premier, se trouvent dans le domaine IP. Ceci serait vrai pour le serbo-croate (89) où,

selon l’analyse de Tomić (1996), le groupement de clitiques est formé dans CP29, et,

ainsi, le deuxième syntagme wh- (šta) n’est plus dans CP et il est adjoint à IP:

(89) a. Ko mu je šta dao? [serbo-croate]

Qui lui a quoi donné

‘Qui lui a donné quoi?’

b. * Ko šta mu je dao?

Qui quoi lui a donné (Rudin 1988: 462)

En ce qui concerne le russe, un pronom objet peut également apparaître entre deux

syntagmes wh-, comme nous pouvons voir de l’exemple en (90):

29 L’analyse de Tomić considère Cº comme une tête unique (1996 : 811).

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(90) Kto emu čto dal?

qui lui-Top quoi a donné

‘A lui, qui a donné quoi?’

Mais, ici, le pronom est nettement topicalisé, et c’est sa fonction de Topique qui lui

permet de s’introduire entre deux syntagmes wh-. Cette possibilité est due à l’itérativité

du Topique en russe – ce pronom topicalisé peut également occuper la position initiale de

la phrase (91a), l’exemple (91b) étant sa position non-topicalisée30:

(91) a. Emu kto čto dal?

lui-Top qui quoi a donné

‘A lui, qui a donné quoi?’

b. Kto čto emu dal?

qui quoi lui a donné

‘Qui lui a donné quoi?’

En ce qui concerne le serbo-croate, le clitique mu en (89a) ne peut pas avoir une

lecture de topique. Ce clitique ne peut non plus occuper la position initiale de la phrase

(92), même avec une lecture de topique (Nada Petković, communication personnelle):

30 Voir la discussion sur la position des pronoms objets dans le Chapitre II.

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197

(92) a. * Mu ko je šta dao?

lui/lui-Top qui a quoi donné

‘Qui lui a donné quoi?’

L’impossibilité d’apparaître dans la position initiale de la phrase est due au fait que les

clitiques serbo-croates sont des enclitiques et exige un hôte syntaxique à leur gauche, ce

qui n’est pas le cas des pronoms objets russe comme emu, comme nous avons vu dans le

Chapitre II.

Ainsi l’argument selon lequel la possibilité de rompre la séquence des syntagmes

wh- par un clitique indique que tous les syntagmes wh-, sauf le premier, se trouvent dans

le domaine IP, ne peut pas être appliqué au russe étant donné le statut différent des

clitiques en russe et en serbo-croate.

4.2.4.3. L’extraction des syntagmes wh- à partir d’une phrase enchâssée

Regardons maintenant ce qui se passe dans les phrases interrogatives qui contiennent une

proposition enchâssée. Prenons une affirmation dans le contexte de discussion entre deux

personnes:

(93) Maksim skazal, čto mama otnesët knigi domoj, a papa k babuške.

Maxim a dit que maman portera livres maison et papa chez grand-mère

‘Maxim a dit que maman porterait des livres à la maison et papa les portera chez

grand-mère.’

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Imaginons que le locuteur n’a pas compris où les livres seront portés par qui et il veut

préciser:

(94) a. Kto kuda Maksim skazal, čto prinesët knigi?

Qui où Maxim a dit que apportera livres

b. Kuda kto Maksim skazal, čto prinesët knigi?

où qui Maxim a dit que apportera livres

c. Maksim skazal, čto kto kuda prinesët knigi?

Maxim a dit que qui où apportera livres

d. Maksim skazal, čto kuda kto prinesët knigi?

Maxim a dit que où qui apportera livres

Comme nous pouvons voir des exemples en (94), la projection D-WhP peut être générée

dans la matrice (94a–b)31 et dans l’enchâssée (94c–d). La différence entre (94a–b) et

(94c–d) est due à leur interprétation: en (94c–d) la personne qui pose la question a mal

compris la deuxième partie de la phrase. L’ordre libre de syntagmes wh- dans les deux

cas nous démontre une fois de plus qu’il dépend des intentions du locuteur: en (94b) et

31 Nous n’avons pas de preuves indépendantes pour la cyclicité successive du mouvement wh- en russe; rien dans le CP enchâssé éclaté (ou pas) ne forcerait son utilisation comme point de ‘transit’. Nous supposons donc que les syntagmes wh- en (94a–b) montent directement dans la proposition matrice.

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(94d) le locuteur est plus intéressé par la destination, tandis qu’en (94a,c) ce sont les

“porteurs” qui l’intéressent32.

Prenons un autre contexte où une question est posée à un locuteur (nous donnons

deux variantes de cette question, pour montrer que celle-ci peut avoir deux types de

questions de précision (multiple et unique)).

(95) a. Nikolaj ljubit Natašu?

Nicolas aime Natasha

‘Est-ce que Nicolas aime Natasha?’

b. Nikolaj s Petej ljubiat Natašu s Marinoj?

Nicolas et Pierre aiment Natasha et Marina

‘Est-ce que Nicolas et Pierre aiment Natasha et Marina?’

Ces questions peuvent provoquer plusieurs autres questions. Imaginons que la personne à

laquelle on pose cette question ne connaît pas les individus dont il s’agit dans celle-ci.

Nous illustrons en (96) les questions de clarification possibles:

(96) a. Ktoi ty sprosil [kogoj ti ljubit tj]?

qui-NOM tu as demandé qui-ACC aime

‘Qui as-tu demandé aime qui?’

32 Les questions à trois syntagmes wh- représentent le même comportement que ceux à deux syntagmes.

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200

b. Kogoj ty sprosil [ktoi ti ljubit tj]?

qui-ACC tu as demandé qui-NOM aime

c. Ktoi kogoj ty sprosil [ti ljubit tj]?

qui-NOM qui-ACC tu as demandé aime

d. Kogoj ktoi ty sprosil [ti ljubit tj]?

qui-ACC qui-NOM tu as demandé aime

e. Ty sprosil [ktoi kogoj ti ljubit tj]?

Tu as demandé qui-NOM qui-ACC aime

f. Ty sprosil [kogoj ktoi ti ljubit tj]?

Tu as demandé qui-ACC qui-NOM aime

Les phrases en (96c–f) confirment notre hypothèse que la projection D-WhP est présente

dans la matrice et dans l’enchâssée. En ce qui concerne (96a–b) où un des syntagmes wh-

doit monter dans la proposition matrice, tandis que l’autre doit rester dans l’enchâssée,

nous illustrons la dérivation de (96a) en (97):

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(97) D-WhP V Kto D-WhP’ V DWhP TP V tyi T’ V

T vP V t i v’ V v VP sprosil V V FocP V kogo Foc’ V

Foc TP …

Selon notre analyse, comme la phrase enchâssée est interrogative, elle doit projeter la

projection fonctionnelle FocP dont le trait [focus] est vérifié par le syntagme wh- kogo,

mais puisque la projection reliée au discours D-WhP est générée dans la matrice, ceci

force la montée du syntagme wh- kto dans la matrice.

Il est à noter, qu’en roumain le seul ordre possible est (98b) comme celui dans

l’exemple en (96e) en russe où les deux syntagmes wh- restent dans l’enchâssée

interrogative. Toute extraction à partir d’une enchâssée interrogative est agrammaticale

comme en (98a) (= (70b) de Alboiu (2000: 211)) versus l’exemple (99) du russe:

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(98) a. * Cinei m-ai întrebat cuij i-a [roumain]

qui CL.1SG.ACC-AUX.2SG a demandé à qui CL.3SG.DAT-AUX.3SG

dat ti tj cartea

a donné ti tj livre

‘Qui m’as-tu demandé a donné le livre à qui?’

b. M-ai întrebat cinei cui i-a

CL.1SG.ACC-AUX.2SG a demandé qui à qui CL.3SG.DAT-AUX.3SG

dat cartea

a donné livre

(99) Kto ty menja sprosil komu dal knigu? [russe]

Qui tu me a demandé à qui a donné livre

‘Qui m’as-tu demandé a donné le livre à qui?’

Ainsi, la présence de la projection fonctionnelle D-WhP dans la proposition matrice en

russe explique pourquoi dans la phrase (99) un syntagme wh- peut monter dans la

matrice, même si l’enchâssée est interrogative, contrairement au roumain (98a) où tout le

mouvement de syntagmes wh- par-dessus une enchâssée interrogative est agrammatical.

Pour confirmer notre hypothèse, ajoutons un troisième argument dans notre

question initiale:

Page 203: Liakin 2003

203

(100) Nikolaj krepko ljubit Natašu?

Nicolas fortement aime Natasha

‘Est-ce que Nicolas aime beaucoup Natasha?’

Cette question peut provoquer les trois questions suivantes (101a–c), alors que les

questions (101d–f) affichent une acceptabilité douteuse:

(101) a. Kto ty menja sprosil [kogo kak ljubit]?

qui-NOM tu me as demandé qui-ACC comment aime

‘Qui m’as-tu demandé aime qui et comment?’

b. Kogo ty menja sprosil [kto kak ljubit]?

qui-ACC tu me as demandé qui-NOM comment aime

c. Kak ty menja sprosil [kto kogo ljubit]?

comment tu me as demandé qui-NOM qui-ACC aime

d. ?* Kto kogo ty menja sprosil [kak ljubit]?

qui-NOM qui-ACC tu me as demandé comment aime

e. ?* Kogo kto ty menja sprosil [kak ljubit]?

qui-ACC qui-NOM tu me as demandé comment aime

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204

f. ?* Kak kto ty menja sprosil [kogo ljubit]?

comment qui-NOM tu me as demandé qui-ACC aime

Dans le cas de trois syntagmes wh-, tel qu’attendu selon notre analyse, un syntagme wh-

monte dans la matrice (101a–c), tandis que les deux autres doivent rester dans

l’enchâssée (101d–f).

Dans la section suivante nous présentons deux exceptions au mouvement

obligatoire des syntagmes wh- en russe.

4.2.5. Cas problématiques: les syntagmes wh- d-liés et l’exception phonologique

Les syntagmes wh- d-liés33 constituent une exception quant au mouvement obligatoire

des syntagmes wh-, comme nous pouvons le voir dans le contraste entre les phrases en

(102a) et (102b):

(102) a. Kto smotrel kakoj film?

qui regardait quel film

‘Qui regardait quel film?’

b. * Kto smotrel čto?

qui regardait quoi

‘Qui regardait quoi?’

33 “D-lié” est notre traduction du terme “d-linked” qui se réfère à une information présupposée ou donnée dans un contexte.

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205

Nous trouvons l’explication de ce contraste dans la nature même des syntagmes wh-

d-liés qui ont été analysés entre autres par Reinhart (1997) et Bošković (2002). Comme

nous avons déjà mentionné, la raison principale de la montée d’un syntagme wh- est la

focalisation et c’est dans cette optique que nous trouvons l’explication. Bošković (2002),

suivant Pesetsky (1997, 2000), remarque qu’avec les syntagmes wh- d-liés, la gamme des

réponses appropriées est limitée à un ensemble d’objets connus aux deux locuteurs

puisque ces objets ont déjà été mentionnés dans le discours ou ont été saillants dans le

contexte. Ainsi la gamme des références des syntagmes wh- d-liés est donnée par le

discours. Étant donné leur nature contextuelle, ces syntagmes wh- ne sont pas en soi

focalisés et, par conséquent, ne doivent pas subir le mouvement focus. Ceci confirme la

conclusion de Reinhart (1997) que les constituants d-liés ne sont pas des éléments qui se

focalisent bien.

En plus, les syntagmes wh- d-liés et non d-liés se comportent différemment quant

à l’extraction à partir d’un îlot comme celui en (103a). Si avec les syntagmes wh- d-liés

l’extraction est partiellement acceptable (103b), avec les syntagmes wh- standards celle-

ci est entièrement agrammaticale (103c):

(103) a. Mal’čik raduetsja, esli mama prinosit knigi.

Garçon est content si maman apporte livres

‘Le garçon est content si maman apporte des livres.’

b. ? Kakie knigi mal’čik raduetsja, esli mama prinosit?

quels livres garçon est content si maman apporte

Page 206: Liakin 2003

206

c. * Čto mal’čik raduetsja, esli mama prinosit?

quoi garçon est content si maman apporte

Rizzi (1997) suppose que les syntagmes wh- d-liés montent à cause de la topicalisation,

ce qui devient logique si nous comparons (103b–c) avec l’exemple en (104) ou un DP

topicalisé est extrait à partir du même îlot:

(104) Knigi, mal’čik raduetsja, esli mama prinosit.

Livres garçon est content si maman apporte

‘Des livres, le garçon est content si maman les apporte.’

Ainsi nous expliquons le non-déplacement des syntagmes wh- d-liés comme en

(102a) par le fait que ces syntagmes ne sont pas sujets au mouvement focus. Toute

montée des syntagmes wh- d-liés dans la périphérie de gauche est due à leur

topicalisation (103b), visant la projection fonctionnelle TopP, ce qui explique la

grammaticalité des phrases (105a–b) que nous illustrons par une dérivation partielle en

(106a–b) respectivement :

(105) a. Kto kakoj film smotrel?

qui quel film regardait

‘Qui regardait quel film?’

Page 207: Liakin 2003

207

b. Kakoj film kto smotrel?

quel film qui regardait

(106a) D-WhP V kto i D-Wh’ V DWh TopP V kakoj film Top’ V

Top FocP V t i Foc’ V

Foc TP …

(106b) TopP V kakoj film Top’ V Top D-WhP V kto i D-Wh’ V

D-Wh FocP V t i Foc’ V

Foc TP …

Il existe également une autre exception pour le déplacement des syntagmes wh-

en russe, celui-là reliée à la phonologie: si les deux syntagmes wh- ont la même forme

phonologique, un des syntagmes doit rester in-situ et l’autre doit obligatoirement monter:

(107) a. Čto porodilo čto?

Que a engendré quoi

‘Qu’est-ce qui a engendré quoi?’

b. * Čto čto porodilo?

Que quoi a engendré

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208

c. * Porodilo čto čto?

a engendré que quoi

Ce phénomène n’est pas spécifique au russe. On le retrouve dans toutes les autres langues

à MWF, comme dans les exemples en (108–109) du bulgare et du roumain:

(108) a. Kakvo obuslavlja kakvo? [bulgare]

Que conditionne quoi

‘Qu’est-ce qui conditionne quoi?’

b. * Kakvo kakvo obuslavlja?

Que quoi conditionne (Bošković 2002: 364):

(109) a. Ce precede ce? [roumain]

Que précède quoi

‘Qu’est-ce qui précède quoi?’

b. * Ce ce precede?

Que quoi précède (Bošković 2002 : 365)

Dans tous ces cas nous avons affaire à un effet FP, étant donné que l’information sur la

prononciation des syntagmes wh- ne devrait pas être accessible à la syntaxe. Ainsi il

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209

s’agirait d’une contrainte FP contre la séquence consécutive des syntagmes wh-

homophones. Billings et Rudin (1996) proposent une telle contrainte pour rendre compte

du contraste en bulgare entre (110a) et (110b) où deux formes phonologiques identiques

ne peuvent pas se suivre:

(110) a. * Koj na kogo kogo e pokazal

qui sur qui à qui a montré

‘Qui a montré à qui sur qui?’

b. Koj kogo na kogo e pokazal

qui à qui sur qui a montré

Comme le remarquent Billings et Rudin (1996), ce type de contrainte n’est pas inouï dans

d’autre langues et dans d’autres types de constructions. Kornfilt (1986) propose une

“prohibition bègue” pour éliminer les séquences consécutives du marqueur complexe et

du marqueur possessif en turque qui peuvent être homophones. Ross (1972) propose une

contrainte “Doubl-ing” pour l’anglais pour rendre compte d’agrammaticalité de la

construction (111d) versus (111a–c), où le verbe ‘continue’, qui normalement sélectionne

les compléments gérondifs ou infinitifs, ne peut pas apparaître avec un gérondif s’il est

lui-même au présent progressif:

(111) a. It continued to rain.

b. It continued raining.

Page 210: Liakin 2003

210

c. It is continuing to rain.

d. * It is continuing raining.

Ainsi nous supposons que la phrase en (102a) ne constitue pas un problème à notre

analyse, et est une contrainte FP qui interdit toute séquence consécutive des syntagmes

wh- homophones et qui est une conséquence logique du Principe du Contour Obligatoire

(Leben 1973; McCarthy 1986). Ce principe stipule que deux auto-segments adjacents ne

peuvent pas avoir la même valeur.

4.3. Conclusion

Dans ce chapitre nous avons proposé une analyse alternative des constructions à MWF en

russe qui n’est pas reliée uniquement à la topicalisation et la focalisation, mais aussi à

d’autres facteurs du discours; et nous croyons avoir démontré que le déplacement

multiple des syntagmes wh- n’est pas un épiphénomène (contra Bošković 2002). Les

critères qui mettaient le russe dans le même groupe de langues comme le chinois et le

japonais s’appliquent également à d’autres langues à MWF comme le bulgare, le roumain

et le serbo-croate, qui, selon la classification de Bošković, font partie de deux groupes

différents. Nous proposons de garder la typologie (section 4.0.1) qui contient quatre

principaux types de langues d’après la façon de placer les syntagmes wh- dans la phrase.

Par contre, nous proposons de subdiviser le groupe de langues à MWF en fonction de la

présence de la catégorie D-WhP dans la périphérie gauche de la proposition matrice ou

dans celle de l’enchâssée interrogative. Cette catégorie est reliée au discours et aux

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211

intentions du locuteur – un des syntagmes wh- est plus important pour le locuteur que les

autres, et donne la typologie en (112):

(112)

Langue Présence de D-WhP dans la

proposition matrice

Présence de D-WhP dans

l’enchâssée interrogative

Russe + +

Bulgare, Roumain - -

Serbo-croate + -

? - +

Le ‘trou’ dans la dernière ligne de cette typologie pourrait avoir deux explications: soit il

existe une/des langue(s) inconnue(s) qui corresponde(nt) à cette impossibilité d’avoir des

D-WhP dans les enchâssées interrogatives mais pas dans les matrices interrogatives, soit

cela correspond à une impossibilité de principe comme par exemple le fait que la

présence de la projection D-WhP dans l’enchâssée implique sa présence dans la matrice

aussi.

Page 212: Liakin 2003

212

CONCLUSIONS GENERALES

L’objectif principal de cette thèse était d’examiner la structure de la phrase en russe, en

accordant une importance particulière au mouvement des syntagmes dans les

constructions à MWF et dans les constructions focalisées. Même si à la première vue la

langue russe affiche une grande liberté relative dans l’ordre des mots, nous avons

démontré qu’il est possible de la traiter comme une langue configurationnelle dont l’ordre

des mots de base est SVO.

L’examen des propriétés syntaxiques et des contraintes distributionnelles des

éléments se trouvant dans la couche du complémenteur et dans la couche flexionnelle

nous a permis d’analyser les domaines CP et IP comme un faisceau de catégories

fonctionnelles qui sont conformes à une organisation structurale stricte. Cette hypothèse

confirme le rôle prédominant des catégories fonctionnelles dans les computations

syntaxiques. Nous avons proposé de diviser toutes les projections de la périphérie gauche

en deux systèmes: le système Force—Finité et le système Topique—Focus, et nous avons

démontré que le Topique en russe est itératif. En ce qui concerne le domaine IP de la

phrase, nous avons argumenté contre l’éclatement de la tête Infl en deux projections

maximales AgrP et IP en russe (comme le proposent Franks et Greenberg (1994)), en

suggérant que celle-ci est composée de quatre autres projections fonctionnelles: FocP,

ClitP, ModP et NegP. Par ailleurs, nous avons soutenu que les projections FocP et ModP

appartiennent aux deux périphéries de la phrase.

Nous avons également démontré que le russe est une langue SVO sans montée du

verbe dans Infl. Nous avons soutenu que les ordres de mots OSV et SOV sont possibles

Page 213: Liakin 2003

213

grâce à la focalisation de l’Objet soit dans le domaine CP (OSV) soit dans le domaine IP

(SOV). Cette hypothèse explique la double présence de la projection fonctionnelle FocP

dans la structure de phrase en russe. Nous avons proposé deux tests d’exhaustivité qui ont

démontré que si les deux positions de focus en russe acceuillent les syntagmes focalisés

contrastifs (l’élément focalisé dans ces positions nie la valeur, assignée à la variable dans

la spécification du contexte et, en même temps, il introduit une valeur alternative pour

cette variable), elles se distinguent à l’égard de l’exhaustivité. Par conséquent, nous

avons suggéré de décomposer le trait [focus] en 2 traits: [focus] – focus contrastif, et

[focusEx] – focus contrastif et exhaustif (la notion de l’exhaustivité du focus est toujours

reliée au contraste).

L’examen des propriétés syntaxiques et discursives des constructions à

déplacement multiple des syntagmes wh- a permis d’avancer trois conclusions précises:

1. le russe n’est pas une langue à wh- in situ (contrairement à Bošković (2002),

Stepanov (1998) et Strahov (2001));

2. le déplacement multiple des syntagmes wh- ne doit pas être éliminé de la

typologie inter-linguistique d’après le placement des syntagmes wh- dans la

phrase (contrairement à Bošković 2002);

3. l’ordre apparemment libre des syntagmes wh- déplacés en russe s’explique par la

présence de la catégorie fonctionnelle D-WhP qui est reliée au discours et aux

intentions du locuteur: un des syntagmes wh- est plus important pour le locuteur

que les autres et ce qui force son mouvement dans la position initiale de la phrase

(contrairement à Stepanov (1998) et Strahov (2001)).

Page 214: Liakin 2003

214

Nous avons proposé de garder la typologie qui contient quatre principaux types de

langues d’après la façon de placer les syntagmes wh- dans la phrase. Par contre, nous

proposons de subdiviser le groupe de langues à MWF en fonction de la présence de la

catégorie fonctionnelle D-WhP dans la périphérie gauche de la proposition matrice ou

dans celle de l’enchâssée interrogative. De cette façon nous avons donné les réponses à

trois questions qui entourent la problématique des langues à déplacement multiple des

syntagmes wh-: le problème de typologie des langues, la violation des Effets de

Supériorité et la variation à l’intérieur des langues à déplacement multiple des syntagmes

wh-.

Nous avons également démontré que les constructions à déplacement multiple des

syntagmes wh- du russe ne constituent en rien une évidence en faveur de l’hypothese des

spécifieurs multiples et que ces constructions impliquent des projections fonctionnelles

multiples associées chacune à un trait LF spécifié.

Cette thèse nous laisse avec une question ouverte de savoir pourquoi l’expression

des intentions du locuteur dans les langues slaves et le roumain n’est pas exprimée de la

même façon, même si ces intentions doivent être identiques.

De façon intéressante, l’équivalent de la phrase russe (66c) du Chapitre IV que

nous répétons en (1) est possible en roumain (2), mais à condition que le syntagme wh-

exprimant la destination porte un accent d’insistance aussi bien dans les questions

directes que dans les questions indirectes (Mirela Parau et Gabriela Alboiu,

communications personnelles):

Page 215: Liakin 2003

215

(1) Kuda kto poedet? [russe]

Où qui partira

‘Qui partira où?’

(2) a. UNDE cine va pleca? [roumain]

Où qui va partir

‘Qui partira où?’

b. Ma intreb UNDE cine va pleca.

je réfléchis où qui va partir

‘Je réfléchis qui partira où.’

En ce qui concerne le bulgare, le syntagme wh- exprimant la destination est toujours

agrammatical dans la position initiale (3a), mais il peut précéder le syntagme wh-

Nominatif s’il se trouve dans une question indirecte et porte un accent d’insistance

(Yovka Tisheva, Ivan A Derzhanski, communications personnelles):

(3) a. * KŬDE koj da otide [bulgare]

où qui va partir

‘Qui partira où?’

Page 216: Liakin 2003

216

b. Obmisljam KŬDE koj da otide

je réfléchis où qui va partir

‘Je réfléchis qui va partir où?’

Les données en (2–3) suggèrent la présence d’une catégorie fonctionnelle en roumain et

en bulgare du même type que D-WhP en russe. À la différence du russe, cette catégorie

serait reliée non seulement aux intentions du locuteur mais aussi à une contrainte

phonologique qui implique un accent d’insistance sur le syntagme wh-. Étant donné que

nous consacrons cette thèse à la structure de la phrase en russe nous gardons cette

hypothèse sur le bulgare et le roumain pour la recherche future.

Page 217: Liakin 2003

217

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VITA Name Denis Liakin Place of birth Grodno, Belarus Year of birth 1974 Post-secondary Minsk State Linguistic University Education and Minsk, Belarus Degrees 1992-1997 B.A. The University of Western Ontario London, Canada 1997-1998, M.A. The University of Western Ontario London, Canada 1998-2003, Ph.D. Honours and awards Social Sciences and Humanities Research Council Doctoral Fellowship 2000-2002 Province of Ontario Graduate Scholarship 2002-2003 Related work experience Teaching Assistant The University of Western Ontario 1997-2001 Publications: Liakin, Denis. 2003. La focalisation des SD en russe. La revue québécoise de linguistique Liakin, Denis et Juvénal Ndayiragije. 2000. Les constructions russes en –sja. La revue

québécoise de linguistique 28/1: 111-122 2001. New look at an old problem: Multiple Wh-fronting in Slavic. Dans Aktuelle Beitraege zur formalen Slavistik, sous la dir. de Gerhild Zybatow, Uwe Junghanns, Grit Mehlhorn & Luka Szucsich, 206-213