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Droit Déontologie & Soin 11 (2011) 173–176 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Dossier : « La laïcité à l’hôpital public » Liberté de religion et droits des patients Charihane Benhida , Claire Gaudillère , Anne-Laure Pourquier , Yaminah Abadou , Élodie Coutarel Faculté de droit, université Jean-Moulin Lyon-3, 18, rue Chevreul, 69362 Lyon cedex 07, France Disponible sur Internet le 16 juillet 2011 Résumé L’exercice de la liberté de religion par les usagers du service public est une réalité apaisée. La fonction régulatrice du droit n’est sollicitée que pour les refus de soins et pour le choix de son praticien. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Les droits du patient sont régis par la loi du 4 mars 2002. Ces droits sont le fruit d’une volonté des pouvoirs publics d’instaurer une démocratie sanitaire permettant aux patients de devenir de véritables citoyens dans la santé et détenteurs de droits. Dans ce contexte, de nombreux droits sont concernés et notamment le droit à l’information, le droit à l’accès au dossier médical, le droit au consentement et au refus de soins, le droit au libre choix du praticien. 1. Le refus des soins pour des motifs confessionnels Les règles générales du consentement et du refus de soins (Section 1.1) ont été interprétées par la jurisprudence pour les Témoins de Jehova refusant les transfusions (Section 1.2). 1.1. Consentement et refus de soins Les établissements sanitaires publics doivent assurer le respect à la fois des croyances et des cultes des patients. Ces pratiques varient en fonction des religions, et ont pour conséquence une prise en charge distincte des patients. Dans la pratique, cela transparaît à travers certaines hypothèses de refus de soins des Témoins de Jehova 1 , qui refusent de subir une transfusion sanguine, même lorsque leur vie est en danger. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Benhida). 1 Cet exemple des Témoins de Jehova est pris comme illustration uniquement car ils ne sont pas reconnus comme une religion mais comme une secte. 1629-6583/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.ddes.2011.06.006

Liberté de religion et droits des patients

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Page 1: Liberté de religion et droits des patients

Droit Déontologie & Soin 11 (2011) 173–176

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Dossier : « La laïcité à l’hôpital public »

Liberté de religion et droits des patients

Charihane Benhida ∗, Claire Gaudillère , Anne-Laure Pourquier ,Yaminah Abadou , Élodie Coutarel

Faculté de droit, université Jean-Moulin Lyon-3, 18, rue Chevreul, 69362 Lyon cedex 07, France

Disponible sur Internet le 16 juillet 2011

Résumé

L’exercice de la liberté de religion par les usagers du service public est une réalité apaisée. La fonctionrégulatrice du droit n’est sollicitée que pour les refus de soins et pour le choix de son praticien.© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Les droits du patient sont régis par la loi du 4 mars 2002. Ces droits sont le fruit d’une volontédes pouvoirs publics d’instaurer une démocratie sanitaire permettant aux patients de devenir devéritables citoyens dans la santé et détenteurs de droits. Dans ce contexte, de nombreux droitssont concernés et notamment le droit à l’information, le droit à l’accès au dossier médical, le droitau consentement et au refus de soins, le droit au libre choix du praticien.

1. Le refus des soins pour des motifs confessionnels

Les règles générales du consentement et du refus de soins (Section 1.1) ont été interprétéespar la jurisprudence pour les Témoins de Jehova refusant les transfusions (Section 1.2).

1.1. Consentement et refus de soins

Les établissements sanitaires publics doivent assurer le respect à la fois des croyances et descultes des patients. Ces pratiques varient en fonction des religions, et ont pour conséquenceune prise en charge distincte des patients. Dans la pratique, cela transparaît à travers certaineshypothèses de refus de soins des Témoins de Jehova1, qui refusent de subir une transfusionsanguine, même lorsque leur vie est en danger.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (C. Benhida).

1 Cet exemple des Témoins de Jehova est pris comme illustration uniquement car ils ne sont pas reconnus comme unereligion mais comme une secte.

1629-6583/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.ddes.2011.06.006

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Le droit au refus de soins est le pendant naturel du principe du droit au consentement. Consentir,c’est faire le choix d’accepter un acte de soin. Inversement, le patient peut décider de refuser unacte médical. Pour ce faire, le consentement nécessite au préalable une information claire, loyaleet appropriée2. Le principe d’intangibilité, d’intégrité et d’indisponibilité du corps humain sontdes principes généraux auxquels il ne peut être dérogé que par nécessité médicale pour la personneet avec son consentement préalable.

D’ailleurs, le droit au consentement est prévu par le Code civil et le Code de la Santé Publique.L’article 16-3 du Code civil dispose qu’« il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humainqu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeu-tique d’autrui. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement, hors le cas où sonétat rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir. »L’article L.1111-4 du Code de la Santé Publique précise « qu’aucun acte médical ni aucun traite-ment ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentementpeut être retiré à tout moment. ».

1.2. Les Témoins de Jehovah refusant les transfusions

Le consentement doit toujours être respecté, et notamment pour des motifs confessionnels. Lajurisprudence rendue pour les Témoins de Jehova est très éclairante. Anticipant la loi du 4 mars20023, l’arrêt Sénanayaké du Conseil d’État du 26 octobre 20014 admettait que toute personnepeut refuser pour des raisons confessionnelles que des soins lui soient prodigués. Dans cetteaffaire, la Haute juridiction a validé la transfusion forcée des Témoins de Jehova pour faire faceà une situation médicale extrêmement grave et pallier l’absence d’alternative thérapeutique. Ilsouligne que d’un côté, l’obligation de sauver la vie ne saurait prévaloir de facon générale surcelle de respecter la volonté du malade. Mais d’un autre côté, le Conseil d’État estime que lesmédecins ne commettent pas de faute lorsque « compte tenu de la situation critique du patient, ilschoisissent d’accomplir un acte indispensable à sa survie et adapté à son état ». Il en résulte quela liberté de consentir ou de ne pas consentir à tout acte médical n’est pas absolue. Cela induit defait une atteinte à la liberté de sa pratique confessionnelle. Suite à la loi de 2002, deux décisionsde justice ont confirmé la position antérieure du Conseil d’État.

L’ordonnance du 16 août 2002, enjoint à « des médecins de ne pas pratiquer de nouvellestransfusions tout en précisant que cette injonction cesserait de s’appliquer si la patiente venaità se trouver dans une situation extrême mettant en jeu un pronostic vital ». Une ordonnance deréféré du 25 août 2002 du tribunal administratif de Lille va dans le même sens en interdisant àl’équipe soignante de procéder à la transfusion sanguine forcée d’un témoin de Jehova dès lorsqu’il n’est pas en danger. Par ces décisions, il semble aisé d’émettre la conclusion selon laquellele médecin peut passer outre la volonté du patient sans qu’il soit tenu responsable. Récemment,la cour administrative d’appel de Nantes5 ainsi que la cour d’appel d’Aix-en-Provence6, par deuxarrêts de 2006 ont retenu qu’il ne saurait être reproché au médecin, « qui doit respecter la volontédu malade, d’avoir éventuellement tardé à pratiquer une intervention vitale alors qu’il ne pouvaitla réaliser sans procéder, contre la volonté du patient, à une transfusion ».

2 Article L.1111-2 du Code de la Santé Publique.3 Loi no 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.4 Conseil d’État, Section du contentieux, 26 octobre 2001, no 198546.5 Cour administrative d’appel de Nantes, 20 avril 2006, no 04NT00534.6 Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 21 décembre 2006.

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Les jurisprudences administrative et judiciaire soulignent qu’un médecin doit respecter lavolonté du malade, mais il est manifeste que, lorsque la vie est en danger, les juges font primer ledevoir du médecin sur la volonté du malade. On peut ainsi qualifier de relative la portée du droit auconsentement et au refus de soin pour des motifs confessionnels7. L’un des arguments est que lestrois religions monothéistes s’accordent sur le fait qu’un patient puisse transgresser des interditsreligieux lorsque sa vie est en danger. Mais on entre ensuite dans la dimension personnelle descroyances, et la liberté de conscience interdit de se prononcer, au regard du droit, sur la pertinencedes croyances.

Pour ouvrir le dialogue, les références ne manquent pas. Dans son ouvrage « Du contrat social »,Jean-Jacques Rousseau s’interroge sur l’origine de la maladie et sur la possibilité de consulter unmédecin et ce, en ces termes : « Toute puissance vient de Dieu, je l’avoue ; mais toute maladieen vient aussi ; est-ce à dire qu’il soit défendu d’appeler le médecin ? ». Averroès8 affirmait quela raison est complémentaire de la foi. Et pour répondre rationnellement à son interrogation, lareligion indique que l’homme ne peut disposer de sa vie en aucune manière et se doit de semaintenir en pleine santé physique et mentale. L’Évangile de Saint Matthieu et le Coran affirmentqu’« il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants » et « C’est Dieu qui donne la vie, c’est Dieuqui la reprend ». Ce sont là autant d’arguments pour discuter et chercher à convaincre, mais lessoignants n’ont aucun droit ni capacité à interférer avec les croyances exprimées par le patient,qui s’imposent à lui comme un fait.

2. La liberté de choisir son praticien

La question du libre choix de son praticien s’est posée à l’occasion du refus de certaines femmesde confession musulmane d’être examinées par des médecins de sexe masculin, en invoquant desraisons religieuses. Mais est-ce vraiment du côté de la liberté de religion qu’il faut chercher lesréférences ?

Les écrits religieux ne sont pas très convaincants pour justifier la prohibition, mais surtoutnombre d’autorités religieuses musulmanes écartent cette idée et témoignent d’usages séculairesignorant cette restriction dans les pays de tradition musulmane. On peut penser que le refus exprimérelève plus d’une tradition, ou d’une pudeur farouche, plutôt que d’une prescription religieuse.Pour autant, le devoir des agents du service public est de prendre acte de cette invocation dureligieux, le devoir de neutralité leur interdisant d’entrer dans le jeu des qualifications religieuses,ce d’autant plus, que pour se saisir de ces situations, le droit commun offre d’excellents procédés.

La liberté de choisir son praticien est prévue par le premier alinéa de l’article L.1111-8 du Codede la Santé Publique : « le droit du malade au libre choix de son praticien et de son établissementde santé est un principe fondamental de la législation sanitaire. ». Ce principe peut être rattaché auprincipe constitutionnel de la liberté individuelle, dès lors que le soin concerne très directementl’intimité de la personne.

Ainsi, à la lumière de la loi, le patient est libre de choisir le praticien, et cela, peu importeses motifs. L’établissement de santé doit respecter les croyances et convictions des personnesaccueillies. La question du choix du praticien doit ici s’analyser à partir du cadre général : unpatient doit pouvoir, tant que possible, suivre les préceptes de sa religion : recueillement, pré-sence d’un ministre du culte de sa religion, nourriture, liberté d’action et d’expression9. . . Ces

7 M. Ottan, La liberté confessionnelle dans les établissements de santé, op.cit.8 Philosophe, théologien islamique, juriste, mathématicien et médecin musulman andalou arabe du xiie siècle.9 Circulaire DHOS/G/2005/57 du 2 février 2005, relative à la laïcité dans les établissements de santé.

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droits s’exercent dans le contexte d’un service public particulier, qui ne peut s’écarter de sonobjectif premier qui est la capacité à apporter des soins. Aussi, dans le respect de la liberté desautres, des limites doivent être observées répondant à la nécessité pour tout établissement de rem-plir la mission pour laquelle la loi l’a institué. La philosophie des lumières se retrouve dans cetteformule : « La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ». Aussi, une circulaireDHOS/G/2005/57 du 2 février 2005 pose trois exceptions à cette liberté. L’expression des convic-tions religieuses ne doivent pas porter atteinte à la qualité des soins et aux règles d’hygiène (lemalade doit accepter la tenue vestimentaire imposée compte tenu des soins qui lui sont donnés),à la tranquillité des autres personnes hospitalisées de leurs proches et au fonctionnement régulierdu service.

Ainsi, une femme qui demanderait à être prise en charge par un médecin de même sexe, quellesque soient ses raisons, si l’organisation le lui permet, pourra en bénéficier. C’est la pratiquedes « accommodements raisonnables ». Mais l’accommodement n’est plus raisonnable quand ils’accompagne de la menace ou de la violence, quelle qu’en soit la forme, ou qu’il met en péril lavie.