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L'IDÉE fi serait long de faire le recensement de tous les emplois du mot " idée On dit " idée " pour signifier le sens d'une phrase ou d'un texte : si en comparant deux paraphrases de la même idée, vous les trouvez différentes, vous direz que " l'idée exprimée n'est pas la même Si vous cherchez ce qu'a voulu dire tel interlocuteur qui vous parle, vous cherchez quelle est " son idée , , c'est à dire encore le sens pour lui de ce qu'il a exprimé. En répondant à quelqu'un " Je ne partage pas tes idées ,, vous employez le mot " idée " dans le sens d'opini on, d'attitude, prise de position, voire idéologie ou tout simplement " conception " d'un donné, d'un problème ou d'une situation. C'est dans le même sens que vous avez " des idées sur la politique ,, " des idées sur les pro fesseurs , , sur les événements, . .. ou sur un sujet de dissertation. Par contre quand vous dites à un partenaire qu'il " se fait des idées , , vous insinuez qu'il prend pour la réalité les produits de son imagination, genre fantasme, fabulation, hallucination même. Dans le même sens, nous parlons d'« idées noires " chez un mélan colique. « Idée " peut signifier aussi " intention " et même " idéal , , dans une phrase banale du genre : " Il veut être coureur automobile, c'est son idée , , même si vous pensez " c'est une drôle d'idée Enfin, l'« Eurêka " d'Archimède, qui signifie " J'ai trouvé " après la longue recherche d'une solution, est aussi une " idée , , celle qui vient de l'imagination créatrice, qui signale l 'invention, qui va mettre en branle une réalisat ou nne expérience. Depuis le début de ce chapitre j'expose des idées sur l 'idée, c'est à dire des définitions possibles, des idées générales, et inévitablement le lecteur confronte ces idées avec l'expérience. Il trouve telle " idée " bonne si elle résume et intègre ses observations de la réalité, si elle est véritablement une catégorie valable de classement. Pour reprendre avec plus de méthode cette investigation, un retour à l'histoire philosophique (histoire des idées) est instructif. Puis nous tenterons de différencier le mot " idée " de ses mots les plus voisins (image, concept, valeur, etc.) . Enfin nous tenterons de définir cette notion.

L'IDÉE - Aide à la dissertation et au commentaire de ... · la longue recherche d'une solution, est aussi une " idée ,, ... définir cette notion. ... la loi et la cause réelle

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L' IDÉE

f i serait long d e faire l e recensement de tous les emplois d u mot " idée "· On dit " idée " pour signifier le sens d'une phrase ou d'un texte : si en comparant deux paraphrases de la même idée, vous les trouvez différentes , vous direz que " l 'idée exprimée n'est pas la même "· Si vous cherchez ce qu'a voulu dire tel interlocuteur qui vous parle, vous cherchez quelle est " son idée , , c'est à dire encore le sens pour lui de ce qu'il a exprimé.

En répondant à quelqu'un " Je ne partage pas tes idées ,, vous employez le mot " idée " dans le sens d'opinion, d'attitude, prise de position, voire idéologie ou tout simplement " conception " d'un donné, d'un problème ou d'une situation. C'est dans le même sens que vous avez " des idées sur la politique ,, " des idées sur les professeurs , , sur les événements, . . . ou sur un sujet de dissertation.

Par contre quand vous dites à un partenaire qu'il " se fait des idées ,, vous insinuez qu'il prend pour la réalité les produits de son imagination, genre fantasme, fabulation, hallucination même. Dans le même sens, nous parlons d'« idées noires " chez un mélancolique.

« Idée " peut signifier aussi " intention " et même " idéal , , dans une phrase banale du genre : " I l veut être coureur automobile, c'est son idée , , même si vous pensez " c'est une drôle d'idée "·

Enfin, l'« Eurêka " d'Archimède, qui signifie " J'ai trouvé " après la longue recherche d'une solution, est aussi une " idée , , celle qui vient de l'imagination créatrice, qui signale l'invention, qui va mettre en branle une réalisatüm ou nne expérience.

Depuis le début de ce chapitre j'expose des idées sur l' idée, c'est àdire des définitions possibles, des idées générales, et inévitablement le lecteur confronte ces idées avec l'expérience. Il trouve telle " idée " bonne si elle résume et intègre ses observations de la réalité, si elle est véritablement une catégorie valable de classement.

Pour reprendre avec plus de méthode cette investigation, un retour à l'histoire philosophique (histoire des idées) est instructif. Puis nous tenterons de différencier le mot " idée " de ses mots les plus voisins (image, concept, valeur, etc . ) . Enfin nous tenterons de définir cette notion.

- 1 - Les avatars de l'« idée » à travers l'histoire de la philosophie.

1 - C'est avec Platon que l'u idée » entre dans l'histoire. Le mot vient du grec " eïdos " et signifie aussi Forme. Une " idée "•

selon Platon , est à la fois l'origine et le modèle de toutes les données sensibles qui se regroupent sous la même dénomination. Ainsi l'idée d 'Homme est une réalité essentielle dont participent tous les individus de l'espèce humaine. Et il est vrai que les hommes existent plus ou moins comme Hommes selon qu'ils réalisent plus ou moins en eux l'Humanité essentielle. L'être pleinement homme est un être idéal, une idée, dont il faut reconnaître qu'elle a plus de réalité que tel ou tel homme que vous voyez de vos yeux (donnée sensible ou donnée des sens) . puisque vous pouvez dire que " l\1. Untel n'est pas très humain " ·

D e même i l faut bien que vous ayez une idée d e l a Justice puisque vous pouvez dire que telle ou telle action particulière (donnée sensible) est " injuste " • ou " plus juste qu'une autre "• etc . . .

Cne évaluation de votre cheval, du genre " c'est un bon cheval , implique que vous avez une idée du cheval, c'est à dire qu' i l existe, au ciel des Idées, un " cheval intelligible " pure idée, qui vous sert de modèle.

Pour Platon, une idée de ce genre est : 1 ) un objet de connaissance, c'est à dire que la science ne peut être que science des idées (ainsi par exemple l'Anthropologie s'occupe de l 'Homme en général et de la nature de l 'être homme) ; 2) une réalité éternelle, hors du Temps, car seules les données du monde sensible sont périssables ; 3) une réalité plus vraie et plus consistante que toutes les données dites " réelles " du monde sensible ; 4) parfaitement et totalement intelligible, sans aucun mélange de qualités sensibles, partielles et confuses ; 5) la loi et la cause réelle de toutes les données sensibles correspondantes ; 6) la totalité de toutes les informations possibles sur ces données correspondantes, et même davantage que leur somme réelle qui ne peut viser, par l'expérience sensible, qu'à l'approximation ; 7) une valeur, un idéal, un absolu, une émanation du Bien , du Beau et du Vrai.

" Il est évident " • dit Platon , " que les choses ont par elles mêmes un certain être permanent qui n'est ni relatif à nous ni dépendant de nous " ·

On sait que cette conception a été illustrée par le mythe de la caverne (cf. ci dessus, chapitre L'illusion) et que la " théorie de la réminiscence " (nous avons connu, avant de venir sur la Terre, les Idées et nous en avons un vague souvenir) explique, selon Platon, que nous puissions juger du Beau, du Bien, du Vrai , sans en avoir d'idée claire et sans avoir jamais rencontré dans les perceptions du Monde ces perfections.

On comprend mieux la mission que Platon donne au Philosophe : se détourner des illusions sensibles, accéder aux idées et à leur

combinatoire (car il y a tout un réseau de relations logiques entre les idées, ce qui est la science des sciences, ou dialectique), et de là pousser jusqu'à la contemplation de la trinité éternelle (le Bien, le Beau, le Vrai) qui est le Dieu platonicien, avant de " revenir dans la Caverne , tout plein de Science et de Justice, pour gouverner la Cité .

Sans détailler (pour ne pas prolonger) des conceptions ultérieures , celle d'Aristote (qui réintègre l ' Idée dans l e concret, pour e n faire la force du développement de chaque être vers la plénitude de sa bonne forme sur un parcours toujours approximatif) , celle de Plotin, au n i e siècle ap . . J. C. (pour qui chaque être, ici bas, s 'efforce dans la douleur, d'atteindre son Idée, c'est à dire son âme, pour s'unir avec elle, ce qui serait sa Joie), celle de Descartes, au xvn" siècle (qui accorde à l'intelligence humaine la possibilité innée de ., voir " les idées si elle procède avec méthode, . . . et la mission de construire ainsi l a Science ·universelle� seule manière efficace de transformer le monde), . . . sautons tout de suite aux critiques de la conception platonicienne des Idées.

2 - La querelle des Universaux. Déjà les Sceptiques grecs, puis les Épicuriens (Épicure, Lucrèce), puis les empiristes au 1\Ioyer.Age, avaient accusé Platon de prendre des abstractions pour des réalités.

Au XIve siècle, la bataille idéologique est déclenchée par Occam ( 1 :100 1 34 7) et deux clans se forment : les Idéalistes (en gros fidèles à Platon) et les 1\"ominalistes. Ceux ci, à la suite d'Occam, soutiennent que les Idées sont des abstractions, " des mots , (d'où leur désignation de " nominalistes " • du latin nomen, mot) , et même des mots creux quoiqu'utiles. Ce sont des signes par lesquels nous désignons conventionnellement les choses et les êtres, ou des images référées inévitablement au concret, qui seul existe. Toute idée est arbitraire, toute loi aussi d'ailleurs, et seule compte l'expérience.

Ce fut une belle qm relie qui passa de la philosophie à la religion et à la politique. Occam fut interdit dans les Universités en 1 340, et même le roi Louis X I en 1 473 exigea des professeurs le serment de ne pas enseigner le nominalisme.

3 - Les sensualistes et empiristes du XVIIe et du XVIIIe siècles relancent le nominalisme et entendent démontrer que les idées n'ont aucune réalité et que tout vient des sensations. C'est dans cette ligne de pensée que se situent Hobbes ( 1 588 1 679) pour qui les idées sont des « accords de langage lorsqu'on veut désigner quelque chose perçue par plusieurs personnes " , . . . Comenius ( 1 592 1 670) pour qui tout commence par la sensation et tout pénètre par les sens (d'où sa fameuse pédagogie qui annonce les écoles modernes), . . . John Locke ( 1 632 1 704) qui est le plus célèbre des adversaires de Descartes et de Platon, et pour qui les idées sont " la représentation des choses dans la eonscience " • regroupant ainsi images, souvenirs, signes, représentations mentales et principes d'action sous la même catégorie (idées), . . . David Hume ( 1 7 1 1 1 776)

pour qui les idées sont des mots (« il n'y a pas de substances, il n'y a que des substantifs ») , . . . enfin tous les Encyclopédistes, au premier rang desquels Condillac ( 1 7 1 5 1 780) et Helvétius ( 1 7 1 5 1 7 7 1 ) .

Pour l e premier (auteur du fameux " Traité des sensations " • 1 754) comme pour le second (auteur de " De l'esprit " • 1 758), les " idées " ne sont que combinaisons ou différenciations de traces laissées par l'expérience ou perception. II n'y a rien d'autre, dans l'esprit, que ce qui provient des sensations, des images de sensations , des sensations qui se superposent (ainsi !'« idée de cheval " n'est que l'image générique qui demeure lorsqu'on a perçu un certain nombre de chevaux particuliers) ou se différencient (toutes les choses utiles à notre intérêt ou associées dans le plaisir deviennent l'idée du Bien , tandis que toutes les choses nuisibles à notre intérêt et associées dans la douleur deviennent l'idée du Mal).

Helvétius appelle " jugement " la perception des ressemblances et des différences. Inutile de dire que ces conceptions (qui niaient toutes les valeurs et tous les Absolus) furent mal vues par les autorités de l'époque, et qu'Helvétius fut condamné, poursuivi , son livre interdit et brùlé, etc. Les mêmes difficultés furent réservées à l'Encyclopédie de 1 752, date des premiers interdits. à 1 759, date de sa condamnation par le Pape.

- II - Idée image, concept, valeur, idéal.

I l est étrange de voir l'indistinction préjudiciable dans laquelle sont mêlées ces notions dans les théories citées, et la bipolarisation excessive des idéologies. II est vrai que d'autres philosophes, sans admettre la conception platonicienne et sans nier le primat de l'expérience, ne se crurent pas pour autant obligés de nier l'activité de l'intelligence et de l'esprit humain : Leibniz répondait à Locke par la célèbre formule : " I I n'y a rien dans l'intelligence qui ne provienne des sensations, si ce n'est l 'intelligence elle même " • et Kant (1 7241 804) posait à David Hume la question clé : " Comment la science est elle possible ? " question dont la réponse remplit la fameuse " Critique de la raison pure " (ouvrage paru en 1 78 1 ) .

1 - Les idées et les mots. Les mots (les substantifs, les verbes et les adjectifs, en particulier) sont des signes, c'est à dire qu'ils synthétisent et symbolisent un certain savoir. Un mot sans contenu compréhensible est un son (un signifiant sans signifié). Mais ce " savoir , a des références bien distinctes s'il s'agit d'une image, d'un concept ou d'une idée.

Le concept est sur le plan logique, impersonnel, épistémologique ; c'est un condensé de savoir objectif, un mot dans sa définition abstraite. L'image est sur le plan affectif, individuel, vécu : c'est un condensé d'expériences subjectives, un mot dans sa tonalité concrète.

L'idée est l'intuition d'une essence, c'est à dire l'acte intellectuel par lequel nous comprenons la structure objective d'une réalité.

Elle est l'idéal d'une recherche réfléchie, d'un progrès du savoir scientifique, après lequel on peut être amené à créer un mot nouveau. Nous sommes aux antipodes mêmes de l'image.

Tout se passe comme si la connaissance du réel parcourait une trajectoire qui va de l'image à l'idée, et comme si le concept se situait quelque part sur cette trajectoire, plus ou moins loin de l'image et près de l'idée selon l'étal du savoir de celui qui emploie ce mol .

.L.-- CONCEPT -_ol.

IMAGE Condensé d'expériences

vécues

Contenu objectif d'un mot

I D É E Régulatrice d'expériences

scientifiques

Prenons un exemple, l' image de l'eau : c'est pour tel sujet particulier (l'image étant subjective et variable selon les sujets) la fraîcheur de la source, l'apaisement de la brùlure de la soif, ce qui vivifie, ce qui ranime ; pour tel autre, ce sera la limpidité du miroir, ou le symbole de la pureté. Le concept de l'eau , c'est : type de l'état liquide intermédiaire entre l'état solide de la glace et l'état gazeux de la vapeur, caractérisé par les trois attributs : inodore, insipide et transparent . L' idée de l'eau, c'est l'intuition de Lavoisier quand il pensa H20.

La science progresse de l'image à l'idée (qui reste d'ailleurs un idéal) . Le concept exprime sur le plan verbal et impersonnel " ce que l'on sait " d'une chose ou d'un être. Et ce savoir objectif, préliminaire du savoir scientifique, loin de se constituer à partir des images, se constitue contre les images, parce qu'il élimine la subjectivité et remplace l'expérience affective par l'expérimentation méthodique, comme Gaston Bachelard l'a montré dans ses œuvres (particulièrement dans « La formation de l'esprit scientifique ,, 1 938). Pour la science commençante, la coagulation du sang par exemple était un phénomène analogue à la congélation de l'eau (concept tout proche de l'image). Pour la science moderne, ces deux phénomènes n'ont rien de commun : le caillot est l'emprisonnement des globules rouges dans le réseau de fibrine qui se constitue dans des circonstances et sous l'action de facteurs déterminés ; le glaçon est une certaine disposition stéréochimique que les molécules de H20 prennent au dessous de Oo centigrade. On est ainsi passé d'un concept image à un concept idée.

L'idée générale peut très bien ne contenir que le schéma dynamique d'un certain nombre de conduites (ce que démontre d'ailleurs Berg­son) : ainsi est " lit " tout ce sur quoi on peut se coucher et dormir. Elle peut aussi être le résultat d'une recherche méthodique : ainsi Descartes, réfléchissant sur « le morceau de eire , ( " 2e méditation

métaphysique ) se demande " qu'est ce que c'est ? puisqu'il reste " cire "• même lorsque toutes ses qualités sensibles changent lorsque je le fais fondre. Si je l'appelle encore " cire " • c'est que mon intelligence vise quelque chose de permanent au delà des changements, et ce ne peut être que " son essence " • . . . nous dirions sa composition moléculaire ou sa formule chimique, ce qui va être confirmé Je jour où les savants fabriqueront la cire synthétique.

Le plan du langage est donc alimenté de deux côtés. D'un côté par les images et par les expériences vécues, de l'autre par le savoir objectif, l'éducation, l'état de la science à cette époque. Le contenu conceptuel des mots est toujours plus ou moins doublé d'un contenu affectif évocateur d'images et de réactions subconscientes. !.'art des poètes est de jouer sur ce double clavier auquel s 'ajoute d'ailleurs Je maniement des sonorités verbales qui permettent l 'évocation d'images latentes à l'occasion de certaines ambiguïtés de sons ou de tonalités.

Les images ont une importance insoupçonnée dans notre vie intellectuelle. Nous croyons souvent avoir des idées quand nous n'avons que des images, et raisonner alors que nous imaginons. La plupart de nos opinions sont fondées sur des images : demandez à un Arabe ce qu'il pense des Israéliens, à un prolétaire ce qu'il pense des bourgeois, à un " réactionnaire " ce qu'il pense des communistes, vous verrez que leurs descriptions et leurs définitions, leurs " idées " et leurs raisonnements sont faits d'images, toutes chargées de sentiments et de subjectivité. Écoutez un tribun présenter ses " arguments " : l'exemple le plus inoffensif est Je discours que Victor H ugo prête à Enjolras dans " Les Misérables " : " Citoyens , il n'y aura dans J'avenir ni ténèbres ni coup de foudre, ni ignorance féroce ni talion sanglant. Comme il n'y aura plus de Satan, il n'y aura plus de :\liche!. Dans l'avenir personne ne tuera personne, la terre rayonnera, Je genre humain aimera. Il viendra, citoyens, ce jour où tout sera concorde, harmonie, lumière, joie et vie, il viendra. Et c'est pour qu'il vienne que nous allons mourir "·

Il ne " démontre " pas le progrès, il éveille des images vives et ses auditeurs prennent la uiuacité des images pour l'évidence de ses raisons. Les orateurs politiques, les avocats d'assises utilisent largement ce procédé qui est un des modes les plus faciles et les plus sùrs du sophisme (faux raisonnement qui fait illusion). Les " comparaisons " •

les " exemples " risquent de faire perdre de vue l'idée qu'ils devaient illustrer : dans les dialogues de Platon, Socrate, qui demande des définitions à ses interlocuteurs, s'amuse toujours à examiner les images qu'il reçoit à la place des idées, et à montrer à ses partenaires décontenancés, que l'exemple donné ne contient aucune idée consistante.

2 - Valeurs, idéaux et idées-forces. Nous avons vu ci dessus que dans la recherche de la définition, de la nature essentielle d'un phénomène, de sa formule ou de sa loi , de la théorie générale qui permet d'intégrer plusieurs données d'observations et d'expériences,

l'idée comme résultat couronne un travail, une activité de l ' intelligence. En retour une idée, lorsqu'elle inspire un long développement ou un discours, constitue l'unité et le sens de l'ensemble de ses expressions. Elle peut utiliser des images évocatrices et toutes les illustrations possibles, elle en est le but et la signification dernière. Elle est une pensée et elle anime tout un comportement verbal et lui donne une direction (un sens).

Mais il arrive aussi que l'idée anime non seulement un comportement verbal en vue de son expression optimale dans la commu IlÎcation, mais encore toute une série de conduites et d'efforts en vue. Je sa réalisation. Dans ce cas l'idée est la représentation d'un but. Elle est à la fois une intention clairement formulée (au moins intérieurement) et le sens d'une succession de conduites, de visées d'object ifs intermédiaires , qui s'unifient dynamiquement en vue du but final.

Impératif de la conduite, l'idée a, dans ce cas, toutes les caractéristiques de l'idéal. Au plus bas degré ( " avoir une idée de solution pour un problème »), c'est se donner une direction de recherche ou de travail, se projeter dans l'avenir. L'idée est motivante et orientante. A un degré plus élevé (c'est à dire engageant la totalité de la personnalité, comme dans l'appel d'une vocation ou comme dans l'idée centrale d'une idéologie) , c'est se donner un but de vie, une destinaUon existentielle. L'idée est alors une Valeur, et chacun consacre à son approximation, ses efforts, ses actions ou ses méditations.

Les idées dans le sens d'" idéaux " peuvent , lorsqu'elles sont des valeurs, être considérées comme des " idées forces " ·

A - Au niveau individuel, une idée force mobilise l 'affectivité et l'action, elle devient un principe général de la conduite. " Certains philosophes " écrit A. Fouillée (dans " La morale des idées forces , , 1 908) " opposent le sentiment à l'idée ; mais, selon nous, le sentiment est inhérent à. l'idée : il est l'idée jouissant de la conscience qu'elle a de soi et de l'acte par lequel elle se pose . . . Pas de sentiment familial 'ans quelque idée de la famille, pa> de sentiment patriotique sans quelque idée de la patrie, pas de sentin;ont d'amour pour les humains sans quelque idée de l 'Humanité "·

B - Au niveau des groupes et des peuples, les idées ont une puissance indéniable lorsqu'elles correspondent à des aspirations et, a fortiori, à des valeurs universelles. Les idées philosophiques du XVIIIe siècle, par exemple, ont engendré la Révolution.

A un premier degré, tout groupe cohérent a une idéologie, c'est àdire " des idées " mobilisantes, correspondant à ses objectifs de groupe. Au degré le plus intense et le plus collectif, l ' idée force groupale devient ce que Georges Sorel appelle (dans " Réflexions sur la violence "• 1 906) un " mythe "• c'est à dire une idée tellement chargée d'affectivité groupale et d'espérance qu'elle est capable de soulever les masses. Tel serait par exemple " le mythe de la grève générale illimitée " chez les syndicalistes ouvriers (G. Sorel) .

- III- L'idée comme activité de l'esprit.

A aucun moment l'Idée n'est passive, sinon comme idée reçue, idée apprise, idée reflétée, sans participation de l'être, ce qui la rend inauthentique. Par essence, elle est non seulement le résultat d'une activité de l'esprit, mals encore cette activité elle même.

1 - Selon Spinoza, les idées ne sont pas • des peintures muettes sur un tableau • , elles ont un dynamisme efficace, elles sont la mani festation de l'être homme. Ainsi dit i� • l'âme est l'idée du corps •, c'est à dire non pas le reflet représentatif du corps (la conscience passive d'être corps) mais ce qui anime le corps et le fait s'affirmer dans son milieu de vie.

2 - Selon Kant, les idées de la Raison sont organisatrices ch l'expérience ; et la Raison elle même est autre chose que le savoir raisonner, elle est une puissance de rationalisation du Monde réel, capacité de réalisation, dans la Cité des Fins (ou République des hommes libres et raisonnables), d'un Ordre social complètement humain.

3- Selon Bachelard (dans • Le rationalisme appliqué • ), • l'idée n'est pas de l'ordre de la réminiscence, elle est plutôt de l'ordre de la préscience ; elle n'est pas un résumé, elle est un programme. L'âge d'o r des idées n'est pas derrière l'homme, il est devant •.

Conclusion. Puisque l'idée est à la fois le résultat et le moteur de la pensée, il est bon, pour penser valablement et efficacement, de prendre conscience de nos idées toutes faites, de les passer au crible de la critique (et de l'auto critique), et d'apprendre à concevoir des idées à la fois positives et dynamiques.

P.-R. flize, P. Goguelin et R. Curpenliu (dans • I.e penser efficace •,

1 96ti) résument en ces conseils, l'art de penser: - Fondez vous sur un contenu concret et précis. :-:e vous laissez

pas duper par des mots ou des illusions. C'est la réalité qui doit être le point d'appui et le point de départ des idées.

- N'ayez pas peur de l'imagination (entendue au sens actif que nous avons défini ci dessus, chapitre Imagination).

Apprenez à mettre en relation et en interactions les données de l'observation et des expériences objectives.

- Donnez à votre pensée une forme stratégique, c'est à dire tournez vous vers l'avenir, soyez • prospectifs •, fixez vous des buts et cherchez les moyens (Inventez les moyens) de les réaliser, sans que vos décisions soient des impulsions momentanées ou des paris stupides.

:\létiez vous des • systèmes • et des idéologies closes ; restez ouverts sur le :'.londe et sur l'Histoire, restez en relation avec les autres et en dialogue créateur.

Ainsi se formuleraient, en 1974, les principes d'une méthode renouvelant celle de Descartes pour rechercher comme lui mais en étant • en prise • sur notre temps, les idées • claires et distinctes •.