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Les Cahiers nouveaux N° 80 Décembre 2011 10 10-13 Vincent Callebaut Vincent Callebaut Architectures Architecte Lilypad, une Écopolis flottante pour réfugiés climatiques 2058, une marée humaine d’éco-réfugiés À la suite de l’activité anthropique, le climat se réchauffe et le niveau des océans augmente ! Suivant le principe d’Archimède et contrairement aux idées reçues, la fonte de la banquise arc- tique ne changera rien à la montée des eaux, tout comme un glaçon fondant dans un verre d’eau ne fait pas monter le niveau de celle-ci. Par contre, il existe deux grands réservoirs de glaces qui ne sont pas sur l’eau et dont la fonte va engendrer un transfert de leur volume vers les océans, entraî- nant leur montée. Il s’agit des calottes polaires de l’Antarctique et du Groenland d’une part, des glaciers continentaux d’autre part. Une autre raison de la montée des océans, qui n’a rien à voir avec la fonte des glaces, est la dilatation de l’eau sous l’effet de la température. Selon les estimations les moins alarmantes du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), le niveau des océans devrait monter de 20 à 90 cm au cours du 21 e siècle – avec un statu quo à 50 cm (versus 10 cm au 20 e siècle). La scène scientifique internationale estime qu’une élévation de température de 1°C aura comme conséquence une montée de l’eau de 1 m. Cette hausse de 1 m entraînerait des pertes de terres émergées d’environ 0,05% en Uruguay, 1% en Égypte, 6% aux Pays-Bas, 17,5% au Bangladesh et jusqu’à 80% environ dans l’atoll Majuro en Océanie (les îles Marshall, Kiribati et, peu à peu, les îles Maldives). Si le premier mètre n’est déjà pas très drôle avec plus de 50 millions de personnes affectées dans les pays en développement, la situation se corse à partir du second. Des pays comme le Viêt-Nam, l’Égypte, le Bangladesh, la Guyane ou les Bahamas verront leurs lieux les plus peuplés inondés à chaque crue et leurs terres les plus fertiles dévastées par la salinisation altérant les écosystèmes locaux. New York, Bombay, Calcutta, Hô Chi Minh-Ville, Shanghai, Miami, Lagos, Abidjan, Djakarta, Alexandrie… Pas moins de 250 millions de réfugiés climatiques et 9 % du PIB mondial menacé si l’on ne bâtit pas des protec- tions à la hauteur de la menace. C’est la démons- tration infligée aux esprits réticents par une étude climatologique de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et qui défie notre imaginaire d’éco-conception ! La montée des eaux ne figurant même pas à l’agen- da du Grenelle de l’Environnement en France, il est primordial, en terme de crise environnementale et d’exode climatique, de passer dés aujourd’hui d’une stratégie de réaction dans l’urgence à une stratégie d’adaptation et d’anticipation durable. Il est étonnant, alors que certaines îles préparent leur disparition, de voir que la gestion de la montée du niveau des océans ne semble pas inquiéter les gouvernements outre mesure. Encore plus étonnant de constater que les populations des pays développés continuent à se ruer sur le littoral, à y construire des quartiers, des maisons et des immeubles, voués à une inondation certaine.

Lilypad, une Écopolis flottante pour réfugiés climatiquesdocum1.wallonie.be/DOCUMENTS/CAHIERS/CN80/c1a1_callebaut.pdf · monter de 20 à 90 cm au cours du 21e siècle – avec

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10-13Vincent CallebautVincent Callebaut ArchitecturesArchitecte

Lilypad, une Écopolis flottante pour réfugiés climatiques

2058, une marée humaine d’éco-réfugiés

À la suite de l’activité anthropique, le climat se réchauffe et le niveau des océans augmente ! Suivant le principe d’Archimède et contrairement aux idées reçues, la fonte de la banquise arc-tique ne changera rien à la montée des eaux, tout comme un glaçon fondant dans un verre d’eau ne fait pas monter le niveau de celle-ci. Par contre, il existe deux grands réservoirs de glaces qui ne sont pas sur l’eau et dont la fonte va engendrer un transfert de leur volume vers les océans, entraî-nant leur montée. Il s’agit des calottes polaires de l’Antarctique et du Groenland d’une part, des glaciers continentaux d’autre part. Une autre raison de la montée des océans, qui n’a rien à voir avec la fonte des glaces, est la dilatation de l’eau sous l’effet de la température.

Selon les estimations les moins alarmantes du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), le niveau des océans devrait monter de 20 à 90 cm au cours du 21e siècle – avecun statu quo à 50 cm (versus 10 cm au 20e siècle).La scène scientifique internationale estime qu’une élévation de température de 1°C aura comme conséquence une montée de l’eau de 1 m. Cette hausse de 1 m entraînerait des pertes de terres émergées d’environ 0,05% en Uruguay, 1% en Égypte, 6% aux Pays-Bas, 17,5% au Bangladesh et jusqu’à 80% environ dans l’atoll Majuro en Océanie (les îles Marshall, Kiribati et, peu à peu, les îles Maldives).

Si le premier mètre n’est déjà pas très drôle avec plus de 50 millions de personnes affectées dans les pays en développement, la situation se corse à partir du second. Des pays comme le Viêt-Nam, l’Égypte, le Bangladesh, la Guyane ou les Bahamas verront leurs lieux les plus peuplés inondés à chaque crue et leurs terres les plus fertiles dévastées par la salinisation altérant les écosystèmes locaux. New York, Bombay, Calcutta, Hô Chi Minh-Ville, Shanghai, Miami, Lagos, Abidjan, Djakarta, Alexandrie… Pas moins de 250 millions de réfugiés climatiques et 9 % du PIB mondial menacé si l’on ne bâtit pas des protec-tions à la hauteur de la menace. C’est la démons-tration infligée aux esprits réticents par une étude climatologique de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et qui défie notre imaginaire d’éco-conception !

La montée des eaux ne figurant même pas à l’agen-da du Grenelle de l’Environnement en France, il est primordial, en terme de crise environnementale et d’exode climatique, de passer dés aujourd’hui d’une stratégie de réaction dans l’urgence à une stratégie d’adaptation et d’anticipation durable. Il est étonnant, alors que certaines îles préparent leur disparition, de voir que la gestion de la montée du niveau des océans ne semble pas inquiéter les gouvernements outre mesure. Encore plus étonnant de constater que les populations des pays développés continuent à se ruer sur le littoral, à y construire des quartiers, des maisons et des immeubles, voués à une inondation certaine.

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Vue aérienne des atolls des Maldives.© Vincent Callebaut Architectures – www.vincent.callebaut.org

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Lilypad, un prototype de ville amphibieauto-suffisante

Alors que les Pays-Bas et les Émirats Arabes Unis «engraissent» leur plage à coup de milliards d’Euros pour construire leurs polders éphémères et leurs digues protectrices pour une décennie, le projet «Lilypad» se présente comme une solution soutenable à la montée des eaux ! En effet, face à la crise écologique mondiale, cette Écopolis flottante a pour double objectif non seulement d’étendre de manière viable en offshore les ter-ritoires des pays les plus développés comme par exemple la Principauté de Monaco mais surtout de garantir l’habitat aux futurs réfugiés climatiques des prochains territoires ultra-marins submergés, comme les atolls polynésiens. Nouveau prototype biotechnologique de résilience écologique voué au nomadisme et à l’écologie urbaine en mer, Lilypad voyage en flottaison sur les océans, de l’équateur vers les pôles, en suivant les courants marins de surface, ascendants chauds du Gulf Stream ou descendants froids du Labrador.

C’est une véritable ville «amphibienne», mi-aquatique et mi-terrestre, pouvant abriter plus de 50.000 habitants et invitant la biodiversité à développer sa faune et sa flore autour d’un lagon central d’eau douce récoltant et épurant les

eaux de pluie. Ce lagon artificiel est complète-ment immergé lestant ainsi la ville ; il permet de vivre au cœur des profondeurs subaquatiques. La programmation multifonctionnelle s’articule autour de trois marinas et de trois montagnes dédiées respectivement au travail, au commerce et aux loisirs. Le tout est recouvert d’une strate de logements végétalisés en jardins suspendus et traversés par un réseau de rues et de traboules au tracé organique. Le but est d’instaurer une coexistence harmonieuse du couple Homme/Nature et d’explorer de nouveaux modes d’habiter la mer en construisant avec fluidité des espaces collectifs de proximité, des espaces d’inclusion sociale agréables et propices à la rencontre de tous les habitants – autochtones ou allochtones, habitants récents ou anciens, jeunes ou âgés.

La structure flottante en «branches» de l’Écopo-lis est directement inspirée de la feuille forte-ment nervurée du nénuphar géant d’Amazonie Victoria Regia agrandie 250 fois. De la famille des Nymphéacées, cette plante aquatique à la plasti-cité exceptionnelle a été découverte par le bota-niste allemand Thaddeaus Haenke et dédiée à la reine Victoria d’Angleterre au 19e siècle. La double coque quant à elle est constituée de fibres de polyester recouverte d’une couche de dioxyde de titane (TiO2) sous forme anatase qui, en réagissant aux rayons ultra-violets, permettent d’absorber la pollution atmosphérique par effet photocataly-tique. Totalement autosuffisante, Lilypad relève ainsi les quatre principaux défis lancés par l’OCDE en mars 2008 : climat, biodiversité, eau et santé. Elle atteint un bilan énergétique positif à émis-sion de carbone zéro par l’intégration de toutes les énergies renouvelables (énergies solaires thermique et photovoltaïque, énergie éolienne, énergie hydraulique, maréthermique, marémo-trice, osmotique, phyto-épuration, biomasse) pro-duisant ainsi durablement plus d’énergie qu’elle n’en consomme ! Véritable biotope intégralement recyclable, cette Écopolis flottante tend ainsi vers l’éco-compatibilité positive du bâti au sein des écosystèmes océaniques en produisant lui-même de l’oxygène et de l’électricité, en recyclant le CO2 et les déchets, en épurant et en adoucissant biologiquement les eaux usées et en intégrant des niches écologiques, des champs d’aquaculture et des corridors biotiques sur et sous sa coque pour subvenir à ses propres besoins alimentaires.

Pour répondre à la mutation des flux migratoires engendrés par les facteurs hydro-climatiques, Lilypad rejoint donc, sur le mode de l’anticipation propre à la littérature vernienne, la possibilité al-ternative d’une Écopolis flottante multiculturelle dont le métabolisme serait en symbiose parfaite avec les cycles de la nature. Ce sera l’un des enjeux majeurs du 21e siècle de mettre en place une convention internationale inventant de nou-veaux moyens spatiaux pour abriter les migrants environnementaux tout en reconnaissant leurs droits et obligations. Challenge politique et social, le développement durable urbain doit, plus que jamais, rentrer internationalement en résonance avec le développement durable humain !

Vue sur les Lilypads de Monte-Carlo.© Vincent Callebaut Architectures – www.vincent.callebaut.org

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Vue sous-marine des champs d’aquaculture et des fermes biologiques.© Vincent Callebaut Architectures – www.vincent.callebaut.org

Vue aérienne du Lilypad, un nouvel écosystème dynamique et durable.© Vincent Callebaut Architectures – www.vincent.callebaut.org

Lilypad vu du nord-ouest.© Vincent Callebaut Architectures – www.vincent.callebaut.org