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Éthique et santé (2013) 10, 205—210 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com DOSSIER THÉMATIQUE : REFUS DE SOIN Limitations transfusionnelles, une réflexion éthique en onco-hématologie An ethical reflexion in onco-hematology, transfusional limitations M.-A. Degoit-Cloiseau Service d’hématologie, Gustave Roussy, rue Édouard-Vaillant, 94805 Villejuif, France MOTS CLÉS Limitation transfusionnelle ; Décision médicale ; Éthique ; Incertitude ; Complexité Résumé Ces 30 dernières années ont vu l’émergence d’une spécialité : l’hématologie onco- logique. Les transfusions ne concernent plus uniquement du sang total mais des produits sanguins aux qualifications de plus en plus sophistiquées, et des produits de thérapie cellu- laire : les cellules souches hématopoïétiques. Une « activité » hématologique onéreuse en est issue. La décision médicale est soumise à de nombreuses contraintes, matérielles (restrictions budgétaires, disponibilité des produits sanguins et de thérapie cellulaire, pluridisciplinarité indispensable, etc.) mais aussi culturelles (patrimoine historique, religieux et anthropologique du sang), philosophiques et intellectuelles : le médecin est confronté aux limites de sa propre connaissance, aux doutes et incertitudes liés à des pathologies complexes. Le patient tient à prendre part à cette décision rendant obsolète le traditionnel paternalisme médical et faisant ainsi évoluer le rôle du praticien. La décision médicale de limitation ou de poursuite des actes transfusionnels pourra donc être vécue comme étant porteuse d’espoir ou au contraire perc ¸ue comme sentence. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Article rédigé d’après le mémoire de recherche : Degoit-Cloiseau M.-A., Approche éthique de la décision médicale de poursuite ou de limi- tation des actes transfusionnels dans la prise en charge thérapeutique de patients porteurs d’une hémopathie maligne, Mémoire du diplôme universitaire « Éthique et pratiques de la santé et des soins », Assistance publique—hôpitaux de Paris, faculté de médecine université de Paris-Sud 11, 2009, 230 p. http://dumas.ccsd.cnrs.fr/docs/00/43/65/07/PDF/Degoit-Cloiseau Marie-Anne.pdf. Correspondance : 38 bis, rue Henri-Robida, 91130 Ris-Orangis, France. Adresse e-mail : [email protected] 1765-4629/$ see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.etiqe.2013.09.004

Limitations transfusionnelles, une réflexion éthique en onco-hématologie

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Éthique et santé (2013) 10, 205—210

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

DOSSIER THÉMATIQUE : REFUS DE SOIN

Limitations transfusionnelles, une réflexionéthique en onco-hématologie�

An ethical reflexion in onco-hematology, transfusional limitations

M.-A. Degoit-Cloiseau ∗

Service d’hématologie, Gustave Roussy, rue Édouard-Vaillant, 94805 Villejuif, France

MOTS CLÉSLimitationtransfusionnelle ;Décision médicale ;Éthique ;Incertitude ;Complexité

Résumé Ces 30 dernières années ont vu l’émergence d’une spécialité : l’hématologie onco-logique. Les transfusions ne concernent plus uniquement du sang total mais des produitssanguins aux qualifications de plus en plus sophistiquées, et des produits de thérapie cellu-laire : les cellules souches hématopoïétiques. Une « activité » hématologique onéreuse en estissue. La décision médicale est soumise à de nombreuses contraintes, matérielles (restrictionsbudgétaires, disponibilité des produits sanguins et de thérapie cellulaire, pluridisciplinaritéindispensable, etc.) mais aussi culturelles (patrimoine historique, religieux et anthropologiquedu sang), philosophiques et intellectuelles : le médecin est confronté aux limites de sa propreconnaissance, aux doutes et incertitudes liés à des pathologies complexes. Le patient tient àprendre part à cette décision rendant obsolète le traditionnel paternalisme médical et faisantainsi évoluer le rôle du praticien. La décision médicale de limitation ou de poursuite des actes

transfusionnels pourra donc être vécue comme étant porteuse d’espoir ou au contraire percuecomme sentence. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

� Article rédigé d’après le mémoire de recherche : Degoit-Cloiseau M.-A., Approche éthique de la décision médicale de poursuite ou de limi-tation des actes transfusionnels dans la prise en charge thérapeutique de patients porteurs d’une hémopathie maligne, Mémoire du diplômeuniversitaire « Éthique et pratiques de la santé et des soins », Assistance publique—hôpitaux de Paris, faculté de médecine — université deParis-Sud 11, 2009, 230 p. http://dumas.ccsd.cnrs.fr/docs/00/43/65/07/PDF/Degoit-Cloiseau Marie-Anne.pdf.

∗ Correspondance : 38 bis, rue Henri-Robida, 91130 Ris-Orangis, France.Adresse e-mail : [email protected]

1765-4629/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.etiqe.2013.09.004

206 M.-A. Degoit-Cloiseau

KEYWORDSLimitation of bloodtransfusions;Medical decision;Ethics;Uncertainty;Complexity

Summary Over the past 30 years a new specialty has emerged: oncological haematology.Transfusions now no longer concern only whole blood, but also blood products with evermore sophisticated characteristics, and cell therapy products: hematopoietic stem cells. Acostly haematological ‘‘activity’’ has resulted from this. Medical decisions are subject to manyconstraints, material ones (budgetary restrictions, availability of blood products and cell the-rapy, necessary multidisciplinarity, etc.), but also cultural (due to the historical, religious andanthropological background of blood), philosophical and intellectual ones: the doctor must facethe limitations of his own knowledge, the doubts and uncertainties related to complex patho-logies. The patient wants to take part in this decision, thus rendering medical paternalismobsolete and leading to an evolution of the practitioner’s role. The medical decision to limit orpursue transfusional acts will thus be perceived either as a source of hope or conversely as acondemnation.© 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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Nous avons toujours la foi. Mais ce que nous attendionsde Dieu, nous l’attendons aujourd’hui de la science médi-cale

Georges Bernard Shaw (1856—1950)

Hématologie : un terme aseptisé pour parler du sangt de ses maladies, précaution sans doute indispensableorsque ce sujet est abordé dans le cadre d’une étude chezes patients fortement et longuement immunodéprimés. Enjoutant à cette expression la menace du cancer, sous forme’hématologie oncologique, apparaît alors un vocabulaireout autant aseptique de leucémie, lymphome, myélome,yndromes myélodysplasiques et autres myéloprolifératifs.oncernent-ils des maladies bénignes ou malignes ? Celaeste difficile à savoir. Il y a tant de méconnaissancee la part du grand public et parfois des patients quie demandent encore fréquemment lorsque l’on parle dereffe de moelle osseuse, « combien de temps va durer’opération ? » et « à quel niveau va-t-elle se passer ? ». Cettepécialité médicale est encore aujourd’hui sujette à de nom-reuses craintes et peut-être tabous. Comment oublier aussia jeunesse d’Ali Mac Graw mourant à la fin du film Love story1], d’une leucémie. . . en 1971 ?

L’hématologie oncologique est une spécialité médi-ale récente, datant des années 1950—1960. Et ce courtemi-siècle a été le témoin d’évolutions thérapeutiquesajeures : transfusions de sang remplacées par des trans-

usions en produits sanguins labiles ou stables (concentrésrythrocytaires irradiés, plaquettes d’aphérèse, etc.) ;sage de la ciclosporine ; découverte de l’antigène CD34 etéveloppement de la thérapie cellulaire ; remplacement dea « greffe de moelle osseuse » (autogreffe ou greffe allogé-ique) par une greffe de cellules souches hématopoïétiquese moelle osseuse, ou de sang périphérique ou maintenante sang de cordon ombilical ou sang placentaire.

Les transfusions ne concernent plus les seuls produitsanguins mais aussi les produits de thérapie cellulaire : la

reffe de moelle osseuse (pour conserver l’appellation tra-itionnelle) n’est pas un acte chirurgical mais bien unereffe transfusée. De maladies mortelles, ces pathologiesont devenues possiblement curables.

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’hématologie oncologique : paradigme dea complexité

es mots parlent d’eux-mêmes : décision médicale, pour-uite ou limitation thérapeutique, actes transfusionnels,émopathie maligne. Au-delà de cette évidence dialec-ique où chaque terme porte à lui seul le poids d’un choixans les représentations individuelles, il est apparu indis-ensable de définir précisément l’objet de chacune desifficultés rencontrées qui, liées entre elles, aboutissent àette complexité : une réflexion différente [2] qui cherche

comprendre dans le but de maîtriser par opposition àne approche plus cartésienne dans laquelle il convient derouver pour affirmer sa connaissance. « Agir d’une faconthique ne signifie pas agir seulement stratégiquement,ais agir en étant conscient des valeurs qui ont amené

adopter telle stratégie, en ayant explicité ces valeurs »Minati, 1997, §8) [3].

La première difficulté est identifiée dans la grandeariété des pathologies hématologiques [4], pour lesquellesxistent plusieurs classifications selon leur type. Leur modee diffusion est composite, entre chronique et aigu quieuvent parfois se succéder dans l’ordre inhabituel du chro-ique évoluant à l’aigu. L’hétérogénéité des patients estussi un facteur à prendre en compte puisque certainese ces maladies peuvent apparaître chez l’enfant, d’autreshez l’adulte jeune et quelques-unes sont au contraire desathologies de l’âge mûr. En ajoutant à cela l’apparitionrutale et très rapidement évolutive de la maladie ou aontrario de facon beaucoup plus insidieuse et lente, il estisé de comprendre la difficulté dans laquelle sera plongée praticien dans la prise en charge du patient et dans sesécisions thérapeutiques.

La complexité se renforce encore lorsque les décisionse l’hématologue viennent en complément de celles de’oncologue pour le traitement d’un patient porteur d’uneumeur solide pour laquelle seule la thérapie cellulaire peutpporter l’espoir de rémission.

La thérapeutique est souvent protocolaire, simplifiant en

ela la tâche du médecin, mais la difficulté ne réside-t-lle pas plutôt dans la stratégie thérapeutique à aborder ?e premier traitement de la maladie respecte le protocolen le conjuguant à l’état physique et biologique du patient

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npscolaires [9] ? Des réflexions sont en cours sur la fin devie pour définir sur quelle base l’établir. Les définitionsde traitement curatif et palliatif apparaissent aujourd’hui

1 Dans cet ouvrage cité en bibliographie, la définition del’empirisme est ainsi formulée : « Or, bien qu’un tout absolu del’expérience soit impossible, l’idée d’un tout de la connaissancepar principes en général est la seule chose qui puisse bien lui pro-

Prise en charge thérapeutique de patients porteurs d’une hé

(biologie, cytologie, biologie moléculaire. . .), mais en cas deré-évolution de la pathologie, tout est-il aussi bien défini ?

Chaque réaction aux médications est individuelle etune donnée essentielle entre dans la composition de ladécision médicale : l’incertitude. Quelle sera la réponsede la maladie aux traitements, quelles toxicités auront-ils sur l’organisme du patient ? La thérapeutique est à lafois curative et palliative et ces deux éléments sont indis-sociablement liés. Elle est curative dans sa composantetransfusionnelle de thérapie cellulaire allogénique dont lebut est d’obtenir la rémission de la maladie. Elle est pallia-tive dans celle de support en produits sanguins labiles pourcompenser l’anémie ou la thrombopénie provoquées par lachimiothérapie, la radiothérapie et d’autres thérapeutiquespartiellement ou totalement myéloablatives : ils permettentde passer le cap délicat de l’aplasie.

L’autogreffe n’est pas curative, mais elle est l’élémentindispensable à la reprise du fonctionnement normal de lamoelle osseuse après des traitements immunosuppresseurs.

La stratégie thérapeutique s’avère donc double : toutd’abord dans la prise en charge d’un patient pour sa patho-logie et ensuite dans la mise en place des traitements desupport. Ce sont eux qui accompagneront le malade dansson évolution vers la rémission, mais quelques fois aussidans son échappement malheureusement létal à la théra-peutique.

Des référentiels sont édités par l’Agence francaise desécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), désor-mais Agence nationale de sécurité du médicament et desproduits de santé (ANSM) et la Haute Autorité de santé(HAS) pour aider le médecin. Ils concernent les trans-fusions en concentrés érythrocytaires [5], plaquettes (outhrombocytes) et granulocytes : pour ces derniers, desrecommandations d’actualisation sont en cours de rédac-tion [6]. Des seuils transfusionnels sont ainsi validés :8 g/dL d’hémoglobine et 10 000 plaquettes/mm3 (chiffrethéorique, 20 000/mm3 fréquemment dans la pratique). Entant que soignants en service d’hématologie conventionnelleou en secteur protégé, il est facile de se rendre compteque très souvent ces taux ne sont même plus atteints.L’hématologue devra alors décider, en fonction de l’état cli-nique du patient (âge, antécédents cardiovasculaires, etc.),des facteurs de risque inhérents aux suites du traitement(hyperthermie, traitement anticoagulant adjuvant, etc.),des risques d’immunisation, de la disponibilité des produits,si la transfusion doit être pratiquée ou pas.

Ces dernières années ont mis en évidence une nouvellecontrainte dans cette mosaïque de complexité : l’économie,et particulièrement la pharmaco-économie. L’hématologieoncologique est une spécialité médicale onéreuse. Le prixdes produits sanguins dans leurs caractéristiques les plusspécifiques (irradiés, produits d’aphérèse, déplasmatisés,aujourd’hui plaquettes SSP ou T-SOL, etc.) et dans la quan-tité prescrite au cours d’une hospitalisation est élevé. Lecoût des antifongiques et antiviraux très régulièrementutilisés de même que certains antibiotiques est consi-dérable. Et quelquefois, la durée d’hospitalisation peuts’étendre sur plusieurs mois. Dans un contexte de greffepar exemple, cette hospitalisation sera poursuivie par une

prise en charge en établissement de soins de suite etde nombreuses consultations et hospitalisations de jourpour transfusions notamment auront lieu, nécessitant de

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athie maligne 207

réquents transports. . . autant de frais qui viennent’ajouter aux dépenses du séjour hospitalier.

L’hématologie peut donc s’entrevoir non pas comme unepécialité générant des actes, mais bien comme une activité

part entière dont l’économie est une des composantes.Une approche éthique, dans sa vision holistique de la

roblématique, ne pouvait pas ignorer la prise en comptee cet élément. Le Comité consultatif national d’éthiqueCCNE) apporte à ce sujet des pistes de réflexion dans sonvis no 101 de 2007 [7]. Il y apparaît l’évidente nécessité’une adaptation de la T2A [8], nouveau modèle de tarifica-ion essentiellement technocratique datant de 2007, par uneeconnaissance de la réalité pratique d’activités élargiesont l’hématologie oncologique pourrait être un exemple.

Ne faudrait-il pas trouver un équilibre entre solidaritét limitation des dépenses ? Comment respecter tout autant’être humain dans son individualité, en tant que maladeu en tant que médecin, que la société dans ses impératifsnanciers ?

Une vision large de la problématique ne peut pas seispenser d’une réflexion sur la connaissance médicale.elle-ci est acquise au cours de longues années d’études,énéralistes puis spécialisées. Mais ces seules années deormation ne permettent pas à l’hématologue de répondreux nombreuses difficultés évoquées. L’hématologie est unepécialité médicale très évolutive notamment dans le traite-ent des pathologies. La recherche scientifique lui permete répondre à un nombre croissant de demandes. De grandesacultés d’adaptation s’avèrent alors indispensables.

La médecine elle aussi a beaucoup changé au cours deoutes ces années. De paternaliste, le médecin est devenuutonomiste bien qu’il existe encore une différence notablevec les pays nord-américains. L’observation clinique s’estue complémentée par la technique (biologie, imagerie,tc.), d’aucuns diraient peut-être supplantée. . . L’Evidenceased Medicine aujourd’hui chahutée est intervenue dans’édification de la décision médicale suivie par de nombreuxutres supports statistiques. Il n’en reste pas moins que’hématologue demeure soumis à sa condition humaine ete peut pas éviter le doute : tant de seuils et de limites fixésont il ne sait pas s’ils seront respectés, tant d’expériencesumaines et médicales diverses qui ont jalonnées son par-ours de praticien, tant d’incertitude à chaque étape duraitement, tant de changements dans les thérapeutiques. . .

uels seront les risques d’une greffe opposés à ceux d’unerobable rechute après rémission dans certaines patholo-ies ?

Au-delà d’une simple matière scientifique, la médecinee devient-elle pas alors le terrain d’une réflexion philoso-hique de facon bien plus concrète1 que dans nos souvenirs

urer une espèce particulière d’unité : celle d’un système ; à défaut’une telle unité, notre connaissance demeure décousue et elle neeut servir à la fin suprême [. . .] » (Kant, 2001, 127).

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nopérantes. Le terme même d’autonomie a perdu dans laratique son sens philosophique. Et l’hématologie est enfinlus facilement compréhensible dans sa réticence prégnante

envisager les limitations thérapeutiques.La SFH tente à nouveau d’apporter son aide en publiant

e document sur les limitations thérapeutiques en hémato-ogie [10].

llustration de l’activité hématologique : laluridisciplinarité

lle est à la fois un élément de la complexité abordée toututant qu’un facteur d’aide à la décision médicale qui ne seonstruit plus dans l’isolement. La pluridisciplinarité est laondition indispensable à un exercice performant et efficacee l’hématologie oncologique. La pratique clinique s’estéveloppée et a évolué grâce à la mise en place simultanéee structures et d’institutions nécessaires à l’instauration, àa réalisation et au suivi des traitements. Elle est aussi indis-ociable du développement de la recherche scientifique,rigine et moteur de son évolution.

Le Code de la santé publique est le maître d’œuvre deette organisation multipartenariale. Sa mission la plus dif-cile est d’assurer à chacun son indépendance tout autantue sa complémentarité. L’ANSM, l’Établissement francaisu sang (EFS), l’Hémovigilance, l’Agence de la biomédecineravailleront ensemble à la prise en charge du patient hos-italisé, et leur collaboration ne cessera pas. Exemple dea jeunesse et de l’évolutivité de notre spécialité, la datee création de l’EFS est identifiée en 2000. L’Hémovigilancest un peu plus ancienne : elle a été instaurée en 1993 !

La pluridisciplinarité s’entend ainsi au sens large entrenstitutions que nous venons de citer et établissementsospitaliers. Elle est aussi effective dans la définitionrécise des personnels de santé et des services néces-aires au bon fonctionnement d’une unité d’hématologie deecteur protégé notamment [11] : laboratoires d’analysesédicales, imagerie, thérapie cellulaire, radiothérapie,sychologues, diététicien(ne)s, kinésithérapeutes, etc., enupplément évidemment des médecins, infirmier(e)s etide-soignant(e)s qui assurent le fonctionnement du service4 h/24.

Certes le médecin sera seul lorsqu’il recevra le patientour la première fois, seul aussi devant la feuille de prescrip-ion qui sera signée de son nom. Mais toute sa réflexion seonstruira et sera étayée grâce à cette pluridisciplinarité en’oubliant pas aujourd’hui la participation incontournablee la personne malade qui tient à faire entendre son avis.

L’hématologue est le médecin responsable qui assureraa prise en charge d’un patient et son suivi. Sa stratégiehérapeutique, dont le but est la rémission de la mala-ie, n’est pas une suite d’actes isolés accolés les uns auxutres. Elle est construite sur un examen clinique, la réalisa-ion d’analyses de laboratoires et d’imageries médicales, laecherche de donneurs que ce soit en produit sanguins ou enroduits de thérapie cellulaire en partenariat avec les insti-

utions concernées, une prise en compte de la possibilité deuivi du patient en soins de post cure. Elle est l’œuvre d’uneéflexion collégiale autour d’une activité à part entière. Auentre de cette activité se trouve le malade.

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M.-A. Degoit-Cloiseau

e sang, la greffe. . . quelques-uns un desaradoxes en hématologie

e sang est le symbole de la vie, les deux grands texteseligieux que sont la Bible et le Coran en témoignent. À laecture de leurs versets, nous l’identifions comme créateure cette vie qu’il nourrit et à laquelle il donne un sens. Encrivant ceci, n’avons-nous pas exprimé le premier et le plusramatique des paradoxes ?

L’hématologue est le médecin qui, pour obtenir la rémis-ion d’une pathologie et permettre au patient de continuere vivre, va mettre en œuvre une thérapeutique qui pour-ait être la cause de son décès. Les chimiothérapies etutres traitements myéloablatifs ou immunosuppresseursrovoquent une aplasie de longue durée, en moyenne supé-ieure à huit jours, les risques infectieux sont majeurs,es risques hémorragiques importants, les risques toxiquesatents.

L’efficacité des traitements antibiotiques est connue, deême que celle des antiviraux et des antifongiques. Leurs

imites en sont-elles aussi parfois constatées. L’EFS se donneour objectif la couverture de tous les besoins transfusion-els. Pourtant, certaines périodes de vacances, de fêtes,’épidémies infectieuses telles la grippe limitent son appro-isionnement. Les risques d’immunisation chez nos patientsolytransfusés font quotidiennement partie des préoccupa-ions médicales. Quant à la greffe allogénique de cellulesouches hématopoïétiques quelle qu’en soit l’origine, sesanifestations exacerbées dans sa iatrogénie, sous forme deraft Versus Host (GVH) par exemple, cutanée, digestive,épatique, entre autre peuvent être fortement délétères.ette crainte de la mort qu’elle soit pathologique ou qu’elleoit d’origine thérapeutique (de plus en plus rarement heu-eusement) stigmatise en quelque sorte la spécialité dans’opinion publique.

C’est dans ce questionnement entre vie et mort que seose la réflexion de l’hématologue et que se situe la problé-atique de poursuite ou de limitation transfusionnelle. Elle

st duale : thérapie cellulaire et produits sanguins.Les transfusions sanguines ne sont pas arrêtées en

ilieu hospitalier (ou extrêmement rarement), sauf cas’immunisation ou de difficulté d’approvisionnement. Ceerait vécu par le patient et sans doute par le praticienomme une rupture de ce fil qui attache à la vie. Uneransfusion en produits sanguins peut être le support indis-ensable en attente de la reprise du fonctionnement de laoelle osseuse, elle peut être aussi un acte de confort.ans le cas d’une anémie par exemple, elle évitera la troprande souffrance organique et l’épuisement du patient dû

l’hypoxie. Dans le cas d’une thrombopénie, la transfu-ion préventive éloignera le risque anxiogène d’hémorragie.es transfusions accompagneront ainsi le patient jusqu’à. . .

a fin de sa vie. Lorsqu’il s’agit de plaquettes, les proto-oles transfusionnels seront adaptés et de préventives, lesransfusions deviendront curatives du signe hémorragique.

Les transfusions de thérapie cellulaire en cellules souchesématopoïétiques allogéniques peuvent être refusées. Ce

efus est énoncé par le médecin qui estime l’état du patientn échappement thérapeutique. Il peut être aussi édicté pare patient qui n’accepte pas les contraintes et les risques’un tel traitement. Cela ne compromettra en rien le suivi

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Prise en charge thérapeutique de patients porteurs d’une hé

du malade par l’équipe d’hématologie et notamment lapoursuite de transfusions en produits sanguins. C’est dansce contexte que s’illustrent les paradoxes où la décisionde chacun peut être prise en opposition avec son premierobjectif.

Le sang porte avec lui un patrimoine religieux, his-torique, anthropologique. Il est l’archétype du paradoxepuisqu’il peut être utilisé indifféremment lors de pratiquesreligieuses ou de rites sataniques. Il est versé dans lesacrifice pour amener divers bienfaits, il magnifie l’êtrehumain tout en provoquant son impureté, il fut l’objet d’unequête épique, il est aujourd’hui dénoncé dans le cadre dedérives sectaires2. . . Son histoire a été entachée plusieursfois, d’une interdiction de transfuser pendant plus de deuxsiècles au xviie siècle, à l’histoire du sang contaminé desannées 1980. L’évolution de ses indications (de transfusionde sang total dans le contexte d’hémorragies massives àl’indispensable thérapeutique de support dans les traite-ments actuels des cancers en général, hématologiques enparticulier) et son association à la thérapie cellulaire ontpermis l’émergence de la spécialité d’hématologie onco-logique. L’hématologue ne pourra pas se soustraire à cesinfluences au travers de ses propres doutes ou dans la ver-balisation des craintes du patient.

La systémique était le cadre méthodologique del’étude de cette problématique transfusionnelle,l’ethnométhodologie [12] en a été la charpente. Elledémontre l’impossibilité de généraliser les pratiques tantcelles-ci, véhiculées par le langage, sont constituées dece que nous sommes et de l’époque dans laquelle nousvivons. Cette sociologie des pratiques limite ainsi la portéede l’usuel « bon sens » qui ne peut aller de soi que s’il estgénéralisable. En hématologie, cette considération est loind’être sans importance. Les mêmes moyens matériaux,techniques, humains et financiers existent-ils partout ? Lesreligions et les cultures sont-elles identiques et permettent-elles les mêmes pratiques ? Dans certains (nombreux ?) pays,cette étude ne s’avèrerait-elle pas. . . sans objet ?

Ce travail sur la décision médicale de poursuite ou delimitations des actes transfusionnels dans la prise en chargede patients porteurs d’une hémopathie maligne a donc étérédigé dans un contexte de médecine occidentale, différentde surcroît de la médecine anglo-saxonne où ne sont pas tou-jours appliquées les règles d’anonymat et gratuité du don.L’impact de notre mode de fonctionnement sociétal est encela évident.

Cette réflexion met en exergue l’immense difficulté àdéfinir une décision médicale idéale qui sans doute nepeut pas exister. Trop de facteurs indéterminés sont enprésence : la maladie, potentiellement létale, les connais-sances médicales évolutives, le patient dans ses souhaitsparfois contradictoires, les traitements aux résultats incer-tains. De cette spécialité médicale émerge une réflexion

nouvelle, mue par le doute qu’elle génère.

L’expression de cette décision permet de constater oudevrait le permettre, la prise en compte d’une pathologie

2 La Mission Interministérielle de VIgilance et de LUtte contreles DErives Sectaires (Miviludes) dénonce régulièrement les dérivessataniques, gothiques, et celles de certains mouvements se récla-mant du Graal ayant des pratiques liées au sang.

athie maligne 209

ans un respect mutuel : celui du patient pour le soignantt ses connaissances avec leurs limites, celui du praticienour l’être humain dans sa capacité à comprendre malgréa fragilisation due à la maladie, ceci dans l’acceptation’une donnée majeure : l’incertitude.

Cette étude ne pouvait pas être exhaustive. Elle s’estmployée à identifier chacune des difficultés liées à la pro-lématique, à les analyser, les relier et en déterminer lesmbrications profondes.

La recherche médicale permettra assurément, dans unutur dont il est impossible de connaitre l’échéance, d’évitern certain nombre des questions d’aujourd’hui : thrombo-oïétine, produits sanguins de substitution, etc. Une prisen charge globale et mutualisée du patient sur tout sonarcours - dépistage, traitement et accompagnement -evrait être envisagée. Des moyens de prévention mis enuvre. . .

onclusion

ous reprenons ce texte de Didier Sicard, d’une pertinencextrême : « Tout est là. La connaissance nie l’empathie ;elle-ci met le savoir à distance. Comme si l’indifférencet la sollicitude relevaient de deux activités mentales,’une située dans le cerveau gauche, celui, dit-on, de laensée créatrice, l’autre dans le cerveau droit, celui de’émotion ressentie devant l’autre. L’éthique commenceans ce sillon médian qui échange les voies des deux hémi-phères pour les rendre humains, c’est-à-dire en mêmeemps doué d’intelligence et d’attention à l’autre. Isolées,es deux activités sont bancales. Une intelligence concep-uelle étendant son pouvoir et sa puissance à l’infini risquee ne pas se poser la question essentielle de son sens oue le réduire à une finalité opportuniste dont elle décideeule des limites. Une compassion généreuse mais dénuéee créativité, de discernement, de sagesse, d’entendementst menacée de relégation au rang des bons sentiments »Sicard, 2007, 19) [13].

éclaration d’intérêts

’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-ion avec cet article.

éférences

[1] Hiller A. Love Story, film américain ; 1971.[2] Donnadieu G, Durand D, Neel D, et al. L’approche systé-

mique : de quoi s’agit-il ? Synthèse des travaux du GroupeAFSCET — Diffusion de la pensée systémique; 2003.

[3] Minati G [Texte francais, consulté le 6 février 2013] Intro-duction à la systémique; 1997 http://www.afscet.asso.fr/resSystemica/sysminat1.html

[4] Société francaise d’hématologie [consulté le 6 février 2013]Référentiels; 2009 http://sfh.hematologie.net/hematolo/UserFiles/File/REFERENTIEL SFH 2008 2009.pdf

[5] HAS [consulté le 6 février 2013] Transfusions de globulesrouges homologues : produits, indications, alternatives; 2012http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2013-01/cadrage -transfusions de globules rouges.pdf

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10

[6] ANSM [consulté le 6 février 2013] Groupe de travail« actualisation des recommandations de bonne pratique sur latransfusion de plaquettes et de granulocytes » du comité devalidation des recommandations de bonne pratique sur les pro-duits de santé; 2012 http://www.sante.gouv.fr/fichiers/bo/2011/11-01/ste 20110001 0100 0085.pdf

[7] Comité Consultatif National d’Ethique pour les Sciences de laVie et de la Santé. Avis no 101, Santé, éthique et argent : les

enjeux éthiques de la contrainte budgétaire sur les dépensesde santé en milieu hospitalier; 2007 [28 juin 2007].

[8] Loi no 2003-1199 du 18 décembre 2003 relative au financementde la sécurité sociale pour 2004.

[

M.-A. Degoit-Cloiseau

[9] Kant E. Prolégomènes à toute métaphysique future. Vrin:Bibliothèque des textes philosophiques; 2001.

10] SFH (Comité éthique). Les limitations thérapeutiques en héma-tologie : réflexions et propositions éthiques de la Sociétéfrancaise d’hématologie, hématologie. 2005;11:71—9.

11] Code de la santé publique. Articles D 6124-170, D 6124-171, D6124-172, créés par le décret no 2007-1257 du 21 août 2007.

12] Amiel P. Ethnométhodologie appliquée. Éléments de sociologie

praxéologique. Édition augmentée. Presses du LEMA; 2010.

13] Sicard D. Préface. In: Hirsch E, et al., editors. Éthique,médecine et société : comprendre, réfléchir, décider, Espaceéthique. Vuibert; 2007.