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Université de NANTES
Institut de Géographie et d’Aménagement Régional
IGARUN
Jérémie PARNAUDEAU
L’IMPACT DE LA MONDIALISATION DANS UNE MICRO-REGION RURALE AU SENEGAL : LE CAS DES VILLAGES DU BLOUF
(BASSE-CASAMANCE)
Ajustement structurel, exode rural, disparition de la riziculture, salinisation des terres, interventions d’Organisations Non Gouvernementales : le Programme Alimentaire Mondial finance la construction de digues anti-sel pour conserver ce qui faisait
l’identité Diola et le symbole de la solidarité ethnique.
Mémoire de Master I« Terres et Mers Atlantiques »
Sous la direction de : Christophe GRENIER, Maître de Conférences
Juin 2005
PARNAUDEAU Jérémie
Titre du mémoire : L’impact de la mondialisation dans une micro-région rurale au Sénégal : le cas des villages du Blouf (Basse-Casamance)
Nombre de pages : 202 + 36 pages d’annexesNombre de cartes, graphiques et documents : 98Nombre de photographies : 70
Résumé : Dans le contexte de la mondialisation, les espaces ruraux d’Afrique sont touchés par des réactions en chaîne qui bouleversent l’économie locale. On pourrait penser que le rôle de la mondialisation dans ces espaces restés traditionnels est minime ; en réalité, il n’y a pas de meilleur clé de lecture pour comprendre les mutations qui touchent le Blouf, micro-région rurale de 21 villages. Dans la première partie est évoquée la naissance d’un système socio-économique particulier fondé sur l’interaction entre les héritages et les avatars de la mondialisation (colonisation, étatisation et ajustement structurel). Le système actuel privilégie l’exode rural et l’extraversion de l’économie, fondée sur l’importance des transferts d’argent par les diasporas du Blouf à l’extérieur. Les activités génératrices de revenus disparaissent en raison de la libre concurrence et l’agriculture décline au profit d’investissements dans des structures d’éducation et de santé et la construction de maisons en ciment par les villageois en ville (deuxième partie). Les impacts géographiques qui en découlent sont multiples (troisième partie) et l’accent est mis sur les dysfonctionnements de ce système.
Summary : In a backdrop of globalization, rural places of Africa are concerned with knock-on effects which often distort their local economies. Many people spurn the idea of the role of globalization where life is still traditional. It's hypothesised there that no better key exist to understand rural African mutations, such as we can find in the Blouf, a southern Senegal micro-region of 21 villages, in Casamance. It discusses the birth of a new system based on upshots of colonisation, nationalisation and structural adjustment, three forms of globalization. These established facts interact with local specificities, a wetter climate and large submerged places with mangrove, permitting a very well-structured society, living in big villages, closed and animists whereas the rest of Senegal was Muslim. It's shown that the system changed to a new one, where rural exodus and abandon of rice fields first due to an ancient strong French schooling imply the dependence of outside aid (NGO's, urban workers born in the villages). Owing to free trade, remunerating activities are disappearing. All agriculture declines in front of increasingly infrastructures for education and health, and the building of new houses in cement by « urban villagers ». It bodes ill for the region, encouraging dependence. The future of the Blouf is in abeyance.
Mots-clés : Basse-Casamance – Mondialisation – Géographie rurale – Géographie économique – Exode rural – Système géographique.
Keywords : Basse-Casamance – Globalization – Economic Geography – Rural Geography – Rural exodus – geographic system.
Rubrique de classement : Géographie tropicale
JURY : Christophe GRENIER, Maître de ConférencesEtienne CHAUVEAU, Maître de Conférences
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MERCI
Christophe GrenierGeneviève Limes et Jean-Paul Glotin – association unBassirou Sambou, président de la Communauté rurale de Mangagoulack, pour un accueil extraordinaire pendant plus d’un moisSiaka Badji à Ziguinchor pour m’avoir accueilli et aidé à chaque fois que j’en ai eu besoinIbrahima Sambou, à Dakar, pour m’avoir accompagné dès qu’il le pouvait dans la ville tentaculaireIdrissa Goudiaby et Binta Sambou à Dakar pour un accueil formidableYounousse Sambou, un guide, un ami, un frèreTaïrou Diatta et Ibrahima Sow pour une sincère amitiéAmadou Bâ, la gentillesse personnifiée
Dans les villages de la Communauté rurale de Mangagoulack, cent personnes dont l’accueil a été au-delà de toutes les espérances et pour avoir tout fait pour répondre précisément aux questions
Et dans les villages, plus particulièrement :
A Tendouck : Mamina Goudiaby, Kadialy Diatta, El-Hadji Diémé, Yama Tombo Diatta, Nafi Diatta, Idrissa Diedhou.A Boutégol : M’Baye Goudiaby, Fatou Badji, Sonkaro Sambou, Baboucar Diatta, Siriac Diatta, Henri Mané.A Mangagoulack : Adramé Diatta, Seringbai Diatta, et bien sûr Younousse et Bassirou Sambou.A Diatock : Moussa Diatta, Lamine Diatta, Fodé Goudiaby, Djibril Sagna, la maîtresse du centre de couture.A Elana : Ahmed Sambou, Paul Ignace Sagna, Atab Sambou, Pascal Diedhou, Pascal Sagna.A Bodé : Moussa Bodian, Ousseynou Sagna.A Boutœum : Cheikh Tidiane Diedhou, Jean Abassène Badji, Marie Augustine Diatta, Vital Badji.A Djilapao : Alexis Djiba.A Affiniam : Pierre Simon Diedhou, François « Fanfo » Coly, Louis André Sambou, Nestor du Campement Villageois, Louis André Sambou, Dominique Manga et Moustapha Diatta, frère Christophe du CPRA.A Diégoune : Moustapha Diedhou, président de Communauté rurale, Mamadou Solo Badji du CLCOP, Sadibou Badji.A Balingore : Sana Fofana Badji, président de Communauté rurale.A Dianki : El-Hadji Lamine Camara, Bacary Camara, Iancouba Bodian, président de communauté rurale, Kambatouko Sonko, El-Hadji Sonko qui m’a accompagné toute la journée.A Mlomp : Bacary Coly, président de communauté rurale, Malick Diatta.
A Ziguinchor, les présidents des associations de ressortissants : Emile Manga, Djibril Diatta, Aliou Diatta, Jean-Marie Sagna, Lamine Sambou, Arthur Diatta, Souleymane Soumaré, Félix Sambou.
Et encore : Alimatou Souaré de Kagamen, John Eichelsheim et Djibril Coly de Idée Casamance, Olivier Flament et l’équipe du PAM, Franck Müller de l’ARD, David Diatta du PSIDEL, Carmen Garrigos de l’UNICEF, Bassamba Diedhou de Entreprise Works, François Sagna du CRS, ENDA-ACAS.
A Bignona, Abdoulaye Sall, inspecteur départemental de l’éducation nationale, Potnil Diémé et l’association ARBRES.
A Dakar, les associations de ressortissants : Edmond Sagna pour Boutœum, Pascal Sagna de Djilapao, Youssouph Diatta de Tendouck, Clément Badji d’Affiniam, Aliou Diatta de Diatock, Youssouph Goudiaby et l’ensemble du bureau de Mangagoulack, Adramé Sambou et le bureau de Boutégol ainsi que l’amicale des élèves et étudiants de Boutégol, Pascal Diémé d’Elana, Omar Soumaré et le bureau de Bodé.
Et bien sûr :Odile et Albert, mes parentsSophie et Nicolas
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AVANT-PROPOS
Cet ouvrage est le fruit d’une réflexion et d’un cheminement personnels qui dépassent le simple
cadre d’une année de Master I en géographie. Il s’inscrit dans une logique, dans une volonté de
construire un parcours de formation personnalisé, original dans le cadre d’une filière géographique. Il
résulte en effet de la volonté de construire une formation professionnelle, mais qui bénéficie des
apprentissages de l’analyse propre à la recherche. Il nous semble que la méthode de réflexion
universitaire est tout à fait adaptée à l’apprentissage du terrain avant l’action sur le terrain. En effet,
elle permet la compréhension de phénomènes qui peuvent sembler complexes à première vue, et par
suite proposer la ou les solutions les meilleures possibles aux problèmes soulevés par l’étude. Ce
travail cherche donc avant tout à faire progresser une formation du monde de la recherche vers la
mise au service du développement.
D’où l’idée d’un cursus universitaire ayant pour but de se former à mettre en application des
préceptes et des méthodes d’analyse qui seront employables sur le terrain, dans un contexte de
professionnalisation dans le domaine du développement et de la solidarité internationale. C’est de ces
pensées qu’a éclos l’idée de réaliser un mémoire qui confronterait deux visions du développement :
celle qui se fonde sur l’analyse, et celle qui a pour postulat un travail de terrain avant tout, le soutien à
des populations face à des besoins exprimés. Notre première démarche se portait donc vers un sujet
qui aurait porté sur les impacts territoriaux d’une association de solidarité internationale, quelle qu’elle
soit. Cela revêtait des avantages pour les deux parties : pour cette association, l’observation d’un œil
nouveau, extérieur et renforcé par des structures conceptuelles et d’explication, se révélait
enrichissante. Cette observation devait fournir par la suite un document d’évaluation et d’aide à la
décision. Pour nous-même, c’était l’opportunité d’acquérir à la fois une aide logistique et une
expérience nouvelle en matière de solidarité internationale. Tout un pan du travail, donc, a été entamé
au cours de l’année universitaire 2003-2004, à travers la rencontre avec des organismes et des
associations humanitaires, de Loire-Atlantique essentiellement pour des raisons de commodité. Il
s’agissait en effet d’établir un contact régulier avec l’organisme qui serait choisi et qui devait déjà
fournir en lui-même une source d’informations. Nous avons découvert rapidement, toutefois, le faible
impact géographique de ces associations. La plupart travaillaient sur des micro-projets de
construction, d’aide à la scolarisation, ou de développement des soins. Peu d’entre elles touchaient le
secteur du développement dans son ensemble ou de celui de l’amélioration de conditions
économiques. En vérité, il aurait mieux valu évaluer ce type de projets sur un territoire donné, en
recensant toutes les associations qui s’y trouvaient. C’est une éventualité qui a été envisagée, puis
rejetée en raison de la nécessité de fait d’une aide logistique suffisante à la fois pour vivre sur le
terrain et pour y mener des recherches : nous souhaitions en effet travailler dans un pays en
développement, notre choix s’étant porté sur l’Afrique pour des raisons pratiques d’une part – la
francophonie étant un aspect non négligeable dans le cadre de recherches au plus près de la
population – et des considérations affectives d’autre part, liées à une certaine image véhiculée, selon
laquelle l’Afrique serait « l’ailleurs à nos portes ».
4
Il fut finalement décidé un stage au sein d’une association nazairienne, l’association un. Le
concept reflété dans le logo chargé de symboles, qui représente deux demi-cercles imbriqués,
identiques par leur forme mais différents par leur couleur, comme s’ils étaient complémentaires, nous
a rapidement séduit. De même que l’approche prônée par cette association, qui a adopté un mode de
fonctionnement fondé sur le dialogue avec les populations pour les aider à avancer et à mieux se
structurer. De plus, cette association œuvre au Sénégal, et plus particulièrement en Casamance, un
territoire d’une valeur peu commune pour l’analyse géographique comme il sera développé en
introduction ; nous avions là un démarrage sous les meilleurs auspices. Il n’était plus question,
toutefois, d’envisager une quelconque étude des effets d’une ou de plusieurs associations sur le
développement territorial. A la demande de l’association, et après mûre réflexion, on pouvait envisager
de dégager des potentialités de développement pour la région, à travers une étude géographique.
C’était justement la démarche qui justifiait l’intégralité de notre parcours universitaire, et c’est dans cet
état d’esprit que nous contactâmes M. Christophe Grenier, maître de conférences à l’université de
Nantes, et que se mit en place au cours de nos discussions le sujet qui devait être abordé dans ce
mémoire, à savoir le processus de mondialisation en Basse-Casamance. Plutôt que de limiter l’objet
d’étude en élargissant le champ spatial de la recherche, nous décidâmes d’un commun accord de
limiter la surface de cette étude à une micro-région, bornée par les limites de la communauté rurale de
Mangagoulack. Celle-ci correspondait en effet à la zone de travail privilégiée de l’association. Sans
compter qu’elle représentait l’archétype du territoire Diola traditionnel, bouleversé par les mutations
actuelles. Cette surface permettait une étude raisonnablement approfondie dans le cadre d’un
mémoire, dont le sujet était assez vaste mais qui permettait d’élaborer une véritable synthèse des
changements territoriaux.
Le séjour s’est préparé peu à peu dans cette optique. Une importante recherche
bibliographique avait précédé le départ et jeté les fondements de l’étude. Elle avait permis aussi de
déterminer les modalités de la recherche sur le terrain. Il était évidemment entendu qu’elle passerait
par le maximum d’entretiens auprès des personnes ressources, et entendu également que cela ne
suffirait pas. Il s’agissait de réunir auprès d’administrations ou d’ONG*1 des sources à analyser et qui
permettraient d’apporter caution sur ce qui pouvait être compris ou suggéré lors des entretiens. Au vu
du caractère clairsemé de telles sources et de la difficulté de leur accès, il fallait encore, cependant,
un moyen de construire soi-même des sources, et l’enquête se révélait une méthode excellente à la
fois pour progresser dans les recherches et pour créer un savoir qui n’existait pas et qui manquait
même cruellement aux données existantes dans les villages. Un questionnaire fut donc élaboré, repris
et revu à de nombreuses reprises avec M. Grenier, pour prendre une forme définitive à quelques jours
du départ.
L’expérience de terrain s’est révélée précieuse. L’association nous ayant introduit auprès des
autorités locales, nous avons été accueilli chez M. Bassirou Sambou, président de la Communauté
Rurale de Mangagoulack. Nous avons pu être plongé dans le vif du sujet dès le départ, et en restant
auprès de cet homme, nous avons pu beaucoup apprendre, surtout dans les moments informels, le
soir autour du thé par exemple. Mais, non content d’un accueil très chaleureux et d’une écoute jamais
1 Le signe * renvoie au glossaire en fin d’ouvrage.
5
lassée, Bassirou nous a facilité les choses en mettant à notre disposition son neveu Younousse pour
nous servir de guide et d’interprète. Nous avons donc sillonné les neuf villages de la Communauté
Rurale, ne perdant pas un jour : le travail a ainsi été mené au-delà de toute espérance puisque des 25
à 40 enquêtes prévues initialement, nous avons pu en faire 100, touchant ainsi environ 10 % des
ménages puisqu’on peut estimer approximativement la population de la communauté à 10000 âmes
et la population d’un ménage à 10 personnes. L’enquête, d’intéressante, devenait significative.
Ce travail devait être complété dans les villages par la rencontre des responsables de
Groupements d’Intérêt Economique (GIE*), d’associations et de projets de développement qui nous
ont fourni à la fois des données et des idées. C’est à partir de la base que notre travail à Ziguinchor a
pu être dirigé : chaque retour dans la capitale régionale était donc l’occasion de rencontres,
essentiellement avec des ONG et des organismes internationaux, ainsi que certaines administrations
suffisamment bien gérées pour produire des chiffres. Au fur et à mesure que s’enrichissait le panel
des contacts et des documents et sources collectées, la mise en évidence d’un système
particulièrement bien en place nous sautait aux yeux.
Dans ce système intervenaient les ressortissants, ceux qui sont originaires du village mais
vivent et travaillent en ville. Ils y tenaient même une place essentielle. Or, ils étaient nombreux à
Ziguinchor : c’est ainsi que peu à peu nous avons commencé à les rencontrer ; finalement, presque
tous les présidents d’associations de ressortissants, par village d’origine, ont été contactés et
entretenus. Nous en sommes alors venus à prendre des rendez-vous avec les « patrons » de ces
associations, qui étaient à Dakar ; le travail commencé dans des villages lointains s’est donc terminé
dans la capitale. Cela exprime bien le dépassement nécessaire des frontières du Blouf pour
comprendre la dynamique villageoise. Ce travail pourrait très bien être poursuivi en France où la
communauté expatriée de la communauté rurale compte de nombreux éléments…
L’ambition de ce travail, limité au départ à cette communauté rurale, s’est progressivement
élargie. En effet, la Communauté appartient à un ensemble physiquement et culturellement très
homogène, comprenant quatre autres communautés rurales, qu’on appelle « Blouf » mais qui est
administrativement l’arrondissement de Tendouck, l’un des plus grands villages du Blouf. Par
commodité et faute de temps, il était impossible de mener des enquêtes dans toute la zone. Par
contre, nous avons pris soin, lors de rencontres avec les acteurs du développement, de prendre des
informations et des documents concernant tout le Blouf ; c’est ainsi que nous avons pu nous procurer
l’ensemble des Plans Locaux de Développement (PLD*) de chaque Communauté Rurale. Finalement,
les distances entre chefs-lieux de communauté ne s’étant pas révélées si longues à parcourir avec la
bicyclette dont disposait l’association à Tendouck, nous avons pu terminer le travail en rencontrant
divers acteurs dans chacune des autres communautés. Nous avons pu ainsi confirmer les idées déjà
esquissées à propos du système géographique actuel qui régissait les dynamiques villageoises.
Il s’agissait d’un travail délicat, car le temps limitait les possibilités. Pourtant, une préparation
réfléchie en collaboration avec M. Grenier, une aide sans faille de la part de l’association un et sur le
terrain ont montré que la réalisation en était possible. Mais cela n’aurait pas suffi s’il avait manqué
6
l’enthousiasme et l’envie coûte que coûte de mener le travail à bien. Nous avons retenu la leçon qu’un
tel travail nécessite de la passion pour aboutir.
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SOMMAIRE
Remerciements……………………………………………………………………………. 3Avant-propos………………………………………………………………………………. 4Sommaire………………………………………………………………………………….... 8Introduction……………………………………………………………………………….. 11
Première partie : le Blouf : une micro-région originale au sein du Sénégal….. 21
Introduction : des héritages à la mondialisation, d’une spécificité à l’autre……… 21
1. Milieu naturel et civilisation…………………………………….………………………... 2111. Le Blouf : un milieu particulier………………………….…………………………………...
21111. Un climat spécifique112. L’entremêlement de la terre et de l’eau113. Une région où ces spécificités sont accentuées
12. Un espace fortement humanisé……………………………………………………………... 26121. L’enracinement des hommes122. Le Blouf des « gros villages »123. Prospérité et enclavement
13. Une civilisation du riz…………………………………………………………………………. 31131. Stockage de l’eau et riziculture132. Rizières et résistance à la modernité133. Une société profondément égalitaire
2. Le Blouf entre colonisation et indépendance…………………………………………. 3521. Une puissante colonisation d’inspiration chrétienne…………………………………… 35
211. Faible pénétration de l’islam et missions catholiques212. L’école et le Diola213. La mise en place de la « traite » de l’arachide
22. Une « colonisation » sénégalaise à l’indépendance ?................................................. 41221. Le mythe du paradis terrestre222. De l’encadrement économique par l’arachide…223. … A l’encadrement administratif et législatif
23. De l’école à l’exode……………………………………………………………………………. 44231. Le plus fort exode rural du pays232. La mise en place des filières de ressortissants233. Les conséquences sur les terroirs villageois
3. Les premiers symptômes de la mondialisation………………………………………. 5031. Le désengagement de l’Etat…………………………………………………………………. 51
311. La privatisation de la traite de l’arachide312. Le développement des cultures de substitution313. Un milieu humain fragilisé
32. En contrepartie, un fourmillement de projets étrangers………………………………... 54321. Une myriade de projets dans le Blouf322. Les tentatives de modernisation de la riziculture323. Le soutien à la diversification des activités économiques
33. Les années 2000 : la fin d’un système……………………………………………………... 58331. La crise casamançaise, origines et conséquences332. Fin des projets et recul des activités économiques333. Esquisse d’une théorie sur le nouveau système
Conclusion : A l’aube du troisième millénaire, des spécificités notables………….. 60
8
Deuxième partie : globalisation et changement de système…………………..... 63
Introduction : les caractères de la globalisation..……………………………………….. 63
1. Activités en déprise et apport extérieur.……………………………………………….. 6311. Les activités économiques en déclin : le maraîchage au premier chef……………… 64
111. Des revenus dérisoires112. La fin des grands projets113. Attentisme et faiblesse des projets actuels
12. Le cercle vicieux de l’exode rural…………………………………………………………… 76121. Ampleur de l’exode et diminution des bras122. L’importance des transferts d’argent123. Un système nuisible au développement local
13. Des secteurs qui perdurent, soutenus par la monétarisation…………………………. 88131. La pêche puise ses racines dans les transferts d’argent132. La monétarisation de la construction et des cultures133. Les autres revenus se fondent sur un capital déjà en place
2. Associations de ressortissants et organismes internationaux.…………………… 9521. La puissance des associations de ressortissants………………………………………. 95
211. Une organisation moderne pour un système moderne212. Collecte de fonds et collecte de relations213. Des réalisations centrées sur l’éducation
22. La nouvelle politique des organismes internationaux………………………………… 108221. Le retour des bailleurs de fonds222. Des actions avant tout au profit de l’école223. Bailleurs de fonds et investissements de confort matériel
23. Enjeux de la scolarisation et conséquences démographiques...……………………. 117231. De la scolarisation à la scolarisation232. La vie en ville, l’espoir d’une retraite au village233. Les conséquences démographiques
3. Des mutations irréversibles ?.................................................................................. 124
31. L’ampleur de la désaffection.………………………………………………………………. 125311. Le village à la ville : un remarquable dynamisme urbain312. Rester : une situation d’échec ?313. La faiblesse structurelle de la population sur place
32. L’augmentation des dépenses villageoises..…………………………………………… 129321. La fin des cultures vivrières322. Des dépenses alimentaires en forte hausse323. Un état de faits qui pousse à privilégier l’avenir des enfants
33. Les vecteurs du renforcement des liens entre villes et villages…………………….. 134331. Elèves en vacances et vieux parents cultivent ensemble le riz332. La pression sociale du village sur les « exodés »333. Un comportement irrationnel mais socialement nécessaire
Conclusion : des impacts majeurs sur la vie au village………………………………. 137
9
Troisième partie : Où la mondialisation influence la géographie..……………..139
Introduction : une spatialité bouleversée par ces mutations.……………………….. 139
1. Dans les zones basses et inondables, une riziculture larvée et symbolique..… 13911. Le recul jusqu’à quasi-disparition des parcelles rizicoles cultivées……………….. 140
111. Les parcelles rizicoles occupent aujourd’hui la mince bande des terres les moins fertiles112. Digues abandonnées et progression de la langue salée113. Quand les rizières ne sont pas salinisées : jachère ou culture payée par les ressortissants
12. L’apparition des digues anti-sel témoigne d’un système qui manque de rationalisme………………………………………………………………………………………... 145
121 La mise en place des digues anti-sel122. Un apport extérieur et tardif, pour sauver une culture résiduelle123. Les paradoxes d’une rémunération en vivres
13. De nouveaux usages pour les zones basses……………………………………………. 151131. Une anthropisation croissante des bolons : pêche, transport, tourisme132. Les activités de cueillette dans la mangrove133. Un espace sollicité de plus en plus pour la construction
2. Les terres du plateau rendues à la brousse et offertes à la construction...……. 154
21. La disparition de l’arachide offre un paysage uniforme de broussailles...………… 155211. Sur le plateau, un monde en apparence abandonné212. Une brousse pourtant exploitée intensivement213. Le lieu des expériences nouvelles et des nouvelles pressions foncières
22. Activités maraîchères en friche et développement de l’arboriculture dans ces mêmes friches.…………………………………………………………………………………….. 158
221. Des périmètres maraîchers abandonnés222. La récupération par les arbres fruitiers223. Partout en brousse, la mise en place de plantations individuelles
23. Le plateau de plus en plus affecté par la construction...……………………………… 160231. L’importance de la construction de maisons232. le rôle des ressortissants dans les constructions233. Des maisons répondant au « besoin d’air » des exodés
3. Derrière le masque d’un avenir serein, des perspectives douteuses..…………. 16631. Une apparente et grandissante opulence de l’habitat et du confort..………………. 166
311. La multiplication des maisons cimentées voire des « villas »312. Un meilleur accès aux infrastructures313.De nouvelles disparités entre villages
32. Mais une misère d’idées, d’initiatives et de projets...………………………………….. 173321. La disparition des savoir-faire322. Attentisme, foi en la société moderne et perte de la culture Diola323. Dépenses et dépendances
33. Pourtant, un potentiel à développer...…………………………………………………….. 175331. La femme est-elle l’avenir de l’homme ?332. Rationalisme contre riziculture : le maraîchage hivernal333. La nécessité d’un commerce équitable
Conclusion : l’espace porte les marques successives des mutations……………..
182
Conclusion générale…………………………………………………………………… 185Bibliographie...………………………………………………………………………….. 190Glossaire des sigles…………………………………………………………………… 196
10
Liste des sources……….……………………………………………………………… 197Table des illustrations……..……………………………………………………………199Annexes………………………………………………………………………………..… 203
INTRODUCTION
« Partout ou presque, interviennent dans l’organisation des activités et la vie de chacun, le niveau local, celui du quotidien et de la proximité, le niveau de l’Etat ou d’institutions nées des délégations et de ses attributions (…), et le monde, maintenant environnement de tous les systèmes spatiaux »
Olivier DOLLFUS (Dollfus, 1997, p.75)
Il peut paraître curieux ou même inutile, pour qui ne maîtrise pas les enjeux fondamentaux de la
mondialisation et ses conséquences sur les lieux, d’utiliser un tel terme pour tenter de comprendre les
dynamiques d’un espace rural enclavé de la Basse-Casamance. C’est un espace très éloigné, en
apparence, de l’idée que l’on peut se faire d’un « espace mondialisé ». Il n’est pourtant pas de clé de
lecture plus pertinente pour donner du sens à l’ensemble, pour montrer que deux types de mutations
en apparence très éloignés l’une de l’autre s’inscrivent dans une même logique. C’est là où se situe
tout l’intérêt d’une telle étude : l’étudiant ou le chercheur se plaçant à la fois dans la perspective d’une
quête de sens dans l’espace et dans une volonté de sensibilisation des populations sur les
fondements de changements actuels qui les affectent profondément, peut de la sorte permettre un
raccourci dans les transferts de savoir entre Nord et Sud. C’est ainsi seulement que le paysan pourra
prendre conscience des raisons de la mise en place d’un système qui affecte sa vie de tous les jours.
Il n’est paradoxalement pas évident de montrer à un homme, qui chaque jour mange du riz de
Thaïlande, dont le village est aidé par le Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies ou par
une association française de solidarité internationale, qui a des ressortissants en Espagne et en Italie,
que la mondialisation a un impact profond et même structurant dans cet espace. On y perçoit celle-ci
comme s’exerçant dans des espaces fluides, urbains et frénétiques où la vie est facile. Une éducation
et une sensibilisation insuffisantes, les voix unanimes des politiques locaux et l’absence de recul
nécessaire amènent à des convictions et parfois des décisions qui ne sont pas dictées par une
compréhension globale mais souvent par la nécessité et la confiance en un « haut lieu » prônant une
certaine forme de politique.
Cette volonté d’apporter une clé pour la compréhension des mutations territoriales en Basse-
Casamance est le fil conducteur de cet ouvrage. Sans cesse, nous avons eu à nous poser la question
de la mondialisation comme angle d’attaque d’une étude géographique, et c’est finalement cette
entrée qui formera notre sujet. C’est elle qui a permis de dégager la problématique ; il en a découlé
une méthode de recherche qui a eu ses limites, que nous tâcherons également de mettre en lumière.
1 – Le processus de mondialisation comme clé de lecture
11
Avant d’entamer tout discours sur le sujet, il s’agit de bien cerner le terme central dans notre
réflexion, celui de « mondialisation ». Comme de nombreux termes passés dans le vocable courant,
son sens s’est élargi, a pris de multiples facettes, à tel point qu’aujourd’hui, on finit par perdre de vue
la signification première du terme. D’aucuns le brandissent comme symbole d’une gestion capitaliste
et libérale du monde, le stigmatisent comme la source de tous les maux sans être capables d’en
exprimer le sens : or, sa signification revêt un enjeu important puisque la mondialisation est au cœur
de multiples débats.
Il nous faut pour cela interroger la sagesse de nombreux chercheurs qui ont réfléchi sur ce
concept et d’autres qui lui sont liés : essentiellement le GIP-RECLUS*2, avec R. Brunet (1990) en tête,
mais aussi O. Dollfus (Brunet, Dollfus, 1990), M.F. Durand (Durand, Lévy, Retaillé, 1992), qui ont mis
en lumière l’idée d’un « système-monde » qui s’imposait à tous les niveaux, y compris au niveau
local ; mais on en citera d’autres, comme Jacques Lévy (Durand, Lévy, Retaillé, 1992), Jacques Adda
(Adda, 2002), Michel Lussault (Lévy, Lussault, 2003) ou encore D. Retaillé (Durand, Lévy, Retaillé,
1992).
Tous ces auteurs s’accordent à dire que la mondialisation est un processus que l’on peut
évaluer dans différentes échelles de temps, du temps long de l’histoire humaine (le fameux
structuralisme de Fernand Braudel), au temps de la globalisation, qui commence peu ou prou à la fin
de la guerre froide. C’est peut-être Jacques Adda (2002) qui décrit le mieux le processus comme la
diffusion à l’échelle mondiale du capitalisme, c’est-à-dire d’un système de production autant qu’un
système de pensée qui consiste à rechercher toujours le profit matériel et à construire prestige et
condition sociale sur cette base. Ce processus émane des bourgeoisies de l’Europe du Nord-Ouest et
notamment des « bonnes villes » de la Hanse ou des Flandres, leurs bourgeoisies portuaires portant
ce système dès la fin du Moyen Age.
C’est la colonisation qui lance le processus de mondialisation proprement dit. En effet, « la
formation des empires coloniaux au cours des quatre siècles qui ont suivi le grand désenclavement
planétaire s’était accompagnée (…) d’un processus de périphérisation des économies soumises,
autrement dit d’une restructuration de leurs productions en fonction des besoins de consommation
(…) des nations centrales » (Adda, 2002, p.8). Tout est là : le processus de mondialisation a en effet
contribué à organiser le monde selon un modèle « centre-périphérie ». Ce modèle, conçu notamment
par deux économistes de la Commission des Nations Unies pour l’Amérique Latine (CEPAL), Raul
Prebish et Hans Singer, émet au sortir de la seconde guerre mondiale l’idée que l’espace est organisé
par des centres, qui dominent des périphéries plus ou moins intégrées. En somme, un modèle
d’organisation de l’espace que l’on peut retrouver à toutes les échelles et qui a tendance à se vérifier
de plus en plus à l’échelle mondiale.
C’est face à cette constatation qu’Olivier Dollfus (Brunet,Dollfus, 1990) fonde, dans les années
1980, enrichi des apports de l’école de Brunet et du GIP-RECLUS, le concept de « système-monde ».
La mondialisation se traduirait alors, en quelque sorte, par une incursion de ce système-monde dans
2 Le signe * renvoie au glossaire en fin d’ouvrage.
12
les circuits locaux qu’il modifierait en profondeur. Avant de s’avancer plus loin dans ces théories, il
convient de s’arrêter sur un nouveau concept associé, celui de système.
Le dictionnaire « critique » de Roger Brunet (1992) se penche relativement longuement sur ce
terme qui est une des clés de voûte de la géographie chorématique qu’il a contribué à inventer. On y
lit que le système est un « ensemble organisé d’éléments et d’interactions entre les éléments, du grec
systema : qui tient ensemble ». Et que « les espaces géographiques sont façonnés par des systèmes
spatiaux (ou spatialisés) (…). On peut concevoir le système d’énergie du système spatial, où entrent
en interaction les forces de travail, l’information, les ressources et le capital, par l’intermédiaire des
moyens de production » (Brunet, 1992, art. « système »). En somme, les relations entre les acteurs et
le territoire formeraient pour le système des « structures » qui expliqueraient « l’essentiel de ses
forces et de ses dynamiques géographiques, qui sous-tendent l’essentiel de ses distributions »
(Brunet, Dollfus, 1990, p.129). Le système est donc une clé de compréhension de l’espace : « le
géographe ne peut prétendre connaître un espace que lorsqu’il en analyse non seulement
l’organisation spatiale mais encore le système des acteurs et des actions » (ibid, p.130). Tiré des
travaux de l’écologie qui considèrent les interactions des phénomènes naturels comme un tout
(l’écosystème), le concept permet de prendre en considération toutes les composantes du terrain et
de les inclure dans un tout qui explique la structure du territoire donné.
Cela signifie, pour les auteurs cités, que la mondialisation est l’aboutissement d’un processus
qui a fait du monde un système. Et cette définition peut s’appliquer pour toute recherche concernant la
mondialisation : l’espace de production d’une grande firme transnationale, c’est le monde tout entier.
Par sa vision des choses, elle fait de la Terre, du globe, un « système de production ». Mais le monde
est aussi un système d’éléments nationaux, les Etats (ce que O. Dollfus appelle « le champ de
l’international », par opposition au « champ du transnational » des grandes firmes) ; ceux-ci sont
l’expression de l’aboutissement d’un processus d’harmonisation « à l’occidentale » des structures
politiques, harmonisation qui n’était pas évidente pour l’ensemble du monde. Finalement, ce sont des
modes de consommation aussi bien que de production, de culture ou de gestion qui se sont répandus
à travers le monde jusqu’à devenir les éléments dominants du « système-monde ».
Au terme d’une réflexion où l’accent était mis sur la signification géographique du terme de
mondialisation, il s’agit de s’atteler à décrire les modalités de l’impact de la mondialisation à l’échelle
d’une micro-région. Cela suppose une démarche et une méthode d’analyse des interactions du local
avec le global. Dans ce domaine, la réflexion d’Olivier Dollfus est particulièrement intéressante. Lui
s’attache à montrer comment les potentialités du local sont déterminantes dans la manière dont la
mondialisation va les affecter. En effet, le milieu naturel, comme le milieu humain, qui sont en
interaction pour former ce que l’on pourrait définir comme un système géographique que O. Dollfus
appelle « les héritages », jouent un rôle clé : « c’est à partir de cet apparent paradoxe entre la mobilité
des informations du capital, des biens matériels et la fixité des lieux, de ces « biens situés », ancrés
dans le sol, que les entreprises partent dans le monde « faire leurs marchés » des lieux qui vont leur
permettre de mieux réaliser leurs projets et d’atteindre leurs objectifs » (Dollfus, 1997, p.72).
13
« Biens situés » (l’expression est de Jacques Lévy), « héritages », « systèmes traditionnels » :
autant de termes permettant de désigner les territoires sur lesquels vont se superposer les structures
et les avatars de la mondialisation. Ainsi, le local entre en interaction avec de multiples autres
espaces, via des réseaux mondiaux. C’est ce qu’exprime le mot d’Olivier Dollfus que nous avons
placé en tête de cette introduction. Or, ces interventions de l’extérieur, si elles sont influencées par le
local dans leurs modalités, affectent et transforment ces systèmes traditionnels plus qu’ils n’ont jamais
été modifiés.
Dans un système, le bouleversement d’une seule de ses composantes déstabilise l’ensemble,
au point que ce système puisse changer totalement et être remplacé par un nouveau système.
2 – Une région d’étude particulière
On prend de suite la mesure de cet « arsenal conceptuel » (Dramé, 2000) qui s’adapte à
n’importe quel type d’espace. Celui qui nous intéresse est particulier. La Basse-Casamance est en
effet une région originale en Afrique par sa géographie. Les cartes de situation (cartes 1 et 2) nous
montrent un espace enclavé, serti entre la Guinée-Bissau au sud et la Gambie au nord, à l’écart des
autres régions du Sénégal. L’espace est intéressant à étudier : si l’on reprend le classement d’Olivier
Dollfus (1997) qui montre comment le local est influencé à la fois par une aire culturelle, un espace
national et le monde, on pourra dire que le territoire de la Basse Casamance se situe dans l’aire
culturelle guinéenne, et plus précisément dans l’aire des civilisations rizicoles des « Rivières du
Sud » ; il est toutefois inclus dans l’espace national sénégalais. Enfin, et de plus en plus, il subit les
influences du système-monde.
Le Blouf, cadre de notre étude, est l’un des lieux d’enracinement les plus profonds et les plus anciens
de la culture Diola (Pélissier, 1966) : l’on verra plus bas que les caractères de l’ethnie s’y retrouvent de
façon très prononcée. Situé au nord du fleuve Casamance, entouré presque totalement par un réseau
fractal de marigots ou bolons3 encadrant ses plateaux gréseux, l’arrondissement de Tendouck a une
superficie de 908 kilomètres carrés4. Cinq communautés rurales le composent, ainsi qu’une
commune, Thionck-Essyl, exclue de notre étude en raison d’une évolution particulière qui mériterait
une étude à elle seule mais en fait un cas à part, fort intéressant mais volontairement
3 Le terme marigot désigne un cours d’eau salé en zone tropicale. Le mot « bolong », que nous utiliserons par la suite, est un synonyme couramment employé en Casamance.4 Source : Plans Locaux de Développement.
14
délaissé. La population totale de ces communautés est, au recensement de 1988, seule source fiable
malgré un recensement effectué en 2002, de 32080 habitants5 ; c’est une population fluctuante en
raison de l’importance des migrations entre saison sèche et hivernage6. Espace enraciné car
favorable, doté de vastes espaces de mangrove que l’on pouvait défricher pour cultiver le riz, doté
donc de gros villages, parfois énormes : les villages de Kagnobon et Dianki comptent respectivement
3191 et 2833 habitants.
C’est sur ce postulat que vont résonner les chocs successifs des différentes phases de la
mondialisation. Le système géographique en a été profondément affecté. Tout l’intérêt de l’étude dans
cet espace particulier est là : en effet, au cœur d’une culture particulière, c’est un espace qui se
présente avec des héritages spécifiques. Or, les héritages comme on l’a vu jouent leur rôle dans les
modalités de l’impact de la mondialisation : cette articulation est à la base du système géographique
moderne.
3 – Problématiser les enjeux actuels dans le Blouf
Dans le cadre de notre étude, l’intérêt de ce préambule autour du sujet est de nous permettre
un questionnement utile dans le cadre d’une réflexion sur les impacts de la mondialisation sur une
micro-région de Basse-Casamance, au Sénégal. En effet, le système traditionnel affecté depuis fort
longtemps par un processus structurel, profond et de long terme, s’est modifié. C’est chose certaine.
L’idée est donc de replacer chacun des éléments du système socio-spatial actuel dans sa fonction,
afin de redonner une logique à l’ensemble. Telle pratique ancienne peut perdurer ; telle nouvelle peut
se développer, telle autre peut disparaître, et tout cela est sous-tendu par une logique. C’est ainsi que
progressivement, l’on en arrive à connaître les mécanismes et les mouvements de fond qui animent
« la vaine agitation des hommes à la surface des choses » (Braudel). Sans vouloir se placer
complètement dans l’optique du structuralisme, il est évident que nous emprunterons à cette école,
tant elle nous montre combien l’évolution systémique peut expliquer des mutations.
C’est donc dans le cadre d’une analyse systémique que nous plaçons notre problématique.
Dans le contexte de la mondialisation, nous nous posons la question de savoir en quoi les
mécanismes qu’elle met en branle pèsent sur la construction d’un nouveau système, et quel est-il. En
fait, cela revient à s’interroger sur la nature véritable du nouveau système impulsé par la
mondialisation.
Le système socio-spatial fondé sur l’interaction entre mondialisation et système traditionnel
Diola dans le Blouf est-il porteur d’un développement local ou d’une extraversion et une mise
sous dépendance de l’espace rural ?
5 Source : Recensement Général de la Population 1988.6 C’est pourquoi nous considérons ces chiffres avec prudence.
17
Ce questionnement n’est pas sans enjeu. Il pose la question des perspectives d’avenir de la
région. Il détermine l’avenir de l’exode rural et le maintien des forces vives dans les villages. Il
détermine plus généralement, sur le long terme, toute l’évolution géographique, permet de faire des
prévisions et de prendre un recul sur les évolutions actuelles, de manière à en saisir les implications.
4 – Une approche méthodologique comportant de nombreux obstacles
31 – L’enquête
Nous avons décidé, d’un commun accord avec notre directeur de recherche, qu’il fallait un
fondement solide à la recherche sur le terrain, qui permette de ne pas s’égarer. Il faut donc considérer
l’enquête7, réalisée auprès de 100 personnes, comme l’élément essentiel de notre travail. Cette
enquête permet d’identifier la personne de manière géographique et socio-économique, de prendre la
mesure de son parcours avant d’être au village, de sa mobilité. On a cherché à identifier ceux que,
dans la famille, l’exode rural a poussé vers les villes ; leur occupation, leur action vis-à-vis de ceux qui
sont restés. Une interrogation sur les prix a été menée également, ainsi que toutes les sources de
revenus au village. Des critères de richesse (radio, mobylette, toit de tôle, maison de ciment…) ont été
retenus ainsi qu’une évaluation de la situation agricole familiale, et des dépenses courantes de la
famille. On concluait avec des questions sur la dynamique et les projets. En somme, il s’agissait de
dresser un diagnostic familial qui rende compte le plus fidèlement possible des conditions de vie des
populations.
Cela n’a pas été simple. Compte tenu de l’analphabétisme de nombreuses personnes,
essentiellement des femmes et des anciens, il nous a fallu un interprète, ce qui a évidemment facilité
le travail. L’ensablement des pistes et des chemins, l’usage de la bicyclette nous ont contraints à se
limiter à la communauté rurale de Mangagoulack. Toutefois, ce moyen de locomotion de même que la
simplicité de nos conditions de vie ont installé un climat de confiance qui a permis le bon déroulement
des enquêtes et l’accord de toutes les personnes interrogées. Au fur et à mesure, de nouvelles
interrogations apparaissaient ; de plus en plus, on a été amenés à cibler une certaine catégorie de
personnes, les jeunes de 25 à 45 ans qui restent pour s’occuper de leurs parents ; ils sont au fait de
toutes les affaires de la famille. Mais certains enquêtés ignoraient des éléments. Il est possible que
d’autres en aient caché, caché des soutiens en argent par exemple. Mais l’enquête sur les dépenses
trahit le décalage qui existe. En somme, c’est essentiellement sur l’évaluation financière qu’a reposé
la difficulté, le point essentiel mais aussi le point délicat : une somme gagnée est dépensée et il fallait
parfois de l’ingéniosité pour évaluer le bénéfice d’une activité.
L’enquête avait pour objectif de saisir les formes de réaction et de pratique des populations face
aux mutations ; il semble atteint en grande partie.
7 Le questionnaire est donné en annexe.
18
32 – Organismes et sources de documentation
L’autre versant important du travail fut la rencontre avec de multiples organismes8 et
administrations. Le plus difficile fut d’avoir des rendez-vous, et de pouvoir rencontrer les responsables
(même lorsque les rendez-vous étaient fixés). Les organisations ne divulguent rien sans l’accord
préalable et la rencontre avec les autorités supérieures ; heureusement le grand nombre de
personnes à rencontrer permit de combler les moments creux. Toutefois, ces responsables, sur la
base d’une grille d’entretien9, apportèrent la plupart du temps des renseignements précieux et des
documents intéressants, surtout lorsque ceux-ci étaient sur informatique. C’est ainsi que nous avons
pu nous voir remettre les cartes IGN scannées au 50000e de la région ainsi qu’une multitude de cartes
thématiques sur le Sénégal et la région de Ziguinchor, et de nombreux rapports d’ONG sur leurs
travaux dans le Blouf10.
Il a manqué toutefois un parcours balisé, puisque c’est à partir des indications dans les villages
que nous avions eu les contacts de ces organismes, qui nous renvoyaient eux-mêmes vers d’autres.
La coordination n’existant pas, sauf peut-être à travers le CONGAD* (Coordination des Organisations
Non Gouvernementales pour l’Action sur le Développement) qui nous a donné une liste.
Probablement d’autres organes auraient été intéressants à rencontrer.
33 – Associations villageoises, groupements d’intérêt économique et associations de
ressortissants
Le troisième volet du triptyque fut une série d’entretien avec des responsables d’association et
de Groupements d’intérêt Economiques (GIE*) locaux, ou d’expatriés originaires du village. Une grille
d’entretien, là encore, avait été préparée. Dans la communauté rurale de Mangagoulack, le
recensement des associations et des GIE et la rencontre des responsables fut systématique. Ajoutons
que les responsables des infrastructures comme l’école étaient aussi rencontrés. Dans le reste du
Blouf, l’étude s’est fondée sur la consultation des Plans Locaux de Développement (PLD*), documents
à l’usage des bailleurs de fonds, et des journées de rencontre plus rapides, dans chaque communauté
rurale. Ces entretiens furent très riches et l’on peut dire que s’ils n’apportent pas forcément de
données précises, ils sont du moins à la base de la réflexion. Tout aussi riches furent les longs
entretiens, en ville, avec les responsables des associations de ressortissants11 des villages, pour les
neuf villages que compte la Communauté rurale de Mangagoulack. Il a manqué peut-être le moyen,
dans les villages, de prendre des rendez-vous, mais cela aurait aussi allongé le temps d’entretiens
8 Se reporter à la liste des sources.9 La grille d’entretien est donnée en annexe.10 Quelques rapports sont donnés en annexe.11 Nous utiliserons souvent le terme de « ressortissants ». Au Sénégal, il désigne dans les villages ceux qui sont en ville mais issus de ce village.
19
que nous faisions le plus rapidement possible faute de temps. Toutefois, cette partie du travail n’a pas
soulevé de difficultés particulières.
Nous ne serions pas exhaustif si nous laissions de côté le travail bibliographique d’un semestre,
la moitié du travail finalement puisque c’est lui qui nous a permis d’entrer en Casamance avec des
connaissances indispensables, d’interpréter ce que nous pouvions constater avec les grilles offertes
par cette généreuse littérature. Car la Casamance a été l’objet de nombreuses publications
scientifiques – n’est-ce pas déjà une forme de mondialisation ? et très complètes. Cependant, il
manque à cet éventail des études géographiques régionales prenant en compte toutes les
composantes du système. D. Avenier-Sharman (1987) avait fait un travail de ce type, mais l’espace
comme le temps sont différents. Il n’est pas inintéressant de revenir sur le terrain quelque 18 ans
après.
Cette bibliographie abondante nous a appris la recherche bibliothécaire, et cela n’a pas été
sans problèmes puisqu’il a souvent fallu commander à d’autres universités des mémoires ou thèses
que l’on ne trouvait pas à Nantes, avec un temps limité pour les lire. Cette bibliographie est donc très
loin d’être complète ; mais elle a le mérite d’un tour d’horizon intéressant.
Il ressort de ce travail d’entrée en matière la décision d’établir pour ce mémoire un plan qui
ferait l’examen des modalités, puis des implications, et enfin des conséquences et enjeux de l’impact
de la mondialisation dans le Blouf.
- Dans un premier temps, il s’agira de mettre en lumière les spécificités de l’espace ; nous
montrerons de quelle manière et pour quelles raisons s’est effectuée son évolution, entre
héritages traditionnels et processus de mondialisation ;
- Ensuite, nous nous attacherons à démontrer la présence d’un système totalement extraverti
qui a vu la mise en place de mécanismes d’autoreproduction permettant une alimentation
extérieure des villages, qui devient de plus en plus une forme de villégiature ;
- Nous pourrons de là en tirer les conséquences géographiques et les enjeux d’un tel système.
Cela nous amènera progressivement à disserter des perspectives d’avenir.
PREMIERE PARTIE
Le Blouf : une micro-région originale au sein du Sénégal
20
Introduction : des héritages à la mondialisation, d’une spécificité à
l’autre
Il ne s’agit pas ici de faire une description exhaustive de l’espace étudié. Comme il a été
démontré en introduction générale, le territoire affecté par les mécanismes de la mondialisation existe
avant même d’être relié au monde. Et justement, c’est par cette existence préalable, par ce que l’on
peut appeler des « héritages », que les mécanismes de la mondialisation s’exercent différemment
entre les lieux, et que leurs destins divergent. Il convient donc de juger des spécificités de ce que l’on
appellera par commodité « le Blouf », qui est au niveau administratif l’arrondissement de Tendouck, un
regroupement de cinq communautés rurales du Sénégal, composé de 21 villages. C’est en effet à la
lumière de ces spécificités territoriales, tant physiques qu’humaines, mais bien souvent les deux
s’enchevêtrent, que l’on pourra lire et comprendre les impacts de la mondialisation en ce lieu précis.
Or, à tous points de vue, il s’agit là d’un espace tout à fait exceptionnel, et c’est ce que nous allons
tenter de démontrer.
1. Milieu naturel et civilisation
On s’attachera sans cesse, dans cette première esquisse du territoire étudié – on parlera
encore de « système traditionnel » par opposition à « système modernisé » ou, mieux encore,
« système mondialisé » – à faire la comparaison avec le reste du Sénégal, notamment avec la partie
située au nord de la Gambie et à laquelle la Casamance, et le Blouf avec elle, a été rattachée. Les
différences sont de taille, que ce soit du point de vue physique, climatique, que culturel ou humain, et
jouent un rôle essentiel dans la compréhension du sujet.
11. Le Blouf : un milieu particulier
Situé au nord du fleuve Casamance, encadré par les marigots de Bignona et de Baïla, au nord-
ouest de la capitale de la Casamance historique, Ziguinchor, devenue aujourd’hui capitale de la
Basse-Casamance (administrativement région de Ziguinchor), le Blouf est, comme l’on va le voir, une
des régions les plus représentatives de la Basse-Casamance, une sorte d’archétype au sein d’un
espace déjà fort original.
111. Un climat spécifique
21
On pourra observer la superbe photographie satellite du Sénégal (document 1),
gracieusement fournie par l’Agence Régionale de Développement à Ziguinchor, tirée de la base de
données de l’ESA. En plus d’être de très bonne qualité, elle a l’avantage de montrer immédiatement la
spécificité de l’espace. Il se situe en effet, selon M. Leroux (citée par D. Avenier-Sharman, 1987) dans
le domaine sub-guinéen maritime, une variante maritime du climat soudanais. Trois centres d’action
provoquent des phénomènes météorologiques : l’anticyclone des Açores (alizé maritime s’exerçant de
novembre à mai), l’anticyclone du Sahara qui envoie un vent sec, l’harmattan, de octobre à avril ; enfin
l’anticyclone de Sainte-Hélène (alizé austral). Au total, on a une saison sèche de novembre à mai et
une saison humide ou hivernage de juin à octobre, sorte de « mousson africaine » issue de l’inversion
de l’alizé venu de l’anticyclone de Sainte-Hélène et dévié à la hauteur du Nordeste brésilien, lorsqu’il
passe l’équateur. Chargés d’humidité, ces vents viennent apporter entre mai et novembre des
précipitations qui renforcent le passage de la convergence intertropicale, amas de nuages qui
apportent leurs pluies aux régions équatoriales, à ce moment. Ces pluies se dégradent très
22
rapidement vers le nord et l’est, ce qui fait que la Casamance et notamment la Basse Casamance
connaît un climat au potentiel intéressant, à commencer par la présence sur les plateaux d’une forêt
sèche, ou mésophile. En somme, on trouve là des pluies en abondance ; mais elles sont très
concentrées, essentiellement, selon les mots des habitants du village, entre juillet et septembre ; qui
plus est, elles sont extrêmement irrégulières et semblent à la baisse, avec l’ensemble des zones
sahéliennes, depuis une trentaine d’années (Avenier-Sharman, 1987).
Le plan local de développement (PLD*) de la Communauté rurale de Mangagoulack donne pour
les dernières années les indications suivantes : « durant les 3 dernières années, le régime
pluviométrique de la communauté rurale s'est amélioré bien que les pluies annuelles enregistrées
soient inférieures à la moyenne estimée à 1500 mm (1999 : 1379,4 mm en 90 jours ; 2000 : 1203,4
mm en 72 jours ; 2001 : 1153,1 mm en 66 jours ; 2002 (jusqu’en fin septembre) : 782,9 mm en 37
jours) »12. Le graphique 1 est révélateur de la diminution de la pluviométrie en Casamance.
12 Groupement de Recherches en Développement Rural (GRDR), Communauté rurale de Mangagoulack, Plan Local de Développement (PLD), Ziguinchor, 2002.
23
Ce climat est très spécifique par rapport au reste du Sénégal, beaucoup plus sec. Mais il est
une autre donnée importante dans le milieu naturel : c’est la symbiose étroite entre zones sèches et
des zones humides.
112. L’entremêlement de la terre et de l’eau
On peut classer la Casamance dans les « rivières du sud », région naturelle située entre la
Gambie et le Liberia. Toute la Basse-Casamance est en fait un ancien golfe, ennoyé lors de la
transgression nouakchottienne (environ 6000 BP ; Cormier-Salem, 1989). Les espaces de plateau
sont d’anciennes îles, et des cordons sableux se sont développés pour barrer l’entrée du golfe,
permettant l’envahissement de la slikke par la mangrove. On distingue donc trois types de terroirs : les
24
espaces aquatiques proprement dits, correspondant au fleuve et aux marigots qui s’y jettent,
entièrement soumis au régime des marées et des précipitations ; les espaces de mangrove ; les
espaces de plateau enfin. La carte 3, simple carte IGN, très ancienne, montre extrêmement
clairement ce phénomène d’entremêlement. Or, la conjonction de ces deux caractéristiques que sont
le climat plus humide qu’au nord et la présence de vastes zones ennoyées nous donne un milieu
naturel favorable à un phénomène sénégalais que l’on ne retrouve que dans la vallée du Fleuve
Sénégal, tout à fait au nord du pays, mais qui est si différente du reste du pays que P. Pélissier l’a
dédaigné dans son œuvre monumentale sur Les paysans du Sénégal (Pélissier, 1966) : il s’agit de la
possibilité de stocker l’eau pour y pratiquer des cultures inondées .
113. Une région où ces spécificités sont accentuées
Or, le Blouf, justement, est l’une des micro-régions de la Basse-Casamance où de telles
caractéristiques sont les plus accentuées. C’est un espace, comme on le voit sur la carte 3, à l’est, qui
a l’avantage d’avoir ces espaces de mangrove en abondance tout en conservant de larges espaces
de plateau qui permettent à la vie de se développer. Sur la carte, les rizières sont abondantes aux
abords du plateau du Blouf. Or l’on constate que de tels espaces ne se retrouvent pas au nord de la
Basse-Casamance, ni à l’est : ils sont à la fois trop peu arrosés, la mousson s’exerçant à partir du
sud-ouest, et trop relevés. Dans son étude sur la vallée de Bignona, c’est-à-dire la limite est de
l’arrondissement de Tendouck, D. Avenier-Sharman (1987) montre clairement que la vallée, vaste
marigot au sud – c’est-à-dire au droit du Blouf – n’est qu’une simple gouttière au nord. On a donc un
espace potentiellement très riche, puisqu’il est très varié : c’est un finage composé de plusieurs
terroirs, comme le montrent les photographies n°1, 2 et 3.
Photographies n°1, 2 et 3 : Trois terroirs principaux composent le milieu traditionnel du Blouf : le plateau (1, à Boutœum), au-dessus des zones inondables ; les espaces de rizières dans les zones semi-inondables (2, à Tendouck) ; les zones submergées avec mangrove (3, au sud d’Elana). Clichés n°1 et 2 : J. Parnaudeau. Cliché 3 : J. P. Glotin, association un.
On a donc, d’un côté, l’espace aquatique, envahi par l’eau de mer – n’oublions pas le mécanisme de
la transgression – et formant un entremêlement de bras appelés communément « marigots » ou
« bolons » ; il n’est pas nécessaire, dans le cadre de cette étude, de différencier les termes, et nous
utiliserons aussi bien l’un que l’autre. On trouve ensuite les espaces vaseux, envahis par la mangrove,
parfois restant nus à l’état de tannes. Pour finir, c’est le plateau : la limite avec les espaces plus bas
est brutale, marquée par un talus souvent haut de dix à quinze mètres et un changement radical dans
la distribution de la végétation. C’est l’espace de la forêt sèche, peuplée d’arbres tels que le palmier
rônier, le fromager, le baobab, le palmier à huile ou encore le manguier.
26
Il ressort de la présentation de ce milieu naturel une évidence : la forte potentialité de
peuplement et l’abondance des ressources naturelles. C’est ainsi que se sont établis sur ces terres
des peuples dont on peut dire qu’ils ont façonné ces terres tout comme ils ont été façonnés par elles.
A tous points de vue, l’anthropisation du Blouf est à part par rapport au reste du Sénégal : d’abord par
sa densité même, ensuite par la culture que la symbiose entre l’ethnie Diola, qui peuple le Blouf, et le
milieu naturel, a contribué à créer, et qui est absolument fondamental dans l’optique de cette étude.
12. Un espace fortement humanisé
En guise d’introduction, nous pourrons retenir ce chiffre assez significatif : en Basse-Casamance, qui
ne représente qu’un tiers de la superficie de ce que l’on nomme la « Casamance naturelle » (cf carte
1) se concentrent, dans les années 1960, environ 45 % de la population. C’est dire si cet espace aux
fortes potentialités, que l’on ne retrouve pas en Moyenne ni en Haute Casamance, est anthropisé.
Mais cette anthropisation ne s’arrête pas aux chiffres et à la population : elle a en effet des
caractéristiques très particulières.
121. L’enracinement des hommes
Il semblerait, toujours avec P. Pélissier (1966) que le peuple Diola soit le plus ancien du Sénégal avec
les Baïnouk, peuples de la forêt. Arrivés depuis l’est, originaires des forêts guinéennes, il s’agit de
peuples poussés par la pression démographique qui se sont installés depuis au moins le XVIème
siècle, puisque les Portugais les ont trouvés sur place en débarquant à Carabane, la première île de
l’estuaire. Appelés sous le nom générique de Diola, ils se sont diffusés, semble-t-il, à partir du sud du
fleuve Casamance, à partir de morceaux de famille qui se détachaient. C’est ainsi que les habitants de
Thionck Essyl, commune comprise dans le Blouf mais que nous avons exclu de l’étude – étant passée
sous statut urbain – seraient originaires d’Essyl dans le département d’Oussouye (appelé parfois le
« Kassa » ou le « Royaume ». Ces peuples maîtrisaient très bien les cultures inondées et ont
développé la riziculture grâce à l’atout principal de cet espace particulier : les possibilités de stockage
de l’eau. Ce paysage agraire s’est construit au prix d’efforts considérables, en raison du nécessaire
défrichement de la mangrove avant dessalement des terres envasées. Nous reviendrons sur la
riziculture, car elle est un trait essentiel – le trait essentiel – de la culture Diola. Contentons-nous pour
le moment de montrer combien ces techniques culturales ont permis une solide et durable
implantation des hommes, par un cercle vertueux bien connu et mis en lumière par Pierre Gourou
dans Riz et civilisation (Gourou, 1984). La riziculture demandait beaucoup de travail, et donc de bras :
plus on avait de bras, mieux on pouvait produire et donc nourrir ces bras. Il n’est pas étonnant, ainsi,
que les espaces les plus enracinés soient restés longtemps les plus peuplés. Le document 2, tiré de
P. Pélissier (1966), nous montre une carte des densités de population, tout aussi
27
éloquente que les chiffres et que la carte 4, réalisée par le Centre de Suivi Ecologique à Dakar et
gracieusement mise à notre disposition par l’Agence Régionale de Développement à Ziguinchor. La
densité de population par communauté rurale est, à l’exception du bassin arachidier à l’ouest du pays,
qui est aussi la grande région de Dakar, plus importante qu’ailleurs en Casamance, et au sein de la
Casamance, plus importante dans les communautés où se produit cette symbiose entre terre et eau, à
peu près sur les bords du fleuve et dans les zones les plus enracinées, dont le Blouf fait partie.
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122. Le Blouf des « gros villages »
C’est D. Avenier-Sharman (1987) qui a le mieux, à nos yeux, mis en évidence la dichotomie
entre Blouf et Fogny, entre deux visages de la Casamance, l’un au sud de la vallée de Bignona, l’autre
au nord : le Blouf, archétype du milieu arrosé et diversifié, est fait de regroupements en nébuleuses
sur les espaces de bordure entre plateau et terres de rizières, pour des raisons évidentes de
placement au plus près des zones productives. A l’opposé, le Fogny déploie sur ses plateaux séparés
par de maigres espaces dépressionnaires et très souvent à sec des myriades de villages parfois
minuscules. La carte 5 tente d’exprimer ce phénomène. On explique assez facilement cette
concentration humaine, avec deux facteurs principaux : d’une part, la plus grande densité des
hommes permise par l’abondance des cultures ; d’autre part, la concentration nécessaire sur ces
fameux espaces de lisière. Ajoutons que le Fogny étant moins riche en terres rizicultivables, il a été
peuplé tardivement, donc son humanisation est moindre, simple résultante de la pression
démographique. Tout ceci intervient pour démontrer combien, au sein même de la Casamance, le
Blouf est une région particulière, et que cette situation va lui conférer, aux temps de la modernisation
et de la mondialisation, une direction toute différente à celle que prendra le Fogny. C’est ainsi que P.
Pélissier nous montre des villages en bordure des plateaux, linéaires ; un peuplement qui se fait par
densification et nouveaux défrichements. Les terres à riz s’opposent aux champs de culture sèche.
Les villages sont une juxtaposition de fermes familiales. Chaque quartier est un développement sur
place d’une famille. A l’opposé, le Fogny, surtout dans sa partie septentrionale, a longtemps servi de
no man’s land entre les peuples Diola au sud et Mandingues au nord, avant d’être peu à peu peuplé.
Cette comparaison entre Blouf et Fogny est particulièrement intéressante pour montrer cette profonde
particularité du Blouf. P. Pélissier (1966) s’aventure même à dire que « nul terroir africain n’est plus
profondément aménagé » (p. 850). Et ces deux directions s’expriment à travers les mots de D.
Avenier-Sharman (1987), qui montre dans son introduction que le système est modernisé et prédateur
au nord, traditionnel et rizicole, mais désorganisé au sud. Bien entendu, au terme de presque vingt
années, il convient de replacer ces propos dans leur contexte ; néanmoins, ils sont significatifs.
123. Prospérité et enclavement
La contrepartie de ces fortes concentrations humaines se trouve, curieusement, dans la très faible
implication de ces peuples dans les affaires des autres. On peut même dire sans mentir que les Diola
ont vécu très longtemps dans une complète autarcie. Rien à voir, par exemple, avec le Nord du
Sénégal où les peuples ont toujours dû compter avec les autres, qu’ils soient envahisseurs ou
partenaires commerciaux. C’est ainsi, par exemple, que l’islam s’est répandu sur les terres des
ethnies Wolof et Sérère. En revanche, les Diola, bénéficiant justement de terres capables de les
nourrir sans recours à d’autres ressources telles que le commerce, ont été amenés à un repli sur leurs
propres terroirs. Ce phénomène se retrouve au niveau du village et même au niveau des familles.
Pierre Gourou (1984) a fait la distinction dans le système Diola entre la perfection des techniques
30
d’exploitation et l’absence de techniques d’organisation de l’espace. Une farouche opposition à toute
administration les caractérise. Les Français travaillèrent de 1836 à 1914 pour coloniser, obligés qu’ils
étaient de traiter avec chaque village (Roche, 1985). En fait, les Diola se révoltent contre toute forme
d’autorité. Les vendettas entre villages expriment leur désunion. Le colonisateur a eu bien du mal à
établir des circonscriptions. Ces comportements se maintiennent toujours. En fait, il n’y a pas dans
ces sociétés de hiérarchies sociales ; on ne trouve qu’une juxtaposition de familles paysannes
(Pélissier, 1966). Bien entendu, ce phénomène est fortement accusé dans le Blouf, puisqu’il constitue
31
comme on l’a vu l’un des cœurs, l’un des nœuds de la culture Diola. Retenons donc ceci : le système
traditionnel Diola, parce qu’il permet de vivre en complète autarcie, a également longtemps freiné
toute forme de friction avec les autres peuples, et a donc préservé un isolement quasi-total.
Cet état de faits, que l’on ne fait qu’esquisser, concerne le plan que l’on peut qualifier de socio-
économique de la vie dans les villages, pragmatique en quelque sorte. Mais il en est un autre, le plan
culturel, que nous allons développer à présent car on verra que la culture Diola est indissociable des
mutations modernes en lien avec la mondialisation. Et nous avons choisi de regrouper l’étude de cette
culture sous le terme de « civilisation du riz », comme en écho au titre de l’ouvrage de P. Gourou
(1984). En effet, c’est à partir de ce système rizicole profondément africain que l’on peut décliner la
culture Diola.
13. Une civilisation du riz
Selon P. Pélissier, l’ethnie Diola est née de la manière même dont elle cultivait la terre. L’étude
linguistique montre qu’il n’y a pas un peuple Diola unique. Comme on l’a dit, ces peuples étaient
extrêmement isolés. En fait, peu importent les types ethniques : on cultive le riz, donc on est Diola. Et
c’est à la manière d’un ethnologue qu’il nous parle : « la personnalité ethnique des Diola est
éminemment géographique, tandis que pour la plupart des populations qui les environnent elle reste
(…) essentiellement biologique » (Pélissier, 1966, p. 663).
131. Stockage de l’eau et riziculture
On trouve dans ces systèmes de production une parenté avec la Guinée : on peut parler d’aire
culturelle commune. C’est ainsi que la civilisation du riz Diola est véritablement africaine : En fait, la
riziculture y est toute en paradoxes. D’une part, l’aménagement des rizières est remarquable par l’art
de la transformation des zones inondables. Là poussent en effet les riz les plus productifs et les plus
exigeants en eau. D’où la nécessité de construire des digues ; les secteurs les plus bas, les plus
lourds, sont les meilleurs. Les rizières profondes, les plus remarquables, sont poldérisées par une
grande digue d’environ un mètre de haut pour un de large à la base, avec des drains pour évacuer les
eaux ou remplir les rizières. Au pied de ces digues, on place un fossé de drainage. On défriche
ensuite la mangrove, et le bois est récupéré. On procède au dessouchage. Enfin, lors des hivernages,
on fait entrer l’eau douce puis on l’évacue pour dessaler. Deux à trois ans après, on laboure, puis on
dessale à nouveau. Le sel reste dans les couches profondes, provoquant un danger de remontée par
capillarité ; il faut relaver au début de la saison des pluies. Mais d’autre part, aucune modernisation
dans ce système, un archaïsme des origines : depuis des générations, les procédés de repiquage, de
construction des digues, de labour, sont les mêmes. Pas de traction animale : les hommes labourent
et construisent les digues à l’aide du kadiandou, outil rudimentaire présenté sur le document 3. Et
pourtant, les soins apportés à cette culture sont particulièrement méticuleux, au point que les
rendements y étaient très satisfaisants. Et ce sont donc les parcelles les plus vastes, aux digues les
33
plus hautes, aux sols les plus lourds, qui donnent les meilleurs rendements et les riz les plus tardifs.
Surtout, ce sont les plus représentatives de la culture Diola, et aussi les plus exposées en cas de
crise, les plus rapidement abandonnées. Les finages qui disposent en la plus grande quantité de tels
espaces sont aussi ceux où la culture Diola est la plus enracinée, la plus solide, la moins sujette aux
influences extérieures : c’est précisément le cas de l’arrondissement de Tendouck. La photographie
n°4, tirée de Paul Pélissier (1966), est représentative de cette époque de plein essor des cultures
rizicoles.
34
Photographie n°4 : la « Casamance heureuse », du temps des belles et profondes rizières (Photo Paul Pélissier, 1966).
Cette présentation serait inutile si l’on ne précisait pas son intérêt pour l’étude. Curieusement,
en effet, les villages les moins modernisés sont, précisément, ceux qui ont les cultures les plus
savantes ; c’est ainsi le cas du Blouf. La modernisation semble donc être une fonction inverse de la
puissance de la culture rizicole, à moins que ce ne soit le contraire : et c’est là un point sur lequel il
convient de s’arrêter.
132. Rizières et résistance à la modernité
On constate, à la lecture des écrits de P. Pélissier, le poids extrêmement lourd des traditions,
nécessaires à la survie et à la prospérité de la société : les obligations diverses étaient auparavant
très fortes, les deux plus contraignantes étant la retraite prolongée et ascétique des jeunes gens
effectuée dans un bois sacré sous la tutelle des prêtres et des anciens, au moment de la circoncision,
pour revenir imprégnés des principes Diola (ils renaissaient alors), ainsi que l’obligation de la
maternité des femmes32. Les Diola sont en outre manière attachés aux valeurs concrètes ; âpres et
peu hospitaliers pour les étrangers, ils cultivent le travail et la force physique dont la lutte est
l’expression. D’où une réputation usurpée de brutalité et de sauvagerie. Le climat religieux est très
important, ponctué d’une somme d’interdits. Les boekin sont les esprits, habitants de la nature, qui
permettent de dialoguer avec Ata Emit, l’Esprit suprême (Thomas, 1959). Les prêtres ou féticheurs
établissent les interdits qui conditionnent la survie de la société. Le pragmatisme et la religion sont
extrêmement liés, cette dernière étant le trait d’union entre homme et milieu. Il eût été décevant, pour
un étudiant découvrant l’Afrique, de ne pas glisser un mot sur les pratiques religieuses traditionnelles
(que l’on dit aussi « animistes »). Aussi éloignées qu’elles puissent sembler de notre sujet, elles jouent
un rôle dans la démonstration.
Ces contraintes sont très représentatives du panel de traditions qui n’avaient qu’un but, comme
il a été souligné : viser à l’auto-reproduction de la société en minimisant les risques de déstabilisation.
Et nous rejoignons ici notre fil conducteur qui part de la riziculture et aboutit à la construction de la
société ; mais pour ce faire, il faut s’improviser, le temps d’un paragraphe, ethnologue ou sociologue.
35
On comprend en effet qu’une telle société ait à se pérenniser, puisqu’elle est bâtie sur le
principe du cercle vertueux de la riziculture. Comme dans la plupart des sociétés traditionnelles, le
système en se modernisant risquait d’être déséquilibré par une baisse des besoins en main-d’œuvre,
et donc la marginalisation d’une partie de la population. Voilà aussi pourquoi la commercialisation du
riz ne pouvait se concevoir. Tous les spécialistes de la question ont pu observer, dans les greniers qui
servaient de réserve, des bottes de riz vieilles de dix à vingt ans : on capitalisait le riz en plus.
L’épargne était représentée par du bétail que l’on échangeait contre du riz aux Peul du haut pays, et
qui vagabondait dans les rizières à la saison sèche, permettant la fumure des champs.
On conçoit, dans ces conditions, que religion et pragmatisme fussent extrêmement liés, puisque
la religion était le support de la conservation d’une société en l’état. On peut concevoir que cette
ethnie remarquable, marquée par des procédés culturaux extrêmement complexes, ait toujours tenu
l’étranger comme un perturbateur, et par suite ait toujours jalousement combattu ce qui venait de
l’extérieur. Il le combattait encore jusqu’à une date récente, avec des armes plus modernes…
133. Une société profondément égalitaire
Cependant, au-delà de ces innombrables contraintes sociales, la civilisation Diola a ceci de
remarquable qu’elle n’est gouvernée par aucune hiérarchie. Chaque famille est son propre maître,
tout au plus élit-on un chef de village. On peut expliquer cela, encore une fois, par la possibilité de
vivre en parfaite autarcie et sans avoir recours aux échanges. N’oublions pas, non plus, que chaque
quartier ou morceau de village était la conséquence de l’étalement sur place d’une seule famille, d’une
seule souche qui s’était installée ici à la base, en totale liberté. De même, il s’agit de peuples installés
à la suite d’expansions démographiques ; les premiers arrivés étaient bien souvent de personnages
aventureux, qui ont tout construit de leurs mains. Là encore, rien à voir avec les sociétés islamisées
depuis longtemps au nord du Sénégal, où la religion a mis en place des couches sociales dans des
ethnies déjà prédisposées à cela, quand elles n’étaient pas déjà hiérarchisées. En effet, la présence
de territoires plus secs passe souvent par la nécessité des échanges, et donc souvent de structures
politiques plus élaborées ; le commerce a de plus amené l’islam et son organisation. Mais nous
sommes ici dans le territoire de la forêt, une aire culturelle guinéenne, l’Afrique des ethnies tribales, et
le système géographique traditionnel dans le Blouf est enclavé, peu ouvert, peu organisé
politiquement. Si nous restons dans le cadre de notre sujet, le fait que cette société soit si égalitaire,
outre que c’est un phénomène remarquable au Sénégal, aura son importance dans le cadre de
l’intervention sur cet espace de facteurs extérieurs.
Le riz n’est donc, dans ce cas, pas seulement une source d’alimentation. C’est lui qui est à la
base de la richesse et du prestige : nul organe de commandement, chefferie ou tribu, nulle
spécialisation héréditaire dans le travail ou les charges ; les qualités de l’individu sont intrinsèques.
Cela explique, bien entendu, la disposition anarchique des villages, aux cases groupées par lignages
en quartiers, puis en villages.
36
Un système traditionnel que l’on peut qualifier d’ autarcique, malgré des échanges restreints à
une forme de coopération avec les Peul13, vient donc d’être dégagé. En réalité, celui-ci est quasiment
utopique ; cela fait pratiquement quatre siècles que les Européens sont présents en Casamance, et il
s’agit d’évaluer la portée de leur action. La colonisation a en effet changé bien des choses, sans que
l’on puisse dire que le système ait changé en profondeur. Et il s’agit, dans les prochaines réflexions,
de se demander jusqu’où, en définitive, on peut pousser l’étude d’un système traditionnel tant qu’il n’a
pas disparu.
2. Le Blouf entre colonisation et indépendance
C’est, comme on l’a vu, entre 1836 et 1914 que le Blouf est colonisé par les Français, qui ont
chassé les Portugais, premiers arrivés dans la région. Ils en font un canton dont l’arrondissement
actuel reprend les limites. Nous devons considérer la colonisation comme une forme de
mondialisation à part entière. Par son essence même, puisqu’elle concourt à « l’internationalisation »
du monde, qui est pour Dollfus la première forme, le premier avatar de la mondialisation, tout comme
par ses actions et les mutations qu’elle a engendrées, capitales dans l’évolution de cette micro-région,
la colonisation est un profond facteur de mutation, qu’il ne faut pas négliger. Il nous faut toutefois nous
demander en quoi la colonisation a été originale dans le Blouf. Or, en raison même des particularités
de l’espace étudié, la colonisation s’est traduite ici par de fortes spécificités par rapport au reste du
Sénégal, sur lesquelles nous allons nous attarder.
21. Une puissante colonisation d’inspiration chrétienne
Si la colonisation a été française ici comme dans le reste du Sénégal, elle a cependant, sur
deux aspects, des caractéristiques qui lui sont propres : d’une part, la puissance des missions
catholiques, favorisée par une faible pénétration de l’islam ; d’autre part, une relative autonomie par
rapport au reste du Sénégal, tout le transit de marchandises s’effectuant, par exemple, depuis le
fleuve Casamance et Ziguinchor, sans passer par Saint-Louis ou Dakar lorsque celle-ci est devenue
capitale de l’Afrique Occidentale Française (AOF).
211. Faible pénétration de l’islam et missions catholiques
13 Les Peul gardaient souvent les troupeaux dans les rizières moissonnées, ce qui enrichissait la terre. En échange, les Diola leur laissaient le lait de leurs vaches. Le bétail était une forme d’épargne chez les Diola, et surtout une preuve de richesse et un élément de prestige (d’après Pélissier, 1966).
37
Photographie n°5 : La mission catholique d’Elana, la plus grande du département de Bignona, a joué un rôle très fort au niveau de la scolarisation. Elle est aujourd’hui à l’état de semi-abandon (cliché J.P.)
Il nous faut reprendre ici les propos issus de l’excellente thèse de Vincent Foucher, condensée
dans un article de l’ouvrage coordonné par M. C. Diop (2002). L’auteur y présente un travail original
sur le rôle de l’école en Basse-Casamance. Il est clair que l’islamisation a été longtemps absente du
territoire Bas-Casamançais, à fortiori du Blouf. P. Pélissier (1966) nous apprend quant à lui que c’est
vers la fin du XIXème siècle que commence, peu à peu, l’islamisation du nord et de l’est de la région
sous l’influence des marabouts Mandingues, qui jusque là restaient cantonnés au-delà d’une sorte de
« no man’s land », parcouru notamment par les Baïnouks, peuples de la forêt. Si les Français ont plus
ou moins favorisé l’expansion de l’islam vers le sud, à travers notamment l’ouverture de la traite de
l’arachide aux marabouts, et cela dans le but d’asseoir leur domination sur les peuples Diola, il n’en
reste pas moins que la Basse-Casamance et notamment le Blouf ont pu être fortement christianisés.
L’exemple est donné dans le Blouf par la grande mission catholique d’Elana (photographie n°5),
implantée quasiment à la fin de la colonisation, en 1954. Une autre, plus petite, se trouve à Affiniam.
Des églises ont peu à peu été construites, une partie de la population étant restée catholique malgré
une islamisation massive après l’indépendance (carte 6).
Cela a des conséquences extrêmement importantes selon P. Pélissier. En effet, on constate des
transformations, d’abord dans l’habitat : la cellule familiale éclate, l’agglomération se discipline, se
centralise par sa place et sa mosquée. L’évolution sociale entraîne le reste : la place de la femme
change, les procédés de production évoluent. Les hommes se concentrent sur les cultures sèches de
rente, les femmes seules restent en rizière. D’où une forte mutation, les femmes étant trop faibles
pour manier le kadiandou. Elles utilisent l’efanting léger des Manding, d’où une culture à plat, et une
suppression des rizières profondes. Les soudures sont plus délicates, les cultures d’appoint
deviennent plus nécessaires. L’économie devient Manding, le système hiérarchisé et prédateur. En
revanche, dans le Blouf, rien de tout cela : la christianisation a arrêté le processus. Elle au contraire
n’entraîne pas de changements fondamentaux dans les pratiques sociales, c’est pourquoi on peut
parler d’un milieu qui reste traditionnel. Il est frappant de constater combien deux types d’héritages, en
réagissant différemment à des influences extérieures, peuvent s’écarter l’un de l’autre. Ainsi, dans le
Blouf, l’homogénéité du milieu est indiscutable.
38
Mais la christianisation, corroborée encore par J.-C. Marut14 (com. pers., février 2005,
Ziguinchor), a une autre conséquence, peut-être plus frappante encore par ses conséquences : c’est
la mise en place de la scolarisation française.
212. L’école et le Diola
La scolarisation intéresse notre sujet au plus haut point, car elle est à l’origine du plus fort exode rural
du pays15. V. Foucher (in Diop, 2002) nous montre que la zone la moins scolarisée du Sénégal est le
cœur du territoire des Mourides, la plus grande confrérie musulmane du pays. L’islam offre en effet
une alternative à l’école française qui a nui au développement de celle-ci dans le reste du Sénégal. En
revanche, l’école pouvait en Casamance trouver sa pleine mesure, et surtout, bien entendu, dans les
lieux où le christianisme était le plus répandu : il est assez notoire que les premières écoles coloniales
étaient dirigées par des missionnaires, qui « élevaient les âmes » en
14 Auteur d’une thèse sur le conflit en Casamance (v. bibliographie)15 Comme il sera montré à la page 46.
39
même temps qu’ils éduquaient les enfants. On peut prendre quelques exemples pour montrer
combien est ancienne la scolarisation dans le Blouf : selon le président de la section du village de
l’association « Renaissance de Dianki » et rencontré dans ce village (voir carte 2), la première école
du Blouf est celle de Bessir, construite en 1927 ; sur les 329 villages, hors la commune de Bignona,
que compte le département du même nom, elle est la première construite avec Tendième, Baïla et
Diouloulou. L’école de Dianki date de 1937 ; celle de Tendouck de 1945 ; celle d’Elana, privée, de
1955. La carte 7, réalisée par le CSE*, permet de se rendre compte qu’encore aujourd’hui l’école est
en Basse-Casamance, et surtout dans le Blouf largement sur-représentée par rapport au reste du
Sénégal. Ajoutons que la taille des villages permettait aisément de scolariser beaucoup d’enfants…
On conçoit, dans ce cas, que le taux d’alphabétisation en français de la Basse-Casamance ait
été très tôt supérieur à celui du reste du pays. Telle est la principale spécificité de la colonisation en
Basse-Casamance : la région de Ziguinchor est encore aujourd’hui la mieux scolarisée du Sénégal, et
au sein de celle-ci, le département de Bignona est également le mieux scolarisé. Ce qui fait dire à V.
Foucher (in M.-C. Diop, 2002) que, malgré un taux de musulmans qui est en 1994 de 73,3 % en
Basse-Casamance, l’école coloniale a été fortement implantée. Et cela se ressent dès le sortir de la
colonisation : les Diola sont sur-représentés dans les concours administratifs. Les conséquences
dépasseront le simple cadre de l’éducation et de la scolarisation. C’est en effet l’école, comme
l’affirme J.-C. Marut (com. pers., février 2005), qui est à l’origine du plus fort exode rural du pays. Et la
colonisation a eu d’autres impacts sur les pratiques agricoles.
213. La mise en place de la « traite » de l’arachide
C’est un point, en revanche, sur lequel la colonisation en Casamance ne diffère pas de celle qui
a eu cours partout ailleurs au Sénégal : il s’agit la tentative de mise en place d’une monoculture de
l’arachide. Son expansion avait plusieurs objectifs. En premier lieu, il s’agissait de procurer à la
France des denrées tropicales aux prix les plus bas possibles, le Sénégal étant assez adapté à cette
culture. Mais c’était aussi un moyen de surveiller des populations souvent rebelles, comme c’était le
cas dans le Blouf. Le contrôle des points de collecte et des semences permettait aussi un contrôle des
hommes, et ce n’est pas un hasard si l’on a appelé cette pratique, de manière assez édifiante, la
« traite ». Enfin, et ce n’est peut-être pas la moindre raison, l’arachide permettait une forme de
monétarisation de l’économie locale, surtout en Casamance là encore où l’on vivait en complète
autarcie avec le riz et les cultures de plateau. C’est ce qui a permis également l’implantation des
commerçants marabouts Mandingues ; leur expansionnisme a été encouragé par les Français à la fin
du XIXème siècle, pour réaliser la traite que bien souvent eux-mêmes ne parvenaient pas à mettre en
place. Et l’arachide a été, finalement, un vecteur assez puissant de la conquête des territoires
casamançais (Roche, 1985). On en constate les effets dans le Blouf depuis très longtemps : la carte
8, tirée de P. (1966), nous montre combien elle a, petit à petit, grignoté la forêt au point qu’on a dû la
conserver sous le nom de « Forêt classée de Tendouck ». Nous ne négligerons donc pas le rôle
crucial de l’arachide dans le Blouf, d’autant qu’elle a été encouragée par le jeune gouvernement
42
sénégalais de l’indépendance, survenue en 1960, qui, finalement, a peut-être contribué à une
poursuite de l’œuvre coloniale.
22. Une « colonisation » sénégalaise à l’indépendance ?
Ce que d’aucuns ont appelé la nationalisation ou « l’étatisation » de l’Afrique puise ses racines
au cœur même de la mondialisation. Nous ne sommes pas encore, loin s’en faut et ce n’est pas l’objet
de cette partie, dans le stricto sensu de la « globalisation » ; cependant l’expansion à l’échelle
mondiale des espaces nationaux a quelque chose de global qui participe, effectivement, des
processus de la mondialisation. Encore une fois, à cet instant, l’image, le rôle, la fonction de la Basse-
Casamance, et du Blouf avec elle, change : elle devient le « poumon vert » du pays, qu’il faut exploiter
pour la croissance nationale.
221. Le mythe du paradis terrestre
Photographie n°6 : la « verte Casamance » a la peau dure… Ici à Affiniam (cliché J. P.)
Le schéma est classique : à des héritages viennent se surimposer des processus modernes,
« exogènes » pourrait-on dire, et aussitôt l’espace, une nouvelle fois, change de perception. En
l’occurrence, le gouvernement sénégalais a très tôt lancé un mythe d’une « verte Casamance » qui
s’opposerait aux terres arides du nord. Cet espace aux fortes potentialités devait par conséquent être
mis en valeur de manière intensive et moderne. Il en allait de la richesse de la nation sénégalaise et
de la réussite du jeune Etat. Mais on se méfie, alors, du Diola « arriéré », qui ne connaît pas la vie
moderne, réticent depuis longtemps à toute forme de main-mise. En somme, un lieu édénique peuplé
de sauvages… L’image est d’Epinal (photographie n°6). « L’appartenance de la Casamance à
l’ensemble guinéen, humide et forestier, synonyme de richesse, lui confère une image d’espoir. (…)
En revanche, les Casamançais inquiètent : hommes de la forêt, ils sont parfois encore considérés
comme des sauvages » (in Barbier-Wiesser et al., 1994, p.16). Est-il utile de préciser que par ces
« sauvages », on désigne la part des Diola qui vivent dans les conditions les plus traditionnelles ? Le
Blouf est parfaitement représentatif de ce type de lieu. Et Christian Saglio, ethnologue et co-fondateur
du tourisme rural « intégré » en Casamance, une forme de commerce équitable, et très sensible aux
représentations de l’espace, de s’exclamer : « que ce soit contre les Portugais, les Mandingues, les
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Français ou l’administration sénégalaise, on assiste toujours au même scénario : la loi contre la
coutume. Une loi importée, imposée et incompréhensible, qui menace l’équilibre et l’harmonie créés
par la coutume » (Saglio, 1984, p. 28 ).
On conçoit dès lors, à la fois les réticences des Diola à se plier à une volonté prédatrice de
l’Etat sénégalais, et les craintes de celui-ci face à un peuple extrêmement jaloux de ses traditions.
Sommes-nous loin de la pensée de certains Sénégalais de l’époque lorsque nous reprenons cette
phrase de Boccandé, colon français, en 1856 : « la Sénégambie méridionale est en définitive une
terre vierge pour le commerce (…). Tout se résume (…) dans ces quelques mots : profits
considérables réservés à la transaction intelligente » ? Et encore : « il faut éviter à tout prix que les
indigènes reprennent leur vie primitive d’antan (…), se contentant de produire les quelques cultures
vivrières indispensables à leur subsistance » (in Saglio, 1984, p.13).
Ces représentations vont mener, dans le Blouf, à un encadrement économique très puissant,
puis à un fort encadrement législatif.
222. De l’encadrement économique par l’arachide…
L’Etat sénégalais a repris, tout naturellement, la monoculture de l’arachide dans le but de créer
des surplus. Sans aller dans le détail de l’encadrement de l’arachide au Sénégal, ce que beaucoup
ont fait déjà (Freud, 1997), disons simplement que le gouvernement de Senghor qui arrive au pouvoir
en 1960 instaure un « socialisme africain » qui vise à une étatisation très forte des circuits de
production. La traite arachidière est donc reprise en main par l’Etat. On peut de suite en constater les
effets sur le terrain qui nous intéresse, à savoir le Blouf : selon Bassirou Sambou, président de la
Communauté Rurale de Mangagoulack, sur laquelle nous avons fait peser le gros de nos recherches,
« il y a trente ans, on pouvait voir les maisons de Diatock [à deux kilomètres au nord] tellement il y
avait d’arachide. Et les gens pouvaient produire jusqu’à cinquante et même cent sacs à cette
époque ». (com. pers., février 2005).
Il y a donc eu une longue période de prospérité sénégalaise avec l’arachide, qui a touché le Blouf,
certes moins que dans les zones Sérère, au cœur du bassin arachidier, mais toutefois plus que ce que
l’on aurait pu penser au premier abord. On a une idée de l’ampleur de l’arachide dans le Blouf à
travers le document établi par le bureau d’étude CIDS de Ziguinchor, pour l’ONG Idée Casamance16. A
Elana, « la culture d’arachide était l’activité principale des années 1950 aux années 1970. Elle était la
seule production monétarisée. Chaque famille cultivait environ deux hectares et produisait quatre à
cinq tonnes. Les récoltes étaient vendues à une coopérative de Bignona, gérée par J. B. Coly,
commis peseur du père Boussan, fondateur de la mission catholique, qui a organisé la coopérative du
Blouf d’Affiniam à Kartiack ».
Cette prise en main économique par l’Etat, qui a poussé à la culture d’arachide, a eu pour
corollaire une vaste déforestation. Or la déforestation a des conséquences sur le climat, moins
perceptibles que l’érosion et la perte des sols mais cependant sournoises : on peut observer un
16 CIDS Ziguinchor (2004), Inventaire culturel et socio-économique des villages d’Elana et Djivente, p.
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parallélisme entre recul de la forêt et recul des précipitations. Par un effet d’évapotranspiration, en
effet, la forêt est un excellent renfort qui vient grossir les pluies liées à la convergence intertropicale.
Parallèlement à ce développement économique impulsé depuis Dakar, s’est mis en place un
cadre législatif important.
223. … A l’encadrement administratif et législatif
L’afflux de personnels administratifs « nordistes » en Casamance, bien qu’important, ne
change pas trop, finalement, de l’administration coloniale mise en place par le « toubab » français. En
revanche, plus significatif dans le cadre de cette étude est la réforme de la gestion foncière. C’est G.
Hesseling (in Barbier-Wiesser et al., 1994) qui a le mieux rapporté ce phénomène : elle a étudié cette
question à partir de travaux anciens et en retournant dans les villages. A la base, les familles ont
l’usufruit de terres communes. Depuis, la loi est venue s’imposer. Celle de 1964 déclare domaine
national toutes les terres qui ne tombent pas sous le statut foncier du colonisateur. Les zones de
terroir, quatrième catégorie du domaine, font l’objet de droits d’usage, les exploitants en disposant,
mais un Conseil rural élu pouvant les modifier, étant chargé de la gestion foncière. Les attributions de
ces conseils sont précisés dans la réforme administrative de 1972, et les premiers en Basse-
Casamance sont élus en 1979. Mais le résultat est néfaste : le nombre de terres demandées par les
non-résidents est croissant. Les conseils ruraux privilégient ceux qui ont les moyens. C’est ainsi
qu’apparaît pour la première fois la Communauté rurale, ensemble de villages, à mi-chemin entre la
communauté villageoise et l’arrondissement. Elle devient une circonscription administrative à part
entière, gérée par un conseil rural élu, et gagne de plus en plus de prérogatives.
Il n’y a rien de plus représentatif, au fond, que cette réforme du droit foncier traditionnel, que
l’on distord pour le faire s’adapter à un droit moderne. En effet, les terres des Communautés Rurales
sont déclarées propriété inaliénable de l’Etat ; le paysan jouit seulement d’un usufruit s’il détient la
terre et continue à l’exploiter. Une terre non exploitée depuis plus de trois ans tombe sous le coup de
la loi et revient à l’Etat, qu’en théorie elle ne quitte jamais… Il y a là de quoi parler de main-mise. Il est
assez facile, dans ces conditions, d’obtenir l’attribution de terres pour y monter des projets exogènes.
On peut donc parler, pour la période qui s’étend de 1960 à 1980 environ, d’une tentative par
l’Etat sénégalais d’intégration de la Casamance à son espace national, par le biais essentiellement de
l’exploitation économique. On se rendra compte que ces réformes et ces mutations, qui dans
l’ensemble touchent la Basse-Casamance, mais comme on l’a vu plus particulièrement les zones
Diola restées les plus « pures » pour reprendre la classification d’Annie Chéneau-Loquay45 et donc le
Blouf au premier chef, auront leur importance dans l’édification d’un système, encore une fois, où faits
sociaux et géographiques, ancrés dans les lieux, et mondialisation se confondent pour lui donner sa
forme.
23. De l’école à l’exode
46
Les premiers avatars de la mondialisation, ceux que nous inscrivons comme partie intégrante
dans les particularités de l’arrondissement de Tendouck, ont eu des conséquences notables qui ont
fait évoluer cet espace de manière considérable. C’est la mise en place de l’école qui a eu le plus de
répercussions et ce pour trois raisons : d’abord, l’exode rural ; par suite, des conséquences sur les
terroirs liés à l’abandon de certaines cultures ; enfin, la mise en place d’un système d’exode par
filières.
231. Le plus fort exode rural du pays
De très nombreuses études ont été réalisées sur les migrations en Basse-Casamance :
citons, assez succinctement, Klaas De Jonge et al. en 1978, l’INED (1984) sur Mlomp, Reboussin
(1995) sur Affiniam et Boutœum, Vincent Foucher ou encore Michael C. Lambert (in Diop, 2002). Ce
dernier nous montre que dans les études sur les Diola, les enfants nés après l’indépendance ont tous
séjourné à Dakar au moins un an. Il est curieux de constater, par ailleurs, que c’est la région la plus
enclavée qui a le plus fort exode rural ; elle est en effet barrée au nord par l’enclave gambienne qui a
longtemps été, et est encore, un obstacle malgré la route qui la traverse. En somme, tous les auteurs
s’accordent à dire, d’une part, que le pays Diola connaît le plus fort exode rural du Sénégal, et d’autre
part, que c’est bien la scolarisation qui est à la base de cet exode rural, par l’accès à l’emploi public
que cela permettait.
Part de la population de la famille à l'extérieur par rapport à la population sur placeen fonction des personnes interrogées
Moins d'un quart5%
Entre le quart et la moitié18%
De la moitié aux trois quarts27%
Inférieure mais plus des trois quarts14%
Supérieure ou égale36%
Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)
Graphique 2
47
Quelques chiffres illustrent assez bien ce phénomène. En 1970, sur 225000 habitants en
Basse-Casamance, 33500 sont concernés par la migration (Foucher, in Diop, 2002). Mieux encore :
dans la région de Dakar, les Diola constituent la première communauté « immigrée » avec 12,6 % de
la population ; la région de Kolda, qui compte 55 % des habitants de la Casamance « naturelle », ne
possède dans la région de Dakar qu’une communauté qui en représente 1,2 %. Entre 1960 et 1981,
on est passé de 6000 à 67000 employés dans le service public au Sénégal, ce qui a profité aux fils de
la Basse-Casamance.
C’est là que l’enquête de terrain peut être utile : le graphique 2 compare au nombre de
membres dans chaque famille le nombre de personnes qui sont à l’extérieur ; il faut l’associer à la
carte 9 qui montre les destinations des émigrés permanents et temporaires (quatre par famille), ainsi
que le graphique 3 qui nous montre la proportion des personnes interrogées ayant déjà vécu ailleurs
en fonction de l’âge. On se rend bien compte, en face de ces documents, de l’importance de l’exode
rural en Basse-Casamance, et plus encore dans le Blouf. En effet, l’exode rural est plus fort dans les
zones fortement scolarisées. Mais ce sont aussi les plus christianisées, celles où la culture Diola était
donc la plus enracinée, celle également où les villages étaient les plus gros et où l’accès à l’éducation
était donc facilitée par une concentration des populations… Tout ce que le Blouf représente. Ajoutons
une certaine liberté dans la structuration de la société, et on a un mélange plus que favorable à
l’exode.
Proportion des personnes ayant déjà vécu ailleurs par classe d'âge
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
18-24 25-29 30-34 35-39 40-44 45-49 50-59 60-75 + de 75 Moyenne
Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)
Graphique 3
Au-delà, les conséquences de l’exode rural doivent être mises en lumière : en effet, il a entraîné
un dynamisme villageois qui s’est poursuivi en ville.
48
232. La mise en place des filières de ressortissants
Si nous parlons déjà des associations de ressortissants, alors que notre étude nous a montré
que ce n’était que depuis quelques années qu’elles prenaient véritablement les rênes des villages,
c’est que leur enracinement est déjà ancien. Vincent Foucher a montré que ces associations
« naissent au carrefour des pèlerinages » (in Diop, 2002). Michael C. Lambert nous parle de
« communautés multi-locales » pour exprimer le changement d’état des villages. Très tôt, le centre de
gravité du village bascule vers la ville.
Il est assez aisé de comprendre la mise en place des associations de ressortissants. Les
entretiens avec les ressortissants des villages de la Communauté rurale de Mangagoulack, à
Ziguinchor et à Dakar, nous ont montré comment cela se passait. Avant tout, il est assez significatif de
constater que chaque village a son association de ressortissants, et même Djilapao qui compte au
recensement de 1988 158 habitants, dont on ne sait s’ils sont permanents ou pas.
En général, une personne sert de moteur aux autres. C’est le système du tutorat : un homme qui
obtient un poste de fonctionnaire (en général) peut loger du monde et leur chercher du travail. Cela
explique la concentration constatée au fil des entretiens dans quelques quartiers périphériques de
Dakar des Diola, tout du moins ceux du Blouf : Fass, Grand Médine, Grand Yoff, Liberté V et VI et les
Parcelles Assainies (voir carte 10). Cela explique un effet démultiplicateur de la scolarisation : il n’y a
plus besoin de réussir à l’école pour émigrer en ville, il suffit d’avoir de la famille. C’est ainsi que M.
Lambert (in Diop, 2002) nous montre deux générations de migrants, la première qui réussit, souvent
dans la fonction publique, l’armée ou l’industrie, et la seconde, plus massive, mieux reliée aux villages
aussi avec les progrès des transports routiers, qui travaille dans l’urbain informel, qu’il soit industriel
ou artisanal. Les femmes font leur entrée, comme ménagères de domicile à une écrasante majorité.
Le contrôle des arrivées de « co-villageois » par les ressortissants est donc assez aisé, puisque tout
passe par ces fameux tuteurs. Il est donc très compréhensible que les associations de ressortissants
s’y implantent. Il s’agit là d’une forme finalement traditionnelle, reprenant en quelque sorte la structure
des associations traditionnelles du village, qui avaient des buts précis et essentiellement la culture des
champs.
Les filières de ressortissants, qui accentuent l’exode rural, deviennent rapidement
structurantes : chacun veut faire son bout de chemin en ville, attiré par les mirages classiques que
sont le confort et le bien matériel. La massification de l’exode dans les années 1970 a entraîné sur le
finage et l’agriculture des conséquences très visibles. L’histoire de certaines associations de
ressortissants nous montre clairement le statut de tuteur de leurs meneurs.
50
233. Les conséquences sur les terroirs villageois
Il suffit d’une photographie (photographie n°7) pour illustrer le principal impact de l’exode rural
sur les terroirs. Elle est tirée de l’ouvrage de P. Pélissier (1966). On y voit le finage de Tendouck dont
certaines rizières profondes sont envahies à nouveau par la mangrove. Le Blouf a ceci de fragile que
les rizières les plus profondes, celles qui sont également les plus productives, nécessitent un entretien
constant. Le départ saisonnier des jeunes en saison sèche a eu pour conséquence une fragilisation
des systèmes de production : les digues basses n’étant plus entretenues, une partie des terres
gagnées sur la mangrove fut abandonnée. En outre, les bouches à nourrir étaient moins nombreuses.
Mais le résultat fut, en même temps que des transferts d’argent accrus de l’extérieur, une
paupérisation du système Diola, mise en lumière par A. Chéneau-Loquay : « Pourquoi les systèmes
de production diola basés sur la riziculture sont-ils aussi peu performants aujourd’hui, alors qu’il y a à
peine trente ans, les mêmes techniques étaient admirées pour leur efficacité au point que cette
société diola (…) supportait la comparaison avec les sociétés rizicoles asiatiques ? » (in Barbier-
Wiesser et al., 1994, p. 352)
Photographie n°7 : photographie aérienne de la zone de Tendouck (IGN, 1959). On voit clairement le plateau à droite en raison de la présence d’arbres. Une île à gauche est emplie de rizières. Au centre, en haut de la photographie, les traces d’un finage réoccupé par la mangrove (tiré de Pélissier, 1966).
Toujours selon Annie Chéneau-Loquay, dans la région de Ziguinchor, alors que l’on était
autosuffisant en riz, il se produit depuis 1970 un déficit. Les importations augmentent de 5,4 % par an.
52
On peut donc se demander quel est son avenir. C’est d’autant plus troublant qu’il existe un paradoxe
entre les performances d’antan et la médiocrité actuelle ; il faut invoquer le rôle des facteurs
exogènes. Toutefois, les projets ne manquent pas dans les villages. Mais on manque d’eau ; les zones
de tannes, terres salinisées restant à nu, augmentent ; les zones les plus rizicoles voient leur
population diminuer. En outre, la fixité des techniques s’oppose à une pénétration moderne forte, de la
traction attelée par exemple. Et les terres vacantes sont parfois rares en raison de la pression
démographique. Le cercle vertueux semble être devenu vicieux…
Dans l’introduction de sa thèse, D. Avenier-Sharman (1987) nous déclare que l’on stigmatise
beaucoup trop les problèmes climatiques pour parler de dégradation des conditions agricoles en
Basse-Casamance. C’est ainsi que la salinisation des terres, qui pour beaucoup est attribuée au
manque d’eau, s’explique beaucoup plus facilement par le manque d’entretien des digues.
A l’aube des années 1980, on peut déjà parler pour le Blouf d’un dérivé de système, très
évolutif. L’exode y joue sa place, mais c’est encore l’arachide qui fournit aux populations le plus de
ressources. Le riz de soudure, importé d’Asie, est de plus en plus acheté mais c’est encore le riz Diola
qui fournit l’alimentation principale. Or, dans les années 1980, sous l’influence des grands organismes
internationaux, le Sénégal entre dans une nouvelle phase de sa politique avec Abdou Diouf : c’est le
temps de l’ajustement structurel. On entre dans la mondialisation proprement dite.
3. Les premiers symptômes de la mondialisation
C’est l’ouvrage de M.-C. Diop (2002) faisant partie de la trilogie d’ouvrages écrits sur le Sénégal
entre 2002 et 2004, qui nous donne la meilleure idée de l’ampleur du changement. Il évoque en effet
« un processus (…) dominé (…) par le passage de la phase dite de l’Etat-providence à un autre
marqué par la privatisation de pans entiers du service public » (p. 12). Tout est dit. A partir de ce
tournant de 1980, marqué par les premiers accords avec le Fonds Monétaire International et la
Banque Mondiale, le Sénégal entre dans l’ère du désengagement de l’Etat. De multiples effets en
découlent. Il s’agit ici d’en montrer les impacts dans le Blouf, pas épargné, bien évidemment, puisque
désormais son sort est relié à celui du Sénégal ; mais touché différemment que les autres régions,
pour les mêmes raisons de différences d’héritages auxquels se surimposent la mondialisation. Cela
nous amènera, au seuil du XXIème siècle, à un système particulier dont l’étude des éléments de
caractérisation formera la seconde partie.
53
31. Le désengagement de l’Etat
« Les principales interventions gouvernementales dans les domaines économiques et sociaux
sont liées aux différentes phases de la formation de l’Etat, c’est-à-dire du renforcement à
l’affaiblissement de l’économie arachidière pour l’exportation et à la mise sous ajustement de
l’économie qui a démoli et réduit brutalement en cendres les prétentions « socialistes » de la classe
dirigeante » (Diop, 2004, p. 11) : c’est bien la politique d’ajustement structurel lancée dans les années
1980, avec la mise en place de la Nouvelle Politique Agricole (NPA*) en 1984 (Duruflé, 1994), qui
sonne le début de cette nouvelle phase. Elle a brutalement privé les villages de la manne de
l’arachide, devenue « un moteur en panne » (Freud, 1997). Après l’échec, en effet, de l’économie
« étatisée », le premier Plan d’Ajustement Structurel (PAS*) est lancé en 1980. Il se traduit par un
désengagement de l’Etat dans de nombreux domaines, notamment l’agriculture, l’éducation, la santé.
En 1984 est lancée la Nouvelle Politique Agricole, sur la même ligne de conduite (Dramé, 2000). On
distingue plusieurs plans et programmes : de 1978 à 79, un Plan de Redressement Economique et
Financier (PREF) ; pour la période 1985-1992 est adopté un Plan d’Ajustement à Moyen et Long
Terme (PAMLT) ; les échecs de cette nouvelle politique a amené en 1994 une dévaluation qui a
entraîné une crise importante. L’économie s’est fortement libéralisée depuis. Et surtout, « le Plan
d’Ajustement Structurel a mis au premier plan la clientèle technocratique indigène des bailleurs de
fonds devenue le groupe le plus important dans les orientations des politiques économiques et
sociales » (Diop, 2004, p.14).
311. La privatisation de la traite de l’arachide
Il en résulte avant tout la chute des cours de l’arachide. En réalité, on pourrait croire que le
déclin de l’arachide dans le Blouf a commencé avant les années 1980, comme l’indique le président
de la communauté rurale de Mangagoulack. Il est certain que la diminution du nombre de bras valides
n’allait pas sans poser des problèmes au moment de la culture. Mais jamais elle n’a autant décliné
que dans les années 1980 et 1990. Dans le document établi par le CIDS17, il est dit à la page 44 que
« une grande partie des grands champs anciennement cultivés entre Diatock et Elana – actuelle forêt
de Sobokor – a été abandonnée. Ces terres produisaient de l’arachide (depuis 1914) et du mil. On y
cultivait également du fonio. La sécheresse conjuguée à la baisse des cours de l’arachide, a amené
un abandon progressif de ces cultures. Par ailleurs, le manque de main-d’œuvre dû à l’exode des
jeunes ne permet plus de cultiver de grandes surfaces. Les jeunes qui reviennent en hivernage
n’arrivent qu’au mois d’août alors que les plus gros travaux de préparation sont achevés. Ils repartent
avant les récoltes et pendant leur séjour ils sont plus occupés à se retrouver autour de leurs loisirs
qu’à aider leurs familles aux champs. Depuis 1991, l’arachide n’y est plus cultivée. Les villageois
affirment que c’est depuis 1999 que les terres de Sobokor ont vraiment été regagnées par la
végétation sauvage. Ces terres sont très fertiles (…) ». Il est encore ajouté en note qu’il « semblerait
que la baisse de la main-d’œuvre ait atteint son seuil critique vers 1999. Avant cette année, les
familles réussissaient à cultiver de plus grandes surfaces. Peut-être les derniers jeunes adultes sont-
17 CIDS Ziguinchor (2004), Inventaire culturel et socio-économique des villages d’Elana et Djivente.
54
ils partis à cette période… ». C’est bien la baisse des cours de l’arachide qui a entraîné ce déclin,
relayée mais non créée par l’exode des jeunes. C’est un phénomène assez brutal pour être signalé :
en vingt ans, les familles sont passées d’une production moyenne de cinq tonnes par an, soient cent
sacs, à rien du tout ! On évalue la valeur d’un sac aujourd’hui à 5000 francs CFA18. La production
d’une famille à l’époque atteindrait donc 500000 francs CFA19 ! Des revenus que l’on ne trouve plus
dans les villages, comme on le verra plus loin.
Outre l’apparition d’un paysage désolant de friches ou brousse de reconquête sur ces espaces,
le déclin de l’arachide, conséquence directe de l’ajustement structurel qui a stoppé à la fois la traite et
le soutien des cours par l’Etat, par le biais de mécanismes sur lesquels nous ne nous arrêterons pas,
a eu pour corollaire la mise en place de cultures de substitution. Le Blouf, d’ailleurs, a été l’un des
espaces les plus touchés par ce phénomène.
312. Le développement de cultures de substitution
Photographie n°8 : le maraîchage, une culture de substitution apparue au début des années 1980 (cliché J. P., à Mlomp).
Il nous faut encore une fois interroger la thèse de D. Avenier-Sharman (1987) pour comprendre
l’ampleur qu’ont pu prendre, dans les années 1980, ces cultures de substitution. Le maraîchage en est
la plus symbolique. C’est une culture de saison sèche (photographie n°8), féminine pour les
légumes, masculine pour les fruits20. « Ces activités ont connu, par leur intérêt commercial, un essor
remarquable ces dernières années en particulier au sud de la vallée car elles constituent le seul
espoir concret face aux défaillances de la riziculture ». « Mais il se développe dans la plus concrète
anarchie : l’approvisionnement, la commercialisation ne sont pas maîtrisés du fait de l’inorganisation
des producteurs » (p.164). C.M. Jolly (1984) (cité par Avenier-Sharman) s’est intéressé à la
18 50 francs français ou 7,61 euros.19 761 euros environ.20 Nous pensons que cette séparation des tâches est traditionnelle, la culture légumière ainsi que la culture d’arbres fruitiers pour l’autoconsommation étant assez ancienne ; nous n’avons pu cependant en déterminer clairement les raisons, peu importantes dans le cadre de cette étude.
55
commercialisation de ces produits maraîchers. En 1969-1970, 310 tonnes ont été produites ; ce sont
4028 tonnes dans la vallée de Bignona en 1978-1979, avec un taux de croissance de 25,6 % par an.
On comptait, en 1987, en tout 275 jardins dans la vallée de Bignona : 15 au nord et 260 au sud...
Malheureusement, le manque d’organisation fait que tous les travaux sont manuels, que le travail et
la commercialisation sont mal maîtrisés. Le bétail divague souvent et détruit les cultures. Le manque
d’eau est parfois un handicap. De plus, la surproduction provoquée par l’explosion de ces cultures
entraîne une valorisation médiocre et une mévente importante. On trouve dans toute la zone quelques
« bana-bana 21» qui s’aventurent dans les villages... Restent les rares taxi-brousse, petits cars passant
dans les villages. Les productions se vendent mal, surtout les légumes européens. En fait, le
problème essentiel vient de la nécessité de la vente. Mais cette culture est justement tenable du fait
de l’absence des coûts de production. On l’abandonne s’il faut investir. En outre, la manque de
formation et de modernisation est donc important.
L’arboriculture masculine se fait dans des vergers à demi sauvages, sur les manguiers et les
agrumes. Le problème de la commercialisation et de la concurrence est le même qu’ailleurs... En fait,
adopter un mode de culture pour le commerce leur est intenable, puisque la concurrence génère des
coûts de production bien moindres. En somme, ces cultures de substitution se sont développées très
rapidement, en réaction immédiate à la chute des cours de l’arachide, et ont rencontré de nombreux
problèmes en raison même de la nature de la crise : elle est liée à l’ajustement structurel qui soumet
tous les produits à la concurrence : l’ouverture des marchés entraîne l’importation massive de fruits et
légumes du Mali ou du Maroc en direction de la capitale sénégalaise.
On peut se poser la question de la forte présence des jardins dans le Blouf par rapport au
Fogny. Il semblerait en fait que dans le premier, l’absence de terres en plus pour l’arachide ait
empêché les paysans d’entrer dans « la logique du système économique dominant : produire plus
pour gagner autant, gagner plus pour consommer autant » (Avenier-Sharman, 1987, p. 8). Là où les
gens du Fogny ont pu étendre leurs terres, ceux du Blouf n’ont pas eu ce choix, trop nombreux et
ayant trop peu de terres en brousse, aux dires des habitants même. Il s’en est ensuivi une fragilisation
du milieu humain.
313. Un milieu humain fragilisé
Il s’agit en somme, ici, de réaliser un bilan des fragilités qui affectent l’espace du Blouf à la fin
du XXème siècle. Toutes ces fragilités sont à replacer dans le contexte des mutations qui ont affecté
cet espace et sur lesquels nous nous sommes amplement attardé. En premier lieu, le manque de bras
crée un problème structurel de baisse des rendements et des productions agricoles, et donc un risque
de dégradation de la situation économique des ménages. Le problème se pose également de la
baisse des prix des denrées agricoles, ce qui oblige à accroître les cultures. Les villageois ne peuvent
plus supporter d’augmenter leurs production pour deux raisons. D’abord, le manque de terres sur les
plateaux. Ensuite, la diminution du nombre de bras, encore, puisqu’il ne faut pas oublier que si ce
manque de bras nuit aux cultures vivrières, il nuit encore plus aux cultures de rente, à fortiori
21
Le bana-bana est un grossiste qui achète la production de tout un verger ou potager, embauche des travailleurs pour récolter les fruits ou légumes et emporte la production en vrac vers les villes.
56
lorsqu’elles sont effectuées pendant la saison sèche où tous les élèves du secondaire sont en ville. Il y
a donc, dans le Blouf, une fragilité structurelle qui pousse à l’exode rural. En somme, c’est devenue la
périphérie du Sénégal, lui-même périphérie au sein de l’espace-monde : une « périphérie de
périphérie », donc, pour reprendre l’expression de Jean-Claude Marut (1999).
Corollaire d’un recul de l’Etat qui a mis le Blouf au ban de l’économie nationale, lui qui pourtant
était l’un des espaces les plus prospères au Sénégal, la micro-région s’est vue frappée par une
déprise puissante ; en contrepartie de quoi, et toujours en raison de ces accords entre Sénégal et
organismes internationaux, de multiples Organisations Non Gouvernementales (ONG) ont apporté
leur soutien aux villages du Blouf.
32. En contrepartie, un fourmillement de projets étrangers
La Basse-Casamance a été l’une des régions les plus aidées au Sénégal. Il y a deux raisons à
cela : d’une part, les fragilités que l’on vient d’énoncer et qui ont fragilisé cette région plus que
d’autres. D’autre part, le Sénégal voyait l’intérêt d’une aide massive dans cette région, puisqu’il a été
décidé, dans les années 1980, de faire de la Casamance le grenier à riz du Sénégal. Il fallait donc
moderniser la riziculture tout en soutenant la diversification des activités économiques pour endiguer
l’exode rural.
321. Une myriade de projets dans le Blouf
Les projets n’émanent pas seulement des ONG ; ils sont parfois issus de grands organismes
internationaux ou de l’Etat lui-même, qui bien souvent finance les projets qu’il mène grâce au
concours de donneurs étrangers. Le phénomène débute dans les années 1970, en réaction aux
premières conséquences de l’exode rural ; mais on peut vraiment dire que les grands projets sont
lancés dans les années 1980. De grands programmes les coordonnent : c’est d’abord le Programme
Intégré de Développement Agricole de la Casamance (PIDAC*). Celui-ci vise au soutien des
producteurs maraîchers ainsi qu’à la modernisation de la riziculture. Il est relayé en 1976 par la
Société de Mise en Valeur Agricole de la Casamance, la SOMIVAC*, société privée financée
essentiellement par l’USAID*, l’aide américaine au développement (Avenier-Sharman, 1987). Mais les
entretiens nous ont montré que dans le Blouf, de nombreux petits projets ont été développés par des
ONG : les allemands du PAARZ-GTZ* dans le domaine du micro-crédit ; CARITAS*, ONG de
confession catholique, à travers les réalisations du Centre Agricole Rural d’Affiniam (CARA) devenu
Centre de Promotion Rurale d’Affiniam (CPRA*) en 1991 ; ENDA* Tiers-Monde ; le Catholic Relief
Services (CRS*)… D. Avenier-Sharman avait établi à l’époque une liste des ONG intervenant en
Casamance. Elle couvrait deux pages complètes, soit … organisations.…
Il faut retenir de cette période des années 1980 un grand nombre de réalisations et un
fourmillement de projets. C’est à ce moment, également, que se constituent les premières
« organisations paysannes », sortes de fédérations d’associations d’agriculteurs créés à partir de
jeunes « exodés » qui ont cherché, par tous les moyens, à freiner l’exode rural. Elles perdurent
57
aujourd’hui encore, et le président de la Coordination des Organisations Rurales pour le
Développement, CORD*, créée en 1988, à Bignona, m’a donné entre autres ces noms : l’Association
des Jeunes Agriculteurs de la Casamance (AJAC-Blouf*), la Fédération des Groupements de
Promotion Féminine (projets encadrés par le PIDAC), la FGPF*, ainsi que tout un panel de
groupements de quelques associations : Entente Djimoutene, Union GOPEC*, SECORAT*,
AMICAR*…
Nous avons interrogé le président actuel d’Union GOPEC. Le rayon d’action du GOPEC était
tout le village de Mlomp (carte 2). Le FED* et l’USAID l’ont financé, ils s’appuyaient sur ce type
d’organisation paysanne. Elle a été créée en 1980-1985. Il est donc clair que nous parlons d’une
époque où l’on croyait être en mesure de freiner l’exode rural par du développement endogène.
322. Les tentatives de modernisation de la riziculture
La riziculture anti-sel a commencé avec le projet de l’ILACO*, société privée hollandaise de
développement agricole, entre 1965 et 1973. Il était prévu de récupérer 1400 hectares sur la
mangrove par des digues et des cloisonnements. Du fait de la faiblesse de la main-d'œuvre, on a
ramené ce chiffre à 720. En fait, seuls 29 hectares ont été récupérés63... En 1973, l’ILACO se retire : il
ne reste rien. On accuse la sécheresse et le manque de main-d'œuvre. La mise en place du barrage
de Guidel, au sud de la Casamance, est un échec également. Entre 1962 et 1965, le Groupement
d’Etudes Rurales de la Casamance (GERCA*) décide de lancer un projet de barrage sur les cinq
grands marigots de la Casamance, pour protéger 70000 hectares. A partir de 1974, la construction de
ces barrages sont le fer de lance de la politique agricole en Casamance. Les marigots de Baïla,
Bignona, Soungrougrou, Kamobeul et Guidel devront être équipés. Celui de Guidel, le premier
construit, est entièrement financé par des apports extérieurs. Le barrage est constitué d’une digue sur
le lit majeur et d’une vanne sur le lit mineur. Le but est de reproduire le travail de dessalement des
Diola. Celui d’Affiniam devait protéger 12000 hectares et permettre d’en récupérer 6000 anciennement
cultivés. Il est l’objet d’une coopération entre le Sénégal et la Chine, avec des accords commerciaux.
Tout le matériel a été acheminé de Chine. La construction a débuté en novembre 1984. Le barrage
d’Affiniam (photographies n°9 et 10) est un pur produit du libéralisme, puisqu’il est financé par les
Chinois en contrepartie d’accords de pêche. Il est assez notoire que le poisson est très demandé en
Chine et que, grâce à la présence du courant des Canaries au large de ses côtes, le Sénégal recèle
des trésors halieutiques dans sa zone économique exclusive... Ce barrage a longtemps été perçu
comme un remède miracle.
58
Photographies n°9 et 10 : le barrage d’Affiniam, contrepartie des accords de pêche avec les chinois, une des plus frappantes illustrations de l’impact de la mondialisation dans le Blouf. Pour la localisation, voir carte 32. (Cliché 9 : J. P. ; cliché 10 : Franck Müller, ARD).
Les petits aménagements sont une solution alternative. Ils sont situés sur des affluents des
marigots. Construits en béton et en bois dans les années 1980, chacun protège environ 500 hectares.
Les villageois fournissent la main-d'œuvre, la terre et le sable ; le PIDAC fournit le personnel qualifié,
le ciment, le fer. En outre, il forme à l’entretien du barrage. Le stockage des eaux de ruissellement,
lancé par le CADEF*, est en revanche peu développé. Sur les petits barrages, le PIDAC a réalisé une
étude de coût montrant que le coût de l’hectare récupéré sur un petit barrage était 21 fois moindre
qu’à Guidel, le coût de l’hectare protégé 152 fois moindre (Avenier-Sharman, 1987). On a une
illustration de ces petits aménagements sur la photographie n°11.
Photographie n°11 : un petit barrage anti-sel, ici entre Tendimane et Balingore (cliché J.P.)
Enfin, la SOMIVAC et le PIDAC, puis le DERBAC (Développement Rural de la Basse-Casamance)
lancé en 1990 (A. Chéneau-Loquay, in Barbier-Wiesser et al., 1994), tous financés grâce à la manne
étrangère, ont tenté un encadrement agricole des paysans, dans le but de moderniser la riziculture :
apport d’engrais, notamment, et de crédit pour soutenir les projets autonomes. A Tendouck et Elana, la
SOMIVAC a mis en place deux magasins de stockage (photographie n°12). Mais on a vu que les
paysans n’avaient que peu d’intérêt à cette modernisation qui brise un cercle vertueux depuis
longtemps en place. Ces projets, qui bouleversent donc la vie économique et sociale des paysans,
étaient bancals dès le début.
59
Photographie n°12 : la devanture du magasin de la SOMIVAC à Elana, depuis longtemps inutilisé (cliché J. P.)
323. Le soutien à la diversification des activités économiques
On l’a vu, de multiples projets de diversification des activités économiques ont vu le jour,
extrêmement nombreux dans le Blouf, et puis ils ont menacé de s’arrêter très rapidement en raison de
la concurrence. Les divers organismes internationaux, ONG et programmes de développement sont
donc intervenus pour soutenir ces projets, et notamment sur le plan de l’arboriculture et du
maraîchage. On distinguait ainsi, pour le maraîchage, les jardins provisoires naissant autour des puits
et les jardins permanents encadrés par le Projet de Développement Intégré de la Casamance
(PIDAC). Ceux-ci étaient souvent des bananeraies de un hectare environ. Elles sont l’objet de
Groupements d’Intérêt Economique (GIE*) et gérées le plus souvent individuellement, chacun ayant
quelques planches, et parfois en communauté. Il en subsiste une à Mlomp (photographie n°13) car
le CPRA* d’Affiniam la soutient à présent. Il existait également de multiples projets maraîchers. La
CARITAS*, le PAARZ-GTZ*, ENDA* Action en Casamance (ACAS*) les ont soutenus, de même que
les organisations paysannes : Union Gopec ainsi intervenait grâce à des financements du Fonds
Européen de Développement (FED) et de l’USAID auprès de quatre blocs maraîchers, correspondant
à quatre quartiers de Mlomp.
Photographie n°13 : la bananeraie de Mlomp, un vestige des anciens projets d’arboriculture (cliché JP Glotin).
Il ne s’agissait pas seulement du maraîchage. Des projets ont été tentés dans d’autres
domaines. Ainsi, ENDA-ACAS a créé un GIE, dans les années 1990, nommé « CIVDD* » (Comité
Inter-Villageois de Développement Durable) qui avait pour objectif principal le développement des
60
ressources traditionnelles et leur modernisation. Ils ont lancé, selon Bassirou Sambou, président de la
Communauté rurale de Mangagoulack, qui en a fait partie, un projet autour de l’apiculture. D’autres
projets encore ont été lancés autour de la pêche. On comprendra ici le rôle des ressortissants dans la
gestion de ces organisations paysannes. Sans la pléthore de cadres issus des villages, jamais ces
organisations n’auraient pu se structurer aussi bien ; c’est ce que montre H. Dramé (2000). En
somme, les années 1980-1990 nous montrent comment un système peut évoluer et s’adapter sans
nécessairement changer. Pourtant, le Blouf devait connaître des bouleversements radicaux, et ce pour
trois raisons essentielles : la guerre, qui survient dans les années 1990 mais qui couvait depuis 1982 ;
l’ajustement structurel qui a fini par déstructurer totalement l’économie locale ; et la massification de
l’exode rural.
33. Les années 2000 : la fin d’un système
Il semblerait, en effet, à la lumière de nos recherches sur place, que les années 2000 marquent
véritablement, pour le Blouf, la charnière entre un système « traditionnel modernisé » qui devenait
intenable et un nouveau système, qui a changé radicalement de fonctionnement, dont on peut dire
qu’il est le résultat de l’adaptation progressive des éléments à un nouvel ordre ; on verra comment, là
encore, il est la résultante de conjonctions du local et du global, et que tous les éléments antérieurs
entrent en compte dans la structure nouvelle de cet ensemble.
331. La crise casamançaise, origines et conséquences
La récente thèse de V. Foucher, dont il résume les apports dans Diop (2002), nous montre
comment la crise casamançaise est profondément et intimement liée aux mutations qui ont affecté
l’espace de la Basse-Casamance. Entre 1982 et 2004, date de la signature d’accords de paix qui
semblent devoir perdurer, une guerre tantôt larvée et tantôt ouverte a en effet affecté l’ensemble du
territoire de la Basse-Casamance, c’est-à-dire de la région de Ziguinchor, et, curieusement, elle seule.
D’abord cantonnée aux lisières de la région, notamment au nord, après être partie de Ziguinchor
même, elle s’est progressivement décalée vers le sud. Longtemps, des combats ont opposé forces
gouvernementales et rebelles séparatistes. N’était-ce pas le symbole qui manquait à la région pour en
faire un archétype ? Sa situation est extrêmement classique dans un pays d’Afrique : une région
éloignée des arcanes du pouvoir, une culture totalement aux antipodes du « modèle islamo-wolof22 »
pour reprendre l’expression de Mamadou Diouf (2001), et des projets étatiques visant à la main-mise
de l’espace : tous les éléments sont réunis pour un conflit.
Pourtant, les analystes de cette crise ne sont pas tous d’accord ; d’aucuns donnaient une
interprétation culturelle du conflit, stigmatisant le fossé existant entre les deux cultures ; c’était aussi le
prétexte pris par le Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance, le MFDC*, pour
légitimer les revendications indépendantistes. D’autres parlaient du traumatisme lié au choc brutal de
la modernité. C’est une thèse qui se tient et qui a été peu ou prou défendue par Jean-Claude Marut
22 Pour M. Diouf, la construction nationale au Sénégal correspond à l’expansion à l’ensemble des régions d’un modèle fondé sur les valeurs de l’ethnie Wolof et de l’islam.
61
(1999). Cette explication se réfère au processus de mondialisation. On peut donc parler d’une guerre
issue de la modernité. Vincent Foucher (in Diop, 2002) remet en cause ces explications : pour lui, le
rôle des Casamançais « évolués », les cadres, ceux qui ont fait les bancs, souvent jusqu’au bac, est
fondamental. Le premier MFDC, créé en 1947, était loyaliste. Les Diola se fondaient dans le moule
sénégalais et avaient de l’ambition. Dans les années 1980, le pacte social est remis en cause ; avec
l’ajustement structurel, le recrutement des fonctionnaires tombe de 3000 à 300 par an ; Foucher nous
parle d’une « lumpen-elite » déçue de l’Etat sénégalais. Le discours sur l’ethnicité émanerait
totalement de cette élite. La thèse est audacieuse et très intéressante. Elle montre surtout combien la
crise s’inscrit dans le même processus que celui qui a affecté le Blouf depuis le début de la
colonisation.
332. Fin des projets et recul des activités économiques
Les conséquences de la crise dans le Blouf, bien qu’il eût été peu touché, directement, par le
conflit, sont essentielles pour en comprendre l’évolution. D’abord parce que, pour Bassirou Sambou,
« beaucoup de nos fils se sont engagés dans la résistance ». Ce qui, dans une certaine mesure, a
renforcé l’exode rural. Mais probablement moins, en fait, que le climat d’insécurité qui a touché la
région pendant à peu près quinze à vingt ans. Il est difficile d’évaluer, auprès des populations, le
nombre de ceux qui, pour cause d’insécurité, ont abandonné leur village pour aller vivre en ville,
essentiellement à Ziguinchor, tenue fermement par les forces gouvernementales. Il est certain, en tous
les cas, et en ce point tous les entretiens, formels comme informels, nous le font savoir, que l’exode
rural a été renforcé en raison même de ce conflit.
Mais la plus grande et la plus grave conséquence de ce conflit, très certainement, est le retrait
de nombre d’ONG et d’organismes internationaux en raison du conflit. La plupart des projets qui
étaient alors en cours ont été arrêtés, les ONG ne souhaitant plus travailler en Casamance ou se
retirant sur Ziguinchor. De même, l’activité des organisations paysannes étaient au ralenti puisque les
réunions ont été un temps interdites. Le maraîchage a commencé à reculer ainsi que l’arboriculture.
Il semblerait cependant qu’en réalité, la crise a joué dans le Blouf un rôle de catalyseur. Elle a
précipité, à priori, la chute d’un système déjà condamné. Les projets de développement économique
n’étaient plus viables en raison des prix des produits, en baisse depuis le début de la politique
d’ajustement structurel. Ce qui renforçait peu à peu l’exode rural, augmentait les transferts d’argent
des villes vers les villages et freinait d’autant plus les activités. Finalement, la guerre, point de
convergence, si l’on peut dire, des mutations socio-spatiales liées à la mondialisation, a également été
l’accélérateur de la chute d’un système. Pendant les années de guerre, on a donc pu observer une
sorte de chaos, qu’on peut aussi interpréter comme une époque troublée qu’on observe lors du
passage entre deux systèmes.
333. Esquisse d’une théorie sur le nouveau système
Ce système qui affecte le Blouf aujourd’hui est le résultat, sur le long terme, de la rencontre
entre diverses forces, toutes liées de près ou de loin à un même processus, la mondialisation. Elles
62
ont toujours progressé dans le même sens : une progression de l’exode rural, de la scolarisation, un
recul de la culture traditionnelle du riz en raison de ce manque de bras, le recul des activités
génératrices de revenus, et l’augmentation des décisions des ressortissants dans les affaires du
village. Nous arrivons donc, ici, à la conviction que l’on est passé d’un système rural déclinant,
système traditionnel résiduel si l’on peut dire, que l’on tentait à tout prix de conserver, à un système
moderne et adapté aux nouvelles conditions socio-économiques.
L’idée est que ce nouveau système se fonde presque exclusivement sur le rapport entre le
village et ses ressortissants23. C’est-à-dire que les activités économiques au village, n’ayant plus de
raison d’être, disparaissent, remplacées par l’apport des ressortissants en transfert d’argent. Les
activités économiques restant en place sont simplement liées à une stimulation de la demande locale
par les populations, ou encore à des cultures résiduelles qui ne demandent pas d’entretien. On peut
aller plus loin en parlant de l’action des ressortissants pour leur village : celle-ci devrait être dirigée
dans un seul but, l’éducation des enfants, pour leur permettre une vie en ville et le soutien des parents
lorsque ceux-ci seront rentrés au village pour la retraite. C’est pourquoi les ressortissants investissent
également dans le confort, électricité et robinetterie. Les nouveaux projets de développement iront
aussi dans ce sens de l’éducation et du confort, sans proposer des projets de développement
économique, ou alors en en proposant mais avec des échecs. La riziculture disparaît ; le riz thaï ou
vietnamien a remplacé le vieux riz Diola.
Ce tableau est une hypothèse. Elle est le résultat de toutes les observations, de tous les entretiens
et de toutes les idées glanées au hasard des recherches. La seconde partie a pour objectif de les
vérifier.
Conclusion : à l’aube du troisième millénaire, des spécificités
notables.
Le but initial de cette première partie était de décrire la zone d’étude et d’en présenter les
principales originalités. La carte de synthèse des spécificités du Blouf (carte 11) les a
rassemblées. Mais il nous semblait indispensable de présenter également les interactions entre ces
spécificités et les diverses phases de la mondialisation, afin de cerner l’évolution même de ces
spécificité et voir ce qu’elles sont devenues à la lumière de cette clé de lecture. On peut mettre en
évidence des enchaînements logiques: ainsi, la possibilité du stockage de l’eau corrélée à la présence
de peuples d’aire culturelle guinéenne a permis l’établissement d’une civilisation du riz. L’autarcie et
l’enclavement en sont issus ; cet enclavement explique la résistance à l’islam dans le cadre de la
diffusion de cette religion qui peut être assimilée à une forme de mondialisation. La colonisation
conjuguée à cet état de faits nous donne un développement du christianisme et de l’école française,
d’où une scolarisation plus forte qu’ailleurs : on comptait 35 écoles dans le département de Bignona
dans les années 1950, soit une école pour dix villages ! D’où l’exode rural. Celui-ci, conjugué dans le
Blouf à l’existence de gros villages, nous donne des associations de ressortissants très puissantes. La
23 On appelle « ressortissants » les villageois à l’extérieur, selon une appellation répandue au Sénégal.
63
diminution des rizières est la résultante de l’exode. L’ajustement structurel fait disparaître l’arachide, et
en raison d’un déficit vivrier oblige au développement d’autres activités. Cette fragilité entraîne le
développement des ONG et des projets de développement. Le contexte de la guerre, lié à la
mondialisation, précipite la chute annoncée du système. La logique est imparable.
Il ne reste plus qu’à apporter les éléments de caractérisation d’un nouveau système pour le
Blouf.
64
DEUXIEME PARTIE
Globalisation et changement de système
Introduction : les caractères de la globalisation
On parle traditionnellement de « globalisation » pour désigner un monde dans lequel la
production de données, d’informations, de richesse est organisée et structurée au niveau mondial, et
où chaque lieu est spécialisé en fonction de ses héritages et de sa capacité à entrer dans ce système.
Mais la globalisation laisse en marge de nombreux espaces qui, ne pouvant plus suivre le rythme de
la mondialisation, ne sont pas en mesure de satisfaire aux critères d’entrée. C’est en cela que l’on
peut dire que le Blouf connaît actuellement les impacts d’une « globalisation » : son système n’étant
plus viable au sein d’un espace mondialisé, celui qui a pu perdurer jusque dans les années 2000 est
complètement bouleversé. L’espace, alors marginalisé, doit trouver des formes d’adaptation. Et cela
intéresse le géographe, en ceci que les adaptations, d’une part, se fondent une nouvelle fois sur les
spécificités préexistantes du territoire, et d’autre part parce que les impacts géographiques de
l’ensemble des mutations qui amènent le Blouf d’un système à un autre ont de profondes retombées
géographiques. Celles-ci seront l’objet de la troisième et dernière partie. Il s’agit pour le moment de
démontrer le changement de système à la lumière d’indicateurs qui se fondent surtout sur du travail
de terrain : l’enquête au premier chef, mais également les entretiens, qu’ils aient eu lieu auprès des
associations de ressortissants ou auprès des ONG et organismes internationaux.
1. Activités en déprise et apport extérieur
Comme on a pu le constater, l’un des meilleurs indicateurs de la crise que traverse le Blouf,
consécutive à des mutations ayant progressivement apporté un bouleversement du système en place,
est la disparition des activités économiques antérieures. Qu’elles soient aidées ou non par des projets
de développement, et ceux-ci ont vraiment été nombreux dans l’arrondissement, les activités
économiques sont en forte régression : on le constate à la fois à travers l’enquête et à travers
l’analyse, dans les villages, des activités génératrices de revenus pratiquées collectivement.
Parallèlement, à la fois cause et conséquence, l’exode rural augmente, et provoque à son tour une
diminution encore renforcée de ces activités pour deux raisons : l’augmentation des transferts de
revenus qui incite à moins se fonder sur les revenus au village, et la diminution de la main-d’œuvre. Il
est toutefois des secteurs qui continuent à se développer sous l’effet d’un corollaire de ces mutations :
l’augmentation du pouvoir d’achat local. Ainsi, toutes les activités économiques n’ont pas disparu :
elles ont changé de nature.
66
11. Les activités économiques en déclin : le maraîchage au premier chef
On se souvient que le maraîchage avait pris dans le Blouf, à partir des années 1980, une
importance grandissante (Avenier-Sharman, 1987). C’est le secteur qui, avec la pêche, s’était
développé le plus, accompagné par de grands projets. L’arboriculture en un sens peut lui être
associée. Or ces deux pôles de la vie économique des dernières décennies sont en train de
disparaître. Mais ce cas de figure peut être étendu à d’autres secteurs d’activités qui ont fait l’objet
d’aides par certaines ONG ou des partenaires. Il s’agit également donc également d’examiner le rôle
des ONG porteuses d’activités génératrices de revenus.
111. Des revenus dérisoires
Le graphique 4 est une synthèse de l’étude des activités rémunératrices par l’enquête. Pour les
personnes interrogées, le maraîchage représente aujourd’hui 8 % des revenus de l’activité principale ;
en revanche, 15 % des personnes le pratiquent. En somme, s’il occupe encore, aujourd’hui, une petite
partie de la société, son revenu est minimal. Nous avons construit le graphique 5, spécifique au
67
maraîchage : alors que 74 % des personnes qui le pratiquent ont un revenu inférieur à 100000 francs
CFA24 avec le maraîchage, 68 % ont une dépense totale supérieure à 200000 francs CFA25 ! Il y a là
un déficit prononcé.
Répartition des personnes interrogées pratiquant le maraîchageen fonction de la part de leurs revenus dans leur dépense totale
0 à 25 %66%
25à 50 %20%
75 à 100 %7%
Supérieure7%
Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=15)
Graphique 5
Une personne gagne, avec le maraîchage, environ 500000 francs CFA26 : elle contribue grandement
aux 8 % de la rémunération totale. Mais il s’agit là d’une culture d’hivernage, marginale puisqu’elle
s’oppose à un système où l’on cultive le riz à cette époque, contre vents et marées, comme nous le
verrons plus loin. Ajoutons que dans les quinze personnes qui pratiquent le maraîchage, trois sont
aidées par le Centre de Promotion Rurale d’Affiniam (CPRA*), ce qui leur rapporte environ 100000
24 Environ 150 euros.25 Environ 300 euros.26 Environ 750 euros.
68
Photographie n°14 : le recul du maraîchage collectif (ici à Elana) entraîne un repli sur le maraîchage traditionnel vivrier Cliché J. P.
francs CFA. Mais on verra également que cet apport soutient de manière totalement artificielle le
maraîchage sans lui permettre de se développer de manière autonome. C’est ainsi que de nombreux
blocs maraîchers sont en friche (photographie n°14) tandis que la plupart des femmes préfèrent
dorénavant, par un réflexe rationnel, cultiver leurs légumes sans les vendre. De plus en plus, le
maraîchage comme culture de rente diminue et tend à disparaître.
Répartition des personnes interrogées pratiquant la culture de l'arachideen fonction de la part de leurs revenus dans leur dépense totale
0 à 25 %45%
25à 50 %44%
50 à 75 %11%
Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=9)
Graphique 6
Nous pouvons comparer cela avec le graphique 6 qui fait la même comparaison avec
l’arachide : si quelques familles arrivent encore à générer un certain revenu grâce à cette culture, la
plupart ne gagnent presque rien. En revenant au graphique 4, on peut constater combien l’arachide a
perdu : Cultivée par 11 % de la population, elle ne génère que 6 % des revenus… Et la récolte est
bien maigre (photographie n°15).
69
Photographie n° 15 : la récolte d’arachide diminue d’année en année (cliché JP Glotin, à Affiniam).
Quant à l’arboriculture (graphique 7), quand elle donne, c’est grâce à une certaine inertie des
plantations, comme celles des manguiers ou des orangers qui peuvent durer des années.
Répartition des personnes interrogées pratiquant l'arboricultureen fonction de la part de leurs revenus dans leur dépense totale
0 à 25 %51%
25à 50 %21%
50 à 75 %14%
Supérieure14%
Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=14)
Graphique 7
La plupart du temps, cependant, les blocs maraîchers, l’arboriculture ou les autres activités
génératrices de revenus étaient gérés collectivement et sous le coup de projets de développement,
émanant des ONG, des organisations paysannes ou de grands projets. L’observation de la destinée
de ces grands projets est donc particulièrement intéressante, plus encore, probablement, que
l’enquête proprement dite.
112. La fin des grands projets
70
L’un des traits les plus représentatifs de ce recul des activités rémunératrices est la disparition
des blocs maraîchers du PIDAC*. Chaque village, pratiquement, dans le Blouf, avait été doté d’un
terrain grillagé, de puits, d’une pompe à main. Nous les avons visités à Tendouck et à Mangagoulack.
Dans les deux cas (photographies n°16 et 17), le même constat. Ces projets, financés par l’USAID*,
sont un échec patent. Le maraîchage n’y est plus pratiqué. Les pompes à main ne sont plus utilisées,
et la surface du terrain est recouverte de manguiers.
Photographies n°16 et 17 : Pompes en panne à Mangagoulack, grillages ravagés à Tendouck, planches envahies par les manguiers dans les deux cas : les projets maraîchers du PIDAC ne sont plus qu’un souvenir (clichés J.P.)
Des femmes que nous avons interrogées, nous avons obtenu ces explications : d’abord, on a
accusé les manguiers de prendre toute la surface. A une remarque faite qu’il suffisait de les couper
en-dehors des temps de culture, il nous a été répondu qu’il était plus intéressant et moins pénible,
pour ces femmes, de vendre le produit de la récolte des mangues que de pratiquer le maraîchage.
L’explication est simple : les grossistes en fruits, appelés bana-bana, viennent en camion chercher la
récolte, offrent un prix pour le verger et paient ensuite des hommes pour récolter les fruits, ce qui
n’occasionne aucune peine pour le propriétaire. Mais surtout, la désaffection progressive des femmes
en raison d’un travail trop pénible par rapport à des prix trop bas, a peu à peu vidé le terrain. Les rares
femmes qui travaillaient encore là ont donc préféré arrêter le travail et vendre les mangues.
On retrouve à peu près le même type de problème à Elana. Mais ici le généreux bailleur de
fonds est une association française, « les Amis d’Elana », qui a soutenu un projet de développement
du maraîchage en 1988 en offrant grillage et pompe manuelle, tout comme le PIDAC* l’avait fait. On
verra plus loin que ce partenariat est un pur fruit de la mondialisation. En attendant, ce qui s’est passé
à Elana relève exactement du même processus que ce qui a eu lieu dans les périmètres du PIDAC.
Seules 21 femmes pratiquent encore le maraîchage ici et elles sont toutes âgées. Mais les mangues
rapportent entre 500000 et 600000 francs CFA par saison… Cet argent va directement dans la caisse
du village. A l’intérieur du périmètre (photographie n°18), il semblerait que la nature ait repris ses
droits.
A Mlomp, quatre périmètres maraîchers étaient soutenus par Union GOPEC*. D’après son
président, le même problème d’invasion des arbres fruitiers se pose. Depuis la fin des financements, il
ne reste qu’un seul périmètre maraîcher fonctionnel, est encore cultivé, qui plus est soutenu par le
CPRA*. Ce qui montre également que le maraîchage ne peut perdurer qu’avec un soutien qui enlève
71
toute forme d’autonomie. La photographie n°19 nous montre, à Diatock, la présence d’un ancien
projet du Catholic Relief Service (CRS) datant de 2001. Dans le Blouf, on compte deux financements
du CRS* : celui-ci a coûté 18,9 millions de francs CFA27 pour 25 jeunes du GIE* Djimeraye
(motopompe, grillage, puits, local). L’autre financement a été pour Bessir (projet apicole : 7,2 millions28
pour la formation, la coordination et le matériel). Le projet de Diatock a échoué à partir du moment où
les motopompes sont tombées en panne. Il n’avait pas deux ans.
Photographies n°18 et 19 : deux types de partenariat désormais terminés. A gauche, le jardin des femmes mis en place par les Amis d’Elana, envahi de manguiers, où quelques femmes travaillent encore ; à droite, à Diatock, un périmètre du CRS à l’abandon, cultivé encore difficilement par trois personnes (clichés J. P.)
Les projets qui ont échoué sont nombreux et ne concernent pas que le maraîchage. Parmi
d’autres activités rémunératrices, la pêche a été un temps soutenue. On prendra les cas d’Elana et de
Bodé car ils sont très représentatifs. Des projets de pêche avaient été financés, à Elana par les Amis
d’Elana, à Bodé par un autre partenaire français, Teranga. Ces deux projets n’existent quasiment plus.
Du moins n’y a-t-il plus de moteurs pour les pirogues à Bodé, et les pêcheurs doivent pêcher à la
manière traditionnelle, ce qui empêche quelque peu de dégager du surplus pour le GIE de pêche. Une
maison (photographie n°20) des pêcheurs avait pourtant été construite pour y entreposer le matériel.
27 Environ 28500 euros.28 Environ 11000 euros.
72
Photographie n°20 : la case des pêcheurs de Bodé, témoin d’un ancien projet de pêche désormais abandonné (cliché J. P.)
A Elana, ce fut encore pire. La première année, en 1988, la pirogue équipée d’un moteur, entièrement
payée par les Amis d’Elana, fit une excellente pêche. Chaque pêcheur reçut une solde de 68000
francs CFA29, le reste allant dans la caisse du GIE. Mais, par la suite, on mit de moins en moins
d’argent dans la caisse, chaque pêcheur réclamant plus ; finalement, le matériel s’abîma sans qu’on
puisse le réparer et le projet tomba de lui-même. Les partenaires reprirent alors le matériel pour le
remettre à la CARITAS* de Ziguinchor. La raison : tout simplement la présence d’une population
dépassée par la concurrence, qui n’envisage donc pas de projets qui réussissent à long terme. C’est
une conséquence des programmes d’ajustement structurel30. Et, en second lieu, la présence d’une
population peu éduquée et peu au fait des problèmes de gestion, conséquence naturelle de l’exode
rural : les plus faibles restent au village. Cela sera démontré plus loin. On pourrait, pour parfaire
l’exemple, évoquer le projet apicole d’ENDA-ACAS*, mis en veilleuse aussitôt le contrat terminé.
Il existe cependant des projets de développement économique qui perdurent. Mais ils ne sont
rien moins, actuellement, qu’une forme de transfert de l’extérieur. Car il s’agit d’activités artificiellement
maintenues.
113. Attentisme et faiblesse des projets actuels
Document 4 : les projets de développement économiques financés par des partenaires extérieurs dans le Blouf
Village Partenaire Activités soutenues Résultat
29 Environ 100 euros.30 Ces programmes ont eu pour conséquence le désengagement de l’Etat et l’ouverture du Sénégal aux marchés mondiaux. Ces deux facteurs entraînent une baisse des cours des produits primaires en raison d’un manque d’encadrement et d’une concurrence accrue.
73
Tendouck Boutégol Idée Casamance Ostréiculture, savonnerie, teinture batik
Grande dépendance, faible autonomie
Thiobon Tendouck Kagnobon
Mandégane
Kagamen Savonnerie, transformation des fruits Peu de résultats mais le tout début
Diatock ARBRES Reboisement, soudure métallique, pépinièresPeu rémunérateur et
donc très assisté
Diatock ARBRES Centre de coutureGrande dépendance,
faible autonomie
Diatock Catholic Relief Services Périmètre pour l'arboriculture, les pépinièresPanne des
motopompes abandon
Diégoune Djimande Kagnobon
ONG ASPRODEB (CLCOP)
Aide à la formation en technique d'aviculture, arboriculture, apiculture…
Pas de travail sur les débouchés
Mlomp Kagnobon Affiniam Diatock Bodé
CPRA Maraîchage
Les femmes prennent plus en compte l'aide
financière que l'accompagnement
Bessir CRS Apiculture Echec
Elana Les Amis d'Elana Projet de pêche Echec complet
Elana Les Amis d'Elana Périmètre maraîcher Echec complet
Bodé Teranga (ONG française)
Projet de pêche Echec
Source : entretiens
C’est encore dans la communauté rurale de Mangagoulack que l’on trouvera le plus
d’exemples, après avoir étudié de près les réalisations des divers organismes de développement dans
tous les villages de cette communauté rurale. Le document 4, sous forme de tableau, permet de
résumer les projets de développement des activités rémunératrices, puisqu’il s’agit toujours de cela,
dans la communauté rurale de Mangagoulack. On a ainsi une idée de leur action et des problèmes qui
se posent. La plupart, comme on le voit, sont très récents : Idée Casamance n’intervient que depuis
2003 à Tendouck et Boutégol et développe des activités comme la teinture et la savonnerie qui ne
permettent pas encore de rémunérer les femmes. Le permettront-elles jamais ? On peut craindre le
contraire : après avoir rencontré les femmes aidées ainsi que les dirigeants de l’ONG à Ziguinchor, il
semble bien que les objectifs ne soient pas les mêmes. Pour les premières, seuls comptent les
fournitures pour fabriquer savons et « batik » (une forme de teinture) ; les seconds ont un objectif
environnemental, pour développer l’ostréiculture. Mais cette activité a une vocation beaucoup plus
écologique qu’économique. Pour eux, le batik et les savons ne sont qu’un pis-aller.
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Photographies n°21, 22 et 23 : L’action de l’ONG ARBRES, initiative hollandaise, à Diatock : un reboisement symbolique car infime, avec des arbres dévorés par les termites déjà, à gauche ; le centre de soudure, au centre ; la pépinière, à droite. Au total, un apport intéressant mais peu développeur car peu rémunérateur (clichés J. P.).
A Diatock, le Groupement d’Intérêt Economique (GIE*) Karonguen Karamba (« protégeons la
brousse », en Diola) fait vivre dix personnes avec un très bon salaire, mais travaille à perte : c’est
l’Ambassade de Hollande qui les paie. Ce GIE est géré de plus haut par l’Association pour le
Renouvellement des Bois et le Rétablissement de l’Ecosystème en Sénégambie (ARBRES*)31. Là
encore, l’objectif environnemental (reboisement) n’a que peu d’impact (photographie n°21), et
l’activité principale, la vente de plants d’arbres fruitiers, rapporte moins qu’elle ne coûte. On a donc un
GIE* complètement assisté malgré des activités intéressantes (photographies n°22 et 23), soudure
métallique et pépinières. A Diatock, un centre de couture a été financé par l’entremise de ce même
hollandais. La rencontre avec la maîtresse du centre de couture nous montre que depuis l’arrêt du
financement de fournitures par l’ambassade de Hollande, le projet semble tourner au ralenti
(photographie n°24).
Une autre ONG, Kagamen ou « association pour la promotion de la mère et de l’enfant »,
dirigée par une femme de Ziguinchor, Alimatou Souaré, a apporté de des financements pour les
savonneries. 5 millions ont été octroyés par le ministère de la famille32 :
- Kagnobon (4 unités) a reçu 800 litres d’huile soient 400000 francs CFA33.
- Tendouck a reçu 160000 francs CFA.
- Thiobon a reçu 104000 francs CFA.
- Mandégane a reçu 122000 francs CFA.
Photographie n°24 : à Diatock, le centre de couture est très souvent déserté, faute de l’arrêt d’un soutien financier par l’Ambassade de Hollande (cliché J. P.).
31 Source : entretien avec le bureau de ARBRES à Bignona.32 Source : entretien avec A. Souaré à Ziguinchor.33 100 francs CFA représentent 1 franc français.
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Tous ces financements sont en nature (huile). Là encore, on peut parler d’assistanat. Tout
comme dans les communautés rurales dotées d’un CLCOP* (Cadre Local de Coordination des
Organisations Paysannes), soutenu par l’ONG Asprodeb : elle soutient des projets de maraîchage,
arboriculture, aviculture, dans les communautés rurales de Diégoune et Kartiack ; mais en réalité elle
ne finance que la formation, et les GIE membres n’existent que parce que ces CLCOP existent34…
Photographie n°25 : le jardin des femmes de Bodé est remarquable pour comprendre ce qu’est un périmètre maraîcher géré en commun. A droite, la pompe solaire fournie par la FONDEM. Le périmètre est entouré d’un grillage (cliché J. P.)Nous nous arrêterons un peu plus longuement sur le cas du Centre de Promotion Rural
d’Affiniam (CPRA). En effet, depuis sa réorganisation en 1991, ce centre n’a pas cessé de travailler
auprès des femmes de nombreux périmètres maraîchers, montrant un dynamisme fort qu’on pourrait
prendre pour une exception (qui confirme la règle ?). Les photographies n°25, 26 et 27 nous
montrent trois exemples de ces périmètres maraîchers. On remarquera la présence de la pompe
solaire, financée grâce à la Fondation Energies pour le Monde (FONDEM*).
34 Nous avons placé quelques documents issus de ces ONG en annexe pour plus de renseignements, sans vouloir s’étaler,
bien évidemment, et risquer de rendre la démonstration trop chargée en exemples.
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Photographies n°26 et 27 : deux autres exemples de jardins encadrés par le CPRA : Mlomp, à gauche, et Diatock (Bémé) à gauche. On aperçoit la pompe solaire sur la photo de gauche (cliché J. P.)
Le CPRA*, installé à Affiniam, où est né l’actuel évêque de Casamance, est une antenne de la
CARITAS* de Ziguinchor. Outre son propre centre, devenu une entreprise faisant travailler des
journaliers, le CPRA encadre 13 groupements maraîchers dans le Blouf. Les cartes 12 et 13 nous
montrent à la fois l’effectif de ces groupements, leur augmentation ou diminution, et le revenu par
femme. Ces renseignements nous ont été fournis par le CPRA ainsi que puisés dans le mémoire de
DEA d’un étudiant de Dakar, Philippe Ngor Dione (2004).
Revenus de l'activité principale de la population féminine interrogée dans la communauté rurale de Mangagoulack
016%
De 1000 à 50000 CFA59%
De 51000 à 100000 CFA25%
Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=31)
Graphique 8
77
Deux remarques nous font tempérer la réussite des activités du CPRA. La première, c’est que si l’on
observe les revenus des femmes, en moyenne (graphique 8), ils sont encore inférieurs, et largement,
à l’équivalent de l’achat d’un sac de riz par mois pendant douze mois, soient 132000 francs CFA. La
seconde nous est parvenue en assistant à un séminaire tentant de remettre en question l’action du
CPRA (photographie n°28) : les femmes considèrent véritablement le CPRA comme un bailleur de
fonds et non comme un accompagnateur. Le matériel donné (puits, grillage, pompe) tombe
régulièrement en panne faute d’entretien : les femmes n’y sont pas responsabilisées. Nous avons
reproduit le rapport de ce séminaire en annexe. Enfin et surtout, on ne peut dire que les femmes
soient enthousiastes : la plupart des groupements sont en recul. Les femmes n’acceptent plus les prix
trop bas. En conséquence, l’action du CPRA ne semble pas trop changer l’idée que l’on peut se faire
des projets de développement actuels.
Photographie n°28 : Le 2 et 3 fé vrier 2005 s’est tenu à Affiniam un séminaire ayant pour objet un questionnement sur
les activités du CPRA (cliché J.P.)
Pour terminer cette exposition un peu longue, mais nécessaire à la compréhension de c déclin
des activités rémunératrices, la carte 14 nous offre une synthèse des actions de développement dans
le Blouf. On l’aura compris, de telles activités sont en grand déclin dans le Blouf, et le soutien des
ONG s’apparente vraiment à une assistance vaine. Ce n’est pas un hasard si nombre de projets ont
échoué. Car, en face de cela, un système bien mieux rodé se met en place, lié à l’extraversion de
l’économie villageoise, aux reversements d’argent depuis la ville, et à un exode rural sans cesse
accru, d’autant plus que les Activités Génératrices de Revenus sont en voie de quasi-extinction.
12. Le cercle vicieux de l’exode rural
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Nous avons plusieurs fois évoqué ce phénomène de l’exode rural qui fonctionne en
s’entretenant lui-même, nous pourrions dire même, à la manière des « systémistes », en fonction de
« boucles de rétroaction positives » : c’est ainsi que l’on exprime un système qui s’emballe, un
81
phénomène se renforçant lui-même du fait des conséquences qu’il engendre. C’est exactement
ce qui se produit dans le Blouf. L’exode entraîne l’exode pour trois raisons. D’abord, par les transferts
d’argent qui incitent à diminuer sa peine ; ensuite, par la diminution des bras qu’il provoque ; enfin, par
l’augmentation des dépenses liées à la baisse de la culture vivrière dont il est la cause principale.
121. Ampleur de l’exode et diminution des bras
Raisons invoquées de la vie au village des personnes interrogées dans la communauté rurale de Mangagoulack
S'occuper de la maison18%
Mariée à un chargé de famille19%
S'occuper des parents44%
Pas de scolarisation, toujours vécu ici
9%
Autre raison3%
Maladie3%
Retraite tranquille2%Volonté propre
1%Pas de travail
1%
Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)
Graphique 9
On a déjà pu constater, dans la première partie, l’ampleur de l’exode rural en ce qui concernait
les personnes interrogées : 78 % avaient vécu ailleurs, et on atteignait 100 % chez les jeunes. Le petit
graphique 9 permet de constater que les personnes qui restent dans les villages ne le font souvent
pas de gaieté de cœur : pour 44 % d’entre eux, c’est la nécessité de s’occuper de ses vieux parents
qui pousse à revenir vivre au village. Parfois même, c’est simplement pour s’occuper de la maison :
Document 5 : Résumé de questionnaire n°1.
Il vit à Djilapao, quartier d’Eridiang, où il est né. Ayant eu la chance de poursuivre ses études jusqu’en première, il a vécu pendant neuf ans à Ziguinchor, recueilli par son grand frère : d’abord élève, il a fini par arrêter les études. A ce moment, son grand frère et la famille lui ont intimé de revenir au village, car la famille risquait d’y perdre ses racines, il n’y avait plus personne là-bas. C’est donc pour reconstruire la maison familiale qu’il est revenu au village, avec sa femme qui est de Bandial, en 1984. Il a trois enfants. Sa femme et ses enfants vivent à Ziguinchor car il est difficile de se procurer de l’argent à Djilapao : elle gère un télécentre familial et s’occupe de leurs enfants, dont l’un est au collège, l’autre en primaire et le dernier au jardin d’enfants. Il vit seul à Djilapao ; 6 personnes reviennent à chaque hivernage, c’est-à-dire sa femme, ses enfants et deux autres membres de la famille, élèves. Sa femme a commencé le télécentre cette année, elle devrait revenir à l’hivernage avec de l’argent. Quatre autres membres appartiennent à la maison mais ne reviennent plus : l’un d’entre eux travaille à l’ambassade du Cameroun, à Dakar, et lui envoie environ 20000 francs par an. On compte encore un militaire, un apprenti maçon et un candidat libre au bac. Il cultive seul son riz mais cela lui suffit amplement pour l’année. Ses dépenses sont faibles et la pêche qu’il pratique lui rapporte assez pour les prendre en charge. Il va très régulièrement à Ziguinchor et place tout l’espoir de son avenir dans la réussite de ses enfants. Il représente le parfait exemple de celui qui reste au village pour garder une maison familiale.
83
des pressions de la famille, des chefs de la famille qui sont à l’extérieur poussent à reprendre, voire
reconstruire les maisons comme l’indique le résumé de questionnaire n°1 (document 5). La plupart
nous ont dit également que c’était suite à leur échec en ville qu’ils étaient revenus s’occuper de la
maison. Cela nous amène à une autre réalité, plus grave : il semble bien que dans la plupart des
maisons, les vieux parents habitent avec un seul
Document 6 : résumé de questionnaire n°2
Il réside à Tendouck, dans le quartier de Djirkitang. Marié, il a 7 enfants ; il est le seul de sa famille à être resté au village, avec sa vieille mère dont il faut s’occuper. Il a toutefois recueilli quatre enfants de ses frères, qui vont au collège de Tendouck et pour lesquels ses frères lui envoient de l’argent ; leur entretien coûte moins cher. Il accueille également deux autres enfants qui vont au collège. Au total, ils sont au nombre de 14 dans la maison. Lui n’a jamais vécu ailleurs : il a stoppé ses études en CE2. Il lui a fallu rester toujours à la maison lorsque son père est mort. Agé de 50 ans, il est seul à subvenir aux besoins de la famille, en pratiquant la pêche. Heureusement pour lui, il reçoit un peu d’aide de ses frères et sœurs. Ceux-là sont tous exilés. Parmi ses frères, un est en Gambie, un est à Dakar ; deux sont en Espagne et un autre est en Italie. Dans ses sœurs, au nombre de quatre, l’une est au Cap Skirring, les trois autres sont en Gambie. Ce sont principalement ceux qui se trouvent en Europe qui lui envoient de l’argent. Du fait du manque de bras et de la salinisation des terres, il lui est impossible d’avoir du riz toute l’année ; il en consomme uniquement pendant un mois, voire moins. Cela l’oblige à acheter, par mois, un sac de riz. Il estime avoir le droit, en tant que garant de la famille au village, à un peu plus d’argent de la part de ses frères et sœurs, car pour lui il est difficile de nourrir autant de monde.
de leur fils, tous les autres se trouvant en ville : ainsi l’atteste le résumé de questionnaire n°2
(document 6). On pousse plus loin l’analyse avec la carte 15, assez représentative de l’ampleur de
ces migrations puisque d’une part, elle nous donne le ratio, pour chaque famille interrogée, entre
personnes à l’extérieur et personnes dans la maison. On constate donc que, partout, les migrations
tendent à prendre un tour assez catastrophique : à Djilapao par exemple, on ne voit que peu
d’enfants… Ils sont tous en ville, chez un tuteur. Et la carte 16 nous montre, pour chaque village, le
nombre total de ressortissants à Ziguinchor et à Dakar, estimé d’après les présidents des associations
de ressortissants des villages. C’est édifiant : L’ensemble de la population « exodée » avoisine le
chiffre de la population donné par le recensement de 1988. Mais d’après Bassirou sambou, il faut
diviser cette population par trois en saison sèche… Malgré la difficulté d’obtenir des chiffres fiables, on
a ici une idée assez intéressante de l’ampleur de l’exode. C’est pourquoi nous prenons ces chiffres,
très significatifs, avec des pincettes tout de même.
Dans l’ensemble, cette enquête est vraiment représentative de l’état d’esprit des villageois : en
somme, la vie au village leur est pénible, vécue comme un échec. Comment, en ce cas, ne pas avoir
une attitude résignée et attentiste par rapport à l’extérieur ? En revanche, un élément est nouveau : le
graphique 10 nous montre que les anciens sont là pour leur retraite majoritairement et aiment la vie
au village. Et parmi ceux-ci, on sait que un peu plus de 20 %, soient près du quart, ont vécu ailleurs.
C’est-à-dire qu’on peut considérer que la vie au village est vécue pour les uns comme une contrainte,
pour les autres comme un retour au bercail ; dans tous les cas, on pourra parler, avec beaucoup de
précautions, d’une certaine forme de « villégiature » au village, perçu comme le lieu rêvé, le lieu où
l’on souhaite vivre. C’est encore plus net avec les entretiens auprès des ressortissants. Et c’est
accentué par cet état de faits : l’exode entraîne un manque de bras. La riziculture, comme les activités
rémunératrices, est en diminution. C’est une conséquence logique. Mais l’exode entraîne aussi un
apport de ressources extérieures. Ce qui renforce l’idée d’une fonction de « réserve » du village : on y
est pour garder les terres de la famille, rarement par volonté d’y rester…
84
122. L’importance des transferts d’argent
Cela fait un certain temps qu’il est d’usage, pour un fils parti à la ville, de reverser à ses parents
un peu d’argent tous les ans ou tous les mois, en une quantité qui dépend du travail effectué et, bien
entendu, de la volonté de l’émigré. C’est un fait assez répandu dans les pays d’Afrique, du reste, et
certainement aussi très répandu au Sénégal : Olivier Flament, coordinateur régional du Programme
Alimentaire Mondial (PAM), rencontré à Ziguinchor, nous a montré que dans le nord du pays les
populations vivaient très bien en raison même de l’importance de ces transferts. Il n’empêche que
dans le Blouf, ces transferts atteignent un taux critique dans le revenu des ménages (graphique 11).
87
Part des personnes interrogées recevant de l'argent de leur famille
037%
26 - 500008%
51-10000014%
101 - 15000013%
151 - 30000010%
300000 - 1 million6%
Plus de 1 million2%
1 - 2500010%
Les données sont exprimées en FCFA (1 euro = 655,957 FCFAou 100 FCFA = 1 FF)
Conception et réalisation : J. Parnaudeau - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)
Graphique 11
88
Déjà en 1987, selon D. Avenier-Sharman, les migrations comptent pour 20 % du revenu monétaire
total et touchent 60 % des ménages dans le village de Diatock. La carte 17 nous montre, toujours
d’après enquête, d’une part le revenu moyen transféré par famille, d’autre part le pourcentage de ce
revenu dans le revenu total des ménages. Partout ou presque, celui-ci est devenu essentiel. On peut
encore observer le graphique 12 qui nous montre le pourcentage des revenus transférés dans les
revenus totaux, en pourcentage des personnes interrogées. Le constat est le même. Deux raisons,
encore, à cet état de faits qui n’atteignait pas ce seuil dans les années 1980 : d’abord, le recul des
activités rémunératrices ; ensuite, et bien entendu ces deux raisons sont intimement liées,
l’augmentation de l’exode.
Mais les transferts d’argent ne sont pas les seules formes d’aide des ressortissants à leurs
villages. Beaucoup font des dons en nature ; quand on peut les évaluer en argent, nous l’avons fait
(pour le riz par exemple) ; quand cela n’est pas possible, nous l’avons indiqué. C’est ainsi que l’on
trouve de plus en plus de maisons cimentées (photographie n°29), avec l’aide de ressortissants, le
plus souvent ceux qui sont en Europe. Ces transferts depuis l’Europe sont significatifs dans le Blouf :
c’est ce que montrent les résumés de questionnaire 3 et 4 (documents 7 et 8). Dans certains
villages, comme Affiniam, qui possèdent en raison de la configuration du terrain encore beaucoup de
90
rizières, les ressortissants peuvent payer la culture du riz par une association de travail. Parfois
encore, les personnes interrogées connaissent l’existence d’un transfert de revenus, à leur père ou
leur mère, mais en ignorent le montant. En effet, si les enfants s’occupent souvent de leurs parents,
ceux-ci restent les maîtres. Il en est qui envoient aux fils, d’autres aux parents. Enfin, comme l’exprime
le résumé de questionnaire 5 (document 9), une partie de la population travaille à l’extérieur, pas
assez pour échapper aux critères de l’enquête mais suffisamment pour que cela soit significatif : ils ne
sont que 4 % mais réalisent près de 9 % de la rémunération totale des villages, soient plus que le
maraîchage ! Et c’est aussi une forme de transfert d’argent depuis l’extérieur.
Photographie n°29 : la multiplication des maisons cimentées dans les villages s’exprime ici à Affiniam (cliché J. P.)
Document 7 : résumé de questionnaire n°3
Il occupe la maison familiale à Elana, dans le quartier de Kagout, juste au bord des rizières. A 36 ans, il est célibataire ; on ne trouve que trois personnes dans sa maison, dont sa mère qui est âgée. Auparavant, on trouvait en plus trois enfants qui allaient à l’école privée catholique. Mais celle-ci a fermé et ils sont partis à Ziguinchor. Il est allé jusqu’en quatrième secondaire, logé chez un instituteur d’Affiniam, ami de la famille, à Ziguinchor. Revenu au village pour cause d’échec scolaire, il a participé au projet de pêche des Amis d’Elana, avant que celui-ci ne périclite et que lui-même ne tombe malade. Il a ensuite passé deux ans et demi chez un guérisseur à Badiana, dans le Fogny, avant de revenir, guéri, s’occuper de sa vieille mère. Il voit revenir 7 membres de la famille à l’hivernage, dont un enseignant vacataire, son frère, à Sedhiou, qui envoie de l’argent à leur mère. Un autre de ses frères est à l’Université de Dakar, il rêve de partir en Europe. D’autant que deux de ses sœurs sont en Italie : elles s’arrangent, à deux, pour faire vivre la famille. D’abord, elles paient une location pour leur frère qui est à l’Université ; ensuite, quand elles viennent à Dakar, elles donnent à ce frère de l’argent pour la maman. Par an, le total de ce qu’elles reversent se monte à 450000 francs CFA, soit environ 600 euros, ce qui est plus qu’il n’en faut pour faire vivre une famille pendant toute une année. Cette somme dépasse largement tout ce qu’il peut gagner en une année, entre la culture d’arachide, le verger de son père et la pêche. Et c’est heureux, car il doit dépenser beaucoup d’argent pour acheter du riz. Beaucoup de choses sont également prises en charge par son frère qui est enseignant à Sedhiou. Sans projet pour le moment, il envisage sereinement la vie au village. Avoir une partie de la famille en Europe permet de voir venir.
Document 8 : résumé de questionnaire n°4
Il coule une retraite heureuse à Affiniam, dans le quartier un peu excentré de Djiloguir. Il est en réalité de Diagobel, de l’autre côté du barrage. Marié, il a deux femmes, mais ils ne sont que 5 dans sa maison. Son parcours est passionnant. Avec en
91
poche le certificat d’études primaires seulement, passé en 1955, il est monté en Mauritanie, jusqu’à Nouadhibou, attiré par l’offre de travail dans les mines de fer. Il a travaillé pendant cinq ans là-bas avant d’effectuer la longue remontée par le désert, jusqu’en France, où il a vécu et travaillé pendant 32 ans comme ouvrier chez Air Liquide. Revenu au village au moment de la retraite, il a construit à Affiniam, lieu de naissance de ses épouses. Il a cinq enfants ; il a réussi à tous les faire vivre en France et à leur faire réussir leurs études. L’un est cadre à Roissy en France, un autre est électricien, l’une de ses filles est hôtesse de l’air et lui envoie chaque année un billet charter qui coûte 10 % du prix réel. Doté d’une retraite française, il ne réclame pas d’argent à ses fils, puisqu’il est déjà extrêmement riche par rapport aux autres villageois. Il a tout de même voulu vivre sans excès, ses seuls projets étant l’installation d’un panneau solaire et la construction d’une maison à Ziguinchor. Il compte désormais sur ses enfants pour réussir comme il a réussi malgré de nombreuses difficultés. Cet exemple est très révélateur de la dynamique des peuples Diola dans l’exode rural, exode qui a commencé dès la décolonisation.
92
Document 9 : résumé de questionnaire n°5
Il habite dans le quartier catholique de Badjimeul, un des quartiers centraux d’Affiniam. Nous l’avons trouvé en train de cimenter la cuisine ; il réalise actuellement de nombreux travaux dans la maison. Ses revenus sont liés à sa présence à Dakar pendant une partie de l’année, où il est conducteur d’engins. Il gagne environ 120000 francs CFA (environ 180 euros) par saison. Il a trouvé ce travail après avoir vécu à Dakar, chez sa grande sœur, où il a effectué un apprentissage. Il était très difficile de gagner vraiment sa vie au village, il l’a vite compris. Aussi, malgré une récolte intensive du vin de palme, continue-t-il a faire trois à quatre mois par an à Dakar. Heureusement pour lui, il arrive à cultiver son riz pour toute l’année ; il faut dire qu’à Badjimeul, l’entraide est très importante à ce niveau. De plus, sa sœur à Dakar occupe un bon poste puisqu’elle travaille dans un laboratoire informatique. Elle lui envoie pratiquement 50000 francs CFA (75 euros) tous les mois. Elle a ainsi contribué à la cimentation de la maison et à de nombreux frais pour l’améliorer. Il récupère aussi de l’argent grâce à une vieille plantation familiale. Bien que cet homme envisage sa vie uniquement au village, on peut dire que l’économie familiale est très extravertie, au point qu’il doive aller chercher l’argent en travaillant à Dakar une partie de l’année.
On peut terminer par la dernière forme d’aide aux familles, qui s’exprime par le tutorat. Un
homme installé à Dakar peut recevoir de sa famille nombre d’élèves. Pour ceux qui ont du mal à
trouver un emploi, il peut même, et cela arrive souvent, par le biais de ses relations, obtenir un poste
pour eux. Un exemple concret nous est donné par un homme de Boutégol qui vit à Ziguinchor : grâce
à une audience avec le gouverneur, il a permis à deux de ses neveux d’entrer à la SONACOS. Nous
ne nous attarderons pas sur cette pratique, trop difficile à mesurer. Elle est courante. Tous les
ressortissants y ont fait allusion.
Il y a dès lors des raisons de penser que ce système va à l’encontre de toute tentative de
développement endogène.
123. Un système nuisible au développement local
Au vu de ce qui a déjà été démontré, il n’est guère difficile de montrer les faiblesses d’un
système fondé sur l’extraversion des ressources humaines et l’origine extérieure des ressources
monétaires. Nous avons tenu, cependant, à l’exprimer de manière plus claire sous forme d’un
organigramme (document 10) qui montre les mécanismes de l’exode, du transfert d’argent et de la
diminution des pratiques agricoles. Nous n’avons pas trouvé, sur place, de structure qui soit en
mesure d’offrir une autre perspective aux villageois. Et, à la réflexion, ceux-ci sont conscients de la
désaffection actuelle pour le développement endogène, mais pas aussi pessimistes que nous
pourrions le croire. Le graphique 13 nous montre que 45 % des personnes envisagent l’avenir avec
sérénité. C’est ce qui peut donner à penser que nous sommes déjà entrés dans un nouveau système,
puisque femmes et hommes croient en l’avenir et ne remettent pas en cause ce système ; beaucoup
stigmatisent l’exode rural, certes, mais beaucoup accusent en premier lieu les changements
climatiques. A la réflexion, il manquait peut-être une question, dans le questionnaire donné en
annexe, sur les raisons principales des problèmes des villages. Mais il est à peu près certain qu’on
aurait placé le manque d’eau en première ligne. Comme si la Casamance, malgré une plus grande
sécheresse, avérée évidemment, était aussi sèche que certaines régions du Sénégal qui s’en sortent
mieux au niveau agricole… En réalité, nous sommes à peu près persuadés que les populations sont
assez heureuses d’un nouveau système qui, finalement, leur apporte plus de ressources et un confort
à l’occidentale. Voilà pourquoi les problèmes liés à la mondialisation sont-ils si peu abordés…
93
Cette prospérité qui semble revenir dans les villages (graphique 13) est donc un témoin du
changement de système. Prospérité d’autant renforcée qu’elle accroît le pouvoir d’achat des ménages
et donc le développement d’activités économiques de marché local. Il est temps d’analyser, en effet,
les activités rémunératrices qui perdurent, car elles existent, en montrant pourquoi leur
développement s’inscrit toujours dans la même logique.
94
Avis des personnes interrogées sur leur avenir au village dans la communauté rurale de Mangagoulack
Bon avenir45%
Espoir sur réussite des enfants12%
Inquiétude15%
Main de Dieu13%
Pas d'avis10%
Avenir en ville4%
Pas de réponse1%
Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)
Graphique 13
13. Des secteurs qui perdurent, soutenus par la monétarisation
Il existe finalement des activités économiques qui se pérennisent dans les villages, malgré une
conjoncture peu favorable, soit qu’ils résistent à cet état de faits, soit même qu’ils se développent et
sont en croissance. Il nous faut les considérer comme une faille dans l’ordonnancement du système
avant de montrer que, finalement, ils font partie intégrante de celui-ci, du fait de spécificités qui ne
font finalement qu’en renforcer la logique. En fin de compte, ces activités économiques ne semblent
pas affectées ; en réalité, elles changent de nature.
131. La pêche puise ses racines dans les transferts d’argent
95
Photographie n°30 : la pêche se développe mais les moyens manquent. Ici à Mangagoulack (cliché J.P.)
En reprenant le graphique 5, on se rend compte que la pêche est le premier secteur
d’activités dans les villages. S’il n’a pas encore été question de cela pour le moment, c’est tout
simplement parce qu’il s’agit d’une activité en pleine expansion actuellement. Elle représente en effet
23 % de la population interrogée et 36 % de la richesse créée : autant dire que c’est un secteur lucratif
pour celui qui accepte d’y aller le plus souvent possible, avec des moyens rudimentaires
(photographie n°30). La carte 18 nous montre la répartition de la pêche dans les villages : les plus
favorisés sont ceux qui sont les plus au bord du bolong, essentiellement Djilapao, Elana et Bodé ; ils
compensent ainsi, pour les deux derniers, un recul rapide des rizières, lié justement à la présence de
ce bolong. En fait, la pêche ne concerne que les hommes : c’est donc finalement un tiers (33 %) de la
population potentiellement amenée à pratiquer ce métier, et la moitié, 17 % environ, si l’on considère
une population normale où les femmes représenteraient la moitié de l’échantillon. La pêche semble
donc bien, aujourd’hui, l’exutoire majoritaire des hommes contraints de demeurer au village.
On peut s’interroger dès lors sur les raisons d’un fort engouement pour les populations pour la
pêche, la communauté rurale étant Diola à 95 %35, et que, selon P. Pélissier (1966), les Diola font de
médiocres pêcheurs et ne font que ramasser ou piéger les produits halieutiques. La navigation leur est
peu connue, mais ils savent profiter des marées pour canaliser les poissons dans des pièges. Les
anciennes ou futures rizières profondes sont parfois transformées en viviers par les femmes ; on les
vide à la fin de la saison des pluies. Mais les Diola achètent souvent leur poisson en riz aux Niominka.
Il semblerait donc qu’à l’heure actuelle, la pêche au filet ait été adoptée par les Diola. C’est M.-C.
Cormier-Salem (1992) qui a montré l’explosion de cette pratique en Basse-Casamance. L’entretien et
les discussions informelles autour des questionnaires, souvent aussi intéressantes que les
questionnaires eux-mêmes, ont montré que certains se rendaient en pirogue dans les îles de
l’estuaire, où des campements existent, et qu’ils passaient plusieurs mois à pêcher dans ces lieux,
séchant le poisson, le consommant et le revendant à des femmes qui en font le commerce. Un
homme peut gagner raisonnablement de 50 à 75000 francs avec une telle campagne.
En fait, il faut considérer les conséquences de l’exode rural ainsi que celles des transferts
d’argent. L’exode prive en effet les populations, non seulement de bras en nombre suffisant pour
générer des revenus sur place, mais également de tout ce qui pouvait représenter des ressources
vivrières : les anciens ont souvent trop peu de force pour pêcher, et les jeunes absents ne peuvent
plus le faire pour eux. Parallèlement – on est toujours dans une sorte de cercle vicieux – les transferts
d’argent augmentent ; de sorte que la pêche, en général, est une autre forme d’appui des
ressortissants : ce sont eux, finalement, qui stimulent cette activité... Par ailleurs, au vu de l’échec des
divers projets de pêche, il semblerait qu’elle n’a que peu d’avenir ; satisfaisant une demande locale,
elle n’a pas d’autre ambition en raison même de la concurrence.
35 Source : enquêtes 2005 (n=100)
96
132. La monétarisation de la construction et des cultures
Photographie n°31 : malgré des techniques qui restent rudimentaires, la construction est de plus en plus monétarisée.
Ici à Tendouck (cliché J. P.)
Un autre secteur est extrêmement représentatif en tant qu’activité de plus en plus lucrative et
soutenue par le système de transfert d’argent : il s’agit de la construction. Il faut ici s’arrêter un peu sur
les techniques de construction pour comprendre la nécessité grandissante de faire appel à une main-
d’œuvre payée. La photographie n°31 nous montre comment on monte les murs, cinquante
centimètres par jour que l’on laisse sécher. Cela nécessite peu de compétences mais beaucoup de
monde ; il faut creuser la terre, y mouiller le « banco », l’argile, en faire des boules, les transporter, les
tasser… Or, une fois encore, l’exode rural empêche parfois qu’il y ait un nombre suffisant de
personnes pour cela. Les plafonds en revanche nécessitent plus de technique, ce sont des artisans
spécialisés qui les réalisent en bois de rônier et de palétuvier (photographie n°32). De même pour la
charpente. Mais ces « spécialistes » ne sont en plus grand nombre que parce que le nombre de
constructions augmentent : de plus en plus de ressortissants font construire au village, conscients
qu’avec un tel système, ils vont pouvoir aisément y passer leur retraite. Et « l’embellissement » de
beaucoup de maisons que l’on recouvre de ciment, encore faible mais en forte augmentation, et déjà
très importante à Tendouck, entraîne également du travail pour d’anciens maçons qui ne trouvaient
plus de travail en ville. En somme, encore une fois, ce sont les ressortissants qui font progresser cette
activité… Activité qui tout de même représente, selon les enquêtes, environ 5 % des travailleurs et 3,5
% des revenus. Autant dire que l’on n’est pas encore dans une activité extrêmement lucrative ;
cependant, elle sera amenée, d’après des prévisions que l’on peut d’ores et déjà effectuer à la lumière
de ce système en fin de gestation, à se développer fortement. En effet, ce sont les ressortissants qui
le plus souvent financent ces réalisations.
98
Il faut retenir de cette analyse que, si les transferts d’argent de l’extérieur sont de plus en plus
importants, les revenus sur place induits par la mise en place de ce nouveau système le sont tout
autant. On peut prendre l’exemple simple de la rémunération de l’activité principale : entre la pêche, le
travail à l’extérieur une partie de l’année, la construction, la retraite et les emplois créés par une ONG
ou un GIE*, on atteint 55,87 % des revenus ! Vu sous cet angle, il semble donc bien que le système
s’est déjà mis en place et fonctionne bien…
Photographie n°32 : la construction des plafonds, comme celui-ci à Boutoeum, est de plus en plus payée et non
réalisée en solidarité (cliché J. P.)
Comme on le voit, la plupart de ce qui, auparavant, était réalisé sans vente ou achat, par le
simple biais de services rendus, est de plus en plus monétarisé du fait des influences extérieures.
Celles-ci sont le résultat d’une conjonction de plus en plus étroites entre le village et sa projection
urbaine. La culture du riz dans les villages où la salinisation n’a pas fait son œuvre, est de plus en plus
réalisée par des associations de travail payées pour cela, souvent des jeunes urbains revenant pour
l’hivernage.
Il nous reste à faire mention de certaines activités qui perdurent malgré tout, que l’on aurait
tendance à qualifier de résiduelles mais que l’on se doit de considérer en raison de l’existence d’un
certain dynamisme malgré tout.
133. Les autres revenus se fondent sur un capital déjà en place
La principale de ces activités est l’arboriculture : elle représente tout de même presque 11 %
des revenus et 14 % de la population. Le mieux est que dans la part des personnes interrogées qui
nous déclare avoir un projet d’avenir, soit les 42 % de la population, 28,6 % nous parlent d’une
plantation (graphique 14). Nous sommes loin de l’image de désaffection du maraîchage. Et les
99
plantations peuvent rapporter gros : certains récoltent 200000 à 300000 francs CFA36 par an, ce qui
peut représenter la moyenne de la dépense annuelle d’une famille. La réalité semble assez simple à
comprendre pourtant : il s’agit là d’une activité qui ne nécessite pas de soin particulier à partir du
moment où les plants ont poussé suffisamment pour être à l’abri des attaques du bétail. Nous avons
souvent rencontré de vieux manguiers qui donnent des fruits à ne savoir qu’en faire, « en pagaille »
pour reprendre une expression sénégalaise. Il semblerait, en fin de compte, que ces plantations de
manguiers et d’orangers aient été créés au temps des projets d’arboriculture et de maraîchage des
années 1980. Ils ont connu les mêmes problèmes d’écoulement que le maraîchage, mais absolument
pas la même destinée : leur inertie les a fait se perpétuer jusqu’à nos jours, traverser la crise sans
encombre : ils ne nécessitaient pas d’entretien. Les bana-bana ont sauté sur l’occasion en rachetant
les productions aux prix les plus bas possibles, profitant du système. Encore une conséquence de la
mondialisation, puisque le désengagement de l’Etat interdit toute forme de collecte étatique… Et les
commerçants achètent ainsi le verger à 50 francs le kilo, à Boutégol, avant d’aller le revendre à Dakar
à 300 francs le kilo d’après les entretiens… Pour beaucoup, donc, ce qu’ils nomment leur « activité
principale » consiste à regarder pousser les fruits et traiter avec les bana-bana… On comprend donc
pourquoi cette source de revenus perdure. Quant à ceux qui ont le projet de plantation, c’est
finalement l’exemple d’un capital à constituer qui les intéresse. Beaucoup donc investissent en
clôturant des parcelles de brousse pour constituer des pépinières (photographie n°33) avant de
planter dans un champ citronniers, orangers, pamplemoussiers, mandariniers, anacardiers…
Part de chaque secteur dans les projets d'avenir des personnes interrogées dans la Communauté rurale de Mangagoulack
Commerce8%
Autres8%
Pêche, équipement8%
Arboriculture12%
Pas de projets58%
Investir dans le confort4%
Vie en ville1%
Maraîchage1%
Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)
36 229 à 305 euros
100
Graphique 14
Plus largement, on peut considérer que les activités ayant encore de l’intérêt pour les résidents
sont celles où il suffit de se baisser pour avoir quelque chose à vendre. Par exemple, dans la
catégorie « autres », où sont classées les activités qui ne concernent qu’une ou deux personnes, on
trouvera, en vrac, la récolte des fruits sauvages dans la forêt, la récolte du vin de palme, du bois de
chauffe… Cette idée renforce l’idée que le village a une fonction de « lieu de ressourcement », « lieu
inutile » – on a encore pensé au terme d’ « arrière-garde », qui exprime à la fois la traîne au niveau du
dynamisme économique et la réserve de bien-être conservée au profit des ressortissants. Ajoutons
que nombre de ces « autres » activités sont encore induites par la monétarisation, comme la récolte
du bois de chauffe ou encore le commerce (à part, dans le graphique 4).
Photographie n°33 : Les pépinières en pleine brousse se multiplient, comme celle de Bassirou Sambou à
Mangagoulack (cliché J. P.)
L’essentiel est là, à la lumière de l’étude des processus à l’œuvre dans le village. Nous avons
évoqué dans cette partie, en effet, les éléments qui corroboraient le passage d’un système à un autre.
Mais il nous faut à présent nous attarder sur les éléments qui font de ce nouveau système quelque
chose d’organisé, avec une logique visant à son auto-reproduction. Et c’est autour des associations
de ressortissants et des nouveaux programmes de développement que nous allons trouver les
réponses apportées au besoin des villageois de faire perdurer ce système qui, comme nous avons pu
le constater, est plutôt accueilli favorablement. Et pour cause : il apporte dans les villages le confort
matériel, que depuis la colonisation l’on s’acharne à promouvoir, afin de renforcer la volonté des
habitants de se procurer encore et encore des devises.
101
2. Associations de ressortissants et organismes internationaux
Dans l’optique de ce nouveau système, nous avons vu que les « ressortissants » occupaient
une place grandissante, d’abord par leur nombre, de plus en plus élevé, ensuite par les soutiens de
tous ordres qu’ils apportaient à leur famille : argent, stimulation de l’économie, construction ou
dépenses de tous ordres, tutorat des enfants en ville. Mais il semble logique, également, que les
actions, non plus individuelles, mais collectives, des « associations de ressortissants » existant pour
chaque village dans les villes, se développent, non plus vers les familles, mais vers les villages eux-
mêmes. C’est-à-dire que, de plus en plus, ces associations se battent pour que des projets soient
réalisés dans leurs villages. Et ces projets sont de plus en plus nombreux pour deux raisons encore,
leur nombre grandissant et leur intérêt de plus en plus important dans le cadre d’un nouveau système.
Ce n’est pas un hasard si les réalisations des ressortissants visent avant tout à l’auto-reproduction.
Les nouveaux programmes de développement, fondés à la fois sur la mondialisation mais aussi sur le
retour à la paix, s’inspirent aussi, comme nous allons le voir, de cette logique.
21. La puissance des associations de ressortissants
Nous prenons en exemple le résumé du rapport de congrès créant, en 2001, « l’Association de
Développement d’Affiniam »37. Il est en effet extrêmement révélateur de l’évolution de l’organisation au
sein des village : à partir des années 2000, les ressortissants de Dakar prennent les rênes des
traditionnelles associations de village, qui réunissaient les sections de ressortissants et du village. Ce
congrès a eu lieu à la demande même de ces ressortissants, inquiets pour l’avenir du village. Nous
n’avons pu le récupérer malheureusement que dans le village, et donc n’en avons pas de copie ; nous
avons toutefois pu le consulter. Quelques savoureuses phrases donnent le ton dès l’avant-propos : il
s’agit pour le village de « sortir du sous-développement », de « le faire entrer dans l’ère du troisième
millénaire, de la civilisation universelle, des nouvelles technologies, de l’internet, de la
mondialisation ». Quelle plus belle illustration de la pertinence du sujet ?
211. Une organisation moderne pour un système moderne
Les ressortissants sont en général organisés en association, soit qu’elle représente une des
sections de l’association visant au développement du village, soit qu’elle soit une association
indépendante des autres associations de ressortissants. Ainsi, Boutégol possède une grande
association nommée « Rassemblement des Associations de Boutégol » (RAB*) tandis que la section
de Dakar se nomme « Association des Ressortissants de Boutégol à Dakar » (ARB* Dakar). Dans les
deux cas, et depuis quelques années, en général depuis les années 2000, les ressortissants ont pris
en main le destin des associations villageoises. Le secrétaire général de l’Association de
37 Rapport du Congrès créant l’Association de Développement d’Affiniam, 13 et 14 août 2001.
102
Développement de Boutœum, à Ziguinchor, nous a déclaré que le centre de gravité de cette
association villageoise, qui existait de toute éternité, était progressivement passé à Ziguinchor puis à
Dakar. Ce qui explique une organisation de plus en plus poussée (document 11 : organigramme de
l’association Honnoro de Tendouck) portée par l’élite Diola du Blouf : des fonctionnaires pour la
plupart, des ingénieurs… Certaines associations sont ainsi extrêmement bien structurées. A
Boutœum, l’organisation est excellente en raison du nombre de cadres issus du village, catholique à
100 % (est-ce un hasard ?). Le Congrès, instance toute-puissante, élit le chef du village, l’Assemblée
Générale et le Comité Directeur. Le Comité Directeur élit le bureau et les Commissions (comité de
santé, Association des Parents d’Elèves sont des commissions). Le tout est bien huilé. Toute section,
génération d’initiation, catégorie professionnelle et groupements ou associations diverses sont
représentées dans ce Comité Directeur, le bureau et chaque commission. Ces commissions sont de
véritables directoires, des ministères. Mais rien ne se fait sans l’accord du Congrès qui alloue des
budgets. Cela marche à merveille, et on leur envie ce système dans les autres villages. Chaque
commission a un plan d’action et un cahier des charges qui sont arrêtés et discutés lors des
Assemblées Générales du Congrès. Le système fonctionne depuis longtemps mais a pris sa forme
moderne depuis un temps récent. En 1972, un grand réaménagement s’est fait au niveau des jeunes.
L’Union Socioéconomique de Boutoeum est créée à ce moment. En 1982, c’est l’Association pour la
Rénovation de Boutoeum, devenue en 1998 ADEB*38.
38 Source : entretien avec le secrétaire général de l’ADEB à Ziguinchor.
103
On a déjà évoqué le cas d’Affiniam, dont le rapport, assez volumineux, dans son ensemble,
stigmatise la gestion villageoise des ressources, tandis que « parfois, c’est avec étonnement que les
gens [du village] apprennent la réalisation de telle infrastructure (…). Pourtant, il existe, tout de même,
des gens consciencieux qui se battent dans l’ombre, dans l’anonymat absolu, sans faire de bruit (…),
pour faire avancer Affiniam »39.
L’impossibilité de s’attarder sur cette organisation des ressortissants est dommage, les
exemples ne manquant pas. Nous avons tenu cependant à restituer sur un tableau (document 12)
l’organisation des associations de ressortissants et à mettre en avant le caractère récent de leur
modernisme. Car c’est bien le trait essentiel de cette démonstration : les ressortissants, en prenant en
main les destinées villageoises, soumettent son avenir à une vision ambitieuse : les Dakarois
d’Affiniam veulent faire du village la capitale du Blouf, un carrefour économique et un village
touristique… On trouvera en annexe quelques documents illustrant des exemples de ce type.
Document 12 : l’organisation des « villages multi-locaux » dans la Communauté rurale de Mangagoulack
Village Structure centraleAssociations de ressortissants
Autres associations dans le village
Date de modernisation
Congrès
Tendouck Association Honnoro Simples sections Simples commissions 1995 Annuel
BoutégolRassemblement des
Associations de Boutégol Simples sections Simples commissions 1979 Annuel
Mangagoulack Association du village Indépendantes Simples commissions 1994 Annuel
DiatockFoyer des Jeunes et de la
Culture de DiatockSimples sections Simples commissions 2002 Annuel
Elana Association Socio-Culturelle d'Elana
Indépendantes Simples commissions Pas de modernisation
Annuel
Bodé Association du village Indépendantes Indépendantes 1995 Annuel
BoutoeumAssociation pour le Développement de
BoutoeumSimples sections Simples commissions 1998 Tous les 3 ans
Djilapao Association du village Indépendantes Indépendantes 2000 Annuel
AffiniamAssociation pour le
Développement d'AffiniamSimples sections Simples commissions 2001 Tous les 3 ans
Sources : entretiens avec les ressortissants à Ziguinchor et Dakar – février-mars 2005
212. Collecte de fonds et collecte de relations
A la base organisées pour permettre une certaine solidarité entre ressortissants d’un même village,
notamment en cas de décès ou de maladie, les associations de ressortissants en sont donc venues à
l’apport de projets au sein même du village. Les moyens de parvenir à les financer ne manquent pas.
D’abord, c’est la collecte de fonds. Ayant réussi à rencontrer tous les représentants des associations
de ressortissants à Ziguinchor et à Dakar, nous avons pu dresser la carte 19 qui montre l’argent
récolté en moyenne chaque année par les différentes sections, en fonction des
39 Rapport du Congrès créant l’Association de Développement d’Affiniam, 13 et 14 août 2001.
105
villages. On voit que les recettes issues des ressortissants sont importantes, largement supérieures à
ce qui est récolté dans le village. Mais il faut distinguer plusieurs types de recettes : celles qui entrent
dans la caisse des ressortissants, celles qui vont directement dans la caisse du village (ce sont ces
deux premières que l’on a cartographiées) et les recettes exceptionnelles, destinées à un projet
précis. En réalité, peu d’argent entre directement dans la caisse du village. En revanche, les
ressortissants collectent eux-mêmes de l’argent et l’envoient au village en cas de projet précis. Ils
gardent donc la haute main sur ces projets. Dans ce cas, les manières de gagner de l’argent sont
assez simples : la mise en place de cotisations ou l’organisation d’événements. Le document 13
nous montre de manière assez simple, sur un tableau, ces moyens d’obtenir de l’argent mis en place
par chaque association, et ce qu’ils gagnent avec. Le document 14 nous permet, à travers l’exemple
de Tendouck, de se rendre compte du fonctionnement de l’association Honnoro à travers son volet
financier. Enfin quelques documents en annexe complètent ces appuis.
Document 13 : les moyens utilisés pour financer les projets par les associations de ressortissants des villages de la Communauté Rurale de Mangagoulack
Village Moyens de gagner de l'argent
Tendouck Bal annuel, cotisations des sections, influences, cotisations exceptionnelles
Boutégol Cotisations des sections, théâtre
MangagoulackCotisations des sections, cotisations exceptionnelles,
investissement dans le télécentre40
Diatock Cotisations des sections, coupes et tournois, bals et fêtesElana Cotisations des sectionsBodé Cotisations des sections
Boutœum Bal annuel, cotisations des sections, influences, cotisations exceptionnelles
Djilapao Bal annuel, cotisations des sections
AffiniamInvestissement dans des réalisations génératrices de
revenus : campement, télécentre, pirogue, foyer
Sources : entretiens avec les présidents des associations de ressortissants à Dakar et Ziguinchor
De multiples raisons font qu’il est relativement simple d’obtenir plus d’argent en ville. D’une part,
parce que les ressortissants y sont très nombreux : 300 à 350, selon Edmond Sagna, président de la
section de l’ADEB* à Dakar, pour le petit village de Boutœum, 200 membres de la section d’Affiniam à
Ziguinchor selon Emile Manga qui en est le président. Les plus gros villages atteignent 500 membres
qui paient leur cotisation (Tendouck) à Dakar ; ils étaient 625 au terme d’un recensement pour
Diatock. Quand on sait la difficulté à payer des ressortissants, on peut aisément imaginer que ce
nombre est le quart du nombre véritable de ressortissants dans la capitale. D’autre part, les salaires
de certains des responsables permettent de bonnes cotisations. A Ziguinchor, l’un des membres de
l’association des ressortissants de Mangagoulack cotise pour neuf personnes, tous élèves, en plus de
lui et sa femme … Enfin, parce qu’il est plus facile d’organiser une soirée qui rapporte de l’argent à
40 Le télécentre est, au Sénégal, un lieu avec une ligne téléphonique d’où l’on peut appeler et se faire appeler. Le paiement se fait à l’unité utilisée.
107
Dakar. Boutœum obtient facilement, pour son bal annuel, 800000 à un million de francs CFA41 de
bénéfice… Cette pratique est ancienne, et certains villages comme Boutégol avaient même,
auparavant, une troupe théâtrale. Il semble qu’aujourd’hui les cotisations aient pris le pas sur ce type
d’événements.
Document 14 : Le fonctionnement financier de l’association Honnoro de Tendouck
L’Association Honnoro de Tendouck a une caisse générale, celle du Congrès, la caisse du village ; c’est dans celle-ci que l’on puise l’argent nécessaire aux projets développés dans les villages. Cette caisse est alimentée par des cotisations spéciales pour le Congrès, qui sont versées à ce moment par chaque section de ressortissants. Ces sections, que ce soit à Ziguinchor, à Dakar, en Gambie, ou encore en France où il y a une communauté assez active d’une vingtaine de personnes, ont en revanche leurs propres caisses. Elles sont alimentées par les membres de la section, par le biais de cotisations principalement, mais aussi de bals qui ont lieu chaque année. La section de Dakar, très importante, peut ainsi compter sur une importante communauté. gagne ainsi environ 3 millions de FCFA (environ 4500 euros) chaque année. Essentiellement, la caisse de ces sections vient en aide à ses membres ; mais pour tout projet du village, une somme est débloquée. D’autant que parfois, l’effort conjoint des caisses ne suffit pas : il faut alors en appeler aux cotisations dites extraordinaires, ou à des actions spécifiques ; pour le collège de Tendouck, un bal a rapporté 1,4 million de FCFA (environ 2100 euros). Des cotisations exceptionnelles ont été lancées : chaque travailleur devait donner 15000 FCFA (22,50 euros), chaque retraité 7500 FCFA (11,6 euros) et chaque chômeur 3000 FCFA (5 euros). On a revu les chiffres à 10000, 5000 et 2500.Les commissions ont également leurs caisses propres, qui fonctionnent avec la caisse du village comme les vases communicants : lorsque l’une a besoin, c’est l’autre qui l’alimente. C’est le cas pour les jeunes par exemple. Ces commissions ont des financements spécifiques : les jeunes cultivent par exemple durant l’hivernage dans des associations de travail ; le comité de santé, l’association des parents d’élèves ont leurs cotisations propres.
L’association Honnoro reçoit parfois des financements exceptionnels ou des aides de ses ressortissants à l’étranger. Ceux de France ont envoyé l’équivalent de 10 millions de francs CFA (15240 euros) en tables et bancs pour le collège, dans un conteneur. Ils ont aussi récupéré 10 ordinateurs pour l’équiper.
Le fonctionnement de cette association, très moderne, est comme on le voit bien rodé. On peut constater dans cette organisation la prépondérance des actions des ressortissants. Ils financent principalement des projets centrés sur l’éducation, la santé, les activités socio-culturelles.
Source : entretien avec le secrétaire général de Honnoro, à Dakar
Il est une dernière forme de récolte de fonds liée aux activités des ressortissants : c’est la mise
en place d’activités lucratives dans le village (et pour le village, non pour les villageois). On peut ici
extrapoler hors de la communauté rurale de Mangagoulack. Dans celle de Diégoune, le vice-président
du Comité Local de Coordination des Organisations Paysannes (CLCOP*), Sadibou Badji, nous a
présenté un document sur une association de quartier à Djimande, devenue le Groupement d’Intérêt
Economique (GIE) du quartier de Bandine. En 1998 et 1999, les ressortissants ont entièrement
financé une boutique villageoise pour la somme de 3,6 millions de francs CFA42, et en 2000 un
télécentre pour la somme de 400000 francs43. Plus encore que dans les villages du sud du Blouf, ces
gros villages semblent encore plus sous dépendance de ce système. Enfin, une décortiqueuse a été
financée en 2004 pour la somme de 2,7 millions44. Tout cela rapporte de l’argent au village selon le
principe bien connu : c’est grâce à l’argent des transferts que télécentre (centre téléphonique),
boutique et décortiqueuse sont construits. Et ils le sont de plus en plus en raison de la diminution des
ressources et de la nécessité d’être en contact permanent avec les ressortissants… Pour avoir une
idée de l’apport de ces activités, le petit graphique 15 nous donne une idée des revenus, à Affiniam,
issus du télécentre, de la pirogue, du campement... Financés pour les deux premiers par les
41 1 million : environ 1500 euros.42 Environ 4900 euros.43 600 euros.44
2550 euros.
108
ressortissants. Les télécentres fleurissent : on en trouve à Tendouck, Mangagoulack, Elana et Affiniam
(photographie n°34).
Part des diverses structures de l'ADA dans les revenus villageois d'Affiniam (en 2004)
Télécentre2108465
Pirogue4291470
Foyer511432
Campement1125430
Moulin à céréales324657
Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : entretien avec le président de ADA à Dakar
En FCFA (1 euro = 656 FCFA)TOTAL : 8361454 FCFA
Graphique 15
Photographie n°34 : Le télécentre de Mangagoulack a été entièrement payé par ses ressortissants à Dakar (cliché J.-P. Glotin).
Outre ces très nombreuses formes de récolte d’argent, les ressortissants ont également le
pouvoir de récolter des relations leur permettant parfois de financer des projets, voire de faire des
demandes directes. Ainsi, à Affiniam, pour la construction du collège, un document a été envoyé à
l’Ambassade des Etats-Unis pour la construction du CEM. L’ambassadeur du Sénégal aux Etats-Unis,
Paul Badji, est en effet d’Affiniam – ce qui est assez révélateur… Le captage des bailleurs ne
concerne pas que les ONG, mais aussi et surtout des organismes et des personnalités. C’est ainsi
109
qu’en 1994, Robert Sagna, ancien ministre et aujourd’hui maire de Ziguinchor, a donné au village de
Boutégol 140000 francs45, et Landing Sané, ministre, 100000 francs46. Ces versements sont
souterrains mais essentiels. Lamine Sambou, de Ziguinchor, a fait une lettre auprès du Gouverneur et
a ainsi obtenu l’électrification de son village. A Tendouck, les ressortissants de France, une grande
communauté, ont réussi à se procurer dix ordinateurs pour le collège, et des tables et chaises pour un
montant de dix millions de francs CFA qu’ils ont envoyé directement par container… Là encore, nous
résumons dans le document 15, pour chaque village, les influences et les relations qui ont permis des
apports.
Document 15 : les réalisations dues aux influences des ressortissants dans la Communauté rurale de Mangagoulack
Village Influences RéalisationTendouck Ressortissants en France Obtention de 10 ordinateurs pour le CEM
Tendouck Ressortissants en France Obtention de tables et bancs pour 10 millions de FCFA (15240 euros)
Tendouck Jeunes du village (rencontré le ministre lors d'une inauguration)
Projet de pêche
Tendouck Géomètres issus du village Préparation du lotissement
Boutégol Docteur dans l'armée issu du village Dispensaire de Tendouck
Boutégol Docteur dans l'armée issu du village Extension de la robinetterie jusqu'au village de Boutégol
Boutégol Docteur dans l'armée issu du village, relation avec l'inspecteur d'académie
Ecole financée par la Banque Islamique de Développement
Boutégol Docteur dans l'armée issu du village, relation avec le directeur de l'énergie
Electrification
Mangagoulack Président de la Communauté Rurale Obtention d'enseignants dans le CEM
DiatockHomme travaillant à l'aéroport L. S. Senghor de
Dakar-YoffInformations sur des forages japonais et autres
possibilités
Elana Ressortissants à Dakar et à Ziguinchor Recherche sur le moyen de rouvrir l'école
Boutœum Ressortissante en France Partenariat avec une commune, Salviac Réalisations sanitaires
AffiniamMissionnaire issu du village, ami d'un
missionnaire français
Jumelage entre avec une communauté paroissiale française et nombreuses réalisations (éducation et
santé, foyer des jeunes)
Affiniam Ambassadeur du Sénégal aux Etats-Unis issu du village
Demande de financements
Source : entretiens avec les présidents des associations de ressortissants des villages de la Communauté rurale.
Pour boucler la boucle, nous devons observer les projets qui sont développés à partir de ces
associations de ressortissants : comme nous allons le voir, elles visent à la reproduction du système.
Leur étude est donc essentielle.
45 210 euros.46 150 euros.
110
213. Des réalisations centrées sur l’éducation
On peut prendre ici pour référence le travail mené dans les villages, pour les villages de la
communauté rurale de Mangagoulack comme dans les autres villages du Blouf où des entretiens ont
été menés dans ce sens à la fin du séjour. Les entretiens avec les ressortissants complètent ces
recherches en apportant des précisions, des chiffres, parfois des traces écrites. L’exemple du village
de Mangagoulack est excellent : les principales réalisations des villageois ont commencé en 1999.
Auparavant, ils n’avaient guère construit que des bâtiments pour l’école : le premier bâtiment en 1983,
le second en 1984. Autres temps et autres mœurs : c’était en effet l’époque où les villageois résidant à
Mangagoulack pouvaient encore se cotiser grâce aux revenus de l’arachide… Autre système
également. Entre ces dates et 1999, rien de nouveau, si ce n’est la réhabilitation du foyer des jeunes,
qui servait aux réunions et aux soirées dansantes en hivernage ; réalisé en 1994, cette réhabilitation
n’a rien coûté puisque les habitants ont remis les tôles de l’ancien par-dessus le banco47.
En 1999, on installe le télécentre. La section de Dakar paie la ligne. Puis le local, qui a coûté
700000 francs48, totalement payé par l’association des ressortissants à Dakar, selon Youssouph
Goudiaby qui en est le président. Puis la case de santé. Là encore, Dakar a payé les tôles, le ciment,
et la formation de la matrone et du responsable, tout comme des médicaments pour 100 à 200000
francs.
Photographie n°35 : Le CEM de Mangagoulack a ouvert à la rentrée 2004 (cliché J. P.)
Mais le principal projet réalisé par ces ressortissants est le Collège d’Enseignement Moyen
(CEM*). Bassirou Sambou ayant appris que, dans le cadre de la décentralisation, des enseignants
viendraient dans les villages qui auraient construit un CEM, il a fait une demande auprès de
l’Inspection Départementale de Bignona (IDEN*), qui a accepté si le CEM rentrait en fonction en
47 d’après Younousse Sambou qui nous a servi de guide et d’interprète48 210 euros.
111
2004 : en cinq mois, Dakar a pu réunir 549000 francs49 ; Ziguinchor a envoyé 100000 francs CFA, et la
Gambie 200000 francs. Dakar a encore dû payer les portes et les fenêtres : le CEM a finalement pu
ouvrir à la rentrée 2004 (photographie n°35).
Et c’est une composante structurante de l’action des ressortissants dans les villages :
l’importance donnée au créneau de l’éducation est essentielle. Elle nous montre combien les
ressortissants tiennent à ce que leurs enfants, le plus longtemps possible, poursuivent leurs études.
Or la présence de CEM dans les villages, fort curieuse, s’explique très bien à la lumière d’un système
qui privilégie la réussite des enfants. D’abord parce que, dans les villages, ils subissent une pression
plus importante et des tentations moindres qu’en ville ; ensuite parce qu’il est parfois difficile de
trouver un tuteur en ville ; enfin parce que l’entrée en sixième se fait sur concours et que les places
sont limitées et que des collèges dans les villages renforcent fortement les possibilités d’entrée des
enfants. Nous avons ainsi eu la chance d’assister dans les villages du Blouf à toutes les phases de la
création d’un CEM : à Affiniam, le défrichement du terrain (photographie n°36) ; à Dianki, la fin de la
construction grâce à des briques en banco, la presse ayant été obtenue grâce à des relations d’un
ressortissant de Ziguinchor (photographie n°37) ; à Mangagoulack, un CEM tout neuf ; à Tendouck,
un CEM existant déjà depuis plusieurs années (photographie n°38).
Photographies n°36, 37 et 38 : Du défrichage à Affiniam au CEM fonctionnel à Tendouck, en passant par la construction à
Dianki : le Blouf en ébullition est parsemé de nouveaux collèges (clichés 35 et 37 : J.P., cliché 36 : J.-P. Glotin).
Nous avons cartographié, pour donner une idée de la puissance des écoles et collèges dans le Blouf,
leur effectif (carte 20) ; le graphique 16 montre la comparaison entre effectif des écoles et part de la
population du Blouf dans le total du département. D’autres actions sont menées en faveur de
l’éducation, comme la construction de classes pour les écoles primaires. A Diatock, les ressortissants
organisent chaque année une remise de prix. Avec 92,31 % de réussite à l’entrée en sixième, Diatock
connaît le deuxième taux de réussite de tout le département de Bignona. Pour compléter ces
exemples, une carte 21 montre, dans les réalisations des ressortissants, la part de chaque secteur
dans le poids total. On y voit très clairement la prépondérance des réalisations pour l’éducation, de
même que dans le document 16 qui résume en un tableau les interventions des ressortissants dans
le Blouf.
49 800 euros environ.
112
Les nouvelles interventions des ressortissants, mieux organisés et désormais aux rênes de
l’avancée des villages, concernent donc essentiellement les postes éducatifs, et, au-delà, les
dépenses liées à un meilleur niveau de vie des populations au niveau du confort : c’est-à-dire la santé
et le téléphone surtout. Nous sommes donc bien dans le contexte d’un système qui vise à sa
reproduction : en effet, les dépenses liées à l’éducation et au confort matériel traduisent effectivement
une volonté de retraite au village, aidée par des enfants qui auront réussi… en ville. Un système qui
se met en place, mais ne fonctionne pas encore, comme on l’a vu, au maximum. En revanche, les
113
organismes, partenaires et projets qui se développent actuellement, de retour, vont franchement
dans le même sens que l’action de ces associations de ressortissants.
Document 16 : les réalisations des ressortissants dans la Communauté rurale de Mangagoulack depuis une dizaine d’années
Village Réalisation Date Coût (si connu)
Tendouck Dispensaire 19975 millions FCFA (environ 7500
euros)
Tendouck Collège 200120 millions FCFA (environ
30000 euros)
Tendouck Foyer des jeunes 2000 Inconnu
Boutégol Robinetterie 2005 Inconnu
Mangagoulack Collège 20045 millions FCFA (environ 7500
euros)
Mangagoulack Case de santé 2000 Inconnu
Mangagoulack Télécentre 1999700000 FCFA (environ 1050
euros)
Elana Foyer des jeunes Inconnue Inconnu
Elana Boutique Inconnue Inconnu
Boutœum Réfection de la case de santé
2005 (en cours)
Inconnu
Affiniam Télécentre Inconnue Inconnu
Affiniam Pirogue 2003 Inconnu
116
Affiniam Collège En cours Inconnu
Sources : entretiens avec les personnalités et responsables dans les différents villages
117
22. La nouvelle politique des organismes internationaux et des
partenaires
Depuis les années 2000, en effet, il semblerait que l’on assiste à un retour en masse des
projets de développement et des projets « humanitaires » dans le Blouf. Les entretiens avec les
responsables et autorités du village comme des structures porteuses de ces projets l’ont confirmé.
Nous ne sommes plus, cependant, dans l’optique des anciens projets de développement économique.
Il semblerait que ce volet soit de moins en moins au goût du jour. En revanche, il serait logique que se
développent des projets liés à la santé et à l’éducation, au vu de tout ce qui a été dit auparavant.
221. Le retour des bailleurs de fonds
Nous avons préféré utiliser le terme générique de « bailleurs de fonds » pour désigner, en vrac,
tous les porteurs des projets de développement dans les villages. L’objectif est cependant ici de les
distinguer et d’expliquer les raisons de leur retour, ou de leur venue. On trouve d’abord et avant tout
de grands organismes internationaux que nous pourrions classer dans la catégorie « organisations
humanitaires » et même « intervenants urgentistes » puisque le Programme Alimentaire Mondial
(PAM*) et United Nations Children’s Fund (UNICEF*) interviennent dans le cadre du retour à la paix.
Peut-on dire que leur intervention relève des effets de la mondialisation ? En quelque sorte, puisque la
mondialisation de l’action humanitaire fait partie des mécanismes qui accompagnent le processus. Or
ils sont intervenus énormément dans le Blouf depuis les années 2000. En second lieu, on trouve les
programmes de développement étatiques. Ceux-ci sont fondés, désormais, sur la signature d’accords
entre le Sénégal et de grands organismes internationaux que sont le FMI*, la Banque Islamique de
Développement (BID*), la Banque Africaine de Développement (BAD*), la Banque Mondiale, la Chine
Nationaliste de Taiwan… En somme, ils entrent dans la catégorie des plans d’ajustement structurel, le
Sénégal devant fournir, évidemment, des certificats de bonne conduite par rapport à sa politique
libérale. En troisième lieu, ce sont les ONG, celles qui ne sont pas parties et celles qui sont revenues :
mais nous parlons également pour ces ONG de « retour » en ce sens que leurs actions changent peu
à peu de destination. Le quatrième type de bailleurs de fonds est constitué par ce que l’on appelle sur
place, et de manière un peu abusive, les « partenaires » : ce sont les associations étrangères,
souvent de petite taille, qui apportent un soutien financier à certains villages, en général accompagné
d’échanges. Il peut s’agir également de jumelages. En fait, nous pouvons considérer ces partenariats
comme des conséquences directes de la mondialisation, à travers un autre de ses avatars : le
tourisme. Il n’est pas de meilleur exemple pour évoquer la mondialisation en Basse-Casamance que
de donner celui-ci : il est révélateur de la transformation d’un système traditionnel en une image
véhiculée à l’extérieur et dont l’Etat sénégalais s’est largement fait le relais, celle du paradis sur terre
peuplé de « sauvages ». Or, les valeurs de ce début de millénaire emportent les occidentaux vers de
tels rivages. Elles ont donné lieu à la création en 1979 du campement villageois d’Affiniam, le seul du
Blouf. Mais l’attentisme des habitants par rapport à ce projet venu de l’extérieur a entraîné une
mauvaise gestion qui a privé le campement de revenus pendant vingt-cinq ans… Il est normal que
118
nous ne nous soyons pas étendus sur le sujet. Mais le tourisme a permis les contacts entre Noirs et
Blancs et les partenariats se sont multipliés et se multiplient encore… En somme, nous pouvons voir
que ces projets, d’après un tableau encore (document 17) sont revenus en force dans le Blouf. La
question se pose de savoir quel système ils encouragent.
Document 17 : les nouveaux projets des bailleurs de fonds dans la Communauté rurale de Mangagoulack
Village Partenaire Réalisation Date Coût (si connu)
TendouckFonds Européen de
DéveloppementDispensaire 1997
20 millions FCFA (30000 euros)
TendouckBanque Islamique de
DéveloppementDeux classes 2000 Inconnu
Tendouck UNICEF package avec restauration de l'école et formation 20028 millions FCFA (12000
euros)
BoutégolBanque Islamique de
DéveloppementTrois classes 2000
Autour de 17 millions FCFA (24000 euros)
Mangagoulack UNICEF package avec restauration de l'école et formation 20028 millions FCFA (12000
euros)
Mangagoulack CARITAS Forage 1997 Inconnu
Diatock UNICEF package avec restauration de l'école et formation 20028 millions FCFA (12000
euros)
BodéTeranga (ONG française), FED
Ecole publique 199123 millions FCFA
(34500 euros)
Elana Les Amis d'Elana Soutien à l'école privéeJusqu'en
2004Inconnu
Affiniam Allonnes (jumelage)Soutien à l'école privée et à l'école publique, aux
jeunes, construction du foyer des jeunes1987-2005 Inconnu
Sources : Entretiens dans les villages, IDEN Bignona, UNICEF, document du jumelage Allonnes
222. Des actions avant tout au profit de l’école
De plus en plus, on tente de coordonner les actions de ces divers bailleurs de fonds dans une
même direction. C’est à cet effet qu’ont été lancés, à partir de 2002, les Plans Locaux de
Développement (PLD) qui devaient servir de plans d’investissement pour les communautés rurales et
de documents de référence pour ces bailleurs. C’est le Programme de Soutien aux Initiatives de
Développement Local (PSIDEL*) qui a lancé ces PLD*, relayés bientôt par le Groupement de
Recherches en Développement Rural (GRDR*) à Ziguinchor, ONG française issue de ressortissants
de Casamance, et le cabinet MSA et associés dans le Blouf. Ils ont établi des dossiers entre 2002 et
2004, nommés « Plans Locaux de Développement », qui sont une base pour l’étude mais
essentiellement du fait de la présence de leurs plans d’investissement qui témoignent des attentes
des populations en matière de projets. Le graphique 17 compare tous ceux du Blouf. Il est frappant
de voir combien les programmes sur l’éducation forment le gros des investissements : 34 % à
Kartiack, 29 % à Diégoune, 58 % à Mlomp, 26 % à Balingore et 16 % à Mangagoulack… On peut
ajouter des éléments avec le petit graphique 18, obtenu auprès de Bassirou Sambou (Président du
Conseil Rural de Mangagoulack), qui concerne le budget d’investissement 2005 de la communauté
119
rurale de Mangagoulack. Notons que le PSIDEL*, émanation du Fonds Européen de Développement,
prévoit déjà des financements présentés en tableau dans le document 18.
120
Dépenses d'investissement prévues par le budget 2005 du Conseil rural de Mangagoulack
Voiries10%
Maison communautaire12%
Véhicule16%
Maison des jeunes et de la culture21%
Scolarité et bâtiments scolaires36%
Santé4%
Bicyclettes et cycles1%
Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)
Total : 70 millions de FCFA (90000 euros)
Graphique 18
Document 18 : les investissements prévus par le Programme de Soutien aux Initiatives de Développement Local (PSIDEL)
Village Investissement financé de manière sûre par le PSIDEL
Bodé Réfection de la case de santé
Diatock Financement d'une pirogue
Elana Financement d'une pirogue
Boutégol Construction du foyer des jeunes
Bessir Sécurisation des écoles construction de terrains de sport
Dianki Sécurisation des écoles construction de terrains de sport
KartiackSécurisation des écoles
construction de terrains de sport
ThiobonSécurisation des écoles
construction de terrains de sport
Source : Plans d’Investissement Annuel – Plans Locaux de Développement des Communautés Rurales du Blouf
Mais passons aux projets déjà réalisés pour se faire une idée de l’ampleur du phénomène. On
s’est déjà rendu compte, à Bodé, que les projets qui avaient été financés par l’association Teranga ont
échoué. En fait, seul un projet a réellement fonctionné : c’est l’école (photographie n°43). Le projet,
lancé en 1991, a coûté au Fonds Européen de Développement… 18,4 millions de francs CFA50.
Jusqu’en 2004, l’association des Amis d’Elana soutenait financièrement l’école privée d’Elana,
désertée en raison de la multiplication des écoles publiques. Il y restait 35 enfants en 2004-2005.
C’est une autre forme de soutien, mais qui s’est achevé : l’école qui a formé les grands cadres du
50 28000 euros. Source : entretien avec Souleymane Soumaré, président de la section des ressortissants de Bodé à Ziguinchor.
121
Blouf a fermé ses portes (photographie n°38). En revanche, Affiniam est toujours aidée par la
communauté paroissiale d’Allonnes qui soutient son école privée51.
Photographie n°39 : L’école privée d’Elana a fermé ses portes en 2004 (cliché J.-P. Glotin)
L’UNICEF* apporte également son soutien aux écoles grâce à des « packages » de 8 millions
de CFA52 comprenant formation des enseignants, avec un volet sur la protection (dépistage du stress
des enfants), un volet sur la prévention et gestion des conflits, et un volet qualité (bien former en
maths, français, gérer les problèmes d’organisation…). Ils contiennent aussi une réhabilitation de
l’environnement scolaire : eau, puits, entretien de la pompe, mise en place d’une clôture et d’un jardin,
réhabilitation surtout des bâtiments avec ciment et peinture, latrines. On trouve ce type d’intervention
à Mangagoulack (photographie n°45) et à Tendouck ou encore Diatock. Plus encore, de nombreux
Photographie n°39 : Une belle réhabilitation d’école à Mangagoulack par l’UNICEF (cliché J.P.)
51 Source : 15 ans du jumelage, Allonnes-Affiniam, document souvenir.
52 selon Carmen Garrigos qui coordonne ces programmes.
122
Photographies n°40 et 41 : deux constructions de classes à Tendouck et à Boutégol (où l’on voit le contraste avec la vieille
école construite par les villageois), par la Banque Islamique de Développement, dans le cadre d’accords (clichés J.P.)
123
bâtiments sont construits par les programmes des organismes internationaux tels que le FED et la
BID : on en trouve à Tendouck (photographie n°40), datant de 2002, et à Boutégol (photographie
n°41), datant de 2000. La carte 22 montre, d’après des documents fournis par l’IDEN* à Bignona, les
constructions de bâtiments et les programmes à venir dans le Blouf. Et même des collèges, à présent,
sont aidés, comme celui de Balingore (photographie n°42), dont le document 19 retrace l’histoire
édifiante. On peut encore prendre l’exemple de l’école maternelle de Dianki, magnifiquement refaite
par l’Etat (photographie n°43). Il s’avère que les enfants bien préparés en maternelle, école qui est
très rare au Sénégal, réussiront mieux dans les classes supérieures.
Photographie n°42 : le CEM de Balingore aspire à devenir un lycée (cliché J.P.)
Document 19 : le Collège d’Enseignement Moyen (CEM) de Balingore.
Le premier collège du Blouf a été construit à Balingore, si l’on excepte toutefois le CEM de Thionck-Essyl, commune que nous avons exclue de l’étude, comme il a déjà été souligné, puisque il s’agit à présent quasiment d’une entité urbaine. Il n’est pas étonnant que ce village, peuplé de plus de 3000 habitants (3054 au recensement de 2002) et dont 185 ressortissants sont en Europe. Balingore est l’un des villages pionniers du système socio-économique particulier qui s’est mis en place dans le Blouf. L’organisation des ressortissants a été rapide, et les moyens mis en œuvre ont permis dès 1998 la sortie de terre de trois classes, construites en banco. Mais le plus intéressant, c’est que le village a bénéficié en 2000 de la construction de six classes, qui entrent dans le cadre du « Programme 2000 classes » de l’Etat sénégalais, conséquence de la signature d’accords internationaux avec différents organismes. Il s’agit donc d’une conséquence des politiques d’ajustement structurel. L’Etat s’est évidemment appuyé au maximum sur les structures pionnières, et l’on peut aisément imaginer également que le jeu des relations ait pu avoir son importance. En 2004, l’Etat a encore construit deux classes. En 2005, le Conseil Régional de Ziguinchor en a ajouté une autre, manœuvre probablement politicienne. Au total, ce sont donc 12 classes physiques qui existent, les bâtiments en banco étant relativement dégradés mais ont été réhabilités, pour 14 classes physiques : quatre sixièmes (172 élèves), trois cinquièmes (148 élèves), trois quatrièmes (147 élèves), et quatre troisièmes (196 élèves). Avec un total de 663 élèves, le plus gros collège des cinq communautés rurales espère bien devenir à terme un lycée.
125
Photographie n°43 : l’école maternelle de Dianki, complètement réhabilitée par des financements extérieurs (cliché J.P.).
On peut ici placer une réflexion intéressante : ces programmes internationaux ont pour
contrepartie un renforcement du libre-échange et de la concurrence, donc des contraintes sur les
paysans et un exode croissant ; ils réalisent des écoles qui vont permettre de poursuivre l’exode, lui-
même source de diminution des activités… Il ne faut pas perdre de vue que toute cette politique
renforce l’exode rural.
N’oublions pas, non plus, que le Programme Alimentaire Mondial fournit de quoi alimenter les
cantines scolaires (photographie n°44). A Boutégol, ce sont 18 sacs de riz, 80 litres d’huile et 3 sacs
de lentilles qui sont fournies pour trois mois53. A Tendouck, il y a aussi du poisson en conserve. Toutes
les femmes du village se mobilisent pour la cuisine…
Photographie n°44 : La cantine scolaire d’Affiniam, alimentée par le Programme Alimentaire Mondial (cliché J.P.).
Il est donc extrêmement clair que les apports des bailleurs de fonds à l’école dans le Blouf sont
importantes, structurantes. Mais il faut les observer en comparaison, bien sûr, avec les autres
secteurs encouragés par ces bailleurs dans le Blouf.
223. Bailleurs de fonds et investissements de confort matériel
Il ne faudrait pas limiter les interventions nouvelles des bailleurs de fonds, toutefois, au seul
volet de l’éducation. Il nous faut observer à nouveau le graphique 18 pour connaître la part des
autres secteurs concernés par les plans d’investissement des communautés rurales. Que constate-t-
on ? Pour prendre l’exemple de Mangagoulack, les villageois souhaitent avant tout de meilleures
routes, une bonne électrification et robinetterie (33 %) ainsi que des digues anti-sel (33 %). On
constate également la présence des investissements sanitaires (4 %). En somme, les investissements
pouvant servir à la vie économique ne sont que de 9 %. Ceci corrobore l’idée que la volonté des
53 Source : entretien avec le directeur de l’école.
126
populations est avant tout le confort matériel. Et l’on peut ajouter que, dans ce domaine, aucun projet
n’a encore été financé. L’accent est également mis sur la culture et le sport (4,9 %) qui joue à peu
près le même rôle que l’école puisque le Congrès de l’Association de Développement d’Affiniam se
plaint que « depuis quelques années, nos équipes de football engagées dans diverses compétitions
organisées au village comme à Dakar sont souvent éliminées de manière prématurée, inattendue,
inexplicable »54 : on y insiste lourdement sur la nécessité de mettre sur pied des équipes compétitives
ouvrant des perspectives de carrière à des jeunes.
54 Rapport du Congrès créant l’Association de Développement d’Affiniam, 13 et 14 août 2001
127
En somme, pour le moment, l’Etat a commencé à installer la robinetterie et l’électricité dans certains
villages, comme à Tendouck, Boutégol, Mangagoulack où l’on trouve un forage. A Mangagoulack, le
forage a été installé par la Banque Islamique de Développement ; il a enfin commencé à fonctionner
en 2004. On a donc ici quelques exemples de projets d’assistance aux populations.
La digue anti-sel peut également être considérée comme un projet d’assistanat. Délaissant
l’apport agricole de ce projet, nous pouvons nous intéresser au paiement des hommes en nourriture.
Et au-delà, c’est toute l’action du PAM* qui peut être remise en cause : la carte 23 nous fait la
présentation de l’action du PAM dans le Blouf, avec les types d’interventions et le tonnage, ainsi que
les personnes concernées. Cette carte a été établie d’après croisement avec les informations données
sur le terrain par les « pointeurs » chargés de faire l’appel des travailleurs chaque jour à la digue. Ainsi
à Diatock, 206 hommes sont inscrits, qui travaillent deux jours dans la semaine pour recevoir chaque
jour 3,5 kilos de riz, 1 litre d’huile et des haricots. Cela fait presque, dans un mois, 30 kilos de riz par
personne ! Une telle situation soulage des conséquences de la mondialisation et permet donc de
légitimer le système qui se met en place.
En fin de compte, le retour des bailleurs de fonds ne change rien au système qui est en train de
se mettre en place. Bien au contraire, il le renforce, privilégiant les dépenses de confort matériel et de
scolarisation, accroissant donc par la même occasion la fonction de lieu de repos, de ressourcement
qui affecte les villages. La décision, lorsque nous étions présent sur le terrain, du Programme National
d’Infrastructures Rurales, le PNIR*, financé par l’USAID*, de s’installer dans la communauté rurale de
Diégoune, va renforcer cet état de faits puisque le PNIR s’appuie fidèlement et fort logiquement sur le
Plan Local de Développement. Le PNIR devrait s’étendre à toutes les communautés rurales en
2006… Il semble évident, une fois de plus, que le système est en pleine croissance et va être amené
à donner sa pleine mesure dans les années à venir.
23. Enjeux de la scolarisation et conséquences démographiques
Par tous ces exemples glanés un peu partout dans le Blouf, nous avons pu donner des
indicateurs clairs et précis capables de montrer combien le système traditionnel préexistant, qui avait
été grandement modifié dans l’avalanche de mutations subies au cours du XXème siècle, avait été
renversé pour laisser place à un nouveau système, fondé sur l’espoir dans l’extérieur, qui justifie
l’impression d’attentisme laissé par les populations locales. Il s’agit à présent de mieux comprendre
les enjeux de ce système et les conséquences sociales qu’il entraîne, avant de se préparer à l’étude
des conséquences spatiales.
129
231. De la scolarisation à la scolarisation
Comparaison des taux d'alphabétisation de la Communauté rurale de Mangagoulack et du Sénégal
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
Sénégal CR Mangagoulack
Taux d'alphabétisation des hommes
Taux d'alphabétisation des femmes
Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100) - UNICEF, 2000 pour le Sénégal
Graphique 19
Le fort taux de scolarisation du Blouf est difficile à mesurer. On peut également se fonder sur le très
révélateur taux d’alphabétisation (graphique 19). On le voit, on a déjà les héritages d’une ancienne
scolarisation qui se répercute sur les populations locales. La politique actuelle de scolarisation a
d’importantes conséquences sociales. Le PLD de la communauté rurale de Balingore nous montre
que « le CEM [de Balingore] accueille l’ensemble des élèves de la communauté rurale reçus en
classe de sixième »55. La possibilité pour les élèves de poursuivre jusqu’à la troisième, si l’on ajoute à
cela des réhabilitations de classe, des programmes de renforcement des capacités pédagogiques des
enseignants, la mise en place d’écoles maternelles, renforce encore plus la possibilité des élèves de
réussir leurs études. On peut observer sur le graphique 20 le taux de réussite des écoles du Blouf à
l’entrée en sixième : une partie des écoles sont très bien placées. Les autres sont souvent des écoles
qui viennent d’être implantées ou des écoles privées en déclin. Ces mesures et ces évolutions vont
dans le sens d’un exode rural croissant des jeunes en raison de la poursuite d’études au lycée,
souvent à Thionck-Essyl, doté depuis peu d’un lycée, à Bignona ou au lycée Djignabo à Ziguinchor.
La carte 24 nous montre pour chaque village le nombre d’élèves partis au lycée dans les personnes
interrogées (on a ramené, par pondération, à 10 personnes la population interrogée par village). De
plus en plus d’élèves parviennent aux études supérieures, l’université Cheikh Anta Diop (UCAD) de
Dakar se développant. Le document 20 retrace l’histoire d’une Amicale des élèves et étudiants de
Boutégol qui vient de se créer à l’UCAD* pour développer la solidarité entre ces élèves dont le
55 Cabinet MSA et Associés (2003), Communauté rural de Balingore, Plan Local de Développement, Ziguinchor.
130
nombre augmente. Ce qui permet de plus en plus aux ressortissants du Blouf d’émigrer à l’étranger :
à Balingore, 185 membres du village vivent actuellement en Europe !
Taux de réussite à l'entrée en sixième des écoles du département de Bignona
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En rouge, les écoles du BloufConception et réalisation : J. Parnaudeau -
IGARUNSource : IDEN
Graphique 20
Document 20 : l’Amicale des Elèves et Etudiants de Boutégol.
L’Amicale est née en 2004, initiative de cinq étudiants à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, qui avaient en commun d’être issus du même village. La vie d’étudiant à Dakar étant extrêmement difficile, ils ont jugé bon de se regrouper. Cette naissance intervient en réponse à l’augmentation de l’effectif des étudiants issus du village : ils sont une trentaine d’étudiants dans l’Amicale et une cinquantaine en tout avec les élèves. Leurs objectifs sont nombreux, le principal étant d’arriver à faire décoller un jour le village : ils sont en effet amenés à être l’élite des natifs de Boutégol. Pour le moment, leur aide se limite à des cours de vacances dans l’école primaire de Boutégol, auprès des enfants depuis le Cours d’initiation (CI, au-dessous du CP) jusqu’à la troisième. L’Amicale, séparée désormais de celle des Elèves et Etudiants de Tendouck, vise également à permettre aux étudiants à Dakar de passer leurs études dans de bonnes conditions. Ces étudiants doivent payer des transports, parfois même un logement. Les chambres universitaires sont attribuées en fonction du mérite en théorie ; en réalité, les jeux d’influence perturbent ce fonctionnement, de même que pour les bourses. C’est pourquoi les étudiants qui ont obtenu une chambre aident les autres en les logeant avec eux. L’Amicale parvient aussi à payer des tickets de restaurant universitaire pour le matin, le midi et le soir en période de révision, afin que le travail de révision s’effectue dans de bonnes conditions. A plus long terme, elle souhaite louer une chambre à proximité de l’université, où pourraient loger environ six étudiants.Si c’était encore à prouver, on aurait là un témoignage criant de l’importance de la scolarisation et des études dans le système socio-économique Diola.
Source : entretien à l’UCAD avec le bureau de l’AEEB*.
La conséquence en est un exode temporaire qui devient définitif : il est évident que plus la
diplôme augmente, plus l’on est amené à travailler en ville. Mais plus l’on a un bon diplôme, plus,
également, l’on a de revenus à transférer au village. Le graphique 21 fait la comparaison entre
revenus transférés depuis l’Europe, depuis Dakar, Ziguinchor et Bignona au total. L’Europe est bien
placée malgré le petit nombre de personnes qui y vivent. Mais on constate également que, plus les
ressortissants sont nombreux, plus ils sont organisés, et plus, finalement, ils sont à même d’investir
dans leurs propres villages. Et ils investissent surtout dans l’éducation… Ce qui renforce, finalement,
132
le fonctionnement de ce système et permet de l’entretenir. Car les ressortissants ont également un
espoir, celui d’être soutenus lorsque, à leur tour, ils viendront passer leur retraite au village.
Total de l'argent reversé aux familles interrogées en fonction de la provenance dans la Communauté rurale de Mangagoulack
0
500
1000
1500
2000
2500
Dakar
Ziguinc
hor
Gambie
Bignon
a
Gabon
Kolda
Tamba
coun
da
Saint L
ouis
Etats
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Italie
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Provenance du transfert
Arg
ent
reve
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(en
mil
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CF
A)
Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)
Graphique 2156
232. La vie en ville, l’espoir d’une retraite au village
La plupart des ressortissants interrogés, en effet, nous ont déclaré, que ce soit à Dakar ou à
Ziguinchor, vouloir revenir au village passer la fin de leur vie. Nous avons même pu constater que la
plupart des gens se considéraient en ville « de passage », bien que certains y fussent depuis plus de
vingt, voire trente ans, et installés dans de belles maisons. Tous nous ont dit qu’ils envoyaient de
l’argent à leur famille et accueillaient ses enfants, avec l’espoir de leur réussite, afin que plus tard, ils
puissent être aidés à leur tour lorsqu’ils reviendront au village. Le témoignage de Lamine Sambou,
secrétaire de l’Association des Ressortissants de Boutégol à Ziguinchor, est particulièrement
intéressant. De son côté, il souhaite revenir au village, mais à la condition que les projets y soient
réalisés, afin d’avoir tout de même, en plus des avantages de la vie rurale, le minimum du confort
matériel, eau et électricité, téléphone et route en bon état. On peut se demander, après cela, si
l’emploi du terme de « villégiature » est si mal employé que cela : le processus semble analogue à
celui qui, en France, affecte la classe d’âge des 60 à 70 ans qui rachètent des maisons en pleine
campagne, mais souhaitent également un confort urbain… La différence est qu’un autre facteur entre
en jeu, qui est celui du coût de la vie. Malgré la diminution des récoltes, on peut encore se procurer
56 L’absence de la France s’explique par l’absence d’envoi d’argent chez les personnes interrogées, celles-ci étant généralement d’anciens fonctionnaires et touchent donc une pension, qui rend inutile l’envoi d’argent de leurs enfants. Il y a tout de même 7 personnes en France dans les familles des personnes interrogées.
133
nombre de denrées à bas prix, le poisson y est moins cher que partout ailleurs, les fruits sont
gratuits…
Mais, quelles qu’en soient les raisons, ce retour au village est significatif que, malgré tout,
l’exode rural ne signifie jamais tourner le dos au village. L’endogamie, le regroupement dans les
quartiers urbains des ressortissants d’un même village donnent l’impression d’être au village même
lorsque l’on est à Dakar. Nous avons eu l’occasion de passer une semaine dans le quartier des
Parcelles Assainies, chez des ressortissants de Mangagoulack, et nous avons pu juger de cet esprit
communautaire chez les Diola. A tel point qu’il est peut-être dépassé de parler d’exode rural ; peut-
être faudrait-il mieux parler, avec un peu d’audace, d’un « village multi-local », à l’image de Michael
Lambert (in Diop, 2002) Cela nous montre combien les logiques s’emboîtent et que chaque lieu de ce
« village multi-local » a sa fonction.
On pourrait finalement penser que cet exode rural a vidé les villages de leur substance. En
réalité, les implications démographiques de ce système permettent le maintien d’une population.
233. Les conséquences démographiques
Nombre d'enfants par personne interrogée
2
1
3
1
8
11
7
12
10
11
10
7
16
0
2
4
6
8
10
12
14
16
18
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
Nombre d'enfants
% d
es
pe
rso
nn
es
inte
rro
gé
es
Conception et réalisation : J. Parnaudeau - IGARUNsource : enquêtes 2005 (n=100)
Graphique 22
Nous ne pouvons nous fonder que sur l’enquête pour évaluer les caractères démographiques
de l’arrondissement de Tendouck. Le graphique 22 nous montre le nombre d’enfants par personne
interrogée. Il est assez difficile de comparer ces chiffres avec l’Indice Synthétique de Fécondité du
Sénégal, qui est de 4,9 : beaucoup, en effet, sont célibataires ou trop jeunes pour avoir eu beaucoup
134
d’enfants. Le graphique 24 montre le nombre d’enfants par personne mariée : la moyenne se situe
entre 5 et 7 enfants.
Nombre d'enfants par personne mariée dans la Communauté Rurale de Mangagoulack
0
2
4
6
8
10
12
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 et plus
Nombre d'enfants
Eff
ecti
f d
es p
erso
nn
es i
nte
rro
gée
s
Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=76)
Graphique 23
Nombre d'enfants des plus de 50 ans dans la Communauté Rurale de Mangagoulack
0
0,5
1
1,5
2
2,5
3
3,5
4
4,5
5
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 et plus
nombre d'enfants
Eff
ecti
f d
es p
erso
nn
es i
nte
rro
gée
s
Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)
Graphique 24
135
Enfin, le graphique 24 nous montre le nombre d’enfants par âge de la population interrogée.
On constate que les plus de cinquante ans, ceux qui en théorie n’auront plus d’enfants, ont en
moyenne 7 enfants… On est au-dessus de la moyenne du Sénégal, très sensiblement. Cela traduit un
système également très défavorable à la limitation des naissances : l’objectif étant d’avoir des enfants
ayant un bon travail pour permettre les transferts d’argent et la retraite, il vaut mieux en avoir plus et
avoir ainsi plus de chances de réussite. Sans avoir plus de précisions sur la structure de la population,
en raison de l’impossibilité d’obtenir des statistiques fiables sur les résultats du recensement de 2002,
on peut du moins présumer que la moitié de la population a moins de 15 ans ; les 20 à 30 ans forment
très probablement le maillon faible de la pyramide, tandis que l’on va trouver une certaine proportion
de 40 à 55 ans avant que la proportion des plus âgés ne se délite en raison d’une espérance de vie
qui reste basse.
C’est donc un autre corollaire d’un système fondé sur l’extraversion et la réussite des enfants
en ville que ce dynamisme démographique très fort. Il sauve heureusement les villages d’un déclin
démographique trop rapide qui les mènerait à la disparition progressive. On trouve, c’est évident, des
maisons qui restent vides ; parallèlement, le taux de natalité très important permet de maintenir un
niveau de population intéressant. Cela oblige également à sans cesse renforcer les capacités
d’accueil des enfants scolarisés, ce qui est déjà plus vicieux.
Les conséquences sociales de ce nouveau système sont donc visibles à travers le
renforcement de la scolarisation et donc des départs, le renforcement des transferts d’argent, le
renforcement également des liens entre ville et village et finalement la mise en place d’un village
« multi-local » où chaque partie joue son rôle précis. On peut dire que le village joue donc à la fois un
rôle de lieu de retraite, de villégiature, mais aussi de réservoir démographique. Cette transformation
du rôle, de la fonction du lieu villageois est un point central de notre étude.
On peut se demander, dans une dernière partie sur cette analyse de la mise en place d’un
nouveau système, quels sont les facteurs qui entravent un développement d’une autre manière.
3. Des mutations irréversibles ?
On pourrait penser, en effet, que les changements liés à la mondialisation, qui ont affecté le
Blouf et ont déterminé la mise en place de ce système, pourraient tout aussi bien être tempérés par
des éléments perturbateurs. En réalité, c’est une organisation, une structure qui, bien que nouvelle,
est remarquablement bien en place. Aussi, malgré la possibilité d’autres types de développement, les
logiques d’enchaînement des conséquences les entravent. Plusieurs causes peuvent être invoquées :
en premier lieu, la détérioration des capacités humaines dans les villages ; ensuite, l’augmentation
croissante et corrélative des cultures vivrières ; enfin, et c’est un point tout aussi essentiel, le
renforcement d’une forme de pression sociale villageoise qui encourage le renforcement de ce
système et empêche le développement, de manière rationnelle, de projets qui pourraient être porteurs
d’un dynamisme économique endogène.
136
31. L’ampleur de la désaffection
Ce que nous nommerons ici « désaffection » désigne à la fois le départ des forces vives du
village, en même temps que la détérioration progressive de l’image des villages comme capables de
générer des entreprises créatrices de richesse sur place. En effet, le dynamisme urbain des villages
incite de plus en plus à rejoindre « ce village-là » plutôt que de rester dans « ce village-ci ». Ce qui fait
que le retour au village dans la force de l’âge est souvent mal vécu par les populations, qui sont donc
moins en mesure de lancer leurs propres projets de développement.
311. Le village à la ville : un remarquable dynamisme urbain
De nombreux facteurs expliquent ce dynamisme des ressortissants villageois à la ville.
Premièrement, le nombre de jeunes est impressionnant. Outre les enfants de ceux qui sont exilés
depuis longtemps en ville, on trouve les élèves des villages qui, toute l’année, étudient en ville ; pour
la plupart, les jeunes de 18 à 20 ans sont lycéens. Ajoutons tous ceux qui font l’apprentissage d’un
métier, faute de n’avoir pu réussir à l’école, et ceux enfin qui ne font rien. Un recensement fait par les
ressortissants de Boutœum à Ziguinchor donne une population de 95 % d’élèves… Une dynamique
s’installe entre jeunes gens déjà bien scolarisés et alphabétisés, d’une certaine éducation, montant de
nombreuses associations culturelles, sportives, avec un lien social extrêmement fort. A la limite, on
peut presque penser que le dynamisme démographique des Diola serait plus fort en ville ; en tous les
cas, il est certain qu’il est plus facile de trouver un conjoint en ville que dans les villages. Le
regroupement de ces jeunes, une autre raison, procède d’une certaine solidarité villageoise. Et le
système du tutorat leur permet d’avoir un toit et le repas, et donc de pouvoir vivre décemment.
Un autre facteur de ce dynamisme est l’emploi. Nombre de Diola que nous avons rencontré en
ville sont « en fonction », administratifs, enseignants ou policiers : c’est le propre de cette ethnie que
de réussir aux concours administratifs, et plus encore depuis que se développent les projets à l’endroit
des écoles dans le Blouf. Le développement économique du Sénégal, fortement soutenu, il est vrai,
par les projets de construction liés aux financements extérieurs, permet la création de nouveaux
emplois, sans cesse, de chauffeurs, administrateurs, mais aussi, plus bas dans l’échelle sociale, de
menuisiers, menuisiers métalliques et surtout maçons ou mécaniciens. Or si l’emploi se développe en
ville, les activités économiques périclitent dans les villages. En somme, la solidarité et le lien social
deviennent aujourd’hui plus forts en ville qu’au village : la vie à l’intérieur du Blouf est donc souvent
vécue pour un jeune comme une mise à l’écart.
137
312. Rester : une situation d’échec ?
On peut résumer cette idée dans un seul exemple qui nous a été fourni par le président de la
section des ressortissants de Boutœum à Dakar. Il a en charge un fils de son frère décédé. N’ayant
pas voulu travailler malgré les pressions de sa famille, celui-ci a été renvoyé au village, auprès de sa
grand-mère, pour un « examen de conscience ». Comme si le fait de revenir au village alors que l’on
est jeune était une tare, ou un état transitif dont on veut se débarrasser au plus vite… Le document
21 donne l’exemple de trois personnes interrogées qui ont dû revenir au village pour des raisons
diverses, de maladie par exemple, et qui n’attendent que de revenir en ville. La plupart des hommes,
comme on l’a vu déjà, ne sont revenus au village que pour s’occuper, qui de leur maison, qui de leur
famille : là encore, trois exemples sont donnés dans le document 22. En fait, l’organisation familiale
est ainsi faite que ceux qui réussissent sont chargés de faire vivre leur famille, tandis que ceux qui ont
échoué ont pour mission de rester au village pour tenir la maison et permettre un soutien physique et
affectif aux parents, avant qu’ils ne décèdent. Système bien huilé dans lequel chacun a sa place,
enfants peu doués comme enfants doués, et où les vieillards trouvent aussi leur compte. Quant aux
femmes, la plupart sont au village par le mariage, soit qu’elles aient épousé un homme qui a dû
revenir au village, soit qu’elles ont elles-mêmes échoué en ville. Encore que les femmes qui ont un
travail que l’on peut qualifier de définitif en ville soient très rares : le graphique 25 montre, pour les
femmes qui ont déjà vécu ailleurs, le métier qu’elles ont fait. Peu ou pas du tout ont eu un métier lié à
la scolarisation. L’emploi majoritaire en ville est celui de « ménagère de domicile », de « bonne ». Le
retour est donc aussi pour elles le résultat d’une situation d’échec.
Document 21 : Trois exemples d’un retour au village non souhaité en attendant de revenir à la ville.
Elle réside à Djiloguir, quartier d’Affiniam, mais est née à Ziguinchor. Encore jeune et toujours célibataire, elle est revenue au village de ses parents, Affiniam, en 2004. Auparavant, elle a vécu quatre années à Dakar, comme ménagère de domicile, avant qu’une de ses voisines ne la fasse venir à Kafountine pour aider dans un restaurant. Mais elle a eu un enfant, ce qui l’a obligée à revenir. Elle ne fait rien au village et n’attend que de pouvoir repartir.
Elle est aussi d’Affiniam, mais du quartier de Badjimeul. Toute jeune, elle aussi est née à Ziguinchor mais la maison des ancêtres est là. Après avoir passé toute son enfance à Ziguinchor, elle a travaillé pendant trois ans comme ménagère de domicile à Dakar… Avant d’avoir son premier enfant et de devoir revenir, à la mort de sa mère, s’occuper de son père qui lui-même vivait à Ziguinchor. Il est revenu au village pour sa retraite de professeur de lycée. Elle aussi attend le moment de repartir, de pouvoir se marier ; elle aide à la maison et fait du jus de citron en attendant.
Elle est d’une autre concession, toujours à Badjimeul. Après avoir passé 5 ans chez sa grande sœur à Ziguinchor, lors de ses années de collège, elle a arrêté les études car elle a eu un enfant. Elle a ensuite travaillé à Dakar dans un salon de thé, mais la maladie l’a fait revenir au village. A la mort de sa mère, elle s’est retrouvée seule dans la maison, tous ses frères et sœurs étant à Dakar ou à Ziguinchor. Elle a dû rester, n’ayant comme activité que le jus de citron. Ses frères et sœurs paient la culture du riz et ont permis de cimenter entièrement la maison. Un instituteur est venu s’installer dans la maison avec sa sœur ; elle n’est donc plus seule, mais ne souhaite que repartir à Dakar.
Sources : enquêtes 2005
Document 22 : Trois exemples d’un retour au village lié au besoin de s’occuper des parents
Il habite à Nianguef, un quartier de Diatock. Après avoir vécu pendant 21 ans à Dakar, où il a appris la couture et travaillé comme couturier, il a du revenir au village sous la pression de ses frères, à la mort de son père, en 2000, pour soutenir sa mère. Il vit au village aujourd’hui, à 38 ans, en faisant du maraîchage ; il a commencé une pépinière et d’adonne parfois à la culture de l’arachide et du mil. Il a en charge aussi certains fils de ses frères.
Il vit dans le quartier de Baskande, à Boutœum. Il est allé jusqu’en troisième secondaire. Puis il a appris la mécanique et travaillé à Dakar pendant cinq ans ; ne trouvant plus de travail, il s’est retrouvé sans ressources, logé aux frais de sa famille. Il a dû alors revenir au village s’occuper de sa mère, avec laquelle il vit ainsi que sa femme et ses deux petites filles, partageant son travail entre récolte de l’arachide et récolte du vin de palme.
Il vit dans un autre quartier de Boutœum, Sambounsilué. Lui aussi est allé jusqu’en troisième, à Bignona. Il a ensuite appris la menuiserie avant d’aller travailler à Velingara comme menuisier. Mais il a dû revenir pour s’occuper de ses vieux parents, à
138
qui ses frères et sœurs envoient de l’argent. Il lui reste la pêche, l’arachide, qu’il pratique pour la consommation. Il est aussi l’un des menuisiers du village.
Sources : enquêtes 2005
Emploi en ville des femmes ayant déjà vécu ailleurs dans la Communauté Rurale de Mangagoulack
Jamais vécu ailleurs6%
Enfance3%
Couturière10%
Elève13%
Femme au foyer19%
Ménagère de domicile49%
Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=31)
Graphique 25
Cette vision doit toutefois être tempérée. En effet, les villageois au village ne sont globalement pas
malheureux de leur sort. La plupart même sont très contents de vivre sur place, et cela se comprend
en partie : matériellement, ils sont de mieux en mieux aidés par leur famille partie vivre en ville ;
moralement, ils sont les garants du maintien d’une forme de vie au village et ils en sont très fiers. Ce
qui n’empêche pas que la population restée au village soit peu encline à développer des projets
économiques.
313. La faiblesse structurelle de la population sur place
D’abord, du fait de la structure de la population que l’on a tenté de mettre en évidence à travers
l’esquisse (intuitive il est vrai) d’une pyramide des âges, on peut considérer qu’il manque au village les
catégories de population les plus à même de développer les ressources sur place, c’est-à-dire les
jeunes. Ensuite, ce sont les catégories les moins scolarisées, celles qui ont réussi le mieux, qui
restent au village, à quelques exceptions près ; Bassirou Sambou, président de la Communauté rurale
de Mangagoulack, en est une. On peut évaluer cette idée grâce au graphique 26 qui observe la
corrélation entre niveau d’études et projets personnels pour améliorer son niveau de vie. Il est évident
que le premier influe sur les seconds. En fin de compte, malgré un niveau d’études malgré tout assez
élevé des populations (graphique 27) par rapport au reste du Sénégal, la population est fragile et
parfois hostile aux projets en raison bien souvent de l’échec en ville, qui fait douter de ses propres
139
capacités à développer des activités économiques, et de l’âge élevé de ceux qu’on appelle ici des
« jeunes », la catégorie de population qui a le plus souvent 35 à 55 ans…
Niveau d'études et projet personnel dans la Communauté rurale de Mangagoulack
0%
20%
40%
60%
80%
100%
Analphabète CP, CE1 CE2, CM1 CM2, CFEE 6e, 5e,4e 3e,2de,1re Terminale et Bac
niveau d'études
pro
jet
pe
rso
nn
el
Non
Oui
Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)
Graphique 26
Niveau d'études des personnes interrogées dans la Communauté rurale de Mangagoulack
Analphabète24%
CP, CE12%
CE2, CM18%
CM2, CFEE31%
6e, 5e,4e9%
3e,2de,1re22%
Terminale et Bac4%
Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)
Graphique 27
On le voit, il paraît difficile d’inverser la tendance au vu du nombre des chaînes de
conséquences qui affectent le système. Le village est le lieu où l’on revient en cas d’échec. Donc la
140
ville est le lieu de la réussite. Schéma classique de la ville-mirage qui a toujours fait fortune dans ce
que l’on appelait autrefois « le Tiers-Monde ». D’autre part, les activités économiques déclinent, donc
encouragent l’exode rural, qui entraîne un dynamisme en ville à l’origine d’un attrait urbain renforcé,
qui accroît encore l’envie d’exode. C’est un mécanisme désormais bien connu, et ces éléments
d’explication des facteurs limitant les autres évolutions ne sont pas les seules : on peut stigmatiser
également une hausse nécessaire des dépenses.
32. L’augmentation des dépenses villageoises
Il semblerait, en effet, que depuis quelques années les dépenses vivrières augmentent
considérablement. Nous devons nous placer pour comprendre cet état de faits dans le contexte d’une
diminution progressive des forces vives capables d’entretenir les zones de culture et de cultiver la
terre en quantité suffisante, ce qui nuit à la production vivrière, en même temps qu’une augmentation
de la quantité d’argent disponible dans les familles qui permet, de plus en plus, de se procurer des
denrées moyennant finance.
321. La fin des cultures vivrières
Durée de consommation du riz local dans la Communauté rurale de Mangagoulack
Pas de consommation7%
1 jour - 2 semaines4%
2 semaines - 1 mois39%
1mois - 3 mois26%
6 mois - 9 mois2%
9 mois - 11 mois2%
Toute l'année12%
3 mois- 6 mois8%
Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)
Graphique 28
Le graphique 28 est stupéfiant, puisqu’il semble montrer une quasi-disparition de la
consommation de riz local dans les villages : en effet, 39 % des personnes interrogées mangent ce
riz-là pendant un mois ou moins. On peut stigmatiser une année assez mauvaise ; le document 23,
issu du Programme Alimentaire Mondial, nous montre qu’en moyenne dans la région de Ziguinchor,
on est autosuffisant pendant huit mois de l’année en riz. Mais on est tombé à deux mois dans une
141
année très mauvaise. Cependant, la baisse de la main-d’œuvre oblige nécessairement à ne cultiver
plus que la partie supérieure des anciennes rizières qui est, bien entendu, la partie la plus sensible
aux aléas du climat. La baisse de la pluviométrie catalyse donc un processus d’essence avant tout
anthropique. Beaucoup d’enquêtes réalisées nous ont démontré également combien la diminution des
quantités disponibles devenait structurelle : cela fait déjà plusieurs années pour certains, bonne ou
mauvaise année, qu’ils doivent se contenter d’une production de riz équivalente à un mois de
consommation familiale. Cela dépend toutefois des villages (carte 25) : on voit que dans certains
villages comme Affiniam, Boutœum et Djilapao, la moyenne de la durée de cette consommation
augmente. Cela ne remet pas en cause la diminution des cultures vivrières : à Djilapao, c’est la
diminution des bouches à nourrir qui permet cela ; à Affiniam, c’est l’augmentation du paiement des
cultures et de la prestation de service, qui entraîne de toute manière l’augmentation des coûts…
Document 23 : L’autosuffisance alimentaire moyenne des régions du Sénégal et la situation en 2002
RégionAutosuffisance céréalière en année
normale Autosuffisance 2002
Dakar 1 mois 1 moisSaint Louis 4 mois 1 mois et demi
Louga 6 mois 1 moisThiès 6 mois et demi 4 mois
Kaolack 8 mois et demi 6 moisKolda 8 mois et demi 5 mois
Ziguinchor 8 mois et demi 2 moisDiourbel 9 mois 4 moisFatick 9 mois 4 mois
Tambacounda 9 mois 4 moisSource : Gouvernement du Sénégal, Programme Alimentaire Mondial (2003), La vulnérabilité structurelle à l’insécurité alimentaire en milieu rural, Dakar.
Photographie n°45 : le riz Diola s’épuise…des gerbes pour un mois seulement dans ce grenier de Mangagoulack
(cliché J.P.)
142
Nous en arrivons ainsi, petit à petit, à une situation où le riz Diola fait figure de réserve. Lorsqu’on en
possède, on ne le mange pas et préfère le capitaliser, de sorte qu’il en reste toujours un peu pour les
cérémonies. Mais, d’une année sur l’autre, il en reste de moins en moins dans le grenier
(photographie n°45), tandis qu’auparavant on réussissait à en avoir de plus en plus. Le Blouf, qui
était une terre où pourtant les rizières étaient parmi les plus abondantes de toute la Casamance, est
donc finalement, peu à peu, en train de devenir un « grenier vide » pour reprendre la comparaison de
Sylvie Brunel (1986) entre l’Asie aux « greniers pleins » et l’Afrique aux « greniers vides »…
322. Des dépenses alimentaires en forte hausse
Nombre de sacs de riz thaï chaque année par les personnes interrogées dans la Communauté rurale de Mangagoulack
Aucun8%
Moins de 5 sacs8%
5 à 7 sacs10%
8 à 11 sacs15%
12 à 14 sacs35%
15 à 19 sacs10%
20 sacs et plus14%
Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)
1 sac = 50 kilos
Graphique 29
La diminution progressive des stocks vivriers a pour conséquence directe une augmentation
des achats de denrées issues de l’importation. Le graphique 29 illustre ce phénomène à travers la
proportion de la population en fonction du nombre de sacs de riz achetés chaque année. On constate
que l’achat d’un sac de riz, soit 50 kilos, par mois, est de plus en plus répandu chez tout le monde. Or
un sac coûte 11500 francs CFA, ce qui donne un coût de 132000 francs57 par an. Nous avons essayé
de voir combien de personnes pouvaient se payer seulement cela avec leur rémunération (graphique
30) : devant l’ampleur des difficultés économiques, il devient assez clair que ce sont les ressortissants
qui ont à supporter l’effort de ces nouvelles dépenses. Il semblerait même que les apports des
ressortissants soient minimisés en raison de « lacunes » mais qui peuvent s’expliquer aussi par la
vente de bétail, le travail aux digues anti-sel… Dépenses auxquelles s’ajoutent, bien entendu, l’achat
de « condiment », c’est-à-dire de poisson, auprès de pêcheurs locaux : la plupart des femmes en
achètent un kilo par jour, ce qui fait à peu près 73000 francs par an. On arrive donc, pour les simples
dépenses alimentaires, aux alentours de 200000 francs… Les plats locaux, notamment le fitefou,
57 200 euros.
144
préparé à base de palmistes avec lesquels on fait une sauce rouge très riche pour accompagner le riz,
disparaissent au profit du plat de riz et poisson d’une triste monotonie. On pourrait même croire que
l’augmentation des dépenses de santé, que l’on ne peut quantifier mais que beaucoup nous ont laissé
entendre, pourrait être lié à ce manque de richesse et de variété dans la nourriture, et à l’introduction
dans les organismes d’un riz importé du Vietnam ou de Thaïlande, si l’on n’observait pas également
l’augmentation des infrastructures de santé. Avec la mise en place d’un dispensaire à Tendouck,
beaucoup se font soigner plus souvent, ce que l’on faisait très peu auparavant.
Part de la rémunération des activités au village dans la dépense totale des personnes interrogées
De 0 à 25 %29%
De 50 à 75 %11%
De 75 à 100 %10%
Plus de 100 %29%
De 25 à 50 %21%
Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)
Graphique 30
Quoi qu’il en soit, l’augmentation de ces dépenses a des conséquences extrêmement
dramatiques pour les villages. Une somme de 200000 francs58, uniquement pour se nourrir, est très
difficile à trouver sur place pour pouvoir nourrir toute une famille ; s’il n’y avait pas l’exode, personne
ne pourrait supporter l’augmentation importante de ces dépenses. Mais on pourrait penser aussi,
évidemment, que s’il n’y avait pas l’exode, il n’y aurait peut-être pas cette chute des récoltes
vivrières… C’est une évolution que le Blouf aurait pu connaître. L’histoire en a décidé autrement.
323. Un état de faits qui pousse à privilégier l’avenir des enfants
C’est donc un frein de plus, un facteur limitant de plus au maintien des activités dans les
villages, que l’augmentation de ces dépenses de santé. C’est même l’une des grosses limites de ce
système que l’on peut qualifier de « mondialisé » : pour beaucoup, à la limite, l’exode rural n’est pas
grave en soi à partir du moment où le lien entre ville et village perdure et que continuent à se
transmettre les revenus depuis les jeunes à Dakar jusqu’aux anciens du village. Néanmoins,
l’observation de cette augmentation des dépenses ainsi que de la vie au village en général, puisque
58 300 euros.
145
nous avons eu la chance de vivre, au total, pendant presque un mois et demi au sein des villages,
nous montre une véritable détérioration de la qualité de vie de ce point de vue. Le riz que l’on mange
provient du PAM* ou de l’importation, et les rares fois où nous avons eu à goûter au riz Diola, nous
avons pu sentir la différence de qualité… Plus encore, la diminution avérée des récoltes, à mettre en
relation avec une ferme croyance des villageois en l’essence climatique des problèmes rencontrés59,
oblige, à la limite, les jeunes à partir en ville. Du fait également de la diminution des activités
rémunératrices, les vieux à présent obligent plus ou moins leurs enfants à partir dans la mesure où ils
leur demandent d’exercer une activité qui puisse rapporter suffisamment.
Avec la mise en place des organisations paysannes dans les années 1980, les villages, très
dynamiques, se plaçaient dans une logique d’endiguement de l’exode rural. A tout prix, il fallait retenir
les jeunes au village à travers la promotion des activités agricoles de type maraîchage, arboriculture,
apiculture… Il semble que ce soit une époque lointaine. Peu de gens, aujourd’hui, stigmatisent l’exode
rural, à l’exception de certaines personnes instruites qui attribuent ces maux à l’obligation de gagner
de l’argent, en montrant le décalage entre des villages au potentiel énorme, mais totalement désertés
par des projets qui prennent en compte ce potentiel, et la présence à Dakar ou ailleurs de nombreux
cadres issus du village – le tout étant le produit d’une même logique – qui auraient les moyens de
générer un important développement au village mais qui ne le font pas. D’abord parce qu’ils doivent
rester en ville s’ils veulent conserver un travail qui paie convenablement. Ensuite parce qu’ils
subissent une pression telle, entre le tutorat et la nécessité de renvoyer l’argent au village, qu’il ne leur
reste plus d’argent en fin de mois…
En effet, la pression sociale venant des villageois, et qui s’exerce sur ces populations urbaines,
est très importante. Or cette pression entretien un comportement spécifique et pas forcément
rationnel, mais qui contribue au renforcement d’une certaine limitation de la capacité des populations
à monter des projets de développement. Nous avons donc un dernier facteur limitant toute autre forme
d’évolution, que l’on peut qualifier de facteur sociologique au sens où il est issu de la nécessité de
renforcer les liens entre le village et sa partie urbaine.
33. Les vecteurs du renforcement des liens entre villes et villages
Comme on va le voir, ces vecteurs se fondent sur des traditions ancrées depuis longtemps mais
qui reprennent sens et corps pour défendre un nouveau système. Conséquence de la mondialisation,
certaines traditions vont se perpétuer en raison même de leur utilité au sein de la société Diola dans le
Blouf. Ainsi, la culture du riz, qui pourrait disparaître totalement, se poursuit, à notre avis, pour des
raisons totalement sociologiques. De même que certaines cérémonies animistes et que certains
comportements que l’on pourrait penser totalement irrationnels mais qui se comprennent à la lumière
de ces éclaircissements.
331. Elèves en vacances et vieux parents cultivent ensemble le riz
59 Cette baisse de la pluviométrie se ressent dans la diminution du niveau des nappes dans le plateau, le raccourcissement de la période d’hivernage, des pluies de plus en plus irrégulières, la diminution du nombre de jours de pluie, et de moins bonnes récoltes de riz et d’arachide, qui ne doivent pas masquer le rôle prépondérant des facteurs humains.
146
La culture traditionnelle du riz est un phénomène qui se poursuit malgré une quasi-disparition
des rizières cultivées. On s’acharne, coûte que coûte, à défendre dans les derniers lopins restants,
une culture rizicole, en sachant pertinemment toutefois que le travail n’engendrera qu’une maigre
récolte. Le retour traditionnel des élèves pour les grandes vacances, de août à septembre, entraîne
une croissance de la population d’environ 50 à 100 %. Elle a pour corollaire une augmentation des
dépenses en hivernage, parfois compensée par la venue d’un travailleur, mais pas forcément. Il est
évident qu’en contrepartie, les élèves se voient contraints de travailler aux champs ; c’est un
phénomène universellement reconnu. Même si les jeunes arrivent trop tard pour la préparation des
champs et trop tôt pour les récoltes, mis à part pour les variétés hâtives, ils sont chargés
d’accompagner leurs parents en rizière. Cette contribution n’a pas beaucoup d’utilité économique,
mais son utilité sociale est chargée de sens : les jeunes en effet, dans l’esprit de la société Diola,
doivent savoir cultiver le riz pour demeurer eux-mêmes des Diola. Plus encore, c’est la seule manière,
aujourd’hui, de montrer aux jeunes la nécessité de venir en aide à leurs aînés : une façon de leur
signifier que, plus tard, ils auront intérêt à ne pas délaisser leurs vieux parents qui resteront au village,
voire qui y reviendront.
Et l’on pourrait presque dire qu’aujourd’hui, la culture rizicole ne peut plus se comprendre que
par ce bord sociologique. Sinon, comment expliquer que l’on fasse de si grands efforts pour une
culture qui ne rapporte rien, ou presque, puisque le riz ne sera pas mangé pendant l’année, sauf aux
cérémonies et aux moments importants de la vie ? Comment expliquer la demande unanime des
villageois en digue anti-sel ? Cette demande de protection, aux organismes internationaux comme à
leurs propres enfants, ne peut donc se comprendre que dans l’optique d’une culture éducative, et
même nécessaire socialement, puisque, selon les mots de Bassirou Sambou, « parler de la
Casamance sans parler de riz… »60.
Cette pression sociale est présente, on la voit à travers la culture du riz ; mais on peut
également, une fois que l’on a compris quelle forme elle pouvait prendre, trouver dans beaucoup
d’autres faits sociaux propres aux habitants des villages des formes de pression sociale, toutes
dirigées dans un même but : asseoir le système sur une solidarité entre la vie rurale et la vie urbaine
des villages.
60 Voir l’entretien en annexe.
147
332. La pression sociale du village sur les « exodés »
A travers les entretiens avec les ressortissants des villages, qu’ils soient à Dakar ou à
Ziguinchor, on peut prendre la mesure de cette pression dans tout ce qui est dit de manière informelle.
Le développement des télécentres dans les villages entraîne d’ailleurs une communication renforcée
et plus directe entre les membres des familles qui sont éparpillés. De sorte que la pression apparaît
renforcée et ce d’autant avec le renforcement des moyens routiers. Ajoutons que, de plus en plus, les
liaisons entre Casamance et Dakar seront renforcées du fait de la signature des accords de paix en
décembre 2004, et des multiples accords signés avec des partenaires étrangers ; c’est ainsi que,
durant notre séjour, le Maroc a envisagé la mise en place d’une nouvelle liaison maritime Dakar-
Ziguinchor, interrompue depuis le terrible naufrage du Joola en septembre 2002. Les villageois ont
donc de plus en plus d’occasions de communiquer avec leurs ressortissants. Le tutorat est une
première forme d’aide à laquelle ils sont tenus de se plier : première forme de pression. Toute
personne du village envoyée en ville doit être hébergée par la famille. Bien évidemment, une
personne qui travaille en ville est très mal vue si elle n’envoie pas à sa famille une partie de son
salaire. Mais il y a encore les formes de pression « collective », qui s’expriment lors des Congrès qui
réunissent une fois l’an l’association du village et ses sections de ressortissants, ou par la voix des
autorités du village, qui demandent à leurs ressortissants de s’investir dans tel ou tel projet.
Photographie n°46 : la danse de l’initiation de Tendouck à Ziguinchor : la culture Diola, ciment social, a bien sa place dans le
système socio-économique mondialisé (cliché J.P.).
A ces formes de pression extrêmement directes, mais qui ont pour conséquence de rappeler
aux « exodés », tels qu’ils sont appelés là-bas, leur rôle dans les rouages du système, s’ajoutent des
pressions beaucoup plus larvées. Celles-ci peuvent s’appuyer sur des pratiques traditionnelles,
ancestrales, qui nous donnent à penser que la mondialisation et ses conséquences ne s’expriment
pas toutes par la brutale chute dans le modernisme mais par une subtile alchimie des éléments
modernes et traditionnels. L’exemple le plus frappant est la perpétuation de la cérémonie de l’initiation
dans les villages. Rite animiste, alors même que le Blouf ne possède plus, ou presque plus,
148
d’animistes, il consiste pour chaque village, tous les vingt-cinq ou trente ans, à réunir l’ensemble de
ces enfants qui n’ont pas participé au rite la dernière fois ; pendant quelques jours aujourd’hui et non
plus des semaines comme avant, on va les initier à la culture Diola. Or les ressortissants doivent s’y
soumettre aussi : à Tendouck et Boutégol, on est en train de préparer l’initiation de 2006. Nous avons
eu la chance, à Ziguinchor, d’assister à l’une des danses préparatoires (photographie n°46) qui
montre, d’abord, que les ressortissants des villages sont en très grand nombre, et ensuite, surtout,
que le village fait tout pour que ses enfants n’oublient pas leurs racines et sachent quel est leur devoir
vis-à-vis de leurs villages.
333. Un comportement irrationnel mais socialement nécessaire
On peut toutefois se poser des questions sur la valeur rationnelle de ce comportement qui vise
par tous les moyens à mettre en place sur le dos des « fils prodigues » du Blouf une pression sociale
de plus en plus importante. Il amène en effet des pratiques qui ne peuvent se concevoir que
socialement, mais qui dans leur utilité économique n’en ont que peu : la pratique rizicole occupe les
populations villageoises, et surtout les femmes dont on sait qu’elles sont extrêmement déterminantes
en matière de projets de développement économique, pendant toute la durée de l’hivernage. C’est-à-
dire que, durant les trois ou quatre mois où il pleut le plus, toute l’attention des villageois est
concentrée sur une culture qui ne rapporte pas d’argent et dont l’évolution, conjuguée au processus
de mondialisation, fait qu’elle ne rapporte quasiment rien au moment de la récolte. Quoi de plus
irrationnel ? On pourrait cultiver d’autres denrées, commercialisables celles-là, et profiter de la
pluviométrie pour avoir un travail facilité. En y mettant autant de cœur que pour la culture du riz, une
personne pourrait gagner de quoi remplir son grenier en sacs de riz thaï… Ainsi, il paraît tout à fait
inintéressant, pour les populations du Blouf, de continuer cette culture dans le contexte de l’exode
rural et de la diminution de cette production.
Mais la sociologie, depuis Durkheim qui a montré combien l’homme était un « animal social »,
nous apprend que le manque de rationalisme économique des hommes se compense par une logique
sociale. La culture du riz est irrationnelle mais conserve une utilité sociale extrêmement forte. On peut
même dire que la culture rizicole est la clé de voûte de ce système, puisque comme on l’a vu, elle est
le ciment social, le lien essentiel entre la jeunesse, scolarisée et dynamique, la future élite des
villages, et les anciens, vénérables, garants de l’ordre éternel. Un ordre que l’on tente, malgré les
évolutions de la vie sociale et économique, de faire perdurer, et qui finalement trouve assez bien sa
place dans le système.
En fin de compte, on a pu juger par ces exemples de l’extrême cohérence du système. C’est ce qui
nous fait dire, parfois, que l’entrée par l’étude des processus issus de la mondialisation donne du sens
à ce qui apparemment n’en a plus, met une logique et ordonne des processus qui semblent
totalement distincts. Cette solidité s’exprime par la mise en évidence de multiples facteurs tendant à
accroître les forces en mouvement dans le fonctionnement des villages du Blouf. Là ou certaines
évolutions, certaines logiques en marche pourraient être contrariées par certaines volontés, d’autres
logiques, issues de ce système, et en apparence fort éloignées, s’empressent d’emboîter le pas aux
149
premières pour en renforcer la valeur. Il en ressort l’impression d’une mécanique bien huilée et qui
fonctionne à merveille, à tous les niveaux.
Conclusion : des impacts majeurs sur la vie au village
Nous avons pu juger ici, par conséquent, des éléments du nouveau système et de leur étroite
imbrication dans des logiques qui ont tendance à modifier en profondeur la vie économique et sociale
des villages du Blouf, et particulièrement de la communauté rurale de Mangagoulack, qui fut le lieu de
notre enquête. Nous avons essayé à la fois d’apporter des preuves de nos hypothèses sur le
fonctionnement de cette partie de la Casamance, mais aussi des éléments montrant tous les impacts
de ce fonctionnement nouveau qui est le fruit de la conjonction des héritages et du processus de
mondialisation. Nous avons cherché à montrer enfin comment ces impacts contribuaient à leur tour à
un renforcement du système en place, si bien que l’on peut parler à la manière des systémologues de
« rétroactions positives » qui risquent à terme « d’emballer » le fonctionnement de ce système lorsqu’il
sera dépassé par sa propre évolution. Mais il ne s’agit pas de faire des prévisions. L’important est de
comprendre comment les mutations actuelles observées dans le Blouf sont sous-tendues par une
logique, rationnelle au moins socialement lorsque ce n’est pas économiquement, et qu’elles entraînent
à leur tour des conséquences importantes sur la vie des villages.
Nous avons commencé ce travail de mémoire comme un géographe et c’est comme un géographe
que nous le terminerons : car il est évident que nous ne pouvons laisser de côté les conséquences
spatiales de telles évolutions. Telle était bien, d’ailleurs, notre ambition : celle de montrer comment la
géographie infléchit les mutations socio-économiques liées à la mondialisation, et comment ces
mutations, pour boucler la boucle, ont à leur tour des répercussions spatiales. Ces implocations dans
l’espace joueront à leur tour, à n’en pas douter, un rôle dans d’autres mutations socio-économiques
lorsque le monde changera encore : elles ont déjà commencé puisqu’elles contribuent comme on l’a
vu, à travers la salinisation des terres, au renforcement de l’exode rural. C’est en cela que notre travail
peut raisonnablement se placer sur le terrain d’une étude géographique.
150
TROISIEME PARTIE
Où la mondialisation influence la géographie
Introduction : une spatialité bouleversée par ces mutations
Il s’agit ici de prendre la mesure de l’ensemble des conséquences spatiales de ce système.
L’étude nous montre des mutations extrêmement profondes depuis une vingtaine d’années. Il y a
énormément à dire, à tous les niveaux, sur l’évolution géographique de la zone. C’est pourquoi notre
étude se portera d’abord sur les espaces anciennement cultivés en rizières, avant d’observer
l’évolution sur les plateaux, aux abords des villages et plus loin. La zone « basse » de la mangrove et
du poto-poto, la vase noire de ces zones marécageuses, et la zone « haute » des terres gréseuses et
latéritiques du plateau, ont toujours été distinguées par les géographes (notamment Pélissier, 1966) et
c’est ainsi que nous procéderons également. Un dernier point sera consacré aux perspectives, qui
entrent plus ou moins dans une étude des conséquences de la dynamique mondialisatrice dans le
Blouf ; même si nous y reviendrons plus longuement en conclusion générale, il s’agira là de voir
comment ces évolutions spatiales, conjuguées aux évolutions sociales et économiques, mises en
lumière, peuvent nous permettre de dégager pour l’avenir quelques grands traits d’analyse de ces
perspectives. On se place ici dans une optique de géographe du développement, peut-être futur
acteur, qui espère que cette étude servira à pointer les faiblesses d’un tel système.
1. Dans les zones basses, une riziculture larvée et symbolique
On a eu à l’évoquer tout au long de ce mémoire : les zones de mangrove, mises en culture
depuis très longtemps, ont eu à subir depuis les années 1950 les contrecoups de toute une
dynamique d’exode rural, dans un contexte d’internationalisation puis de mondialisation. Depuis
quelques années, elles subissent carrément les impacts d’un système nouveau, qui a encore
augmenté la puissance de cette dynamique. Malgré tout, on a constaté que cette culture, pour l’ethnie
Diola, était essentielle, d’un point de vue culturel comme d’un point de vue social. On va donc voir ici
comment, à la lumière de l’ensemble de ces mutations que l’on appellera socio-économiques, la zone
du Blouf qui correspond à la mangrove rizicultivée a évolué, cette fois de manière très concrète, en
observant le recul des rizières, mais aussi en observant les conséquences de mutations liées à la
même logique, qui encouragent la mise en place de digues pour sauver la riziculture. On envisagera
enfin les nouveaux usages et les perspectives à long terme de la mangrove.
151
11. Le recul jusqu’à quasi-disparition des parcelles rizicoles cultivées
Nous nous sommes fondés pour l’analyse géographique du recul des rizières sur le maximum
de documents que nous avons pu trouver ; malheureusement, il semblerait que les photographies
aériennes soient très anciennes, et du reste pas utilisées. Nous avons pu nous en procurer une
auprès de l’association un, peu utile mais que nous avons tenté de confronter avec notre observation
sur le terrain. Pour le reste, on se fonde essentiellement sur l’étude photographique et les dires des
populations.
111. Les parcelles rizicoles occupent aujourd’hui la mince bande des terres les
moins fertiles
Photographies n°47 et 48 : deux exemples de rizières en friche : les terroirs de Mandégane (à gauche) et d’Affiniam (à droite).
Clichés J. P.
La littérature scientifique consacrée à la Casamance avait déjà évoqué depuis longtemps un
certain recul des terres rizicoles les plus profondes (Chéneau-Loquay, 1995). Comme dans certains
pays d’Europe occidentale, à l’apogée de la pression sur les terres, on s’était aventuré sur les terres
les plus lointaines pour cultiver le riz, au prix d’efforts considérables : le défrichement d’une mangrove
beaucoup plus haute et solide que dans les parties plus élevées et la nécessité d’élever les digues les
plus hautes. A la différence de l’Europe occidentale, ces parties étaient les plus rentables, grâce à
l’abondance de l’eau et à la présence des sols les plus lourds. Mais P. Pélissier (1966) fait remarquer,
sur la photographie n°7, d’anciennes rizières reconquises par la mangrove. Il s’agissait à l’époque
plus de légères fluctuations démographiques que de véritable déclin ; en revanche, le phénomène a
largement pris de l’ampleur dans les années 1980. « Auparavant, nos ancêtres cultivaient jusqu’au
bolong » nous a dit un vieux de Mangagoulack. Ce déclin, s’il a affecté les parties les plus profondes,
s’est poursuivi et l’on peut désormais parler de culture résiduelle pour évoquer les rizières. La plupart
de celles que nous avons rencontrées sont à l’état de friche ou salinisées (photographies n°47 et
152
48) ; même s’il s’agit d’une simple observation qui n’a pas été suivie d’une étude précise, faute d’outils
pour la réaliser, nous avons été suffisamment présent sur le terrain pour nous en rendre compte ; et
d’autre part, il est clair qu’une telle observation montre que l’on ne peut plus parler de « civilisation du
riz » lorsqu’un observateur extérieur constate cette quasi-disparition de la riziculture.
Il en résulte une observation simple : les rizières se situaient auparavant dans la partie située
entre le bolong et le plateau où les villages étaient groupés, ou bien dans des « dépressions en doigt
de gant » (Pélissier, 1966), causées par la présence d’une entaille dans le plateau où la vase s’était
déposée. On constate dans les deux cas un recul. Dans les « doigts de gant », les rizières se massent
désormais sur les parties les plus hautes, tout autour du plateau ; dans les parties entre bolong et
plateau, les rizières se massent également tout en haut. Le document 24 représente, à travers un
bloc-diagramme, ce phénomène. Nous l’avons repéré sur la photographie n°49 : retravaillée pour
153
faire apparaître les différentes strates, elle nous montre que les rizières (ici à Mangagoulack)
n’occupent plus parfois qu’une bande d’une centaine de mètres entre des zones très ensablées,
conséquences des forts déboisements du plateau, et des zones en friche. Les zones salinisées
viennent encore après. La principale cause de ce recul, « géophysiquement parlant », est une
progression de la langue salée. On a pu constater que cette progression était, bien entendu, le fruit
des mutations socio-économiques qui ont affecté le Blouf.
Photographie n°49 : les rizières désormais cultivées occupent une mince bande, comme ici à Mangagoulack avec les
travailleurs de la digue (cliché J. P.)
112. Digues abandonnées et progression de la langue salée
154
Photographie n° 50 : des digues à l’abandon en arrière de la mangrove, totalement salinisées (cliché J. P., à Mangagoulack).
Il est extrêmement simple, en s’aventurant un peu dans la mangrove, en utilisant les chemins
pris par les pêcheurs pour se rendre jusqu’à leur pirogues, ceux que prennent les femmes pour aller
aux huîtres ou à la récolte du bois de chauffe, ou même en prenant une pirogue comme nous avons
eu l’occasion de le faire, de trouver les traces d’un ancien finage (photographie n°50) qui nous
montre très nettement la progression des zones salinisées : la photographie regarde vers le plateau ;
la mangrove se situe entre le plateau et cet ancien finage. On imagine, entre les palétuviers et le
contact avec la « forêt » – en fait la zone de contact, beaucoup plus boisée que la brousse – le finage
actuel : une toute petite bande de terre où l’on cultive quelques lopins. Cette photographie, prise à
Mangagoulack, aurait pu l’être n’importe où : à part les terroirs autour de Thionck-Essyl et d’Affiniam,
tous les villages ont connu cette régression en fonction de la progression de la langue salée. Mais par
« progression », il faut entendre « retour » : là où, sur la photographie, se développe en ce moment la
mangrove, ce sont des espaces qui, vierges de toute occupation humaine, étaient déjà occupés par
ce type de végétation. En somme, le biogéographe parlerait de retour à un « climax » pour désigner
cette progression aux dépens des zones rizicoles.
155
Photographie n°51 : La digue de la fondation Jean-Paul II à Mangagoulack, vestige d’une époque où les villageois
cultivaient le riz jusqu’au bolong, est tombée en ruine (cliché J. P.)
Ce retour est rapide, très brutal. Il semblerait en effet que cette dislocation du finage ne soit
intervenue que depuis les années 1980. On en a la preuve avec la présence, à Mangagoulack, des
vestiges d’une digue anti-sel repérée lors d’une excursion dans les bolons (photographie n°51). Elle
a été construite dans les années 1980 avec l’aide de la fondation Jean-Paul II61. Le résultat est que,
faute d’entretien, elle n’a servi à rien, soit-disant parce que c’était mal fait. En fait, comme beaucoup
d’autres projets de l’époque, il s’agissait d’un espoir que l’on pourrait peut-être parvenir à sauver les
activités en place : espoir déçu. La digue a rompu en plusieurs endroits, sous les coups de boutoir de
la marée mais aussi à cause de l’éternel problème du manque d’entretien. L’exemple montre bien,
d’une part, le changement qui s’est opéré dans les dynamiques socio-économiques depuis ces
années-là, d’autre part, géographiquement, le recul de la riziculture, et enfin, la brutalité de ce recul.
Nous devons observer le cas spécifique des zones qui sont moins concernées par la
salinisation, en raison d’une certaine étendue de leurs surfaces rizicoles. Ce n’est pas par hasard que
nous en tenons compte : l’idée est de montrer que la salinisation n’est pas l’unique cause de ce
déclin.
113. Quand les rizières ne sont pas salinisées : jachère ou culture payée par les
ressortissants
Dans notre étude, les zones les moins salinisées concernent les villages d’Affiniam, Boutœum
et Djilapao, les seules concernées par la micro-région que constitue le Blouf – et d’où l’on a exclu le
finage de Thionck-Essyl – qui soient véritablement en mesure de cultiver des terres sans digues. La
configuration du terrain a en effet permis ici la présence de vastes zones rizicoles – base, du coup,
d’un très profond enracinement, dont nous reparlerons quand nous évoquerons les disparités inter-
villageoises – et l’on pourrait penser, en reprenant les dires des habitants qui accusent la salinisation
de la disparition des rizières, que le riz aurait pu prospérer au moins là. En vérité, comme on l’a
constaté, peu de gens même dans ces villages arrivent à faire toute l’année avec ce riz : cette fois,
c’est le manque de bras qui est à prendre en considération. Dans ce cas, il n’y a que deux solutions :
ou bien payer une « association de travail », généralement des jeunes gens désireux de financer
quelques projets de vacances, fêtes, « navétanes » ou tournois de football, mais cela suppose une
bonne assise familiale en ville pour soutenir ce paiement ; ou bien laisser la terre en « jachère », ce
qui évite la peine de la fumer, mais provoque du même coup la réduction du terroir. Ceux qui
parviennent tout de même à cultiver pour toute l’année sont ceux qui ont peu ou pas de famille à
nourrir. C’est le cas à Djilapao où l’on ne trouve pas d’école. Du coup, ces espaces paraissent
également peu ou prou abandonnés (photographie n°52).
61 Selon Younousse Sambou, notre guide et interprète
156
Photographie n°52 : à Djilapao, le gâchis de vastes rizières non cultivées (cliché J. P.)
Ayant obtenu, grâce à l’association un, une excellente mais ancienne photographie aérienne de
ces trois villages que sont Affiniam, Boutœum et Djilapao, nous avons tenté à partir de la carte IGN au
1:50000e, datant des années 1950, de représenter les rizières telles qu’elles s’étendent sur la carte et
l’étendue que nous estimons par l’observation (document 25). Ceci n’est en aucun cas un document
scientifique, mais permet au moins de comprendre le processus progressif de rétractation de la
culture rizicole, même dans les zones où les rizières étaient, traditionnellement, en fort déclin. On se
rend compte de l’ampleur du recul, et surtout on comprendra pourquoi il faut véritablement parler
d’une culture résiduelle, ou d’une culture qui a quasi disparu.
Mais nous devons toutefois considérer que, si son étendue spatiale comme économique a
fortement régressé dans le Blouf, la culture du riz conserve toutefois son rôle social. Il semblerait
même, à la limite, que la culture en elle-même n’a pas une importance considérable : ce qui compte,
c’est plutôt le fait de cultiver ensemble. Toutes les tentatives de modernisation de la pratique rizicole
ont échoué et ce n’est pas un hasard : seule l’utilité sociale du riz compte. C’est peut-être ce qui a
incité à la vague extrêmement récente, donc liée au nouveau système, de construction des digues
anti-sel dans le Blouf.
157
Nous n’avons pas parlé, avant cette dernière partie, de la mise en place partout dans le Blouf,
au niveau des bordures du plateau, de digues anti-sel. La carte 26 nous montre leur localisation dans
le Blouf ainsi que l’effectif des travailleurs. On constate que la Communauté Rurale de Mangagoulack,
notre laboratoire, a été la plus touchée par ce phénomène. Nous avons préféré compter ces digues
comme une composante spatiale et non un phénomène socio-économique, ce qu’elle est également :
nous allons donc envisager leur étude comme celle d’un objet géographique. Leur consacrer cette
partie ne relève en aucun cas de la curiosité intellectuelle pour un objet nouveau : il s’agit de montrer
en quoi la présence de ces digues renforce l’idée de l’importance sociale de la riziculture.
159
121. La mise en place des digues anti-sel
Photographie n°53 : la construction des digues utilise des moyens très rudimentaires (cliché J. P., à Diatock).
Si l’on se place du point de vue des faits, on observe que ces digues sont nouvelles,
nombreuses, qu’elles ont « poussé » toutes en même temps, ou du moins entre 2002 et 2004
généralement, dans les villages du Blouf, et surtout dans la communauté rurale de Mangagoulack. Le
même principe régit la construction de toutes ces digues : il est extrêmement simple (photographie
n°53). Les hommes creusent la terre au pied de la digue, ils la remontent à la force des bras et à
l’aide du kadiandou ou d’une pelle à long manche, tandis que d’autres façonnent la digue avec cette
lourde terre de mangrove qu’on leur remonte. Le résultat est assez surprenant (photographie n°54),
avec des ouvrages parfois très imposants. En fait, la majorité des hommes valides vient régulièrement
travailler à la digue, comme l’indiquent les effectifs très importants relevés auprès des pointeurs de la
digue et que nous indiquons sur la carte 27. Ils sont parfois appuyés par les femmes, qui apportent
les coquillages nécessaires à la consolidation de ces digues. Les ouvrages se situent à peu de
distance du rebord du plateau généralement, parfois même tout au bord comme le montre la
photographie n°55 prise de la mission catholique d’Elana : l’espace y est minimal pour les rizières.
161
Photographies n°54 et 55 : les digues anti-sel sont des ouvrages imposants, comme à Djilapao (à gauche) mais ne permettent pas de récupérer des terres (à droite) : à Elana, elle se situe au niveau du contact avec la mangrove (cliché J. P.)
La mise en place des digues anti-sel émane de l’ONG GRDR*, qui est en même temps un
bureau d’études, et a été l’objet de longues réflexions lors du montage du Plan Local de
Développement. C’est à la demande des populations qu’a été proposé l’appui du GRDR, en
partenariat avec le Programme Alimentaire Mondial : les premiers devaient fournir le capital technique
et les seconds le paiement des travailleurs en nourriture et le financement des ouvrages permettant
162
l’écoulement de l’eau (photographie n°56), c’est-à-dire les vannes. L’objectif de ces constructions est
assez simple, de même que leur principe. On souhaite avant tout arrêter la progression de la
salinisation des terres, avant d’essayer éventuellement de regagner des terres sur celles qui ont été
salées. La digue reprend le principe des digues ancestrales décrites par P. Pélissier en 1966, hautes
d’environ un mètre, qui utilisaient elles-mêmes des vannes traditionnelles faites d’un tronc de rônier
évidé que l’on bouchait ou débouchait. La différence est que ces vannes sont désormais modernes,
en ciment et en zinc, que les villageois sont payés pour construire. Les rizières qu’elles protègent ont
de moins en moins vocation de permettre aux populations de se nourrir.
Photographie n°56 : les vannes de la digue anti-sel de Mangagoulack (cliché J. P.)
122. Un apport extérieur et tardif, pour sauver une culture résiduelle
Il peut paraître curieux, à la lumière de tout ce qui a été dit auparavant, de constater un tel
phénomène, non pas épisodique et clairsemé mais véritablement répandu à l’échelle de tous les
villages. Ce n’est pas la première fois que des digues anti-sel sont construites pour tenter de stopper
la fameuse « remontée salée », comme on l’a vu avec la première digue de Mangagoulack ; à
Affiniam, la construction avait débuté en 1993 avec l’aide d’un autre partenaire, l’association Tara le
Requin62, mais ne s’était pas poursuivie. Et d’autres projets de digues ont été relevés dans quelques
villages du Blouf pour les années antérieures ; mais jamais ce phénomène n’avait eu l’ampleur qu’on
lui connaît. Comme par hasard, c’est un projet qui arrive en même temps que tous les autres, que
cette vague de projets qui dans les années 2000 fait partie du nouveau « système » et contribuent à
en renforcer les logiques. On peut donc légitimement se poser la question d’une remise en cause des
observations antérieures en étudiant ces projets, qui représentent un tiers du budget d’investissement
sur trois ans de la Communauté rurale de Mangagoulack (graphique 19) au moins pour le total de
l’intervention sur les zones basses, et 180 millions de CFA63 pour les seules digues : cela ne
témoigne-t-il pas d’un nouveau dynamisme du riz ?
62 Selon J.-P. Glotin, président de l’association un.63 270000 euros.
164
Au vu de tout ce qui a été mis en relief, il paraît difficile de croire en un tel phénomène.
Toutefois, les faits sont là. Et les villageois croient véritablement que les digues anti-sel vont aider à un
nouveau souffle au niveau de la dynamique des villageois. Bassirou Sambou, dans l’entretien en
annexe, montre son enthousiasme par rapport aux digues : « si les digues sont en place, ça peut
contribuer positivement à un relèvement des rendements au niveau de l’agriculture »64. En réalité, les
digues ont été construites, non pas loin pour récupérer des terres, mais peu ou prou au niveau des
terres que l’on cultivait encore il y a un ou deux ans. Plus encore, on se rend compte que sans digues,
si la situation actuelle perdure, les villageois perdront totalement leurs rizières. Car toute rizière doit
être protégée ; « dans le temps, trente ans ou quarante ans plus tôt, il y avait suffisamment de bras
dans les villages, les gens pouvaient faire des digues sans problème ». La nécessité des digues anti-
sel est donc essentiellement fondée sur la nécessité de conserver une parcelle de vie rizicole dans les
villages. Le maintien d’une forme de reproduction sociale en dépend. Comme le dit Philippe Ngor
Dione (2004) : « le Diola cultive le riz et on est tenté de dire qu’il en a besoin parce que sans lui, il
perdrait son identité sociale et ethnique » (Dione, 2004, p.57). Sans compter que cela permet de
conserver un petit grenier ; non pour la nourriture ordinaire, dans la plupart des villages, mais pour les
cérémonies. Or, pouvoir participer encore aux cérémonies par son riz est essentiel pour
l’appartenance sociale de l’individu à l’ethnie Diola.
Comme on le voit, le fleurissement de ces digues s’intègre dans la logique du système : et plus
encore quand on sait que les travailleurs sont payés pour les construire.
123. Les paradoxes d’une rémunération en vivres
Document 26 : les digues anti-sel dans la Communauté rurale de Mangagoulack
VILLAGE Début de la construction
Nombre d'hommes y travaillant
Nombre de femmes y travaillant
Nombre de kilos de riz reçu par
personne et par jour
Nombre de litres d'huile reçus par
personne et par jour
Nombre de kilos de
lentilles reçus par personne
et par jour
Boutégol 2003, décembre 69 88 3 1 2
Mangagoulack 2003, novembre 62 64 2,5 1 1,5
Diatock 2003, décembre 206 0 3,5 1 2
Elana 2004, septembre 126 162 2,5 0,5 1,25
Bodé 2003, octobre 50 0 1,5 0,25 0,5
Boutoeum 2004, août 148 0 3 1 2
Djilapao 2004, septembre 51 61 6 puis 3 1 puis 0,75 2,5 puis 1
Affiniam 2003, novembre 250 250 5 1,5 3
Sources : entretiens avec les pointeurs des digues – février 2005
En effet, le Programme Alimentaire Mondial (PAM*) apporte à chaque villageois qui travaille à la
digue, pour une journée, une quantité de riz, d’huile et de lentilles ou de haricots qui peut varier en
64 Entretien avec Bassirou Sambou. Voir annexe.
165
fonction des réserves dont dispose le PAM et de l’ancienneté des travaux (cela a tendance à
diminuer). Le document 26 donne, sous la forme d’un tableau et pour chaque village de la
communauté rurale de Mangagoulack, le nombre de travailleurs, la quantité reçue pour chaque
denrée et le nombre de jour de travail, en plus de la date du début de la construction (d’après les
différents pointeurs rencontrés dans les villages). On voit que, vu le nombre de travailleurs et la
quantité qui est donnée en échange des travaux, et malgré une quantité faible et qui tend à diminuer,
l’apport n’est pas si faible que cela : un travailleur qui se rend deux fois par semaine à la digue obtient
en moyenne une trentaine de kilos de riz par mois. S’il en achète cinquante par mois, ce sont les trois
cinquièmes de ses dépenses qui sont offertes par le PAM !
Cette constatation sert simplement à mettre le doigt sur le côté un peu pervers de la
construction des digues : la rémunération permet de soulager du coût de certaines dépenses en
denrées alimentaires. Parallèlement, elle est donnée en échange d’un travail qui vise – en théorie – à
augmenter les récoltes de riz ; mais faciliter l’obtention des vivres contribue encore à moins cultiver,
ou plutôt à avoir moins besoin de ces digues pour survivre. Cela renforce encore l’idée, d’une part
d’un certain attentisme qui fait qu’on ne prend des projets de développement que le côté matériel, et
d’autre part de l’inutilité économique de la construction des digues. Dorénavant, les villageois
survivent grâce au riz importé.
Ne nous trompons donc pas de fonction quand on observe et que l’on cherche à comprendre
les digues anti-sel : il s’agit bel et bien de sauvegarder, plus qu’une agrculture, une culture. Et une
identité qui a sa place dans le système socio-économique modernisé, mondialisé, qui change peu à
peu et de plus en plus rapidement le visage du Blouf. Dans les zones basses, ce système l’affecte à
travers la disparition des rizières, mais aussi la construction des digues, conséquence également de la
mondialisation de l’assistance humanitaire ; mais il change également les usages de ces zones
basses, peu à peu recouvertes par la mangrove.
13. De nouveaux usages pour les zones basses
Les espaces vaseux, où remonte cycliquement la marée salée qui envahit les eaux de
l’estuaire de la Casamance et les marigots qui le bordent, voient donc leur paysage se transformer
peu à peu. Lentement et irrémédiablement, les rizières qui ont longtemps fait la fierté des « Diola
Boulouf » disparaissent. Il reste derrière les rizières des zones complètement salées, et plus bas des
mangroves qui peu à peu regagnent du terrain. Or, ces espaces sont de plus en plus utilisés,
désormais, à d’autres fins que la riziculture. Ils deviennent même les espaces en réserve, qui
cristallisent beaucoup d’activités.
131. Une anthropisation croissante des bolons : pêche, transport, tourisme
Même si la pêche ne recouvre pas les zones anciennement vouées à la culture, on peut la
considérer comme ayant un impact croissant sur des zones basses comme le sont ces espaces. Il
s’agit cependant des espaces aquatiques proprement dits, des bolons envahis d’eau salée et formant
166
un enchevêtrement de bras entre des espaces vierges, envahis par des forêts de palétuviers. Or le
développement de la pêche à des fins commerciales, locales, provoque une intensification de l’activité
aux abords des zones de plateau. Il ne faut pas oublier que le tiers de la surface du Blouf est occupé
par ces zones basses, et ce serait donc occulter un tiers du terrain dans l’étude si l’on ne s’en souciait
pas. D’autant que ces effets que l’on observe dans cette zone sont fortement corrélés avec les
mutations socio-économiques dans l’arrondissement de Tendouck. En effet, les bolons sont affectés
par la présence croissante des bateaux : des petites pirogues de pêche aux grosses pirogues de
transport (photographie n°57) en passant par les voiliers européens, insolites au milieu du village de
Djilapao (photographie n°58), que l’on peut voir au large des marigots.
Photographies n°57 et 58 : deux exemples d’anthropisation du bolong : la multiplication des pirogues de transport (à gauche, celle d’Affiniam) et des voiliers dans le marigot de Bignona (à droite, à l’arrière-plan, à Djilapao). Clichés J.-P. Glotin (57), J. P. (58).
Ces trois types de navigation « fluviale » peuvent être inscrits, toujours, dans une même
logique, celle de la mondialisation. Qu’elle prenne les formes du tourisme, conjugué avec une certaine
mode pour la navigation et l’aventure, les formes d’un apport de devises aux populations, ce qui leur
permet d’acheter du poisson, ou encore les formes d’un transport croissant en raison de la mobilité de
plus en plus grande des populations villageoises, cette logique se fonde toujours sur la prise en
compte des « biens situés », des lieux, du milieu naturel où l’on trouve le poisson, où l’on peut
naviguer, où l’on peut joindre Ziguinchor en une heure trente. Là encore, l’observation des données
géographiques – celles-là sont moins repérables, plus furtives – peut contribuer aussi à la
compréhension des faits, à la condition d’avoir mis en place, auparavant, des clés de lecture.
Un peu plus haut, les terres de rizières, regagnées par la mangrove, sont également l’objet d’usages
de plus en plus importants.
132. Les activités de cueillette dans la mangrove
167
La mangrove, auparavant utilisée par les villageois comme bois de cuisson – dit « bois de
chauffe » quand elle venait d’être arrachée avant qu’on la transforme en rizière, n’a jamais eu chez les
Diola une importance capitale. Composante du terroir et utilisée comme telle, on y récoltait les huîtres
et le bois mort. Désormais, la mangrove est omniprésente, elle représente une partie non négligeable
de l’économie locale. Il faut attribuer cela en partie au retour de forêts de palétuviers, un phénomène
spatial d’essence naturelle autant qu’anthropique, presque au niveau des villages : on vit désormais
beaucoup plus avec la mangrove. Mais il faut aussi prendre en compte une certaine monétarisation de
la société qui fait que, de plus en plus, ce que l’on peut s’y procurer peut aussi se vendre dans le
village. C’est pourquoi les huîtres, traditionnellement l’apanage des « vieilles mamans » pour le CIDS
de Ziguinchor65 comme pour Younousse Sambou, font l’objet d’une récolte croissante qui a fait dire à
John Eichelsheim, président de l’ONG Idée Casamance, à Ziguinchor66, qu’il fallait arrêter cette
dévastation.
On peut prendre également l’exemple du bois de chauffe pour montrer la diversité – et la
diversification – des usages de la mangrove : de plus en plus, les vieilles femmes font appel à des
jeunes hommes qui vont ramasser dans les palétuviers du bois de chauffe, moyennant finance : une
finance facilitée, là encore, par des envois réguliers d’argent depuis l’extérieur. Mais la plus belle
preuve de ces nouvelles formes d’exploitation repose sur la coupe des bois de palétuviers pour la
construction.
133. Un espace sollicité de plus en plus pour la construction
La technique traditionnelle de construction Diola utilise en effet le bois de palétuvier pour la
réalisation des plafonds. On a une illustration de cette technique sur la photographie n°32. En
observant les impacts sur la mangrove de l’usage du palétuvier pour la construction, là encore, nous
sommes en présence de la conséquence géographique d’un usage lui-même résultant d’une logique
socio-économique liée à la mondialisation. La construction, comme on va le constater, est en forte
progression : dès lors, de plus en plus, on a recours à la mangrove pour réaliser les plafonds de ces
nouvelles maisons. Il s’agit la plupart du temps de vastes cases. Cette pratique a tendance aujourd’hui
à avoir des répercussions importantes sur les espaces de mangrove, surtout aux alentours des
embarcadères ; d’autant que ce sont les meilleurs arbres, les plus grands, qui sont utilisés en
construction.
Au total, on constate que le retour de la mangrove dans les zones basses, qui représentent à
peu près 30 % du Blouf, se conjugue à des évolutions socio-économiques qui transforment l’aspect
des forêts de palétuviers. De large zones deviennent nues, se transformant peu à peu en tannes. Il est
intéressant de penser que nous sommes en présence de la conjonction de deux phénomènes socio-
économiques, exode rural et monétarisation, liés entre eux mais qui se retrouvent aussi sur le terrain
du géographe pour en changer le paysage.
65 CIDS (2004), Inventaire culturel et socio-économique dans les villages de Elana et Djivente, Ziguinchor.66 Source : entretien avec les membres d’Idée Casamance, février 2005.
168
La riziculture a donc disparu, ou quasiment disparu, de la surface des zones basses de
mangrove ; cette dernière a repris ses droits, petit à petit. Pourtant, étant donnée la personnalité
particulière de l’ethnie Diola, c’est une culture qui résiste pour des raisons sociologiques : d’où, sur le
terrain, cette spécificité de la mise en place de digues anti-sel pour protéger de la disparition complète
ces espaces. Le document 27 montre par un dessin l’ensemble de ces processus, qui font qu’on se
retrouve aujourd’hui avec quatre strates différentes, quatre types d’espaces différenciés dans ces
zones basses : le complexe rizière-digue ; la zone salinisée, utilisée essentiellement par les femmes
pour la récolte du sel, résultant souvent de l’exploitation intensive de la mangrove ; la forêt de
palétuviers, affectée par la récolte des huîtres et de bois de plafond ; enfin les espaces aquatiques,
lieu d’une présence humaine de plus en plus forte.
Il est intéressant de voir comment les phénomènes spatiaux trouvent leurs fondements dans les
phénomènes socio-économiques et comment, modifiés à leur tour, ils affectent ces derniers par des
réactions spécifiques. Sur le plateau, les évolutions spatiales sont également extrêmement
importantes.
169
2. Les terres du plateau rendues à la brousse et offertes à la
construction
Le processus de la mondialisation, qui a affecté les terres les plus basses au premier chef,
exerce également ses influences et une pression sur les terres gréseuses qui portent les villages et
les cultures dites traditionnellement « sèches ». Le plateau a subi, en effet, les conséquences de la
traite arachidière massive d’une part, de la mise en place du maraîchage et de l’arboriculture d’autre
part, enfin de tous les processus qui ont entraîné le déclin progressif de ces cultures, qui rapportaient
un certain profit mais se sont progressivement délitées. En somme, l’évolution spatiale de ces terres
de plateau est un excellent indicateur des processus en mouvement sur le Blouf. Non seulement il
porte, en effet, les marques d’une ancienne exploitation lucrative qui a progressivement régressé
jusqu’à sa quasi-disparition, mais encore il est désormais de plus en plus occupé par les terrains où
se construisent des maisons. C’est donc un espace-symbole, tout comme l’étaient les terres de
riziculture, où se rencontrent les « deux faces d’une même médaille », pour plagier Paul Vidal de la
Blache : déclin de l’endogène et croissance de l’exogène.
21. La disparition de l’arachide offre un paysage uniforme de
broussailles
Visuellement, c’est indiscutablement l’arachide qui a le plus marqué le paysage, du moins si,
quittant les villages, on s’aventure à travers les chemins plus discrets qui mènent aux anciens
champs. Non seulement elle a contribué, dans le Blouf, à une quasi-disparition des forêts primitives,
mais sa disparition a également permis la mise en place d’un écosystème original, de reconquête.
Cependant, derrière ce monde en apparence abandonné, se cache une multitude d’usages, qui vont
en se multipliant : en effet, il est de plus en plus courant de rechercher les profits sans peine. Et on en
fait plus en brousse, comme dans le bolong, que dans les champs.
211. Sur le plateau, un monde en apparence abandonné
170
Photographie n°59 : villages et rizières de Boutœum, Affiniam et Djilapao.
Nous nous fondons ici sur l’observation de la photographie n°59 pour comprendre
véritablement le sens de ce titre. Elle reprend la photographie aérienne d’Affiniam, Boutœum et
Djilapao, sans y porter d’indications ; la partie claire correspond aux terres de plateau. Comme on
peut le constater, il n’y a véritablement que dans les villages que demeure encore une pseudo-forêt,
qui donne aux villages ce charme des grandes cases endormies sous les fromagers. Au-delà, tout
n’est que brousse. On peut chercher les champs : il y en a ici ou là, placés dans le désordre, et en tout
petit nombre. Le reste a été abandonné et est occupé par une brousse de reconquête. C’est un
espace où l’on ne va jamais la nuit, un lieu que l’on fréquente épisodiquement, où l’on ne fait que
passer à priori.
On peut donc considérer que le processus de mondialisation s’exprime très fortement à travers
ce double mouvement d’extension et de rétractation de la culture de l’arachide dans le Blouf. Là
encore, l’espace est à la fois un support de ces processus et un témoin : il garde la trace des temps
passés. L’arachide a disparu des surfaces cultivées, ou quasiment, même si l’on cultive encore dans
certains villages comme le montrent les statistiques sur la population de la communauté rurale de
Mangagoulack, mais sa trace est encore visible dans le paysage, avec la brousse, l’absence de forêt.
171
Il serait cependant trop succinct de réduire les évolutions sur le plateau à ce double processus, ce
paysage à une brousse abandonnée et l’espace à un lieu de passage. Multiples sont les activités qui
s’exercent sur ce milieu.
212. Une brousse pourtant exploitée intensivement
Document 28 : Les petits métiers que l’on classe dans la catégorie « autres »…
Vente de beignetsRécolte de bois de chauffe
Récolte de bois de palétuviersMenuiserie
Constructeur de toitsConstructeur de plafonds
CharbonnierPuisatier
Tresseur de paniersApiculteur
Vendeuse de crèmesAuxiliaire vétérinaire
Alphabétisation en DiolaMaçonnerie
Cimentation de maisonsJus de citron
CoutureHuile de palmeNoix de palmeNoix d’acajou
Pousses de rônierFruits sauvages
Vin de palme
Source : enquêtes 2005 (n=100).
En effet, la brousse est un lieu de réserve et les populations trouvent souvent là le complément
nécessaire à leur survie. C’est pourquoi il n’est pas rare de rencontrer, à chacun de nos passages en
brousse, ici ou là, un homme armé d’un coupe-coupe qui défriche ou coupe des branchages, sans
que l’on sache trop à quelles fins. Renseignements pris, il s’agit souvent de prendre du bois tout
simplement, ou de défricher une petite parcelle pour y planter des arbres. Nous avons décidé de
mettre au point le document 28 qui établit la liste des petits métiers rencontrés dans les
questionnaires et que l’on a classés dans la catégorie des « autres ». Face à l’augmentation des
dépenses, alimentaires essentiellement, la plupart des habitants du Blouf, généralement les femmes,
si elles abandonnent des cultures par trop pénibles, tentent toutefois de se faire un peu d’argent avec
des travaux qui peuvent permettre de se procurer directement des devises. Nous avons donc ici un
autre exemple de l’exploitation d’un espace lié à des mutations socio-économiques, augmentation des
dépenses mais aussi monétarisation croissante de l’économie. On s’y rend compte que les activités
de cueillette y sont très importantes : on y récolte les fruits sauvages par exemple, les « cabas » ou
les « madds », ou encore le « néré ». La récolte de bois de chauffe également est développée, tout
comme la récolte, encore une fois, de bois de construction puisque c’est le rônier qui est utilisé pour la
charpente et les poutres du plafond. Hommes comme femmes utilisent cet espace, surtout en saison
sèche ; les premiers y défrichent, y coupent le bois pour la construction ou pour bâtir des palissades ;
le bois de chauffe est essentiellement l’apanage de la gent féminine. On utilise également le bois des
fromagers pour y sculpter des pirogues. Au total, la brousse est loin d’être cet espace vierge, inutilisé ;
cependant, l’utilisation humaine y est beaucoup plus furtive que les anciens champs d’arachide.
172
De plus, chaque famille sait exactement où se trouve ses propres terres. Toutes les terres du
plateau sont appropriées, même si elles ne sont pas cultivées depuis dix ou vingt ans, et repassées
en théorie sous la coupe du domaine national : les communautés rurales n’arrivent pas à faire
respecter cela, et n’essaient pas. Nombre de ces familles y développent même des projets, voire des
expériences originales ; c’est donc aussi un lieu où s’exercent des pressions foncières.
213. Le lieu des expériences nouvelles et des nouvelles pressions foncières
Dans la tradition des études menées par les universitaires sur la région et particulièrement sur
le Blouf (Avenier-Sharman, 1987), les zones basses, les zones de rizière sont en général perçues
comme les espaces déclinants, tandis qu’augmentent, sur les espaces voués aux cultures sèches, les
activités génératrices de revenus. Comme nous l’avons vu, ces activités ont décliné à leur tour ; il
n’empêche que la plupart des projets expérimentaux s’exercent aujourd’hui sur les espaces de
brousse, comme le montrent les enquêtes : c’est le cas des activités développées, par exemple, par le
GIE Karonguen Karamba ; c’est également le cas des activités encouragées par l’ONG Entreprise
Works67. Elle développe particulièrement deux volets : l’anacarde, pour en retirer l’amande et la
transformer en gâteaux apéritifs (d’où l’organisation de formations pour ceux qui sont intéressés, de
manière individuelle). L’idée est que la collectivité bénéficiera forcément des initiatives individuelles ;
et le maraîchage hivernal, dont on reparlera.
Ainsi, tout projet nouveau développé par une ONG, qu’il ait ou non une chance de réussir, et
tout projet développé par une personne individuellement touche en général l’espace de la proche
brousse. Malgré les nombreuses faiblesses de ces projets, certains sont développés parce qu’ils
apportent quelque chose aux populations, de manière assistée et sans contrepartie, d’autres parce
qu’ils sont un capital pour plus tard, les arbres par exemple. En fait, on se rend compte que la
brousse, outre une brousse « ex-arachidière », tend à multiplier ses occupations et à devenir un genre
de « fouillis multi-usages ».
La brousse est donc marquée, elle aussi, du sceau des mutations sociales et économiques qui
ont affecté les population depuis près d’un siècle. Par bien des traits, elle porte un visage marqué de
cicatrices, celles de la déforestation et d’une traite de l’arachide. Par d’autres, elle porte les stigmates
du petit peuple Diola qui tente de compenser par des travaux simples et journaliers, exutoires à
l’oisiveté, les manques cruels provoqués par tous les impacts de la mondialisation. Mais le trait
marquant de ces dernières années est le fourmillement de l’arboriculture à demi sauvage, auprès de
périmètres maraîchers ou arboricoles anciens, collectifs, qui ont été abandonnés.
22. Activités maraîchères en friche et développement de l’arboriculture
dans ces friches
La brousse est donc, en fait, un monde extrêmement bien balisé pour l’œil exercé, tandis qu’elle
reste souvent un mystère pour l’étranger : souvent, nous avons été surpris de nous retrouver, aux
67 Source : entretien avec B. Diedhou, coordinateur des projets de l’ONG.
173
dires de nos hôtes, dans une plantation, en ayant l’impression d’être resté dans une zone totalement
inexploitée. L’étude de ces exploitations permet de se rendre compte de deux choses : d’une part la
trace, sur le terrain, d’anciens périmètres maraîchers ; d’autre part, de manière très frappante, la
disparition des projets collectifs au profit d’un fourmillement de projets individuels.
221. Des périmètres maraîchers abandonnés
Photographies n°60 et 61 : le maraîchage collectif disparaît. A gauche, le jardin du PIDAC de Mangagoulack est envahi par les manguiers. A droite, quelques femmes âgées cultivent encore dans le jardin des Amis d’Elana, à l’abandon (clichés J. P.)
L’abondance des anciens périmètres maraîchers, comme des anciens périmètres arboricoles
collectifs, est à l’origine d’une composante structurelle de l’espace du plateau en bordure de village.
Dans chaque village, on trouve déjà un jardin du PIDAC* apparemment inutilisé désormais pour le
maraîchage, comme à Mangagoulack sur la photographie n°60. D’autres villages ont reçu des
projets d’autres organismes et d’autres programmes, avec les mêmes résultats : la photographie
n°61 nous présente le destin de celui qui avait été mis en place par les Amis d’Elana, dans le village
du même nom. L’impression donnée est que l’on est en présence d’une « brousse clôturée ». Ainsi, un
peu partout, et le phénomène se retrouve dans tous les villages, on trouve d’anciens jardins dits
« jardins des femmes », rarement cultivés, ou de manière résiduelle et souvent comme culture
vivrière : on profite tout de même de la présence du grillage, celui-ci étant très recherché en raison de
son aptitude à retenir le bétail et les animaux en divagation.
Depuis, on voit s’installer de plus en plus de petits périmètres individuels, clôturés à la manière
traditionnelle et qui ne servent bien souvent que de culture vivrière d’appoint. Mais, de même que les
premiers, les grands, ceux-ci n’ont qu’une durée de vie limitée en raison des difficultés rencontrées
par le maraîchage et que l’on a déjà évoquées. A cela s’ajoute un manque important de moyens,
puisqu’il n’y a pas d’organisme pour soutenir cette forme de maraîchage. En somme, il s’agit d’une
culture qui redevient traditionnelle, une sorte de « jardin de case » mais à l’extérieur.
174
Là encore, on se rend compte combien l’observation paysagère et l’étude géographique d’un
terroir est essentielle à la lecture des mutations qui affectent cette micro-région. Le plateau, aux
abords du village, porte en effet les marques claires de ces anciens projets. C’est intéressant
puisqu’ils ont été à la fois les conséquences de certaines mutations et ont disparu du fait d’autres
changements. On a encore, par conséquent, un résumé, dans le paysage, de cette évolution. On peut
même dire que chaque composante du paysage porte en lui l’histoire de la mondialisation dans le
Blouf. Ces périmètres ont subi une dernière évolution en devenant peu à peu des plantations d’arbres
fruitiers.
222. La récupération par les arbres fruitiers
Les périmètres maraîchers comportaient au départ quelques arbres plantés ; on l’a évoqué plus
haut, le maraîchage lui-même a disparu tandis que les arbres ont peu à peu pris l’ensemble de la
place. Les photographies précédentes le montrent bien : de grands manguiers, à l’ombre très dense, y
poussent désormais, un peu à l’état sauvage. Or la présence de ces arbres fruitiers aux abords des
villages n’est pas seulement limitée à ces anciens périmètres maraîchers : auparavant, la plupart des
familles qui cultivaient des terres en brousse possédaient une petite plantation. La plupart du temps,
celle-ci était située à la périphérie très proche du village. Les arbres devenus grands, malgré une
certaine désaffection pour l’arboriculture dans les dernières années, essentiellement due à la crise
politique en Casamance, ont formé une sorte de « ceinture d’arbres » à l’extérieur des villages, côté
plateau. Cette ceinture se retrouve dans tous les villages.
Nous avons ici une forme de paysage en partie liée à une évolution naturelle : les arbres étant
pérennes, ils se sont développés, à un moment donné, malgré le retrait de tous les projets
encourageant l’arboriculture dans le Blouf, et notamment de ceux qui étaient portés par les
organisations paysannes. Ainsi, la plupart des périmètres collectifs sont restés, mais ont changé de
nature, devenant des plantations ; les bana-bana venant prendre la récolte, les villageois n’ont rien à
faire. Certaines associations de jeunes tentent aujourd’hui de développer à nouveau le volet
arboricole, à travers des plantations collectives, d’anacardiers par exemple comme à Boutégol68.
Au niveau agricole, un dernier trait marquant de l’évolution du plateau est l’apparition de plantations,
de plus en plus, à demi sauvages, au milieu de la brousse. Ce qui est nouveau, c’est que ces
plantations sont individuelles.
223. Partout en brousse, la mise en place de plantations individuelles
On trouve en brousse, dorénavant, de grands espaces plantés d’arbres de loin en loin,
défrichés souvent à moitié, et clôturés peu ou pas, ou quand ils le sont, clôturés à la manière
traditionnelle, avec des branches d’arbres coupées. Cela donne un paysage curieux, pas naturel et
apparemment peu anthropisé, mais que l’on retrouve quasiment partout en brousse : une sorte de
grand espace entouré en partie d’une palissade de branchages, pour les plus aisés de grillage ou de
planches cloutées, envahi de broussailles et planté d’arbres fruitiers à demi sauvages. Se développent
68 selon les représentants de l’Association des Ressortissants de Boutégol à Dakar
175
aussi, et cela va de soi, des pépinières dans le but de vendre les plants : c’est bien évidemment la
demande locale qui incite à cela.
Les spécificités de l’arboriculture en font en effet une activité encore tenable dans le contexte
de la mondialisation : on aura beau vendre au prix le plus bas, à partir du moment où les arbres
commenceront à donner, en tant qu’essences autochtones, ils n’auront plus besoin d’être entretenus :
l’absence de travail donc minimise l’importance du prix, et du moment que l’on gagne de l’argent avec
cela, c’est bien. C’est une conséquence logique de la mondialisation qui aligne les prix par le bas : on
se débarrasse des travaux pénibles à partir du moment ou de moins pénibles peuvent rapporter
autant voire plus…
Le plateau est donc bien une vitrine de toutes les évolutions socio-économiques récentes, qui
ont touché les activités agricoles traditionnellement génératrices de revenus. On a pu constater, après
la disparition de l’arachide, la survenue du maraîchage, qui a fait un passage éclair et laissé une très
mince trace, pourtant encore très visible dans le paysage. La brousse est désormais affectée, de plus
en plus, par l’arboriculture. Mais un autre aspect, plus frappant encore, témoigne des influences du
village sur cet espace traditionnellement vierge : aujourd’hui, les constructions augmentent de plus en
plus, et touchent le plateau au premier chef.
23. Le plateau de plus en plus affecté par la construction
On a pu constater, dans la mise en évidence d’un système socio-économique particulier,
l’importance de la volonté de nombreux ressortissants de revenir au village passer la retraite, de
même que le nombre grandissant de constructions, aidées et soutenues par les ressortissants.
Ajoutons à cela la rénovation des maisons, de plus en plus développée, et l’on peut parler d’une sorte
d’ « explosion » de la construction. Il n’était pas un village où l’on ne trouvait pas trois ou quatre
maisons en construction. Nous allons donc tâcher de montrer, d’abord, cette importance, avant de
montrer le rôle qu’y jouent les ressortissants et d’expliquer cette tendance.
231. L’importance de la construction de maisons
176
Photographies n°62 et 63 : Maisons en construction à Tendouck (à gauche) et Affiniam (à droite). Clichés J.-P.
Nous avons pu constater, dans tous les villages de la communauté rurale de Mangagoulack,
notre principal lieu de travail et d’étude, la présence de maisons en construction un peu partout
(photographies n°62 et 63). Il faut ici séparer deux types de constructions : d’abord celles qui ont
pour objectif de remplacer d’anciennes et petites maisons appartenant aux parents, et qui sont
construites à l’intérieur même des villages, et celles qui sont construites à l’extérieur, sur les terres de
plateau ; celles-là répondent généralement aux besoins de familles qui se sentent trop à l’étroit et
réutilisent leurs terres en brousse pour se construire des maisons. En fait, plusieurs personnes que
nous avons interrogées étaient en train de procéder à la construction d’une maison. On peut prendre
l’exemple du chef du village de Boutégol (résumé de questionnaire n°6, document 29) : nous avons
interrogé sa femme. Il nous montre que la construction d’une seconde maison à côté de la première
est l’idée du frère du chef, qui vit en ville et souhaite revenir plus souvent et pouvoir loger sa famille.
Document 29 : résumé de questionnaire n°6
Elle est la femme du chef de village et vit à Ewonga, quartier de Boutégol. Ils sont 7 à la maison, les trois enfants, le couple et la mère de son mari. Elle a vécu longtemps à Oulampane, un autre village de Casamance, puis à Ziguinchor après la mort de son oncle, pour aider sa tante. La famille compte cinq élèves et apprentis à l’extérieur, qui sont tous à Ziguinchor, auprès du grand frère de son mari, policier en retraite. On peut voir, à côté de la petite maison familiale, une immense maison en construction : en effet, ce policier souhaite revenir s’installer au village et a donc demandé à son frère de construire une vaste demeure. Cet homme est un soutien intéressant pour la famille car il leur envoie du riz : en effet, ses enfants viennent à la maison pendant l’hivernage. Les rizières en effet sont très salinisées et on ne peut pas compter sur elles pour fournir de la nourriture pendant un mois. Quant à elle, son commerce d’arachide et de poissons, qu’elle revend au détail à Diatock, et la plantation de son mari y suffiraient à peine sinon.Ce questionnaire est un excellent exemple de l’influence d’une personne à l’extérieur sur les familles au village, et témoigne de la volonté de s’installer pour certains retraités qui se trouvent en ville.
Cela a donc deux conséquences : au sein même de l’espace villageois, d’abord, une
densification de la construction qui entraîne, petit à petit, la transformation en un village serré. A
Thionck-Essyl, on en est arrivé à un village loti, avec des rues en damier, une véritable petite ville. Si
l’on est loin de cela dans la plupart des villages, on sent un peu cette évolution du côté de Tendouck.
Nous nous attacherons plus loin à discuter des disparités inter-villageoises, très intéressantes pour
notre étude. La seconde conséquence est l’étalement des constructions en direction du plateau. On a
donc, finalement, une double dynamique de desserrement-étalement ; pas forcément en raison d’une
augmentation de la population sur place, mais surtout en raison d’une augmentation de la population
villageoise « extra-Blouf ». En effet, ce sont les ressortissants qui sont les plus grands constructeurs
de maisons.
232. le rôle des ressortissants dans les constructions
C’est ce qu’affirme Bassirou Sambou lui-même en déclarant que « c’est vrai, parce que la
population est galopante [si l’on compte aussi la population exodée]. Mon frère et moi, tout le monde
ne pourrait pas vivre dans cette maison si les autres n’étaient pas partis. En ce moment, il y a trois
maisons en construction ici. Dans d’autres villages, il y en a beaucoup également ». Et encore que
ceux qui construisent, « je crois que c’est surtout ceux qui travaillent. – C’est-à-dire, les ressortissants
qui arrivent à la retraite ? – Oui, ils sont nombreux à construire, ceux-là, et même avant de revenir !
Pour l’hivernage par exemple. »69 Ce petit extrait nous donne une idée assez fidèle de ce qui se passe
69 Questionnaire avec Bassirou Sambou, donné en annexe.
177
dans la communauté rurale de Mangagoulack. En fait, le visage des villages change complètement en
raison de cet investissement des ressortissants dans leur village. Souvent, ils interviennent dans les
constructions, soit qu’ils envoient de l’argent pour que l’un de leurs frères reconstruise une nouvelle
maison pour les parents, soit qu’ils fassent construire pour eux-mêmes. Le résultat en est assez
ahurissant : on voit fleurir, parfois, des maisons de très grande taille. Nous prendrons le cas du village
de Mlomp, où un frère du président de l’organisation paysanne Union GOPEC*, qui vit à Toulon, fait
construire une vaste maison (photographie n°64).
Photographie n°64 : la maison, à Mlomp, d’un villageois qui vit à Toulon : un véritable château (cliché J. P.)
En fait, l’intervention des ressortissants marque vraiment le visage de tout le village ainsi que
des terres de plateau alentour. Le cas du village de Tendouck est le plus marquant, mais ceux des
villages qui sont sur la piste nord, Dianki, Kartiack, Diégoune, sont très intéressants aussi. On voit
apparaître des rues, chose qui n’existait absolument pas auparavant ; des maisons en ciment, mais
aussi des réalisations très coûteuses, réalisées par ces ressortissants, et qui changent la face du
village, en lui donnant une centralité, comme à Dianki avec la mosquée (photographie n°65). Celle-
ci, construite sur 20 ans, a coûté 35 millions de francs CFA70 à la collectivité villageoise exilée de
Dianki. De plus en plus, une sorte de hiérarchie apparaît, avec des maisons de styles de plus en plus
différents, des bâtiments aux fonctions diversifiées… Le village n’est plus cet amas de cases sans rien
d’autre au milieu de la brousse. Il est singulier de constater que cette évolution se retrouve plus dans
certains villages que d’autres : à la lumière de l’étude des caractères particuliers de ces villages-ci et
de ces villages-là, on pourra encore fournir des preuves que tel ou tel caractère spécifique au Blouf
renforce la présence du système que l’on a mis en évidence.
70 Environ 53000 euros.
178
Photographie n°65 : derrière le puits UNICEF* de Dianki, la grande mosquée a coûté aux ressortissants 35 millions de CFA…
Cette abondance de construction témoigne véritablement de la volonté de ceux qui sont en ville
de vivre le plus souvent possible au village, comme pour y puiser un second souffle.
233. Des maisons répondant au « besoin d’air » des exodés
Il s’avère en fait, quand on observe ce phénomène de la construction d’un peu plus près71, sur
les maisons en construction ou nouvellement construites que l’on peut voir dans les villages, et dont il
semblait connaître tous les propriétaires, que la plupart des maisons qui se construisent le sont par et
pour des travailleurs de la ville. De plus en plus, les ressortissants souhaitent une plus grande aisance
quand ils se rendent au village, essentiellement en période d’hivernage. Nous avons discuté avec un
ressortissant d’Affiniam, revenu au village pour la mort de son père qu’il n’avait pas vu depuis vingt
ans : assez catastrophiste, il nous a fait comprendre que tous les fils d’Affiniam étaient à Dakar, nous
a montré des maisons vides en nous parlant d’untel, ingénieur, d’un autre, professeur au lycée…
Avant de nous déclarer que lui-même souhaitait à terme construire pour ses vacances. La plupart des
ressortissants envisagent cette solution, comme l’ont montré les entretiens qui ont été réalisés à
Ziguinchor et à Dakar. On retrouve donc sur le terrain de grandes maisons pouvant accueillir tous les
élèves, mais qui sont pratiquement vides pendant la saison sèche ; bien entendu, la famille au village
s’y installe, mais elle est souvent restreinte. On voit donc, peu à peu, le passage d’un village aux
71 en interrogeant, par exemple, Younousse Sambou, guide et interprète.
179
cases éparpillées, avec cour à l’arrière, à un village plus serrées, avec de vastes cases et de moins en
moins de place pour le jardin.
C’est une évolution particulièrement révélatrice des changements qui se sont opérés dans le
Blouf, conséquences de la mondialisation. En premier lieu, cela montre que, de plus en plus, les
populations des villages vivent sur des apports extérieurs mais aussi qu’ils font moins appel
qu’auparavant à tout ce qu’ils peuvent se procurer sur place : la disparition progressive des cours
autour des maisons en est le meilleur exemple. En second lieu, cela montre que, de plus en plus, le
village tend à devenir l’arrière-garde de la communauté expatriée (« patrie » est ici utilisée pour
« village »). C’est le lieu où l’on se ressource. Par conséquent, comme dans certaines zones rurales
de l’Europe, on voit se multiplier des résidences de « villégiature ». A la différence qu’il ne s’agit pas
de populations allochtones mais bien d'une partie de la communauté villageoise qui a quitté les lieux.
Nous avons cherché un terme approprié pour désigner ce processus : n’en ayant pas trouvé dans la
littérature, et désireux de nous éloigner des sphères néologistes, nous allons préférer l’expression
« retour au village », après avoir envisagé celui, un peu malheureux, de « revillagisation ».
Cette évolution des terres villageoises est essentielle pour notre étude. Elle nous montre à quel
point la présence des ressortissants a affecté le Blouf par le biais de l’investissement en « biens
immobiliers . La configuration des villages s’en trouve fortement bouleversée. L’observation sur le
terrain de ces mécanismes est extrêmement intéressante, d’autant qu’au début de notre travail, nous
nous en rendions peu compte, avant que peu à peu l’on prenne conscience, au fur et à mesure des
entretiens, du fonctionnement actuel de ces villages ; alors l’observation, de plus en plus, nous a
fourni les exemples dont nous avions besoin.
Il est fascinant d’envisager l’étude des impacts de la mondialisation sous l’angle de ses
conséquences spatiales. Bien entendu, c’est là l’objet de cette étude : mais il était indispensable,
auparavant, de mettre en place suffisamment de clés de lecture pour réussir à comprendre ces
mutations spatiales. Une fois que l’on a ces clés en main, la compréhension, l’appréhension de
l’espace devient limpide. L’étude géographique a l’avantage de nous montrer en un même lieu, à la
fois les marques des évolutions actuelles et les traces du passé ; nous nous sommes évertué, dans
toute la longueur de ce mémoire, à montrer que l’impact de la mondialisation dans le Blouf était la
conjonction du passé, des héritages, et des modalités ou des avatars pris par la mondialisation sur cet
espace. On a montré ici, dans ces deux premières parties, combien avait été bouleversé l’espace, à
travers l’étude successive des zones basses et du plateau. A l’échelle de la Communauté rurale de
Mangagoulack, nous donnons ici la carte 28 qui fait la synthèse de toutes ces évolutions. Ce travail
doit permettre, en se plaçant dans l’optique d’un géographe du développement intéressé par la
réalisation de projets de développement cohérents, de juger des perspectives d’un tel système.
180
3. Derrière le masque d’un avenir serein, des perspectives douteuses
Aux dires des villageois comme à l’observation de ce système « mondialisé » et de toutes les
conséquences qu’il engendre, il semblerait que les retombées au village soient plutôt bénéfiques du
point de vue d’une certaine augmentation du niveau de vie ainsi que des infrastructures qui se mettent
progressivement en place. On aurait même l’impression que toutes les conséquences des mutations
engendrées par la modernité apportent des améliorations en fin de compte. Le géographe, s’il est sur
le terrain pour étudier, peut se laisser aller cependant à des remarques sur l’ensemble de ces
évolutions et de ces dynamiques, concernant les perspectives d’avenir qu’elles laissent entrevoir et
que l’on entrevoit un peu plus encore par le biais de modestes études de ce type. Modestes, mais
néanmoins les plus complètes possibles, dans la mesure où le temps et les conditions de travail le
permettent. Dans l’optique d’une formation universitaire à la réalisation de projets de développement,
l’espace étudié est aussi un laboratoire qui doit permettre de mettre le doigt, non seulement sur les
dysfonctionnements, mais encore les facteurs permettant de les régler. C’est avec cette idée que nous
abordons la dernière partie de ce travail.
31. Une apparente et grandissante opulence de l’habitat et du confort
Si nous partons de l’hypothèse de graves dysfonctionnements dans le système « socio-
spatial » de l’arrondissement de Tendouck, il faut croire alors que les apparences sont parfois
trompeuses. Depuis les années 2000, en effet, c’est-à-dire grosso modo depuis la mise en place de
manière définitive d’un profond bouleversement des structures en place, on n’a jamais observé autant
l’impression d’une certaine opulence, d’un confort semble-t-il grandissant. Naturellement, cette
impression est accrue dans certains villages : c’est donc ici que nous allons faire cette comparaison
inter-villageoise qui présente un très grand intérêt.
311. La multiplication des maisons cimentées voire des « villas »
Ce qui frappe en premier lieu, dans les villages, c’est l’importance grandissante du ciment
comme signe d’un confort un peu plus important que dans d’autres familles. Il devient assez
classique, en effet, de cimenter tout ou partie de sa maison : les murs de banco sont tout simplement
recouverts de ciment. Cette pratique se multiplie au point que nous avons rencontré, à Diatock, des
hommes qui dans le village gagnaient leur vie en cimentant des maisons, avec une formation de
maçon qu’ils avaient effectuée en ville. On a un exemple d’une maison totalement recouverte de béton
à Affiniam (voir photographie n°29) ; pour la petite histoire, il ne reste dedans que trois personnes,
dont un instituteur logé ici, sa sœur qui s’occupe de la maison quand la propriétaire n’est pas là et
cette dernière, revenue parce qu’elle était malade. Tous les autres ont payé le ciment, et elle-même y
a participé lorsqu’elle était à Dakar.
Ces maisons en banco, cimentées, qui sont la version la plus classique, sont remplacées
parfois, lors de la construction de nouvelles maisons, par des maisons en « dur », construites avec
des « briques en ciment » : celles-ci sont fabriquées sur place (photographie n°66) avant que les
182
murs ne soient montés. Et on a parfois des images insolites, comme la présence d’une maison, à
Djilapao, au milieu d’un village traditionnel aux toits de paille, entièrement construite dans ces briques
en ciment (photographie n°67). Les volets clos évidemment, le propriétaire se trouvant à Dakar. Il y a
une conséquence dramatique (à nos yeux) à cela : c’est l’apparition, petit à petit, des serrures et des
cadenas. Auparavant, toute maison était occupée en permanence : on ne pouvait laisser son foyer.
Les portes n’avaient pas de clé, d’autant que le vol est sévèrement sanctionné chez les Diola.
Photographies n°66 et 67 : les briques en ciment (à gauche) servent à construire des maisons « en dur » pour les ressortissants, comme à Djilapao (à droite). Cliché J. P.
La dernière forme de maison opulente est la « villa ». On appelle de ce type l’une des rares
maisons qui soient à la fois en dur, cimentées et peintes, possédant en plus des grilles aux fenêtres. A
Tendouck, un ressortissant en Italie a ainsi une villa peinte en blanc, qui fait tache dans le paysage. A
Boutème, la résidence de fonction du directeur de l’école est une villa appartenant à une femme
expatriée en Suisse. A Affiniam (photographie n°68), nous nous trouvons en présence d’une villa
appartenant à un militaire en retraite.
183
Photographie n°68 : A Affiniam, la « villa » d’un militaire en retraite (cliché J. P.)
A ce confort matériel, personnel, il faut ajouter, dans les signes d’une certaine opulence de
certains villages, un confort meilleur au niveau des équipements collectifs. Là encore, il s’agit d’un
phénomène nouveau et de plus en plus amplifié.
312. Un meilleur accès aux infrastructures
On a déjà évoqué, dans le Blouf, la présence de l’école et la forte proportion d’enfants
scolarisés. A la suite, là encore, des nouveaux programmes de développement axés sur l’éducation et
la santé, l’électrification, l’apport de la robinetterie, du téléphone, on se rend compte que peu à peu les
conditions de vie de ce point de vue s’améliorent peu à peu. Les cartes 29 et 30 nous donnent une
idée à travers les cartes du CSE* qui montrent combien le Blouf est favorisé, ici pour l’accès à une
source d’eau potable et l’accès à un poste de santé et un dispensaire. L’action des ressortissants,
conjuguée à l’action des partenaires étrangers, a amélioré sans aucun doute le niveau de vie des
populations en terme de développement humain. Il manque peut-être des indicateurs de santé
propres au Blouf pour le démontrer, mais la multiplication des écoles, des collèges, des postes de
santé et des infrastructures telles que l’électricité, les télécentres et la robinetterie peut laisser
aisément présumer des retombées sanitaires bénéfiques sur les populations. L’école maternelle de
Dianki (photographie n°69) est l’un des meilleurs exemples que nous ayons pu trouver.
Photographie n°69 : La superbe école maternelle de Dianki (cliché J. P.)
Le Blouf semble vraiment, de ce point de vue, une micro-région favorisée par rapport à nombre
d’autres espaces au Sénégal. Il paraît déplacé, dans ces conditions, d’évoquer des
dysfonctionnements : d’autant que, avec l’augmentation des transferts d’argent en direction des
villages, les paysans Diola du Blouf ont plus facilement accès à ces services ; les boutiques sont de
plus en plus présentes et l’achat du riz ne pose pas trop de problèmes financiers. En somme, on
pourrait croire, non pas que tout va bien, mais que tout avance dans la bonne direction. Nous verrons
comment, en observant de plus près, cette fois, les dysfonctionnements, ce système comporte des
risques et des effet pervers qui peuvent à terme déstructurer totalement les villages du Blouf.
184
Ce renforcement de la richesse de l’habitat, des infrastructures de plus en plus importantes, ne
s’applique pas pareillement à tous les villages. On va le voir, certains ont plus, en la matière, de
chance que d’autres ; mais on ne parlera pas de chance, plutôt d’une différence dans les systèmes
traditionnels qui a entraîné une différenciation croissante en fonction des modalités de la
mondialisation.
185
313. De nouvelles disparités entre villages
Ces disparités entre les villages du Blouf ont été constatées petit à petit, au fil des enquêtes et
du travail de terrain. Si nous les abordons maintenant seulement, c’est pour une raison simple : les
caractères de différenciation entre les villages sont moindres que les caractères d’homogénéité. C’est-
à-dire que le Blouf est moins différent entre ses villages que par rapport aux régions extérieures. Voilà
pourquoi nous avons privilégié plutôt l’étude des spécificités de l’arrondissement dans son ensemble
plutôt que celle des différences intervillageoises. Nous avons pourtant décidé de passer ces dernières
au peigne fin. En effet, l’étude de ces différences d’évolution nous donne également des
renseignements sur l’évolution du Blouf lui-même. Les cartes thématiques qui montraient pour la
communauté rurale les données par village montrent bien des différences notables entre les villages.
Nous avons donc décidé de réaliser une petite carte de synthèse (carte 31) montrant pour chaque
village, d’une part l’argent reçu en moyenne par famille depuis l’extérieur, d’autre part les
infrastructures qui existent, enfin la date de la mise en place de la première école. L’hypothèse du
départ est que les gros villages sont favorisés, puisque possédant plus de ressortissants, ils peuvent
mettre en place de plus gros projets et donc en tirer plus de bénéfice.
En fait, on remarque que ce ne sont pas forcément les plus gros qui sont les mieux lotis du
point de vue des ressources envoyées de l’extérieur : il s’agit des villages les plus anciennement
scolarisés. Bodé, dont l’école a été créée en 1991, reçoit la plus faible moyenne de transferts d’argent.
De plus, c’est un village cosmopolite, selon les mots même du PLD de Mangagoulack : « le village de
Bodé a été créé par migration de populations venues du Nord du pays, on y trouve des Sarakholés,
des Woloofs, des Sérères, des Peulhs, des Mandingues et des Diola dans une parfaite harmonie
sociale »72. De fait, c’était un village déjà fortement islamisé. On voit tout de suite l’intérêt d’étudier ces
différences : Bodé a subi des évolutions différentes, car la culture Diola est moins profondément
enracinée qu’ailleurs. D’autres étaient à la pointe, comme Elana et surtout Tendouck : Tendouck est à
la fois un gros village et, choisi par le colon pour sa position centrale, un chef-lieu de canton où l’école
a été placée dès 1945. Or la présence d’une école très tôt, de même qu’à Elana, Affiniam ou
Boutème, entraîne un exode rural plus important et, par suite, plus de projets. Le cas de Tendouck est
d’école. Pur village Diola, animiste, fortement scolarisé, très gros car ayant un énorme potentiel
rizicole, il a une communauté expatriée démesurée et peut réaliser des projets très importants.
Naturellement, les gros villages du nord du Blouf, Dianki, Diégoune, Kagnobon au premier chef,
connaissent aussi une telle évolution : ce sont d’énormes villages, scolarisés très tôt, en 1936 à
Dianki.
Comme on peut le voir, les économies d’échelle comptent beaucoup dans la différenciation des villages,
de même que la scolarisation. Ceux qui se rapprochent le plus du système tel qu’il tend à devenir sont
aussi les villages les plus anciennement scolarisés, car ceux où la culture Diola était la plus profonde,
et les plus gros, donc ceux où l’économie Diola était la plus importante. Là où le système fonctionne
particulièrement bien, on se retrouve avec des villages que l’on pourrait croire
72 GRDR (2002), Communauté Rurale de Mangagoulack, Plan Local de Développement, Ziguinchor.
188
opulents tant sont importants les projets qui s’y développent et nombreuses les maisons en ciment. Il ne
faudrait pas croire pour autant que ce système ne comporte pas de dysfonctionnements.
32. Mais une misère d’idées, d’initiatives et de projets
On a déjà évoqué, dans la seconde partie, la difficulté des populations à générer du
développement sur place et à réaliser des projets d’activités économiques susceptibles d’engranger
des revenus. C’est ce problème qui est soulevé ici ; plus exactement, c’est le problème plus général
d’une certaine dépendance à l’extérieur que l’on va tâcher de mettre en lumière. Il s’agit de se
demander en quoi cette dépendance peut être néfaste pour l’avenir. Elle entraîne plusieurs
conséquences que l’on va décliner.
321. La disparition des savoir-faire
La disparition des savoir-faire est une première conséquence de la mise sous dépendance de
cet espace et de la diminution corrélative des pratiques paysannes en général et de l’agriculture en
particulier. C’est bien évidemment le savoir-faire en matière de riziculture qui est stigmatisé ici : on se
rend compte aujourd’hui en effet que si les paysans pratiquent toujours la riziculture, ils ne sont plus
en mesure de fabriquer et entretenir digues et vannes traditionnelles. Bientôt, ils pratiqueront cette
culture de manière résiduelle et en s’abritant derrière les digues modernes du PAM*. D’autant que
l’absence des jeunes pendant la saison sèche les empêche d’apprendre les travaux d’entretien de ces
digues ainsi que l’art de la fumure. La plupart arrivent même après les labours au kadiandou. On a
souvent stigmatisé l’absence de modernisation de cette riziculture ; en réalité, il se trouve que la
culture non modernisée a fait ses preuves depuis longtemps, que la modernité a amené sa régression
et que la culture modernisée n’a jamais vu le jour. En somme, le bilan des impacts de la
mondialisation et des impacts de ce nouveau système au niveau de la riziculture est extrêmement
discutable.
A présent, tout projet qui veut être développé au niveau d’un village et nécessite des savoir-faire
particuliers se trouve freiné par une nécessaire formation que les villageois eux-mêmes ne peuvent
assurer. En lieu et place d’une société qui offrait à ses enfants une formation « gratuite », fondée sur
la transmission de ces savoir-faire de parents à enfants, des vieux aux jeunes, c’est-à-dire une société
qui veillait à sa reproduction, on a une société qui est privée peu à peu de tout ce qu’elle a appris.
Sans pouvoir quantifier une telle régression, on peut présumer qu’il y a là un certain recul qualitatif. On
pourrait quantifier en montrant, par exemple, le coût à présent d’une formation à telle ou telle pratique
agricole : le Comité Local de Coordination des Organisations Paysannes de Diégoune a reçu de
l’ONG ASPRODEB* la somme de 1,6 millions de francs CFA73, pour simplement permettre la
formation en arboriculture, aviculture ou teinture de quelques GIE*.
Il n’est pas étonnant, face à cet état de faits, que les populations deviennent de plus en plus
attentistes par rapport aux projets de développement : c’est un phénomène qui s’entretient et se
renforce. Il va également dans le sens d’une disparition de la culture Diola.
73 2400 euros. D’après les registres du CLCOP à Diégoune.
190
322. Attentisme, foi en la société moderne et perte de la culture Diola
Si les jeunes ne sont plus là, en effet, pendant la saison sèche, la transmission de la plupart des
valeurs qui faisaient la société Diola sont en train, par conséquent, de se fondre dans les sociétés
urbaines occidentalisées. Ceux qui portent le développement des villages sont justement ceux qui
sont le plus impliqués dans la vie urbaine ; ils ont suivi jusqu’au bout un cursus scolaire qui leur a
transmis des valeurs qui n’ont rien à voir avec celles de la culture Diola. On a dit, et c’est vrai, que le
système mondialisé tendait à renforcer les liens entre ville et village, par le biais de la riziculture, qui
perdure, et de certaines cérémonies. Cependant, il est clair que l’exode croissant va dans le sens de
la perte de valeurs, morales notamment, que constate avec amertume le rapport du Congrès de
l’Association de Développement d’Affiniam74.
La perte des valeurs se conjugue aussi avec une foi grandissante des villageois en la société
modernisée : on voit de cette société ce qui est bon à prendre, qui apporte le confort matériel ; sous
les arbres à palabres, c’est de plus en plus la radio qui parle, quand elle n’est pas remplacée à
Tendouck par la télévision. Cette foi est perceptible dans les villages où l’on remercie à tout va tout
organisme qui apporte un projet et de l’argent à investir dans le village, en dédaignant le travail
d’associations qui souhaitent rendre les villageois acteurs de leur propre développement. Peu importe
le degré de la déstructuration de l’économie et de la société pourvu que les enfants puissent aller à
l’école, trouver un travail en ville. On revient toujours dans le même contexte d’un cercle vicieux. Du
coup, les paysans refusent l’effort, à juste titre puisque leurs ressortissants le font de plus en plus pour
eux, tandis que les projets qui sont développés actuellement vont de moins en moins dans le sens de
l’autonomisation des sociétés. On attend les projets et les financements, sans même parfois se
donner la peine de les rechercher…
Là encore, c’est une question qualitative qui se pose, puisqu’elle touche, notamment, à la
dignité humaine, celle de pouvoir réaliser son propre développement de ses propres mains. Le
processus de mondialisation dans le Blouf a, comme on l’a vu, empêché toutes les volontés de ce
côté. Mais la question peut devenir quantitative dès lors que la mise sous dépendance entraîne aussi,
du fait des dépenses croissantes, une certaine détérioration du niveau de vie des populations.
323. Dépenses et dépendances
Il est en effet extrêmement difficile, lorsqu’on est dans un village, d’avoir quoi que ce soit sans
l’acheter : cela paraît curieux quand on sait l’abondance des ressources naturelles sur ce territoire. En
revanche, cela se comprend déjà plus au sens où le développement d’activités diversifiées est
fortement entravé par le processus de la mondialisation et ses conséquences socio-économiques. Il
faut donc importer beaucoup de denrées, à commencer par le riz, mais aussi les sucreries, et aller
souvent acheter en ville les légumes… qui viennent de périmètres maraîchers du nord du Sénégal.
En fait, l’arrondissement de Tendouck est fragilisé par sa nécessité de compter sur les
ressortissants. On peut craindre qu’à terme, ses villages soient donc sous le coup de fluctuations
économiques ou politiques. Il est assez curieux de constater combien ce territoire enclavé et refermé 74 Rapport du Congrès créant l’Association de Développement d’Affiniam, 13 et 14 août 2001.
191
sur lui-même est devenu en peu de temps, sous l’influence des facteurs extérieurs, presque
totalement extraverti. Il est certain qu’à ce rythme, le système allant en se renforçant, les dépenses
augmenteront pour toutes sortes d’achats de matériel et les ressortissants auront de plus en plus à
supporter le poids de leurs racines, alors qu’ils devraient plutôt en être fiers : ceci pour démontrer que
les ressortissants n’apprécient plus le village pour la culture et la sagesse qu’ils peuvent y puiser mais
simplement comme un lieu d’oisiveté.
Nous l’avons compris, le Blouf est sous le coup d’un système géographique extraverti qui se
renforce et s’entretient, petit à petit, par le biais de « rétroactions positives » ; il tend à pousser les
villages vers une dépendance croissante par rapport à l’extérieur. On en a observé, tour à tour, les
conséquences bénéfiques comme néfastes. On peut dire que les premières ne vont pas sans les
secondes. Dès lors, ce système de plus en plus extraverti a besoin d’évoluer pour éviter vraiment qu’il
ne s’emballe et ne provoque une grave crise. Cependant, ses potentialités sont nombreuses et ne
demandent qu’à être exploitées.
33. Pourtant, un potentiel à développer
La Casamance est passée, en une vingtaine d’années, de l’image de « grenier du Sénégal »,
de verte et riche région, à l’image d’une région déstructurée et à reconstruire. Malgré tous les
problèmes qui s’y posent, on ne peut imaginer qu’avec un tel passé agricole, avec de telles richesses
culturelles, et malgré la puissance des changements, les territoires Diola, et notamment le Blouf, aient
perdu toutes ses richesses en quelques années. Au contraire, et nous avons pu le constater en
discutant avec Bassirou Sambou, ou d’autres paysans dynamiques et plein d’idées, tout comme avec
certaines ONG dont les projets nous ont séduit par leur originalité, que tout était question de volonté ;
quand on est conscient des problèmes et que l’on cherche à les régler, tout espoir est permis.
331. La femme est-elle l’avenir de l’homme ?
C’est du côté des projets féminins que nous avons trouvé les idées les plus intéressantes.
Aujourd’hui, les femmes se réunissent et discutent beaucoup plus que les hommes ; pratiquant des
métiers souvent plus pénibles et moins bien payés que leurs maris, elles cherchent comment voir plus
loin et s’organiser entre elles pour parvenir à développer des activités rémunératrices. La plupart de
celles qui lancent de tels projets ont vécu en ville : c’est le cas à Boutœum avec deux GIE (présentés
dans le document 30). Les femmes restent donc très groupées pour gagner de l’argent. Les ONG ne
s’y trompent pas, qui axent les projets collectifs soutenant le travail des femmes. Elles ont gardé une
structure très organisée depuis les Groupements de Promotion Féminine, mis en place par le PIDAC*,
et organisés en une hiérarchie très structurée depuis la fédération des GPF du Blouf jusqu’à la
fédération nationale. Aujourd’hui, elles se regroupent aussi en GIE de femmes par quartier. Les
Groupements d’Intérêt Economique sont une forme d’association plus facile à monter que les
associations proprement dites. La plupart des femmes ont été aidées pour leurs activités
rémunératrices par des ONG. « Kagamen », dirigée à Ziguinchor par une femme de Bodé, Alimatou
Souaré, a ainsi permis aux femmes, tout comme Idée Casamance, de réaliser des activités de
192
savonnerie et de teinture, profitant de la hausse de la demande dans les marchés locaux75. Les
documents 31 et 32 nous donnent une idée de chacune de ces ONG. Leur grande originalité est de
se fonder sur des marchés qui existent déjà, et sur les échanges locaux. Les projets arrivent à
mobiliser du monde, comme on le voit sur la photographie n°70, où les femmes d’un quartier de
Dianki, aidées en cela par les hommes, fabriquent de l’huile de palme pour pouvoir en tirer, plus tard,
le savon par le biais d’autres transformations.
Document 30 : à Boutœum, des femmes s’organisent seules
Il est très rare de rencontrer, dans la Communauté Rurale de Mangagoulack, des organisations collectives qui ne fonctionnent pas sans aide extérieure. On trouve toutefois des exceptions. A Boutœum, on trouve le cas de deux petits Groupements d’Intérêt Economique (GIE), constitués exclusivement de femmes, qui progressent pas à pas sans aucun soutien. Le dynamisme de ces femmes est lié au fait qu’elles ont à peu près toutes vécu en ville, et qu’elles cherchent dorénavant à faire fructifier le capital présent dans les villages. Le premier, nommé Gisof Litte Mandjirock, regroupe une trentaine de femmes qui font exclusivement, pour le moment, du repiquage et de la récolte de riz, profitant du fait qu’il reste de nombreuses rizières à Boutœum et que leur culture est de plus en plus monétarisée. Elles recherchent aussi des fruits sauvages et du bois de chauffe ; elles réalisent enfin des cotisations. A plus long terme, elles souhaitent recueillir des fonds pour faire du commerce et du maraîchage. Le second GIE, Diabot, se développe parallèlement. Les femmes souhaitent faire de la teinture et développent le commerce ; elles cherchent en ce moment une monitrice. On retrouve de tels cas à Elana, où des GIE lancés par le Centre d’Expansion Rurale (CERP*) de Tendouck sont pris en charge par les seules femmes, assistées d’un homme du village qui les a aidées dans leurs démarches. Elles pratiquent la savonnerie.Les femmes, au-delà d’une action qui leur permettrait de gagner plus d’argent, marchent par ce biais également vers la dignité.
Source : entretiens à Boutœum
Document 31 : L’ONG Idée Casamance
John Eichelsheim faisait ses études à Amsterdam. En 1983, il vient travailler sur le lotissement de la ville de Ziguinchor. Il est amené à revenir comme accompagnateur d’étudiants pour des mémoires de Masters of Science. Il a finalement monté une ONG qui construisait des infrastructures sanitaires pour les écoles : STOZAS. Les jeunes des Associations Sportives et Culturelles (ASC) faisaient de la maçonnerie, il leur a fait faire ces blocs sanitaires. Cela a été fait dans 400 villages de la région. Il a alors constaté avec stupeur l’absence de poisson au repas des ouvriers, malgré l’importance des bolons ; c’est ainsi qu’il crée en 1998 Idée Casamance. L’ONG est financée par la Commission européenne, les Allemands catholiques de Misereor, les Hollandais de ARBRES (ex-SKOP), le Wetland’s international, … et l’Ambassade des Pays-Bas à Dakar depuis 2004, qui co-finance ce projet.
Dans l’arrondissement de Tendouck, l’ONG intervient dans les zones humides, pour la revalorisation des bassins piscicoles et l’appui à la cueillette des huîtres.
Djibril COLY a pour objectif de protéger la mangrove. La cueillette traditionnelle coupe la mangrove : pour lutter contre cela, il propose une technique parallèle de production, en créant avec des ficelles des guirlandes d’huîtres et en les installant dans des bolons sur des piquets, soit verticalement, soit horizontalement. Ces huîtres captent des naissains. La culture est expérimentale, on cherche à connaître le temps où elles se reproduisent le plus en fonction de la température et de la salinité de l’eau. Ces techniques sont testées à Tendouck, Boutégol, Thionck-Essyl, Thiobon. A Tendouck, ce sont les GIE Kadiamor et Karambenor ; à Boutégol, les GIE Djbendos et Yama. On tente de les réunir dans deux groupements, un pour chaque village. L’expérience a commencé en 2001. Parallèlement se développent des activités génératrices de revenus comme la teinture Batik et la transformation des fruits. Les femmes suivent et gèrent cela.
Ibrahima DIATTA expérimente des bassins de pisciculture traditionnelle à Bassir, Kartiack, Mlomp et Thionck-Essyl. Il s’agit de revaloriser les bassins d’aquaculture traditionnelle mais en permettant de laisser grossir les poissons et non plus seulement de les piéger. L’apport d’aliment coûte cher : on expérimente donc des compostières qui créent du plancton pour les poissons.
Les activités à Boutégol se composent de trois sites, le premier ayant huit structures, le deuxième quatre et le troisième deux (de 65 mètres). A Tendouck, il y a deux sites dont 1443 guirlandes pour Kadiamor et 1369 pour Karambenor, dans des structures verticales au nombre de 16, et 7 structures horizontales pour le deuxième site. Ils ont été implantés en août 2004. La vente est faite à la population locale : à Boutégol, 12 pots ont été récoltés en 2004 (250 huîtres par pot et 500 f le pot).
L’ONG et les femmes ont malheureusement des objectifs très différents. Là où la première cherche à préserver l’écosystème de la mangrove, les secondes souhaitent avant tout des revenus ; l’ONG est donc obligée de pratiquer l’assistanat en leur octroyant des fournitures. C’est le principal avantage qu’elles voient en cette ONG.
Source : entretiens avec Idée Casamance
Document 32 : L’ONG Kagamen.
C’est l’association pour la promotion de la mère et l’enfant. Elle existe depuis 1982 et la présidente en est Alimatou Souaré. L’association compte 7000 membres, essentiellement à Ziguinchor, et une quinzaine de femmes la font tourner. Au départ, Alimatou dirigeait la fédération national des GPF. Elle s’est alors posé la question des femmes qui n’entraient pas dans ces GPF : les veuves, les filles-mères, les pauvres… Elle a ainsi créé cette association pour faire de la prévention santé
75 Source : entretien avec Alimatou Souaré.
193
et du développement, de l’alphabétisation. Une caisse de solidarité a été créée, elle a travaillé avec un docteur dermatologue. Puis, elle a accueilli la population des femmes déplacées par la crise, et a commencé à leur donner des métiers, de même qu’aux victimes de mines antipersonnel.
Dans l’arrondissement de Tendouck, elle s’est rendue compte que les femmes qui faisaient du maraîchage se fatiguaient beaucoup pour peu de choses. Elle a pourtant aidé à trouver le fonds canadien pour les clôtures. La teinture, la savonnerie et la transformation des produits ont été développés à Tendouck Enébané, Bodé, mandégane, Diégoune, Kagnobon, Thionck-Essyl, Thiobon. Elle a fait financer à Bodé une pirogue motorisée (son grand-père est de là-bas). Les financements lui sont venus du PNUD (savonneries), de l’UNESCO, de l’USAID pour le matériel. On trouve aujourd’hui 60 savonneries dans la région. L’ambassade des Etats-Unis et celle de France aident également. Aujourd’hui, elle souhaite créer des unités de production des emballages à Kagnobon, Kafountine, Bignona et Ziguinchor.
Elle veut créer une unité de séchage des mangues, ayant obtenu pour cela à Ziguinchor un terrain de la SODESI. Elle veut un séchoir de 20 à 40 claies pour la production et la formation.
Pour le dossier « aide aux personnes déplacées, aux victimes des mines antipersonnel et de la guerre », les aides concernent surtout les vivres, la transformation de fruits et légumes et la transformation des céréales.
Un financement pour les savonneries de 5 millions a été octroyé par le ministère de la famille.
Kagnobon (4 unités) a reçu 800 litres d’huile soient 400000 francs.Tendouck a reçu 160000 francs.Thiobon a reçu 104000 francs.Mandégane a reçu 122000 francs.
En fin de compte, les GIE aidés par l’ONG sont très assistés et ne peuvent fonctionner que grâce à l’apport de cette association. Ils ne servent qu’à répondre à une demande locale et ne rapportent donc que peu d’argent, cela ne permettant pas un développement conséquent. Au sortir de la guerre pourtant, nombre d’espoirs peuvent être nourris pour cette ONG.
Sources : entretiens avec Alimatou Souaré et Souleymane Soumaré
Photographie n°70 : fabrication d’huile de palme par un GIE de Dianki (cliché J. P.).
Les femmes veulent voir plus loin, fières de leurs initiatives, avec des projets de maraîchage
aidés par le CPRA qui néanmoins, malgré leurs problèmes, continuent de fonctionner, avec ces
projets de savonnerie et teinture, avec aussi le revenu des arbres de leurs jardins collectifs qui ne sont
plus cultivés. Certaines n’ont guère de projets, évidemment, comme à Elana où les arbres rapportent
pourtant 600000 francs76 par an. Il ne faut surtout pas oublier que nous parlons d’un phénomène
extrêmement marginal : dans l’ensemble, les choses se présentent telles que nous les avons décrites
et ces projets sont une forme à l’avant-garde d’un système alternatif, toutefois très difficile à mettre en
place. A Tendouck, l’existence d’une Caisse Mutuelle d’Epargne et de Crédit (document 33), qui
existe aussi à Dianki, a permis aux femmes du GIE Waraga à Tendouck de lancer leur projet. Ce
regroupement a été créé sur la base d’un petit regroupement de femmes qui cotisaient annuellement
pour la fête de la « Tabaski » ; elles ont fini par lancer d’autres cotisations, avec lesquelles elles ont
mis de l’argent à la caisse d’épargne pour obtenir un crédit et se lancer dans le commerce,
notamment d’huile de palme, achetée à Kolda et revendue dans le village. Les femmes, à terme,
76
900 euros.
194
souhaitent se former et se lancer dans d’autres activités de transformation. Nous avons retracé dans
le document 34 l’ensemble des actions de ces GIE pour la Communauté rurale de Mangagoulack.
Document 33 : La Caisse Mutuelle d’Epargne et de Crédit de Tendouck.
La CMEC* de Tendouck entre dans un programme de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) et est appuyée dans ce cadre par le ministère des finances. De plus, une ONG sénégalaise, Mutualité et Développement, qui a une antenne à Bignona, a appuyée la création de cette Mutuelle grâce à un appui en formation et en fournitures de documents administratifs. L’objectif de la création de cette caisse dans les années 2000 était de faciliter l’accès au crédit des villageois. En 2003, cette caisse compte 123 membres, dont 64 femmes, 43 hommes et 16 GIE. Le chiffre d’affaires en 2003 était de 4,3 millions de francs CFA (environ 6500 euros). Cette CMEC est installée dans les locaux de l’ancien dispensaire de Tendouck. Nous avons rencontré un GIE, Waraga, qui a ainsi obtenu un crédit de 50000 francs à la caisse grâce aux cotisations de ses femmes. Elles ont monté un commerce entre Kolda et le village, où elle revendent de l’huile de palme. Elles envisagent de fabriquer de la pâte d’arachide. Cette Caisse Mutuelle, résultant plus ou moins des conséquences d’accords internationaux, encourage une certaine forme de développement insistant sur la responsabilisation des paysans. Elle a ses risques mais a l’avantage de rendre le paysan autonome et acteur de sa réussite. De plus, elle s’adresse aussi bien au particulier qu’au collectif.
Source : entretien avec Mamina Goudiaby
Document 34 : les GIE développant des activités génératrices de revenus dans la Communauté Rurale de Mangagoulack
VILLAGE Nom du GIENombre de membres
Activité principaleOrganisme
d'aideRémunération
annuelleProjets
Tendouck Enébané 200Mangues du jardin
maraîcher savonnerie
Kagamen500000
(mangues) 200000 (savon)
Participé constr. Mosquée, CEM
Tendouck Waraga 15 CommerceCaisse mutuelle d'épargne et de
crédit50000 Développer cela
Boutégol Kadiamor 30transformation des fruits
teinture batik ostréiculture
Idée Casamance Inconnue Développer cela
Boutégol Gifap 100Récolte des fruits pour les
bana-banaAucun 150000
Une TV et un groupe ont été
achetés
DiatockKaronguen Karamba
10Pépinières
soudure métallique reboisement
ARBRES Ambassade
Hollande
120000 par personne
Développer le reboisement
Diatock Djimeraye 3 Pépinières CRS mais échec Très peu Relancer le projet
Mangagoulack Bakounoune Toutes les femmes
SavonnerieCentre
d'Expansion Rurale
Rien pour l'instant Développer cela
Elana Assoukatene 22Savonnerie
travaux champêtres
Centre d'Expansion
Rurale100000 Commerce
Elana Djissof Litte 41Savonnerie
travaux champêtres
Centre d'Expansion
Rurale100000 Commerce
Elana GPFToutes les femmes
Mangues du jardin maraîcher
Aucun 600000 Rien pour l'instant
Bodé Djiralo 35 Maraîchage CPRA100000 par
femmeDévelopper cela
Boutoeum Diabot 30 Arboriculture Aucun Rien pour l'instant Commerce
Boutoeum Gissof Litte Mandjirock
30 Travaux champêtres Aucun Rien pour l'instant Commerce
Affiniam Récolteurs de vin de palme
10 Vin de palme Aucun 100000 Commerce
Affiniam
Femmes de Yamir,
Badjimeul, Thiamang, Gabalang, Djiloguir
101 Trois blocs maraîchers CPRA 100000 par femme
Développer cela
195
Source : entretiens dans les villages – février 2005
On a parlé tout à l’heure de certaines pratiques qui demeuraient « irrationnelles ». Nous nous
fondons sur le travail de l’ONG Entreprise Works pour montrer comment ces pratiques sont
combattues et les résultats que l’on peut obtenir ainsi.
332. Rationalisme contre riziculture : le maraîchage hivernal
L’ONG Entreprise Works77, rencontrée à Ziguinchor, est plutôt classique de la « deuxième
vague » d’organismes internationaux intervenant dans le Blouf : elle a commencé son travail en 2001
et avec des financements de l’USAID*. Mais ses modalités d’aide aux populations divergent par
rapport à nombre d’autres projets. D’abord, ses réalisations se fondent à la fois sur la santé et sur les
activités rémunératrices, ce qui est très rare ; habituellement, on sépare totalement ces deux volets.
Ensuite, les paysans sont responsabilisés : ils font la promotion des pompes manuelles « Sembé
Awagna » pour l’irrigation qui sont vendues et installées 50000 francs78, ce qui est inférieur à leur coût
mais oblige toutefois le paysan à une certaine volonté. « J’en voudrais bien une, mais je voudrais bien
qu’elle serve » nous a dit Bassirou Sambou. De même, ils développent des pompes dites « Erobon »,
manuelles, à manivelle, qui vont chercher l’eau à trente mètres à travers un tuyau PVC : pas de
risque, dès lors, de pollution bactériologique ; le volet santé est donc développé à travers l’eau
potable. La pompe Erobon coût au paysan le même prix. Cela témoigne déjà d’une certaine recherche
et d’un esprit de compréhension des problématiques du terrain. Mieux, les pompes sont fabriqués par
des artisans locaux formés pour ça, qui peuvent ainsi les réparer en cas de problème. Les pompes
Sembé Awagna ont été développées dans cinq quartiers de Thiobon ainsi qu’à Kartiack, Mandégane
et Affiniam.
Mais un volet crédit est également développé. Si une personne veut se lancer dans la culture
de l’anacarde, un agent fait une étude de projet et accompagne la personne jusqu’à l’obtention d’un
prêt. A Ziguinchor, ils vont voir ASACASE*, la CNCA (Caisse Nationale du Crédit Agricole) et le Crédit
Mutuel. Ils développent en effet une politique intelligente de promotion de secteurs qui peuvent obtenir
des marchés et donc rapporter beaucoup d’argent : au départ, l’anacardier servait de parafeu grâce à
sa résistance aux feux de brousse. Puis on s’est rendu compte que les Indiens venaient en acheter.
L’idée est donc apparue de donner de la valeur ajoutée. D’où l’organisation de formations pour ceux
qui sont intéressés, de manière individuelle. L’idée est que la collectivité bénéficiera forcément des
initiatives individuelles et que si l’on développe ces initiatives individuelles, des emplois seront créés.
Dans le Blouf, c’est au niveau du maraîchage hivernal que l’ONG s’oppose aux pratiques dites
« irrationnelles » et qui, on l’a vu, étaient socialement rationnelles. La pratique de la riziculture, en
effet, occupe les femmes pendant tout l’hivernage ; elles font ensuite du maraîchage en saison sèche,
pendant la période de plus grosse concurrence et là où l’eau se fait la plus rare. L’ONG à l’inverse
développe le maraîchage hivernal : malheureusement, ce sont les hommes qui le pratiquent le plus.
77 Source : entretien avec B. Diedhou, coordinateur des projets de l’ONG. Se reporter à la p. 156.78 75 euros.
196
Dans le Blouf, on trouve deux cas seulement (c’est dire si c’est marginal…), à Affiniam79. L’un d’eux,
interrogé, nous dit gagner avec cela dans les 500000 francs chaque année. Et cela sans arroser.
Bassamba Diedhou, coordinateur des projets de Entreprise Works, nous assure que « un paysan que
nous avons aidé n’avait jamais vu un million [de francs CFA] de sa vie. Dès la première année, il a
gagné trois millions80 avec le maraîchage hivernal ». La personne en question a pu acheter un moteur
de pirogue. Comme quoi il est évidemment beaucoup plus rentable de s’occuper du maraîchage,
aujourd’hui, que des rizières… Il faudra du temps avant que la rationalité économique passe avant la
rationalité sociale.
333. La nécessité d’un commerce équitable
Face aux conséquences de la mondialisation sur les conditions de la concurrence en général et
le prix des produits en particulier, il est clair que les paysans ne pourront s’en sortir sans le concours
de structures leur permettant une rétribution juste, et par suite un décollage économique véritablement
endogène. Nous avons discuté longuement de cela avec Bassirou Sambou. Mais le terme de
« commerce équitable » est inconnu ici. Comme par hasard, c’est alors que nous nous trouvions sur
le terrain qu’il est apparu pour la première fois dans les villages, au cours d’un séminaire sur les
activités du Centre de Promotion Rurale d’Affiniam, tenu au CPRA* les 2 et 3 février 2005
(photographie n°89). Nous donnons le rapport de ce séminaire en annexe. Les débats ont été d’une
grande richesse, animés par M. Souleymane Bassoume, de l’ONG Agrecol Afrique, spécialisée dans
le commerce équitable. Il y a expliqué que le Sénégal est le pays le plus aidé d’Afrique. Depuis les
indépendances, les projets de développement sont comme du riz qu’on verse dans un sac percé. On
n’arrête pas de le remplir, mais il n’est jamais plein. Si on répartissait par personne les dépenses qui
ont été faites pour le développement, chacun aurait trois milliards de francs CFA… C’est lui qui, petit à
petit, en commençant par pointer les problèmes d’attentisme, en est arrivé aux problèmes
d’écoulement.
Ayant expliqué rapidement le système d’une « dictature des bana-bana », qui les condamne à
de modestes revenus, il a expliqué le système de son ONG qui récoltait auprès de GIE de femmes
afin de revendre en permettant aux paysans d’obtenir la totalité de la valeur du produit au départ, en
somme que nul ne profite du système. En contrepartie, les produits étaient étiquetés, ce qui permettait
une traçabilité plus grande et donc l’augmentation de la qualité des produits, jusqu’à parvenir peut-
être, un jour, à cultiver sans engrais. Le CPRA, a expliqué M. Bassoume, a en effet tendance à
encourager l’usage des engrais à outrance, de manière « plus royaliste que le roi ». Le commerce
équitable permet à la fois le développement des ressources des populations, et donc incite à de plus
en plus de projets, mais a aussi l’avantage d’engranger plus de revenus collectifs permettant d’investir
dans de la formation et des locaux pour transformer et diversifier les produits.
Dans tout ce qui ressort de cette analyse, il est très clair que des barrières se posent qui
empêchent le développement sur place d’activités. Pourtant, il existe des personnes, individuelles ou
collectives, aidées par certaines ONG développant des idées nouvelles, qui vont dans le sens d’un
79 Dans le quartier de Yamir.80 4500 euros.
197
autre type de développement, d’alternatives à ce système que nous avons décrit et dont nous avons
montré que s’il apportait de l’aisance matérielle – encore n’est-ce pas sûr quand on observe la faible
variété de la nourriture – il faisait perdre aussi au village ses richesses et sa dignité. En somme, c’est
un terrain idéal de travail pour le développement, puisqu’il y a un fort enjeu en fonction des projets sur
lesquels on travaille, de lutte contre un certain type de système.
Si l’on cherche à synthétiser un peu ce qui a été dit sur les perspectives d’avenir, on peut
affirmer que nous sommes dans un système qui compte de plus en plus sur les initiatives extérieures.
De plus, c’est un système qui s’entretient dans le mesure ou sa logique l’oblige sans cesse à
privilégier l’extraversion : extraversion de ses ressources humaines, qui vont chercher du travail en
ville ; extraversion de ses ressources économiques, qui proviennent de plus en plus de ces
« exodés » ; extraversion de ses projets de développement. Les conséquences en sont à la fois une
apparente richesse, croissante même, tandis qu’en terme de culture, de richesse humaine, de
richesse d’initiatives et de projets, on est loin du compte. Les aspects qualitatifs décrits ici ont des
conséquences quantitatives puisque augmentent les dépenses et diminuent les revenus. En définitive,
l’avenir d’un tel système est très douteux, et c’est ce qui nous a amené à développer sur des initiatives
qui montrent combien l’on gagnerait à se fonder sur d’autres valeurs et à oser aller à contre-courant :
en effet, la preuve de l’efficacité économique de telles initiatives n’est plus à faire.
198
Conclusion : l’espace porte les marques successives des mutations
Finalement, cette étude spatiale a rempli ses objectifs. Il s’agissait ici de démontrer l’intérêt
d’une étude géographique dans le cadre de l’approche de la micro-région rurale que constitue le
Blouf. Nous avons choisi des études de géographie avec la conviction que celles-ci permettaient de
donner sens au monde et à ce qui s’y passe, et c’est avec cette conviction qu’a été effectué le travail
géographique proprement dit. Les résultats sont donc à la hauteur des ambitions puisqu’il s’avère que
l’espace et le territoire sont doublement révélateurs des impacts de la mondialisation. Nous
entendrons ici « espace » et « territoire » en les distinguant bien, à la manière géographique : l’espace
comme une surface, une étendue particulière touchée par les interventions humaines, et le territoire
comme un espace approprié, socialisé et symbolisé par une communauté d’êtres vivants.
Deux raisons, donc, à l’intérêt de l’étude géographique : d’abord, le territoire joue un grand rôle
dans la manière dont s’exercent les impacts de la mondialisation. On l’a vu depuis le départ ; nous
n’avons pas cessé de mettre en avant le rôle des « héritages » géographiques dans la construction
d’un système particulier en rapport avec les interventions des facteurs extérieurs. Ensuite, le territoire
porte les marques, les symptômes de toutes ces interventions, qu’elles soient dépassées ou toujours
d’actualité. Cela nous permet de dégager dans le paysage plusieurs strates d’anciens systèmes qui
ne fonctionnent plus. Il est ainsi plus aisé de mettre en évidence les impacts de la mondialisation, en
présentant la logique de fonctionnement de ce système en relation avec les données du territoire.
Reprenant la photographie aérienne centrée sur Affiniam, nous avons tenté de montrer l’utilisation que
l’on pouvait faire de l’étude géographique dans la carte 32.
Plus encore, on peut dire que le territoire vit avec le système et même qu’il l’influence. La
géographie, on l’a vu, est à la base d’un système particulier, qui a bouleversé tout le fonctionnement et
toutes les structures de la société ; mais on voit aussi à travers cette partie que le territoire lui-même a
été touché par ces mutations et que l’espace géographique évolue. L’exemple de la salinisation des
terres suffit à montrer que cette évolution a, à son tour, des impacts très puissants sur le système
socio-économique qu’il contribue à renforcer. Nous avons représenté cette présence à tous les
niveaux du territoire dans le document 35, sous la forme d’un organigramme.
Cet organigramme nous offre une bonne idée de tous les obstacles à surmonter pour mettre en place
des alternatives à un système qui déstructurerait totalement, à terme, toute l’économie locale, et nous
permet, à la lumière d’exemples rencontrés dans le Blouf, de lancer quelques idées pour permettre
d’aller vers le changement.
199
CONCLUSION GENERALE
En arrivant au terme de ce travail, il nous reste à mesurer les enrichissements qu’ont permis ce
travail. Un travail court, oui, puisque nous n’avons eu finalement qu’un semestre pour préparer une
étude bibliographique qui n’a pu rester qu’à l’état d’ébauche, et neuf semaines seulement pour
travailler sur le terrain. Neuf semaines fort heureusement bien employées parce que bien préparées
avec l’association un et notre directeur de recherche, avec des rencontres fréquentes et une forte
volonté, de toutes parts, pour nous aider à aller le plus au cœur des questionnements afin de récolter
le maximum d’informations. Un travail court, parce qu’au terme du voyage, il nous restait à peu près
deux mois pour préparer la rédaction, avec une somme désespérante de documents sur les bras et un
plan qui n’était qu’une ébauche ; et donc, par conséquent, un travail imposant. Mais un travail
passionnant aussi, un thème d’étude ouvrant sur tellement de perspectives que nous avons toujours
pu travailler avec un esprit d’apprenti, et ce malgré les difficultés rencontrées au long du chemin. Mais
la peine valait le coup. Tous les casamançais ont appris ce vers célèbre d’Alfred de Musset :
L’homme est un apprenti ; la douleur est son maître.
C’est ce qui nous a encouragé à persévérer dans cette voie, malgré l’ampleur de la tâche.
L’impression de découverte que nous avons éprouvé chaque jour, le plaisir ressenti à faire ce travail
ont été les moteurs, tout au long de la réalisation de ce projet, de notre progression vers un travail fini.
La difficulté de ce point de vue était également très importante : il s’agissait de se contraindre à arriver
au mois de juin avec un mémoire en bonne et due forme. A tous points de vue, les enrichissements
personnels de ce travail sont nombreux et complètent l’enrichissement plus théorique, mais cependant
indispensable, acquis sur les bancs de l’université et dans les salles des bibliothèques. Nous devons
parler de ces enrichissements personnels : en effet, le travail du mémoire de maîtrise se place dans le
contexte d’une initiation à la recherche, où l’étudiant devra tirer les leçons de tout ce qu’il a dû mettre
en œuvre mais aussi de toutes les difficultés qu’il aura pu rencontrer au cours de son travail. Les
spécificités de ce travail, dans un pays étranger, une autre culture, font que ces enrichissements
personnels sont ici particulièrement forts.
Mais il ne faudrait pas occulter l’apport scientifique ; bien que modeste, il est toutefois intéressant à
nos yeux, en apportant un certain regard, géographique, sur la région qui nous intéresse, et en tentant
une sorte de synthèse sur les problèmes qui se posent dans l’arrondissement de Tendouck en Basse-
Casamance. En se plaçant dans une problématique à mi-chemin entre la géographie régionale et la
géographie thématique, nous avons choisi une entrée particulière pour l’étude d’un territoire
particulier.
203
1 – Des enrichissements personnels très importants
Les enrichissements personnels, on l’aura compris, sont multiples et dépassent très largement
le cadre des études universitaires : une immersion de deux mois dans la culture sénégalaise et de
plus d’un mois dans les villages Diola, logé chez l’habitant, suppose évidemment de multiples apports
humains. Nous nous limiterons cependant, ici, sur les enrichissements en terme d’initiation aux
recherches. Il apparaît que le terrain sur lequel nous nous sommes penché n’est pas, comme nous
pouvons le trouver en Europe, envahi d’études et d’une cartographie spectaculaire qui permette,
comme cela se fait, d’étudier un espace sans même avoir recours à une présence sur le terrain. Ici, la
présence est indispensable : les cartes datant en général de la colonisation, les photographies
aériennes étant antérieures aux années 1980, et les rares études en général rangées au fond des
tiroirs à Ziguinchor, malgré la présence de mémoires et de thèses sur le territoire français, l’étude de
terrain devient primordiale. C’est l’enquête qui nous offre, finalement, la meilleure idée sur les
mécanismes sous-jacents du système que l’on a étudié. D’où le temps que nous avons mis à la
préparer. Et ce sont les entretiens qui offrent la deuxième source intéressante. En général, les
comptes-rendus que nous avons eu à consulter consistent en des rapports de séminaires, les
Sénégalais aimant les belles paroles et les cérémonies d’ouverture, les renseignements que l’on y
trouve sont très succincts.
Nous avons donc été contraint de revenir à une forme de géographie où l’outil informatique
n’est plus un remède miracle, mais simplement le support qui va aider à traiter un travail préalable très
important. C’est ce qui nous a permis de dresser la plupart des cartes. Et l’on se rend compte, à ce
moment, de la chance d’avoir pu vivre dans les villages, qui plus est dans la maison même du
président de la Communauté rurale de Mangagoulack, et d’avoir pu ainsi se rendre compte de
beaucoup de choses lors de rencontres informelles. La maison était chaque soir emplie de visiteurs et
nous passions de longues heures à discuter : la majorité des idées viennent ainsi. Cela nous a donc
apporté, dans l’optique de l’initiation à la recherche, le goût de partager le terrain lorsque l’on fait une
étude, d’avoir une approche plus personnelle, d’envisager, selon le mot de Gilles Sauter dans
Hérodote de 1976, « le territoire comme connivence ». La connaissance que nous avions des lieux a
étonné nos hôtes à Dakar, eux-mêmes ressortissants de Mangagoulack. Et d’ailleurs, avoir pu
également pu être hébergé chez des ressortissants de Mangagoulack à Dakar était tout aussi
enrichissant.
On se rend compte également de l’importance du travail bibliographique. Celui-ci nous a permis
d’avoir une connaissance déjà profonde sur le Blouf, qui s’est révélée évidemment extrêmement
superficielle lors de la découverte du terrain. Mais il a permis aussi de replacer très rapidement toutes
les informations obtenues dans leur contexte, et permis de raccourcir fortement un grand nombre
d’entretiens, puisque les personnes en face de nous se rendaient compte de la connaissance que
nous avions des problèmes. Ce travail bibliographique nous a pris, comme il a déjà été souligné, tout
un semestre ; et c’est une excellente initiation à ce type de travail, qui n’avait été qu’esquissé les
années précédentes. Sans avoir pu faire le tour, loin de là, de la bibliographie sur le sujet et sur
l’espace concerné, nous avons pu réunir une somme satisfaisante de connaissances de base qui
nous font dire que le travail de terrain a été bien préparé. C’est ce travail qui nous a permis de mettre
204
au point les grilles d’entretien81, ainsi que les questionnaires d’enquêtes ; en somme, il nous a permis
de bien cibler le sujet.
Enfin, on s’est rendu compte combien il est nécessaire, lors du travail de terrain, de rencontrer
le maximum de personnes possibles. Plus l’on en rencontrait, notamment à Ziguinchor, et plus l’on
avait une idée claire, non seulement des mécanismes, mais aussi et surtout des personnes
ressources (Fauroux, 2002) que nous pouvions rencontrer : cela nous a permis parfois de faire des
« bonds » dans le travail, notamment lors de deux venues à l’Agence régionale de développement, à
Ziguinchor. La première fois, nous y avons rencontré l’expert-conseil du PSIDEL* qui nous a remis
tous les plans locaux de développement ; la deuxième fois, nous avons vu le responsable, qui nous a
donné toute la cartographie que nous voulions. On nous avait glissé que ce qu’il ne détenait pas sur la
région, personne au Sénégal ne l’avait. Si nous avions poursuivi, nous aurions pu effectuer un travail
de suivi de certaines ONG dans leurs interventions sur le terrain. En tous les cas, l’on se rend compte
peu à peu, par le biais de ces rencontres, que les personnes qui détiennent le plus de pouvoir ne sont
pas toujours celles que l’on imagine ; c’est ce que montre l’ouvrage collectif Comprendre une société
rurale, appliquée à l’ouest malgache mais dont nous avons pu nous inspirer pour notre travail.
En clair, l’enrichissement personnel est multiple. Cette étude nous a permis de franchir le fossé
qui séparait l’apprentissage de la recherche proprement dite. Mais elle nous a aussi permis de
dégager des résultats extrêmement édifiants.
2 – Des apports scientifiques intéressants.
Il est un peu pompeux de parler « d’enrichissements scientifiques » pour un modeste mémoire
de maîtrise. Mais l’approche développée dans ce mémoire a permis d’apporter des connaissances, et
surtout une autre manière de penser l’évolution et les problèmes qui se posent dans le Blouf. La
majorité de ses habitants et de ses ressortissants, en effet, ont aujourd’hui une vision de ces
problèmes qui manque de recul, et les fait louer ce système qui leur apporte de plus en plus le confort
matériel, accusant de leurs problèmes la sécheresse, la pluviométrie, la « volonté de Dieu » en
quelque sorte. Ce travail apporte d’autres réflexions sur ces mutations, en relation avec le processus
de mondialisation, et une autre manière de voir qui pourra être utilisée, justement, pour remettre en
cause cette vision naturaliste des faits. C’est donc un enrichissement qui est de trois types : d’abord, il
y a création d’une information ; ensuite, il y a création d’une réflexion ; enfin, il y a possibilité d’adapter
cette réflexion à une application sur le terrain.
La création de l’information consiste essentiellement, on l’aura compris, en la menée d’une
enquête jusqu’au bout, que nous avons poussé à 100 individus alors qu’il était prévu une cinquantaine
avant de partir. Nous avons donc pu dégager un certain nombre de données, de statistiques par le
traitement de cette enquête ; l’utilisation de l’outil informatique, de la combinaison d’un logiciel de
traitement d’enquête, puis d’un logiciel de traitement de données (un tableur) et enfin d’un logiciel de
dessin ou de cartographie, nous a permis de créer également de la cartographie. A cette enquête
81 Voir annexe.
205
s’ajoute la création d’information existant déjà mais qui n’avaient pas été encore regroupées, par
exemple du point de vue de l’intervention des différentes ONG dans le Blouf, ou des différents projets
de développement. L’avantage de ce long et difficile travail de terrain a donc été de nous obliger à la
création de données qui n’existaient pas. Il est évident par exemple que les statistiques de la Direction
Régionale du Développement Rural (DRDR*) (document 36) sont absolument sans fondement :
chaque année, dans chaque département, on prend trente villages, et trois couples dans chacun de
ces trente villages est enquêté. C’est dire si l’on manque de renseignements valables… Nous-mêmes
avons pu réaliser une enquête sur 100 personnes, soit plus que les 90 de la DRDR, et sur d’autres
thèmes en plus de celui de l’agriculture. On peut donc estimer, en toute logique, que ce travail
d’enquête est primordial dans la compréhension des phénomènes socio-économiques et, par
conséquent, spatiaux : une telle misère de statistiques doit être compensée…
Document 36 : les statistiques de la Direction Régionale du Développement Rural (DRDR)…
Désignation
Données Comparatives de Productions
Objectifs de production 2004 / 2005
Réalisations 2004 / 2005
Réalisations 2003 / 2004
Réalisations 2002 / 2003
MilSup (Ha) 18. 000 20392 19. 200 14. 492
Prod (T) 14. 400 15. 921 15. 460 11. 430
SorghoSup (Ha) 1. 500 929 1. 447 1. 041
Prod (T) 1. 200 794 1. 229 1. 065
MaïsSup (Ha) 8. 000 5181 6. 576 1. 865
Prod (T) 12. 000 11. 923 9. 518 1. 007
RizSup (Ha) 40. 000 33. 825 39. 899 29. 629
Prod (T) 60. 000 42. 113 55. 973 23. 540
Arachide Huilerie
Sup (Ha) 18. 000 15. 720 12. 368 14. 436
Prod (T) 18.000 14. 328 11. 050 6. 357
NiébéSup (Ha) 1. 500 499 1.139 504
Prod (T) 900 224 183 213
TabacSup (Ha) 60 26 61 41
Prod (T) 18 13 49 28
SésameSup (Ha) 2.500 1. 933 394 380
Prod (T) 2.000 1.065 149 133
Total sup. (Ha) 89.560 78505 81. 545 62. 389
Sources : DRDR Ziguinchor. Statistiques pour l’ensemble de la région de Ziguinchor.
Mais, plus encore que l’enquête, c’est la réflexion sous-jacente aux travaux qui ont été réalisés
qui importe le plus. En effet, nous ne nous sommes jamais placé dans l’idée de récolter un maximum
d’information sans y mettre de l’ordre, sans y trouver une logique, des fondements, sans réaliser de
synthèse. Et l’ensemble de ces connaissances accumulées a contribué à former l’édifice de ce
mémoire, la mise en évidence d’un système nouveau, bouleversé par les données de la
mondialisation, où l’espace joue un rôle primordial comme héritage déterminant, influençant les
mutations, comme un bloc d’argile qui conserve les différents coups de griffe de cette mondialisation.
206
Un système fondé sur la présence de ressortissants un peu partout au Sénégal, dans les villes, mais
également en Europe et parfois même aux Etats-Unis. Où les ressortissants jouent à présent le plus
grand rôle dans les revenus des populations en envoyant couramment de l’argent à leur famille au
village. Où le village change peu à peu de fonction pour devenir au fil du temps un lieu de villégiature
et de repos pour cette pléthore de ressortissants, qui investissent au village en pensant à la retraite :
dans de confortables maisons, dans des infrastructures adaptées, dans des écoles et dans des
collèges qui permettront à leurs enfants de gagner leur vie en ville avec un bon travail, et à leur tour
de subvenir aux besoins de ceux qui reviendront vivre à la retraite. Où les villageois deviennent de
plus en plus attentistes, en raison du développement croissant de projets liés au retour à la paix et aux
nouveaux accords d’ajustement structurel signés par le Sénégal, et aux projets permis par la mise en
place de relations des ressortissants avec des personnalités en ville. Où tout, finalement, tend à
l’extraversion et à la mise sous dépendance d’un espace pourtant bien doté en potentialités agricoles
et culturelles.
Cela nous amène à envisager l’enrichissement personnel sous l’angle d’une recherche
appliquée. La compréhension d’un espace, en effet, est un préalable indispensable à l’action : il est
primordial de savoir ce que l’on risque lorsqu’on lance un projet de développement. Il peut entraîner
des conséquences totalement inattendues, voire contraire aux objectifs, en fonction des réalités du
terrain et surtout en fonction du système socio-économique qui sous-tend les logiques du territoire.
L’analyse de ce système permet donc d’en tirer des connaissances qui empêchent de partir sur une
pente qui pourrait devenir dangereuse. Mais elle permet aussi de mettre en évidence toute une série
de dysfonctionnements. En réponse à ces dysfonctionnements, l’on peut alors envisager des projets
qui iraient dans le sens contraire par le biais de réalisations permettant, par exemple, la création
d’activités de transformation au village et la mise en place d’un commerce équitable. Avec des bémols
cependant : pour le moment, la part du commerce équitable dans le monde est infime.
Ce travail se veut donc un travail complet, qui soit à la fois analyse scientifique rigoureuse et
document d’appui à la réalisation de projets futurs. En somme, il ne cache pas son engagement et sa
volonté de participer à des changements futurs qui doivent permettre à cette micro-région du Blouf de
prendre enfin la mesure de ses possibilités d’être l’exemple d’un développement africain réussi.
207
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213
GLOSSAIRE DES SIGLES
ADA : Association pour le Développement d’AffiniamADEB : Association pour le Développement de BoutœumAEEB : Amicale des Elèves et Etudiants de Boutégol (Dakar)AJAC : Association des Jeunes Agriculteurs de la CasamanceAMICAR : Amicale des Agriculteurs et Ruraux de BignonaARB : Association des Ressortissants de BoutégolARBRES : Association pour le Renouvellement des Bois et le Rétablissement de l’Ecosystème en SénégambieASACASE : Association Sénégalaise pour l’Appui à la Création d’Activités Socio-EconomiquesASPRODEB : Association Sénégalaise pour la Promotion du Développement à la BaseBAD : Banque Africaine de DéveloppementBID : Banque Islamique de DéveloppementCADEF : Comité Associatif pour le Développement du FognyCARITAS : Confédération d’organismes catholiques non gouvernementauxCEM : Collège d’Enseignement MoyenCERP : Centre d’Expansion Rurale PolyvalentCLCOP : Comité Local de Coordination des Organisations PaysannesCMEC : Caisse Mutuelle d’Epargne et de CréditCONGAD : Coordination des Organisations Non Gouvernementales (Ziguinchor)CORD : Coordination des Organisations Rurales du DépartementCPRA : Centre de Promotion Rurale d’AffiniamCRS : Catholic Relief ServicesENDA-ACAS : ENDA Action en CasamanceFED : Fonds Européen de DéveloppementFGPF : Fédération des Groupements de Promotion FéminineFMI : Fonds Monétaire InternationalFONDEM : Fondation Energies pour le MondeFONGZ : Fédération des ONG de ZiguinchorGERCA : Groupement d’Etudes Rurales de la CasamanceGIE : Groupement d’Intérêt EconomiqueGIP-RECLUS : Groupement Inter-Professionnel ; Réseau d’Etudes des Changements dans les Localisations et les Usages du Sol.GOPEC : Groupe opérationnel permanent d’études et de concertationGRDR : Groupement de Recherches en Développement RuralIDEN : Inspection Départementale de l’Education NationaleILACO : International Land Development ConsultantsNPA : Nouvelle Politique AgricoleONG : Organisation Non GouvernementalePAARZ-GTZ : Programme d’Appui aux Activités Socio-économiques de la Région de Ziguinchor (traduction de l’allemand)PAM : Programme Alimentaire MondialPAMLT : Plan d’Ajustement à Moyen et Long TermePAS : Plan d’Ajustement StructurelPIDAC : Projet Intégré de Développement de la CasamancePNIR : Programme National d’Infrastructures RuralesPREF : Plan de Redressement Economique et FinancierPSIDEL : Programme de Soutien aux Initiatives de Développement Local)RAB : Rassemblement des Associations de BoutégolSOMIVAC : Société de Mise en Valeur de la Casamance.UCAD : Université Cheikh Anta Diop (Dakar)UNICEF : Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (United Nations Children’s Fund)USAID : United States Aid for International Development
214
LISTE DES SOURCES
1. Enquêtes et entretiens
Dans les villages :
- Questionnaire d’enquête dans les villages de la communauté rurale de Mangagoulack : 100 enquêtes dont Tendouck 15, Diatock 15, Affiniam 15, Boutégol 10, Mangagoulack 10, Elana 10, Bodé 10, Boutœum 10, Djilapao 5.
- Entretien avec Bassirou Sambou, Président du Conseil Rural (PCR) de Mangagoulack.
- Entretien avec Sana Fofana Badji, PCR de Balingore.
- Entretien avec Moustapha Diedhou, PCR de Diégoune.
- Entretien avec Iancouba Bodian, PCR de Kartiack.
- Entretien avec Bacary Coly, PCR de Mlomp.
- Entretien avec plusieurs membres des Conseils ruraux.
- Entretien avec le secrétaire du Cadre Local de Coordination des Organisations Paysannes (CLCOP) à Diégoune.
- Entretien avec le trésorier du CLCOP à Dianki.
- Entretiens avec les responsables des Groupements d’Intérêt Economique (GIE) dans la Communauté rurale de Mangagoulack.
- Entretiens avec les pointeurs des digues anti-sel de la CR de Mangagoulack.
- Entretien avec des personnalités des villages dans le Blouf, des enseignants, directeurs d’écoles ou présidents d’associations de parents d’élèves et d’associations en tout genre.
- Entretien avec le directeur du Centre de Promotion Rurale d’Affiniam (CPRA).
- Séminaire de réflexion sur les activités du CPRA, le 2 et 3 février 2005.
A Ziguinchor :
- Entretiens avec les présidents des associations de ressortissants de la communauté rurale de Mangagoulack à Ziguinchor.
- Entretien avec les responsables de l’ONG Idée Casamance.
- Entretien avec le coordinateur régional du Programme Alimentaire Mondial (PAM).
- Entretien avec le coordinateur des projets de l’ONG Entreprise Works.
- Entretien avec la responsable des projets de l’UNICEF Ziguinchor.
- Entretien avec la présidente de l’ONG Kagamen.
- Entretien avec un responsable du Catholic Relief Services (CRS).
- Entretien avec un responsable de la Direction Régionale du Développement Rural (DRDR).
- Entretien avec l’expert-conseil du Programme de Soutien aux Initiatives Locales (PSIDEL).
215
- Entretien avec le responsable de l’Agence Régionale de Développement.
A Bignona :
- Entetien avec l’inspecteur d’académie du département de Bignona (IDEN Bignona).
- Entretien avec le bureau de l’Association pour le Reboisement de la Brousse et le Rétablissement de l’Ecosystème en Sénégambie (ARBRES).
- Entretien avec le coordinateur de la Fédération départementale des Groupements de Promotion Féminine (FDGPF).
A Dakar :
- Entretiens avec les présidents ou bureaux des associations de ressortissants des villages de la communauté rurale de Mangagoulack à Dakar .
- Entretien avec le bureau de l’Amicale des Elèves et Etudiants de Boutégol à Dakar.
2. Documents utilisés
- Plans locaux de développement des différentes Communautés rurales du Blouf : Mlomp, Kartiack, Diégoune, Balingore et Mangagoulack.
- Rapport d’activités 2004, ARBRES.
- Rapport d’activités 2004, CRS Ziguinchor.
- Rapport d’activités 2004, ENDA-Action en Casamance.
- Tableau des interventions du Programme Alimentaire Mondial (PAM) dans le Blouf.
- Document du PAM sur la vulnérabilité à la dépendance alimentaire au Sénégal.
- Rapports de Congrès des associations villageoises de la Communauté rurale de Mangagoulack.
- Documents internes aux associations de villages de la Communauté rurale de Mangagoulack, essentiellement à Dakar.
- Documents internes au Centre de Promotion Rural d’Affiniam (CPRA).
- Cartes thématiques du Centre de Suivi Ecologique, gracieusement fournies par l’Agence Régionale de Développement.
- Cartes IGN au 1 :200000e et au 1 :50000e de la Casamance, gracieusement fournies par l’Agence Régionale de Développement, sur support informatique.
- Photographies aériennes des zones d’Affiniam, Boutoeum et Djilapao gracieusement mises à notre disposition par l’association un.
- Photographies prises sur le terrain par Jean-Paul Glotin et Jérémie Parnaudeau. Quelques clichés de Franck Müller (ARD), gracieusement mis à notre disposition.
- Documents divers fournis par les ONG et les GIE.
- Documents internes à l’association un.
TABLE DES ILLUSTRATIONS
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Cartes :
1 – Situation du Blouf au Sénégal et dans le monde...…………………………………………………………… 152 – Situation du Blouf et de la Communauté rurale de Mangagoulack…………………………………………. 163 – L’entremêlement de la terre et de l’eau en Basse-Casamance..…………………………………………… 244 – Densités de population par communauté rurale au Sénégal...……………………………………………… 275 – Comparaison de la localisation et de la taille des villages du Fogny et du Blouf..….....…………………. 306 – Le Blouf, de l’évangélisation à la scolarisation coloniale…………………………………………………….. 377 – Accès à l’école dans les communautés rurales du Sénégal………………………………………………… 388 – Le recul de la forêt face à l’arachide selon P. Pélissier...……………………………………………………. 409 – Poids des lieux de destination dans l’exode rural de la Communauté rurale de Mangagoulack...……… 4610 – Lieux de résidence des présidents d’associations de ressortissants de la Communauté rurale de
Mangagoulack à Dakar.………………………………………………………………………………………. 4811 – Synthèse des spécificités du Blouf : entre héritages et mondialisation..…………………………………. 6212 – Localisation et dynamique des jardins de femmes aidés par le CPRA dans le Blouf...………………… 7413 – Revenus annuels et dynamique économique dans les jardins du Blouf aidés par le CPRA…………... 7514 – Un secteur résiduel : les activités génératrices de revenus dans le Blouf...……………………………... 7715 – Exode rural et population sur place dans la Communauté rurale de Mangagoulack...…………………. 8016 – Population des villages de la Communauté rurale se trouvant à Ziguinchor et à Dakar…….…………. 8117 – L’importance des transferts d’argent depuis l’extérieur dans la Communauté rurale de Mangagoulack.…
…………………………………………………………………………………………….... 8318 – Répartition de la pêche dans les villages de la Communauté rurale de Mangagoulack.………………. 9019 – Les recettes des associations de ressortissants de la Communauté rurale de Mangagoulack...………9820 – Effectif des écoles et collèges du Blouf.……………………………………………………………………. 10521 – Part de chaque secteur d’intervention dans les investissements des ressortissants de la Communauté
rurale de Mangagoulack..…………………………………………………………………………………… 10622 – Accords internationaux et construction d’infrastructures scolaires dans le Blouf……………………… 11323 – Bilan de l’intervention du Programme Alimentaire Mondial dans le Blouf……………………………… 11624 – Consommation de riz Diola dans les villages de la Communauté rurale de Mangagoulack…………. 11925 – L’importance de l’exode des élèves dans la Communauté rurale de Mangagoulack.......................... 13126 – Position des digues anti-sel dans la Communauté rurale de Mangagoulack...………………………… 14627 – Digues anti-sel et effectifs des travailleurs dans le Blouf…………………………………………………. 14828 – Synthèse des mutations spatiales liées au processus de mondialisation dans la Communauté rurale de
Mangagoulack……………………………………………………….....……………………………………. 16529 – Accès à l’eau potable dans les communautés rurales du Sénégal ..……………………………………. 16930 – Accès à la santé dans les communautés rurales du Sénégal..………………………………………….. 17031 – Le rôle de quelques paramètres dans la situations socio-économique des villages..…………………. 17232 – Synthèse des évolutions spatiales sur les finages d’Affiniam, Boutœum et Djilapao...……………….. 184
Graphiques :
1 – Evolution de la pluviométrie à Ziguinchor entre 1960 et 1989..…………………………………………….. 232 – Part de la population de la famille à l'extérieur par rapport à la population sur place
en fonction des personnes interrogées …………………………………………………………...………..….. 443 – Proportion des personnes ayant déjà vécu ailleurs par classe d’âge...……………………………………. 454 – Comparaison du poids économique et du poids humain des activités rémunératrices des personnes interrogées dans la Communauté rurale de Mangagoulack……………………………………………………... 645 – Part des revenus du maraîchage dans les dépenses annuelles des personnes interrogées…………… 656 – Part des revenus de l’arachide dans les dépenses annuelles des personnes interrogées……………… 667 – Part des revenus de l’arboriculture dans les dépenses annuelles des personnes interrogées.………… 678 – Revenus de l’activité principale de la population féminine interrogée..……………………………………. 739 – Raisons invoquées de la vie au village des personnes interrogées……………….……………………….. 7810 – Raisons invoquées de la vie au village chez les plus de 50 ans dans la Communauté rurale………… 8211 – Part des personnes interrogées recevant de l’argent de leur famille………...…………………………… 8212 – Part de l’argent reversé de l’extérieur dans le revenu total des ménages de la Communauté rurale.... 8413 – Avis des personnes interrogées sur leur avenir au village… ……………………………………………… 8814 – Part de chaque secteur dans les projets d’avenir des personnes interrogées.………………………….. 9315 – Part des diverses structures de l’ADA* dans les revenus villageois d’Affiniam..……………...……….. 10116 – part des élèves admis au certificat d’études et de la population du Blouf dans le département…...… 10717 – Comparaison des différents plans d’investissement locaux des communautés rurales du Blouf……. 110
217
18 – Budget d’investissement 2005 de la Communauté Rurale de Mangagoulack...……………………….. 11119 – Comparaison des taux d’alphabétisation de la Communauté rurale et du Sénégal…………………… 11820 – Taux de réussite à l’entrée en sixième des écoles du département de Bignona..…………………….. 12021 – Total de l’argent reversé aux personnes interrogées en fonction de la destination……………...……. 12122 – Nombre d’enfants par personne interrogée………………………………………………………………… 12223 – Nombre d’enfants par personne mariée dans la Communauté rurale de Mangagoulack…......……… 12324 – Nombre d’enfants des plus de 50 ans dans la Communauté rurale de Mangagoulack….....………… 12325 – Emploi en ville des femmes interrogées ayant déjà vécu ailleurs...……………………………………... 12726 – Niveau d’études et projet personnel dans la Communauté rurale de Mangagoulack…………………. 12827 – Niveau d’études des personnes interrogées dans la Communauté rurale de Mangagoulack…..…… 12828 – Durée de consommation de riz local dans la Communauté rurale de Mangagoulack………………… 12929 – Nombre de sacs de riz thaï acheté chaque année………………………………………………………… 13230 – Part de la rémunération des activités au village dans la dépense totale........………………………..… 133
Documents :
1 – Photographie satellite du Sénégal……………………………………………………………………………… 222 – carte des densités de population en Basse-Casamance (Pélissier, 1966)..………………………………. 283 – Le kadiandou Diola (Pélissier, 1966)...………………………………………………………………………… 324 – Les projets de développement économiques financés par des partenaires extérieurs dans le Blouf….. 705 – résumé de questionnaire n°1...…………………………………………………………………………………. 786 – résumé de questionnaire n°2…………………………………………………………………………………… 797 – résumé de questionnaire n°3…………………………………………………………………………………… 858 – résumé de questionnaire n°4…………………………………………………………………………………… 859 – résumé de questionnaire n°5…………………………………………………………………………………… 8610 – Organigramme du système socio-économique dans le Blouf …………………………………………….. 8711 – Organigramme de l’association Honnoro de Tendouck...………………………………………………….. 9612 – l’organisation des « villages multi-locaux » dans la Communauté rurale de Mangagoulack...………… 9713 – les moyens utilisés pour financer les projets par les associations de ressortissants des villages de la
Communauté Rurale de Mangagoulack…………………………….………………………………………. 9914 – Le fonctionnement financier de l’association Honnoro de Tendouck.…………………………………... 10015 – Les réalisations dues aux influences des ressortissants dans la Communauté rurale…...…………… 10216 – Les réalisations des ressortissants dans la Communauté rurale de Mangagoulack..……...…………. 10717 – Les nouveaux projets des bailleurs de fonds dans la Communauté rurale de Mangagoulack. ……… 10918 – Les investissements prévus par le PSIDEL dans le Blouf.....……………………………………………. 11119 – Histoire du CEM de Balingore……………………………………………………………………………….. 11420 – L’amicale des élèves et étudiants de Boutégol……………………………………………………………. 12021 – Trois exemples d’un retour au village non souhaité en attendant de revenir à la ville………………… 12622 – Trois exemples d’un retour au village lié au besoin de s’occuper des parents……………...…………. 12623 – L’autosuffisance alimentaire moyenne des régions du Sénégal et la situation en 2002……………… 13024 – Bloc-diagramme mettant en lumière l’évolution des zones basses dans le Blouf………………………14125 – Evolution des rizières sur 46 ans, dans les terroirs d’Affiniam, Boutœum et Djilapao……………....... 14526 – Statistiques sur les digues anti-sel dans la Communauté rurale de Mangagoulack.………………….. 15027 – Bloc-diagramme des mutations affectant les terres de plateau dans le Blouf………………………….. 15428 – Liste des petits métiers d’appoint dans le Blouf………………………………………...…………………. 15629 – Résumé de questionnaire n°6………………………………………………………...……………………... 16130 – A Boutœum, des femmes s’organisent seules…………………………………………………………….. 17631 – L’ONG Idée Casamance……………………………………..………………………………………………. 17632 – L’ ONG Kagamen……………………………………..…………...………………………………………….. 17733 – La Caisse Mutuelle d’Epargne et de Crédit de Tendouck…………..……………………………………. 17834 – les GIE développant des activités génératrices de revenus dans la Communauté Rurale de
Mangagoulack……………………………………………..………………………………………………… 17835 – Un système territorial gardant l’impact des mutations……………………………………………………. 18336 – Les statistiques de la Direction Régionale du Développement Rural (DRDR)……...………………..... 188
218
Photographies :
1 – Un type de terroir Diola : le plateau couvert d’une forêt sèche (J. P.)82... ……….……………….…....….. 252 – Un type de terroir Diola : les zones semi-inondables, couvertes de rizières (J. P.)………………………. 253 – Un type de terroir Diola : mangrove et bolong (J.-P. G.)..…………………………………………………… 254 – La « Casamance heureuse », du temps des belles et profondes rizières (Pélissier).……………………. 325 – La mission catholique d’Elana (J. P.)………………………………………………………………………….. 356 – La « verte Casamance » à la peau dure, ici à Affiniam (J. P.)...……………………………………………. 417 – Photographie aérienne de la zone de Tendouck (IGN, 1959)………………………………………………. 498 – Le maraîchage, une culture de substitution, à Mlomp (J.-P.)...……………………………………………... 529 – Le barrage d’Affiniam vu du sol (J. P.)………………………………………………………………………… 5610 – Le barrage d’Affiniam, vue aérienne oblique (F. Müller)…………………………………………………… 5611 – un petit barrage anti-sel entre Tendimane et Balingore (J.P.)..…………………………………………… 5612 – La devanture du magasin de la SOMIVAC à Elana (J. P.)………………………………………………… 5713 – Bananeraie à Mlomp (J. - P. G).………………………………………………………………………………. 5714 – Illustration du recul du maraîchage collectif à Elana (J. P.).……………………………………………….. 6515 – A Affiniam, la récolte d’arachide est maigre (J.-P. Glotin)...……………………………………………….. 6616 – La pompe désaffectée du jardin du PIDAC à Mangagoulack (J. P.)……………………………………… 6817 – Le grillage cassé du jardin du PIDAC à Tendouck (J. P.)………………………………………………….. 6818 – Le jardin des Amis d’Elana, envahi de manguiers (J. P.)..………………………………………………… 6919 – Une pépinière mise en place par le CRS, à l’abandon à Diatock (J. P.)…………………………………. 6920 – la case des pêcheurs de Bodé, témoin d’un ancien projet de pêche désormais abandonné (J. P.)….. 6921 – Une action de reboisement du GIE Karonguen Karamba à Diatock (J. P.)……………………………… 7122 – Le centre de soudure du GIE Karonguen Karamba à Diatock (J. P.).................................................... 7123 – La pépinière du GIE Karonguen Karamba à Diatock (J. P.).………………………………………………. 7124 – Le centre de couture financé par l’Ambassade de Hollande à Diatock (J. P.)…………………………… 7225 – Le jardin des femmes de Bodé, encadré par le CPRA (J. P.)...…………………………………………… 7226 – Le jardin des femmes de Mlomp, encadré par le CPRA (J. P.)...…………………………………………. 7327 – Le jardin des femmes de Bémé (Diatock), encadré par le CPRA (J. P.)...………………………………. 7328 – Séminaire du CPRA d’Affiniam, les 2 et 3 février 2005 (J. P.)……………………………………………. 7629 – Maison totalement cimentée à Affiniam (J. P.)...……………………………………………………………. 8530 – Pirogue de pêche à Mangagoulack (J. P.)..………………………………………………………………… 8831 – Techniques de construction de maisons à Tendouck (J. P.)……..……………………………………….. 9132 – Techniques de construction des plafonds à Boutœum (J. P.)…………………………………………….. 9233 – Une pépinière en pleine brousse (J. P.)………. ……………………………………………………………. 9434 – Le télécentre de Mangagoulack (J.-P. G.)..………………………………………………………………… 10135 – Le Collège d’Enseignement Moyen de Mangagoulack (J. P.)...…………………………………………. 10336 – Défrichage d’un terrain pour construire un collège à Affiniam (J. P.)……………………………………. 10437 – Collège en fin de construction à Dianki (J. P. Glotin)……………………...……………………………… 10438 – Le Collège d’Enseignement Moyen de Tendouck, fonctionnel (J. P.)…………………………………... 10437 – L’école privée d’Elana, fermée (J.-P. G.)…………………………………………………………………… 11239 – Réhabilitation d’école à Mangagoulack par l’UNICEF (J. P.)…………………………………………….. 11240 – Bâtiment construit par la Banque islamique de développement dans l’école de Tendouck (J. P.)….. 11241 – Bâtiment construit par la Banque islamique de développement dans l’école de Tendouck (J. P.)….. 11242 – Le collège de Balingore (J. P.)………………………………………………………………………………. 11443 – Intérieur de l’école maternelle de Dianki(J. P.)…………………………………………………………….. 11444 – La cantine scolaire d’Affiniam (J. P.).…………..…………………………………………………...……… 11545 – A Mangagoulack, un grenier à riz qui s’épuise (J. P.)…………………………………………………….. 13046 – La danse de l’initiation de Tendouck à Ziguinchor (J. P.)………………………………………………… 13647 – Digues en friche à Mandégane (J. P.)……………………………………………………………………… 14048 – Digues en friche à Affiniam (J. P.)………………………………………………………...………………… 14049 – La mince bande des rizières encore cultivées à Mangagoulack (J. P.)……………………………….... 14250 – Vestiges de diguettes rizicoles sur les tannes à Mangagoulack (J. P.)……………….………………… 14251 – La digue de la fondation Jean-Paul II à Mangagoulack (J. P.)…………………………………………… 14352 – Vastes rizières en friche à Djilapao (J. P.)…………………………………...…………………………….. 14453 – Construction d’une digue anti-sel à Diatock (J. P.)…………………………………………...…………… 14754 – La digue anti-sel de Djilapao (J. P.)…………………………………………………………………………. 147 55 – Vue sur rizière, digue et mangrove à Elana depuis le plateau (J. P.)………………………………...…. 14756 – Les vannes de la digue anti-sel de Mangagoulack (J. P.)..………………………………………………. 14957 – La pirogue de transport d’Affiniam (J.-P. G.)………………………………………………………………. 152
82 L’initiale J. P. désigne Jérémie Parnaudeau, J.-P. G. désignant Jean-Paul Glotin.
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58 – Voiliers au large des rizières de Djilapao (J. P.)…………………………………………………………… 15259 – Photographie aérienne des villages de Boutœum, Affiniam et Djilapao (IGN)….……………………… 15560 – Le jardin du PIDAC de Mangagoulack à l’abandon (J. P.)……………………………………………….. 15861 – Le jardin d’Elana quasi abandonné (J. P.)…………………………………………………………………. 15862 – Maison en construction à Tendouck (J. P.)………………………………………………………………… 16163 – Maison en construction à Affiniam (J. P.)…………………………………………………………………... 16164 – Grande maison d’un ressortissant de Mlomp en France, dans le village (J. P.)……………………….. 16265 – La grande mosquée de Dianki (J. P.)……………………...……………………………………………….. 16366 – Briques en ciment pour la construction de maisons en dur (J. P.)....……………………………………. 16767 – A Djilapao, maison en dur d’un ressortissant à Dakar (J. P.)…………………………………………….. 16768 – A Affiniam, la « villa » d’un officier en retraite (J. P.)…………...…………………………………………. 16769 – Extérieur de l’école maternelle de Dianki (J. P.)……………………...…………………………………… 16870 – Fabrication d’huile de palme par un GIE de Dianki (J. P.)....…………………………………………….. 177
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ANNEXES
Annexe 1 : Exemple d’un questionnaire d’enquêteAnnexe 2 : Grille d’entretien avec les organisations paysannes, les écoles et
collèges, les ONG et les ressortissantsAnnexe 3 : Entretien avec Bassirou Sambou, PCR de MangagoulackAnnexe 4 : Atelier de réflexion et d’échange sur l’intervention du CPRA auprès
de groupements féminins dans le département de Bignona, les 2 et 3 février 2005, CPRA d’Affiniam
Annexe 5 : Statistiques sur les GIE aidés par le CPRA d’AffiniamAnnexe 6 : Documents sur l’ONG KagamenAnnexe 7 : Rapport de séminaire sur l’implication des ressortissants du Blouf,
ENDA-ACAS, 3 au 5 juillet 1998Annexe 8 : Rapport de Congrès de l’association Honnoro de Tendouck, le 8
juin 2003Annexe 9 : Résumé du rapport de congrès d’Affiniam, le 13 et 14 août 2001
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