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L'influence du décès d'une partie sur l'instance civile en cours LIONEL DREYFUSS * Il peut arriver que le praticien du droit, au cours de son activité, soit confronté à la mort. L'évènement funèbre sera alors appréhendé par le droit, et c'est ainsi que la vie pourra reprendre son cours. La procédure civile n'échappe pas plus que les autres branches du droit aux conséquences du décès. La mise en procédure collective et la dissolution des personnes morales ne sont pas assimilées à la mort, au sens du code de procédure civile, par la jurisprudence 1 . Elles ne seront pas traitées au cours des présents développements. Cette étude ne sera pas non plus relative à la procédure pénale où le décès de l'intéressé provoque l'extinction de l'instance, l'action civile subsistant, devant le juge civil. Si c'est une personne physique, partie à une instance, qui décède, il faudra distinguer deux cas selon que l'action est transmissible à ses héritiers ou non. Par application de l'article 384 du Code de procédure civile (CPC), si l'action ne peut être transmise aux héritiers, l'instance s'éteindra (I). En revanche, dans le cas contraire, et sous certaines conditions, il résulte des articles 370 et suivants du Code de procédure civile que le décès d'une partie provoquera l'interruption de l'instance. Dans ce cas, les héritiers conservent la possibilité de reprendre l'instance. Ainsi, la volonté du défunt pourra éventuellement subsister, à travers ses héritiers (II). Dès lors, la question de la transmissibilité de l'action apparaît comme essentielle. I. LA TRANSMISSIBILITE DE L'ACTION La question de la transmission de l'action aux héritiers est relativement complexe. Le caractère personnel de l'action n'est pas un bon critère de la transmissibilité. Certaines actions bien que présentant un caractère éminemment personnel peuvent faire l'objet d'une transmission aux héritiers (A). En revanche, lorsque le litige disparaît, l'action ne peut, de façon systématique, plus faire l'objet d'une transmission aux héritiers (B). A. Inefficacité du critère du caractère personnel de l'action Il est des cas de figure où les textes et la jurisprudence confèrent aux actions un caractère transmissible, malgré le fait qu'elles reposent sur un droit à caractère personnel. Ainsi, le Code civil offre la possibilité aux héritiers de poursuivre les actions relatives à la filiation (art. 322), ou encore les actions en révocation de donation pour cause d'ingratitude (art. 957 al. 2), engagées par leur auteur. De façon similaire, la Cour de cassation estime, tout en reconnaissant leur caractère personnel, que l'action en révocation d'adoption simple (art. 370 du Code civil), l'action visant à établir qu'une personne présente ou non la qualité de français * Doctorant contractuel à l'Université de Strasbourg. 1 Cass. soc., 27 oct 1999, Bull. civ. V, n° 424.

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L'influence du décès d'une partie sur l'instance civile en cours LIONEL DREYFUSS* Il peut arriver que le praticien du droit, au cours de son activité, soit confronté à la mort.

L'évènement funèbre sera alors appréhendé par le droit, et c'est ainsi que la vie pourra reprendre son cours. La procédure civile n'échappe pas plus que les autres branches du droit aux conséquences du décès.

La mise en procédure collective et la dissolution des personnes morales ne sont pas assimilées à la mort, au sens du code de procédure civile, par la jurisprudence1. Elles ne seront pas traitées au cours des présents développements. Cette étude ne sera pas non plus relative à la procédure pénale où le décès de l'intéressé provoque l'extinction de l'instance, l'action civile subsistant, devant le juge civil.

Si c'est une personne physique, partie à une instance, qui décède, il faudra distinguer deux cas selon que l'action est transmissible à ses héritiers ou non. Par application de l'article 384 du Code de procédure civile (CPC), si l'action ne peut être transmise aux héritiers, l'instance s'éteindra (I). En revanche, dans le cas contraire, et sous certaines conditions, il résulte des articles 370 et suivants du Code de procédure civile que le décès d'une partie provoquera l'interruption de l'instance. Dans ce cas, les héritiers conservent la possibilité de reprendre l'instance. Ainsi, la volonté du défunt pourra éventuellement subsister, à travers ses héritiers (II). Dès lors, la question de la transmissibilité de l'action apparaît comme essentielle.

I. LA TRANSMISSIBILITE DE L'ACTION

La question de la transmission de l'action aux héritiers est relativement complexe. Le

caractère personnel de l'action n'est pas un bon critère de la transmissibilité. Certaines actions bien que présentant un caractère éminemment personnel peuvent faire l'objet d'une transmission aux héritiers (A). En revanche, lorsque le litige disparaît, l'action ne peut, de façon systématique, plus faire l'objet d'une transmission aux héritiers (B).

A. Inefficacité du critère du caractère personnel de l'action

Il est des cas de figure où les textes et la jurisprudence confèrent aux actions un caractère transmissible, malgré le fait qu'elles reposent sur un droit à caractère personnel. Ainsi, le Code civil offre la possibilité aux héritiers de poursuivre les actions relatives à la filiation (art. 322), ou encore les actions en révocation de donation pour cause d'ingratitude (art. 957 al. 2), engagées par leur auteur. De façon similaire, la Cour de cassation estime, tout en reconnaissant leur caractère personnel, que l'action en révocation d'adoption simple (art. 370 du Code civil), l'action visant à établir qu'une personne présente ou non la qualité de français

* Doctorant contractuel à l'Université de Strasbourg. 1 Cass. soc., 27 oct 1999, Bull. civ. V, n° 424.

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(art. 29-3 du Code civil) ou l'action par laquelle une personne qui a été placée sous un régime de tutelle ou de curatelle conteste la décision ayant ordonné cette mesure (art. 493 du Code civil), peuvent être poursuivies par les héritiers du de cujus2. La Cour de Cassation a ainsi confirmé à plusieurs reprises une décision de décembre 1992 selon laquelle : « Les héritiers du titulaire d'un droit à caractère personnel peuvent, sauf exception légale ou conventionnelle, poursuivre l'instance »3.

Les héritiers d'une partie décédée pourraient donc exercer une reprise de l'instance introduite par leur auteur, que le droit sur lequel porte le litige présente un caractère personnel ou non. Il demeure pourtant possible d'identifier un critère de la transmissibilité du litige dans la jurisprudence. B. Efficacité du critère de la disparition intégrale du litige

En fait, seule la disparition intégrale du litige consécutive au décès semble être de nature à empêcher l'interruption d'instance de jouer. Par exemple dans le cas du décès de l'un des époux partie à une procédure de divorce, la mort d'un des conjoints provoque la dissolution du mariage (art. 227 du Code civil). Le litige se retrouve alors sans objet. Les prétentions des parties tombent4. De même, il est impossible pour les héritiers de reprendre les instances en séparation de corps (article 296 du Code civil)5, celles relatives à la séparation de biens judiciaire (art. 1443 du Code civil), ou les instances en nullité du mariage (art. 180 du Code civil). Enfin, il est établi depuis longtemps que des héritiers ne sauraient agir pour protéger le droit au respect de la vie privée de leur auteur6.

Ces différents exemples démontrent que lorsque le litige disparaît intégralement, l'action ne peut être transmise aux héritiers, et l'instance s'éteint. Toutefois lorsque tel n'est pas le cas, l'instance fait simplement l'objet d'une interruption.

II. LE DECES, CAUSE D'INTERRUPTION DE L'INSTANCE, PERSISTANCE DE LA

VOLONTE DU DEFUNT

Lorsque l'action est transmissible aux héritiers, et que les conditions fixées aux articles 370 et 371 sont remplies, l'instance est interrompue (A). Le cas échéant, l'interruption aura des conséquences procédurales variées (B).

A. Conditions de l'interruption Selon l'article 370 du CPC le décès d'une partie doit faire l'objet d'une notification.

Toutefois, la loi ne précise pas quelle forme doit prendre cette notification. Il convient de faire application des articles 665 à 670-2 du CPC. Il ne semble pas nécessaire de notifier l'acte de

2 Cass. 1re civ., 14 fév. 1995, Bull. civ. I, n° 82, D. 1996, p. 152, note J. Massip, RTD civ. 1995, p. 684, obs. R. Perrot. 3 Cass. 2e civ., 2 déc. 1992, RTD civ. 1994, p. 165, obs. R. Perrot. 4 Cass. 2e civ., 31 mai 1978, D. 1979, p. 4, note A. Breton ; Cass. 2e civ., 23 nov. 1988, Bull. civ. II, n° 228 ; ou encore Cass. 1re civ., 13 avr. 1992, Bull. civ. I, n° 123, D. 1993, somm. p. 222, obs. M. Grimaldi, JCP éd. G 1993, I, 3676, n° 6, obs. F.-X. Testu cité par N. Fricero, « Interruption d'instance », JCl. Procédure civile, fasc. 678, 2009. 5 Cass. 2e civ., 25 mai 1993, Bull. civ. II, n° 187. 6 Cass. 1re civ., 14 déc. 1999, Bull. civ. I, n° 345, D. 2000, p. 372, obs. B. Beignier, somm., p. 266, obs. C. Caron, JCP éd. G 2000, II, 10241, concl. Petit ; RTD civ. 2000, p. 291, obs. J. Hauser ; Cass. 2e civ, 8 juil. 2004, RTD civ. 2004, p. 714, obs. J. Hauser.

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décès en lui-même. Pourtant la jurisprudence se montre assez formaliste. Ainsi, lorsque la procédure est écrite, une notification d'avoué à avoué ne suffit pas à conférer un caractère régulier à l'opération7. De même, le fait qu'une partie ait eu connaissance du décès de son adversaire ne vaut pas notification. En revanche, la notification pourrait être faite par lettre recommandée adressée aux ayants droit de la personne décédée.

D'après l'article 371 du CPC : « En aucun cas l'instance n'est interrompue si l'événement survient ou est notifié après l'ouverture des débats ». Il en résulte que l'instance en cours n'est pas interrompue, lorsque le décès a fait l'objet d'une notification tardive. Le jugement sera alors rendu à l'encontre d'une personne décédée. Toutefois, cette exigence de la notification préalable aux débats peut être contournée en pratique. En effet, le président de la juridiction saisie possède, en vertu de l'article 444 du CPC, le pouvoir de décider de la réouverture des débats.

En principe lorsque le décès d'une partie a été notifié régulièrement avant l'ouverture des débats, l'instance est interrompue. Dès lors, les conséquences de l'interruption varieront notamment en fonction de l'attitude des héritiers quant à la reprise de l'instance.

B. Effets de l'interruption La juridiction saisie devra constater le décès dans une décision avant dire droit8. Il résulte

de l'article 372 du CPC que tout acte de procédure nouveau serait non avenu. Toutefois cette sanction ne présente, selon toute vraisemblance, qu'un caractère relatif. Un acte non avenu serait susceptible de confirmation, même tacitement. Les seuls à en bénéficier sont les ayants droit du défunt9.

Le mécanisme de l'interruption d'instance peut parfois être difficile à mettre en œuvre. Il est des cas, en pratique, où l'avocat n'est pas informé du décès de son client, lorsque celui-ci survient. Il est possible d'imaginer que n'ayant plus nouvelles de son client, l'avocat décide de ne plus produire d'actes. Si ce cas de figure survient au cours de l'instruction, le juge de la mise en état dispose d'un pouvoir d'injonction et de retrait du rôle, qu'il peut exercer en cas de non-respect des délais convenus (article 763 du CPC). Le juge de la mise en état peut aussi, d'office ou à la demande d'une partie, clôturer l'instruction et renvoyer devant le tribunal (article 780). Il prendra une ordonnance de clôture. En principe, elle n'est pas motivée.

Après interruption, l'instance pourra être reprise. Il résulte de l'article 373 du CPC que la reprise connaît deux modalités différentes : volontaire (à l'initiative des héritiers10, de l'époux commun en bien11, ou de créanciers de la partie décédée ; dans les formes prévues pour la présentation des moyens de défense) ou forcée (à l'initiative de la partie adverse ou du juge : par voie de citation). D'après l'article 374 du CPC : « L'instance reprend son cours en l'état où elle se trouvait au moment où elle a été interrompue ».

Les magistrats vérifieront que la personne qui réalise la reprise d'instance réunisse bien l'ensemble des conditions de droit commun nécessaires à l'exercice d'une action en justice (intérêt, qualité)12. À défaut, la reprise serait irrégulière. Les actes de procédures seront alors non avenus. Ainsi, la preuve de la qualité d'héritier ne peut être établie par le seul certificat

7 Cass. 2e civ., 12 nov 1987, Antonian c/ Cie Générale Accident Fire and Life Assurance Corporation, inédit. 8 Cass. com., 8 nov 1988, Bull. civ. IV, n° 293 ; Cass. com., 11 mars 2003, pourvoi n° 00-12.237. 9 Cass. 1re civ., 9 déc. 1992, Bull. civ. I, n° 308. 10 Cass soc., 4 juin 1987, SA Société des Travaux Publics des Pays de Loire c/ Davy, Bull. civ. V, n° 364 ; Cass. 1re civ., 17 mai 1988, pourvoi n° 86-10.817, inédit. 11 Cass. 2e civ., 13 oct. 1965, Jeanson c/ Ketels Verso Hodre, inédit. 12 Cass. 1re civ., 17 mai 1988, Bull. civ. I, n° 147.

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d'hérédité, pièce que le maire délivre au vu du livret de famille13. Lorsque les héritiers auront fait la preuve de leur qualité, ils pourront reprendre l'instance engagée par leur auteur.

Au terme de cette étude, la possibilité pour les héritiers de reprendre une action intentée par leur de cujus apparaît comme une manière de faire subsister la volonté de leur auteur malgré son décès. En procédure civile, la mort serait donc un terme plutôt qu'une fin.

13 CA Besançon, 15 oct. 1996, JurisData n° 1996-046299.