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L'INTÉGRATION DES FEMMES DANS LE SYSTÈME DE LA RECHERCHE EN FRANCE ET EN EUROPE : ÉTAT DES LIEUX ET INTERROGATIONS Blandine Laperche De Boeck Supérieur | Innovations 2004/2 - no 20 pages 33 à 57 ISSN 1267-4982 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-innovations-2004-2-page-33.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Laperche Blandine, « L'intégration des femmes dans le système de la recherche en France et en Europe : état des lieux et interrogations », Innovations, 2004/2 no 20, p. 33-57. DOI : 10.3917/inno.020.0033 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 13/04/2014 03h25. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 13/04/2014 03h25. © De Boeck Supérieur

L'intégration des femmes dans le système de la recherche en France et en Europe : état des lieux et interrogations

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L'INTÉGRATION DES FEMMES DANS LE SYSTÈME DE LARECHERCHE EN FRANCE ET EN EUROPE : ÉTAT DES LIEUX ETINTERROGATIONS Blandine Laperche De Boeck Supérieur | Innovations 2004/2 - no 20pages 33 à 57

ISSN 1267-4982

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-innovations-2004-2-page-33.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Laperche Blandine, « L'intégration des femmes dans le système de la recherche en France et en Europe : état des

lieux et interrogations  »,

Innovations, 2004/2 no 20, p. 33-57. DOI : 10.3917/inno.020.0033

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Innovations, Cahiers d’économie de l’innovation n°20, 2004-2, pp.33-57.

L’intégration des femmes dans le système de la recherche en France et en Europe : état des lieux et interrogations

Blandine LAPERCHE Laboratoire Redéploiement Industriel et Innovation

Université du Littoral Côte d’Opale Sur la totalité des prix Nobel attribués aux chercheurs

depuis 1901, très peu l’ont été à des femmes1. Le fait d’évoquer Marie Curie (prix Nobel de physique de 1903 et de chimie en 1911), Irène Joliot Curie (prix Nobel de chimie en 1935), ou encore Barbara McClintock (prix Nobel de médecine en 1983), épuise une bonne partie de la liste des célébrités… Se référer à elles pour juger de la capacité des femmes à accéder aux carriè-res universitaires et du déroulement de leur carrière est tout à fait insuffisant. Certes, leur carrière n’a pas été un chemin jalonné de roses (par exemple, on a longtemps refusé à Marie Curie une chaire à l’université et elle ne l’obtint qu’à la mort, et donc en remplacement, de son mari)2. Mais la reconnaissance qu’elles ont finalement obtenue dans le milieu scientifique, et pour certaines au-delà, reste très exceptionnelle. Les nommer, disent les sociologues, c’est en quelque sorte les exclure, tant elles sont peu représentatives de l’accès des femmes aux plus hauts statuts de l’université et de la recherche.

Quelle est la place des femmes dans l’université et dans les institutions de recherche européennes et françaises ? Quels

1 758 prix Nobel ont été attribués depuis 1901 (jusqu’en 2003 inclus) dont 31 à des femmes et parmi ces 31 prix, 20 ont récompensé un travail de recherche (les autres étant attribués au nom de la paix) : 2 en physique, 3 en chimie, 6 en médecine, 9 en littérature, http://www.nobel.se 2 Ce n’est pas le seul exemple. L’économiste britannique Joan Robinson (1903-1985) – qui n’a pas eu de prix Nobel mais qui a acquis une certaine renommée parmi les économistes du courant keynésien – n’a pu avoir de poste de « professeure » à l’université de Cambridge qu’en 1965, après plus de 30 ans de carrière et de nombreux écrits célèbres (G. Harcourt, 2001).

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sont les facteurs explicatifs de cette présence « marginale » des femmes ? Quelles sont les perspectives dans un contexte de mutation des institutions d’enseignement et de recherche en Europe ? Les études statistiques récentes sur le sujet (récentes car on ne se préoccupe que depuis peu de la production de statistiques sexuées) montrent que les femmes sont minoritai-res dans l’enseignement supérieur et la recherche. Leur présen-ce tend de plus à se concentrer dans certaines disciplines et, plus on monte dans la hiérarchie des statuts, moins les femmes sont nombreuses. Comment expliquer ce « gaspillage » des ressources intellectuelles féminines ?

Sur la base des nombreuses enquêtes et travaux réalisés par les sociologues sur le sujet, nous pourrons proposer deux principaux ensembles d’explications. Les explications liées à l’histoire, et en particulier à l’histoire des universités, tradition-nellement considérées comme un monde « d’hommes ». Les explications liées à la socialisation, c’est-à-dire à la place assignée aux femmes dans la société et par la société. L’édu-cation et la vie familiale sont des éléments déterminants. Mais, pour juger de la situation des femmes dans la recherche, il faut aussi prendre en compte les institutions dans lesquelles elles évoluent. Ces institutions – les universités et les institutions publiques de recherche – ont aujourd’hui de nouveaux rôles à jouer, aux côtés des fonctions traditionnelles d’enseignement et de recherche. Pour accroître la compétitivité des entreprises, dans un contexte de concurrence mondiale fondée sur l’inno-vation et pour élargir les capacités d’autofinancement, les uni-versités et les institutions publiques de recherche sont appelées à coopérer de manière plus étroite avec les entreprises. Cette marchandisation (transformation des résultats de la recherche en produits commercialisables) et cette marchéisation (intro-duction de règles de fonctionnement et d’évaluation issues du marché) de la recherche publique ne vont-elles pas conduire à fragiliser davantage la place des femmes ?

LA PLACE DES FEMMES DANS L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET LA RECHERCHE EN EUROPE : REPERES STATISTIQUES

La construction de statistiques sur le travail des femmes est

une préoccupation récente. De plus, les statistiques sont une simplification de la réalité. Concernant le marché du travail, les statistiques sont construites, ainsi que l’explique P. Bollé

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(2002), selon une conception qui stipule que le marché du travail est constitué de « travailleurs typiques » (un homme qui exerce un emploi régulier, à temps plein, dans l’industrie). D’une part, la production de statistiques sexuées est contra-dictoire avec cette norme et d’autre part, les femmes exercent souvent des emplois atypiques (temps partiel, emplois pré-caires,…). Les statistiques sur le travail des femmes sont donc souvent inexistantes ou incomplètes. Comme le rappelle F. Gaspard (dans H. Delavault et al., 2002, p.15), le constat des grandes divergences entre pays européens concernant le nombre de femmes élues au sein des parlements nationaux a été fait lors d’un colloque organisé à Athènes en 1992 par la Commission européenne, sur les femmes et la prise de déci-sion. A partir de cette date, le mouvement en faveur de la pari-té s’est développé et les femmes ont demandé des statistiques sexuées dans tous les secteurs d’activité. Leur but est de comprendre et de combattre les disparités entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, et plus particulièrement là où se prennent les décisions. Dans la résolution du 20 mai 1999 concernant les femmes et les sciences, le Conseil euro-péen de la recherche a invité les Etats membres à mettre à disposition les informations existantes sur l’équilibre entre les sexes au sein du personnel employé dans la recherche et le développement. La Commission européenne a institué en 1999 un groupe de fonctionnaires nationaux (le groupe d’Helsinki sur les femmes et les sciences, voir www.cordis.lu) visant à promouvoir la position des femmes dans la recherche scien-tifique au niveau national. Les statistiques sur la place des fem-mes dans la recherche et l’enseignement supérieur en Europe présentées ci-dessous sont, sauf mention contraire, issues des premiers documents de synthèse des travaux menés dans ce cadre (Osborn M. et al., 2000 ; Laafia I, Laarsson A., 2001). Elles permettent de faire trois constats principaux : première-ment, les femmes sont minoritaires dans les effectifs de la recherche en Europe ; deuxièmement, la proportion de cher-cheuses varie selon la discipline scientifique et le pays ; enfin, le « plafond de verre », que l’on peut constater dans l’emploi féminin, est particulièrement présent dans l’enseignement su-périeur et la recherche. Nous développons ci-dessous ces trois constats, en comparant les différents pays européens et en mettant l’accent sur la situation française.

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Les femmes enseignantes-chercheuses et chercheuses : une minorité active en Europe

Les femmes représentent en moyenne dans l’Union euro-péenne environ 30% des effectifs de chercheurs dans l’en-seignement supérieur et 34% dans le secteur des établissements publics de recherche pour les pays pris en compte (voir gra-phiques 1 et 2). En revanche, dans la recherche industrielle (secteur des entreprises), les femmes représentent moins de 15% des chercheurs. Graphique 1 Répartition des chercheurs par sexe (en %) dans le secteur de l’enseignement supérieur en termes d’effectifs en 19991 (Eurostat)

1 Exception à l’année 1999 pour D, E, P, FIN, UK : 1997 A, 1998 ; UE ne comprend pas L. Estimations. Exception aux données en effectifs : D, E, NL : EPT ; exception à la définition des chercheurs du manuel de Frascati : B, I, NL, FIN, UK.

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Graphique 2 Répartition des chercheurs par sexe (%) dans le secteur des établissements publics de recherche en termes d’effectifs 19991 (Eurostat)

Dans l’enseignement supérieur, aucun pays ne rompt la

prédominance masculine et seuls quelques pays enregistrent une présence féminine supérieure à 40% : il s’agit de l’Irlande, la Grèce et le Portugal. La présence féminine la plus faible est observée en Belgique aux Pays-Bas et en Allemagne, où moins de 20% des personnels de l’enseignement supérieur sont des femmes. Dans les établissements publics de recherche, les inégalités sont également fortes, sauf au Portugal où la part de chercheuses (53%) dépasse celle des chercheurs (47%). Les pays qui présentent la plus faible proportion de chercheuses dans l’enseignement supérieur – Belgique, Allemagne, Pays-Bas – ne sont pas disponibles pour le secteur des établissements publics de recherche.

Dans les deux cas, la France est très proche de la moyenne européenne. D’après les données de Eurostat, elle se situe dans la moyenne européenne pour la part des chercheuses dans l’enseignement supérieur et un peu au-dessus pour la part des chercheuses dans les établissements publics. Le livre blanc du ministère de la Recherche2 intitulé Les femmes dans la recherche

1 Exception à l’année 1999 pour E, P : 1997 A, 1998 L : 2000. L’UE ne comprend pas B, D, NL, FIN, S, UK. Estimations. Exception aux données en effectifs : E : EPT. 2 Une « Mission pour la parité en sciences et en technologie » a été créée par R.G. Swartzenberg (alors Ministre de la recherche) par arrêté du 18 septembre 2001. Elle a pour but selon les mots du Ministre de mettre en œuvre, en coopé-

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française (2002) précise qu’en France les femmes sont de surcroît plus nombreuses dans la recherche publique (30% des effectifs) que dans la recherche en entreprise (19% des ef-fectifs). Ce document montre aussi une amélioration de la place accordée aux femmes au cours des années récentes. En effet, de 1992 à 1999, les effectifs de femmes dans la recherche (publique et privée) ont progressé de plus de 30%, soit une croissance supérieure à l’ensemble des emplois de chercheurs (21% de croissance dans la recherche publique et 11% dans la recherche privée). C’est, de plus, dans la région parisienne que la situation est la plus favorable à l’emploi des femmes (compa-rativement aux autres académies) alors que, comme le note H. Delavault et al. (2002, p.27), les grandes universités de province ont parfois un taux de féminisation du corps professoral extrê-mement faible (par exemple 3%). L’amélioration de la place accordée aux femmes s’inscrit dans celle de la population active française puisque la part des femmes est passée de 44% en 1992 à 46% en 2000. Notons également que dans l’emploi total, la part des femmes exerçant le métier de professeure1 ou une profession scientifique (y compris professeurs du secon-daire) est plus élevée que la part des hommes, et l’écart entre la proportion d’hommes et de femmes exerçant ces professions augmente constamment depuis le milieu du XXème siècle (voir graphique 3).

ration avec l’unité « Femmes et Sciences » de la Commission européenne, les mesures permettant de renforcer la place des femmes dans les études et carrières universitaires et dans un premier temps d’établir des statistiques par genre. 1 Le mot « professeur » est un nom masculin. Dans une perspective de fémini-sation des noms de métiers, nous ajoutons un « e » à la fin du mot professeur.

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Graphique 3 Femmes et hommes professeurs ou exerçant une profession de scientifique (y compris professeurs du second degré) en pourcentage de la population active en France (années 1954 et 1975 : recensement INSEE. Pour 2002 : Enquête emploi, INSEE, 2002).

Pour l’enseignement supérieur et la recherche, cette fémi-

nisation est toutefois « différenciée » selon les disciplines, mais aussi selon les statuts (voir par exemple M.F. Fave-Bonnet, 1996), comme c’est le cas aussi pour l’ensemble de l’Europe. Le choix des sciences sociales, humaines et médicales

Dans l’ensemble de l’Europe, les femmes choisissent en premier lieu, lorsqu’elles sont enseignantes et chercheuses à l’université, les sciences médicales, les sciences sociales et hu-maines (voir graphique 4). Il en est de même lorsqu’elles sont chercheuses dans les établissements publics de recherche. Dans tous les cas, les disciplines où elles sont les moins nombreuses sont l’ingénierie et la technologie et, dans une moindre mesure, les sciences naturelles1.

Il en est de même en France où les taux les plus élevés de participation des femmes se situent dans les sciences humaines et sociales, les sciences du vivant, la chimie et la médecine ; ces

1 Notons que pour la France, il n’y a pas de séparation entre sciences naturelles et sciences médicales.

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taux étant plus faibles dans les mathématiques et la physique mais aussi dans les sciences de l’ingénieur. En ce qui concerne la recherche en entreprise, le livre blanc note que les branches d’activité des entreprises présentant les plus fortes participa-tions des femmes recoupent les disciplines les plus féminisées de la recherche publique : les femmes sont plus présentes dans l’industrie pharmaceutique, la chimie et les industries agroali-mentaires, de même que dans les sciences du vivant et la chi-mie en université alors qu’elles boudent les secteurs de l’auto-mobile et de l’aéronautique, de même que les sciences pour l’ingénieur à l’université. Cette féminisation « différenciée » se-lon les disciplines l’est également selon les statuts, en Europe comme en France. Graphique 4 Répartition hommes/femmes par discipline (moyenne européenne en pourcentage), dans l’enseignement supérieur 19991, Eurostat, 2001.

Le « plafond de verre »

Dans l’ensemble de l’Europe en 1999, les femmes occupent 26% des postes trois grades confondus : professeurs assistants (C), professeurs associés (B), professeurs (A)2. Mais on remar-

1 UE sauf E, EL, L. Estimations. 2 Classification ETAN, Politiques scientifiques dans l’Union européenne : intégrer la dimension du genre, un facteur d’excellence (toutefois dans certains pays, comme la France, il n’a que deux grades universitaires élevés : professeurs et professeurs associés). Cette classification du personnel universitaire n’est pas reconnue à

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que qu’elles sont plus nombreuses au niveau le plus bas du corps professoral. Plus on grimpe dans les échelons, moins les femmes sont nombreuses. C’est l’illustration du « plafond de verre » (voir graphique 5). Celui-ci évoque la difficulté pour les femmes d’atteindre les postes de pouvoir. Ce plafond de verre existe tant dans le domaine de l’enseignement et de la recher-che que dans les autres activités professionnelles (voir P. Bollé, 2002). Le groupe d’Helsinki utilise la métaphore du « tuyau percé » (en anglais leakely pipeline) qui traduit le fait que le nombre de femmes diminue de façon disproportionnée à chaque échelon de la carrière universitaire (Osborn et al., 2000). Si l’on prend en compte dans cette même analyse les sta-tistiques des diplômés de l’enseignement supérieur, hommes et femmes confondus, c’est un graphique en ciseaux qui appa-raît où la courbe des hommes s’élève et celle des femmes s’af-faisse. Cette tendance est confirmée par l’édition 2003 des indi-cateurs scientifiques et techniques européens (Commission eu-ropéenne, 2003). Graphique 5 Répartition hommes/femmes selon le grade universitaire, moyenne européenne en 1999, Eurostat, 2001.

l’échelle internationale, mais elle a été élaborée afin d’obtenir un degré de compa-rabilité des données nationales en ce domaine.

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La situation de la France est, selon cette classification, une des meilleures d’Europe, puisqu’elle compte d’après le rapport ETAN 34% de femmes parmi les maîtres de conférences et 14% parmi les professeurs d’universités (Osborn M. et al.). Pourtant, en France, selon le livre blanc du ministère de la Recherche (2002), la promotion des femmes est toujours plus difficile que celle des hommes. Ainsi en 2000, la proportion de directrices de recherche et de femmes professeures parmi les chercheuses et enseignantes chercheuses est de 20%, toutes disciplines confondues, alors que cette proportion est de 44% chez les chercheurs et les enseignants-chercheurs. Ce qui re-vient à dire, ainsi que le démontrent H. Delavault et al., qu’un homme a approximativement deux fois plus de chance qu’une femme de devenir professeur. Les auteurs poursuivent en expliquant que « si on voulait la parité exacte aujourd’hui dans les postes de professeurs des universités, il faudrait remplacer 480 hommes professeurs de Droit par des femmes, 1400 pro-fesseurs scientifiques masculins par des femmes et 1700 pro-fesseurs des disciplines de Santé par des femmes ! Les auteurs de ce rapport ne préconisent pas des mesures aussi extrêmes mais cette présentation donne une mesure de l’ampleur du déséquilibre actuel… » (p.26). De fait, l’argument souvent avancé selon lequel le faible nombre de femmes professeures s’expliquerait par le fait qu’elles sont moins nombreuses n’est pas une argumentation suffisante. En effet, les auteurs notent que là où les femmes sont nombreuses comme maître de conférences, par exemple en biologie, biochimie, physiologie et pharmacie, leurs perspectives de promotion au rang de pro-fesseures n’en sont pas améliorées et sont même dans ces cas précis, particulièrement mauvaises. Le principal point d’achop-pement se situe selon elles entre la nomination en tant que maître de conférences et la candidature à la qualification de professeur. Le barrage essentiel étant l’habilitation à diriger des recherches.

Selon le livre blanc du ministère de la Recherche (voir aussi OST, 2002), la participation des femmes aux instances de décisions, d’orientation et d’évaluation est bien plus faible que les hommes mais en progression, passant de 15% à 23% entre 1988-1999 et 1999 à 2001. Cette progression est observable, quel que soit le mode d’accession : les femmes représentaient moins de 10% des membres élus dans les instances scienti-fiques au cours de la période 1984-1988 et 27% sur la période la plus récente. De même, la proportion de femmes nommées est passée de 4% à 21% au cours des mêmes périodes. Le

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nombre de femmes présidentes a, quant à lui, doublé entre les périodes débutant en 1994 et en 1999 (de 7 à 15) alors que le nombre d’hommes présidents n’a pratiquement pas changé. Selon les disciplines, la participation des femmes dans les instances d’évaluation scientifique est en général plus forte là où elles sont les plus nombreuses (sciences du vivant, sciences humaines et sociales, mathématiques), qu’en sciences pour l’ingénieur, par exemple. QUELLES EXPLICATIONS ? L’université est un monde d’hommes

L’université est, comme l’Eglise, un « monde d’hommes » (Fave-Bonnet, 1996). La faible présence des femmes et les difficultés qu’elles rencontrent dans l’évolution de leur carrière trouvent alors une partie de leur explication dans cette relation forte entre homme et savoir et, de fait, entre homme et université. Les universités européennes se sont développées à partir du XIIIème siècle et il faut attendre le XIXème siècle pour que les femmes y obtiennent un droit d’entrée.

En France, la présence féminine dans les cursus supérieurs date de la fin de XIXème siècle et non pas, selon une idée reçue, de la seconde moitié du XXème siècle (voir encadré). Pourtant, leur place est alors bien limitée. Comme l’explique D. Gardey (2000), les femmes doivent définir de nouvelles normes (l’étudiante, différente de la femme) et l’université doit aussi s’adapter à leur présence. Cette adaptation n’est pas aisée car les femmes sont considérées comme « apportant leurs hu-meurs, leurs corps sexuées, leur incapacité à être des êtres désincarnés et de raison (c’est-à-dire émancipés des contraintes de la nature) que sont les jeunes hommes de la bourgeoisie ». Dans son article sur les premières étudiantes de l’Université de Paris, C. Christen-Lecuyer (2000) rappelle que la première femme qui est autorisée à passer son baccalauréat en 1861, Ju-lie Victoire Daubié, a 37 ans et elle a dû solliciter cette autori-sation pendant 10 ans. Ce n’est qu’en 1960 que la parité est obtenue pour les diplômés du baccalauréat en France et en 1971, le nombre de bachelières dépasse le nombre de bache-liers. L’accès des femmes à l’enseignement supérieur est aussi difficile. Les universités s’ouvrent timidement aux femmes, d’abord en province, puis à Paris (en 1867, Emma Chenu, deuxième bachelière de France est accueillie à la faculté des

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sciences de Paris). Les étudiantes, au nombre de 400 représen-tent 3% du total des étudiants en 1900 ; elles représentent 12% des effectifs en 1920 et 28% en 1935. Si l’étudiante est, selon l’auteur, le « nouveau personnage social sous la troisième Ré-publique » dont l’accès est favorisé par la guerre qui joue comme un accélérateur1, son accès à l’enseignement supérieur « ne vaut pas l’accès au diplôme ni à l’emploi ». Quelques fem-mes obtiennent la licence dès 1868 (date à laquelle E. Chenu est la première à obtenir ce grade, en mathématiques) mais les licenciées n’apparaissent de façon plus fréquente qu’à partir du XXème siècle. Pour le doctorat, les femmes l’obtiennent dès 1870 (en médecine pour la première d’entre elles) mais là aussi, elles restent longtemps peu nombreuses.

La mixité pose d’emblée problème (Christen-Lecuyer, op. cit.). Les étudiants, les professeurs profèrent souvent des in-sultes à l’égard des femmes et, pour garantir leurs bonnes mœurs, celles-ci doivent nier leur féminité (l’étudiante ne doit pas être désirable, attribut réservé à la femme) ; des places leur sont réservées dans les amphithéâtres parisiens et elles doivent y être accompagnées de leur mère ou de leurs maris. L’autorisation d’assister aux séances du soir de la bibliothèque sainte Geneviève dans les dernières années du XIXème siècle est l’objet d’une intense correspondance entre l’administrateur de cette bibliothèque et le Ministre, appelé à statuer sur cette question, dans laquelle on peut lire les doutes de l’administra-teur en question : « Si cette interdiction était levée, on pourrait craindre qu’au bout de peu de mois, la salle de bibliothèque située au milieu du même quartier ne devint un lieu de rendez-vous, plus commode que les cafés du quartier ou même que le trottoir du boulevard Saint-Michel » (Charmasson T., 2000). Dans l’enseignement technique, les femmes ne sont autorisées que très tardivement en France à suivre les cours des écoles prestigieuses. Ainsi, l’école Polytechnique ouvre ses portes aux filles en 1972. De fait, elles ne représentent que 13% des effectifs en 1995 ; d’autres pays sont bien plus en avance. C’est en Russie qu’est créée la première école technique supérieure au monde pour les femmes en 1906 (Gouzévitch D., Gou-zévitch I., 2000).

Dans les entretiens réalisés par H. Delavault et al. (2002), cette idée, selon laquelle l’université est d’abord un monde

1 C’est aussi en 1916 qu’est créée HEC jeunes filles, par Louli Sanua dans un contexte favorable, du fait de la disparition d’un grand nombre d’hommes qui occupaient des postes de responsabilité et qui, décédés pendant la guerre, devaient être remplacés (Delorme-Hoechstetter, 2000).

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d’hommes persiste. En entrant dans la carrière universitaire, les femmes entreraient ainsi dans « la cour des grands ». Si elles sont visibles à l’université, elles le sont davantage dans l’admi-nistration, ce qui – selon les auteurs –, rend pertinente la ques-tion des espaces publics et privés. « L’espace de l’université devient un lieu central où les femmes recréent un espace privé en y obtenant des postes de gestionnaires. Cette configuration suit une logique, elle s’articule autour de la symbolique du dedans/dehors, du privé/public. On peut se demander si para-doxalement, on n’assiste pas à une transposition des espaces. L’espace de l’université devient alors l’espace du dedans, l’espace privé des femmes. L’espace du dehors constitué par les colloques internationaux, les contrats de recherche, la présence dans les comités de lecture, devient le lieu du dehors où s’exerce le pouvoir des hommes » (p.127-128). En ce qui con-cerne les difficultés que rencontrent les femmes dans le dérou-lement de leurs carrières, le faible nombre de femmes qui de-viennent professeures, leurs promotions plus incertaines…, les auteurs recommandent une étude plus fine des freins que peuvent rencontrer les femmes pour le passage de l’habili-tation, mais aussi au niveau local, les freins qui peuvent exister dans le fonctionnement des commissions de spécialistes. « Il serait aussi indispensable d’accéder à des dossiers de can-didatures d’hommes et de femmes pour voir si le jugement des pairs ne comporte aucun biais … » ajoutent les auteurs (p.31). C’est une idée que partage également N. Bécarud (2000), selon laquelle « Il semble bien que le fond du problème tienne au mode de sélection par des pairs réunis en commission où justement les hommes sont majoritaires. Ils s’y montrent peu enclins à transmettre le pouvoir à des individus, les femmes, qui apparemment n’entrent qu’à reculons dans les réseaux qui assurent une certaine continuité dans la répartition des postes » (p.200). Les freins institutionnels, liés à la prégnance de l’idée selon laquelle l’université est un monde d’hommes, sont donc importants et expliquent pour une part les difficultés que ren-contrent les femmes universitaires. Mais d’autres freins existent, davantage liés à la socialisation, ou encore la place assignée à la femme dans la société et par la société, et ceci, dès le plus jeune âge.

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Encadré Grandes dates. La scolarisation des femmes et leur entrée à l’université en France. 1836 : une loi facultative demande aux communes d’ouvrir des écoles de filles. Les maires préfèrent s’en tenir à la tradition et se contentent d’écoles paroissiales dont ils ne payent pas le personnel 1850 : la loi Falloux favorise l’enseignement confessionnel 1861 : Julie Victoire Daubié est la première femme à obtenir le baccalauréat à Lyon 1863 : première inscription féminine à l’université de Lyon 1866 : autorisation donnée aux femmes par Victor Duruy d’assister au cours des universités. Auparavant, seul le droit de passer les examens leur était accordé. Mais les femmes devront se battre pour faire entrer cette autorisation dans la pratique 1867 : loi Victor Duruy. Toute commune de plus de 500 habitants est obligée d’ouvrir une école primaire de filles 1867 : la faculté des Sciences de Paris accueille Emma Chenu, la deuxième bachelière de France 1868 : Emma Chenu obtient la licence ès-Mathématiques à la faculté de Paris 1870 : une anglaise, Miss Garret obtient son doctorat de Médecine à Paris 1871 : première inscription féminine à la faculté de Lettres. Julie Victoire Daubié est la première licenciée en Lettres à la faculté de Paris 1879 : loi Paul Bert. Création de 67 Ecoles normales féminines destinées à former les institutrices. Pour les hommes, les écoles normales ont été créées en 1833 1880 : la loi Camille Sée jette les fondements d’un enseignement secondaire laïque pour les filles. Les programmes diffèrent fortement de ceux des garçons : pas de baccalauréat mais un diplôme d’enseignement secondaire délivré cinq ans après l’entrée en sixième. Le latin, le grec et la philosophie ne sont pas enseignés. La loi C. Sée a pour but de former des épouses et des mères cultivées mais non des bachelières 1883 : création de l’Ecole Normale supérieure de Sèvres chargée de former les femmes professeures de l’enseignement secondaire féminin 1884 : première inscription féminine à la faculté de Droit 1887 : Sarmiza Bilcescu (de nationalité roumaine) est la première licenciée en Droit 1888 : Louise Amélie Leblois est la première femme docteur ès-Sciences, à la faculté de Paris 1890 : 71,3% des étudiantes inscrites à l’université de Paris sont des étrangères. Elles ouvrent la voie aux étudiantes françaises. Sarmiza Bilescu est la première à obtenir le doctorat de Droit 1893 : l’Ecole de Pharmacie accueille sa première étudiante 1895/1896 : E. Barthélémy est la première femme à obtenir le diplôme supérieur de Pharmacie (Montpellier) 1902 : Marie Curie obtient le premier doctorat de Sciences Physiques 1913 : mise en place de l’apprentissage du latin et du grec dans les Lycées et collèges féminins 1914 : pour la première fois, deux femmes obtiennent le grade de docteur

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à la faculté des Sciences de Paris 1916 : création d’H.E.C. jeunes filles 1924 : décret de L. Bérard, Ministre de l’instruction publique. Les lycées de jeunes filles pourront organiser « un enseignement facultatif dont la sanction est le baccalauréat » où « les programmes appliqués seront les programmes de l’enseignement des garçons » 1925 : création de l’Ecole Polytechnique Féminine (devient mixte en 1994) 1960 : le nombre de bachelière devient égal au nombre de bacheliers 1970 : c’est seulement à partir de cette décennie que l’unification des agrégations, décidée en 1924 est réalisée 1971 : le nombre de bachelières dépasse le nombre de bacheliers. L’effectif des étudiantes égale celui des étudiants 1972 : l’Ecole Polytechnique s’ouvre aux femmes 1990 : l’effectif des étudiantes des universités dépasse celui des étudiants de 70 000 2001 : création d’une « mission pour la parité en science et en technologie » par le ministère de la recherche Sources : C. Baudelot, R. Establet, (1992) ; C. Christen-Lécuyer C., (2000) ; M. Delorme-Hoechstetter (2000) ; G. Duby, M. Perrot, (tome IV sous la dir. de G. Fraisse, M. Perrot, tome V sous la dir. de F.Thébaud) (2002), Marry (1995) ; Mosconi, (1994) Les explications par la socialisation : le choix de la discipline

La socialisation des filles, c’est-à-dire la place qui leur est assignée dans la société et par la société – mais aussi celle des garçons –, est privilégiée pour expliquer le choix des filières éducatives d’abord, puis des disciplines préférées par les femmes universitaires. a) Education et auto-sélection ?

A l’école comme à l’université, les filles choisissent davan-tage les lettres et les sciences humaines, les garçons sont majo-ritaires dans les filières scientifiques et techniques. M. Duru Bellat, J-P. Jarousse, M-A. Labopin et V. Perrier (1993) étu-dient l’orientation des filles en fin de classe de seconde et montrent que les différences d’orientation des filles ne pro-viennent pas de leur résultat scolaire, qui est même meilleur que celui des garçons, mais de leur « choix » d’orientation, anticipé sous forme de choix d’options à l’entrée en seconde. Notons que ces choix d’orientation sont valables pour l’Eu-rope entière comme le montre le graphique ci-dessous qui con-cerne l’enseignement supérieur.

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Graphique Pourcentage d’étudiantes dans certains domaines d’études de l’enseignement supérieur (en%) 1998/1999 (Eur-15 sans B, EL, F.P.) Eurostat, 2002.

De même, les meilleurs résultats des filles se confirment et

ce, dans tous les pays de l’OCDE. En effet, à 15 ans, d’après une enquête pilotée par l’OCDE en 2000, les performances des filles sont supérieures à celles des garçons : en France, seule-ment 10% des filles s’y révèlent en difficulté face à la lecture contre 20,5% des garçons. Un écart similaire étant observé dans tous les autres pays participants. Les filles sont plus motivées et plus ambitieuses mais le projet professionnel annonce déjà un désintéressement pour les filières scientifiques (Djider Z., Murat F., 2003). Il s’agit donc d’une « auto-sélection » des filles. Mais que signifie cette auto-sélection ?

La plus grande variété de choix des filles (par rapport aux garçons qui privilégient les filières scientifiques) pour leur filière scolaire (littéraire, économique et sociale, scientifique) peut être considérée comme un effet de la « domination masculine » mais aussi comme une relative liberté des filles par rapport à une plus grande soumission des garçons au modèle masculin de l’excellence mathématique1. Dans le premier cas

1 Notons tout de même que la proportion de filles dans les filières scientifiques progresse, même si elle reste toujours inférieure à celle des garçons (voir Bau-delot, Establet, 1992 ; Marry, 1989, 1995).

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22%

72% 74%

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Lettres et artSciences, mathéma-tiquesinformatique

ingénierieTranfoconstr

santé et protection sociale

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(effet de la domination masculine), c’est l’un des arguments développés par C. Baudelot et R. Establet (1992) dans leur ouvrage Allez les filles ! La surestimation des capacités mascu-lines, l’anticipation de l’avenir par les filles (leurs rôles sociaux), l’aversion pour la compétition expliquent les choix d’orienta-tion des filles et des garçons. Cette aversion des filles pour les mathématiques est construite par la société et s’appuie sur des stéréotypes. C’est ce même processus social qui explique les meilleurs résultats des filles, qui tirent parti de leur capacité à intérioriser les règles pour s’exprimer. Ce qui rejoint le second argument, celui de la plus grande liberté des filles. C’est une des hypothèses que proposent M. Ferrand, F. Imbert et C. Marry (1996), lorsqu’elles étudient l’exemple des normaliennes scientifiques et des polytechniciennes : « Nous faisons l’hypo-thèse que les filles feraient des choix plus libres, plus diversifiés que ceux des garçons car elles seraient moins soumises qu’eux à l’impératif de réussite par la seule voie reconnue de l’ex-cellence, celle des mathématiques » (p.4) et plus loin « Certes, ces choix qu’elles expriment en termes d’attirance ou de goût pour une discipline ou une profession donnée peuvent être lus comme l’effet de l’intériorisation d’un habitus sexué et la réponse à des attentes sexuellement définies. Mais le refus qu’elles expriment souvent d’un investissement exclusif dans les mathématiques et la physique, la volonté de maintenir une formation plus diversifiée ne traduisent-ils que la lucidité des dominés à l’égard des jeux des dominants, alors que la soumission à la logique de l’excellence est par ailleurs incon-tournable pour les dominants, en l’occurrence les garçons ? » (p.17).

Dans ce même débat, celui de l’orientation des filles, M. Duru-Bellat (1990) explique que « les filles ont de bonnes raisons » de se comporter comme elles le font, du fait de ce qui les attend, tant sur le marché du travail : « Vu leurs débouchés aujourd’hui les plus probables (secteur tertiaire, Bl), les orien-tations actuelles des jeunes filles apparaissent donc très rai-sonnables et on ne voit guère l’intérêt qu’elles auraient à jouer les pionnières. En effet, quand elles s’engagent dans des formations traditionnellement masculines, elles s’exposent à des difficultés d’insertion sociale et professionnelle encore plus grandes que quand elles se cantonnent à des filières fémini-sées » (p.197) que dans leur vie personnelle (perspective du mariage plus importante que celle de l’insertion profession-nelle). Notons aussi que les femmes universitaires, dans les filières scientifiques expliquent leur faible nombre notamment

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par la différence « qui s’opère dans la tendre enfance dans la construction du ‘féminin et du masculin’. Les manuels scolai-res, les jeux d’enfants, l’éducation différenciée contribuent à faire croire aux filles que les maths ‘ce n’est pas féminin, c’est pour les garçons’ » (H. Delavault et al., 2002, p.119, voir aussi Mosconi, 1994, chapitre 6 : Institution scolaire et division sexuelle des savoirs).

b) La vie familiale et sociale

Les perspectives de la vie familiale à venir jouent un rôle dans l’orientation scolaire des jeunes filles et le milieu social conditionne ce choix. Par exemple, nombreuses sont les jeunes filles, à qui leurs parents leur ont conseillé de devenir institutrice ou professeure de second degré (dans une discipline littéraire de préférence) pour pouvoir concilier autonomie et vie familiale et surtout parce que ce métier « offre du temps libre et te permettra de t’occuper de tes enfants ». En d’autres termes, un « métier bien pour une femme parce qu’il procure un salaire d’appoint et des loisirs ». Cette image reste présente même si, dans les faits, ce choix correspond à des contraintes ou à des aspirations bien plus vastes (Cacouault, 1987).

En aval, pour les femmes universitaires, la vie familiale freine leur carrière à plusieurs niveaux. D’une part, la mobilité, qui peut être nécessaire pour passer du statut de maître de conférences à professeure ou pour être recrutée, est plus contraignante pour une femme mère de famille que pour un homme dans la même situation. Il en est de même pour la création de réseaux qui nécessitent la participation à des colloques, réunions, etc. D’autre part, le fait de concilier enseignement et recherche pour une femme mère de famille est parfois difficile. D’après l’enquête de H. Delavault et al., les femmes s’investissent davantage dans l’enseignement que dans la recherche. Pourtant, seule la recherche est considérée dans le dossier d’évolution de carrière. Leur entrée dans la recherche est en outre souvent difficile et ce, quel que soit leur âge. « Dans les commissions, une différence est faite entre les deux sexes. Pour les femmes entre 30 et 40 ans, on invoque la question de la maternité et, après 40 ans, on les trouve trop âgées pour être enseignantes-chercheuses car on les soupçonne d’être inactives dans la recherche. A l’inverse, les hommes au fil de l’âge semblent gagner en sagesse et en savoir scientifique. Cela suppose que les femmes ne capitalisent pas de savoir scientifique ! » (p.124). Enfin, les promotions peuvent être freinées car elles sont en tant que femmes mariées, considérées

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comme un salaire d’appoint (l’homme étant le « principal pourvoyeur de ressources » du foyer) : « La commission prend parfois en compte dans les discussions, le salaire du mari, en l’exprimant ainsi ‘Le mari gagne beaucoup d’argent, elle n’a pas besoin de promotion ou de passer professeur’ » (p.134). Pourtant, est-il préférable de rester célibataire ? D’après les entretiens, ce statut comporte à la fois des avantages et des inconvénients. « Pour les femmes, le statut de célibataire permet d’être dans la course de la compétition, car elles n’ont pas d’enfants, pas de mari, elles s’investissent donc dans leur travail et elles deviennent peut-être des rivales » (p.129), pour les hommes mais aussi pour les autres femmes… et subissent leurs réactions jalouses. De plus, celles qui ont réussi à briser le plafond de verre sont soupçonnées « d’avoir raté » leur vie familiale (p.135) et celles qui sont entrées dans la compétition sont considérées comme des femmes qui ont perdu « leur féminité » (p.135). Quelles perspectives ?

La prise de conscience des inégalités entre hommes et femmes à l’université par les institutions publiques et par les chercheurs et les chercheuses, tant en termes d’effectifs que de carrière, n’en est qu’à ses débuts (H. Delavault et al., 2002 ont largement noté dans leurs entretiens la stupéfaction de leurs interlocutrices et de leurs interlocuteurs lorsque leur étaient présentées les statistiques). Les programmes de recherche commandés par la Commission européenne sur la question datent du milieu des années 1990 et des objectifs ont été fixés comme celui d’atteindre le pourcentage de 40% de femmes dans la recherche européenne. Certains pays prennent des mesures drastiques en imposant des recrutements féminins et une grande majorité de pays européens prend conscience de la nécessité d’inscrire la question du genre dans les politiques scientifiques nationales (voir à ce sujet le rapport de 2002 du groupe de Helsinki, T. Rees, 2002). Tout ceci va donc dans le sens d’une amélioration visible de la présence féminine dans le milieu de la recherche. Cette tendance est également remar-quable dans la recherche privée. Le commissaire européen à la recherche, épaulé par une poignée d’entreprises européennes prestigieuses, a lancé lors de la conférence sur « les femmes dans la recherche industrielle » de Berlin (10 octobre 2003) un « signal d’alarme au réveil des dirigeants d’entreprises » pour inverser la situation actuelle de la recherche industrielle euro-

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péenne où 85,1% des chercheurs des entreprises sont des hommes1. Toutefois, une autre tendance est à l’œuvre qui ris-que de fragiliser la position des femmes à l’université et dans les institutions de recherche. Il s’agit d’une mutation impor-tante des secteurs de la recherche et de l’enseignement supé-rieur qui associe réduction des budgets accordés à la recherche et rapprochement des institutions de recherche et des entre-prises. a) Le nouveau contexte de la recherche publique : le rôle du marché

Les universités, tout comme les institutions publiques de recherche, ne doivent plus se contenter de produire et diffuser des connaissances et de former des vagues de jeunes gens. Elles doivent s’intégrer davantage au monde économique et à ses exigences, et notamment celle de l’innovation (OCDE, 1998). Pour « innover » ou encore pour offrir sans cesse aux consommateurs de nouveaux produits et satisfaire leur appétit (largement construit par la publicité) en objets de toutes sortes, les entreprises ont besoin d’entretenir des relations étroites avec les universités et les centres publics de recherche. Ceci afin d’avoir accès le plus tôt possible (et ainsi s’approprier), aux connaissances qu’elles produisent mais aussi de sous-traiter cette partie coûteuse et risquée de leur activité. D’un autre côté, le financement de ces structures de recherche pèse sur les budgets publics confrontés à l’obligation – Union Européenne oblige – de ne pas laisser filer les déficits. Une solution a été imaginée, d’abord aux Etats-Unis dès la fin des années 1970 puis s’est étendue en Europe au cours des années 1980 et 1990 (en France, la loi sur l’innovation qui entérine ces modifi-cations date de 1999), pour concilier cette quête de compétiti-vité (en soutenant l’activité innovante des entreprises) avec la nécessité de trouver de nouvelles modalités de financement. Il s’agit d’ajouter une nouvelle mission aux universités et aux institutions de recherche publique, celle de valoriser les résul-tats de leur recherche. Cette valorisation est de nature écono-mique, elle doit donc trouver sa sanction par le marché.

Par la marchandisation du travail mené dans les laboratoires de recherche (les inventions des laboratoires deviennent, via les contrats et les brevets, des marchandises commercialisables ; les universitaires et les chercheurs sont incités à créer leur

1 A. Kahn, Bruxelles veut stimuler l’embauche de femmes dans la recherche, Le Monde, 21 octobre 2003.

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propre entreprise), les universités et les centres publics de recherche pourront accroître leur autofinancement. Les Etats pourront réduire leur apport financier et donc soulager les déficits publics. C’est ce que fait la France : en 2003, l’Etat décide de réduire de 30% les crédits publics alloués à la re-cherche1. Le corollaire de cette marchandisation/réduction des budgets publics consiste dans la marchéisation, c’est-à-dire l’introduction de règles de fonctionnement, d’évaluation, de sanction (au premier rang desquels la rentabilité et la pro-fitabilité) (Laperche, 2003) dans le travail scientifique (Inno-vations, Cahiers d’économie de l’innovation, 2003). Quelles en sont les conséquences sur la place des femmes dans les universités et les institutions publiques de recherche ?

b) La position fragile des femmes universitaires et chercheuses

Cette nouvelle mission des universités, qui s’ajoute à la diversification de leurs fonctions traditionnelles (formation continue, etc.) a pour conséquence d’élargir les tâches assu-mées par les enseignants-chercheurs. Elle crée aussi une hié-rarchie entre les disciplines, entre celles qui peuvent être va-lorisées et celles qui sont plus difficiles à transformer en inven-tions et en marchandises susceptibles d’intéresser le monde des entreprises. Ces mutations comportent le risque de fragiliser la place des femmes dans l’université.

A leur fonction d’enseignement et de recherche, s’ajoute celle de promouvoir la commercialisation de leurs résultats de recherche. En France, la loi sur la recherche et l’innovation incite les chercheurs a) à participer à titre d’associé ou de dirigeant à la création d’entreprise nouvelle ; b) à participer à l’activité de l’entreprise en apportant un concours scientifique ; c) à devenir membre de conseil d’administration ou de conseil de surveillance (loi n°99-587 du 12 juillet 1999 sur l’innovation et la recherche). En décembre 2001, soit deux ans et demi après cette loi, le ministère de la Recherche comptait seulement 168 chercheurs impliqués d’une des trois façons présentées ci-dessus dans le développement des entreprises. De plus, parmi ces chercheurs 8% sont des femmes : 9 femmes (et 57 hom-mes) ont participé à la création d’entreprises, 3 femmes (et 85 hommes) ont apporté leur concours scientifique et 1 femme (et

1 P. Le Hir, Les chercheurs mobilisés contre l’asphyxie des laboratoires. Tous les organismes, CNES excepté, vont subir une baisse d’environ 30% de leurs crédits publics, Le Monde, 15 mars 2003. En 2004, les réductions budgétaires sont toujours d’actualité et entraînent une mobilisation forte de la recherche française, voir le collectif « Sauvons la recherche », http://recherche-en-danger.apinc.org.

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13 hommes) est devenue membre de conseil d’administration1. La proportion de femmes créatrices d’entreprises issues de la recherche est donc inférieure au pourcentage de femmes créatrices d’entreprises tous secteurs confondus en France, soit 30% selon une étude récente de l’INSEE (C. Rieg, 2003). Les femmes, nous l’avons dit, lorsqu’elles sont universitaires, sont davantage impliquées dans l’enseignement que la recherche et s’insèrent moins facilement (par manque de temps) dans les réseaux. Ceux-ci sont pourtant essentiels pour l’évolution de la carrière mais aussi pour l’activité de valorisation de la recher-che qui découle de relations étroites avec de « nouveaux » ou plutôt de plus systématiques interlocuteurs, les entreprises. Cette nouvelle mission des universités rend alors plus fragile encore la position des femmes, non pas parce qu’elles sont moins aptes à subir la concurrence accrue, mais parce qu’elles sont pénalisées par les activités qu’elles mènent de longue date dans les universités et qui sont celles qui comptent de moins en moins d’après les critères d’évaluation du travail de recherche (l’administration de l’enseignement et de la recherche, l’en-seignement). Les critères d’évaluation sont ceux de la rentabi-lité à court terme du travail de recherche, c’est-à-dire sa trans-formation rapide en nouveaux biens commercialisables ou en nouvelles entreprises.

De plus, et plus directement, cette nouvelle mission confiée aux universités crée ou accentue la hiérarchisation des discipli-nes. Cette hiérarchisation n’est pas nouvelle. Marie-Françoise Fave-Bonnet (1996, p.84) rappelle que cette hiérarchisation est inscrite dans l’histoire de l’université. « Dès 1789, Kant2 distinguait les ‘trois facultés supérieures’ (théologie, droit et médecine), et les autres… ». A l’heure actuelle, la hiérarchie entre les disciplines s’effectue en prenant en compte leur valeur marchande anticipée. Les sciences de la vie et de la matière (physique, chimie, biologie) et tournées vers l’application éco-nomique et industrielle sont les plus susceptibles de voir leur budget augmenter (du fait de l’intérêt des industriels) tandis que les disciplines très fondamentales ou classées dans les sciences humaines et sociales risquent fort de subir de plein fouet les réductions budgétaires. Or, comme nous l’avons vu dans la première partie, ce sont dans ces disciplines que la présence féminine est la plus forte. L’association d’un élar-

1 Ministère de la Recherche, Conseiller Juridique, Direction de la technologie, décembre 2001 et compilation DT C2. 2 Dans l’ouvrage Kant E., Les conflits des facultés en trois sections, rééd. Librairie philosophique, Vrin, 1988, Paris.

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gissement des tâches des enseignants-chercheurs et de la hiérarchisation accrue des disciplines risque de pénaliser doublement les enseignantes-chercheuses et de mettre en péril des pans entiers de la recherche universitaire, pourtant utiles au progrès scientifique et technique à long terme.

En France, comme en Europe, les femmes occupent une

place marginale mais leur position s’améliore (quantitativement plus que qualitativement) dans les carrières de l’enseignement supérieur et de la recherche. Dès la fin du XIXème siècle, les femmes ont été une minorité active, au sens où elles ont par leur acharnement, conquis les titres leur permettant d’accéder à l’enseignement supérieur, ouvert avec force la porte des institutions qui les jugeaient inaptes et/ou dangereuses. Encore aujourd’hui, elles s’efforcent de briser les murs et les plafonds de verre solides qui freinent leur accès aux rôles les plus déterminants où se décident l’avenir de l’école et de l’uni-versité. Cette pression sociale exercée par les femmes mérite d’être rappelée pour apprécier les opportunités offertes d’an-nées en années aux générations successives. Mais si la détermi-nation est certaine, les mutations institutionnelles, qui relèvent des orientations économiques et sociales, peuvent fragiliser l’université, la recherche et plus encore la position des femmes.

L’avenir des femmes dans les structures universitaires et de recherche paraît en effet troublé. Elles sont doublement pénalisées par la priorité donnée, au nom de l’innovation et des économies budgétaires publiques, à la valorisation de la recher-che (contrats avec les entreprises, dépôts de brevets, création d’entreprises). D’une part, parce qu’elles s’investissent davanta-ge dans l’enseignement et dans l’administration de l’enseigne-ment et beaucoup moins dans la recherche. Ce qui limite bien évidemment les opportunités de valorisation. D’autre part, elles sont aussi pénalisées parce qu’elles sont très présentes dans les sciences humaines et sociales, qui offrent des possibilités de valorisation marchande des résultats de la recherche moins larges (ou nettement moins apparentes) que les sciences de la matière ou de l’ingénieur, où les hommes sont plus nombreux.

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