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4.1 29-11-12 Alors aujourd’hui, je vais parler, ça va tourner autour de ce que veut dire le sujet divisé en tant que ce n’est pas une double personnalité, bien sûr. Ca reprendra la question que Françoise Antoine avait soulevée et avait repris après, de même que Roland Reygaerts – il n’est pas ici ce soir, il s’est excusé. Donc la question du sujet divisé en tant que ce n’est naturellement pas la même chose que le sujet pervers et la perversion, ce n’est pas la même chose, ce n’est pas la même chose non plus que le sujet paranoïaque – tout ça étant des figures et non pas des diagnostics à coller sur des personnes. Je parlerai ensuite des formules de la sexuation puis je parlerai – mais tout ça, vous verrez, ça s’enchainera – de la droite infinie en tant qu’elle est le trou et en tant qu’elle implique le Réel. Et puis je terminerai par les questions de la leçon 2, auxquelles Lacan a répondu. Donc c’est la leçon du 9 décembre 1975. Lacan revient des Etats-Unis, où il a fait quelques conférences et il reprend à partir d’une faute, d’une erreur qu’il a faite, qui se fait éventuellement facilement dans la topologie, surtout dans la topologie des nœuds. En topologie des surfaces, on peut dire qu’il est encore relativement facile de ne pas faire de fautes. Mais une fois qu’on est dans les nœuds, il est très difficile de penser aux nœuds et de ne pas faire de faute parce que on est sur le fil et le reste, tout le reste ne se présente que comme une mise à plat. Autrement dit, tout est écrasé. Et bien sûr il reste le dessus-dessous dont vous connaissez la notation, donc on interrompt le trait qui passe en dessous et c’est d’ailleurs toujours dans cette transcription de dessus-dessous qu’il y aura des erreurs. Alors on peut se demander pourquoi relever cette question-là, pourquoi dire qu’on fait des erreurs dans la topologie des nœuds et moins dans la topologie des surfaces et encore moins dans la géométrie classique, pourquoi insister là- dessus, est-ce que c’est purement des considérations pédagogiques sur les mathématiques ? On peut dire qu’en psychanalyse, on suit bien sûr un fil, on suit son fil mais tout le reste n’apparaît que comme une mise à plat. Donc on a au niveau de la psychanalyse des choses qui se présentent avec une platitude, les choses qui se présentent comme des êtres, la jouissance phallique, l’inhibition, le symptôme, l’angoisse, le préconscient, l’inconscient, etc. Alors je pense qu’il n’est pas tout à fait inutile de vous remettre ici au tableau comment les choses sont mises à plat et comment il y a toute sorte de notions qui sont mises à plat. Donc je vous fais le schéma qui est repris notamment dans La Troisième, qui n’est pas repris ici, enfin je ne crois pas – ah oui, il est repris partiellement à certains endroits, peu importe, mais donc une fois que vous avez mis à plat le rond de l’Imaginaire, le rond du Symbolique et le rond du Réel, vous avez naturellement toute une série de régions, de surfaces qui se présentent et qui vont pouvoir avoir des noms. Par exemple, pour commencer par la plus difficile, on pourra dire que ici, vous aurez l’objet a. Donc vous aurez ici un petit triangle – c’est mis à plat donc ce n’est pas un triangle du tout, c’est même absolument

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4.1

29-11-12

Alors aujourd’hui, je vais parler, ça va tourner autour de ce que veut dire le sujet divisé en tant que ce n’est pas une double personnalité, bien sûr. Ca reprendra la question que Françoise Antoine avait soulevée et avait repris après, de même que Roland Reygaerts – il n’est pas ici ce soir, il s’est excusé. Donc la question du sujet divisé en tant que ce n’est naturellement pas la même chose que le sujet pervers et la perversion, ce n’est pas la même chose, ce n’est pas la même chose non plus que le sujet paranoïaque – tout ça étant des figures et non pas des diagnostics à coller sur des personnes.

Je parlerai ensuite des formules de la sexuation puis je parlerai – mais tout ça, vous verrez, ça s’enchainera – de la droite infinie en tant qu’elle est le trou et en tant qu’elle implique le Réel. Et puis je terminerai par les questions de la leçon 2, auxquelles Lacan a répondu.

Donc c’est la leçon du 9 décembre 1975. Lacan revient des Etats-Unis, où il a fait quelques conférences et il reprend à partir d’une faute, d’une erreur qu’il a faite, qui se fait éventuellement facilement dans la topologie, surtout dans la topologie des nœuds. En topologie des surfaces, on peut dire qu’il est encore relativement facile de ne pas faire de fautes. Mais une fois qu’on est dans les nœuds, il est très difficile de penser aux nœuds et de ne pas faire de faute parce que on est sur le fil et le reste, tout le reste ne se présente que comme une mise à plat. Autrement dit, tout est écrasé. Et bien sûr il reste le dessus-dessous dont vous connaissez la notation, donc on interrompt le trait qui passe en dessous et c’est d’ailleurs toujours dans cette transcription de dessus-dessous qu’il y aura des erreurs.

Alors on peut se demander pourquoi relever cette question-là, pourquoi dire qu’on fait des erreurs dans la topologie des nœuds et moins dans la topologie des surfaces et encore moins dans la géométrie classique, pourquoi insister là-dessus, est-ce que c’est purement des considérations pédagogiques sur les mathématiques ? On peut dire qu’en psychanalyse, on suit bien sûr un fil, on suit son fil mais tout le reste n’apparaît que comme une mise à plat. Donc on a au niveau de la psychanalyse des choses qui se présentent avec une platitude, les choses qui se présentent comme des êtres, la jouissance phallique, l’inhibition, le symptôme, l’angoisse, le préconscient, l’inconscient, etc. Alors je pense qu’il n’est pas tout à fait inutile de vous remettre ici au tableau comment les choses sont mises à plat et comment il y a toute sorte de notions qui sont mises à plat.

Donc je vous fais le schéma qui est repris notamment dans La Troisième, qui n’est pas repris ici, enfin je ne crois pas – ah oui, il est repris partiellement à certains endroits, peu importe, mais donc une fois que vous avez mis à plat le rond de l’Imaginaire, le rond du Symbolique et le rond du Réel, vous avez naturellement toute une série de régions, de surfaces qui se présentent et qui vont pouvoir avoir des noms. Par exemple, pour commencer par la plus difficile, on pourra dire que ici, vous aurez l’objet a. Donc vous aurez ici un petit triangle – c’est mis à plat donc ce n’est pas un triangle du tout, c’est même absolument

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sans aucune consistance, quand vous considérez que ce sont des fils, que c’est simplement par la mise à plat que vous pouvez induire, que vous pouvez inscrire certaines choses. Vous aurez ici, si je ne me trompe pas, la jouissance phallique, à l’intersection entre l’Imaginaire et le Symbolique vous aurez le sens et ici vous aurez la jouissance de l’Autre. Donc vous avez une, deux, trois jouissances, l’objet a, etc. ; vous pouvez continuer et puis vous pouvez dire que ce qui tourne autour du Symbolique, c’est, vous le savez, le symptôme, ce qui tourne autour du Réel, c’est l’angoisse et ce qui tourne autour de l’Imaginaire, c’est l’inhibition. Inhibition, symptôme et angoisse, de Freud. Vous pouvez encore continuer et puis vous pouvez dire que de l’autre côté, ce qui tourne aussi autour du Symbolique, c’est l’Inconscient, ce qui tourne autour du Réel, vous pourriez dire que c’est le phallus aussi, et puis vous pouvez encore dire ici, ce qui tourne autour de l’Imaginaire, c’est le préconscient ou la représentation.

Donc vous voyez, vous avez mis à plat, on a mis à plat toute une série de concepts mais ce sont des mises à plat et donc ces concepts ne valent que ce qu’ils valent, càd comme des mises à plat, qui ne correspondent pas à une réalité proprement dite, c’est des façons de parler autour de ce nœud. Donc il faudra toujours se défier de ces mises à plat ou en tous les cas savoir que ce sont des mises à plat.

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4.3

Quand vous avez ce tableau-ci on pourrait dire qu’on a l’ensemble des concepts de la psychanalyse ou en tous les cas pas mal de concepts de la psychanalyse mais Lacan dit : il n’y a pas d’initiation à la psychanalyse (ALI, 35), càd que vous ne pouvez justement pas faire cette mise à plat et se coller à cette mise à plat et dire « voilà, ça c’est la jouissance phallique, ça c’est la jouissance de l’Autre, ça c’est l’angoisse, ça c’est un phénomène de, etc. »

Donc on peut naturellement ajouter tous ces trucs, toutes ces mises à plat comme façons de parler mais ça n’est pas, ça ne vaut pas comme une initiation à la psychanalyse. C’est pour ça que Lacan dit qu’il n’y a pas d’initiation à la psychanalyse, « l’analyse, dit-il, est, en somme, la réduction de l’initiation à sa réalité »(ALI, 35) : au lieu de vous baser sur cette mise à plat, il faut considérer le nœud lui-même. C’est toute l’importance, bien sûr, de ce séminaire. Donc toutes ces notions que vous avez, ce ne sont que des façons d’approcher, de mettre à plat, de donner une consistance à ce qui apparaît comme quelque chose autour desquelles vous tournez mais enfin vous êtes sur un fil et puis ce dont vous parlez c’est tout ce qu’il y a autour et dans lequel vous pouvez vous perdre et faire surtout des fautes quand vous le mettez à plat, des fautes de nœud, vous vous trompez, vous mettez dessus dessous, etc. , vous voyez je me suis permis ici de les mettre tous bien vraiment à plat pour ne pas distinguer ce qu’il y a en dessous et au-dessus, ainsi donc je me trompe carrément ou je ne me trompe pas du tout en ne m’engageant pas du tout. Voilà donc pour « il n’y a pas d’initiation à la psychanalyse » et l’analyse est la réduction de l’initiation, donc de cette mise à plat à sa réalité, sa réalité, on pourrait dire que c’est suivre le fil – mais naturellement, quel est le fil à suivre ?

On a vu qu’un fil intéressant à suivre pouvait être par exemple le fil qui noue les trois autres, la réalité psychique ou le symptôme, par exemple. Mais avec cette remarque que la réalité psychique et le symptôme de la même façon sont foncièrement ambigus et équivoques. Autrement dit que la réalité psychique se noue avec le Réel et que le symptôme – enfin, se noue, forme un faux-trou plutôt avec le Réel – et que le symptôme forme un faux-trou avec le Symbolique. Alors on peut essayer de suivre le fil, on peut remarquer assez vite qu’il est impossible pratiquement de suivre concrètement le fil – heureusement ! Parce que ça fixerait une bonne fois pour toute les croisements et le paysage.

Donc on est reconduit ici à suivre le fil qui noue les trois autres, donc on est reconduit à cette question de l’équivoque fondamentale, càd du quatrième nœud qui permet de quand même soutenir cette structure et donc à l’équivoque totalement fondamentale qui est celle de l’équivoque d’un Symbolique qui ne tient pas, qui ne tient pas suffisamment, avec un symptôme qui ne tient pas non plus suffisamment, mais ensemble, ça fait un faux-trou. Je pense que vous vous souvenez tous de ce que c’est un faux-trou, je ne vais pas le reprendre.

Alors maintenant, le sujet, dit Lacan, n’est qu’une supposition (ALI, 35).

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Alors qu’est-ce que c’est que le sujet, à partir de cette question du nœud borroméen ? Est-ce que c’est l’ensemble du nœud borroméen, on pourrait dire le sujet, voilà, c’est l’ensemble du nœud borroméen ? Ou bien est-ce que le sujet, c’est la réalité psychique qui noue les trois autres ensemble ? Ou est-ce que c’est le couplage lui-même, le couplage par exemple du Symbolique et du symptôme, éventuellement entourés de leur gaine, dans un tore qui leur servirait de gaine – je pense que vous voyez encore bien cette image-là ? Est-ce que c’est ça ou est-ce que c’est autre chose ?

Lacan en tous les cas précise que le sujet, comme tel - donc je laisse ça tout à fait en suspens parce que vous entendrez des analystes qui font de la topologie qui vous donneront l’une ou l’autre version comme leur paraissant assez immédiatement vraie. Je pense que c’est des questions de toute façon qui sont posées et qu’on ne peut peut-être pas décider directement de dire que le sujet c’est l’ensemble du nœud borroméen, que c’est le quatrième rond, que c’est le couplage des deux, etc.

Ce que Lacan dit en tous les cas c’est « que le sujet comme tel est toujours, non pas seulement double, mais divisé » (ALI, 35).

On peut dire d’ailleurs quand il n’y a pas cette division càd quand il y a une continuité bien ordonnée de toutes les dimensions entre elles, s’il y a la continuité entre l’Imaginaire, le Symbolique et le Réel, s’il n’y a aucun saut, s’il n’y a aucun vide entre, on verra que c’est ce qui s’appelle la paranoïa. La paranoïa ou, Lacan dit que c’est exactement la personnalité, càd où toutes les consistances se rejoignent et se prolongent l’une dans l’autre, ce n’est pas le sujet.

Alors qu’est-ce que ça veut dire que Lacan dise que le sujet est non seulement double mais toujours divisé ? Double, on peut voir ce que ça veut dire : je pense que je vous l’ai déjà illustré la fois dernière en parlant du sujet symbolique, c’est lui qui vit sa vie sociale tout à fait correctement, qui va travailler, qui s’engage, qui fait des choses, etc., puis vous pouvez mettre un autre sujet, le sujet de l’inconscient par exemple, où il y a d’autres choses qui se passent et qui ne sont pas du tout de cet ordre, de cette inscription sociale symbolique dans la réalité sociale. Le sujet pervers, tel qu’on en avait parlé la fois dernière, c’est un sujet qui est double et qui est même triple, donc c’est vraiment bien divisé, il y a tous ces registres qui sont... C’est un sujet double ou triple mais divisé, c’est dire autre chose : c’est dire que le sujet comme tel est formé non pas par différentes parties, différentes personnalités que comporterait le sujet, mais par l’ambiguïté. Aucune des deux ou des trois parties ne tiennent tout seul. Et, dit Lacan, il s’agit de rendre compte du Réel de cette division (ALI, 35).

Le Réel de cette division, qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire le problème qui nous occupe depuis le début du séminaire, càd comment le nœud à trois a failli, il y a une faillite dans le nœud à trois – vous vous souvenez de la faillite du Nom-du-Père, qui est bien présent mais qui n’est pas suffisant donc il faut un troisième (quatrième ??) pour le rattraper. Pour expliquer la division du sujet, Lacan précise tout de suite qu’il rejette, enfin qu’il rejette, qu’il n’accepte pas que

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la division du sujet soit comprise dans la conception d’Erich Fromm, qui est un auteur du siècle dernier et qui alliait marxisme et freudisme. Donc la compréhension de l’individu –individu – et de son inconscient, le point de vue de la psychanalyse présupposerait l’analyse critique de la société dans laquelle il vit, donc il y aurait une analyse individuelle et une analyse de la société. Ainsi par exemple, Freud, parce qu’il était un bourgeois de Vienne à une certaine époque, est resté dans, il est resté d’un côté de la division, on n’a pas tenu compte de ça, Freud est resté le bourgeois qu’il était et donc son analyse est nécessairement partielle et partiale et doit être complétée par l’analyse marxiste du milieu dans lequel il vit. Voilà un peu la thèse de Fromm. Naturellement, ce n’est pas du tout ce que vise Lacan par le sujet divisé. Ce n’est pas, naturellement, pour des raisons d’opposition à cette division entre l’individu et le sujet mais c’est parce que cette structure est au fond liée à des contingences historiques et que Lacan vise une structure du sujet divisé qui est en deçà et au-delà au fond de ces contingences historiques. Lacan dit : « Il n’y a de vérité, qu’elle ne puisse que se dire, tout comme le sujet qu’elle comporte, qui ne puisse se dire qu’à moitié » (ALI, 37). Donc c’est la question du dire de la vérité à moitié, du mi-dire de la vérité.

Donc la division n’est pas une division entre un individu et son milieu social mais une division propre au dire lui-même. Il y a peut-être une division entre un sujet et son milieu social mais enfin ça c’est secondaire par rapport à la division du dire et du dit.

Et ça, on peut dire que c’est l’expérience même de l’analyse puisqu’il y a la production de dits, d’une multitude de dits et toujours on ne sait pas d’où ça vient, càd que le dire échappe. Donc vous êtes directement dans l’analyse dans une position d’un mi-dire de la vérité. Que vous perceviez que la vérité est toujours mi-dite, càd que vous pourriez supposer qu’il y aurait d’autres dits qui viendraient la compléter ou que vous parliez du mi-dire de la vérité, donc au sens du processus du dire qui vous échappe totalement, toujours il y a cette expérience d’une division structurale inhérente à la parole et à la vérité.

Alors maintenant je vais reprendre la question que Françoise Antoine posait, précisément celle de la spirituelle bouchère, je pense que c’est un bon exercice puisque on sait quand même que Lacan a porté cette spirituelle bouchère à la fonction de paradigme du fonctionnement du signifiant, du fonctionnement du Symbolique. Je l’ai repris moi-même, ça vaut la peine de voir comment ça fonctionne. Je pense que tout le monde se souvient de cette spirituelle bouchère ? Non ?

Et bien c’est une, la femme du boucher, comme le nom l’indique, qui rêve qu’elle veut donner un dîner à son amie, notamment à son amie mais seulement qu’elle essaie de téléphoner, il ne lui reste qu’un peu de saumon et elle veut téléphoner à l’épicier pour commander ces choses mais c’est congé et donc elle renonce à donner ce dîner à son amie. Voilà donc le rêve, donc c’est un rêve relativement simple et ce rêve, Freud le raconte dans le 4ème chapitre de la

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Traumdeutung après sa thèse que tout rêve est un accomplissement de désir et comme il a dit ça à ses patients en général, tout rêve est un accomplissement de désir, cette spirituelle bouchère lui dit non, moi j’ai rêvé un rêve qui n’était pas un accomplissement de désir, je voulais donner un dîner et justement là je n’ai pas pu le donner donc c’est un désir qui justement est non accompli. Donc le rêve contredit la position de Freud. Donc à partir de là, Freud va dire – pour situer l’affaire- que le rêve n’est pas simplement un accomplissement de désir mais il suppose que le désir est inconscient et que l’accomplissement est déguisé.

Donc il y a tout le travail de l’Entstellung, càd qui est traduit par déformation et qu’on peut aussi traduire peut-être mieux par déplacement ou distorsion, le rêve est tordu, est tordu en fonction de l’inconscient, que c’est un désir inconscient et en fonction du fait que l’accomplissement est déguisé. Donc la thèse de Freud, à partir de là, à partir notamment de ce rêve s’écrira : le rêve est un accomplissement déguisé d’un désir refoulé. Donc on voit que c’est beaucoup plus complexe. Donc bien sûr, si vous traduisez Entstellung par distordu, vous pourrez entendre que vous pouvez lire le rêve mais pas de façon simpliste en mettant les choses à plat et en disant un rêve, je sais ce que c’est le désir, et bien voilà ! Il est accompli, les choses sont mises à plat. Non, il y a cette distorsion qui est en jeu, qui est fondamentale pour le rêve et pour le désir. C’est pour ça que Lacan s’intéresse à la topologie.

Donc voilà le rêve, la fonction de ce rêve et le rapport que ça a quand même directement ou que ça doit avoir avec la topologie, donc la question qui était posée n’est pas une question anecdotique en disant bon, voilà : c’est vraiment une question fondamentale puisque c’est ça qu’il s’agit d’expliquer ; si on ne sait pas expliquer ça, si on ne sait pas faire fonctionner notre théorie des nœuds sur le rêve paradigmatique par excellence où on montre la structure tordue du désir, alors on peut laisser tomber…

Alors ce rêve de la spirituelle bouchère, il a – ici je cite l’interprétation, enfin ce que dit Vappereau, peu importe, ça correspond, première approche, c’est tout à fait comme ça qu’on peut l’approcher. Donc il y a quatre interprétations selon Vappereau, on peut distinguer quatre interprétations dans le rêve de la spirituelle bouchère.

La première c’est la plus simpliste : c’est Freud qui dirait « je vous ai dit que tout rêve est un accomplissement de désir, vous me dites, vous me produisez un rêve qui n’est pas un accomplissement de désir mais vous voyez bien, vous avez le désir de me contredire. Donc vous voyez bien que c’est un désir accompli. Vous m’avez contredit. » Donc première interprétation.

Deuxième interprétation : le rêve est une identification à l’amie en question pour laquelle elle voulait donner ce dîner. Il faut savoir – je reprends – que cette amie est une amie un peu maigrichonne et que le boucher reluque quand même peut-être un peu trop, alors que d’une façon très étonnante, il dit qu’il n’aime bien que les femmes qui sont bien en chair, donc c’est tout à fait bizarre puisque voilà qu’il tombe plus ou moins sous le coup d’une femme qui est tout à fait

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maigrichonne alors que c’est les femmes plantureuses qu’il aime bien. Donc la spirituelle bouchère s’identifie à l’amie dans ce rêve-là.

Troisième interprétation, la spirituelle bouchère s’identifie peut-être au mari, au boucher, au boucher qui a quand même une structure un peu particulière : c’est qu’il a l’air de désirer ce qu’il n’aime pas. Il n’aime pas les femmes maigres et puis voilà qu’il se met à les désirer. Donc on voit bien le désir tordu d’un petit peu tout le monde dans cette affaire-là mais n’allez pas trop vite en besogne et à dire ce sont tous des hystériques ! Moi je suis plus claire avec mon désir… Ce n’est pas si simple. Mais vous voyez la structure tordue.

Quatrième interprétation, elle s’identifie au phallus, càd au saumon, que Lacan interprète comme un symbole phallique.

Donc Vappereau dit que, le propos de Vappereau c’est de serrer au plus près le fait qu’un rêve est susceptible de jusque quatre interprétations différentes. Naturellement c’est gênant parce que si vous donnez une interprétation, les gens en général aiment bien de dire « c’est ça et c’est pas autre chose ». Vous en avez quatre, quatre interprétations différentes et Vappereau interprète – oui, interprète ces interprétations comme des coupures, des coupures dans une surface unilatère : une surface unilatère, c’est une surface où vous pouvez aboutir de l’autre côté de la face sans percer le papier et sans passer par le bord, il suffit que la surface soit tordue et puis vous suivez et vous vous retrouvez tout d’un coup de l’autre côté. Je suppose que tout le monde voit de quoi il s’agit, donc vous avez une bande de Moebius et puis tout d’un coup vous êtes de l’autre côté. Donc ça c’est des surfaces unilatères. C’est naturellement très important dans la psychanalyse puisque nous avons affaire toujours à des choses ambiguës, équivoques, et vous remarquez que – vous remarquez ou vous ne remarquez pas mais enfin c’est souvent le cas, pour ne pas dire toujours : quand on se trouve d’un côté de l’interprétation, on chute très vite du côté inverse. Et vous remarquez par exemple que les personnes que vous étiez supposées aimer univoquement, ben oui, il y a quand même une haine tout aussi univoque qui est là en dessous et qui (soutient la chose). Donc il y a des choses qui se renversent. Vous voyez bien que cette torsion, elle est en jeu dans le rêve.

Donc Vappereau interprète ces interprétations comme des coupures, càd comme des opérations qui vont pouvoir faire une coupure sur la surface de telle sorte que la surface ne soit plus unilatère mais bilatère. L’exemple typique… Une coupe longitudinale. Je m’égare mais enfin tant pis… Si vous avez une bande de Moebius et si vous la coupez par le milieu, donc vous faites passer un trait comme ça, vous aurez une surface qui cette fois va être bilatère. Je ne vais pas (m’avancer) là-dessus parce qu’autrement je m’égare… Croyez-moi, si vous faites l’expérience…, donc il y a moyen de transformer les surfaces et de dire voilà, ça on va bien séparer une face de l’autre.

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Vappereau il interprète ça comme ça, càd autrement dit, il interprète l’interprétation comme quelque chose qui va pouvoir faire le partage entre une face et une autre. Il interprète les interprétations comme ça.

- Et quel serait l’intérêt ?

- C’est la conception de l’interprétation, est-ce que l’interprétation fait ça ? Je pense que c’est l’intérêt, l’intérêt c’est de voir que…

- Qu’on tranche.

- Qu’on tranche, oui et on dit voilà, ça c’est ceci et ce côté-là c’est cela, etc. Donc vous avez quelque chose de tranché. Il me semble que c’est une façon pédagogique de présenter les choses, je ne vais pas insister dessus, le fait de trancher et de dire voilà, ça c’est ceci et ça c’est comme ça, pédagogiquement c’est intéressant.

Mais la spirituelle bouchère, notre chère spirituelle bouchère, peut-être qu’elle présente autre chose et il faut d’abord relever la métaphore fondamentale du rêve, c’est qu’elle rêve du saumon mais le saumon, c’est le plat préféré de son amie, donc elle rêve du plat préféré de son amie, que son amie se refuse aussi pour se faire un petit peu « mousser » – donc vous voyez, les gens sont tordus ! Mais ne croyez pas que c’est parce qu’ils sont tordus : c’est la structure du désir. Donc elle se refuse ce saumon et la spirituelle bouchère, elle, son plat préféré, c’est pas le saumon, c’est le caviar. Pourquoi est-ce qu’elle rêve du saumon et pas du caviar ? C’est quand même plus simple de rêver directement du caviar ? Pourquoi est-ce qu’elle rêve du saumon ? En plus de ça, le caviar, elle joue avec ce caviar avec son mari, elle l’excite à essayer de lui faire, à se faire offrir du caviar tout en refusant, tout un jeu hystérique là-dessus, de nouveau quelque chose de tordu. Donc vous voyez bien que le caviar, pour la bouchère, vaut comme un signifiant, tout à fait symbolique. Donc vous pouvez le noter S puisqu’on est dans le séminaire sur le Sinthome. Donc on peut noter le caviar comme un signifiant pour elle et un signifiant qui fonctionne ma foi tout à fait bien puisque c’est non seulement le caviar qu’elle aime bien mais en même temps c’est une façon de faire un petit peu discuter, de relancer son mari dans

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un jeu, tu me l’offres-tu ne me l’offres pas, vous voyez… C’est vraiment un signifiant, ce n’est pas simplement le caviar, les œufs d’esturgeon, c’est beaucoup plus que ça. C’est un signifiant, il est employé pour autre chose. Mais Bon Dieu ! Pourquoi est-ce qu’il en faut un deuxième : le saumon ? On pourrait dire Ah ben c’est simple, c’est parce qu’elle est jalouse de son amie qui est un peu trop reluquée par son mari : on répondrait alors par un fait actuel. Mais est-ce que c’est vraiment la cause du rêve, que son mari a un petit peu été trop intéressé par l’amie ? Est-ce que c’est vraiment la source du rêve ? Qu’il a un petit peu regardé trop son amie les jours qui ont précédé ?

On sait très bien que le rêve n’a pas pour source uniquement les éléments de la veille. Mais (il est beaucoup plus complexe) Je pense qu’on peut dire que le caviar, même comme signifiant, même avec cette dérive qu’il entraîne et le rapport qu’elle a, qui joue entre le boucher et la bouchère, ne suffit pas à fonder le désir de la bouchère. Ne suffit pas : donc c’est un symbolique insuffisant. Donc c’est dans ce sens-là que la bouchère convoque quelque chose d’autre, on pourrait dire un deuxième signifiant mais qui est tout autre et c’est dans ce sens-là qu’il y a une métaphore, càd une métaphore qui joue sur S et un autre S qu’on pourrait dire le symptôme. Donc le saumon dans le rêve vaut comme symptôme, le signifiant de l’amie. Et on pourrait dire que c’est en tant qu’il forme un faux-trou – et vous voyez bien que là tout est fait pour indiquer le trou et même le faux-trou et le manque à être : ensemble ils renvoient à un manque à être comme tel. Au manque à être comme tel, pas simplement le manque à être de la bouchère qui n’a pas son caviar ou de l’amie qui n’a pas son saumon, mais au manque à être comme tel et donc Lacan insiste dans La direction de la cure sur le peu de sens qui s’avère au fondement du désir. Et ce peu de sens ne peut être mieux indiqué que par ce rapprochement des deux – saumon et caviar, je dirais, pour former un faux-trou.

Lacan note d’ailleurs dans La direction de la cure que c’est bien en raison de cette structure que ça a quand même un petit accent de perversion cette affaire. Et la perversion, avec ce qu’on a dit la dernière fois, on la voit bien sûr, ça ça n’a rien à voir, c’est un assemblage qui est tourné vers, donc c’est des ronds qui n’ont rien à voir entre eux, l’histoire de l’amie avec son saumon et l’histoire de la bouchère avec son caviar, ça n’a rien à voir, c’est deux choses totalement différentes mais c’est mis ensemble justement pour faire tenir une certaine structure, qui n’est autre que la structure du désir . Parce que précisément par-là, par cet assemblage que fait la spirituelle bouchère, ça permet d’y faire passer quelque chose. Ça permet de faire passer la question : comment une autre, l’amie, peut-elle être aimée par quelqu’un qui ne saurait s’en satisfaire ? Et Lacan dit que c’est la question qui est mise au point dans l’identification hystérique. Donc Lacan dit bien, c’est une question, pas une réponse. Alors que vous voyez qu’on peut comprendre l’interprétation comme des réponses. Ici, c’est une question. Et même Lacan va jusqu’à dire, dans La direction de la cure toujours, que cette question, c’est le sujet ici même. Càd que quand on a formé ce faux-trou, qu’est-ce qui peut y passer dedans, éventuellement qu’est-ce que c’est que

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l’homme ou qu’est-ce que c’est que le phallus, qu’est-ce qui s’est passé dans ce trou là et venir former cette image que vous connaissez bien des deux faux-trous qui sont enlacés comme deux tores.

A la suite de ça, d’ailleurs, Lacan dit le rêve est une réalisation de désir, on revient donc à la question fondamentale de Freud, le rêve est une réalisation d’un désir et la spirituelle bouchère, qu’est-ce qu’elle fait, elle dit voilà, regardez ce rêve-là : comment est-ce que vous arrangez ça Professeur, avec ce rêve… ? Et Lacan fait remarquer que les psychanalystes depuis longtemps ne répondent plus à ce genre de questions, que ça ne les intéresse pas. Mais la réponse qu’il donne, c’est qu’ils ne répondent plus parce qu’ils égalent tout simplement le désir et la demande. Càd ils égalent toutes les dimensions dans un seul, enfin ils disent qu’il n’y a qu’une seule dimension. Par exemple que le saumon équivaut au caviar, que le boucher est tout aussi hystérique que les deux autres, etc. Or ce qui est important, c’est de voir comment précisément le désir de l’un n’est là que parce qu’il y a la demande de l’autre et donc que parce qu’il y a ces deux tores enlacés qui, je pense que vous vous souvenez, ne sont que la compactification ou que la présentation dans un écrin des deux faux-trous. Vous vous souvenez de ce dessin que j’avais fait la fois dernière : les deux faux-trous qui sont entourés par deux boyaux et les deux boyaux sont enlacés comme ceci, comme deux anneaux enlacés. Et désir et demande sont la même chose, donc tout ça est court-circuité.

Voilà comment je pense que la question posée pouvait être explicitée. En correspondance, je pense tout à fait avec ce que Lacan dit dans La direction de la cure. A ceci près c’est que il ne considère que les deux tores enlacés alors que maintenant on voit un petit peu plus clair peut-être de comment ces deux tores enlacés sont constitués, ils sont constitués notamment par le faux-trou qu’il y a entre les deux signifiants métaphoriques qui sont toujours distingués comme n’ayant pas de rapport entre eux. Fondamentalement pas de rapport entre eux. Si vous voulez faire une métaphore, il faut que le signifiant métaphorique n’ait pas de rapport avec ce(lui) qu’il remplace sinon ce n’est pas une métaphore. Si je dis à la place de cette feuille je dis ce papier ce n’est pas une métaphore, c’est simplement, ce n’est pas un mot pour un autre, je dois trouver un truc qui n’a aucun rapport, donc ça doit vraiment être bien disjoint pour que ça fasse métaphore et cette disjonction pourtant elle tient ensemble, je dirais qu’elle tient ensemble dans un faux-trou à condition qu’elle fonctionne, qu’elle fonctionne avec tout ce qui peut y passer, qu’elle peut y faire passer.

Je vais revenir peut-être un peu plus loin à propos de ça. Mais avançons.

Donc Lacan à la page 37 (ALI) dit qu’il part de sa condition. Alors à partir du moment où il a parlé de la vérité, de la fonction de la vérité et du mi-dire de la vérité, il dit : « Je pars de ma condition » et en fait on lit la suite et qu’est-ce qu’il nous raconte ? « J’apporte à l’homme une aide contre lui ». C’est un peu fort de café pourrait-on dire, ce qu’il raconte à ce moment-là parce que celui qui fait ça, c’est Dieu ! Il faut quand même bien dire qu’il se prend vraiment, ce n’est pas une condition humaine ou une condition… C’est une condition divine qu’il prend puisque Dieu, après avoir permis à Adam de manger de tous les fruits du paradis terrestre, lui défend cependant l’arbre de la pénétration du bien et du

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mal, lui défend l’arbre de la connaissance et puis tout de suite après, il dit il n’est pas bien pour Adam, pour le Glébeux, comme dit Chouraqui, d’être seul. « Je ferai pour lui une aide contre lui ». Et puis suit le deuxième récit de la création. Dans l’édition de l’ALI, vous verrez qu’il y a une note intéressante qui fait référence à Rachi, un célèbre exégète vivant au XIème siècle en France, qui a influencé Luther, etc., donc qui a eu vraiment beaucoup d’importance, et qui commente la racine, donc je ferai une aide contre lui, le contre, qui correspond à la racine hébraïque neged. Si vous voulez comprendre le contre, prenez le mot de Sacha Guitry, les femmes, je le dis et je le répète, je suis contre, tout contre : vous avez là vraiment cette opposition, cette double entrée de contre, la proximité du soutien et de l’opposition.

Donc Rachi dit donc « une aide qui lui convienne. Si l’homme le mérite, elle sera une aide. S’il ne le mérite pas, elle sera face à lui, adversaire. » (ALI, 37)

Alors pourquoi, comment est-ce que ça se fait que Dieu, Lacan se représente Dieu, est-ce que Lacan est tellement important que c’est notre Dieu ? Je pense qu’il ne faut naturellement pas le comprendre comme ça mais comme dans la puissance de création des structures des formules de la sexuation – de la sexuation dit-on : càd non pas supposer qu’il y a des hommes et des femmes déjà là, mais supposer qu’on va faire quelque chose, une formation, c’est faire, produire des formes, une sexuation, c’est produire le sexe, la sexualité. Donc on fait les hommes, comme dans le récit de la Bible, d’ailleurs, vous voyez bien ce qui est fait, c’est la création de l’homme et de la femme. Donc ce ne sont pas des formules d’observation mais des formules de création. Perspective dans laquelle Lacan se met, se met mais bien sûr se met et met tout qui veut s’y mettre, donc les formules de la sexuation, c’est quelque chose dans lesquelles on se trouve embarqué.

Première formule de la sexuation, on pourrait dire : à condition de ne pas vous accrocher à des points fixes, et ici je reprendrais ce que j’ai mis au tableau, à condition de ne pas vous fixer à des trucs, à des mises à plat, qui sont à peu près définitives, vous voyez que tout ça est bien mis à plat, à condition de ne pas vous fixer à des points fixes, fixés sur le papier, tout, chaque chose, chaque dit, peut servir de moments de relance pour un dire qui nous échappe. Ça c’est quand même assez merveilleux et on voit que ça a rapport directement avec ce qu’il vient de dire, càd avec la question du dire et du mi-dire. Donc on pourrait dire que la formule pour tout x phi de x veut dire simplement à condition de ne pas vous en tenir, de ne pas vous accrocher à ces points fixes ou à cette initiation à la psychanalyse qui croirait qu’on dirait ce que c’est et puis c’est tout : vous pouvez trouver un point de relance dans n’importe quel dire à condition de ça. Donc c’est une possibilité infinie à condition de cesser de s’inscrire dans de la pâte figée. On pourrait dire, alors à ce moment-là, vous serez comme des dieux, donc ce n’est pas simplement Lacan qui est comme un dieu mais c’est « vous serez comme des dieux », formule de la Bible mais c’est aussi, assez curieusement, le titre d’un livre du même Fromm, un autre titre qui est paru la

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même année que le livre cité par Lacan dans la même collection, donc Lacan devait avoir ce livre, si pas sous les yeux, en tous les cas le titre sous les yeux, donc « Vous serez comme des dieux », c’est un livre de Fromm. Vous voyez bien que cette condition divine de Lacan ce n’est naturellement pas la condition personnelle de Lacan, c’est la condition dans laquelle on est introduit. Naturellement, Fromm voyait dans ce « vous serez comme des dieux » la libération du désir politique et sexuel alors que ce que nous voyons dans la première formule de Lacan, c’est la création ponctuelle d’une structure ponctuelle càd une relance ponctuelle de ce qui peut être dit pour tout x, pour tout dit.

Deuxième formule, il faut pourtant pour que ça fonctionne se poser une exception ou se poser en exception, oser s’avancer hors de ce mouvement de relance pour le soutenir.

Et ça, classiquement c’est les deux formules masculines, plus précisément la deuxième formule. La première étant un mouvement de relance tout aussi féminine que masculine. Donc alors Lacan dit qu’il crée une aide contre l’homme et donc s’introduit la négation, le contre des deux premières formules.

Troisième formule, il n’existe pas de x non phi de x. C’est la négation bien sûr de la deuxième formule. Il existait quelqu’un qui pouvait se mettre en dehors de ce mouvement de relance, et bien non, il n’en existe pas. Ce qui correspond à cette position d’homme d’exception Adam, qui est en dehors pour pouvoir nommer les animaux, et bien il n’existe pas ou il ne tient pas, il ne tient sa fonction de création que grâce on pourrait dire à un faux-trou, que grâce à quelque chose qui est absolument opposé à lui, qui ne tient pas (du tout). Et on pourrait donc voir Adam et Eve comme constituants un faux-trou. Càd que prenez la deuxième formule de la sexuation, Adam comme personnage exceptionnel nommant les animaux de la création, ne vaut que parce qu’il tient en même temps avec quelque chose qui est tout à fait contraire à lui, qui est la contradiction, qui est justement qu’il n’existe pas de x non phi de x. Donc on aurait là aussi un faux-trou, étant bien entendu qu’Adam et Eve ne sont pas là avant, comme des personnages séparés qui pourraient exister l’un indépendamment de l’autre, indépendamment de cette sexuation, de ce faux-trou. Ce qui voudrait dire précisément qu’il n’y a pas de rapport sexuel parce que bien sûr il n’y a pas de rencontre, il n’y a pas de rencontre entre les deux puisqu’ils sont totalement disjoints et qu’ils ne valent que par le fait qu’ils fonctionnent ensemble pour créer ce faux-trou et que ce faux-trou ne subsiste que s’il y a cette création qui surgit et qui maintient ce faux-trou. Vous vous souvenez du faux-trou qui doit être maintenu par quelque chose en son centre (autrement) les deux morceaux peuvent facilement se séparer.

Donc la quatrième formule, pas tout x phi de x, c’est l’impossibilité de cerner dans la topologie, notamment la topologie des surfaces, qui ouvre un champ qui dépasse, qui dépasse totalement ce qu’on peut donner dans une topologie des surfaces, dans un sac bien sûr mais même dans une topologie des surfaces, on est donc amenés à considérer que ça le dépasse.

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Alors un peu plus loin, il dit, il va repartir non plus de sa condition divine – enfin, quoi que ! – mais de l’analyse en tant qu’elle est l’ouverture d’un dit, pour tout dit, d’une possibilité de relance. A condition bien sûr de nous libérer des attaches de la signification, ça on l’a vu dans l’affaire de la métaphore, de la métaphore, notamment le saumon et le caviar : c’est parce que précisément ça n’a aucun rapport qu’il y a l’instauration du sens que ça a, ce n’est ni le saumon ni le caviar, c’est le trou, c’est le trou qui est au milieu de tout ça, qui est convoqué dans cette métaphore.

Lacan dit alors « nous constatons : c’est autre chose, que d’observer » (ALI, 38). Constat, on pourrait dire, constat c’est la première formule d’un procès verbal, càd qu’il y a un processus de nouveau, cette accentuation de la création. Alors que dans l’observation, nous sommes en face, nous portons comme objet en face – comme sujet en face d’un objet. Comme lorsqu’on fait un diagnostic, on se met devant un objet et on dit voilà ce qu’est l’objet. Bien sûr quand Lacan dit nous constatons, c’est pour nous mettre toujours dans ce processus. Ce processus où justement sujet et objet sont toujours remis en question : le sujet, je vous l’ai fait sentir dès le début par l’ambigüité de ce qu’il représente, il ne représente rien, on ne peut pas dire qu’il représente une partie du nœud ou l’ensemble du nœud, il représente, il est supposé par l’ensemble du fonctionnement du nœud à trois et quatre ; et l’objet, il est là au centre, ça n’est naturellement pas pour dire que c’est le point central autour, qui va autour duquel tout va irradier, c’est une surface vide. Donc c’est toujours, si on parle de sujet et d’objet, ce n’est pas pour dans un vis-à-vis, dans un face à face de sujet et d’objet, c’est pour les mettre, les articuler l’un par rapport à l’autre : le sujet comme sujet divisé et l’objet a toujours en perspective de rien, d’un vide.

Alors assez rapidement je vais parler de Chomsky, puisque Lacan l’avait rencontré dans la semaine ou les semaines qui ont précédé aux Etats-Unis et Lacan dit qu’il est soufflé parce qu’il avait espéré, vu que Chomsky est un linguiste, y rencontrer un écho à ce qu’il essaye de dire, càd qu’il lui semble absolument fondamental notamment à partir de la métaphore cette histoire du faux-trou. Càd qu’il y a un non-rapport ou un non-sens entre les deux termes métaphoriques et qui pourtant est mis à profit pour faire passer quelque chose, pour constituer un faux-trou. Et il le dit encore à un auditeur américain qui lui dit qu’est-ce qu’il avait espéré chez Chomsky, Lacan espérait quelque chose – espérait parce que c’est le langage. Mais pour Chomsky, le langage est un outil, un outil, un organe d’appréhension des choses. C’est tout, un outil, éventuellement un outil qui peut générer une linguistique générative, des phrases correspondant aux choses ou non. A partir de là, il n’y a aucune objection de principe à ce que l’outil s’appréhende lui-même comme tel : si vous avez le langage, si vous prenez le langage comme un outil, le langage peut être appliqué à l’outil. Comme si vous avez une tenaille, vous pouvez prendre votre tenaille avec une autre tenaille, il n’y a aucun problème, le langage vous pouvez l’attraper avec votre langage, et il n’y a aucune difficulté.

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Naturellement la question c’est de savoir est-ce que c’est ce que nous faisons avec le Symbolique quand nous faisons de la topologie ? Mais ce qui est très clair, c’est que Lacan dit qu’il est soufflé de voir qu’on peut comprendre le langage comme un organe qui peut faire retour sur lui-même et donc qu’on peut considérer que le langage a prise sur lui-même, donc qu’il y a un langage qui fait retour sur un autre langage, sur le même langage comme objet, ce qui est naturellement exactement la définition du métalangage. J’étudie le langage par le langage, ce que fait la linguistique …

Mais Lacan fait remarquer qu’au fond, il n’y a pas cette univocité désirée du langage et qu’il y a une équivoque fondamentale, un trou irréductible. Et naturellement, ce qui est important, c’est de voir que cette équivoque n’est pas momentanée, donc que si vous avez une équivoque, la question n’est pas de savoir comment vous allez pouvoir résoudre cette équivoque. Autrement dit, si nous avons une surface unilatère, la question n’est pas de savoir comment nous pourrons faire une coupure qui va pouvoir rendre les choses bilatères donc avec la face, le verso et le recto bien séparés l’un de l’autre.

Donc c’est la fonction de ce trou, qui est central et sur laquelle Lacan est tout à fait déçu par Chomsky puisque cette question n’est pas présente pour Chomsky alors qu’il étudie le langage. Pour Chomsky et le logico-positivisme, ça ne fait pas de problème : le langage dit, devrait dire en tous les cas, comment sont les choses et les faits – on peut expliquer alors là tout ce que Wittgenstein explique dans Le tractatus et puis considérer ce dont on ne peut pas parler de façon univoque, il faut le taire- mais ce qu’il y a de fondamental pour Lacan, c’est qu’il y a cette impossibilité de saisir le fin du fin de la vérité ou la vérité toute et donc il y a un trou. Il y a un trou et le langage ne peut faire mieux que d’avoir une prise sur le Réel par cette fonction du trou.

Donc c’est tout à fait important d’essayer de préciser ce trou pour nous tenir à l’écart de cette conception d’un langage univoque ou d’un langage qui pourrait arriver à une univocité. Le fait qu’il y ait des équivoques ce n’est pas tellement la question de Chomsky, Chomsky peut le reconnaitre aussi mais la question c’est en quoi l’équivoque est-elle irréductible ? En quoi est-ce que nous sommes nécessairement pris dans un mi-dit de la vérité ? Quand Lacan parle du mi-dit ou du mi-dire de la vérité, il ne s’agit pas de dire oui mais il n’a dit que la moitié de la chose et on va maintenant, il va pouvoir dire l’autre moitié. Ce n’est pas ça du tout ! C’est qu’il y a un mi-dit fondamental que vous ne pourrez jamais réduire. Quelle est la fonction donc, de ce trou ?

Lacan dit dans ce séminaire que le trou « repose tout entier sur l’équivalence d’une droite infinie avec un cercle » (ALI, 39). Donc vous avez ceci c’est égal à une droite infinie

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Naturellement vous pouvez supposer qu’à l’infini ça finira par se rejoindre et donc ce sera encore un cercle ; c’est une supposition. Donc l’équivalence d’une droite infinie avec un cercle, c’est quand même assez étonnant parce que quand vous voyez une droite comme ça, vous ne voyez pas de trou – enfin moi je n’en vois pas à première vue. Donc ça n’a pas l’air très pédagogique de dire que la droite infinie c’est le trou. Mais je pense pourtant que c’est bien de ça dont il s’agit : quand vous avez cette droite infinie, vous ne voyez pas le point à l’infini où ça pourrait se rejoindre – bien sûr, puisqu’elle est infinie. Mais en plus de ça, vous ne pouvez même pas le représenter : vous ne pouvez pas le représenter parce que vous ne savez pas alors si ça va se rejoindre par ici si vous le laissez sur une surface plane ou si ça va se rejoindre de l’autre côté. Donc c’est absolument irreprésentable, indécidable, c’est quelque chose qui est laissé en suspens.

Je voudrais alors à propos de cette droite infinie qui est introduite à la place du rond –parce que vous avez plusieurs ronds, vous avez les nœuds borroméens, vous en avez toute une série, de nœuds borroméens qui sont dessinés avec des droites au lieu de ronds : vous pouvez dire mais pourquoi est-ce qu’il s’amuse à faire ça ? Même si vous avez compris de quoi il s’agissait, pourrait faire des dessins tant et plus… Pourquoi est-ce qu’il s’amuse à faire des droites infinies ? Donc vous avez ça à la page 39 (ALI), c’est l’espèce de petite croix (33, Seuil) là tout en bas à gauche.

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La raison de ce petit jeu d’écriture, si on peut appeler ça un petit jeu d’écriture, elle est donnée dans le deuxième séminaire de RSI en trois remarques :

Il demande d’abord est-ce que le nœud est un modèle ? Le nœud est-il un modèle ? Donc quand vous avez le nœud, ça vous donnerait des indications pour savoir comment il faut faire dans l’analyse avec ce modèle-là. Et ce que Lacan dit tout de suite : non, il faut répudier le modèle parce que ça c’est de l’imaginaire et ça n’est pas une question de nœud. Donc il ne s’agit pas du tout de dire voilà, maintenant vous avez Réel, Imaginaire, Symbolique, vous avez le modèle et maintenant vous allez appliquer ça à votre pratique.

Deuxième remarque : il dit il faut qu’il y ait un trou et il dit quelque chose existe de n’être supposable dans l’écriture que de l’ouverture du rond en cette droite infinie. Càd ce que dit la droite infinie par rapport au rond, c’est qu’il y a une ouverture et que vous ne pouvez pas cerner, c’est le cas de le dire, le rond. Donc il y a quelque chose qui vous échappe absolument. Et c’est précisément ce qui est en jeu dans l’analyse, ce qui nous échappe absolument. Vous essayez de savoir, de cerner ce qui est quand même stable, la substance, ce qui ne bouge pas : eh bien ça vous échappe totalement, c’est précisément quelque chose qui vous échappe. Et c’est, vous essayez de trouver la quintessence du sujet, ce que serait le sujet qui vient en analyse, eh bien le sujet, il n’est justement pas stable du tout. Il n’est qu’un effet éphémère de ce dit. Donc ça échappe absolument. Donc ça n’est pas un cercle bien fermé, le sujet imaginaire, que vous voudriez imaginariser : il échappe et il est une droite infinie, vous ne parvenez qu’à saisir des éclats de sujet dans le petit bout de rêve qu’il vous raconte ou les lapsus. On essaye de cerner le Symbolique qui serait dépendant d’une causalité bien déterminée, bien déterminant les choses : eh bien non, ça vous échappe totalement. L’inconscient est peut-être du domaine de la cause mais c’est de la cause en tant que c’est la clocherie, que c’est vraiment quelque chose que vous ne comprenez pas. Et vous essayez de voir ce que c’est que cette structure générale qui tient tout ensemble, oui, mais ce grand Autre n’existe pas. Il n’existe pas. Donc ces trois ronds, ils ne sont ronds, ils ne sont cernés que supposés, ils ne se ferment pas. Donc on peut concevoir qu’il y a non pas trois ronds mais vous n’avez qu’un morceau de nœud borroméen càd que vous avez trois droites infinies puisque de partout ça vous échappe, jamais ça ne se cerne.

Alors ceci dit, on peut se poser la question de savoir comment est-ce qu’alors nous pourrons comprendre les rapports structuraux qu’il y a entre l’Imaginaire, le Symbolique et le Réel ? Donc vous voyez qu’on est en train de tenir compte du fait que ça rate, que nous ne parvenons pas à cerner notre structure. On a déjà vu que ça ratait parce que nous supposions qu’ils étaient empilés les uns sur les autres et qu’il fallait cette correction par le quatrième nœud mais les trois nous échappent parce que ce ne sont pas des ronds, ils nous échappent totalement. Alors comment les tenir ensemble puisque c’est quand même ce que nous voulons faire et que nous faisons dans l’analyse ? C’est à ça que nous avons affaire, càd à un sujet que nous ne savons pas, le sujet de l’inconscient qui nous échappe totalement, la causalité, la détermination des choses, ça nous échappe

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totalement et la structure nous échappe totalement. Nous n’avons que des bouts qui indiquent une direction.

Alors on peut commencer quand même à essayer d’y voir clair dans une première approximation qui est le schéma du nœud borroméen avec la croix.

(dans le schéma qui suit, le trait bleu du R devrait passer dans l’espace entre les traits verts du S au niveau du croisement, et non couper un peu plus bas le trait vert, de même le trait vert coupant le trait bleu dans le bas, au niveau de la courbe, devrait être continu)

Donc le nœud tel qu’il est, donc si vous voulez vous avez le Réel en bleu, avec au-dessus l’Imaginaire et au-dessus de l’Imaginaire, le Symbolique, en tant que le Symbolique doit quand même passer en dessous du Réel. Et je vous propose de voir dans le premier rond, le rond rouge, l’Imaginaire, le sujet Imaginaire, comme ça, nous fixons les idées. Vous avez le nœud qui est presque complet, il ne vous manque que un des croisements, càd comment est-ce que le vert et le bleu vont se croiser à l’infini ? Qu’est-ce qui va passer au-dessus et qu’est-ce qui va passer en dessous ? D’accord ? Vous voyez ça ? Je vous expliquerai après pourquoi l’importance de ceci, vous verrez, alors ici, je fais le contraire, donc vous voyez ici… Vous voyez ce que j’ai fait, donc tous … sont à l’infini, on peut se les imaginer plus près.

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Dans cette figure-ci, vous voyez que j’ai considéré que ils ne sont pas noués de façon borroméenne, càd que ici le Symbolique passe au-dessus du Réel, ici il passe en dessous. Vous voyez ça ? Donc que vous avez le Symbolique et le Réel qui sont enlacés. Ça tient vraiment bien ensemble, les deux tiennent bien ensemble. Vous verrez que ça, je pense que c’est des applications très concrètes, donc ils sont vraiment bien enlacés, Symbolique et Réel ça tient ensemble. Pour vous imaginer, pour soutenir votre imagination, on peut appeler ceci le sujet, le Symbolique on peut l’appeler le monde et puis tout ce qui tient là le Réel, créateur du Réel, Dieu. Voilà donc ce schéma-ci, si maintenant vous faites, vous me suivez, vous pouvez remarquer que ce qui va se passer - ici ils ont l’air tous les trois ensemble, bien tenir tous ensemble eh bien pas du tout : vous prenez ce vert-ci et vous le tirez un peu par ici, et puis vous allez pouvoir après tirer le bleu qui est derrière et le vert va passer dans le rouge et d’un côté vous aurez le rond rouge qui sera là et de l’autre côté vous aurez, ils sont tout à fait bien séparés, l’enchaînement du monde et de Dieu. D’accord ?

Donc ça c’est une façon de voir le sixième croisement. J’ai les 5 ici qui sont sur la feuille, comment est-ce que je dois concevoir le sixième qui est à l’infini ? C’est une conception…

- Mais le rouge il est quand même retenu par le vert, là ?

- Non regardez, le vert ici, je vais pouvoir tirer, le vert est tout à fait devant, donc je vais pouvoir le faire revenir comme ça et donc en tirant par le bleu là, je vais pouvoir le faire passer dans le rouge et le rouge sera tout à fait séparé des deux autres.

Donc vous verrez ici il y a une petite note sur le phénomène du parallélisme de Clifford (ALI, 40) puisque les mathématiciens supposent que les nœuds sont enchainés à l’infini et ce n’est pas l’avis de Lacan. Ça a son importance,

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maintenant pourquoi ? D’abord parce que c’est laisser tomber la question de l’ex-sistence, càd de ce qui ne tient que lorsque les trois critères d’existence défaillent, ce qui est le cas dans, qu’on retrouve dans la pratique de l’analyse : la défaillance de la stabilité du sujet, la défaillance de tout système de causalité et la défaillance de cette structure structuraliste qui expliquerait tout, qui tiendrait tout ensemble. C’est ce qu’on rencontre tout le temps dans l’analyse. On peut essayer naturellement de combler ça au plus vite mais ça n’est pas l’analyse qui fait ça. C’est la psychologie qui fait ça.

Alors dans ce dessin-ci, bien sûr, dans cette solution j’ai supposé une stabilité du sujet et on pourrait dire cette stabilité du sujet elle est quelque chose qui est proprement cartésien. Je pense donc je suis. Donc il y a question de l’objectivité, nul doute, je ne peux rien tenir pour absolument objectif, je suis dans le doute, dans le doute sur tout mais donc je m’en sors, au moins il y a quelque chose de stable, il y a le sujet qui est assuré. Et alors de l’autre côté, qu’est-ce qui se passe dans cette structure-ci ? Dieu et le monde sont enchainés, autrement dit c’est Dieu qui tient le monde et le monde tient avec Dieu et ils sont tout à fait séparés du sujet.

Naturellement cette solution ne va absolument pas, on pourrait dire pour deux raisons, d’abord parce que la psychanalyse a l’expérience de la critique de ce cogito cartésien – bien sûr que je suis toujours dans le doute, que je suis dans le doute et que par là il y a de la pensée mais c’est justement là quelque chose qui n’est absolument pas stable. Donc ça n’assure aucune substance de sujet, ça n’assure que quelque chose d’un doute qui va se répéter, d’une pensée qui va se répéter dans l’équivoque. Et en plus de ça, cette solution suppose que le monde et que le dieu sont enchainés. Ça c’est vraiment également aussi ce qui est critiqué par la science moderne, vous pensez bien que le scientifique, s’il disait que son affaire tient parce que Dieu la fait tenir et est enchainée à cette affaire-là, tout son raisonnement ne tient plus du tout. Mais ça se rencontre aussi dans une figure tout à fait particulière de psychologie – oui, de psychologie, on peut dire : sous la forme d’un sujet qui pourrait se retirer du monde. Se retirer du monde et laisser, se retirer on pourrait dire dans une bulle et laisser en dehors de lui une autre bulle qui serait le dieu tout puissant avec tout le monde. Donc il y aurait cette séparation entre deux choses tout à fait disjointes. C’est une solution de facilité puisque ce qu’on rencontre, c’est d’abord non pas un sujet stabilisé – solution de facilité mais qui a tous ses avantages, bien sûr et qu’on peut tout à fait imaginer mais il n’y a pas de sujet stabilisé et il n’y a pas d’enchainement non plus là-bas, donc vous êtes privés deux fois de cette structure que suppose ce point où s’enchaineraient le Symbolique et l’Imaginaire.

Donc on refuse cette structure qui est explicitée par les ronds, les sphères, deux pages après. Donc trois cercles où chacun enveloppe un autre, est enveloppé dans un autre, donc la figure – enfin vous vous débrouillez, quoi – C’est la figure II-13 me paraît correcte (ALI, 42).

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Donc Lacan dit il faut se rompre aux nœuds (ALI, 43), ça veut dire se rompre au fait que vous ne pourrez pas vous défaire du nœud borroméen. Non pas par une contingence qui viendrait d’on ne sait où mais par la nécessité même de la structure telle que l’impliquent les dimensions de l’Imaginaire, du Symbolique et du Réel, en tant que ce ne sont pas des ronds mais que ce sont des droites infinies, fondamentalement. Donc le nœud borroméen est intranchable, càd que vous ne pouvez pas trancher par exemple en divisant ceci ou ça, en séparant les deux. C’est pour ça que Lacan présente l’analyse comme le négatif de la religion. Puisque dans la religion, vous pouvez supposer que le théologal, Dieu englobe le Symbolique, qui lui-même englobe l’Imaginaire. Vous pouvez supposer ça, donc vous aurez cette figure II ? Oui, enfin je ne sais pas si la figure est… Mais enfin vous n’avez pas une position privilégiée d’une dimension par rapport à l’autre. Et donc il n’y a pas d’espoir de se défaire de cette équivoque fondamentale (ALI, 43).

- J’ai une question… Quand on fait correspondre chaque (rond, droite, c’est la même chose, … Réel, Symbolique, Imaginaire à Dieu, le monde, le sujet… comme ça de manière un peu obscure je comprends en quoi Dieu correspond au Réel mais je ne comprends pas pourquoi le monde correspond au Symbolique)

- Parce qu’il est causé selon une causation symbolique déterminante

- C’est ça ? (… catégorie….)

- Et je l’ai fait comme ça en référence aux trois idées de Kant. Mais c’est simplement pour … Je ne vais pas m’attarder là-dessus, c’est pour simplement donner des repères imaginaires, je veux bien, mais qui permettent de voir les conséquences que ça a, notamment au niveau d’une conception du cogito cartésien qui différencierait un sujet ou une problématique du sujet indépendante de tout le reste avec la liaison bien sûr intimement enchainée du monde et de Dieu et aussi pour faire comprendre que cette figure elle existe dans une certaine conception psychologique où on pense – qui n’est pas simplement psychologique puisque (c’est mis à profit dans certaines) structures qui considèrent que le sujet peut se retirer par exemple (dans son monde) privé et laisser à l’extérieur la toute-puissance d’un Dieu ou la toute-puissance d’une personne parentale qui exerce son emprise sur l’entièreté du monde. C’est une figure qui est imaginable mais qui ne tient pas compte de la structure elle-même. C’est dans ce sens-là que j’ai suggéré cette lecture-là.

Le sujet divisé naturellement n’est pas ce qui fait la difficulté de la diffusion de l’analyse, bien sûr, n’est pas séparable de la question de l’objet et c’est ça que nous constatons au sens fort du terme, que nous constatons càd que nous y mettons nous-mêmes dans cette position de (désir) sans laquelle il n’y a pas de sujet. L’opposition entre le constater et l’observer suppose que du côté du constater il y a un désir toujours équivoque, toujours en fonction d’un irreprésentable càd de quelque chose qui nous échappe et qui est à l’infini avec d’autre part quelque chose de très concret. Donc Lacan parlera aussi de débilité

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4.21

de départ (ALI, 44), il n’y a aucune dimension qui ne tienne d’elle-même et il y a une faiblesse radicale, bien sûr, dans cette position-là puisque on n’a pas un point ferme à quoi se tenir. C’est la problématique du nœud borroméen, donc Lacan dit « je n’espère pas en sortir », il n’y a pas d’espoir théologique, il n’y a pas de point de vue supérieur.

- Et comment il s’arrangeait avec son frère ?

- Parce qu’il était curé ?

- (… Il y a plusieurs textes comme ça où…)

Vous avez encore un peu de courage ? Je voudrais quand même arriver jusqu’au moment des questions…

Donc le Réel ne va pas sans comporter le trou qui y subsiste. Alors le Réel, on pourrait penser que ce serait le rond Réel tel que je l’ai indiqué avec les ronds, bien sûr non : puisque ça se ferme, et on pourrait dire que ce Réel est mensonger. Lacan parle d’ailleurs du fait de concevoir ce Réel comme un pense – pense mais qui est aussi écrit avec un a, comme une panse (ALI, 44). Càd comme un sac et dans la mesure où il se ferme vous pouvez l’entendre comme un sac, comme une panse. Ce qui est une façon légère de penser le Réel, dit-il. Donc le rond qui se ferme ou qui pourrait se fermer, c’est naturellement tout à fait léger. Est-ce que on pourrait comprendre maintenant que ce serait le nœud borroméen, le Réel ? Mais là aussi vous avez une consistance fermée, imaginaire telle qu’elle est dessinée dans un nœud borroméen d’une façon ou d’une autre.

Donc le Réel ne va pas sans comporter réellement le trou, le trou càd symbolique, mais ce trou il est à comprendre comme une droite infinie et cette droite infinie doit être comprise comme l’ensemble de ce qui se passe par rapport aux deux autres consistances, le Symbolique et l’Imaginaire. Et le Réel ou plutôt le Réel ment (ALI, 44), c’est le jeu de se débrouiller avec tout ça. Donc c’est l’exigence qui rate, donc c’est les deux hérésies et leur réparation, c’est la droite infinie, la droite infinie qu’on imagine d’une façon ou d’une autre, c’est l’ensemble de tout cela. C’est ce que Lacan appelle le nœud qualifiable de borroméen, c’est un nœud avec cette dimension de droite infinie et c’est en ce sens qu’il est intranchable. Bien sûr on peut dire que le nœud borroméen est intranchable parce que si vous tranchez un des trois ronds dans le nœud borroméen classique, un des trois ronds finis, les deux s’en vont et donc le nœud borroméen est intranchable.

Mais je pense que plus fondamentalement, le nœud borroméen est intranchable en raison des droites infinies, donc du fait que vous ne pouvez pas décider comment vont se nouer les choses. Et si on tranche, on dissout, dit Lacan « le mythe qu’il rend du sujet, du sujet comme non supposé » (ALI, 44), donc le sujet il est bien sûr d’un certain côté supposé, supposé dans le quatrième rond, supposé dans tel et tel rond imaginaire ou dans l’ensemble du nœud borroméen classique, etc., mais fondamentalement, il est non supposé. Donc le sujet

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supposé c’est bien sûr le sujet qui représente un signifiant pour un autre signifiant, comme c’est repérable par exemple, comme c’est repéré dans la spirituelle bouchère, mais ça c’est un sujet supposé. Le sujet comme non supposé, c’est une question insoluble. C’est une question insoluble qui ne peut être que relancée et rapportée à ce nœud borroméen qui continue, qui nous oblige à continuer à penser à comment ça se structure. C’est la visée de Lacan, bien sûr ici.

Il dit alors à la fin de, avant donc les questions, que le projet de ce séminaire, c’est de penser bien sûr la fonction du quatrième rond en fonction du faux-trou. Mais c’est une question qui suppose l’entièreté de toutes les dimensions possibles du sujet. Donc il dit le quatrième terme, le quatrième rond est essentiel au nœud borroméen – comment est-ce qu’on peut dire qu’il est essentiel alors qu’il est ce qui n’est qu’une réparation ? On peut le dire parce que précisément le nœud borroméen à trois justement il nous échappe parce que ça se croise pas ou ça se croise à l’infini plutôt, donc c’est une droite infinie, ça échappe et en plus de ça ça se présente toujours avec des imaginations fautives, les deux hérésies dont on parlait au début. Donc Lacan a bien raison de dire que nous constatons et pas que nous observons, puisqu’il s’agit d’un procès, d’un processus verbal, d’un procès verbal de l’analyse, qu’il s’agit d’une construction toujours en état de construction, qui suppose l’équivoque, les dits multiples, qu’il ne faut pas réduire comme Chomsky l’a fait. Qui suppose cette droite infinie càd quelque chose qui nous échappe càd une tendance vers- mais vers quelque chose qui nous échappe et la méthode est sans espoir, dit Lacan, c’est à ça qu’il faut se rompre, non pas rompre le nœud borroméen, le rendre comme trois objets séparés mais nous rompre à précisément cette question qui continue à nous obliger à tirer un fil sans que nous ne puissions jamais espérer pouvoir mettre à plat et nous tenir à une mise à plat qui serait une présentation de la psychanalyse en dehors de la question vraiment réelle, ça veut dire de quelque chose qui nous échappe totalement.

Voilà, on n’est pas arrivé à la fin de cette leçon mais enfin on avance quand même. Il y a peut-être des questions, des remarques à faire ?

- Quand Wittgenstein dit que ce qu’on ne peut pas dire (enfin quelque chose comme ça,..) Mais il me semble qu’on ne fait que ça, on ne fait que tourner autour d’un trou et d’essayer d’en dire quelque chose

- Exactement

- Alors sa formule est un petit peu équivoque ? Ambiguë ? Je veux dire, il faut se taire sur l’indicible, toutes les théories ne font que ça, parler de l’indicible ?

- C’est le propos de la psychanalyse mais ce n’est pas le propos du logico-positivisme ni de Chomsky, ni de Wittgenstein,

- (… ?)

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4.23

- Exactement, ce que vous défendez là c’est la position de Lacan, disant qu’il est soufflé qu’on ne puisse pas entendre…

- En mathématique aussi il y a de l’indémontrable

- Oui mais l’indémontrable il est démontré quand même comme indémontrable, ce n’est pas simplement quelque chose qu’on n’est pas parvenu à démontrer et (on se dit) on verra bien si on y parviendra demain. Donc c’est une même structure dont on peut dire très précisément ça

- Mais la question (…) aussi, non ? Les théologiens …

- Oui enfin, il y a deux choses dans le séminaire, la question des indémontrables, des indécidables, etc. en mathématique, que Lacan d’ailleurs emploie au niveau de l’impossible, dont il tire parti. Ça c’est une chose. La question des théologiens, mais justement, ça ça n’a aucun sens pour les logico-positivistes puisqu’on ne sait pas dire qui est Dieu, ce n’est pas un fait, on ne peut pas le ramener à des faits, donc on ne peut pas le ramener à l’ensemble des faits qui existent, donc c’est une chose qui est insensée : si on ne peut pas savoir exactement de quoi on parle, c’est insensé, il ne peut pas y avoir de prise là-dessus. Pour la psychanalyse bien sûr on est toujours confronté à des choses justement où on n’a aucune prise et qui sont la structure du désir pour Lacan. Mais donc Lacan est très clairement comme il dit « soufflé » càd déçu par le raccourcissement de Chomsky alors qu’il avait espéré qu’il ait compris ce dont il s’agissait fondamentalement dans le langage et que vous exprimez clairement en faisant référence à ces indécidables.