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1 Numéro 160, septembre 2011 Prévisions d’activité 2011-2015 : ralentissement temporaire ou récession ? Principales conclusions : Cet article propose une actualisation, sur l’horizon 2011-2015, du scénario tendanciel des prévisions macro-économiques et financières, décrit en juillet dernier dans le précédent Flash 1 , avant l’émergence d’un krach boursier rampant durant l’été. Il était admis que la reprise économique, pourtant avérée, demeurait encore atypique, fragile et structurellement faible dans les pays développés, car toute crise financière majeure d’excès d’endettement privé, puis forcément public, demande historiquement beaucoup de temps pour être surmontée. Le ralentissement économique était attendu mais il apparaît plus sévère que prévu, notamment aux Etats-Unis. Il est la conséquence normale de la flambée des matières premières, inhabituelle à ce stade du déroulement naissant du cycle, et de la désorganisation des chaînes de production industrielle, liée aux catastrophes japonaises. La débâcle boursière de la période estivale a bouleversé les perspectives d’activité pour 2011 et 2012, dans un contexte où le rebond déjà en cours de l’investissement privé, qui est le moteur classique d’une reprise économique, devait largement compenser l’épuisement des marges de manoeuvre monétaire et budgétaire dans les pays occidentaux. Ce krach risque cependant de provoquer une crise durable de confiance et des reports de projets de dépenses, donc in fine une véritable récession, qui au départ ne devait pas se produire, avec des engrenages potentiels irréversibles. Il s’explique par l’intensification de la menace d’un défaut souverain européen, par le spectre concomitant d’une crise bancaire systémique, par la difficulté de construire rapidement une forme efficace de fédéralisme budgétaire dans la zone euro, par les blocages politiques et idéologiques américains sur la dette publique et par les craintes réitérées de rechute en récession, de part et d’autre de l’Atlantique. L’intégrité de la zone euro reste le scénario le plus probable, aucun pays n’ayant intérêt à l’émergence d’un processus déflationniste, engendré par un risque de dévaluations compétitives et de contraction générale de l’offre de crédits bancaires. Dans ce cas, le ralentissement de l’économie mondiale ne devrait pas obligatoirement déboucher sur une rechute en récession, en raison des ressorts non négligeables du cycle d’investissement, des corrections déjà effectuées par les agents privés en matière d’excès de stocks et de dépenses en capital, du recul induit des prix des matières premières, de l’abondance de liquidités mondiales, de la prudence et du gradualisme des politiques monétaires et budgétaires. S’y ajouterait le dynamisme toujours important des pays émergents, en rattrapage économique. Dans ce contexte, la croissance française ralentirait nettement, passant de 1,6% en 2011 (conséquence de l’acquis du 1 er trimestre), à moins de 1,1% en 2012, avant de retrouver progressivement un rythme tendanciel d’environ 1,7% l’an à partir de 2013. La BCE, qui utiliserait la souplesse des mesures non standard pour assurer temporairement l’approvisionnement en liquidités du système financier et sauver l’euro, maintiendrait son statu quo monétaire jusqu’au 1 er trimestre 2013. Un repli de 50 points de base de son principal taux directeur d’ici à la fin de l’année ne peut cependant pas être exclu, en cas d’enchaînement récessif plus patent. Les taux longs de bonne signature se sont effondrés à des niveaux anormalement bas, du fait de l’aversion au risque extrême de déflation. Ils devraient se retendre progressivement, une fois passée la période de « stress excessif », pour évoluer plus en phase avec la croissance nominale. 1 Flash n°155 : « Prévisions 2011-2015 (1) : une croissance française plus autonome ? », rédigé le 22 juillet 2011 par E. Buffandeau.

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Flash : « Études, veille et prospectives BPCE », septembre 2011.

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Numéro 160, septembre 2011

Prévisions d’activité 2011-2015 : ralentissement temporaire ou récession ? Principales conclusions : Cet article propose une actualisation, sur l’horizon 2011-2015, du scénario tendanciel

des prévisions macro-économiques et financières, décrit en juillet dernier dans le précédent Flash1, avant l’émergence d’un krach boursier rampant durant l’été.

Il était admis que la reprise économique, pourtant avérée, demeurait encore atypique,

fragile et structurellement faible dans les pays développés, car toute crise financière majeure d’excès d’endettement privé, puis forcément public, demande historiquement beaucoup de temps pour être surmontée. Le ralentissement économique était attendu mais il apparaît plus sévère que prévu, notamment aux Etats-Unis. Il est la conséquence normale de la flambée des matières premières, inhabituelle à ce stade du déroulement naissant du cycle, et de la désorganisation des chaînes de production industrielle, liée aux catastrophes japonaises. La débâcle boursière de la période estivale a bouleversé les perspectives d’activité pour 2011 et 2012, dans un contexte où le rebond déjà en cours de l’investissement privé, qui est le moteur classique d’une reprise économique, devait largement compenser l’épuisement des marges de manœuvre monétaire et budgétaire dans les pays occidentaux. Ce krach risque cependant de provoquer une crise durable de confiance et des reports de projets de dépenses, donc in fine une véritable récession, qui au départ ne devait pas se produire, avec des engrenages potentiels irréversibles. Il s’explique par l’intensification de la menace d’un défaut souverain européen, par le spectre concomitant d’une crise bancaire systémique, par la difficulté de construire rapidement une forme efficace de fédéralisme budgétaire dans la zone euro, par les blocages politiques et idéologiques américains sur la dette publique et par les craintes réitérées de rechute en récession, de part et d’autre de l’Atlantique.

L’intégrité de la zone euro reste le scénario le plus probable, aucun pays n’ayant intérêt

à l’émergence d’un processus déflationniste, engendré par un risque de dévaluations compétitives et de contraction générale de l’offre de crédits bancaires. Dans ce cas, le ralentissement de l’économie mondiale ne devrait pas obligatoirement déboucher sur une rechute en récession, en raison des ressorts non négligeables du cycle d’investissement, des corrections déjà effectuées par les agents privés en matière d’excès de stocks et de dépenses en capital, du recul induit des prix des matières premières, de l’abondance de liquidités mondiales, de la prudence et du gradualisme des politiques monétaires et budgétaires. S’y ajouterait le dynamisme toujours important des pays émergents, en rattrapage économique. Dans ce contexte, la croissance française ralentirait nettement, passant de 1,6% en 2011 (conséquence de l’acquis du 1er trimestre), à moins de 1,1% en 2012, avant de retrouver progressivement un rythme tendanciel d’environ 1,7% l’an à partir de 2013. La BCE, qui utiliserait la souplesse des mesures non standard pour assurer temporairement l’approvisionnement en liquidités du système financier et sauver l’euro, maintiendrait son statu quo monétaire jusqu’au 1er trimestre 2013. Un repli de 50 points de base de son principal taux directeur d’ici à la fin de l’année ne peut cependant pas être exclu, en cas d’enchaînement récessif plus patent. Les taux longs de bonne signature se sont effondrés à des niveaux anormalement bas, du fait de l’aversion au risque extrême de déflation. Ils devraient se retendre progressivement, une fois passée la période de « stress excessif », pour évoluer plus en phase avec la croissance nominale.

1 Flash n°155 : « Prévisions 2011-2015 (1) : une croissance française plus autonome ? », rédigé le 22 juillet 2011 par E. Buffandeau.

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Perte de confiance et ralentissement économique

La panique boursière de la période estivale, la crise larvée des dettes souveraines, les interrogations induites sur la solidité financière des banques européennes et la confirmation d’un ralentissement économique plus intense que prévu de part et d’autre de l’Atlantique vont vraisemblablement dégrader les anticipations de dépenses d’investissement (reports ou abandons de projets) et de consommation (attentisme et hausse du taux d’épargne) des agents économiques des pays développés. Tout en modifiant nettement leur appréciation du scénario tendanciel, elles renforcent l’incertitude sur l’avenir de l’Europe comme zone monétaire viable et font largement douter de la capacité des modèles économiques occidentaux de retrouver une tendance favorable à l’amélioration continue de l’emploi, dans un contexte prolongé de désendettement public et privé. Elles interviennent aussi à un moment singulièrement critique du cycle où la demande privée, surtout par la revitalisation classique de l’investissement productif, était censée prendre le relais de la dépense publique, amenée à être réduite, pour empêcher la dérive dangereuse des finances publiques de nombreux pays. Le risque d’émergence d’une récession s'est donc accru, car la défiance et la perte de richesse financière, qui rejaillissent directement sur l’économie réelle, sont souvent un processus autoréalisateur. Ce processus peut considérablement être accentué par le quasi-épuisement des marges budgétaires et monétaires de manœuvre, tant aux Etats-Unis qu’en Europe.

L’effondrement des marchés boursiers, si les cours des actions ne se corrigent pas

rapidement, peut engendrer une crise durable de confiance, donc in fine une véritable récession, qui au départ ne devait pas se produire, avec des engrenages potentiels irréversibles. Cette rechute de l’activité peut en effet déboucher sur une forme de déflation, surtout en Europe, en cas d’extension de la crise bancaire de liquidités, de défauts souverains avérés et d’apparition d’une mécanique restrictive de la distribution de crédits (« credit crunch »). Dans l’hypothèse de défauts souverains généralisés, les établissements financiers seraient en effet contraints à la fois de se recapitaliser et de répondre rapidement aux exigences réglementaires de Bâle 3 (réduisant la transformation), pour conserver la notation la plus favorable possible. Cela les pousserait à limiter, voire plutôt à réduire la taille de leur bilan, tout en modifiant sa structure pour la rendre moins risquée, selon des stratégies spécifiques, qui sont liées à l’histoire propre de chaque groupe bancaire. Cela les conduirait aussi à augmenter nettement les conditions financières des emprunts offerts à la clientèle. Il en résulterait un « effet multiplicateur » probablement très négatif entre l’affaissement de la demande intérieure et le recul des prêts accordés. De plus, la force relative et paradoxale de la monnaie unique, alors même qu’il existe une crainte extrême d’implosion de la zone, est un facteur aggravant et supplémentaire de baisse de compétitivité des exportations européennes, dans un contexte de fléchissement général de la demande extérieure.

Il subsiste donc un risque non négligeable de défaut souverain désordonné de pays

comme la Grèce, pouvant mener à une « sortie » d’un ou de plusieurs pays européens. Ceci conduirait à un éclatement éventuel et plutôt progressif de la zone euro, par un effet de dominos2. Cette occurrence proviendrait en grande partie de l’absence d’un message

2 Le point de départ de la crise des dettes souveraines vient de l’explosion des taux d’endettement public vers des niveaux qui n’ont jamais été observés en temps de paix dans la plupart des pays développés et de l’incapacité de certains Etats européens à rétablir dans le temps leurs finances publiques par une croissance économique suffisante, en raison de leur perte structurelle de compétitivité. Les pays fragiles économiquement, dans le cadre de la monnaie unique, ne peuvent plus utiliser comme auparavant l’arme de la dévaluation pour retrouver plus rapidement une compétitivité extérieure, ce qui leur impose de mener quasi-uniquement des politiques de déflation interne pendant un certain temps, qui en retour sont susceptibles d’accroître leur déficit public et leur dette publique, par un cercle vicieux de récession. Les créanciers et les marchés financiers se mettent alors à douter de plus en plus sérieusement sur la possibilité d’être remboursés un jour, d’où le risque de nouvelle crise bancaire systémique et celui d’éclatement de la zone euro. Le problème est que le risque de défaillance d’un Etat est autoréalisateur, car il conduit à une augmentation continue de la prime de risque sur les emprunts d’Etat, ce qui accroît rapidement les tensions sur le coût de sa dette. Cela rend d’abord plus coûteux, puis impossible le financement du déficit budgétaire et le refinancement de la dette, ce qui augmente en retour le risque d’incidents de paiements. C’est d’ailleurs par l’envolée des taux d’intérêt publics que peut se propager d’Etat à Etat la crise des dettes souveraines. A plus de 15% pour le taux à 10 ans grec, la dynamique de la dette grecque est évidemment explosive. Elle engendre un effet « boule de neige », c'est-à-dire une spirale cumulative entre le déficit budgétaire, la dette publique et les charges d’intérêt. Elle nécessite donc la mise en place de mécanismes de soutien financier et des plans d’aide pour les pays comme la Grèce, qui ne peuvent plus faire appel aux marchés financiers pour se refinancer dans des conditions normales ou acceptables. Le déblocage des tranches de crédit est évidemment conditionné à la réalisation effective de programmes de retour à l’équilibre financier.

Panique boursière et risque de récession

Effet de rupture et risque de « credit crunch »

Le rôle majeur du couple franco-allemand

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politique fort et crédible de coopération économique et de cohésion des Etats-membres. Le rôle et la responsabilité du couple franco-allemand seraient alors majeurs. Ces deux pays sont le cœur du moteur européen, du fait de leur puissance économique et des moyens importants dont ils disposent encore, notamment par le biais de la notation jusqu’à présent toujours très favorable de leur dette publique.

Un tel scénario catastrophe, qui comporterait en outre de nombreuses modalités et des

éventualités particulièrement difficiles à prévoir, aurait sans doute des conséquences en chaîne plus graves pour l’économie mondiale que celles de la faillite de Lehman Brother, du fait des interconnexions complexes et variées des agents économiques et financiers. Il déboucherait alors probablement sur un processus de dévaluations compétitives (l’extrême de la « guerre des monnaies ») et sur une véritable crise bancaire systémique, dont la dynamique d’ensemble serait durablement déflationniste. Cet enchaînement ultime serait d’autant plus long, difficile et coûteux à éviter dans les pays développés que des politiques non-coopératives du « chacun pour soi » deviendraient des tentations doctrinales, voire « logiques », face à l’épuisement général des marges de manœuvre et face à l’agacement des opinions publiques nationales. Ni les pays périphériques européens3, ni l’Allemagne4, ni même les Etats-Unis et la Chine n’ont intérêt à le voir s’intaller, puis se dérouler, du fait de l’interdépendance mondiale des économies et des systèmes financiers5. L’explosion de la zone euro ne semble donc pas le scénario le plus probable, en raison de son coût démesuré, notamment outre-Rhin. Dans ce cas, ce pays perdrait alors très rapidement et largement tous les avantages acquis des politiques de modération salariale menées depuis 15 ans, en raison de l’appréciation immédiate et record de son « nouveau taux de change ». L’Allemagne, qui est une économie très cyclique et très dépendante du commerce extérieur, reste par ailleurs assez sensible à la compétitivité-coût de ses exportations, en dépit de la montée en gamme et de la qualité des produits exportés. De plus, son exposition financière à la dette souveraine et privée des pays européens fragilisés est élevée. Le coût pour son système bancaire serait exorbitant.

3 Les pays qui sortiraient de la zone euro n’éviteraient pas les réformes structurelles nécessaires et une récession majeure. Il en résulterait notamment une très forte hausse des taux d’intérêt, voire une quasi-impossibilité de retrouver pendant un certain temps des créanciers désireux de financer leurs besoins d’emprunts publics et privés dans une monnaie très dévaluée. Leur absence de base industrielle limiterait beaucoup leur capacité de bénéficier d’une amélioration brutale de leur compétitivité-prix par la dévaluation. 4 Les exportations allemandes représentent près de 50% du PIB. Les industriels allemands et la population d’outre-Rhin se rendent de plus en plus compte des avantages économiques de rester dans la zone euro. Ils profitent ainsi de l’existence d’un marché européen étendu avec une monnaie unique, de l’absence de risque de dévaluation compétitive à l’intérieur de la zone et de taux directeurs beaucoup plus faibles que ceux accordés auparavant par la Bundesbank. De plus, 40% des exportations allemandes sont destinées à la zone euro, la France étant le principal partenaire commercial. En outre, lors de l’éclatement du SME (Système Monétaire Européen) en 1992-1993 et de la réunification avec l’Est, l’Allemagne a particulièrement souffert de sa perte de compétitivité-coût, ce qui a nettement dégradé son commerce extérieur. Ceci lui a imposé de mener une politique douloureuse de modération salariale pendant 15 ans, largement au détriment de la consommation. 5 Jeudi 15 septembre 2011, l’annonce d’une intervention coordonnée des banques centrales (BCE, Réserve fédérale, Banque d’Angleterre, Banque du Japon et Banque nationale suisse) va bien dans ce sens. Elle adresse un message fort aux opérateurs de marchés financiers sur leur volonté d’enrayer un assèchement potentiel du crédit des banques européennes, ces dernières éprouvant de grandes difficultés à se refinancer à court terme en dollars auprès de leurs homologues américaines et des fonds monétaires d’outre-Atlantique, du fait du renforcement de la crise des dettes souveraines. Les Banques centrales vont donc alimenter en dollars les banques européennes, lors d’opérations de refinancement à trois mois, en quantité illimitée et à taux fixe. D’ici à la fin de 2011, la BCE procédera à trois opérations d’apports en dollars, le 12 octobre, le 9 novembre et le 7 décembre prochain, en plus des opérations à sept jours déjà annoncées en mai 2010.

La crainte partagée d’un scénario catastrophe

Taux publics à 10 ans en Allemagne et en Grèce

1,02,03,04,05,06,07,08,09,0

10,011,012,013,014,015,016,017,018,019,020,021,022,023,0

01/04/1999 13/08/2000 26/12/2001 10/05/2003 21/09/2004 03/02/2006 18/06/2007 30/10/2008 14/03/2010 27/07/2011

Tau

x d'

inté

rêt e

n %

Taux 10 ansAllemagne

Taux 10 ansGrèce

Evolution du CAC 40 depuis 1996

1800

2300

2800

3300

3800

4300

4800

5300

5800

6300

6800

01/01/96 31/12/96 31/12/97 31/12/98 31/12/99 30/12/00 30/12/01 30/12/02 30/12/03 29/12/04 29/12/05 29/12/06 29/12/07 28/12/08 28/12/09 28/12/10

Indi

ce C

AC

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Ce effondrement brutal des marchés financiers est dû à trois raisons, qui sont certes

connues depuis longtemps mais qui ont canalisé l’exaspération et les craintes. La première, qui est probablement la plus importante, se place là où les menaces précédemment évoquées sont les plus fortes. Elle situe vraisemblablement l’origine de cette nouvelle crise d’excès de dette publique (après celle des « subprimes ») en Europe, puisque les corrections boursières y ont été les plus sévères. La mise à contribution effective du secteur privé dans la résolution de la crise grecque, par l’absorption d’une perte potentielle de 21% des prêts accordés, a inévitablement pu jouer un rôle de déclencheur, en révélant les faiblesses systémiques des banques européennes, en cas de contagion des défauts à l’Italie et à l’Espagne. Elle vient aussi de la lenteur d’exécution des décisons prises le 21 juillet dernier par les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union Européenne (nécessité d’une ratification par les parlements nationaux). Elle s’explique surtout par l’incapacité des Etats-membres de répondre très rapidement aux exigences d’orthodoxie financière, de gouvernance politique, de coordination économique et de solidarité budgétaire6 (« règle d’or » budgétaire préalable, puis eurobonds) que les opérateurs de marchés financiers chercheraient à leur imposer. Cette exigence d’intégration budgétaire, politique et fiscale apparaît en effet nécessaire pour contrebalancer le handicap structurel de la construction d’une zone monétaire, qui n’était pas « optimale » dès sa conception, du fait de l’absence de mobilité des facteurs de production et des divergences structurelles de croissance potentielle, d’endettement public et de compétitivité des différents pays entre eux.

En particulier, il s’agirait désormais de corriger progressivement les écarts de coûts et

de compétitivité entre les pays d’Europe du nord et ceux du sud, par des transferts de revenus, des plus riches vers les plus pauvres. Ces transferts serviraient notamment à aider les territoires, qui sont en difficulté de convergence économique (productivité du travail, inflation, capacité à exporter, etc.), à construire peu à peu dans le temps, par des investissements appropriés, des spécialisations productives susceptibles d’accroître véritablement leur rythme tendanciel d’activité à moyen et à long terme. Par ailleurs, il est clair que l’austérité budgétaire exigée par les marchés financiers porte en elle-même un cercle vicieux de récession et de risque induit d’augmentation des ratios de dette publique. Elle implique de mener des politiques de déflation interne des prix et des salaires dans les pays insuffisamment compétitifs, face à l’impossibilité d’une dévaluation avec la monnaie unique. Elle ne peut donc pas constituer la seule stratégie, surtout si elle s’applique simultanément à de nombreux Etats. Cependant, peu de nations européennes sont totalement prêtes à une telle éventualité aussi explicite et rapide de fédéralisme budgétaire, notamment l’Allemagne, qui a pourtant des excédents extérieurs considérables, car ce changement radical de conception de l’Union européenne leur ferait perdre une grande partie de leur souveraineté nationale.

La seconde raison tient à l’absence inhabituelle de pragmatisme politique outre-

Atlantique. Aux Etats-Unis, l’affichage de l’impossibilité pour les grands partis de se mettre d’accord sur des objectifs de réduction des déficits publics, à l’occasion du relèvement de plafond de la dette, a également mis en évidence un problème majeur de gouvernance, qui a été aggravé par la dégradation de la dette par Standard & Poors. La situation des finances publiques américaines7 apparaît en effet beaucoup plus dégradée que celle de la zone euro prise dans son ensemble, même si l’Europe ne représente qu’une réalité budgétaire fractionnée et une organisation politique largement divisée. Tout ceci entre également en résonnance aux Etats-Unis avec un déficit extérieur structurel (encore plus de 3% du PIB, en dépit de la récession, qui l’a fait pourtant diminuer de

6 Idéalement, il s’agirait de l’instauration préalable d’une « règle d’or » budgétaire dans la Constitution de chaque Etat-membre et d’une harmonisation fiscale minimale, renforcée par l’amélioration des processus européens de gouvernance et de surveillance, avant d’envisager la création éventuelle d’un marché profond et étendu d’euro-obligations, concurrent de celui des Etats-Unis. Ces « eurobonds » ne devraient théoriquement financer que des investissements d’avenir et non des dépenses de fonctionnement, afin d’éviter la tentation politique de certains pays (des « passagers clandestins »), de les utiliser pour accroître de nouveau leurs déficits budgétaires et par conséquent leurs dettes publiques, pour des raisons trop souvent de court terme, voire de conquêtes électorales… 7 Le déficit public américain a atteint 10,7% du PIB en 2010 et devrait atteindre plus de 9% en 2011 et plus de 8% en 2012. La dette publique se situait à 77,4% en 2010 et devrait dépasser 83% du PIB en 2011. La situation globale de la zone euro est bien meilleure, surtout si on prend en compte l’absence de déficit extérieur structurel. Le déficit public était de 6% en 2010 et atteindrait près de 4,3% en 2011 et 3,4 % en 2012. A contrario, la dette publique représentait 85,8% du PIB en 2010 et dépassera vraisemblablement 87,5% en 2011. Ce dernier ratio n’est cependant pas tellement différent de celui des Etats-Unis.

Les raisons européennes du basculement brutal des anticipations

Le manque inhabituel de pragmatisme politique américain

La difficulté d’une réponse politique rapide en Europe

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moitié), avec un endettement des ménages toujours très important (supérieur encore à 115% de leur revenu disponible brut, après un pic à plus de 125%) et avec l’incapacité des politiques monétaire et budgétaire, pourtant historiquement8 expansionnistes depuis 2008, à relancer durablement l’économie, pour résorber à la fois le chômage et les besoins de financement publics.

Enfin, la troisième raison tient à la révision drastique des comptes nationaux américains

et à la confirmation d’un essoufflement économique plus marqué que prévu par les indicateurs qualitatifs (détérioration manifeste des enquêtes de confiance, notamment en juillet et en août) et quantitatifs. Il apparaît ainsi que la récession de 2008-2009 a été beaucoup plus forte que précédemment estimé, et que le rebond qui a suivi s’avère beaucoup plus faible. En particulier, le PIB n’a progressé que de seulement 0,4% l’an au 1er trimestre et de 1% l’an au 2ème trimestre 2011 (soit 1,5% l’an en glissement annuel), tandis que le secteur de la construction résidentielle reste toujours sinistré et qu’une tendance à un affaissement net des créations d’emplois semble se dessiner. L’inquiétude vient aussi d’un constat historique sur la vitesse de décrochage de la conjoncture d’outre-Atlantique : quand la progression en glissement annuel du PIB ploie sous les 2%, on assiste souvent à un recul de l’activité dans l’année qui suit. La crainte d’un retour en récession de la plus puissante économie mondiale s’est donc ravivée, avec un risque d’effondrement induit et dangereux du dollar. Par ailleurs, le ralentissement économique européen et mondial est patent au 2ème trimestre, même s’il était attendu.

Le refus du pessimisme excessif : des facteurs d’es poir

Quand les perspectives économiques sont particulièrement troublées et incertaines, le discours pessimiste, voire catastrophique, qui examine les sources de risques et appelle rationnellement à la prudence, est toujours plus facile à tenir qu’une vision plus positive. Cette dernière réclame en effet une certaine confiance dans des convictions qui peuvent aisément être tournées en dérision, même si elles sont fondées sur des analyses sérieuses. Il est vrai qu’une rechute en récession des économies avancées et l’émergence d’une déflation mondiale, venant notamment d’une implosion de la zone euro, sont des hypothèses que l’on ne peut plus totalement écarter. Cependant, sans être excessivement optimiste, elles ont actuellement une probabilité plus faible que celle qui impliquerait un ralentissement économique temporaire, même s’il se révèlait beaucoup plus sévère que prévu, du fait d’une perte général de confiance et d’un report transitoire des projets d’investissements et de dépenses. Il existe a contrario une seule certitude : la croissance réelle sera bien inférieure à la celle anticipée antérieurement dans les pays développés pour 2011 et pour 2012, du simple fait de l’insuffisance mécanique des effets d’acquis de l’activité.

Pour éviter un coût économique et politique exhorbitant, ainsi qu’une remise en cause

irréversible de la construction européenne, l’intégrité de l’Union Européenne devrait être préservée par la mutualisation et/ou la restructuration des dettes souveraines des pays en difficulté de refinancement. L’accord de soutien financier collectif du 21 juillet9 était une avancée majeure dans ce sens.Tout autre scénario, comme la tentation d’un défaut

8 Les politiques américaines d’ordre budgétaire et monétaire n’ont jamais été aussi expansionnistes depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. 9 Le sommet européen du 21 juillet 2011, avec le soutien de la BCE et du FMI, a apporté des réponses crédibles au surendettement grec et a réaffirmé la volonté des Etats membres de préserver solidairement l’intégrité de l’Union. Dans ce cadre, la reconnaissance de l’insolvabilité hellène a poussé à mettre en place un nouveau plan de sauvetage plus adapté (109 Mds €). Il passe par le Fonds Européen de Stabilité Financière (FEFS), qui dispose d’une enveloppe d’aide de 440 Mds €. Il implique le secteur privé (acceptation par les créanciers privés de la Grèce, sur une base volontaire, d’une décote de 21% en valeur actualisée). Il conduit à une réduction du stock de la dette publique. Il intègre de véritables concessions sur les modalités de refinancement de la dette, la rendant alors plus « soutenable ». En particulier, l’allongement des maturités est notable (entre 15 et 30 ans, contre 7,5 ans auparavant) et la baisse des taux d’intérêt est importante (3,5% contre plus de 5% auparavant). Il offre une garantie en capital par des mécanismes de « collatéralisation », à l’exemple de ceux qui avaient été utilisés avec succès en Amérique Latine par le plan « Brady » dans les années 1980. Cela permettrait à la BCE de continuer à soutenir le système bancaire hellène, car elle conserverait ainsi la possibilité d’accepter des obligations grecques, même si les agences de notation abaissaient la note souveraine de ce pays en catégorie défaut. De plus, le FESF est doté d’une plus grande flexibilité, pour prévenir les risques de contagion de la crise à d’autres Etats membres fondamentalement solvables, qui feraient face à des problèmes temporaires de liquidité. Sur les conseils de la BCE, il peut ainsi désormais intervenir de manière exceptionnelle sur le marché secondaire de la dette. Enfin, cette aide est aussi assortie d’une ébauche de « plan Marshall », pour reconstruire l’économie de la Grèce.

Des craintes ravivées de rechute en récession de l’économie américaine

« Le pire n’est pas toujours le plus probable ! »

Le maintien a priori de l’intégrité de l’Union Européenne

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partiel ou d’une sortie de la Grèce au pire moment des réflexes de contagion, risquerait en effet d’entraîner l’Europe, puis l’économie mondiale, sur des enchaînements dynamiques récessifs, voire plutôt déflationnistes, qui seraient trop difficiles à combattre une fois enclenchés, comme évoqué précédemment. A court terme, les interventions ciblées de la BCE sur le marché secondaire de la dette publique grecque, italienne ou espagnole, ainsi que la mise en place effective du fonds européens de stabilisation financière (FESF) en octobre pourraient calmer progressivement la spéculation.

En particulier, la BCE, qui joue le rôle de « prêteur et/ou d’acheteur en dernier ressort »,

a effectué un véritable tournant stratégique pour sauver l’euro à court terme, au risque de se trouver en situation de faillite10, si les pertes à son bilan résultant de l'achat de titres souverains de moindre qualité dépassaient ses fonds propres. Elle assure non seulement la liquidité des banques en difficulté de refinancement mais permet aussi d’éviter, par ses achats ciblés de titres publics, que les problèmes de liquidité des pays solvables comme l’Espagne et l’Italie ne se transforment en problème d’insolvabilité, du fait de la flambée « irrationnelle » des primes de risque sur les obligations publiques de ces deux pays. Or, face à une crise majeure d’identité, avant tout institutionnelle, la BCE ne peut pas être le seul acteur capable de préserver la construction européenne. Un message politique, à la fois crédible et fort, de cohésion et de coopération économique, émanant au moins du couple franco-allemand, est cependant largement nécessaire et urgent. Il devrait ainsi redonner le plus rapidement possible un sens au projet européen, en traçant une chemin tangible et opérant, ce qui casserait alors définitivement les craintes d’effets potentiels de dominos. Il pourrait passer par de nouvelles propositions : une restructuration organisée de la seule dette grecque, les autres pays n’ayant pas de réels problèmes de solvabilité ; une création à terme d’eurobonds sous des conditions préalables et strictes, interdisant toute dérive budgétaire future ; etc. Par exemple, les moyens d’intervention du fonds européen de stabilité financière11 pourraient être accrus de manière effective et pérenne, ce qui entraînerait probablement la transformation de ses statuts. Toutes ces solutions techniques impliquent une profonde réorganisation politique et institutionnelle de la zone euro, qui prendra forcément du temps.

Comme cela a déjà été écrit dans le précédent Flash, deux voies sont souvent

évoquées pour sortir de manière solidaire de la crise de la zone euro : se diriger vers un véritable fédéralisme budgétaire, c'est-à-dire vers un budget important et intégré au niveau européen, ou aller vers un fédéralisme assurantiel, c'est-à-dire vers des aides temporaires conditionnées à des efforts de redressement, et à des renégociations éventuelles de la dette. A moyen terme, l’avenir de la zone euro se jouera donc probablement à travers un processus progressif d’abandons partiels de souveraineté de chaque Etat-membre, c'est-à-dire de renforcement de l’intégration des politiques budgétaires, à travers la mise en place préalable d’une « règle d’or » budgétaire dans chaque pays, puis la création éventuelle d’un marché profond et étendu d’euro-obligations, concurrent de celui des Etats-Unis. Il s’agirait d’améliorer véritablement la gouvernance, la coordination des politiques économiques et de construire peu à peu et de manière implicite une forme particulière de fédéralisme européen, probablement plutôt limitée et souple. Les mécanismes de solidarité financière déjà mis en place, ainsi que les réformes structurelles mises en œuvre dans plusieurs pays (vote d’une « règle d’or » en Espagne, etc.), démontrent qu’un changement éventuel d'option stratégique est a priori possible, même en ce qui concerne l’Allemagne, pays plutôt opposé à un tel processus. La crise de la dette souveraine marquera un tournant dans l’histoire européenne.

En cas de maintien de l’intégrité de la zone euro, le ralentissement de l’économie

mondiale, qui était attendu, ne devrait pas obligatoirement déboucher sur une rechute en récession, en raison surtout des ressorts non négligeables d’un cycle naissant

10 La BCE ne détient que 10 Mds € de fonds propres et 81,5 Mds € de réserves. En cas de défaut d'un ou de plusieurs Etats souverains, deux solutions sont a priori possibles pour éviter une faillite de la BCE : d’une part, une recapitalisation de la BCE par les Etats membres de la zone euro, ce qui lui ferait perdre une partie de son indépendance et forcément sa crédibilité ; d’autre part, une création de monnaie ex nihilo pour financer ses interventions, ce qui est contraire à son mandat et au Traité et ce qui affecterait aussi beaucoup sa crédibilité. 11 De nombreux scénarios existent. Le FESF pourrait voir sa capacité effective de prêts augmenter dans des proportions encore plus convaincantes pour casser la spéculation des marchés financiers sur les effets de dominos. Il pourrait aussi connaître une transformation de ses statuts en Fonds Monétaire Européen (FME), ce qui lui permettrait de garantir des titres de dette bancaire ou de se refinancer directement auprès de la BCE…

La question du fédéralisme européen à moyen terme

Le rôle majeur de la BCE à court terme

Les ressorts puissants du cycle naissant d’investissement

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d’expansion et des corrections déjà effectuées par les agents privés. La phase actuelle confère en effet une dynamique puissante et prépondérante au redémarrage classique de l’investissement et à la reconstitution mécanique des stocks, avant que le recul du chômage, l’augmentation du pouvoir d’achat et les dépenses de consommation ne viennent consolider le socle d’activité par une demande privée auto entretenue. Ce phénomène est observable, tant aux Etats-Unis qu’en Europe et en France, où les dépenses en capital productif des sociétés (non financières) sont nettement reparties depuis au moins 2010. Ce mouvement, qui serait certes freiné par la détérioration récente des perspectives économiques, devrait néanmoins se poursuivre, car il est toujours à l’origine du cycle de reprise. Il s’explique par l’amélioration automatique de la productivité, par les besoins de renouvellement du capital (vieillissement et obsolescence) et par des conditions financières (profits, taux d’intérêt) souvent relativement favorables. Les entreprises ont généralement reporté leurs projets d’efficience pendant la crise. Elles ont a priori déjà réduit leurs personnels et leurs coûts, notamment salariaux. Les grandes entreprises ont d’ailleurs d’importantes réserves encore inutilisées de liquidités. De plus, une fois passée la récession et à ce stade naissant du déroulement de la conjoncture, les excès de stocks et de dépenses en capital de l’ensemble des agents privés ont été en grande partie résorbés. Outre-Atlantique12, en dépit de la mollesse de l’activité, la révision drastique des comptes nationaux confirme toujours les niveaux records des taux de marge et des profits des sociétés non financières13, leur donnant ainsi les moyens de poursuivre leurs investissements. Enfin, concernant les ménages américains, le secteur de la construction résidentielle, qui reste certes sinistré, est stabilisé à un plancher historiquement bas, qu’il est difficile d’enfoncer durablement, compte tenu du retard croissant des constructions neuves14, face à l’évolution de la démographie.

D’autres facteurs de soutien tiennent à l’existence de mécanismes auto-stabilisants de

la conjoncture (prix, politiques monétaires et budgétaires, euro) et à la volonté de rattrapage économique des pays émergents. La croissance des pays développés a principalement buté, de manière quasi mécanique et inhabituelle pour un début de redémarrage économique, sur la hausse de l’inflation15 d’origine externe, provoquant un choc de prix aussi important qu’en 2008. Cette tension a nettement pesé sur le pouvoir d’achat des pays non producteurs de matières premières. A contrario, le ralentissement relativement sévère de la conjoncture a d’ores et déjà induit une stabilisation favorable des prix du pétrole et des matières premières. Il pourrait même engendrer une plus forte baisse des cours que prévu dans ces projections. De même, la fragilité de nouveau révélée de l’environnement économique et les craintes d’émergence de processus déflationnistes « à la japonaise » vont renforcer davantage la prudence et le gradualisme des politiques monétaires et budgétaires. Les durcissements monétaires anticipés avant la période estivale ont d’ailleurs déjà été repoussés à 2013, de part et d’autre de l’Atlantique. En outre, s’y ajouterait l’absence d’enclenchement d’un « credit crunch ».

Concernant l’Europe, il n’est pas non plus impossible d’espérer un recul de l’euro, qui

reste très nettement surévalué en parité de pouvoir d’achat (1,25 dollar selon le FMI), alors que la croissance potentielle de l’union monétaire, en défi de « reconvergence », est

12 La situation financière des entreprises européennes et françaises est cependant moins florissante que celle de leurs homologues américaines. 13 Le taux d’épargne des sociétés non financières américaines n’a jamais été aussi élevé depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, excepté la période transitoire du second semestre 2005. 14 En particulier, le taux d’investissement en constructions résidentielles rapporté au PIB en volume est proche de 2%, un niveau particulièrement bas par rapport à une moyenne de 5,3% sur la période 1973-2009. 15 Ce phénomène est très inhabituel dans les pays développés au début du redémarrage d’un cycle d’expansion, l’ampleur du chômage et la faiblesse des taux d’utilisation des capacités de production n’exerçant pas a priori de tensions sur les salaires et les prix. Il s’explique principalement par la flambée des matières premières, qui provient du poids plus important et de la contribution grandissante à la croissance mondiale des économies émergentes en rattrapage économique. S’y ajoute l’impact probable de la spéculation, liée à l’abondance de liquidités et à des politiques monétaires toujours ultra-accommodantes de part et d’autre de l’Atlantique, sans parler des tensions géopolitiques en Afrique du nord. Les prix du pétrole (Brent mer du Nord) ont ainsi presque retrouvé, de 2009 à la mi-2011 (plus de 126 dollars le 2 avril 20011, contre moins de 36 dollars en début janvier 2009), les pics de niveau qu’ils avaient connu en juillet 2008 en dollars (plus de 145 dollars le 11 juillet 2008) et en euros, lors de la fin de la phase précédente de croissance. Cette réalité a même produit un dilemme inflation-chômage dans des pays comme la Chine, compte tenu de la naissance d’une boucle prix-salaires. Elle a aussi conduit la Réserve fédérale américaine et la BCE à s’interroger sur la meilleure stratégie à adopter, pour lutter contre les risques d’inflation de « second tour », en dépit de la faiblesse des gains salariaux. Leur réponse paradoxale a d’ailleurs reflété la nature distincte de leur mandat respectif.

D’autres facteurs de soutien

La question de l’euro et de la poursuite du dynamisme des pays émergents

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structurellement plus faible que celle des Etats-Unis. Dans ce cas, un tel réajustement de parité permettrait un rééquilibrage plus aisé des comptes publics des pays en difficulté de compétitivité, tout en bénéficiant à l’ensemble de la zone euro. En outre, au Japon, les catastrophes successives ont probablement joué un rôle non négligeable dans la baisse du rythme d’activité mondiale au premier semestre 2011, désorganisant au minimum de nombreuses chaînes de production. La reconstruction du pays et la reprise progressive des activités industrielles pourraient relancer transitoirement la conjoncture mondiale, après une période de net passage à vide, par la redynamisation du commerce international au second semestre 2011. Enfin, l’activité demeure bien orientée dans les pays émergents, même si elle ralentit, en partie volontairement, notamment dans l’Empire du Milieu, en raison de la mise en place de politiques monétaires restrictives, avec un dilemme inflation-change16. Cette stratégie vise en effet à prévenir une surchauffe inflationniste dangereuse à terme, qui est alimentée par l’émergence de boucles prix-salaires. Les moindres tensions sur les matières premières lui apportent récemment un appui indéniable, qui devrait limiter les efforts gouvernementaux pour provoquer une décélération plus forte de ces économies. Ainsi, le dynamisme de la demande intérieure semble donc compenser partiellement la croissance plus faible des marchés à l’exportation, surtout en Chine, où la poursuite paradoxale d’une envolée des nouveaux crédits bancaires peut être observée.

Une croissance économique revue en nette baisse

Tous ces facteurs de soutien sont susceptibles de conjurer l’entrée dans un processus durable de récession mais n’empêcheraient pas l’activité des pays développés de ralentir probablement très nettement au second semestre 2011 et sur une grande partie de l’année 2012, pour les raisons évoquées précédemment. En particulier, la prudence s’impose indubitablement en matière de prévisions, car les décisions politiques (types de solution et rapidité), tant européennes qu’américaines, vont vraisemblablement jouer un rôle central sur les perspectives économiques, dans un contexte pré-électoral pour de nombreux pays et de situation larvée de « conflit-coopération » dans la zone euro. L’hypothèse d’une amélioration de la gouvernance européenne est majeure. La croissance devrait donc être très modeste de part et d’autre de l’Atlantique et, par conséquent en France, pouvant même être révisée en nette baisse, en fonction de la nature et du déroulement des évènements, ainsi que de l’ampleur de la défiance.

Le PIB américain augmenterait de seulement 1,5% en 2011 et 1,8% en 2012. Le PIB de

la zone euro serait d’environ 1,7% en 2011 et de 1,1% en 2012, tout comme celui de la France, hormis en 2011, où il ne progresserait que de 1,6%, en dépit du rebond vif et transitoire17 du premier trimestre.

L’inflation s’atténuerait dans la plupart des pays développés. La moyenne annuelle

passerait en France de 2,1% en 2011 à 1,6% en 2012. Cela permettrait au pouvoir d’achat de croître faiblement, d’environ 0,8% l’an en 2011-2012 dans le cas français. Le taux de chômage fléchirait beaucoup plus lentement, voire augmenterait un peu pendant la période de décélération des économies avancées. Pour la France métropolitaine, il se stabiliserait autour de 9,2% en 2012, contre 9,1% en 2011. L’investissement productif, en lien avec le rebond de la productivité, resterait le moteur de l’activité, tout en perdant en dynamisme, face aux inquiétudes suscitées par le ralentissement économique et par la volatilité des marchés financiers. La consommation, en progression modérée, pâtirait du processus long de désendettement public et privé. Elle n’augmenterait en France que de 0,6% en 2011 et de 0,8% en 2012, une évolution particulièrement modeste en comparaison des cycles antérieurs. Cependant, le taux d’épargne français (16,2% en 2011 et 16,1% en 2012), qui reste supérieur de plus d’un point de revenu disponible brut

16 Le resserrement des conditions d’accès au crédit, source d’une appréciation de la monnaie, produit un dilemme inflation-change dans des pays comme la Chine. Dans ce cas, la lutte, déjà amorcée, contre l’émergence d’une boucle prix-salaires, attire davantage les flux de capitaux internationaux sur le sol chinois, en raison des resserrements monétaires de ce pays. Cela conduit à une alimentation paradoxale du crédit. Cela pourrait aussi conduire à une appréciation importante du yuan, contraire à la stratégie mercantiliste d’expansion par les exportations, basées sur une devise chroniquement sous-évaluée et arrimée au dollar. Il faut noter que 38% des exportations chinoises sont à destination des Etats-Unis et de l’Union européenne. 17 Ce rythme élevé du premier trimestre 2011 était la conséquence du rattrapage de l’impact négatif, au quatrième trimestre de l’année dernière, des mouvements sociaux et de la vague de froid, sans parler du phénomène de déstockage mené par les entreprises à cette époque.

Une croissance probablement très modeste en 2012, notamment en France

Une marge de réduction du taux d’épargne français ?

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à son niveau moyen observé de 1990 à 2007, conserve une marge de réduction plus importante que dans ce scénario. Il est alors susceptible de soutenir davantage les dépenses des ménages. Après une récession, le recul de cet agrégat, qui est la manifestation d’un changement graduel de comportement, est souvent constaté, dès lors que l’activité redémarre, même timidement.

A un horizon plus long, la croissance potentielle18 des pays développés, permise par les

facteurs de production en hommes et en machines et par la productivité tendancielle, devrait être très inférieure à celle du cycle antérieur. Cela serait dû au moindre dynamisme de leur population en âge de travailler19, aux pertes en capital productif20 consécutives à l’ampleur de la récession, à l’importance croissante dans l’économie mondiale des pays émergents et au temps nécessairement plus long pour dominer une crise financière majeure d’excès d’endettement privé puis public. De part et d’autre de l’Atlantique, les marges des politiques conjoncturelles sont quasiment épuisées. De plus, la sortie de crise imposera naturellement leur normalisation graduelle et prudente, afin d’éviter tout risque de rechute, ce qui freinera a contrario l’ampleur des rebonds économiques. De manière générale, l’action publique doit désormais assumer la fin du rôle des stabilisateurs automatiques des déficits publics, tout en cherchant la méthode optimale et sociale de consolidation budgétaire la moins destructrice de croissance21 à court terme, par une véritable analyse des coûts et et des avantages de chaque poste de

18 Aux Etats-Unis, la croissance potentielle serait selon le Congressional Budget Office autour de 2% l’an en 2011-2012 et tendrait vers 2,5% l’an à l’horizon de 2015. Pour l’Europe, elle serait selon la Commission européenne et l’OCDE plutôt vers 1,5% l’an (estimation basse) et de 2% l’an d’après une estimation haute. Il en serait de même pour l’économie française. 19 Aux Etats-Unis, selon le Congressional Budget Office, la population âgée de 16 à 64 ans, tout comme la population active disponible, ne progresseraient que de 0,9% l’an au cours des cinq prochaines années, contre 1,2% l’an de 2000 à 2008. Dans la zone euro, la population de 16 à 64 ans régresserait de 0,1% l’an de 2010 à 2015, contre une progression de 0,4% l’an de 2000 à 2008. En France, elle resterait sans accroissement notable de 2010 à 2015, contre une progression moyenne de 0,7% l’an entre 2000 et 2008. La population active disponible française croîtrait de 0,5% l’an sur les cinq prochaines années, contre 0,8% l’an entre 2000 et 2008. 20 Aux Etats-Unis, le stock de capital productif a nettement freiné sa progression dans l’ensemble de l’économie, du fait de la chute antérieure de l’investissement. Son rythme d’accroissement serait inférieur à 1% l’an, ce qui serait insuffisant pour permettre une croissance annuelle à moyen terme de 2,5%. 21 Par le passé, les expériences réussies de consolidation budgétaire ont souvent prouvé qu’un contrôle programmé de la dépense publique pesait généralement moins sur l’activité à court terme qu’un relèvement de l’imposition. Une politique de rigueur, qui serait menée sur plusieurs années, ne pourrait toutefois être acceptée par le corps social qu’à la condition que soit véritablement mis en œuvre un processus crédible d’optimisation des dépenses publiques (avec l’application effective de la notion de coût-avantage aux différents postes de dépense budgétaire) et de réorganisation efficace et jugée équilibrée des prélèvements fiscaux et sociaux.

Des tendances longues moins favorables qu’auparavant

Contribution à la croissance du PIB français de la consommation des ménages, de l'investissement des entreprises et du commerce ext érieur depuis 1996

0,0%

3,6%

2,0%1,3%

1,5%0,7%

-0,7%

2,3%

0,9%0,3%

-6,1%

1,5%

-5,9%

-1,3%

-2,7%

1,4%

-2,6%

-7,0%

-5,0%

-3,0%

-1,0%

1,0%

3,0%

5,0%

1986

1988

1990

1992

1994

1996

1998

2000

2002

2004

2006

2008

2010

Q2 20

08

Q4 20

08

Q2 20

09

Q4 20

09

Q2 20

10

Q4 20

10

Q2 20

11

Consommation ménages Investissement SNF Commerce extérieur stocks PIB

ANNUEL TRIMESTRIEL (/an)

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dépenses et de recettes. Elle ne pourra d’ailleurs pas inciter durablement le secteur privé à dépenser plus, tant que ce dernier n’aura pas assaini son bilan et se trouvera encore sous la menace de ponctions fiscales substantielles. De plus, la rareté des ressources naturelles tend à contenir toute velléité d’expansion dans les économies développées, l’envolée des prix des produits de base amputant alors leur pouvoir d’achat, avant même de retrouver un rythme de croisière.

La croissance tendancielle des nations occidentales dépendra aussi de la recherche de

nouvelles stratégies de compétitivité et d’innovation, ce qui est un processus long et difficile par construction. Cette question se pose de manière cruciale pour l’avenir de la zone euro, où chaque Etat-membre doit trouver progressivement les moyens d’une meilleure spécialisation productive, pour s’insérer plus efficacement dans un projet européen de « reconvergence économique », au-delà de la forme éventuelle que prendra le fédéralisme budgétaire. Les pays émergents, toujours en processus de rattrapage économique, devraient en revanche continuer de tirer l’activité mondiale. L’Asie demeurerait la zone la plus dynamique, en dépit d’un potentiel d’offre amoindri par l’affaiblissement de la progression démographique. Dans ce contexte, il est fait l’hypothèse que la France verrait son PIB s’approcher progressivement de sa tendance de long terme (1,7% par an) à partir de 2013, en dépit d’un problème structurel de compétitivité.

Taux d’intérêt : un retour transitoire au risque ex trême de déflation ?

La débâcle boursière récente, qui est due à l’intensification de la menace d’un défaut

souverain européen, au spectre concomitant d’une crise bancaire systèmique, aux blocages politiques américains sur la dette publique et aux craintes réitérées de rechute en récession de part et d’autre de l’Atlantique, a profondément modifié l’environnement des marchés de taux d’intérêt depuis la période estivale, comme s’il s’agissait d’un changement d’univers. L’aversion au risque extrême de déflation semble même avoir réapparu, dans la mesure où les rendements des emprunts publics de bonne signature se sont très rapidement effondrés en dessous des planchers historiques, ces obligations jouant, tout comme l’or ou le Franc suisse, le rôle de valeur refuge.

En septembre, les taux longs à 10 ans américains et allemands ont largement cassé la

barre des 2%, se repliant même en dessous des plus bas observés après la faillite de Lehman Brother. Les taux longs français sont retombés presque en dessous de 2,5%. Ils étaient proches de 3,8% en avril dernier. Il en a résulté un aplatissement de la courbe des

Un PIB français en progression de 1,7% l’an à partir de 2013 ?

Un changement d’univers ?

Evolution des taux longs à 10 ans aux USA et en Fra nce depuis 1996

1,5

2,0

2,5

3,0

3,5

4,0

4,5

5,0

5,5

6,0

6,5

7,0

7,5

01/01/1996 15/05/1997 27/09/1998 09/02/2000 23/06/2001 05/11/2002 19/03/2004 01/08/2005 14/12/2006 27/04/2008 09/09/2009 22/01/2011

Tau

x d'

inté

rêt e

n %

Tx 10 ans USA OAT 10 ans France

Inflation de long terme UEM : 2%

Inflation de long terme USA : 2,5%

EN %

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taux d’intérêt, surtout en Allemagne où le taux à 10 ans tend à s’aligner sur l’euribor à 3 mois. L’écart (spread) est alors devenu énorme avec les rendements des Emprunts des Etats européens du sud qui ne sont pas jugés solvables. Les taux longs italiens et espagnols ont dépassé 6% en juillet et les taux hellènes sont supérieurs à 20% en septembre. La dispersion des taux d’intérêt est même revenue vers celle d’avant la création de la monnaie unique, comme si la zone euro avait déjà éclaté.

La BCE a dû renforcer sa politique monétaire non-conventionnelle, qu’il s’agisse de ses

opérations de refinancement illimitées des banques ou des achats ciblés de titres de dette, dans l’attente de la mise en œuvre des décisions prises le 21 juillet par les Etats-membres de l’Union européenne. La défiance des établissements de crédit entre eux s’est en effet de nouveau aggravée, bloquant ainsi en partie le marché interbancaire, du fait d’une succession de rumeurs portant sur leur solidité financière et du fait des spéculations sur leurs pertes potentielles, en cas de défauts désordonnés et en cascade des pays européens les plus fragiles. Il en a résulté un assèchement de la liquidité en dollar pour les banques européennes, ainsi qu’un gonflement de leurs dépôts auprès de la banque centrale. Depuis le 7 août dernier, la BCE a procédé en particulier à une réactivation du programme de rachat de dette publique sur le marché secondaire (SMP), en l’étendant à deux pays solvables, l’Italie et à l’Espagne, pour éviter une envolée trop forte de leurs primes de risque. Elle stérilise néanmoins a priori systématiquement ce type d’opérations par des reprises de liquidités équivalentes. Dès octobre, le Fonds Européen de Stabilité Financière devrait en principe être autorisé de se substituer à elle pour le rachat de titres publics, après la ratification des parlements nationaux.

De son côté, face au risque de rechute en récession, la Réserve fédérale américaine,

qui a pourtant atteint les limites de son efficacité pour soutenir l’activité, pour redynamiser le marché immobilier et pour faire baisser le chômage, relance également ses mesures non-standard mais sans injecter de nouvelles liquidités. Elle a notamment annoncé le 21 septembre 2011 un réaménagement de son portefeuille22, destiné à abaisser un peu plus les rendements des obligations à maturité longue, afin de contraindre les investisseurs à chercher des projets plus rentables et plus risqués.

Le risque d’émergence de processus déflationniste et de nouvelle crise bancaire

systémique va contraindre les banques centrales, de part et d’autre de l’Atlantique, à maintenir un statu quo monétaire au moins jusqu’en début 2013. La Réserve fédérale a d’ailleurs prévenu qu’elle n’augmenterait pas son principal taux directeur avant la mi-2013. La BCE pourrait même décider de réduire assez rapidement (le 6 octobre 2011, avant le passage de relais de la présidence du Conseil des Gouverneurs) le sien d’au moins 25 points de base, voire de 50 points d’ici la fin de l’année, en cas de restructuration plus dure que prévu de la dette grecque, d’accentuation des tensions bancaires dans la zone euro et d’enchaînement déflationniste. Dans le scénario tendanciel proposé de ralentissement économique sévère, donc d’absence de rechute en véritable récession, il est fait l’hypothèse qu’elle le laisserait inchangé à 1,5% jusqu’en début 2013. Il est vrai que l’efficacité d’un recul supplémentaire du taux directeur n’est pas démontrée face au risque de « trappe à liquidité23 ». Ce statu quo lui permettrait de simplement marquer une pause dans son processus de normalisation monétaire, tout en utilisant en priorité la souplesse des mesures non conventionnelles, tant que l’environnement économique et financier rendra nécessaire ce type d’intervention. En effet, la BCE dissocie par principe sa politique conventionnelle, dévolue à l’objectif exclusif de stabilité des prix à moyen terme pour l’ensemble de la zone euro, de ses actions non standard, qui visent à assurer temporairement l’approvisionnement en liquidités du système financier, là où des dysfonctionnements de marchés perdurent.

22 La Fed va racheter jusqu’en juin 2012 pour 400 Mds $ d’obligations d’Etat américaines de maturité de 6 à 30 ans et va céder le même montant en obligations à maturité courte de moins de 3 ans. Elle va également réinvestir le principal de la vente de titres immobiliers dans de nouvelles obligations émises par les agences hypothécaires Fannie Mae et Freddie Mac, pour maintenir à un bas niveau les taux des crédits immobiliers, quand le marché repartira. 23 Dans ce dernier cas, la politique monétaire devient inefficiente, quand les institutions financières ou les investisseurs ont tendance à ne plus prêter aux agents économiques, en raison de l’importance de leurs pertes (dues notamment aux actifs « toxiques » ou de moins bonne signature), de leurs besoins induits en fonds propres, de la faiblesse des rendements et de l’élévation gigantesque du coût du risque, liée au chômage et à la faillite des entreprises. De même, les ménages et les sociétés ne veulent plus emprunter, du fait de la morosité durable des perspectives économiques et d’un comportement chronique de désendettement et d’attentisme.

Une relance des politiques monétaires non conventionnelles

Statu quo monétaire jusqu’en début 2013

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Les politiques monétaires demeurent toujours historiquement hors normes de part et d’autre de l’Atlantique, avec des taux directeurs toujours anormalement bas et surtout avec des mesures non conventionnelles, implicites ou explicites, de quasi monétisation de la dette publique. Or, ces actions exceptionnelles ne se justifient que par des situations économiques d’urgence, quand il s’agit d’enrayer l’émergence d’un processus avéré de déflation, une crise bancaire systémique ou encore un contexte temporaire de crise aiguë, comme par exemple la série de catastrophes au Japon ou celle que traverse actuellement l’Union européenne. A partir de 2013, elles n’ont pas vocation à s’éterniser, sauf à créer les conditions dangereuses à moyen terme d’une perte durable de crédibilité des banques centrales, de nouveaux déséquilibres inflationnistes (bulles d’actifs, demande butant sur une offre potentiellement plus faible qu’auparavant, compte tenu des pertes en capital humain et physique) et d’une déformation artificielle de l’allocation du capital au mépris du risque. En effet, dans ce dernier cas, le coût de la liquidité serait alors considéré comme quasi gratuit. L’efficacité structurelle de la politique monétaire doit ainsi impérativement être préservée sur le long terme. Cependant, la fragilité de la reprise économique, la nature d’origine plutôt externe (matières premières énergétiques et alimentaires) des tensions inflationnistes dans les pays développés et la nécessité d’accompagner le processus nécessairement long de restriction budgétaire vont vraisemblablement imposer une stratégie prudente et graduelle de durcissement des politiques monétaires des deux côtés de l’Atlantique.

A partir de 2013, la BCE va donc augmenter son principal taux directeur de manière

tempérée et progressive, contrairement au cycle antérieur de resserrement monétaire effectué en 2005 et en 2008, notamment en raison de l’hétérogénéité des situations conjoncturelles des différents pays européens. Il passerait de 1,5% en 2012, à 1,75% au 1er trimestre 2013, puis seulement à 2% au 3ème trimestre 2013. Il augmenterait ensuite par paliers réguliers de 25 points de base par trimestre, pour se stabiliser 3,5% à partir du 2ème trimestre 2015. En moyenne annuelle, les taux à 3 mois français seraient de 1,4% en 2011, de 1,6% en 2012, de 2% en 2013, puis de 2,8% en 2014 et de 3,55% en 2015.

Les taux longs américains, allemands et français ont atteint des niveaux beaucoup trop

bas, qui s’expliquent par un retour anormal de l’aversion au risque extrême de déflation, par le rôle exagéré de valeur refuge que jouent les émetteurs publics de bonne signature et par le contrôle quantitatif prolongé mais inévitablement temporaire qu’exercent directement sur la demande de titres, les politiques monétaires non conventionnelles de monétisation de la dette publique, notamment celle de la Réserve fédérale américaine. Les rendements réels (défalqués de l’inflation courante) sont même devenus négatifs aux Etats-Unis et outre-Rhin, comme si les prêteurs assumaient une perte immédiate de

Une logique de normalisation monétaire graduelle et prudente à partir de 2013

Structure des taux d'intérêt français 2011-2015SCENARIO TENDANCIEL

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Taux directeur BCE Tx 3 mois Tx swap 10 ans OAT 10 ans pente 10ans-3mois

Niveau des taux en % Pente en %

PENTE : taux swap 10ans - taux 3mois

Echelle de droite Projections 2011-2015

Des taux longs anormalement bas

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FLASH – ETUDES, VEILLE & PROSPECTIVE – N°160, septembre 2011

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pouvoir d’achat, pour se prémunir contre l’anticipation d’un recul continu des prix à moyen terme. En particulier, si on déflate le taux à 10 ans américain de l’inflation sous-jacente (indice des prix hors pétrole et produits alimentaires), ce phénomène exceptionel apparaît clairement (cf. graphique ci-dessous). Cette hyper sensibilité des rendements obligataires à la perception de la dynamique de l’activité viendrait aussi de la conscience que les marges de manœuvre budgétaires et monétaires sont d’ores et déjà épuisées, en cas de retour à une spirale baissière de la conjoncture. Une fois passée la période de ralentissement économique plus ou moins sévère et de stress excessif, il est probable que les taux longs se tendent de nouveau, pour évoluer davantage au rythme de la croissance nominale, qui est supposée ralentir transitoirement au seconde semestre 2011 et au premier semestre 2012 dans ce scénario tendanciel.

A partir de 2013, le rééquilibrage naturel entre l’offre et la demande de titres publics est

susceptible d’induire de vives tensions sur les rendements obligataires américains, surtout si la phase de ralentissement économique s’estompe, si l’appétit des pays émergents pour les dettes souveraines s’amenuise, du fait de la réorientation de leur épargne vers la croissance interne, et si les politiques monétaires poursuivent leur processus de normalisation. Ce phénomène se propagerait alors forcément à l’Europe et donc à la France. L’offre brute de titres semi-publics et bancaires pourrait également buter sur une demande d’autant moins abondante que l’investissement privé pourrait redémarrer davantage après 2012.

Sauf en cas de récession avérée, les taux longs français vont progressivement corriger

le niveau anormalement bas atteint durant cette phase de défiance excessive, tout en pâtissant d’une forte volatilité, selon les thèmes prépondérants de l’actualité du moment. Des tensions plus fortes ne sont d’ailleurs pas exclues, en raison d’un alourdissement de la prime de risque. Cependant, l’endettement élevé, qui impose des restrictions budgétaires continues et un processus de désendettement privé, pèse durablement sur la croissance, ce qui tempère le développement de l’inflation. Ceci borne en retour le potentiel d’augmentation des rendements obligataires. La remontée des taux longs serait donc cohérente avec un renforcement modéré du cycle d’activité, un redressement mesuré de l’inflation, des déficits publics encore élevés, une fin programmée des politiques monétaires non conventionnelles, peut-être dès le second semestre 2012, et une anticipation induite de durcissement graduel et prudent des taux directeurs à partir de 2013. En moyenne annuelle, l’OAT 10 ans se situerait à 3,3% en 2011 (mais 2,9% au 3ème trimestre et 3,1% au 4ème trimestre 2011), à 3,35% en 2012 et à 3,7% en 2013, pour atteindre ensuite 4,15% en 2014 et 4,4% en 2015.

Achevé de rédiger le 22 septembre 2011 par Eric BUFFANDEAU

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Un risque ultérieur de krach obligataire

Les taux à 10 ans américains déflatés de l'inflatio n sous jacente

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Taux 10 ans réel USA inlation sous jacente USA (glist. an)

Une correction mesurée à la hausse des taux longs

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ANNEXES : PRINCIPAUX TABLEAUX DES PREVISIONS 2011-2015

Achevé de rédiger le 22 juillet 2011 par Eric BUFFANDEAU

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LE CONTEXTE ECONOMIQUE ET FINANCIER DU SCENARIO TEN DANCIEL En % 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015

PIB USA 3,1 2,7 1,9 -0,3 -3,5 3,0 1,5 1,8 2,3 2,4 2,4Chômage USA 5,1 4,6 4,6 5,8 9,3 9,6 9,1 9,1 8,8 8,5 8,2Inflation USA (moy.) 3,4 3,2 2,9 3,8 -0,3 1,6 3,0 1,7 1,8 2,2 2,4

PIB zone euro 1,7 3,2 2,8 0,2 -4,1 1,7 1,7 1,1 1,7 1,7 1,8Chômage zone euro 9,1 8,4 7,4 7,6 9,6 10,1 10,0 9,8 9,5 9,1 8,7Inflation zone euro (moy.) 2,2 2,2 2,1 3,3 0,3 1,6 2,5 1,6 2,0 2,0 2,0

Change euro/…dollars 1,24 1,26 1,37 1,47 1,39 1,33 1,41 1,36 1,31 1,30 1,30Pétrole ($ Brent) 54,8 65,6 72,6 111,4 61,6 79,9 111,3 112,5 120,0 125,0 130,0

CAC40 (31/12) 4715 5542 5614 3 218 3 936 3 805 3 400 3 700 4 000 4 200 4 400

LE CONTEXTE ECONOMIQUE DE LA FranceEn % 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015

PIB 1,9 2,7 2,2 -0,2 -2,6 1,4 1,6 1,1 1,6 1,7 1,8Conso. Mén 2,5 2,4 2,3 0,2 0,1 1,3 0,6 0,8 1,3 1,5 1,6Invest. (snf+ei) 3,8 4,4 8,9 2,3 -11,9 2,0 5,3 3,8 4,8 4,9 4,9Invest. Mén 5,8 5,9 4,9 -3,2 -8,8 -1,4 2,6 0,8 0,7 1,6 2,0Export 3,1 5,5 2,3 -0,6 -12,2 9,4 4,5 3,2 3,7 4,0 4,3Import 5,8 5,5 5,5 0,6 -10,6 8,3 5,8 2,6 3,8 4,3 4,6Solde extérieur (*) -0,7 0,0 -0,9 -0,3 -0,2 0,1 -0,4 0,1 -0,1 -0,2 -0,2Var. stocks (*) 0,1 0,2 0,2 -0,3 -1,2 0,5 0,8 -0,2 0,0 0,0 0,0Taux de Chômage (moyen) 8,9 8,8 8,0 7,4 9,1 9,3 9,1 9,2 9,0 8,8 8,4RDB Mén 1,2 2,5 3,0 0,4 1,3 0,8 0,8 0,7 1,1 1,4 1,5Taux d'épargne 14,8 14,8 15,4 15,6 16,5 16,1 16,2 16,1 15,9 15,8 15,7Solde budg. (% PIB) -3,4 -2,9 -2,7 -3,4 -7,5 -7,0 -5,7 -4,8 -4,0 -3,0 -2,8Inflation (glist. An)) 1,5 1,5 2,6 1,0 0,9 1,8 2,1 1,8 2,0 2, 0 2,0Inflation (moy. An) 1,7 1,7 1,5 2,8 0,2 1,5 2,1 1,6 2,0 2,0 2,0(*) Contribution en point de PIB

LE CONTEXTE DE TAUX D'INTERÊT EN 2011/2015En % 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015

Taux directeur Fed 3,19 4,96 5,05 2,09 0,25 0,25 0,25 0,25 0,94 2,75 3,50Taux à 3 mois USA 3,5 5,2 5,3 3,0 0,6 0,3 0,28 0,33 1,09 2,90 3,65Taux à 10 ans USA 4,3 4,8 4,6 3,6 3,2 3,2 3,01 3,49 3,89 4,25 4,40Taux directeur BCE 2,02 2,76 3,84 3,90 1,28 1,00 1,30 1,50 1,88 2,63 3,44Taux à 3 mois France 2,2 3,1 4,3 4,6 1,2 0,8 1,40 1,58 1,98 2,78 3,55Taux à 10 ans France 3,4 3,8 4,3 4,2 3,6 3,1 3,27 3,35 3,68 4,15 4,40Taux swap à 10 ans France 3,5 4,0 4,5 4,5 3,6 3,0 3,21 3,32 3,69 4,26 4,59Pente OAT 10 ans - 3 mois France 1,20 0,71 0,02 -0,45 2,39 2,29 1,87 1,78 1,70 1,38 0,85Pente Swap 10 ans - 3 mois France 1,30 0,91 0,28 -0,12 2,32 2,23 1,81 1,75 1,72 1,48 1,04OAT 15 ans France 3,63 3,94 4,39 4,48 4,01 3,46 3,58 3,67 3, 95 4,38 4,63OAT 20 ans France 3,7 4,0 4,4 4,6 4,2 3,6 3,75 3,73 4,02 4,47 4,72