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Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Médecine & Droit 2013 (2013) 9–11 Bioéthique - Protection de la personne L’irrésistible ascension des comités d’éthique (en France) Ethic Committees in France: An irresistible progression Christian Byk (Magistrat, secrétaire général, Association internationale droit, éthique et science, Président du Groupe d’éthique des sciences de la Commission nationale pour l’UNESCO) 1 19, rue Carpeaux, 75018 Paris, France Résumé Les comités d’éthique sont désormais clairement identifiés tant pour leur rôle que pour leurs caractères dans la gouvernance de l’éthique médicale et de la bioéthique. Mais, ils ont aussi acquis un rôle social qui facilite et contrôle l’essor des technosciences. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Comités d’éthique Abstract Ethics committees are now clearly identified for their missions and rules in the governance of medical ethics and bioethics. But, they have also acquired a social role to facilitate and control the development of technoscience. © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Ethics committees – France La place des sciences et des techniques transforme largement notre manière de vivre et les comités d’éthique jouent leur rôle dans la transformation sociale de la société. Après une décennie de xxi e siècle et une deuxième révision de la loi de bioéthique, le paysage des comités d’éthique illustre ainsi cinq grandes fonc- tions : le débat public, la recherche biomédicale, les techniques biomédicales, l’éthique clinique et la recherche scientifique. 1. Les comités d’éthique et la légitimation des pratiques Face à des patients mieux éduqués et plus revendicatifs, les médecins semblent avoir perdu confiance en eux-mêmes et dans leur éthique traditionnelle. Dans une certaine mesure, les comi- tés d’éthique constituent une tentative pour réinvestir la relation de soin. Ce rôle est bien accepté quand il s’agit d’éviter que le patient n’impose au médecin une démarche de convenance et de Adresse e-mail : [email protected] 1 L’Association internationale droit, éthique et science constitue un réseau international et pluridisciplinaire dans le domaine de l’éthique des sciences (www.iales.org). Elle publie un trimestriel bilingue, le Journal international de bioéthique (Editions ESKA http://www.eska.fr). consommation, mais les comités d’éthique n’ont pas pour autant été généralisés comme lieux de dialogue. 1.1. Les comités et l’éthique clinique Le succès de l’éthique clinique en Europe dépend, en grande partie, de l’attention que lui porte le corps médical. Les comi- tés — ou la fonction — d’éthique clinique sont peu développés là où le corps médical y voit la menace de l’interposition d’un tiers dans le traditionnel colloque singulier. Ils sont, par contre, encouragés là où ils apparaissent aux médecins comme une potentielle structure d’assistance. 1.1.1. Les comités à vocation généraliste Les comités d’éthique hospitaliers, lorsqu’ils se sont déve- loppés en France au cours des années 1970 pour évaluer les protocoles de recherche, ont aussi traité de questions d’éthique clinique. Au cours de la décennie 2000, ils se sont développés pour constituer un réseau. Dans la pratique, ce sont des instances de réflexion plutôt au service des professionnels de santé que des patients. En outre, leur rôle dans les décisions touchant aux soins se concentre sur des situations déterminées, où il s’agit, 1246-7391/$ – see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2012.10.002

L’irrésistible ascension des comités d’éthique (en France)

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www.sciencedirect.com

Médecine & Droit 2013 (2013) 9–11

Bioéthique - Protection de la personne

L’irrésistible ascension des comités d’éthique (en France)

Ethic Committees in France: An irresistible progression

Christian Byk (Magistrat, secrétaire général, Association internationale droit, éthique et science,Président du Groupe d’éthique des sciences de la Commission nationale pour l’UNESCO) 1

19, rue Carpeaux, 75018 Paris, France

ésumé

Les comités d’éthique sont désormais clairement identifiés tant pour leur rôle que pour leurs caractères dans la gouvernance de l’éthique médicalet de la bioéthique. Mais, ils ont aussi acquis un rôle social qui facilite et contrôle l’essor des technosciences.

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Ethics committees are now clearly identified for their missions and rules in the governance of medical ethics and bioethics. But, they have alsocquired a social role to facilitate and control the development of technoscience.

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La place des sciences et des techniques transforme largementotre manière de vivre et les comités d’éthique jouent leur rôleans la transformation sociale de la société. Après une décenniee xxie siècle et une deuxième révision de la loi de bioéthique, leaysage des comités d’éthique illustre ainsi cinq grandes fonc-ions : le débat public, la recherche biomédicale, les techniquesiomédicales, l’éthique clinique et la recherche scientifique.

. Les comités d’éthique et la légitimation des pratiques

Face à des patients mieux éduqués et plus revendicatifs, lesédecins semblent avoir perdu confiance en eux-mêmes et dans

eur éthique traditionnelle. Dans une certaine mesure, les comi-

és d’éthique constituent une tentative pour réinvestir la relatione soin. Ce rôle est bien accepté quand il s’agit d’éviter que leatient n’impose au médecin une démarche de convenance et de

Adresse e-mail : [email protected] L’Association internationale droit, éthique et science constitue un réseau

nternational et pluridisciplinaire dans le domaine de l’éthique des scienceswww.iales.org). Elle publie un trimestriel bilingue, le Journal internationale bioéthique (Editions ESKA http://www.eska.fr).

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onsommation, mais les comités d’éthique n’ont pas pour autantté généralisés comme lieux de dialogue.

.1. Les comités et l’éthique clinique

Le succès de l’éthique clinique en Europe dépend, en grandeartie, de l’attention que lui porte le corps médical. Les comi-és — ou la fonction — d’éthique clinique sont peu développésà où le corps médical y voit la menace de l’interposition d’uniers dans le traditionnel colloque singulier. Ils sont, par contre,ncouragés là où ils apparaissent aux médecins comme uneotentielle structure d’assistance.

.1.1. Les comités à vocation généralisteLes comités d’éthique hospitaliers, lorsqu’ils se sont déve-

oppés en France au cours des années 1970 pour évaluer lesrotocoles de recherche, ont aussi traité de questions d’éthiquelinique. Au cours de la décennie 2000, ils se sont développés

our constituer un réseau. Dans la pratique, ce sont des instancese réflexion plutôt au service des professionnels de santé quees patients. En outre, leur rôle dans les décisions touchant auxoins se concentre sur des situations déterminées, où il s’agit,

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n fait, de mettre en œuvre les limites fixées par la loi aux droitsu patient et, par là même, de préserver la responsabilité desédecins.

.1.2. Les comités à vocation spécialiséeL’interruption médicale de grossesse, la stérilisation à visée

ontraceptive et les décisions d’interruption de traitement en fine vie en sont les illustrations.

.1.2.1. L’interruption médicale de grossesse et la stérilisationvisée contraceptive. Alors que l’interruption dite volontaire

e grossesse relève du choix discrétionnaire de la seule femmenceinte, l’interruption dite médicale de la grossesse (IMG), quist possible en cas de péril grave pour la santé de la femmet de forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’uneffection d’une particulière gravité reconnue comme incurableu moment du diagnostic, suppose que le motif médical en soitttesté par deux médecins membres d’une équipe pluridiscipli-aire. Ces deux médecins doivent préalablement recueillir l’avise l’équipe. Si le législateur a tenu à souligner que la décisionestait d’ordre médical, il a, depuis la loi du 4 juillet 2001, asso-ié la femme à cette procédure, dont la dimension éthique etociale ne peut totalement être absente, ne serait-ce que parceue les indications de l’IMG peuvent être soumises au contrôleu juge pénal.

La loi du 4 juillet 2001 autorisant la stérilisation contraceptivesoumis celle-ci, lorsqu’elle concerne une personne majeure

lacée sous-tutelle ou curatelle, à l’avis d’un comité d’expertsaisi par le juge des tutelles chargé de se prononcer sur laemande (art. L. 2123-2 CSP). Le comité procède à tous les exa-ens et consultations nécessaires, s’assure qu’une information

daptée et compréhensive est donnée à la personne concernéet examine les contre indications et les solutions alternatives. Iloit évaluer les risques et les conséquences physiques et psy-hologiques de l’intervention.

.1.2.2. La fin de vie. Après que la loi du 4 mars 2002 a imposéux médecins la reconnaissance de principe du droit du patientrefuser un traitement ou à en obtenir l’arrêt, la loi du 22 avril005 a précisé, notamment pour la fin de vie, les modalités deise en œuvre de ce principe.Elle a mis en place, pour les personnes ne pouvant exprimer

eur volonté, une procédure médicale collégiale. La décision’arrêt de soins est prise par le médecin en charge du patientprès concertation avec l’équipe de soins, si elle existe, etvis motivé d’un médecin consultant. Les directives anticipéesoivent être consultées ainsi que la personne de confiance, laamille ou un proche.

.2. Les comités et les techniques biomédicales

Il s’agit aussi d’éthique clinique mais, celle-ci relevant de’emploi de techniques sophistiquées, une attention particulièrest portée à chacune des techniques.

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.2.1. Le dépistage des affections avant la naissanceLe diagnostic préimplantatoire (DPI) est autorisé à titre

xceptionnel pour les couples présentant une forte probabilitée donner naissance à un enfant atteint d’une maladie géné-ique d’une particulière gravité reconnue comme incurable au

oment du diagnostic. L’attestation permettant au couple d’yvoir recours doit être établie après concertation au sein d’unentre pluridisciplinaire de diagnostic préimplantatoire.

Quant au diagnostic prénatal (DPN), pratiqué pendant la gros-esse afin de détecter chez l’embryon ou le fœtus une affection’une particulière gravité, il a été prévu que les médecins béné-cient de l’assistance et du conseil de centres pluridisciplinairese diagnostic prénatal.

Bien que ces centres ne constituent pas à proprement par-er des comités d’éthique, l’avis, qu’ils apportent aux médecinsrend nécessairement en compte l’évolution du contexte éthiqueans lequel se développent le DPN et le DPI.

.2.2. Les greffes d’organes prélevés sur une personneivante

Un comité d’experts intervient pour autoriser les prélève-ents de moelle osseuse sur mineurs ainsi que les prélèvements

’organes chez les donneurs vivants. Cette intervention est obli-atoire pour les donneurs admis à titre dérogatoire (le cerclelargi de la famille) et facultative, sur décision du magistrat quiecueille le consentement, pour les donneurs admis par principele père ou la mère du receveur).

La mission du comité porte sur les risques encourus par leonneur et comprend l’évaluation des risques et de leurs consé-uences prévisibles, corporelles et psychologiques, mais aussies répercussions sur la vie personnelle, familiale et profession-elle ainsi que la compréhension de l’information apportée auonneur.

Le respect de ces procédures, dont le champ reste limité auxeuils de la vie, vise à rassurer la société sur les risques de dérivesue pourrait faire courir l’engagement de la médecine dans desratiques transgressives.

. La validation de la recherche comme nouveauoteur du développement

Si la dimension éthique de la recherche biomédicale estujourd’hui une donnée bien intégrée des recherches menéeshez l’homme, ce n’est que progressivement que d’autres sec-eurs de la recherche suscitent une interrogation éthique.

.1. Les comités et la recherche biomédicale

Admise « comme un moindre mal » chez l’homme, laecherche peine à trouver sa légitimité lorsqu’il s’agit de’embryon humain.

.1.1. La recherche sur l’homme

Les normes internationales, notamment en référence à la

éclaration d’Helsinki (Principes éthiques applicables à laecherche médicale impliquant des êtres humains) mais aussia politique de l’Union européenne communautaire ont conduit

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l’apparition, au cours des années 1970, de comités d’éthique dea recherche, devenus depuis la loi du 20 décembre 1988, comitése protection des personnes. Ils participent directement au pro-essus décisionnel : sans avis favorable donné par le comité,’autorité compétente ne peut autoriser la recherche. Ils sontonc la pierre angulaire de la protection des personnes.

.1.2. La recherche sur l’embryon humainEn choisissant d’inscrire la recherche sur l’embryon dans une

nterdiction de principe contrebalancée par la possibilité de déro-ations, le législateur francais a donné un rôle clé à l’autoritéhargée d’autoriser ces dérogations, l’Agence de la bioméde-ine et à son conseil d’orientation, obligatoirement consulté.n outre, le caractère imprécis de certaines dispositions législa-

ives a jusqu’à présent laissé une grande liberté au conseil qui aargement admis les demandes de recherche.

.2. De nouveaux domaines de recherche ouverts auxomités d’éthique

Il s’agit d’une démarche à double visage : ouverte à unerise de conscience institutionnelle de la réflexion éthique, maisrudente dans ses applications concrètes.

.2.1. la prise en compte de la réflexion éthique par lesnstitutions de recherche

Les années 1990 auront été décisives pour faire prendre cons-ience à la communauté scientifique qu’elle devait avoir unepproche dynamique des questions d’éthique. C’est dans cetteogique nouvelle que les grandes institutions scientifiques ont

is en place des comités d’éthique interne visant à recenser lesuestions d’éthique liées à leurs activités de recherche, à y sen-ibiliser les chercheurs et à s’affirmer comme des structures deialogue avec les instances publiques et l’opinion. Dès 1991, leomité opérationnel d’éthique des sciences de la vie (COPE) até mis en place au Centre national de la recherche scientifiqueCNRS). En 1994 y était également créé un Comité d’éthiquees sciences (COMETS) chargé de « conduire et développera réflexion sur les aspects éthiques suscitée par la pratiquee la recherche sans occulter les finalités de cette dernière ».

epuis 2000, l’Institut national de la santé et de la rechercheédicale (INSERM) dispose d’un comité : le comité d’éthique

our la recherche médicale et en santé (ERMES). De même,

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’Institut Pasteur a mis en place en 2007 un Comité de vigi-ance éthique (CVE), chargé de conseiller le directeur généralur des sujets sensibles, de débattre de grandes préoccupa-ions éthiques soulevées par la recherche biomédicale et saommunication.

.2.2. Une grande réserve quant à l’extension du rôle desomités d’éthique à d’autres domaines du développementcientifique

La biométrie, les nanotechnologies, la biologie de synthèse,oire les neurosciences ont émergé dans le questionnement bioé-hique mais aucun de ces domaines n’a jusqu’à présent suscitéa mise en place de comités d’éthique.

D’une facon générale, la perception incertaine que le publicde ces techniques ne facilite pas l’organisation d’un débat

ublic comme le montrent les débats sur les nanotechnologiest les organismes génétiquement modifiés (OGM).

. Conclusion

Les comités ne sont-ils qu’une (tentative de) représentationumanisée de la médecine et de la science ? Il s’agirait de rassu-er sur des pratiques et de permettre leur banalisation en lesntroduisant dans un modèle social organisé pour mieux lesccepter.

La vision est pessimiste, cynique, qui ne voit alors dans laioéthique que la dissimulation d’un jeu de pouvoirs et d’enjeux’un autre ordre que celui de l’éthique.

Ne peut-on espérer qu’il existerait une vision plus sub-tantielle du rôle des comités d’éthique dédié à une analysepprofondie de l’interaction entre techniques nouvelles etransformations sociales ? C’est ce que pense le philosophe. Hottois, qui souligne que « les comités d’éthique sontes institutions nouvelles particulièrement significatives pourotre civilisation technoscientifique et multiculturelle », carlorsqu’ils sont suffisamment indépendants, pluridisciplinairest pluralistes, ces comités aident à garder une distance critiquel’égard des dogmatismes religieux et idéologiques autant qu’à

’égard des pressions technocratiques et économistes ». Et deonclure : « ils sont des lieux originaux de prise de conscience et

e réflexion, à la fois respectueux des différences et soucieux deeliance » (La science entre valeurs modernes et postmodernité.rin: Paris; 2005, p. 29).