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L'ISLAM ET L'ÉCOLEAnatomie d'une polémiquePierre Blaise CRISP | Courrier hebdomadaire du CRISP 1990/5 - n° 1270-1271pages 1 à 87
ISSN 0008-9664
Article disponible en ligne à l'adresse:
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-1990-5-page-1.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Pour citer cet article :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Blaise Pierre,« L'islam et l'école » Anatomie d'une polémique,
Courrier hebdomadaire du CRISP, 1990/5 n° 1270-1271, p. 1-87. DOI : 10.3917/cris.1270.0001
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Distribution électronique Cairn.info pour CRISP.
© CRISP. Tous droits réservés pour tous pays.
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L'islam et l'école Anatomie d'une polémique
Pierre Blaise Vincent de Coorebyter. aspirant FNRS
Introduction
1. Chronologie
2. Référents juridiques sur l'islam et l'école
3. Analyse et enjeux du débat sur le hijab
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Introduction
Depuis la rentrée scolaire 1989, la Belgique a ét6 le théâtre d'une vive polémique sur l'islam et l'école. Lancé par l'ouverture à Bruxelles de la première école libre islamique, le débat a pris des formes complexes, se déplaçant du problème des cours de religion musulmane aux querelles sur le port du foulard, oscillant entre les réflexions sociologiques sur l'intégration des immigrés et les subtilités juridiques relatives à la représentation officielle de l'islam. Acteurs politiques, autorités religieuses, organisations laïques, enseignants, parents d'élèves, éditorialistes et associations d'immigrés ont pris part à la discussion, tandis que les juges étaient invités à dire le droit. Le premier rapport du Commissariat royal à la politique des immigrés enfin a rappelé que la poli tique de l'immigration restait au coeur des préoccupations gouvernementales.
Nul doute que cette ample discussion, à la fois passionnée et technique, ait parfois paru inaccessible au profane. C'est pourquoi le CRISP a tenu, par le présent Courrier hebdomadaire, à éclaircir les termes de la polémique, à donner au lecteur les éléments d'information susceptibles de 1 1 aider à se forger une opinion. Ce souci d 1 information et de neutralité rend compte de la relative ampleur de ce Courrier hebdomadaire, qui s'organise en trois chapitres.
Le premier chapitre présente le compte-rendu des évdnements et des prises de position, en abordant successivement les différents thèmes qui se sont entrecroisés au cours du débat : école islamique, foulard, cours de religion et représentation officielle de l'islam. Il offre ainsi, sous forme chronologique, la "mémoire" d'une polémique qui s'est épanouie sur plusieurs mois.
Le deuxième chapitre propose une vue panoramique sur l'ensemble des textes réglementaires qui sous-tendent le débat sur l'islam et l'école. De la Constitution aux plus récentes circulaires ministérielles sur l'enseignement de la religion islamique, tous
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les éléments de droit public du dossier sont ainsi cités, expliqués et mis en perspective.
La discussion politique et juridique s'est accompagnée d'un débat de société sur la question du hijab, véritable révélateur des relations complexes entre islam et laicité, intégration des immigrés et démocratie. Mené en parallèle en France et en Belgique, ce débat sur le hijab méritait que l'on en clarifie systématiquement les termes et les enjeux, au risque d'en rendre compte avec un minimum de subjectivité mais sans jamais prétendre trancher dans un sens ou dans un autre. C'est là le sens du troisième et dernier chapitre de ce Courrier hebdomadaire.
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1. Chronologie
Depuis l'annonce en août 1989 de la création d'une école islamique à Bruxelles, quatre grands moments - qui se recouvrent partiellement - peuvent être dégagés. Ces moments correspondent à quatre grands thèmes qui seront successivement abordés dans cette chronologie.
Les quatre thèmes relatifs aux rapports entre "immigration musulmane" et école sont, dans l'ordre de leur apparition sur la scène de l'actualité :
la création de l'école islamique à Bruxelles, - "l'affaire" du hijab, - les jugements relatifs aux cours de religion, - le rapport du Commissariat royal à la politique des immigrés et
ses prolongements en matière d'organisation de l'islam.
Pour chacun de ces sujets, sont présentées une br~ve description de la problématique, la chronologie (clôturée fin mars 1990) des événements et des prises de position des acteurs les plus concernés et une synth8se des principales interventions dans le débat.
L'ECOLE ISLAMIQUE
La problématique
Le Centre islamique et culturel a dé cid<§ d'ouvrir à la rentrée scolaire de septembre 1989 une école libre islamique dans ses locaux, dans le parc du Cinquantenaire à Bruxelles. Le refus de deux communes de la Région de Bruxelles-capitale, Schaerbeek et Saint-Gilles, d'organiser des cours de religion musulmane dans leurs acoles apparaît comme une des raisons les plus souvent évoquées de cette création.
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Chronologie des faits et des positions des acteurs
24 août 1989
Le quotidien Le Soir annonce que le Centre Islamique et culturel a Introduit un
dossier auprès de 1 'administration de 1 'enseignement primaire de la Communauté
française en vue de la reconnaissance et de la subsldlatlon d'une école islamique
à Bruxelles.
29 août 1989 Au cabinet de Jean-Pierre Grafé (PSC), membre de 1 'exécutif de la Communauté
française compétent en matière d'enseignement fondamental, on considère "la créa
tion de cette nouvelle école parfaitement viable et conforme à la liberté consti
tut 1 on ne 1 1 e de 1 1 en se 1 gnement".
Vic Anclaux <VU>, secrétaire d'Etat à la Région bruxelloise chargé notamment de
la coordination, de l'accueil et de l'intégration des immigrés pour la Commission
communautaire flamande, écrit en son nom personnel à 11 lmam-dlrecteur du Centre Islamique et culturel. Dans sa lettre, ! 1 considère que la création d'une école
Islamique va à l'encontre du souel d'Intégration et Invite l'Imam à "une discus
sion fondamentale sur 1 'idée de création d'une école". Il poursuit : "Je sais que
légalement vous avez droit, moyennant le respect d'une série de critères, de
construire une école Islamique. Personne ne peut vous en empêcher".
Paula D'Hondt, commissaire royal à la pol !tique des Immigrés, considère pour sa part que cet enseignement séparé risque de ne pas favoriser l'Intégration des en
fants Immigrés quoique cette lnltlatlve soit parfaitement conforme aux disposi
tions légales et constitutionnel les.
1er septembre 1989
Ouverture de 1 •école Islamique Al-Ghazali dans les locaux attenants au Centre
Islamique et culturel.
5 septembre 1989
Charles Plcqué (PS>, président de l'exécutif de la Région de Bruxelles-capitale,
déclare vouloir employer "tous les moyens pour empêcher la création de cette école" et annonce qu'Il en discutera avec le ministre de la Communauté française
compétent en matière d'enseignement fondamental et le Commissariat royal à la
politique des Immigrés.
7 septembre 1989
L'Imam-directeur du Centre Islamique et culturel, Sameer J.A. Radhl, au cours
d'une conférence de presse qu'Il convoque pour répondre aux déclarations de
Charles Plcqué, explique "qu'Il n'entre absolument pas dans nos objectifs de faire de cette école un ghetto". Il s'agit au contraire "de participer à l'Intégration de la jeunesse dans la société belge, de former de bons musulmans et des cl-
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toyens belges". Le Centre Islamique et culturel prévoit la création d'une école primaire néerlandophone et ne rejette pas l'Idée d'une école secondaire.
Charles Plcqué réagit le même jour aux propos de 1 'Imam. Il estime qu'Il y a actuellement absence d'Interlocuteur valable et qu'Il faut combler le vide juridique. Il maintient son refus de 1 •école Islamique, dont le pouvoir organisateur est directement subordonné a 1 'autorité des pays musulmans <principalement 1 'Arable Saoudite). 11 estime que la création de cette école engendrerait une véritable ségrégation apparentée a un régime d'apartheid. Il fait en outre appel a une large concertation entre le pouvoir régional, la Communauté française, le pouvoir national et les commissaires a la politique des Immigrés.
19 octobre 1989 L'école Al-Ghazali organise une journée portes ouvertes pour la presse. Les deux classes <première et deuxième années primaires) comptent 54 enfants; 80 sont recensés en maternel Je. Des parents expriment a cette occasion leurs motivations a mettre leurs enfants a 1 •école Islamique : garder le contact avec la culture d'origine, pouvoir dialoguer dans leur langue maternel le avec les membres de leur famille, mais aussi apprendre le français et le respect des valeurs belges. L'école se dit prête a accueil! Ir des enfants non musulmans et a ouvrir des cours de religion ou de morale.
Débats
Le débat relatif à 1' ouverture de 1' école islamique s'est déroulé essentiellement entre les partis politiques.
à Bruxelles et hommes
Les partis d'extrême-droite sont favorables a la création de 1 •école Islamique. Dans une lettre adressée a plus de cent écoles, le Vlaams Blok demande de boycotter 1 'enseignement de la religion islamique (1er septembre 1989) (1). Pour le député Fi llp Dewinter, "1 'Intégration des Nord-Africains est non seulement Impossible à réaliser, elle est en outre très peu souhaitable". La fréquentation d'une éco 1 e 1 s 1 am 1 que préparera 1 es 1 mm 1 grés à rentrer chez eux ( 21 septembre 1989). Quant au Parti des Forces nouvelles-PFN, Il "a annoncé qu'Il appuyait la création de 1 •école Islamique dans la seule optique d'un nécessaire et rapide retour des immigrés dans 1 eur pays d'or 1 g 1 ne" ( 12 septembre 1989).
Le président de la Volksunle, Jaak Gabriëls, demande que les autorités concernées prennent des Initiatives pour empêcher la construction d'une école Islamique à Bruxelles. 11 prend connaissance avec Indignation de la réponse du directeur du Centre Islamique et culturel à la requête de Vic Anciaux et de Paula D'Hondt et
<ll Entre parentheses sont Indiquées les dates de mention dans la presse.
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estime qu"'ll n'est pas admissible que notre hospitalité soit utilisée de façon a mettre en danger la cohabitation pacifique" <1er septembre 1989).
Le prés 1 dent du CVP, Herman Van Rompu y, rappe 1 1 e son oppos 1 t 1 on à 1 a créat 1 on
d'une école Islamique; Il craint que 1 'ouverture de cette école ne soit qu'une
étape préliminaire à la mise en place d'un réseau complet d'enseignement Islamique. 1 1 1 nd 1 que que 1 e CVP prépare une note j ur 1 d 1 que pour empêcher 1 a m 1 se en
place d'un tel réseau d'enseignement. Pour le président du CVP, "la comparaison avec d'autres réseaux d'en se 1 gnement ne t 1 ent pas dans 1 a mesure où ceux-c 1 ne
remettent pas en question les droits fondamentaux et les libertés, comme c'est le cas de certa 1 ns courants de 1 1 1 s 1 am" ( 1 2 septembre 1989 l •
Le président du SP, Frank Vandenbroucke, pour sa part déclare qu"'ll n'est pas bon de faire de grandes déclarations politiques à ce sujet. Il s'agit d'un droit
constitutionnel et il est donc particulièrement délicat de se prononcer a priori sur la question". Il regrette 1 'absence d'une concertation préliminaire et estime que les commissaires à la politique des Immigrés devraient réfléchir aux préoccu
pations soulevées par l'ouverture d'une telle école (12 septembre 1989).
De son côté, Jef Sleeckx, membre du bureau du SP, considère que la démocratie im
p 1 i que que 1 'on respecte 1 a Const 1 tut 1 on qu 1 autor 1 se 1 a création d' éco 1 es confessionnelles. 11 estime qu'une école Islamique ne contribuera ni plus ni moins qu'une éco 1 e catho 1 1 que ou j u 1 ve à constituer un ghetto ( 9 septembre 1989 l. Le
groupe de réflexion au sein du SP, Nleuw Links, s'élève contre la "réaction pani
quée et la négation complète du droit fondamental des écoles libres confessionne 1 1 es" ( 14 septembre 1989).
Pour leur part, les Jeunes social !stes bruxellois expriment leur plus vive
réticence envers la création d'écoles confessionnelles Islamiques qui ne vont pas, à leur avis, dans le sens de 1 'Intégration souhaitable et nécessaire (14 septembre 1989 l •
Les Jeunes FDF considèrent que l'opposition de Charles Plcqué à une école islami
que s'asslmi le à de la ségrégation pure et simple, justifiée par le "désir de ramener vers lui des électeurs perdus à droite du PRL et à gauche du Front national" <14 septembre 1989).
Le député Ecolo Xavier Winkel déclare : "S' i 1 est vrai que cette école islamique
ne favorise sûrement pas l'Intégration des jeunes enfants Issus de l'Immigration, Il est aussi vrai que la législation belge autorise les écoles confessionnelles catholiques, judarques et donc musulmanes. C'est pourquoi la réaction de Charles Picqué est totalement Inadaptée, démagogique et Inacceptable" (9 septembre 1989).
Le député Agalev, Mleke Vogel, lors de la présentation des résultats d'une enquête menée dans les écoles d'Anvers sur 1 'enseignement et les Immigrés, considère que les réactions sans nuance de VIc Anclaux et du commissaire royal à la politique des Immigrés sont une provocation envers la communauté musulmane. "Dans notre pays, l'enseignement c'est plus que donner des cours ( ••• ).La communauté musul
mane veut que ses enfants prennent connaissance des valeurs qu'elle considère lm-
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portantes( ••• ). A Anvers, Il y a aussi une communauté juive avec ses propres écoles et mouvements de jeunesse et qui ne pose pas de problèmes" (1er septembre 1989).
LE HIJAB
La problématique
Peu de temps après qu'éclate en France "l'affaire du hijab" (2) un groupe de jeunes filles revendique de pouvoir porter le foulard dans l'enceinte d'une école officielle de la région de Bruxelles. L'accord de compromis obtenu est toutefois rapidement dénoncé, les positions se radicalisent, la polémique est vive et largement répercutée dans la presse. Le tribunal est saisi pour trancher le conflit (3).
Chronologie des faits et des positions des acteurs
26 octobre 1989 Une vingtaine de jeunes filles de l'Institut technique communal Edmond MachtensITEM, à Molenbeek-Saint-Jean, manifestent pour obtenir 1 'autorisation de porter le foulard dans l'enceinte de J'école.
L'Imam-directeur du Centre Islamique et culturel écrit à la directrice de l'ITEM. Dans sa lettre, Il affirme que le port du foulard est "une obligation religieuse pour les croyantes en Islam. 11 ne s'agit pas d'un 'uniforme' mals bien du seul habit possible pour les croyantes. L'Islam est une religion reconnue en Belgique et 11 va de sol qu'Il faut la respecter dans sa totalité".
30 octobre 1989 L'échevin de l'instruction publique Alain Laurent (PS> décide de faire appliquer
(2) Le 19 octobre 1989, trois élèves du lycée de Creil en région parisienne- remettant en cause un accord conclu sous la houlette du directeur et du président de l'Association culturelle des Tunisiens- n'ont pas été admises en classe parce qu'elles refusaient d'Ôter leur hljab durant les cours. (3) Des situations semblables sont apparues dans des écoles belges depuis quelques années. Quelques jours avant le déclenchement du conflit dont Il est question Ici, un quotidien révéle l'existence d'un conflit entre le directeur de l'école Slnt-Bavo à Gand et des parents d'élèves qui contestent l'Interdiction du port du foulard par les élèves musulmanes (11 octobre 1989). Mals ce conflit ne connaft, pas plus que d'autres antérieurs, un développement médiatique semblable à celui de Molenbeek.
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avec souplesse les règlements en vigueur a 1' ITEM et d'entamer un dialogue avec
les parties concernées par la question du port du hijab. Celui-cl est autorisé
uniquement en présence d'un professeur masculin. Une commission mixte sera mise
en place pour trouver une solution avant la fln avril 1990.
31 octobre 1989
Des jeu nes fIl 1 es se présentent à 1 ' 1 TEM co 1 f fées du h 1 j ab, ne respectant pas en
cela 1 'accord conclu la veille.
Considérant qu'tl s'agit la d'une "dénonciation unilatérale d'une proposition
d'apaisement qui semblait agréer les différentes parties", l'échevin de l'Instruction publique décide de faire appliquer strictement le règlement qui stipule
que les élèves "retireront chapeaux, foulards, bonnets et casquettes à 1 'entrée des zones seo 1 a 1 res".
1er novembre 1989
Le collège échevinal soutient la position de l'échevin et réaffirme fermement que
"l'enseignement communal est un enseignement neutre et ne peut admettre une quel
conque dérogation au principe élémentaire de convivialité".
2-3 novembre 1989
Cinq communes où le problème n'est pas encore réel ont pris des positions à titre
préventif. A Schaerbeek, le collège des bourgmestre et échevins déclare le port
du foulard Interdit parce que 1 •école communale doit rester neutre, que ce soit politiquement ou religieusement. A Saint-Josse, le bourgmestre Guy Cudel 1 dit ne pouvoir accepter le foulard pendant les cours. A Saint-Gilles et a Forest, le
problème sera résolu s'il se pose, par le corps professoral, au cas par cas dans
un souci de collaboration maximale entre les différentes parties. A Etterbeek,
aucune directive ne sera prise dans 1 'optique d'un respect réciproque entre les
Individus.
La presse annonce qu'à la suite d'une discussion informelle entre le bourgmestre
de Gand et 1 es chefs de groupes des part 1 s représentés au con se il commun a 1 , Il
est décidé d'Interdire le port du hljab dans les écoles.
6 novembre 1989
A la rentrée après le congé de Toussaint, une trentaine de jeunes filles de
l'ITEM refusent d'Ôter leur foulard. La direction de l'école leur Interdit l'ac
ces au cours et les envolt en sai le d'études.
Des parents d'élèves de l'ITEM assignent en référé la Communauté française et le
collège des bourgmestre et échevins de la commune de Molenbeek-Saint-Jean devant
le tribunal de 1ère Instance afin "que soit rapportée la mesure dlsclpl inaire d'exclusion prise à l'encontre des filles des demandeurs" et que celles-cl aient
"le droit de se couvrir la tête d'un foulard tout en suivant de manière parfaite
ment normale les cours et ce sans être pour autant obligées de se décoiffer". Une
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astreinte de 50.000 francs par jour est réclamée en cas de refus de respecter
l'ordonnance Intervenue.
Yvan Ylleff, ministre de 1 'Education et de la recherche scientifique de la
Communauté française, après avoir recueil Il les avis de plusieurs Instances sco
laires concernées, considère qu'Il est "dlfflci le d'Interdire le port d'un signe
distinctif" et que "le port du foulard n'est pas dramatique"• Il s'oppose toute
fols au "port du tchador qui dissimule le visage". Le ministre Insiste par ail
leurs sur la nécessité pour tous les enfants de suivre tous les cours, en parti
cul 1er ceux d'éducation physique (4).
8 novembre 1989
Sur 1 a question du h 1 j ab, 1 e cha no 1 ne Gr 1 mmonprez, d 1 recteur généra 1 adj o 1 nt du
Secrétariat national de l'enseignement cathollque-SNEC, regrette la médiatisation
du problème. Il considère qu'il n'y a pas d'attitude a prendre d'autorité au nom
de tous les établissements catholiques. Si la question se pose, elle doit faire
l'objet d'une discussion au niveau local, avec les personnes concernées (direc
tion, enseignants, parents>.
10 novembre 1989
Au cours d'une rencontre a l'as soc 1 at 1 on d'accueIl des femmes i mm 1 grées Dar e 1 Amal a Molenbeek, Paula D'Hondt déclare que la question du foulard est "un pro
b 1 ème gonf 1 é a 90% par 1 es med 1 as et exp 10 i té par certa 1 nes tendances mu su 1-
manes".
Les enseignants de 1 1 1 TEM dans une 1 ettre ouverte exp 1 i que nt "pourquoi, a l' una
nimité, nous les profs d'Edmond Machtens, tant mascul lns que féminins, au nom de la Liberté, de I'Egalité et du respect de la femme, nous refusons le port du fou
lard dans l'enceinte de l'école".
15 novembre 1989
Dans une seconde citation sur le fond cette fols, 51 couples de parents musulmans
contre la commune de Molenbeek, réclament que le tribunal de première Instance
lève l'Interdiction de porter le foulard durant les cours. Ils font valoir le
risque d'échec seo 1 a 1re qu'encourent 1 eurs f 1 1 1 es et rée 1 ament une 1 ndemn 1 té de
BEF 350.000.
17 novembre 1989
Ouverture du procès et premières plaidoiries.
(4) Le ministre Yvan Ylieff a fait procéder a une enquête dans les établissements d'enseignement secondaire francophones sur les absences aux cours d'éducation physique et aux activités sportives. Les résultats de cette enquête ont été communiqués fln février 1990: sur 91.583 élèves Inscrits, 3.740 (3,74%> ont eu une dispense parmi lesquels 104 jeunes filles et 40 garçons de nationalité marocaine et 39 jeunes fil les et 9 garçons de nationalité turque. Les Belges sont au nombre de 2.929 a avoir obtenu une dispense.
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22 novembre 1 989
Les enseignants de religion Islamique reçoivent une "déclaration du Centre Is
lamique relative au voile" signée par 1 'Imam-directeur. Il y écrit : "les textes
coraniques et les paroles prophétiques prescrivent à la femme musulmane de s'ha
b Il 1er décemment, à savo 1 r couvr 1 r son corps du haut de 1 a tête aux chev Il 1 es".
Il poursuit : "si un commandement divin ou un précepte prophétique se trouve en
conflit avec la loi humaine, Il appartient au croyant et à la croyante de se
conformer aux commandements divins, sinon il est quai !fié de désobéissant" (5).
24 novembre 1989
Deuxième audience publique.
1er décembre 1989
En audience publique des référés, le président du tribunal de première Instance
déc 1 are que : - 1 'action à 1 •égard de la Communauté française est lrrécevable parce que les
parents ne formu 1 ent aucun grief ni demande à sa charge et parce que 1 a demande formu 1 ée a tra 1 t un 1 quement à 1 a commune de Mo 1 en beek en ra 1 son de
l'autonomie du pouvoir organisateur; - la formulation de la demande d'une astreinte la rend également irrecevable.
Par contre, en attendant qu'il soit statué sur le fond, le juge ordonne à la com
mune "de rapporter prov 1 soi rament 1 1 1 nterd i ct ion de 1 'accès aux cours fa 1 te aux
filles des demandeurs dans les 24 heures du prononcé de 1 'ordonnance" et enjoint à la commune "de ne pas s'opposer au port du foulard (hljabl durant ces cours".
Il dit cependant que 1 a commune "pourra ex 1 ger que 1 e fou 1 ard so 1 t en 1 evé pour les cours d'éducation physique, les activités sportives, dans les couloirs et à la cour de récréation". Le juge considère que la loi scolaire du 29 mal 1959 im
pose, comme un des critères de neutra! ité, le respect de la liberté de toute per
sonne de manifester sa rel !gion (6).
(5) L'Imam-directeur du Centre Islamique et culturel serait revenu sur sa position au cours d'un entretien avec le vice-premier ministre et ministre de la Justice Melchior Wathelet. Il aurait déclaré "qu'li estimait que, si un musulman vivant en Be 1 g 1 que éta 1 t amené à cons 1 dérer qu 1 Il ex 1 sta 1 t un désaccord entre 1 a loi coranique et la loi belge, Il était préférable que ce musulman quitte le sol belge" (9 février 1990). C6l Le Conseil d'Etat français, saisi par le ministre de l'Education Lionel Jospin a rendu le 27 novembre 1989 un avis relatif au port du foulard. Celui-ci "n'est pas Incompatible avec le principe de laTcité appliqué dans les écoles françaises dans le mesure où Il constitue l'exercice de la liberté d'expression et de manifestation de croyances religieuses". Cependant, le Conseil d'Etat se prononce contre tout prosélytisme : "Cette liberté ne saurait permettre aux élèves d'arborer des signes d'appartenance religieuse qui ( ••• )porteraient atteinte à la dignité ou à la liberté de 1 'élève ou d'autres membres de la communauté enseignante c ••• )".
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30 j an v 1er 1 990 Treize jeunes filles de l'ITEM sont exclues définitivement de t'école pour des raisons disciplinaires 1 Jées à la non-appl !cation par les élèves de 1 'ordonnance du tribunal.
2 février 1990 Au nom du co 1 1 ège des bourgmestre et échev 1 ns de 1 a commune de Koeke 1 berg, 1 e bourgmestre Jacques Pivin CPRLl a déposé une plainte auprès du parquet de Bruxelles contre l'Imam-directeur du Centre Islamique et culturel. Il lui reproche d'Inciter à enfreindre les lois et d'attaquer des actes des autorités publiques, alors qu'Il est ministre du culte Ccfr 22 novembre 1989).
8 février 1990 Au cours d'une conférence de presse, des élèves de l'ITEM exclues et leurs avocats annoncent que les parents des 13 jeunes fil les exclues vont déposer plainte pour violation de la loi de 1981 "tendant à réprimer certains actes Inspirés par 1 e rac 1 sme ou 1 a xénophob 1 e". 1 1 s annoncent éga 1 ement qu 1 appe 1 a été 1 nter jeté contre l'ordonnance du juge des référés du 1er décembre 1989.
Débats
L' "affaire" du hijab a suscité de nombreuses réactions dans les partis politiques et dans le milieu associatif. Les enjeux et les arguments de ce débat constituent l'objet de la troisième partie du présent Courrier hebdomadaire. C'est la raison pour laquelle les diverses prises de positions ne sont ici que brièvement énoncées au risque de donner de leur argumentation une image quelque peu réductrice.
Certains considèrent que le port du hljab à l'école est Inadmissible: - les Jeunes réformateurs 1 Jbéraux y volent "une menace pour les efforts réels
d'Intégration faits par beaucoup d'autres musulmans ainsi qu'une rélle discrimination sexiste" (3 novembre 1989);
- la régionale de Bruxelles du PRL déci are "s'Insurger contre cette provocation Intégriste Insidieuse qui porte atteinte à la 1 lberté Individuelle et constitue la négation même d'une volonté d'Intégration" (10 novembre 1989); le PVV au cours de son congrès de Genk consacré à l'fmmlgration a voté une résolution qui Interdit le port du vol le dans 1 'enseignement communautaire flamand. Cette résolution est rattachée à une autre relative à la réintégration dans 1 eur pays d'or 1 g 1 ne de ceux qu 1 ne veu 1 ent pas s' 1 ntégrer, c' est-à-d 1re s'adapter aux coutumes et valeurs de notre société (6 novembre 1989);
- le Conseil national des femmes le refuse parce qu'Il est symbole de la soumission de la femme à son père, frère ou mari (17 novembre 1989).
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Pour le Centre d'action lal"que-CAL, la neutralité de 1 •école ne contraint ni les
élèves ni les enseignants à masquer leurs opinions mals elle Impose dans la clas
se une réserve dont la direction de 1 •école est garante <14 novembre 1989).
Pour SOS Racisme, la question est de savoir comment 1 •école peut combattre des
pratiques religieuses contraires aux droits et à la dignité des femmes. Ce n'est
certainement pas en rejetant ces jeunes filles et en les abandonnant à la pres
sion unilatérale de leur milleu familial et de 1 'entourage religieux ni en en faisant des martyres (4 novembre 1989).
La coord 1 nat 1 on des Assoc 1 at 1 ons maghréb 1 nes ( qu 1 regroupe 1 es Asb 1 Av 1 cenne,
Jeunesse maghréb 1 ne et Groupe contact et sens 1 b Il 1 sat 1 on> est 1 me que 1 e port du foulard va à l'encontre du combat pour 1 •émancipation de la femme mals considère que nul enfant ne peut être victime d'une exclusion qui serait contraire au droit
à l'enseignement et à l'obligation de scolarité (10 novembre 1989).
Ecolo considère que le port du voile est crltlcable comme symbole de la soumission des femmes et non comme signe extérieur d'appartenance à une religion. Il critique la médiatisation du débat et considère que ce n'est pas en licenciant
les jeunes filles et en les abandonnant à la pression de leur milleu familial Intégriste que 1 •école développera chez elles la liberté d'analyse ou le libre examen nécessaire à leur Intégration dans notre pays et sa culture (6 novembre 1989).
Hervé Hasquln, président de 1 'ULB, estime que le foulard, au départ, est un signe
d'appartenance, pas une marque d'Intégrisme en sol. Il est nécessaire cependant de définir des règles pour que la vie en commun soit possible (3 novembre 1989).
Pour le Vlaams Blok, enfin, toutes les cultures et toutes les religions ont droit
au même respect. Mals "la pratique de l'Islam doit aller de pair avec le retour des .Immigrés dans leurs pays d'origine ( ••• ), le foulard est le symbole de 1 'lmpossible Intégration et d'une assimilation Immorale" <15 décembre 1989).
LES COURS DE RELIGION ISLAMIQUE
La problématique
La reconnaissance du culte islamique en Belgique en 1974 et l'inscription de cette religion parmi les cours philosophiques en 1978 sont à 1' origine de 1' organisation de cours de religion islamique dans les écoles. L'absence de chef du culte reconnu par les autorités ci v iles a conduit les ministres de 1' Education à attribuer de fait cette fonction au directeur du Centre islamique
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et culturel (7). Depuis 1986, deux communes de la région bruxelloise se considèrent dans l'impossibilité d'organiser ces cours. Un groupe de parents a introduit deux actions en justice contre ces communes (8).
Chronologie des faits et des positions des acteurs
12 octobre 1989 Trente huit parents dont les enfants sont Inscrits dans une école communale de Salnt-GII les et I'Asbl Association d'union et d'entraide des parents musulmans de Be 1 g 1 que ( 9} ass 1 gnent en référé 1 a commune de Sa 1 nt-GIll es; de même que trente cinq parents dont les enfants fréquentent des écoles communales de Schaerbeek et la même association assignent la commune de Schaerbeek. L'objet de leur plainte est 1 'absence de cours de religion Islamique dans les écoles communales de ces deux communes. 1 1 s rée 1 amant 1 1 1 nstaurat 1 on 1 mmédi ate de ces cours en 1 nvoquant le principe de la liberté des cultes Inscrit dans la Constitution et en se basant sur la Convention européenne des droits de l'homme.
30 octobre et 7 novembre 1989 Au cours des audiences, les deux communes, qui ne contestent pas 1 'obligation d'organiser l'enseignement de la religion Islamique, "se déclarent dans l'Impossibilité d'organiser ces cours de religion !si ami que pour des motifs Inhérents aux dispositions légales en matière de subsldlatlon des maftres de rel !gion musu-1 mane" et considèrent "qu' J 1 n'exIste pas d'autorité i s 1 ami que hab i 1 l tée à proposer des candidats aux postes de maftre de rel !gion Islamique" (10}.
1er décembre 1989 Le juge du tribunal de 1ère instance, considérant l'action menée par les parents recevable et fondée, fait "Injonction de faire cesser 1 1 Illégalité manifeste résultant de l'absence d'organisation de l'enseignement de la religion Islamique dans les établ lssements d'enseignement organisés par les communes" et les enjoint "d'organiser cet enseignement durant l'année scolaire 1989-1990 pour les enfants
(7} Sur la reconnaissance du culte Islamique en Belgique et sur les cours de rel !gion islamique, voir Infra. (8} Une action au fond est Introduite en justice depuis le 12 juillet 1988. <9> Statuts publ lés au Moniteur belge sous le numéro 1837, le 18 février 1988. <10} Dans la réponse qu'li donne à la question de Henri Slmons <Ecolo>, membre du Conseil de la Communauté française, le ministre Jean-Pierre Grafé <PSC} estime que "cette carence dans les mesures d'application de la législation peut être Invoquée par l'un ou 1 'autre pouvoir organisateur pour se déclarer non concerné par '1 'arrangement' pris entre le département du Ministère de 1 'Education nationale et le Centre culturel Islamique de Belgique, et, dès lors, Incapable d'organiser le cours de religion Islamique, tout en ayant respecté vis-a-vis des parents les dispositions de 1 'article 8 de la loi du 29 mal 1959 sur le libre choix du cours de religion ou de morale".
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des demandeurs qui ont fait le choix de cet enseignement". Son jugement s'appuie
notamment sur la comparaison avec d'autres communes qui organisent des cours de
religion Islamique donnés par des maftres désignés par le Centre Islamique et culturel et dont l'emploi est subventionné.
Le co 1 1 ège des bourgmestre et échev 1 ns de Sa 1 nt-G 1 1 1 es déc 1 de d' 1 nter jeter appe 1 contre la décision judiciaire. Schaerbeek fait de même quelques jours plus tard.
12 décembre 1 989
Le co 1 1 ège des bourgmestre et échev 1 ns de Sa 1 nt-G 1 1 1 es entame 1 a procédure de
nomination de trois enseignants de rel !gion Islamique non désignés par le Centre
Islamique et culturel. Les ministres qui ont 1 'enseignement dans leurs attribu
tions dans la Communauté française devront se prononcer sur la demande de subven
tion de ces enseignants.
1 9 décembre 1989
L'échevin de l'Instruction publique de Schaerbeek, Jean-Paul Bosquet, annonce que
sa commune organisera un cours de religion Islamique pour les seuls élèves dont 1 es parents ont déposé p 1 a 1 nte. Les enseignants seront dés 1 gnés par 1 a commune,
et non par le Centre islamique et culturel.
Dans une autre action en référé contre la commune de Schaerbeek, un couple de
parents qui réclamaient, en 1 'absence de cours de religion islamique, que leur
enfant soit dispensé de tout autre cours de rel !gion ou de morale non
confessionnelle, ont vu leur demande déclarée Irrecevable par le juge.
18 janvier et 23 fé.vrler 1990
Audiences de la procédure quant au fond.
Au 31 mars 1990, restent pendants 1 'appel des communes de Schaerbeek et Saint
Gilles contre les jugements en référé et la procédure quant au fond.
Débats
D'une manière générale, le débat qui a eu pour objet les cours de religion islamique a principalement porté sur la légitimité et la reconnaissance du "chef du culte islamique", c'est-à-dire sur une question qui a directement trait au quatrième thème abordé dans cette chronologie, l'organisation de l'islam en Belgique.
A noter, toutefo 1 s, une propos i t 1 on émise par 1 e Centre 1 aT que arabo-musu 1 man
CLAM <créé le 19 janvier 1990) visant à donner le choix aux parents d'un cours de
langue et de civil lsatlon arabe ou turque à côté des cours de religion et de morale non confessionnelle <14 février 1990), ainsi que la position d'Ecolo pour
qu 1 1 e non-respect de 1 a 1 o 1 par des bourgmestres bruxe 1 1 ois a eu pour effet 1 a
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création aupres des mosquées de quartier de cours de religion Islamique, non encadrés par les pouvoirs publics et donc ouverts aux dérapages Intégristes.
L'ORGANISATION DE L'ISLAM
La problématique
Depuis plusieurs années, la question du chef du culte islamique est soulevée; dans les trois domaines qui viennent d'être abordés, elle apparaît également. La situation actuelle, héritage d'une législation inachevée et d'une reconnaissance de facto de 1' imam-directeur du Centre islamique et culturel comme interlocuteur des autorités civiles (11) est de plus en plus contestée. En outre, cette reconnaissance de facto n'est valable que pour certaines matières (comme la désignation des maîtres de religion) ce qui a pour conséquence que l'islam n'est pas mis sur le même pied que les autres cultes (par exemple, en matière de rémunération des ministres du culte ou de subsides aux bâtiments).
Chronologie des faits et des positions des acteurs
7 novembre 1989 Le prem 1er m 1 n 1 stre Wll fr i ed Martens annonce qu' Il convoquera procha 1 nement une conférence Interministérielle ad hoc afin d'examiner 1 'organisation de la représentation officielle de la communauté Islamique en Belgique. Cette décision fait suite à une demande Introduite par l'exécutif de la Région de Bruxelles-capitale.
23 novembre 1989 Le Commissariat royal à la politique des immigrés remet un premier rapport semestriel (12). Le chapitre relatif à l'islam et à la proposition de créer un Consei 1
supérieur des musu 1 mans de Be 1 g i que attirent parti cu 1 1 èrement 1 'attention. La proposition du Commissariat royal visait à Instituer un Conseil composé de 17 membres, 12 étant élus via les mosquées et 5 étant cooptés pour leur autorité mo
rale, Intellectuelle ou scientifique.
13 décembre 1 989 Le Commissariat royal réagit à une convocation de représentants de différentes mosquées par le Centre Islamique et culturel à une réunion portant sur 1 'organisation de 1 •érection d'un Conseil supérieur des musulmans de Belgique. Dans un
(11) Sur l'origine de cette situation, cfr. infra deuxième partie. (12) L'Intégration, une politique de longue haleine, 3 volumes, novembre 1989.
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communiqué, le Commissariat royal précise que ni le Commissariat, ni le gouvernement n'a donné de mandat au Centre 1 s 1 am 1 que et cu 1 ture 1 • 1 1 rappe 1 1 e en outre que le Commissariat n'a pas de pouvoir de décision et qu'une conférence Interministérielle présidée par le premier ministre a décidé la mise sur pied d'un groupe de travail qui se penchera sur les questions relatives à la représentation des musulmans. 11 est donc prématuré d'organiser pratiquement des élections.
29 décembre 1 989 L'Imam-directeur du Centre Islamique et culturel confirme la volonté d'organiser des élections ouvertes aux seuls musulmans pratiquants. Aux yeux de l'Imam, 1 •élection relève uniquement du religieux et "ne concerne donc d'aucune manière le gouvernement comme le prévoit la Constitution belge". Le Conseil devrait ~tre Installé en mal.
18 janvier 1990 Début du débat sur la pol ltlque à l'égard des immigrés en commission de l'Intérieur et des affaires générales de la Chambre.
25 j anvl er 1990 L'exécutif de la Région de Bruxelles-capitale examine le rapport du Commissariat roya 1 • 1 1 "rejette ca té gor 1 quement 1 a propos 1 t 1 on d 1 un Con se 1 1 supér 1 eur des musulmans et convie les commissaires à la recherche d'une autre formule, qui r~specteralt les différentes senslbll ités islamiques et n'accorderait aucune prérogative à la Mosquée du Cinquantenaire".
29 janvier 1990 Début de l'examen du rapport des commissaires royaux au sénat.
9 février 1990 Le ministre de la Justice, Melchior Wathelet, rappelle officiellement à 11 Imamdirecteur du Centre Islamique et culturel "que le gouvernement jugeait prématurée 1 'organisation d'élections en vue de la constitution d'un Conseil supérieur des musulmans, rappelant que la Belgique ne se considérerait comme nullement liée par les résultats de 1 'organisation d'un pareil scrutin".
16-18 février 1990 Les musulmans de 18 ans au moins résidant en Belgique depuis un an, sont appelés à s'Inscrire comme électeurs dans les mosquées à l'initiative du Centre Islamique et culturel. Ce dé 1 a 1 est toutefo 1 s pro 1 ongé de deux sema 1 nes au terme desque 1 1 es 1 e Centre Islamique et culturel déclare avoir enregistré l'Inscription de 30.000 électeurs, "ce qu 1 représente un succès surtout vu 1 e boycott des ambassades 11 marocaine et turque.
23 mars 1990 Le ministre de la Justice Melchior Wathelet rencontre l'iman Radhi pour "lut pré-ciser la position du gouvernement et permettre ainsi 1 'ouverture d'un dialogue
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entre les autorités nationales et la Communauté musulmane"· Il rappelle l'opposi
tion du gouvernement a la tenue Immédiate d'élections et demande au directeur du
Centre Islamique et culturel d'arrêter le processus électoral. Celui-cl "s'est
dit prêt a faire part de la décision du gouvernement belge devant le Comité supé
rieur du Centre Islamique et culturel"· Mals Il "craint que le comité ne le suive
pas dans cette vole".
24 mars 1990
La commission préparatoire des élections du Conseil supérieur des musulmans de
Belgique présente l'organisation des élections et les Instances a élire: le Con
self général (89 membres) et le Conseil supérieur (17 membres) ainsi que le dosa
ge par nationalité et par province des mandats à pourvoir.
27 mars 1990
Le gouvernement, ré un 1 en cab 1 net restre 1 nt, adresse une 1 ettre à 11 1 man-d 1 rec
teur du Centre Islamique et culturel pour lui signifier la position quant a l'élection d'un Conseil supérieur des musu Imans de Belgique et 1 ul enjoindre de stopper Immédiatement cette élection. Le gouvernement propose a l'Imam de parti
ciper a une négociation plus large au sein d'un Comité provisoire des sages. Composé de 17 personnes (réparties selon les national Jtés, les tendances et les ré
gi ons d' 1 mp 1 antat ion) dont tro 1 s prévues pour des représentants du Centre i s 1 a
mique et culturel et convoqué par le gouvernement sans qu'JI n'y participe, ce
Comité sera chargé de "formuler des suggestions sur base d'un consensus le plus
large possible" pour règler la question de la représentation de l'islam.
30 mars 1990
L'iman-directeur du Centre Islamique et culturel s'oppose a la décision du gou
vernement de créer un Comité provisoire des sages, considérant qu'agissant de la sorte, l'Etat Intervient dans les affaires rel lgleuses.
Débats
Le CVP adopte le 16 janvier 1990, une note définissant sa position en matière
d'Immigration. Pour ce qui est de la création d'un Conseil supérieur des musulmans, le CVP souhaite que toutes les tendances de la communauté musulmane de
Belgique y soient représentées. L'élection au sein des mosquées n'est pas souhai
tée; des représentants des comités de parents d'enfants suivant un cours de reli
gion islamique devraient par exemple pouvoir y siéger. "La composition du futur
conseil est l'affaire de la communauté musulmane mals c'est aux autorités qu'JI
appartient de le reconna'ttre en tant qu'organe représentatif" (18 janvier 1990).
A la Chambre, Jean Gol, ancien vice-premier ministre et ministre de la Justice
CPRLl, a affirmé sa totale opposition à une élection qui se ferait au départ des mosquées ( 18 jan v 1er 1990).
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La Coordination des musulmans et démocrates originaires du Maroc propose pour sa part une représentation proportionnelle par nationalité et une élection sous l'égide d'organismes non Impliqués dans les élections (18 janvier 1990).
Le bureau du PS se montre hostile au projet d'élections dans les mosquées et propose que les communautés Islamiques soient reconnues sur une base locale (et non provinciale comme Il est prévu dans la loi). Le ministre de la Justice aurait la tutelle de ces administrations reconnues sur avis des autorités communales. C'est 1 'Etat qui devrait en assurer la charge financière. L'ensemble des communautés reconnues localement formerait un comité représentatif qui, notamment, recevrait les candidatures des enseignants de religion Islamique et élaborerait les programmes (6 février 1990).
Au cours de sa conférence de presse d'Inauguration, le Centre laTque arabo-musulman-CLAM estime qu"'ll ne peut être question de laisser à la grande mosquée l'exclusivité de la représentativité des musulmans de Belgique et encore moins le pouvoir d'organiser des élections c ••• ) l'Islam doit se créer ses propres repères en Occident, son mode de fonctionnement autonome" <14 février 1990).
La Ligue des droits de 1 'homme déclare "approuver la nécessité de la création d'un Conseil supérieur des musulmans de Belgique( ••• ) Ce Conseil doit être réellement représentatif de 1 'ensemble des musulmans", ce qui Implique des élections démocratiques placées sous le contrÔle des autorités belges (16 février 1990).
Le Bureau de la FGTB a examiné le rapport du Commissariat royal. En matière d'organisation de la religion musulmane, Il souhaite la mise en place d'un Conseil des musulmans qui tienne compte des diverses sensibilités religieuses des musulmans de Belgique <27 février 1990).
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2. Référents juridiques sur l'islam et l'école
Les événements qui viennent d'être rappelés et les polémiques auxquelles ils ont donné lieu s'inscrivent dans un contexte particulièrement complexe. S'y entremêlent, notamment, des éléments de droit public relatifs au culte et à l'enseignement, ainsi que des situations de fait qui se sont greffées sur les premiers, les ont anticipés ou ont tenté de combler le vide juridique qui s'est installé depuis une douzaine d'années.
Le chapitre qui s'ouvre ici tente de situer et de synthétiser les différents aspects qui entrent en ligne de compte dans la problématique immigration musulmane et école. Sont successivement abordées, la question de la reconnaissance du culte islamique et celle de l'enseignement de la religion.
Dans l'approche de l'élaboration des législations, une place est accordée au contexte de leur apparition et aux processus qui ont mené à leur adoption, notamment dans le but de mieux en percevoir l'esprit et la portée.
RECONNAISSANCE ET ORGANISATION DE L'ISLAM
Religion et Etat
Sur le plan des principes de base, les rapports entre Eglise(s) et Etat sont définis dans la Constitution. Les modalités de leur mise en oeuvre et les dispositions spécifiques aux cas des cultes reconnus sont réglées par des textes législatifs, soit propres à chaque culte, soit communs à l'ensemble.
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Principes constitutionnels
En Belgique, pays où il n'y a pas de religion d'Etat (13), le principe de la liberté des cultes est inscrit dans la Constitution
"La liberté des cul tes, celle de leur exercice public ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière sont garanties" (art. 14).
La pratique de tous les cultes, sans distinction, est donc autorlsee. Deux restrictions à la garantie de ces libertés sont toutefois inscrites dans le même texte :
- une exception est spécifiée directement à la suite de leur énoncé : "sauf la répression des délits commis à 1' occasion de 1' usage de ces libertés" (art. 14);
- l'exigence du maintien de l'ordre public "Les Belges ont le droit de s'assembler paisiblement et sans armes, en se conformant aux lois qui peuvent régler l'exercice de ce droit, sans néanmoins le soumettre à une autorisation préalable. Cette disposition ne s'applique point aux rassemblements en plein air, qui restent entièrement soumis aux lois de police" (art. 19) •
D'autre part, la liberté des cultes est assortie de son corollaire, la liberté de n'adhérer à aucun d'entre eux :
"Nul ne peut être contraint de concourir d'une manière quelconque aux actes et aux cér~monies d'un culte, ni d'en observer les jours de repos" (art. 15) •
La non-ingérence de l'Etat dans les affaires des Eglises constitue un principe de base du régime inscrit dans la Constitution :
"L'Etat n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination ni dans 1' installation des ministres d'un cul te quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs et de publier leurs actes, sauf, en ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication. Le mariage civil devra toujours précéder la bénédiction nuptiale, sauf les exceptions à établir par la loi, s'il y a lieu" (art. 16).
(13) Depuis le Concordat du 26 messidor an IX (15 juillet 1801 > conclu entre le Premier consu 1 Bonaparte et le Pape Pie VIl aux termes duquel le catholicisme n'est plus religion d'Etat. Voir a ce propos X. Mabll le, Histoire politique de la Belgique, CRISP, 1986, PP• 63-65.
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La Cons ti tut ion, toutefois, prévoit une intervention de 1' Etat pour ce qui concerne la rémunération des ministres des cultes :
"Les traitements et pensions des ministres des cultes sont à la charge de l'Etat; les sommes nécessaires pour y faire face sont annuellement portées au budget" (art. 117).
L'article 17 de la Constitution, enfin, institue diverses garanties relatives à la liberté religieuse et philosophique en matière d'enseignement que nous détaillerons plus loin.
La reconnaissance de certains cultes
Ces diverses formes d'intervention des pouvoirs publics à l'égard des cultes (14) sont toutefois limitées à certains d'entre eux qui bénéficient d'un traitement particulier du fait de la reconnaissance par l'Etat des administrations chargées de la gestion du temporel de ces cultes et de l'agréation de leurs organes représentatifs (15). Les cultes catholique, protestant (évangélique), anglican, israélite, musulman et orthodoxe bénéficient aujourd'hui de cette reconnaissance.
La loi du 4 mars 1870 sur le temporel des cultes (Moniteur belge du 9 mars 1870) a pour principal objet d'organiser la comptabilité des fabriques d'églises et de régler la présentation de leurs comptes et budgets ainsi que l'organisation de la tutelle. Cette loi traite d'abord du culte catholique. Les articles 18 et 19 prévoient ensuite que les cultes protestant, anglican et israélite sont réglés de manière identique, tandis que l'article 19bis, introduit beaucoup plus tard, ajoute aux quatre cultes déjà reconnus les cul tes musulman (en 1974) et orthodoxe (en 1985) et envisage leur organisation spécifique. Les organisations chargées de la gestion du temporel des cultes doivent en outre faire l'objet d'une reconnaissance spécifique et leurs organes représentatifs d'une agréation. On s'intéressera dans un premier temps aux différents cul tes à 1' exception du cul te islamique, qui fera l'objet d'un traitement spécifique.
Le décret impérial du 30 décembre 1809 complété par la loi du 4 mars 1870 a pour conséquence que les établissements chargés du temporel des cultes reconnus jouissent de la personnalité civile.
(14) Auxquelles on peut encore ajouter les subsides à la construction et à 1 'entretien des lieux du culte. (15) La reconnaissance des cultes porte sur les aspects temporels (subsldiation, rémunération, etc.) et non sur les doctrines de ces cultes.
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Ce statut juridique est donc attribué aux fabriques d'églises, aux consistoires et aux synagogues.
Les chefs des cultes reconnus sont en ce qui concerne le culte -catholique, l'archevêque de Malines-Bruxelles, - protestant, le Synode des Eglises protestantes, -anglican, le Comité central (composé de cinq pasteurs), - israélite, le Consistoire central (reconnu de fait et non de
droit), - orthodoxe, le métropolite-archevêque du Patriarcat oecuménique
de Constantinople ou son remplaçant.
Implications matérielles de la reconnaissance
La reconnaissance des cultes leur permet de bénéficier des diaposi tians de l'article 117 de la Cons ti tut ion relatif aux traitements et pensions des ministres du culte. Cette question est actuellement réglée par la loi du 4 janvier 1989 (Moniteur belge du 4 février 1989).
Les dépenses prévues au budget du Ministère de la Justice pour les traitements et rétributions des ministres des cultes reconnus s'élèvent à quelque BEF 2.750 millions en 1989. Ils se répartissent de la manière suivante (16) :
Tableau Traitements et rétributions des ministres des cultes en 1989 <en BEF>
cu 1 te catho 1 1 que culte protestant cu 1 te ang Il can cu 1 te 1 sr aé 1 1 te culte orthodoxe
2.625.000.000 76.200.000 9.700.000
23.200.000 20.900.000
Les cultes reconnus ont également le droit de disposer des bâtiments nécessaires à l'exercice du culte. L'Etat intervient jusqu'à 30% pour les frais inhérents à l'acquisition et à la réparation des bâtiments. Les communes (ou les provinces en ce qui concerne le culte orthodoxe) doivent couvrir les charges relatives à l'entretien et à la construction des lieux du culte lorsque les
(16) sénat, Bulletin des questions et réponses, No 9, 5 décembre 1989, P• 345. Comme on le verra, un montant de BEF 2.500.000 est Inscrit à titre de provision pour le culte Islamique.
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ressources propres des communautés et 1' intervention de 1' Etat sont insuffisantes. Le logement des ministres du culte est également à charge des communes (ou des provinces).
La reconnaissance et l'organisation du culte islamique
Les étapes de la reconnaissance
Le processus de reconnaissance des administrations chargées de la gestion du temporel du culte islamique s'est étalé sur plusieurs années. La première proposition de loi relative à la reconnaissance du culte islamique est déposée au Sénat par A. Smet, C. Heylen et M. Vandewiele ( CVP), le 24 mars 1971. L'intitulé de cette proposi tian de loi "portant reconnaissance de la religion mahométane en Belgique" (17) a connu plusieurs transformations tout au long du processus parlementaire de reconnaissance du culte islamique. Cette proposition de loi est rendue caduque par la dissolution des Chambres le 29 septembre 1971.
La même proposition de loi est reprise avec le même intitulé, au Sénat également, lors de la session suivante, le 3 février 1972, parC. Heylen, M. Vandewiele, W. Verleysen etC. De Clercq (CVP). Ces propositions visent, l'une comme l'autre, uniquement à ajouter, à l'article 18 de la loi du 4 mars 1870 sur le temporel des cul tes, 1' "Eglise mahométane" aux Eglises déjà reconnues.
Presque simultanément au dépôt de cette proposition, le 13 avril 1972, W. Calewaert (SP), G. Dejardin (PS), J. Ramaekers (SP), H. Vanderpoorten (PVV), M. Vanhaegendoren (VU) et J. Bascour (PVV) déposent, toujours au Sénat, une proposi tian de loi "portant reconnaissance du culte islamique ainsi que de la philosophie lai-
(17> On observera avec B. Lewis que "lorsque l'Europe commença à discerner dans 1 1 1 s 1 am une communauté non pas ethn 1 que ma 1 s re 1 1 g 1 eu se, e 1 1 e formu 1 a cette reconnaissance à travers toute une série de fausses analogies, à commencer par les noms mêmes donnés à la religion et à ses sectateurs :mahométisme et mahométans. Les musulmans ne s'Intitulent pas, et ne se sont jamais Intitulés, mahométans, et Ils ne nomment pas leur rel lglon mahométisme, Mahomet n'occupant pas, dans l'Islam, une place comparable à celle du Christ dans le christianisme. Cette lnterprétat 1 on faut 1 ve de 1 1 1 s 1 am, comme une sorte d 1 1 mage en m 1 ro 1 r du chr 1 st 1 anlsme, trouva à s'exprimer de multiples façons - par exemple dans 1 •équivalence erronée entre le vendredi musulman et le dimanche chrétien, dans la référence au Coran comme à la Bible musulmane, dans les analogies fallacieuses entre la mosquée et l'église, l'ouléma et le prêtre( ••• )". B. Lewis, Le retour de l'Islam, NRF Gallimard, 1985, PP• 372-373.
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que", qui vise à octroyer aux communautés philosophiques laïques et au culte islamique les mêmes droits et avantages que ceux dont bénéficient les autres cultes reconnus par la loi du 4 mars 1870. Ce qui revient à inclure ces communautés philosophiques et le culte islamique dans le champ d'application de ladite loi (18).
La commission de la Justice du Sénat, présidée par M.-A. Pierson (PS), a examiné ces deux propositions. Le rapport des travaux de cette commission commente d'abord la première proposition de loi et synthétise les arguments exprimés en faveur de la reconnaissance du culte islamique :
- les fidèles sont nombreux à s'être établis dans le pays depuis quelques années;
- des plaintes sont formulées fréquemment à propos de la difficulté qu'ils éprouvent à observer leurs obligations et coutumes religieuses;
- la reconnaissance de leur religion permettrait à beaucoup de travailleurs immigrés de confession musulmane de vivre dans de meilleures conditions et de se sentir mieux intégrés dans la communauté nationale;
- la reconnaissance faciliterait aux intéressés l'exercice de leur culte, des locaux pourraient être mis à leur disposition, le nécessaire pourrait être fait pour leur procurer des lieux d'inhumation, le problème de l'enseignement de la religion devrait être examiné et résolu, l'article 117 de la Constitution relatif aux traitements et pensions des ministres du culte serait applicable, etc.
Deux objections à la reconnaissance ont été soulevées lors des travaux de la commission :
- d'une part, plus divers naissance". l'adoption de formulé alors
est exprimée la crainte de voir "les cul tes les revendiquer les mêmes avantages et la même recon
A cette crainte il a été objecté que, lors de la loi du 4 mars 1870, le même argument a da être qu'il s'agissait de reconnaître les cultes angli-
(18) A la Chambre, une proposition de loi "complétant la loi du 4 mars 1870 sur le temporel des cultes" a été déposée par F. Vandamme (CVP) le 23 février 1972. Elle visait à Introduire le "culte mahométan" dans ladite loi au même titre que les autres cultes reconnus. Un amendement a été déposé par A. Degroeve, A. Baudson et R. Col lignon <PS> qui visait à y ajouter les communautés philosophiques larques. Ces propositions sont tombées en caducité le 31 janvier 1974 suite a la dissolution des Chambres. F. Vandamme a réintroduit sa proposition sous le titre "Proposition de loi portant reconnaissance de la religion mahométane en Belgique" le 13 mal 1974. Le vote deux mols plus tard de la proposition déposée au Sénat a rendu celle-cl sans objet.
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can et israélite et que cela n'a pas empêché le législateur d'agir comme il l'a fait. Par ailleurs, il est spécifié que la reconnaissance doit être accordée au cas par cas et qu'il n'est pas "question de reconnaître un culte qui ne soit pratiqué que par un petit nombre de personnes ou qui ne puisse encore s'appuyer suffisamment sur la tradition et sur l'histoire". Il semble en outre "difficile de refuser cette reconnaissance à présent que sont introduites de nouvelles demandes fondées sur des arguments sérieux";
- d'autre part, la religion islamique bénéficie déjà d'une mesure de reconnaissance depuis que la personnalité civile a été octroyée au Centre islamique et culturel le 7 mai 1968 (19) et qu'un bâtiment lui a été cédé le 13 juin 1969 (20). Les membres de la commission considèrent toutefois qu'il est normal qu'après ces faits "on prenne aussi les mesures qui s'imposent dans divers domaines".
La seconde proposition de loi visait également la reconnaissance des communautés philosophiques laïques de manière à ce que ces dernières disposent également des droits et avantages accordés aux cultes reconnus. Si la commission de la Justice du Sénat conçoit qu'il n'est pas douteux que les libertés prévues par la Constitution impliquent nettement, sur le plan des principes, la protection des conceptions philosophiques laïques, "par contre, on ne voit pas très bien comment les groupes ou associations qui n'adhèrent pas aux communautés religieuses existantes et ont à leur égard une attitude indifférente ou même les combattent activement, pourraient être organisés suivant les structures de ces mêmes communautés, telles que ces structures ont été conçues et réglées dans la législation en vigueur".
Le principe de la reconnaissance du culte islamique ne rencontre d'objection ni de la part de la commission, ni de celle du ministre de la Justice. Par contre, plusieurs membres de la commission estiment que la reconnaissance des communautés philosophiques laïques devrait être examinée séparément. C'est également le point de vue du ministre qui, après avoir pris l'avis de la commission, "déclare qu'il fera recueillir séparément toutes les informations voulues à ce sujet, afin de clarifier les idées et de permettre 1 'élaboration d'un texte portant uniquement sur cette reconnaissance et qu'il déposerait un projet de loi". Malgré l'attachement des auteurs de la proposition de loi de voir trai-
(19) Moniteur belge du 16 mal 1968. (20) Date de la remise des clefs du pavll lon situé dans le parc du Cinquantenaire à Bruxelles au Roi Fayçal d'Arable Saoudite.
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ter des communautés philosophiques laïques en même temps que du culte islamique, il fut décidé de scinder les deux sujets.
Le rapport de la commission de la Justice du Sénat fait état d'un entretien avec le "Grand-Imam du cul te islamique" (21), c'est-àdire avec l'imam-directeur du Centre islamique et culturel. Il en ressort que des subsides pour l'acquisition de bâtiments ne doivent pas être prévus dans la mesure où des mosquées existent déjà dans les grandes villes et que des travaux n'y sont pas envisagés avant cinq ou six années. Par ailleurs, l'imam aurait déclaré que le culte islamique désire être reconnu sur une base provinciale, contrairement aux autres cultes qui, eux, sont organisés sur une base communale. Ce qui a pour conséquence de faire supporter par les provinces les obligations incombant aux communes dans la législation sur les cultes. Au terme de ses travaux, la commission adopte un texte dont 1' intitulé devient "Proposi tian de loi portant reconnaissance du culte islamique". La proposition de loi relative à la reconnaissance du culte islamique et des communautés philosophiques laïques reste à l'ordre du jour de la commission pour examen de sa seconde partie. Toutefois, la dissolution des Chambres intervenue le 31 janvier 1974 rend caduques les deux propositions.
Le 2 mai 1974, M. Vandewiele, C. De Clercq, N. Staels-Dompas et W. Verleysen (CVP) déposent au Sénat une proposition de loi qui reprend in extenso le texte approuvé par la commission de la Justice. Après les élections d'avril 1974, la commission de la Justice du Sénat, présidée par M.-A. Pierson et dont le rapporteur est R. Vandekerkhove (CVP), examine cette proposition et y apporte des modifications à la demande des services du Ministère de la Justice. Ces modifications concernent notamment l'intitulé qui devient "Proposi tian de loi portant reconnaissance des administrations chargées de la gestion du temporel du culte islamique".
En séance plénière du 20 juin 1974, le Sénat procède au vote de la proposition de loi amendée par la commission; les 155 membres présents l'adoptent à l'unanimité. Transmis à la Chambre des représentants, le projet fait l'objet d'un vote comparable, le 17
(21) Cette expression, qui n'a pas de signification religieuse en raison de 1 'absence de hiérarchie dans 1 'Islam, est révélatrice d'une nouvelle transposition à son égard des structures ou des concepts significatifs pour d'autres cultes.
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juillet 1974. Les 174 députés présents votent également ce projet de loi à l'unanimité (22).
La reconnaissance officielle de l'islam est donc acquise par la loi du 19 juillet 1974. Sa proximité dans le temps avec le premier "choc" pétrolier de 1973, voire avec le projet d'une entreprise belge-iranienne pour l'exploitation d'une raffinerie de pétrole (projet Ibramco) (23) a conduit certains observateurs à interpréter l'enchatnement chronologique des faits comme un lien de causalité : cet événement, vu la si tua tian de dépendance de la Belgique sur le marché du pétrole, aurait été 1' élément déclencheur d'un processus dont 1' objectif explicite est de mettre 1' islam sur le même pied que les cul tes catholique, protestant, anglican et israélite. Cette explication n 1 est toutefois pas à même de rendre compte totalement ni de la reconnaissance du culte islamique par l'Etat belge, ni du rôle aècordé à l'Arabie Saoudite. Il convient en effet de tenir compte de la chronologie complète des faits pour n'accorder à la crise pétrolière qu'un statut de facteur explicatif partiel.
Malgré les développements des propositions de loi et le rapport des travaux de la commission de la Justice du Sénat qui explicitent certaines motivations qui ont animé le législateur, les raisons profondes de la reconnaissance de l'islam et de son organisation restent largement non éclaircies.
D'autre part, on ne manquera pas de relever la concordance entre la reconnaissance de l'islam et l'arrêt de l'immigration en 1974. Est toutefois maintenue à cette période l'autorisation du regroupement familial qui, en définitive, confirme l'établissement durable des immigrés dans le pays. Les dispositions en matière de culte s'inscrivent dans ce contexte.
Accompagnement religieux de l'immigration
Si les motifs de la reconnaissance de 1' islam en Belgique sont probablement divers, on peut considérer que cette reconnaissance
<22> Il est a noter qu'une proposition de loi dont l'objet est notamment de modifier 11 1 'article 19bls de la loi du 4 mars 1870 de manière a abolir les dispositions relatives au culte Islamique et a retirer a celui-cl la reconnaissance dont Il jouit depuis 1974" est déposée a la Chambre par le député Filip Dewlnter <VIaams Blokl depuis le 19 avril 1989. <23l Cfr. L'entreprise publique en Belgique, Courrier hebdomadaire du CRISP, No 630, 25 janvier 1974.
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s'inscrit aussi dans le cadre d'une politique d'accompagnement religieux des populations immigrées.
C'est en effet à la période où 1' immigration italienne est la plus massive que remonte un arrêté royal permettant au ministre de l'Emploi et du Travail d'indemniser les aumôniers des travailleurs étrangers (24). Cette indemnité est destinée à couvrir les charges résultant de leur mission; son montant annuel équivaut à celui accordé à un vicaire du culte catholique. Son but est d'assumer l'accompagnement religieux et moral des communautés étrangères, des travailleurs et de leurs familles.
Un arrêté de 1971 a institué une allocation semblable pour des conseillers moraux présentés par une fondation morale laïque (25).
Depuis 1983, cette matière a été communautarisée. En Communauté française, elle relève de la Direction générale des Affaires sociales. Un arrêté du 11 mars 1983 (Moniteur belge du 7 mai 1983) met en place une procédure d' agréation et de subsidiation. 13 millions de francs sont affectés à la subsidiation de 30 conseillers religieux ou moraux qui se répartissent en : - 15 conseillers catholiques;
3 conseillers protestants; 8 conseillers laïcs; 2 conseillers juifs; 2 conseillers orthodoxes;
- vu les difficultés structurelles liées au d'organisation des communautés musulmanes, sont actuellement pas représentées. Deux toutefois été tentées par le passé (26).
La loi du 19 juillet 1974 et l'arrêté royal du 3 mai 1978
type particulier ces dernières ne
expériences ont
La loi du 19 juillet 1974 (Moniteur belge du 23 août 1974) portant reconnaissance des administrations chargées du temporel du culte islamique, a pour objet de modifier la loi du 4 mars 1870 en deux endroits :
(24) Arrêté royal du 10 juillet 1952 <Moniteur belge des 14-15 juillet 1952). (25) Arrêté royal du 11 mal 1971 <Moniteur belge du 22 mal 1971 ). (26) Données au 24 janvier 1989.
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- à l'intitulé du chapitre III est ajouté "le culte islamique" de sorte que l'intitulé devient : "De la comptabilité du temporel des cul tes protestant, anglican, israélite et islamique" (27);
- dans ce chapitre III est inséré un article 19bis : "Article 19bis. Les administrations propres au cul te islamique sont organisées de la même manière (28) sur la base territoriale provinciale. La tutelle de ces administrations est exercée par le ministre de la Justice. Cependant, leur création ainsi que les opérations civiles qu'elles effectuent et l'acceptation des libéralités qui leur sont faites, sont soumises à l'autorisation du Roi. Dans tous les cas, l'avis des députations permanentes des conseils provinciaux intéressés est requis. Les interventions financières incombant aux communes en faveur des ministres et des administrations des cultes visés aux articles précédents incombent, en ce qui concerne le cul te islamique, aux provinces" •
Un projet d'arrêté royal portant organisation des comités chargés de la gestion du temporel des communautés islamiques reconnues a été soumis au Conseil d'Etat par le ministre de la Justice plus de deux ans après la promulgation de la loi, le 15 décembre 1976. L'avis (29) que le Conseil d'Etat a rendu le 9 mars 1977 a notamment porté sur les notions de "comité" et de "communauté" introduites dans le projet d'arrêté. La loi prévoyant l'organisation du culte islamique sur un plan provincial, le Conseil d'Etat estime que la possibilité d'instituer un même comité pour plusieurs provinces doit être explicitement mentionnée, mais surtout attire l'attention sur le fait que "la création d'un comité postule la reconnaissance préalable de la communauté islamique pour une ou plusieurs provinces déterminées" et que c'est au Roi qu'il revient de conférer cette reconnaissance. Il examine ensui te la question du nombre des membres des comités et des modalités de leur élection. Sur tous ces points, l'avis du Conseil d'Etat a
C27l La loi du 17 avril 1985 portant reconnaissance des administrations chargées de la gestion du temporel du culte orthodoxe modifie à nouveau cet Intitulé. Il est formulé actuellement de la manière suivante: "De la comptabilité du temporel des autres cultes reconnus". (28) La loi de 1974 fait ici référence à 1 'article 19 de la loi du 9 mars 1870 qu 1 prévo 1 t que 1 e gouvernement déterm 1 nera 1 a man 1ère dont 1 es Eg 1 1 ses protestante, angl !cane et lsraél lte seront représentées et organisées. C'est donc au gouvernement qu'Il reviendra de déterminer le mode d'organisation des administrations propres au culte Islamique en ce qui concerne la gestion de ses lntér~ts temporels. C29l Cet avis n'est pas publié conjointement à 1 'arr~té royal, mals Inséré dans le Moniteur belge du 1er juin 1978, pp. 6259-6262.
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été suivi par le ministre et le projet d'arrêté royal a été modifié en conséquence.
L'arrêté royal du 3 mai 1978 (Moniteur belge du 6 mai 1978) prévoit notamment que des communautés islamiques pourront être reconnues par arrêté royal pour une ou plusieurs provinces déterminées. La reconnaissance d'une communauté l'autorise alors à créer un comité chargé de la gestion de ses intérêts temporels en matière de culte et de sa représentation dans ses rapports avec l'autorité civile. La composition de ce comité comprend : -l'imam premier en rang ou son délégué; - et des membres élus : entre 6 et 8 pour le comité du Brabant,
entre 4 et 6 pour les autres comités.
C'est au Centre islamique et culturel qu'il revient de déterminer le nombre des membres à élire lors de la première constitution des comités et d'organiser les premières élections. Par la suite chacun des comités sortants détermine le nombre de mandats à pourvoir aux prochaines élections, et se charge de l'organisation de ces élections. L'arrêté dispose en outre que les qualités requises pour être électeur comprennent l'inscription depuis un an au moins au registre d'une mosquée. Les listes des membres électeurs et la liste des candidats sont affichées à l'entrée de la ou des mosquées.
Cet arrêté n'a toutefois pas été su1v1 d'effets, les arrêtés royaux reconnaissant les communautés islamiques pour une ou plusieurs provinces n'ayant pas été pris, aucune communauté musulmane, semble-t-il, n'ayant demandé sa reconnaissance; les élections n'ont donc pas pu être organisées; les comités chargés de la gestion du temporel du culte n'ont donc pas été constitués.
Cette situation a pour conséquences : - d'une part, qu'aucune subvention n'est accordée pour la cons
truction et l'entretien des bâtiments ni pour le logement des ministres du culte islamique;
-et, d'autre part, que les ministres du culte islamique ne reçoivent ni traitement, ni pension contrairement aux dispositions contenues dans l'article 117 de la Constitution.
A propos du traitement et de la pension des ministres du culte, on notera qu'il a fallu attendre 1981 pour voir inscrits dans la loi les montants des rémunérations des imams (30). Cette question
(30) Loi du 23 janvier 1981 <Moniteur belge du B avril 1981 > modifiant la loi du 2 août 1974 relative aux traitements des titulaires de certaines fonctions publiques et des ministres des cultes.
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est aujourd'hui réglée par la loi du 4 janvier 1989 (Moniteur belge du 4 février 1989) qui prévoit les traitements annuels suivants :
Tableau 2 Traitements annuels des Imans au 1er janvier 1990.Cen BEF>
Imam-directeur du Centre Islamique Imam premier de rang Imam
304.919 253.250 154.469
En raison de la situation juridique actuelle, ces traitements ne sont pas versés. Un montant est toutefois inscrit au budget du Ministère de la Justice à titre de provision pour le traitement et la rétribution des ministres du culte islamique dans l'hypothèse d'une évolution de la situation.
La loi distingue trois types de ministres du cul te islamique : l'imam-directeur du Centre islamique, les imams premiers de rang et les imams. Il faut rechercher ailleurs que dans la religion elle-même - qui n'institue pas de hiérarchie entre les imams -les raisons de la distinction entre les ministres du cul te introduite dans la loi du 23 février 1981 et reprise dans celle du 4 janvier 1989. F. Dassetto et A. Bastenier (31) observent un "alignement analogique" de l'islam sur le cul te protestant qui a des premiers pasteurs et des pasteurs auxiliaires. Les traitements des imams connaissent également un alignement semblable sur ceux des pasteurs protestants.
La repr9sentation de l'islam
La question de la représentation de l'islam reste entière. Dans les faits, le Centre islamique et culturel assume le rôle d'interlocuteur principal vis-à-vis des autorités belges. Ce rôle, historiquement joué lors de la préparation de la loi de 1974, ne lui octroie pas pour autant le statut et les prérogatives d'organe représentatif des musulmans.
D'une part, des réserves ont été émises quant à la représentativité du Centre islamique et culturel par rapport à l'ensemble des communautés musulmanes immigrées. Les contestations sur ce point
(31) F. Dassetto et A. Bastenier, L'islam transplanté, Ed. EPO, 1984, pp.171-172.
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ont débouché sur la création d'associations telles que Culture et religion islamique - CRI (32) (devenue Centre de recherches islamiques - CRI), le Comité de la Religion islamique en Belgique -CRI et, en 1981, la Fédération islamique de Belgique.
D'autre part, la question de la représentation du culte islamique n'a pas été résolue dans les textes légaux et réglementaires. La loi de 1974 et son arrêté d'application sont muets à cet égard.
Les travaux préparatoires à la loi de 1974 n'évoquent jamais cette matière, soit qu'elle ait paru prématurée, soit que l'on ait estimé que le Centre islamique et culturel qui avait servi d'interlocuteur principal lors de la préparatoin de la loi, pourrait continuer à servir d'interlocuteur pour les autorités civiles (33). Quoi qu'il en soit, l'article 19bis introduit dans la loi du 4 mars 1870 par la loi de 1974 traite exclusivement de l'organisation des "administrations propres au cul te islamique" à la différence de ce qui est prévu pour les autres cultes dont la représentation est prévue au même titre que leur oganisation : "19. Ces Eglises (protestante, anglicane et israélite) sont pour la gestion de leurs intérêts temporels et pour leurs rapports avec l'autorité civile, représentées et organisées de la manière qui sera déterminée par le gouvernement( ••• ). 19bis. Les administrations propres au culte islamique sont organisées de la même manière sur la base territoriale provinciale. Les administrations propres au culte orthodoxe sont organisées de la manière prévue à l'article 19, sur la base territoriale provinciale. les rapports avec l'autorité civile sont assurés par l'organe représentatif de l'ensemble de l'église orthodoxe".
L'arrêté royal porte, quant à lui, exclusivement sur l'organisation des comités, les budgets et les comptes, et ne règle donc pas davantage que la loi de 1974 la délicate question de la représentation de l'islam.
(32 > Le œ 1 a obtenu de pouvoir désigner des enseignants de re 1 i gion i s 1 ami que pour les années scolaires 1981-1982 et 1982-1983 alors que les ministres en charge de l'Education nationale francophone étaient respectivement P. Busquin CPS) et M. Tremont CPRL). Le CRI a également été entre 1978 et 1984 l'asbl reconnue pour présenter à l'agréation du ministre de l'Emploi et du Travail, puis à celui des Affaires sociales de la Communauté, des conseillers religieux islamiques. (33) Les travaux préparatoires, cependant, annoncent l'ouverture, en conséquence de la reconnaissance du culte islamique, de cours de religion musulmane dans les écoles officielles; i 1 eut donc été logique de s'inquiéter de la reconnaissance d'un "chef de cu 1 te" suscept i b 1 e notamment de désigner 1 es professeurs de re 1 igion islamique.
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On notera cependant que l'article ler de l'arrêté royal du 3 mai 1978 charge le cami té créé pour une communauté islamique "de la gestion de ses intérêts temporels en matière de culte ainsi que de sa représentation dans ses rapports avec 1' autorité civile" sans qu'aucun détail ne soit apporté quant à ce que recouvre exactement ce rôle de représentation qui, en tout état de cause, reste chaque fois relatif à une communauté musulmane déterminée reconnue pour une ou plusieurs provinces déterminées.
L' appari tian de ce rôle de "représentation" dans le texte de 1' arrêté royal du 3 mai 1978 est due, il convient de le remarquer, à l'intervention du Conseil d'Etat. Le projet d'arrêté qui lui a été soumis par le ministre de la Justice ne faisait, en effet, aucunement mention de cette fonction de "représentation", qui a été reprise dans la version définitive de 1' arrêté royal sui te à des modifications proposées par le Conseil d'Etat dans son avis. L'avis du Conseil d'Etat n'apportant aucun justificatif quant à cette initiative, il est vraisemblable que cette fonction de représentation s'inspire de l'article 19 de la loi de 1870 qui évoque l'organisation et la représentation des cultes protestant, anglican et israélite.
Par ailleurs, une élection a été organisée en 1983 pour la constitution d'un Comité interlocuteur des autorités civiles; mais celui-ci n'a pas été agréé par le ministre de la Justice. En outre, J. Gal, alors ministre de la Justice, a soumis un projet d'arrêté au Conseil d'Etat en 1985. Celui-ci visait à créer un Conseil supérieur des islamiques de Belgique.
Critiqué par le Conseil d'Etat (34), ce projet d'arrêté a été retiré.
le débat sur la représentation de l'islam a été relancé suite aux polémiques relatives à la désignation des maîtres de religion par la mosquée du Cinquantenaire. Le Parti socialiste a proposé en février 1990 de modifier la loi de 1974 et l'arrêté royal de 1978 aux fins de faire reconnaître et d'organiser les communautés musulmanes et leurs comités sur une base territoriale locale; les communautés localement reconnues serviraient ensuite de base pour
(34) Le Conseil d'Etat a remis son avis sous réserve, étant donné que les Chambres étalent dissoutes. L'observation générale du Conseil d'Etat tend a faire remarquer que le projet d'arrêté royal va plus loin que l'organisation et le fonctionnement du temporel des cultes puisqu'il vise la création d'un Conseil supérieur des islamiques de Belgique et dispose même que 1 'Interlocuteur de 1 'Etat est le président de ce Conseil supérieur. Le Consei 1 d'Etat considère que le projet d'arrêté royal ne trouve pas de fondement dans la loi du 4 mars 1870.
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la création auprès des Communautés flamande, française et germanophone de comités représentatifs des communautés islamiques qui assumeraient le rôle dévolu aux chefs de cul te en matière d'enseignement.
Le Commissariat royal à la poli tique des immigrés quant à lui, dans son premier rapport, propose une démarche globalement inverse. Il suggère que des modifications soient apportées à la loi de 1974 comme à l'arrêté royal de 1978 afin d'éviter que l'Etat soit amené à reconnai tre lui-même des communautés religieuses islamiques, ce qui pourrait faire figure d'ingérence de l'Etat dans les affaires religieuses de la communauté musulmane. Le Commissariat souhaite rait que, comme pour les autres cul tes reconnus, la reconnaissance des communautés musulmanes soit proposée à 1' Etat par une instance représentative de ce culte qui garantirait la légitimité de ces communautés.
En mars 1990, le gouvernement a décidé de créer un Comité provisoire des sages (composé de 17 personnes, 3 places ayant été proposées au Centre islamique et culturel) chargé d'un rôle consultatif sur la question de la représentation de 1' islam. Le gouvernement, usant simplement ici de sa liberté de créer des organes consultatifs en toute matière, ne contrevient donc pas à l'article 16 de la Constitution puisqu'il ne s'agit pas, avec ce Comité provisoire des sages, de nommer ou d'installer les ministres d'un cul te.
RECONNAISSANCE DE L'ISLAM ET ENSEIGNEMENT
La reconnaissance du cul te islamique par la loi du 19 juillet 1974 a pour conséquence, en matière d'enseignement, d'élargir à la religion musulmane 1' éventail des cours "philosophiques", de religion et de morale non confessionnelle, organisés dans 1' enseignement primaire et secondaire.
Le Pacte scolaire, dont certaines dispositions ont été transposées récemment dans la Constitution, règle les rapports entre religion et enseignement et établit donc les principes de base sur lesquels se fonde l'enseignement de la religion islamique. Celuici a connu un développement important durant les quinze dernières années. Des problèmes ont toutefois été soulevés ici et là quant à la reconnaissance de l'autorité habilitée à désigner les enseignants. Par ailleurs, le statut de ces derniers se distingue de
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celui des autres enseignants à différents niveaux et pose des problèmes spécifiques (35).
Bases de l'enseignement de la religion
L'enseignement de la religion ou de la morale non confessionnelle est obligatoirement inscrit dans les programmes d'enseignement. Dans l'enseignement libre, le choix du (ou des) cours dispensé(s) revient au pouvoir organisateur de l'établissement. A l'inverse, l'enseignement officiel est tenu de proposer au choix des parents l'ensemble des cours de religion et de morale non confessionnelle reconnus. C'est là un des points de l'accord politique conclu le 20 novembre 1958 entre les trois grands partis nationaux (socialiste, social-chrétien et libéral) connu sous le nom de Pacte scolaire. Les disposi tians de celui-ci ont été transposées dans la loi du 29 mai 1959 "modifiant la législation relative à 1' enseignement gardien, primaire, moyen, normal, technique et artistique" (Moniteur belge du 19 juin 1959) dite loi du Pacte scolaire. Cette loi a pour principaux objets d'instaurer la paix scolaire et d'établir les règles destinées à régir les rapports entre les réseaux d'enseignement, d'assurer la protection des conceptions philosophiques, de garantir la liberté du choix de l'école, d'étendre et de démocratiser l'enseignement, d'aider toutes les formes d'enseignement reconnues valables (36).
Lors des discussions relatives à la communautarisation de l'enseignement, certains (tout particulièrement le PSC) ont exigé que, parallèlement à la modification de 1' article 59bis de la Constitution qui transfère aux Communautés les compétences en matière d'enseignement (37), les garanties relatives à la liberté de l'enseignement contenues dans le Pacte scolaire soient également introduites dans la Constitution. C'est ainsi qu'à l'article
(35) A propos de l'enseignement de la religion islamique, voir M. Leurin, L'organisation des cours de religion Islamique au sein de l'enseignement officiel, ln Enseignants et enseignement de 1 'Islam au sein de 1 'école officielle- en.Belglque, Ed. Claco, 1987, PP• 71-80. (36) A propos du Pacte scolaire, voir Infra; x. Mabille, op. clt., PP• 309-312, 321-322 Ccfr. aussi PP• 119-125, 149-152 et 183-186 pour les antécédents); et J. Meynaud, J. Ladrière et F. Perln, dir., La décision politique en Belgique, Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques, A. Colin, 1965, PP• 150-176. (37) A 1 'exception de trois matières qui demeurent du ressort de 1 'Etat central, à savoir la fixation du début et de la fln de 1 'obligation scolaire, les conditions minimales pour la délivrance des diplÔmes et le régime des pensions dupersonnel de l'enseignement.
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17 préexistant à la révision de la Constitution du 15 juillet 1988 qui énonce que "l'enseignement est libre; toute mesure préventive est interdite; la répression des délits n'est réglée que par la loi (38) ", ont été ajoutés quatre paragraphes explicitant les principes relatifs à la liberté d'enseignement liberté d'organiser un enseignement et d'en définir le caractère et les méthodes pédagogiques, libre choix de 1' école, droit pour les Communautés d'organiser un enseignement neutre respectant les opinions des parents, reconnaissance du droit social et culturel à l'enseignement ainsi que sa gratuité tant qu'il est obligatoire, droit à une éducation morale ou religieuse, égalité de traitement garantie pour les élèves, les étudiants, les parents, les membres du personnel et les établissements d'enseignement.
Quatre articles de la loi du Pacte scolaire règlent 1' enseignement de la religion et de la morale non confessionnelle (articles 8 à 11) 0
La loi dispose tout d'abord que "dans les établissements officiels d'enseignement primaire et secondaire de plein exercice, l'horaire hebdomadaire comprend au moins deux heures de religion ou deux heures de morale. Par enseignement de la religion, il faut entendre l'enseignement de la religion (catholique, protestante ou israélite) et de la morale inspirée par cette religion. Par enseignement de la morale, il faut entendre l'enseignement de la morale non confessionnelle" (article 8) (39). Toujours en ce qui concerne les établissements officiels, le choix du cours suivi par l'élève revient au chef de famille, au tuteur ou à la personne à qui est confié 1a garde de l'enfant (40) et peut être modifié au début de chaque année scolaire.
L'article 9 de la même loi règle la question de la désignation des maîtres de religion (41). Une distinction y est opérée entre :
les établissements d 1 enseignement primaire et secondaire de l'Etat (42) et les autres établissements officiels (organisés par les provinces et les communes) d'enseignement secondaire
(38) "ou le décret", depuis le 15 juillet 1988. (39) Les écoles de l'enseignement libre sont autorisées à organiser à la demande des parents un cours de re 1 1 g 1 on 1 s 1 am 1 que. 1 1 est à noter qu 1 un groupe de tr ava Il se penche sur 1 a quest 1 on de ces cours dans 1 'en se 1 gnement catho 1 1 que au sein du Secrétariat national de l'enseignement catholique- SNEC. (40) A l'élève lui-même s'il a atteint l'~ge de 18 ans au début de l'année scolaire (article 8bls). (41) La désignation des maftres et des Inspecteurs de morale non confessionnelle est réglée par l'article 10 de cette loi. (42) Il est à noter que la communautarlsatlon de 1 'enseignement Implique le transfert aux Communautés de l'enseignement de l'Etat.
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dans lesquels il est prévu que "1' enseignement de la religion est donné par des ministres des cul tes ou leur délégué nommés par le pouvoir organisateur (43) sur proposition des chefs des cul tes intéressés";
- et les écoles primaires officielles autres que celles de l'Etat dans lesquelles "les ministres des divers cultes sont invités à donner l'enseignement de la religion ou à le faire donner sous leur surveillance soit par un instituteur de 1' établissement, s'il y consent, soit par une personne agréée par le pouvoir organisateur".
L'inspection des cours de religion,
- dans les établissements de l'Etat, est "assurée par les délégués des chefs des cultes nommés par le ministre de l'Instruction publique sur proposition des chefs des cultes intéressés";
- dans les autres établissements officiels d'enseignement "est exercée par les délégués des chefs des cul tes. Ces délégués remplissent leur mission dans les conditions à déterminer par arrêté royal".
L'enseignement de la religion islamique
La loi du Pacte scolaire du 29 mai 1959 a ét~ modifiée par la loi du 20 février 1978 (Moniteur belge du 11 mars 1978). Son article 4, en application de la loi du 19 juillet 1974 reconnaissant le cul te islamique, inclut la religion islamiqt.re parmi les cours philosophiques : le choix doit se porter sur l'une des religions catholique, protestante, israélite ou islamique ou sur la morale non confessionnelle.
Le ministre de 1' Education nationale n'a toutefois pas attendu cette loi pour introduire les cours de religion islamique dans les écoles officielles. Dans une circulaire datée du 31 juillet 1975 dont 1' objet est "1' application de la loi du 19 juillet 1974 portant reconnaissance des administrations chargées de la gestion du temporel du cul te islamique", le ministre de 1' Education nationale et de la Culture française, A. Humblet (PSC), instaure des cours de religion islamique dès 1' année scolaire 1975-1976. Il précise qu'après avoir "décidé en accord avec son collègue Monsieur le ministre De Croo (PVV), de déposer un projet de loi tendant à modifier et à compléter l'article 8 de la loi du 29 mai
(43) Le ministre qui a 1 'enseignement dans ses attributions dans le cas des établissements de 1 'Etat.
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1959" et en attendant que ce projet soit adopté par le Parlement, "mon collègue et moi-même avons décidé que les chefs des établissements d'enseignement de tous les réseaux scolaires doivent offrir aux parents qui le désirent, la possibilité d'opter pour la religion islamique et la morale inspirée de cette religion. Cette possibilité sera offerte à partir du début de 1' année scolaire 1975-1976 à tous les niveaux où est enseignée une religion et la morale s'inspirant de cette religion".
Désignation et nomination des enseignants
Conformément aux termes de la loi du 29 mai 1959, la circulaire fait référence à la notion de "chef de cul te". En 1' occurrence, il est prévu qu'il revient au chef du culte islamique : - de désigner souverainement les membres du personnel nécessaires
à l'enseignement de la religion islamique dans les écoles officielles, membres qui seront ensuite nommés par le pouvoir organisateur de 1' établissement, sans qu'il y ait d'interférences entre les deux autorités, chacune disposant d'un "monopole" : les chefs de cultes désignent les enseignants, c'est-à-dire les proposent à la nomination; les pouvoirs organisateurs acceptent (ou non) de nommer les enseignants proposés, mais sans pouvoir désigner eux-mêmes des enseignants de religion (sauf, comme vu ci-dessus, pour les écoles primaires communales et provinciales);
- de fixer les titres de capacité en collaboration avec le Ministère de l'Education nationale.
Depuis lors, la pratique a été reconduite d'année en année d'attribuer au directeur du Centre islamique et culturel le rôle de chef du culte, et ce en l'absence comme nous l'avons vu, de dispositions normatives quant à la représentation de l'islam auprès des autorités civiles. Les ministres de l'Education nationale ont attribué alors au directeur du Centre islamique et culturel un rôle qu'aucune disposition légale ne lui confère: celui d'interlocuteur chargé de la désignation des enseignants de religion islamique.
Statut des enseignants
La pratique qui s'est développée depuis 1' instauration de cours de religion islamique a des répercussions sur différents aspects relatifs aux compétences des enseignants, à leur nationalité, à
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leur rémunération, à leur nomination, qu'il convient d'aborder à présent.
- Les compétences des enseignants
La législation belge ne définit les titres requis des mattres de religion et des professeurs de religion que pour les religions catholique et protestante (44). Pour les autres cultes, l'autorité religieuse est seule habilitée à définir les compétences pédagogiques et religieuses des enseignants. Pour la religion islamique, le directeur du Centre islamique et culturel, étant considéré comme 1' autorité religieuse par les différents ministres qui ont eu en charge le département de l'Education nationale depuis 1975, dispose du pouvoir de désigner et de révoquer les enseignants. De ce point de vue, le pouvoir du directeur du Centre islamique et culturel est total (absence de réglementation et de contrôle, critères non définis) et les possibilités de recours des enseignants inexistantes.
- La nationalité
Parmi les critères fixés pour qu'un établissement reçoive les subventions de l'Etat pour les membres de son personnel, la loi du Pacte scolaire prévoit qu'ils doivent être belges. Or, la plupart des enseignants de religion islamique n'ont pas la nationalité belge, ils doivent dès lors faire 1' objet d'une demande de dérogation. Jusqu'en 1986, cette dernière était accordée par arrêté royal "quelques mois après 1' introduction de la demande et généralement sans limitation de durée" (45).
Une circulaire du ministre A. Damseaux du 25 aoùt 1986 a pour objet la dérogation de nationalité. Les conditions d'octroi de la dérogation sont restreintes par rapport à l'automaticité qui prévalait auparavant : " La condition de nationalité belge est la règle ( ••• ). Des dérogations peuvent toutefois être accordées ( ••• ) avec parcimonie et trouver (leur) justification dans des circonstances tout à fait particulières". Un ordre de priorités est instauré : en cas d'indisponibilité de candidats belges, on privilégiera un candidat ressortissant d'un des pays de la CEE en accordant la priorité à celui qui a introduit une demande de naturalisation; en 1' absence de candidats remplissant ces conditions, le choix pourra se porter sur un candidat d'un pays hors CEE, celui qui a introduit une demande de naturalisation ayant la priori té, pour les candidats ressortissant de pays autres que
C44l En annexe â l'arrêté royal du 25 octobre 1971. (45) M. Leurln, op. ctt., p. 73.
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ceux membres de la CEE, un séjour régulier et continu en Belgique de cinq ans au moins est requis.
Dans les faits, la procédure de dérogation de nationalité comporte un avis de l'Office des étrangers, sans procédure de recours en cas d'avis défavorable. Les ministres de l'Education et de l'Enseignement devant statuer sur l'octroi de la dérogation ne sont pas avisés des raisons de l'avis défavorable.
- Les traitements
Une circulaire du 25 novembre 1982 relative à l'enseignement secondaire indique que la base de la rémunération des enseignants de religion islamique est l'échelle barémique de :
• maitre de religion dans l'enseignement primaire pour l'enseignement secondaire inférieur;
• professeur de religion du secondaire inférieur pour l'enseignement secondaire supérieur.
Cette disposition sera d'application aussi longtemps que n'auront pas été déterminés les titres des professeurs de religion islamique.
Dans l'enseignement primaire, la rémunération du maitre de religion islamique est fixée au niveau de l'échelle de l'institutrice maternelle.
D'autre part, depuis la circulaire du 25 aoùt 1986, le traitement ne peut être accordé pour la période antérieure à l'arrêté royal dérogeant à la condition de nationalité.
- La nomination
Aujourd'hui, il est impossible qu'un enseignant de religion islamique accède à une nomination définitive en raison de l'absence de statut et de titres fixés. La qualité de temporaire est encore accentuée par la limitation à une année scolaire de la dérogation de nationalité et par le fait que son renouvellement dai t faire l'objet d'une nouvelle procédure chaque année. En tant que temporaire, l'enseignant doit également faire l'objet chaque année d'une désignation par le directeur du Centre islamique et culturel.
En outre, le permis de travail est généralement octroyé pour la seule fonction de professeur de religion islamique. Cela a pour conséquence, en cas de non-redésignation, que l' ONEm considère que l'intéressé n'est pas libre sur le marché général de l'emploi
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et refuse les indemnités de chômage bien que des cotisations de sécurité sociale aient été retenues. Enfin, aux conditions du permis de travail sont liées celles du permis de séjour.
- Obligations et conditions diverses
Une seconde circulaire ministérielle pour l'année 1986-1987 relative à l'enseignement maternel et primaire datée du 26 aoDt 1986 (46) a trait à l'organisation des cours de religion et de morale non confessionnelle. On y rappelle que le cours doit être donné dans la langue de l'enseignement (47) et que le professeur doit fournir la preuve de sa connaissance approfondie de cette langue et détenir les titres requis ou jugés suffisants (48).
Le cours de religion doit être organisé effectivement le !er octobre au plus tard. A cette date, le maitre doit être désigné et présent. Cette obligation n'est prévue pour aucune autre branche enseignée.
La même circulaire rappelle que "toute activité et propagande politiques sont interdites dans les établissements d'enseignement" et que l'enseignant "doit inspirer le sentiment du devoir, l'amour de la patrie, le respect des institutions nationales, l'attachement aux libertés constitutionnelles".
Il y est également mentionné que tous les membres de l'inspection et les chefs d'école sont habilités à se rendre en classe pour y contrôler le respect des conditions d'organisation à l'exclusion du contenu et de la méthodologie des cours.
-Application à l'année scolaire 1989-1990
Les dispositions contenues dans les circulaires du 26 aoDt 1986 relatives à l'enseignement maternel et primaire sont reprises dans la circulaire de l'actuel ministre de l'Enseignement de la
(46) Sur l'application des circulaires du 25 et du 26 août 1986, voir M. Leurin, OP• cit., PP• 75-76. (47) Loi du 30 juillet 1963 concernant le régime 1 inguistique dans l'enseignement. (48) En application de la loi du 30 juillet 1963 et du décret du Conseil de la Communauté française du 8 juillet 1983 concernant les diplÔmes et certificats requis pour enseigner.
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Communauté française, J.-P. Grafé (PSC), du 26 mai 1989 (49) en matière - de langue de l'enseignement; - de connaissance de la langue de l'enseignement; - de nationalité (50); - de titres de capacités requis ou jugés suffisants; - d'organisation du cours pour le ler octobre au plus tard; - d'interdiction d'activité et de propagande politiques et du rô-
le des enseignants; - de contrôle de l'organisation des cours philosophiques.
- Propositions récentes en matière de statut
Le premier rapport du Commissariat royal à la politique des immigrés comporte une série de proposi tians relatives au statut des professeurs de nationalité étrangère de religion islamique. Ces propositions de réforme visent à
- l'autorisation d'établissement des professeurs de religion islamique justifiant d'un séjour régulier et ininterrompu de cinq ans dans le pays;
- la délivrance du permis de travail A pour ces enseignants; - la généralisation du système de dérogation de nationalité,
qu'une fois accordée resterait valable tant qu'il y a renouvellement du contrat d'emploi dans le secteur de l'enseignement;
- la définition de nouvelles normes auxquelles doivent répondre les professeurs de religion islamique, notamment en matière de connaissance des langues nationales et de qualité de la formation et des diplômes.
(49) Relative à 1 'organisation des cours philosophiques dans 1 'enseignement primaire de la Communauté et subventionnée par la Communauté. On observera que cette circulaire ne prévoit pas la possibilité de choisir le cours de religion orthodoxe dans les écoles de la Communauté ou dans celles subventionnées par elle, alors que les administrations chargées de la gestion du temporel du culte orthodoxe ont fait l'objet d'une reconnaissance par la loi du 17 avri 1 1985 et que les conseils des fabriques d'églises ont été organisés par l'arrêté royal du 15 mars 1988 et qu 1 un chef du cu 1 te est reconnu par 1 'arti c 1 e 1er de cet arrêté roya 1 • Cette situation est à 1 'origine du dépôt d'une proposition de décret de E. Poullet CPSC> modifiant la loi du Pacte scolaire du 29 mal 1959 qui vise à introduire la religion orthodoxe parmi les cours philosophiques (Conseil de la Communauté française, session 1988-1989, document No 78-1 du 7 juillet 1989). (50) Il est à noter que depuis la communautarlsation de 1 'enseignement au 1er janvier 1989, la dérogation de nationalité est accordée par 1 'exécutif de la Communauté française.
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La Centrale générale des services publics de Bruxelles, affiliée à la FGTB, a également défini des revendications relatives à la situation des professeurs de religion islamique et a entamé des actions (51) •
Le conflit de normes sur la désignation des maitres
Le conflit qui oppose des parents réclamant 1' organisation de cours de religion islamique et les communes de Schaerbeek et de Saint-Gilles s'inscrit dans le contexte de l'absence de chef du cul te islamique reconnu. Les deux communes font valoir que le Centre islamique et culturel n'est pas agréé pour exercer les fonctions que les ministres de 1' Education nationale, puis les ministres des communautés qui ont l'enseignement dans leurs compétences, lui ont attribuées. Mais ces communes doivent, par ailleurs, se soumettre à la volonté des ministres compétents en matière d'enseignement quant à 1' instance religieuse qui désigne les professeurs de religion.
Toutefois, ces ministres outrepassent leurs compétences puisque, dans les faits, ils agissent comme s'ils reconnaissaient un chef de culte alors que, d'une part, la loi du 19 juillet 1974 ne prévoit pas la représentation du culte islamique et que, d'autre part, pour ce qui concerne les autres cultes, c'est au gouvernement qu'il revient de déterminer la manière dont les cultes sont représentés et au ministre de la Justice d'agréer les organes représentatifs de ces cultes. S'ils agissent de la sorte, c'est dans la mesure où ils sont tenus d'organiser les cours prévus par la loi sur le Pacte scolaire et aujourd'hui par la Constitution.
Dans son jugement en référé, le tribunal a considéré que l'obligation d'organiser des cours de religion islamique prime sur la manière dont le chef du culte est reconnu.
(51) Cfr. Bilan, organe de la CGSP de Bruxelles, No 1 janvier-février 1990, P• 5.
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3. Analyse et enjeux du débat sur le hijab
La chronologie et les attendus juridiques qui précèdent ne suffisent-ils pas ? Avons-nous quelque chance d'introduire un peu d'ordre et d'intelligibilité dans cet étrange débat sur le foulard, où les positions adoptées par chacun ont déjoué toutes les prévisions ? Des communistes défendent la libre affirmation de la foi, comme si la religion avait officieusement cessé d'être l'opium du peuple; la droite française, qui en 1984 faisait descendre un million de personnes dans la rue pour défendre l'école privée, se découvre un grand attachement pour l'école publique, républicaine et laïque; des laïques se voient taxés d'intégrisme, des thé oc rates se réclament de la démocratie, des démocrates se demandent s'il est permis d'interdire; Jean-Marie Le Pen se prononce pour l'interdiction du foulard et le retour à l'uniforme, tandis qu'en Belgique le Front national plaide pour le port du voile au nom du respect des différences; les socialistes belges et français se divisent alors que des représentants de trois religions traditionnellement rivales parlent d'une même voix; les libéraux ne s'expriment guère bien que le libéralisme politique soit au coeur du débat; des cours de sémantique et de symbolique s'improvisent de toutes parts pour percer le sens réel d'une sourate, d'un morceau de tissu et de la laïcité, et lorsque les juristes sont contraints de se prononcer sur cette dernière la confusion atteint à son comble : le Conseil d'Etat français et le tribunal de première instance de Bruxelles autorisent tous deux le port du foulard à l'école publique, le premier arguant que l'école laïque est neutre et le second que l'école neutre n'est pas laïque... (52) •
(52) Sur l'avis du Consel 1 d'Etat français, voir la presse quotidienne du 28 novembre 1989. Comme pour la première partie de ce Courrier, Il serait fastidieux de citer Ici chaque déclaration ou chaque article auquel Il sera fait allusion; seu 1 s donc 1 es moments forts du débat feront 1 1 objet de références prée 1 ses. Le lecteur est dès lors en droit de savoir que nous avons essentiellement dépouillé, pour alimenter les deux temps de cette étude, les organes de presse suivants : pour 1 a Be 1 g 1 que : 1 es quot 1 d 1 ens francophones Le So 1 r, La LIbre Be 1 g 1 que, La Dernière Heure, Vers l'Avenir, La Nouvel le Gazette, La Lanterne, La Wallonie, Le Drapeau Rouge, Le Journal-Indépendance/Le Peuple, Le Journal de Mons et les périodiques : Le Vif/L'Express, La Cité, La Semaine d'Anvers, La Gauche et les journaux néerlandophones De Standaard, Het Laatste Nleuws, Het Volk, De Morgan et Knack; pour la France : Le Monde, Le Figaro, Libération, Le Nouvel Observateur.
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Mais l'ironie est trop commode, qui suppose mais ne se risque pas à prouver que l'on prendrait de plus sages disposi tians que les acteurs montés au feu. Et si l'obscurité domine la polémique autour du foulard, il ne sera donc pas sans intérêt de revenir sur un débat à bien des égards exemplaire, aux fins d'y introduire un peu d'ordre et de clarté mais aussi, ici et là, quelque intervention personnelle destinée à rééquilibrer les prises de position. Au lecteur ensuite de trancher dans un sens ou dans un autre.
LA POLEMIQUE SUR LE SENS DU HIJAB
De toute évidence, la complexité des attitudes adoptées face au port du foulard à l'école tient pour une bonne part à l'ambiguïté de l'objet même du débat : on acceptera plus aisément le "hijab" s'il fait figure de simple coutume vestimentaire et non de symbole politique; on ne portera pas le même jugement à son égard selon qu'on y décèle un mode d'extériorisation de la foi ou le symptôme d'une forme particulière de sexisme (ou d'anti-sexisme, de réaction à la norme occidentale de la femme séductrice). Mais la réciproque est également de mise : en vertu du principe le plus élémentaire de la rhétorique, selon lequel toute argumentation fait suite à une prise de position spontanée qu'elle a pour fonction d'étayer rétrospectivement, les démonstrations savantes relatives à la signification réelle du foulard peuvent être suspectées d'être construites de toutes pièces aux fins d'asseoir telle ou telle conclusion. C'est dire que nous ne nous risquerons, ni à nous substituer aux spécialistes, ni à accorder à tel ou tel le monopole de la vérité quant à la signification du hijab : il nous importe seulement de distinguer et de comprendre les différentes logiques de raisonnement (53), en usant par convention des termes de "foulard" ou de "hijab" comme de notions génériques acceptables dans tous les cas où des distinctions ex-
(53) Notons qu'au-dela des quatre significations du hljab qui seront recencées a J'Instant, deux autres Interprétations seront évoquées plus foin: cfr notes (80) et (81) pp.65 et 66.
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presses entre pratiques vestimentaires locales ne s'imposent pas (54).
Le hijab comme simple coutume vestimentaire
En France comme en Belgique, nombre de jeunes semblent pencher en faveur du droit au foulard au nom du simple principe de la liberté individuelle : assimilant le hijab à une banale coutume vestimentaire, ils voient mal pourquoi il serait interdit alors que des tenues aussi peu discrètes sont acceptées dans la plupart des établissements scolaires. Touchera-t-on aujourd'hui au foulard, demain aux vêtements fluas, après-demain au jean ?
Cette réaction spontanée d'individualisme, assortie de manifestations de solidarité avec les lycéennes mises en cause, a trouvé par ailleurs une traduction savante qui fait partie intégrante du débat sur la signification du hijab. La d~monstration en effet a été faite maintes fois, qui prouve que le foulard est "un accessoire traditionnel des femmes dans les pays arabes avant d'être une manifestation de la foi des musulmans", qui y décèle une coutume destinée sans plus à préserver la "pudeur" des femmes (55). De fait, il est indéniable que le port du foulard a précédé la naissance de 1' islam, qu' il ne lui est pas spécifique ( 1' orthodoxie juive le recommande; on 11 a longtemps rencontré dans les campagnes européennes; etc.) et qu'il s'accommode de profondes variations locales difficilement explicables s'il s'agissait d'un véritable symbole religieux. En outre, il est hors de doute que pour nombre de parents le hijab fait partie d'un ensemble vestimentaire voué à préserver les jeunes filles du regard masculin.
(54) Nous suivons en cela, non seulement les conventions qui se sont Imposées au cours de la récente polémique dont nous traitons, mals aussi la définition large du hljab proposée par la revue Autrement dans sa livraison consacrée à l'Islam: "Tenue 1 Islamique' pour les femmes, qui consiste à ce que les cheveux, les bras et les jambes soient dissimulés au regard étranger. Il ne s'agit donc pas du volle, car le visage n'est pas caché, ni du tchador, le hljab pouvant être composé d'un fichu et d'un Imperméable" <Autrement, "Islam. Le grand malentendu", No 95, 1987, P• 17). Rappelons que le terme arabe de "hljab", a dans le Coran, un sens à la fols figuré et matériel de "rideau" ou "voile", c'est-à-dire d'Instance de séparation et d'Interdiction, aux connotations négatives lorsqu'elle désigne ce qui empêche le croyant d'être en rapport plénier avec Dieu (péché, polythéisme, etc.). Cfr H. Amdounl, Le hljab de la femme musulmane, Ed. Al-lmen, Bruxelles, 1989, p. 23, ouF. Mernlssl, Le harem politique. Le Prophète et les femmes, Albin Michel, Paris, 1987, PP• 109-124. (55) Cfr les déclarations d'A· Frossard et de O. Youssef Leclerq, Le Figaro, 23 octobre 1989, p. 12.
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Faut-il en conclure, comme le font certains, que le débat sur le port du foulard à l'école est sans objet, puisqu'il oppose laïques et musulmans sur un morceau de tissu dépourvu de toute portée religieuse ? La cause serait entendue si cette leçon de sémantique vestimentaire était seule crédible, mais aussi et surtout si ses auteurs n'avaient jamais varié dans leur interprétation. Or cette banalisation du foulard est notamment due à des autorités religieuses et des parents qui revendiquent par ailleurs le port du hijab au nom de la liberté religieuse (56) : face à l'opposition des laïques, la réduction du foulard à une coutume fait alors figure de procédé rhétorique, au demeurant classique (57).
Le hijab comme manifestation d'intégrisme
On le sait, le concept même d'intégrisme, appliqué à l'islam, est contesté pour deux motifs majeurs : parler d'intégrisme musulman reviendrait à emboîter le pas à un discours médiatique et idéologique destiné à "sataniser" le monde musulman aux yeux de l'Occident, à réactiver sous d'autres formes une relation séculaire de crainte et de mépris; mais au-delà d'une faute, ce serait également une erreur que de recourir à un terme emprunté à l'histoire du christianisme et inapproprié à l'islam, où l'on ne peut déceler que des courants fondamentalistes ou islamistes, et non intégristes. Cette double argumentation, politique et savante, nous paraissant parfaitement défendable, pourquoi user malgré tout du terme d' "intégrisme" ? D'abord parce que son succès médiatique l'a rendu irremplaçable, lui seul permettant de désigner précisément ce que le public occidental entend, à tort ou à raison, par intégrisme. Ensuite parce que la notion d'islamisme n'est pas exempte non plus de connotations dommageables : le risque est réel, à la substituer systématiquement à l'intégrisme, que l'islamisme apparaisse comme la vocation ou la pente naturelle de l'islam tout entier. Enfin parce que, aussi divisé qu'il puisse être en tendances rivales, l'intégrisme (musulman ou non) possède sa logique propre qui le distingue du fondamentalisme : le fondamentalisme se défie du siècle et de la politique, il se propose de retourner en arrière, aux sources de la foi et de la pratique,
(56) Le Nouvel Observateur, No 1301, 12 octobre 1989, P• 79; Le Soir, 10-11-12 novembre 1989, p. 6. (57) Qu'on se rappe 1 e Vo 1 ta 1re, ou Sartre décr 1 vant 1 a messe dans La nausée : "Dans les églises, à la clarté des clerges, un homme boit du vin devant des femmes à genoux". Dissociation de 1 'acte et de 11 Intention, du signe et du sens, au service Ici de 1 'Ironie, la de la banalisation.
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dans une perspective de resserrement/revitalisation du champ du religieux; 1' intégrisme est un projet de société aux accents théocratiques, où le religieux sort de son cadre pour remodeler en profondeur l'espace social et politique du futur (58). En ce sens, et appliqués à des minorités musulmanes qui se sentent en porte-à- faux face au modèle occidental, le fondamentalisme est une stratégie de sortie (exit) et 1' intégrisme une stratégie de voix (voice) (59).
Ceci posé, il en va de l'équation foulard = intégrisme comme de 1' assimilation du hij ab à une innocente coutume : un décodage spontané se double d'une lecture savante. Décodage spontané chez 1' homme de la rue occidental qui, après dix ans de révolution iranienne et de médiatisation des "problèmes de 1' islam", risque de percevoir de bonne foi un fanatique ou une intégriste derrière le moindre couvre-chef (60). Qu'il y ait là une généralisation et un fantasme, tous les spécialistes de l'islam et de l'immigration ne cessent de le rappeler, et nous l'avons déjà fait à notre manière : le foulard est un objet surdéterminé; le porter ou tenter de l'imposer peut avoir, d'une personne à l'autre, des significations très différentes dont la plupart n'ont rien à voir avec l'intégrisme; l'intégrisme tel que défini ci-dessus est ultra-minoritaire dans 1' immigration pour la raison très simple qu'il s'agit d'une entreprise de réforme politico-religieuse et que toutes les populations en situation d'exil se défient de la politique. La question de fond subsiste toutefois : le foulard estil, entre autres choses, le signe de ralliement de groupes intégristes ?
Certains répondent par 1' affirmative en notant que, le port du hijab étant tombé en désuétude ou même largement interdit dans des pays authentiquement musulmans (Maroc, Turquie, Tunisie, ••• ), la preuve est ainsi faite que porter le hijab ne peut avoir qu'une signification politique, et non religieuse ou coutumière. Mais c'est là faire bon marché du projet de modernisation que les
(58) Que 1 'on pense à ce qui sépare le fondamentalisme des communautés chrétiennes amér 1 ca 1 nes qu 1 se retirent de 1 a soc 1 été pour 1 m lter 1 a v 1 e des prem 1 ers chrétiens, et Je projet de réforme religieuse et politique qui anime les fidèles de Monseigneur Lefèvre. (59) Sur cette célèbre distinction d'A. Hirschman et son application à l'Immigration, voir P. Blaise et v. de Coorebyter, Immigration et culture (2). Analyse sociologique, Courrier Hebdomadaire du CRISP, No 1187-1188, 1988, PP• 24-29, où nous défendions déjà Je concept d'Intégrisme mals sans le distinguer du fondamentalisme, ce qui nous avait conduit à en faire erronément une stratégie de sortie et non de volx. (60) Sur les effets pervers de cette distorsion du regard, voir P. Blaise et v. de Coorebyter, op. cft., PP• 16-19.
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autorités de ces pays tentent de mener à bien, au prix d'une intervention résolue dans la vie quotidienne et religieuse : les contours actuels de l'islam turc ou marocain, loin d'être révélateurs d'une tradition authentique, font figure de compromis instable entre volonté populaire et volonté politique, modernisation et tradi tian.
Si le foulard au sens étroit du terme (où il se différencie du tchador ou du haïk) sert en définitive d'emblème à l'intégrisme, c'est dans la mesure où des mouvements religieux s'efforcent de l'imposer au détriment de traditions vestimentaires plus anciennes qui respectent pourtant les préceptes coraniques. Les mouvements qui tentent par exemple de substituer le hij ab (tenue non traditionnelle) au haïk traditionnel (en Algérie, Tunisie, etc.) semblent donc vouloir "imposer un modèle vestimentaire à tous les musulmans du monde", user du foulard comme d'un "uni forme" semblable d'un pays à l'autre : bouleversant les traditions locales et outrepassant les règles religieuses, ils tenteraient ainsi de généraliser une tenue "d'ordre politique". C'est en ce sens que la Tunisie interdit le port du foulard aux fonctionnaires et aux enseignants, n'hésitant pas à le comparer aux chemises brunes hitlériennes (61); c'est pour la même raison que certains estiment nécessaire de refuser catégoriquement le port du foulard en Belgique : nous y reviendrons plus longuement dans un autre contexte.
Le hijab comme obligation religieuse
La distinction faite plus haut entre intégrisme et fondamentalisme permet de comprendre ce qui sépare un hij ab arboré comme un drapeau d'un foulard assumé comme une obligation religieuse parmi d'autres, une prescription à laquelle toute musulmane doit se soumettre dans un simple souci d'orthodoxie. On se rappellera que c'est précisément au nom de l'orthodoxie que le Centre islamique et culturel est intervenu à deux reprises dans le débat, arguant que "le foulard est le seul habit possible pour des croyantes" puisque "les textes coraniques et les paroles prophétiques prescrivent à la femme musulmane de s'habiller décemment, à savoir couvrir son corps du haut de la tête jusqu'aux chevilles". Aucune bonne musulmane ne peut donc se soustraire à cette obligation, sous peine de faillir aux règles divines : élèves et parents se
(61) Déclarations du ministre tunisien de la Culture et de l'Information au Nouvel Observateur, No 1304, 2 novembre 1989, PP• 64-65; cfr également Le Monde, 3 novembre 1989, p. 13.
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sont ainsi réclamés de la liberté religieuse pour obtenir le port du hijab à l'école.
Ce plaidoyer qui repose tout entier sur le concept d'obligation divine, de règle impérative, a cependant été mis à mal par ses auteurs mêmes, puisque les parents d'élèves de l'Institut technique Edmond Machtens ont souligné, dans les attendus de leur plainte en référé, que le foulard "n'est pas un symbole religieux mais un élément intégrant de l'habit de la femme musulmane décente" : nous avons déjà rencontré cette hésitation entre coutume et décence d'une part, symbolique et prescription religieuses d'autre part. On peut être tenté de n'y voir que le souci de répondre aux inquiétudes, que la volonté de dissocier le hijab de toute signification intégriste ou sexiste; mais cette préoccupation bien réelle se double d'un débat de fond autrement décisif : le port du foulard est-il une simple "recommandation" historiquement datée et toujours révisable (c'est la thèse de la Coordination des Associations maghrébines) ou une "obligation" divine valable en toutes circonstances (position défendue par la mosquée du Cinquantenaire, mais aussi par la Ligue islamique belge) (62) ? Sur quels textes, sur quel mode de raisonnement repose l'interprétation maximaliste du Centre islamique et culturel ?
L'imam-directeur Sameer J.A. Radhi s'est longuement expliqué sur ce point dans les instructions transmises par la grande mosquée aux fidèles. De manière tout à fait classique, il se fonde essentiellement sur un texte coranique et sur un hadifh rapporté par Aicha, l'épouse du Prophète (63). Dans les deux cas, les nuances de traduction n'enlèvent rien à la clarté du propos "0 Prophète ! dis à tes épouses, à tes filles et aux épouses des croyants de ramener sur elles leur voile. Ce sera pour elles le moyen le plus simple de se faire reconnattre et de ne pas être offensées" (Coran, sourate 33 "Les Coalisés", verset 59).
(62) Sur ces Interprétations contradictoires, cfr Vers l'Avenir, 10 novembre 1989. (63) Les hadiths sont des paroles ou attitudes du Prophète qui ont été consignées sur fol de témoignages directs ou Indirects dont la validité doit être vérifiée selon des règles scrupuleuses. Les recueils de hadiths constituent la Sunna, la tradition prophétique; Ils font office de textes fondateurs, au même titre ou presque que le Coran <qui consigne, non les paroles du Prophète à son entourage, mals la parole même de Dieu révélée en arabe au Prophète et transcrite pour 1 'essentiel après sa mort). Les recueils de hadiths les plus Importants ont été rédigés plus de deux siècles après la disparition du Prophète: c'est dire que la collecte, la rédaction et l'authenticité des hadiths ont fait l'objet de bien des débats, chaque grande communauté musulmane ne tenant pas les mêmes r~cuells pour authentiques ou pour apocryphes. Cfr M. Arkoun, L'Islam, Jacques Grancher, Paris, 1989, PP• 75-77.
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Quant au hadith, il rapporte que le Prophète a déclaré à une jeune fille entrant chez lui dans un habit très fin, transparent : "0 Asma-e 1 lorsqu'une femme atteint 1' âge de la puberté, il ne lui sera permis de voir d'elle que ceci (désignant le visage et les mains)".
C'est sur ces mêmes citations que repose le livret consacré par le docteur Hassan Amdouni à "décrire la Loi de Dieu et les règles qui en découlent" en matière de pudeur féminine (64), exigence de pudeur due à la sagesse de Dieu : Dieu a voulu "que la femme habille la majeure partie de son corps" parce que "le corps féminin est nettement plus riche en caractères sexuels secondaires" que le corps masculin, et donc susceptible d'éveiller des instincts allant à 1' encontre de 1' idéal de pudeur et d'harmonie sociale qui conditionne la qualité du rapport au divin; c'est donc pour éviter une double dégradation morale (femme-objet, désir masculin) que le Coran et la Sunna appellent les femmes à se couvrir (65), selon des modalités très précises dont le détail ne nous importe pas ici.
Mais tout ceci suffit-il à rendre le port du hijab littéralement obligatoire, alors même qu'il ne fait pas partie des cinq piliers de l'islam (obligations rituelles qui s'imposent à tout croyant : profession de foi, prière, aumône légale, Ramadan, pélerinage à La Mecque) ? La question peut d'autant moins être contournée que le Coran et les Ulémas (docteurs en sciences religieuses) accordent une réelle importance au concept de "nécessité" : il s'agit là d'une règle juridique qui permet d'outrepasser un interdit ou de se soustraire à une obligation (y compris 1' un des cinq piliers) en cas de nécessité- et la question s'est posée de savoir si, dans un pays d'immigration où le hijab serait interdit par la loi civile, le croyant reste tenu de souscrire à la loi divine. On sait que l'imam Radhi a adopté sur ce point de casuistique une attitude très nette, dont on trouvera les attendus chez le docteur Amdouni (66) : la règle de la nécessité ne joue qu'en cas de nécessité tout à fait impérieuse (danger de mort, impossibilité matérielle), c'est-à-dire lorsque la dérogation à la loi divine se fonde sur une raison supérieure à cette loi même; cette condition n'étant en l'occurrence pas remplie, car la loi divine est supérieure à une loi humaine dont l'irrespect n'entraîne en outre
(64) H. Amdouni, op. cit, p. 9. (65) Ibidem, PP• 12-14· C66> Ibidem, PP• 38-39·
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aucun danger vital, la croyante doit en tous les cas porter le foulard sous peine d'être qualifiée de "désobéissante" (67).
Cette conclusion a fait grand bruit, puisqu'en plaçant la loi islamique au-dessus des lois du pays d'accueil l'imam Radhi semble vouloir encourager ses fidèles à la désobéissance à 1' égard des lois belges. Retenons que, abstraction faite des questions de légitimité politique, la démonstration qui précède repose sur une chaine de présupposés qui en attestent la spécificité et rendent le dialogue pratiquement impossible avec les musulmans qui récusent ces postulats. Ce dialogue tronqué étant au coeur des débats relatifs à la portée "sexiste" du hijab, il n'est pas sans intérêt de détailler les présupposés mis en oeuvre par l'imam-directeur ou le docteur Amdouni, en terminant par la clé de voûte de l'édifice :
-"l'islam est un tout" (68), il n'y a pas de véritable hiérarchie entre les normes musulmanes, entre l'un des cinq piliers et des règles de convenance et de bienséance (69), entre le rapport spirituel au divin et l'organisation concràte de la vie en société : le port du hijab est, religieusement parlant, aussi essentiel que la prière ou le Ramadan;
- les textes sacrés qui sont mis en exergue sont parfaitement authentiques (en ce compris les hadiths), univoques et décisifs, sans qu'il soit nécessaire d'établir leur validité sur nouveaux frais ou de les confronter à d'autres textes fondateurs dont l'enseignement serait différent. L'argument d'autorité est ainsi sollicité tout au long du raisonnement;
- les versets et hadiths cités sont à prendre au pied de la lettre et dans leur intégralité, au sens propre et matériel et non en un quelconque sens figuré ou spirituel : outre de multiples techniques d'exégèse, c'est tout le versant mystique et spiritualiste de l'islam (dont le soufisme) qui se voit ainsi écarté au profit d'un islam organisateur des moindres détails de la vie sociale (70);
- la validité des textes sacrés est universelle et éternelle, indépendante des circonstances (hormis la règle de la nécessité absolue), car c'est la parole même de Dieu qui s'est exprimée à travers eux : les vicissitudes historiques qui ont entouré la révélation prophétique ou la profération des hadiths n'enlèvent rien à la transhistoricité de ces textes sacrés, dont le con-
(67) Cfr les Instructions du Centre Islamique et culturel, Intégralement citées par La Dernière Heure, 6 février 1990. (68) Cfr l'Interview de l'Imam-directeur à Tribune Immigrée, No 32, mars 1990. (69) H. Amdounl, op. ctt., PP• 9 et 12. (70) Ibidem, PP• 7-9.
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tenu ne peut en aucun cas être expliqué par et donc réduit à ses conditions d'émergence. La parole de Dieu ne se laisse ni relativiser ni réviser au nom de l'histoire : la religion est faite par Dieu et non par les hommes (71).
Le hijab comme manifestation de sexisme
S'il est un seul argument commun à tous ceux qui plaident pour l'interdiction du hijab à l'école, il faut assurément le chercher dans l'interprétation du foulard comme manifestation de sexisme, d' oppression de la femme musulmane. Il s' agit là d' une antienne en Occident, où l'on souligne volontiers "l'infériorité intolérable de la femme dans les sociétés musulmanes : polygamie, répudiation, voile, ségrégation des sexes, enfermement dans les tâches domestiques, dépendance stricte à l'égard du mari, incapacités juridiques, etc." (72). Soit autant de formes de discrimination dont le foulard devient désormais le symbole par excellence, étant entendu que le rapport de symbolisation jouerait ici sur le mode de la synecdoque, de la manifestation du tout à travers la partie : "Derrière le symbole du foulard, c'est tout le statut d'infériorité de la femme qui se profile" (73) et se légitime; le hijab, toujours imposé et jamais vraiment désiré, manifeste le consentement obligé des femmes au sort qui leur est réservé, mais s'adresse également aux autres croyantes pour leur faire reproche de ne pas se soumettre aux mêmes règles. Selon cette exégèse donc, c'est pure hypocrisie que de faire du hijab un symbole religieux, l'attestation de la volonté des femmes d'être de bonnes musulmanes : les vrais symboles religieux s'imposent indifféremment aux femmes et aux hommes. Invoquer le Coran pour défendre le port du hijab revient à user de la religion pour légitimer une tradition sexiste qui lui préexistait et en a été renforcée, sacralisée.
Ce n'est sans doute pas un hasard si un quasi-consensus a fini par émerger sur cette interprétation du sens du hijab : nul ne semble pouvoir contester, ni l'évidente infériorisation de la femme dans la religion islamique, ni notre droit (voire notre devoir) de soutenir les femmes musulmanes qui luttent pour leur émancipation. L'opposition est ici aussi tranchée que possible entre un particularisme traditionnel et religieux (le sexisme avalisé par le Coran) et la prétention universaliste des droits
C71 l Ibidem, p. 7. C72l M. Arkoun, op. ctt., P• 100. C73l Le Monde, 1 novembre 1989, p. 2.
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de l'homme : nous sommes face à un véritable cas d'école. Mais, outre que la netteté de cette antinomie fait sans doute bon marché de l'évolution du statut de la femme dans certains pays musulmans, elle risque également de rendre tout dialogue impossible a priori, comme si nous étions condamnés à raviver l'antagonisme séculaire entre chrétienté et Islam sans autre espoir que de voir, sur 1' affaire du hij ab au moins, 1' un des deux acteurs plier le genou devant l'autre. C'est pourquoi il nous parait nécessaire d'évoquer une thèse originale qui, tout en confirmant 1' idée selon laquelle 1' islam a entériné une tradition sexiste préexistante liée à des structures tribales, donne de la tradition prophétique une image inédite : nous pensons au livre déjà cité (74) de Fatima Mernissi sur le Prophète et les femmes.
L'intérêt de la démonstration de F. Mernissi tient à ce qu'elle bataille sur deux fronts : elle rompt avec l'image traditionnelle d'un islam forcément et uniment sexiste, tout en soumettant 1' islam "orthodoxe" au crible d'une analyse serrée qui constitue la parfaite an ti thèse du système de raisonnement mis en oeuvre par ceux qui tiennent le hijab pour une obligation religieuse. En d'autres termes, Fatima Mernissi prend, au nom même de l'islam, le contrepied des postulats repris ci-dessus aux "orthodoxes" que sont par exemple l'imam Radhi ou le docteur Amdouni :
- loin de prendre 1' islam comme un tout dont aucun élément ne saurait être soumis à 1' analyse, Fatima t~ernissi avoue avoir été choquée par le sexisme dont font preuve tant de hadiths et de versets coraniques, sexisme qui lui paraissait contraire à l'esprit et à l'histoire de l'islam des origines (rôle majeur d'Aicha et d'autres femmes dans le destin géopolitique de l'islam, sourates qui magnifient la femme à l'égal de l'homme, etc.). Reprenant à son compte le rationalisme musulman et les recommandations de prudence dans l'acceptation des hadiths, F. Mernissi s'est alors résolue à soumettre le sexisme islamique à la plus orthodoxe des démarches le retour aux ong1nes, 1' étude circonstanciée des rapports du Prophète avec les femmes, de ses faits, gestes et paroles à leur égard;
- examinant en détail les hadiths relatifs aux femmes, Fatima Mernissi est conduite à remettre en cause 1 1 authenticité de bien des hadiths misogynes. Mais elle démontre surtout, Coran et hadiths à l'appui, que le Prophète a tenté de promouvoir un nouveau statut de la femme qui aurait aboli toutes les discriminations antérieures à la révélation coranique : le Prophète, qui associait ses épouses à ses décisions politiques et vivait à Médine dans une mosquée où espace public et espace privé,
(74) Voir note (54) p.48.
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monde féminin et monde masculin, étaient confondus dans la plus grande liberté, a entrepris de mettre hommes et femmes sur un pied d'égalité en matière d'héritage, d'autorité conjugale, de relations sexuelles, etc. Conformément à l'esprit de l' islam qui substitue aux allégeances et hiérarchies traditionnelles le seul clivage croyant/incroyant, le Prophète a voulu instituer une communauté où hommes et femmes auraient les mêmes droits;
- mettant ainsi à jour les tendances lourdes, les logiques sousjacentes à la vie et à l'action du Prophète, Fatima Mernissi joue l'esprit contre la lettre, le nouveau contre l'ancien, le projet prophétique contre les restrictions qui lui ont été imposées par les circonstances : loin d'isoler un hadith dans une intemporalité factice, cette méthode d'exégèse le replace dans l'entreprise de réforme du passé poursuivie par le Prophète au nom d'un idéal asymptotique;
- les versets et hadiths misogynes qui font partie intégrante de la doctrine musulmane font ainsi figure de concessions arrachées au Prophète au plus fort de la crise militaire et politique qui surgit à Médine : bloqué dans une ville réduite à la défensive, soumis aux pressions de guerriers proches de l'insoumission car privés de butin, attaqué pour sa politique "féministe", le Prophète a dù lâcher du lest en faveur des revendications masculines et défaire d'une main ce qu'il avait noué de l'autre. C'est donc l'histoire ici qui rend compte des contradictions du Coran et de la Sunna en matière de relations entre les sexes, et singulièrement dans le cas de la sourate 33 instituant le hijab : selon Fatima Mernissi et bien d'autres, c'est sous la pression politique d'une fraction médinoise qui encourageait le harcèlement sexuel des musulmanes dans les rues afin de mettre sa politique égalitariste et son autorité en cause que le Prophète a dù se résoudre à recommander le port du hijab. Le sexisme musulman et les textes sacrés qui le légitiment deviennent ainsi l'effet, non de la volonté de Dieu, mais de la résistance des hommes à cette volonté : la fidélité au projet du Prophète devrait donc engager les musulmans à faire disparaître le hijab et tout ce qu'il symbolise. Soit une conclusion exactement contraire à celle des "orthodoxes", et dont on comprend sans peine qu'elle repose sur une anthropologie, une vision de l'histoire et une épistémologie totalement étrangères aux présupposés théocratiques.
On voit ainsi que les débats sur la signification du hijab mettent notamment en jeu deux conceptions de l'islam, l'une qui en fait le seul fondement possible de la vie sociale (théocratie) , l'autre qui y voit une tradition spirituelle dont les aspects coutumiers sont tributaires de l'histoire et de la géographie. Selon cette dernière conception, il est possible d'être un bon
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musulman sans pour autant se soumettre à l'ensemble des obligations prescrites par les "orthodoxes" : c'est bien sur ce mode que l'islam est généralement vécu par l'immigration, soucieuse de concilier religion et intégration; et c'est précisément cette recherche d'intégration qui inquiète l'imam-directeur en ce qu'elle menace de conduire au repli de la religion sur la sphère privée. Les déclarations théocratiques du Centre islamique et cul ture! ont dès lors relancé le débat sur l' intégration en mettant en avant, sur l'exemple symbolique du foulard, le problème des conflits de normes.
LE HIJAB ET L'INTEGRATION DES IMMIGRES
Foulard, intégrisme et fondamentalisme
Depuis quelques années, un spectre à nouveau hante l'Europe : c'est le spectre de l'intégrisme. Ceux-là mêmes qui ne croient guèr~ au danger que présenteraient de fantomatiques menées intégristes en Europe occidentale ne peuvent ignorer que le débat sur le foulard est aussi, pour partie, un débat sur l'intégrisme musulman, son ampleur et ses causes, son avenir et ses effets sur "l'intégration des immigr8s" (75). Nul doute à cet égard que le battage médiatique mené autour du hijab - on s'est inquiété du foulard comme s'il s'agissait d'une bombe, de quelques dizaines d'adolescentes comme d'une cinquième colonne en puissance - ne procède pour une part des inquiétudes, feintes ou sincères, relatives à l'intégrisme; nul doute aussi que le public ne se satisfait plus guère du double discours tenu par bien des médias qui, tout en traitant longuement de ce "problème", s'efforcent de rassurer la population en expliquant que le problème n'existe pas (que les intégristes n'ont aucune audience dans 1' immigration, que les sunnites ne suivront jamais les mots d'ordre des shiites, etc.). On ne peut donc, ne serait-ce que pour rendre compte des présupposés des uns et des autres, éviter la question de savoir si 1' affaire du foulard est révélatrice d'une "poussée intégriste" en Europe.
Autant le reconnai tre, personne sans doute n'est capable de répondre vraiment à cette question, tout étant affaire d'indices où
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(75) Pour les amblguTtes du terme d'Integration, plus proche selon nous du slogan que du concept, cfr. v. de Coorebyter, Immigration et culture (1 ). Décor et concepts, Courrier hebdomadaire du CRISP, No 1186, 1988, PP• 33-38.
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l'on verra tantôt la partie émergée d'un iceberg menaçant, tantôt les seules et rares manifestations d'un phénomène étroitement circonscrit :le visible révèle l'invisible pour les uns, l'invisible n'existe pas tant qu'il n'est pas avéré pour les autres. Nous nous contenterons donc, pour notre part, de trois remarques aussi prudentes que possible.
1. Tous les témoignages désormais attestent 1' implantation en Belgique comme dans d'autres pays européens de personnes, de groupes et d'institutions porteuses d'un projet politico-religieux de type intégriste qu'elles s'efforcent d'imposer et/ou de faire partager par 1' immigration. La cartographie précise de cette "nébuleuse intégriste" devrait être refaite pour la Belgique, et ne nous importe pas ici; notons seulement que les origines et les sources de financement de ces groupes sont loin de reconduire systématiquement à 1' islam shiite ou à l'Iran, la Ligue islamique mondiale où l'influence de l'Arabie Saoudite est prépondérante lui disputant le leadership international. Il est clair par ailleurs que les imams et professeurs de religion islamique recrutés par le Centre islamique et culturel (où là encore 1' Arabie Saoudite joue un rôle majeur) sont contraints, en raison de la précarité de leur statut et de leur si tua ti on matérielle, de souscrire aux consignes du Centre; or l'Arabie Saoudite impose à ses citoyens un islam wahabite extrêmement rigoureux, et le nouvel imam-directeur ne cache pas ses intentions d'introduire une plus grande rigueur dans la vie quotidienne des musulmans de Belgique : il y a ici une tendance au fondamentalisme plutôt qu'à 1' intégrisme.
2. Dans ce contexte, l'affaire du foulard fait naturellement figure de révélateur. Les enseignants confrontés à la résistance des jeunes filles se demandent pourquoi elles refusent subitement d'ôter le hijab en classe alors qu'elles acceptaient de le faire l'année précédente; plusieurs témoignages attestent la présence, aux côtés de parents d'élèves mises en cause, d'imams ou de membres de groupes religieux refusant, au titre de porte-parole, toute forme de concession; des paroles menaçantes ont été relevées à diverses reprises, qui évoquaient l'islamisation de l'Europe, le port du foulard par toutes les femmes (même non musulmanes) ou la nécessité de s'attaquer désormais aux cours de natation, de biologie (leçons sur la reproduction sexuelle), de musique (qui éloignerait de Dieu) et de dessin (représentation du corps); le raidissement observé, à Molenbeek comme à Creil, après un premier compromis obtenu entre parents et écoles semble dQ à la pression exercée par certaines mosquées ou associations hostiles à quelque canees-
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sion que ce soit : un tract, une pétition d'origine française, ont circulé en ce sens à Bruxelles au plus fort de la polémique. Les prises de position intransigeantes de la mosquée du Cinquantenaire donnent enfin à penser qu'une lutte d'influence s'est engagée entre différentes tendances qui, d'accord sur certains objectifs, pratiquent la surenchère.
3. Tout ceci pour autant n'autorise pas à parler d'une stratégie de tension concertée à l'échelle européenne par quelque islamisme international uni fié : la thématique du complot a eu trop de succès et fait trop de ravages dans l'histoire occidentale pour qu'on puisse la relancer à la légère. Or si des contacts sont noués entre musulmans à 1' échelle européenne, cela ne signifie pas qu'ils partagent le même projet religieux et/ou politique. Sans même parler de tous ceux qui se préoccupent de l'islam en dehors de toute ambition de prosélytisme ou de radicalisation, il faut rappeler que la concurrence entre mouvements radicaux est trop vive pour qu'une stratégie commune soit aisément mise en place, en raison notamment de ce qui sépare fondamentalisme et intégrisme; par ailleurs 1' outrance de certains propos ne peut faire oublier la maigre représentativité de leurs auteurs, contraints de donner de la voix pour se faire entendre; l'extinction progressive du phénomène de "tache d'huile" observé pendant un moment autour du hijab montre enfin les limites d'audience du radicalisme, qui peut lui aussi être contraint à battre retraite : les deux jeunes filles de Creil qui ont accepté d'ôter leur foulard après intervention de l'ambassade du Maroc ont rappelé à leur manière que les musulmans se reconnaissent d'autres autorités et d'autres logiques de comportement que religieuses. La vraie question porte donc sur 1' audience effective et potentielle des discours de rigorisme religieux auprès d'une immigration qui, en Belgique comme en France, ne fréquente guère les lieux de culte (les chiffres proposés oscillent autour de 10% des deux côtés de la frontière), cantonne la religion dans la sphère de la vie privée et pratique un islam traditionnel et souple qui doit plus à la coutume qu'aux préoccupations métaphysiques (76) : c'est précisément dans la mesure où la majorité des musulmans - les jeunes en particulier - se laïcisent qu'une réaction inverse s'observe, qui s'appuye sur le thème commode de la vertu des jeunes filles.
(76) Pour l'Islam tel qu'il est vécu au quotidien par la plus grande part des Immigrés, cfr. P. Blaise et v. de Coorebyter, op. clt., PP• 18-20.
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Refuser le hijab au nom de l'intégration des immigrés
Le port du foulard à l'école peut-il freiner, ou au contraire favoriser l'intégration des immigrés de culture musulmane ? Les avis divergeant considérablement à ce sujet, nous rendrons compte ici de l'argumentation des uns et autres, sans y introduire de considérations personnelles.
Parmi les motifs allégués par certains pour refuser le hijab dans l'enceinte scolaire, figure une démonstration relative au rapport foulard/intégrisme, démonstration qui se laise résumer comme suit
le foulard n'est pas un signe de piété semblable à la croix ou à la kippa et donc susceptible de se réclamer de la liberté religieuse : en atteste le fait que ceux qui se revendiquent de cette liberté cherchent par ailleurs à imposer le hijab à toutes leurs coreligionnaires, voire à toutes les femmes;
-l'exigence inédite et subite de porter le foulard à l'école, la décision de mener l'affaire en justice comme pour obtenir la plus large médiatisation possible, le refus des jeunes filles de se soumettre au jugement qu'elles avaient pourtant sollicité (77), les comportements de défi et de rébellion observés à 1' école, tout cela indique une stratégie de provocation délibérée: tout se passe comme s'il y avait eu tentative de mise à 1' épreuve, de test destiné à savoir ce qu'il était possible d'obtenir;
- d'autres revendications en effet ont aussi tôt suivi, de sorte qu'il est indispensable de refuser le hijab pour ne pas mettre le doigt dans une cascade de concessions apparemment mineures (cours de musique ou de natation, quelques leçons de biologie, ••• ) qui à terme dessineront les contours d'un développement séparé, d'un apartheid scolaire contraire à 1' idée d'intégration : concéder pour ne pas faire de martyrs ou pour amadouer l'interlocuteur, c'est l'encourager à aller toujours plus loin;
- or les intégristes s'attachent exclusivement à interdire et à imposer, à modeler par la force le comportement des femmes musulmanes : il ne faut donc pas se laisser troubler par leurs appels aux valeurs démocratiques de tolérance, de liberté individuelle ou de droit à la différence, principes dont ils usent ici pour mieux imposer leur modèle minoritaire à l'immigration tout en bafouant ces valeurs démocratiques dans les pays où ils sont en position de force. Le foulard, comme l'accusation de blasphème dans l'affaire Rushdie, est d'abord une condamnation
(77) Cfr. sur ce point Le Soir du 9 février 1989.
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portée par certains musulmans contre d'autres musulmans, un reproche permanent lancé aux jeunes filles qui ne portent pas le hijab : à sa manière, il vise à signifier que l'apostasie est interdite en islam, qu'un musulman ne peut se soustraire à sa communauté et à ses règles "orthodoxes";
-il faut donc avoir le courage d'interdire le port du foulard à l'école afin de briser la volonté de mainmise des intégristes sur l'immigration, leur stratégie consistant à user du chantage au salut et à la foi pour empêcher l'intégration de se poursuivre. Accepter le foulard à l'école, c'est autoriser et même légitimer leur message et leur influence, c'est encourager musulmans et xénophobes à identifier islam et radicalisme; le refuser, c 1 est rappeler que l 1 immigration est plurielle et que l'intégrisme ne le représente pas, c'est donner aux immigrés l'occasion de démontrer que l 1 islam peut s'adapter ponctuellement à la société belge sans se renier.
Cet argumentaire se retrouve, mutatis mutandis, chez ceux qui mettent l' accent sur la symbolique sexiste du hij ab et en réclament par conséquent l'interdiction dans le but de ne pas avaliser un signe d'oppression sexuelle (78). Les femmes en Occident ont dù trop lutter en vue d'obtenir l 1 égalité des droits pour que nous puissions accepter de revenir en arrière ou nous désolidariser des musulmanes qui, ici ou en terre d'Islam, se battent contre les discriminations. Il faut donc ici encore éviter l'engrenage des revendications successives et ne pas oublier qu' "en acceptant, au nom de la tolérance, l' exhibi tian de signes qui se veulent religieux, on donne un argument irremplaçable à ceux qui, dans les pays musulmans, font obstacle à l'égalité entre les sexes"; il faut de même prendre garde que "céder aux intégristes sur la question de l'école, c'est rendre plus difficile les résistances des filles musulmanes au chantage affectif de leurs parents et au prosélytisme de groupe" ( 79) : s' il ne leur est pl us possible de se réclamer de la loi pour refuser le hijab à l'école, elles ne pourront plus résister aux pressions. Etre contraintes d'abandonner le foulard au seuil de l'école, c'est pour les jeunes musulmanes oublier quelques heures leur singularité, échapper à la nécessité de choisir entre norme familiale et norme sociale, avoir l'occasion de constater que l'on peut rester tête nue sans que rien d'étrange ou de menaçant n'advienne, bref se découvrir semblables à toutes les jeunes filles et partie pre-
(78) Des féministes cependant estiment qu'! 1 ne faut pas pour autant ériger le modè 1 e be 1 ge en 1 déa 1 , au mépr 1 s des formes p 1 us subt 1 1 es d' oppress 1 on qu 1 subsistent tel aussi : sur cet aspect du débat, cfr Chronique féministe, No 34, janvier-février 1990, PP• 3-12. (79) M. Harbl, ln Le Nouvel Observateur, No 1303, 26 octobre 1989, p. 74.
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nante d'un processus collectif d'émancipation et d'intégration : des lois ont été nécessaires pour établir l'égalité des hommes et des femmes, des lois sont nécessaires encore pour la garantir.
Une troisième et dernière ligne de raisonnement proposée par les adversaires du port du hijab se fonde sur les adaptations et la réciprocité des droits et des devoirs qu'implique toute intégration bien comprise. Certains arguent ainsi que tout immigré doit, par définition, se soumettre aux normes et aux lois de son pays d'accueil, qui demeure souverain quant à l'élaboration et à l'imposition de ses lois. D'autres rappellent les principes élémentaires de la bienséance : à chacun de respecter les traditions, les valeurs et les lois du pays qui 1' accueille, comme le font spontanément les touristes du monde entier. Devant ces arguments qui assimilent l'immigré à un étranger, les enseignants entre autres préfèrent mettre l'accent sur la réciprocité des adaptations à consentir en vue de l'intégration des immigrés: autant l'école s'efforce ou devrait avoir les moyens de tenir compte des spécificités de ses populations d'origine étrangère, autant parents et élèves doivent à leur tour respecter les règles et principes d'organisation scolaire qui garantissent l'émancipation et la coexistence harmonieuse de tous; l'intégration est un processus à double sens et le souci des minorités ne peut se confondre avec la multiplication des règles d'exception. Plus encore, c'est dans la mesure même o~ la démocratie instaure un Etat de droit où tous les citoyens sont égaux devant la loi que la minorité musulmane tire bénéfice de ràgles générales (gratuité de 1' enseignement, neutra li té de 1' école officielle, uniformité des programmes assurant un accès égal au savoir, etc.) qui s'accompagnent de contraintes tout aussi générales (obligation scolaire, présence requise à tous les cours, ••• ) auxquelles 1' immigration n'a pas plus que d'autres le droit de se soustraire. L'interdiction du prosélytisme politique, les règlements d'ordre intérieur signés par les parents en début d'année, l'obligation de se soumettre au jugement rendu par un tribunal, participent de ces règles communes qu'aucune minorité ne peut refuser sous peine de briser l'intégration et de dissoudre le système social : une loi ne peut pas s'appliquer seulement à ceux qui veulent bien s'y soumettre. Les droits et les devoirs valent de la même manière pour tous en démocratie, l'intégration des immigrés supposant précisément qu'on ne leur réserve pas un statut d'exception qui nous ramènerait à l'Ancien Régime.
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Admettre le hijab au nom de l'intégration des immigrés
Les acteurs de la polémique qui ont tranché en faveur du droit à porter le hijab à l'école se laissent aisément distribuer en deux grands groupes dont les argumentaires sont loin de se recouvrir : les uns refusent la manière même dont la question a été posée, les autres récusent certaines des réponses qui lui ont été apportées.
Pour les premiers en effet, le débat sur le foulard n'aurait pas dù avoir lieu sous la forme qu'il a prise car il traduit en réalité le mépris et la peur que l'Occident continue à entretenir à l'égard de l'islam et/ou de l'immigration. Faire de quelques foulards un péril pour 1' intégration des immigrés, c'est feindre d'ignorer (ou regretter ?) que les immigrés participent pleinement à la vie économique et sociale du pays d'accueil et que 1' assimilation est en marche, de sorte qu'il est vain d'exiger des musulmans et des musulmans seuls des signes de bonne volonté à cet égard. Agiter la menace intégriste, c'est alimenter les fantasmes occidentaux d'islamisation du monde alors même que l'Occident domine la planète et que l'islam est ultra-minoritaire en Europe de l'Ouest; mais c'est aussi identifier tous les immigrés à des fanatiques religieux, et donc commettre soit une erreur sincère (oublier la polysémie du foulard, la prééminence dans l'immigration d'un islam coutumier et tranquille, le détachement des jeunes à l'égard de la religion, etc.), soit une faute délibérée (exacerber les discours démagogiques fondés sur la crainte et le mépris). Le battage médiatique entretenu autour de "l'affaire du foulard", pour révélateur qu'il soit des angoisses bien réelles de l'homme de la rue devant la montée de l'intégrisme international, a donc aussi d'indéniables relents de racisme, puisque des problèmes similaires ou même accrus se sont posés par ailleurs (refus d'élèves juifs d'assister aux cours le samedi en France, opposi tian des Témoins de Jéhovah à certains aspects du programme scolaire, etc.) sans que cela ait jamais ému l'opinion publique; de la même manière, les discriminations dont les immigrés font quotidiennement les frais (difficultés d'accès au logement, refus d'inscription dans certaines communes ou écoles, ••• ) font bien moins parler d'elles que le port soi-disant illicite du hij ab à 1' école. L'indignation et la défense des libertés bafouées semblent étrangement sélectives; la laïcité à l'école sert trop souvent de paravent à une entreprise d'assimilation, voire d'exclusion ciblée : pourquoi admettre la croix et la kippa et refuser le hijab ? En raison de la symbolique sexiste dont il est parfois porteur ? Ce serait oublier que l'émancipation des femmes a été longue à s'imposer en Occident, que 1' immigration et le
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monde musulman en font pour le moment l'apprentissage graduel et qu'aucune loi ne permet de s'inquiéter des modèles d'éducation choisis par les familles : pour quelle raison les musulmans seuls devraient-ils rendre des comptes sur ce point ? A créer de la sorte un climat de suspicion et d'enquête, à préférer exclure tous les foulards plutôt que d'en admettre quelques-uns dont la signification est en effet troublante, le risque est grand de briser les volontés d'intégration : on ne peut s'intégrer à un ensemble social qui menace à tout moment de vous rejeter. Mieux vaudrait donc admettre le hijab, laisser les esprits se calmer et se pencher sur les véritables questions dont cette polémique n'a été que le révélateur : les conditions de possibilité d'une intégration pleinement réussie, qui passe par une politique du logement, de 1' emploi, de formation, d'urbanisme, etc., dont il faut encore définir les termes.
La polémique engagée autour du foulard est moins suspecte aux yeux de tous ceux qui acceptent le port du hijab comme à contrecoeur, jugeant sa signification souvent troublante (sexisme, int~grisme) et se réjouissant que des décisions judiciaires aient fermement limité les droits reconnus aux musulmans (jugement en référé à Bruxelles, avis du Conseil d'Etat en France). Pour eux en effet, le malaise provoqué par le hijab est compréhensible dans la mesure où ce sont les aléas passagers d'un processus d'intégration progressive qui se donnent à lire dans les revendications des jeunes filles : le raidissement des parents sur les questions de morale sexuelle trahit un conflit de générations doublé d'une distance culturelle (80) qui ne se réduit qu'à la deuxième génération; la recherche d'identité religieuse répond au déracinement subi par les parents et à l'inconfort de la double appartenance expérimentée par les jeunes; dans le cadre enfin de renoncements multiples et d'un repli de la religion sur la sphère privée (l'islam ne pouvant se pratiquer de la même manière qu'en pays musulman), le hijab fait office d'attestation de fidélité aux convictions héritées. C'est donc parce que l'intégration et la laïcisation sont en marche mais rencontrent les obstacles inhérents à tout processus de cet ordre que des exigences symboliques se font jour sur le plan religieux; et c'est également dans la mesure où ce processus n'est pas achevé qu'il faut pren-
(80) Sur ce point capital, cfr Courrier hebdomadaire du CRISP, No 1187-1188, op. cft., PP• 42-49: dans un système social où la morale sexuelle est très libérale, des parents qu 1 ont hér 1 té d'un modè 1 e beaucoup p 1 us r 1 gor 1 ste seront tentés d'exacerber ce modèle, pour compenser J'Influence Inverse exercée par la société d'accueil. Dans ce contexte, Je foulard prend une cinquième signification : Il traduit Je déracinement vécu par la première génération et devrait dlsparaftre avec la deuxième.
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dre garde aux effets pervers que provoquerait l'intransigeance absolue des pays d'accueil sur la question du hijab.
Les musulmans en effet se sont sentis unilatéralement mis en cause tout au long du débat, révélateur à leurs yeux d'une xénophobie de plus en plus patente; le risque est donc grand, à refuser le _port du hijab à l'école, d'en faire le symbole d'une stigmatisation contre laquelle toute l'immigration originaire des pays musulmans se regrouperait, qu'elle soit ou non croyante et pratiquante; les réflexes de solidarité observés dans de nombreuses écoles (X portant le foulard parce qu'Y est empêchée de le faire) attestent d'ailleurs la vitalité du mécanisme de retournement des stigmates (81). Or cette dynamique de défense et de solidarité communautaire brise les démarches d'intégration individuelle et profite à ceux qui, dans l'immigration, défendent des thèses différentialistes ou de confrontation religieuse : en traitant les manifestations de l'islam comme un corps étranger qu'il faut exclure de l'espace public, on donne crédit aux objectifs de repli sur soi, voire de développement séparé que partagent les intégristes et l'extrême-droite. Plutôt que de fabriquer des martyrs convaincus qu'il est vain de s'intégrer puisque l'on ne veut décidément pas d'eux, mieux vaut accepter le hijab et faire confiance à l'école. Les jeunes filles en particulier y trouveront leur compte : au lieu d'être soumises à un conflit de normes (volonté parentale contre règlement scolaire) générateur d'anomie ou d'adhésion exacerbée à un système de valeurs unique, elles trouveraient à l'école un espace neutre voué à l'apprentissage; la dynamique émancipatrice de l'école (esprit scientifique, ouverture sur le monde, apprentissage du relativisme, etc.) pourrait alors jouer à plein et conduire les jeunes filles à abandonner d'elles-mêmes le foulard, comme on peut l'observer dans la plupart des établissements scolaires. Interdire au contraire le port du hijab à l'école encouragerait élèves et parents, soit à choisir l'école musulmane, soit même à préférer l'exclusion et le retrait définitif des filles de l'école. Dans l'un et l'autre cas, les jeunes filles n'auront d'autre milieu de développement qu'un univers familial et/ou scolaire rigide et monolithique, dominé par le traditionalisme et le sexisme, sans que plus rien ne fasse contrepoids à cette influence et leur permette de s'en libérer :
C81) Notons qu'avec ce mécanisme, le hljab prend une sixième signification, ou plutôt perd toute signification : Il devient un simple signal, Il manifeste le fait que 1 'on est "pour" ou "avec" et s'adresse à ceux qui sont "contre" - mals pour ou contre quoi 1 Le sexisme, l'Islam, l'école, le racisme, les Immigrés 1
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à vouloir émanciper ces jeunes filles de force en leur faisant ôter le hijab, on les condamnera à le garder à vie (82).
Remarques sur les mécanismes d'intégration
C'est bien entendu par souci de clarté que nous avons répercuté les prises de posi tian des uns et des autres en argumentaires circonstanciés et parfaitement distincts : nombre d'intervenants en fait ont manifesté leur embarras et embrassé partiellement différentes lignes de raisonnement; le dP.bat en outre s'est enrichi de réponses croisées aux objections dont nous ne pouvions rendre compte en ces pages. Mais tout cela n'enlève rien au fait que la majorité des acteurs souhaitent assister à terme à la disparition du hijab dans les écoles, cette disparition faisant figure selon les cas de condition de possibilité ou au contraire de couronnement d'un processus complet d'intBgration. Une bonne part du débat porte donc, non sur les fins, mais sur le diagnostic (le foulard comme symptôme d'une lame de fond intégriste/sexiste ou comme épiphénom~ne du travail d'intégration) et les moyens; or si nous n'avons pas la place ici pour trancher quant au diagnostic (83) nous croyons pouvoir avancer quelques remarques relatives à l'efficacité des diverses stratégies proposées.
La stratBgie de fermeté, qui passe par l'interdiction du hijab dans les écoles publiques, veut tirer les leçons de quelques précédents historiques présents dans toutes les mémoires : il faut savoir intervenir avant qu'il ne soit trop tard; on ne décourage les tentatives de grignotage qu'en faisant preuve de fermeté; on ne combat une foi qu'à l'aide d'une autre foi, l'universalisme démocratique et laïque n'ayant pas à s'avouer vaincu face à une doctrine religieuse particuli~re. Que le volontarisme puisse être payant, l'histoire récente l'atteste à travers le cas particulier de l'immigration espagnole : héritière de traditions religieuses aussi "visibles" que le port du foulard (processions, pélerinages, fêtes, .•• ) , 1' immigration espagnole a accepté, sous la direction de ses aumôniers, de limiter ses pratiques religieuses à l'espace privé, d'épurer la foi de ses manifestations "folkloriques". Mais si ce résultat fut obtenu sans heurts, c'est dans la
(82) Notons que l'ensemble des mécanismes psycho-sociologiques allégués au cours de ce ra 1 sonnement ont été ill us trés dans Courr 1er hebdomada 1re du CR 1 SP, No 1187-1188, op. clt. (83) Nous renvoyons sur ce point au Courrier hebdomadaire du CRISP, No 1187-1188, op. clt., en ajoutant qu'a nos yeux seul le fondamentalisme <et non 1 'Intégrisme> a quelque chance de relatif succès en Belgique.
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mesure où une autorité jugée légitime- en l'occurrence, les aumômiers espagnols de Belgique - a pu imposer ses vues sans être suspecte d'intentions hostiles (84). En l'absence d'autorité musulmane régulièrement constituée et susceptible d'assumer cette politique d'adaptation des coutumes aux moeurs du pays d'accueil, les autorités belges peuvent-elles remplir cette fonction avec succès? Leur légitimité auprès de l'immigration est certainement supérieure à ce que l'on imagine aujourd'hui, et singulièrement auprès de la première génération : c'est précisément parce que les immigrés respectent la loi belge que l'imam Radhi les engage à se soumettre plutôt à la volonté divine. Mais cette légitimité risque d'être contestée, en particulier auprès des jeunes, si les pouvoirs publics paraissent trahir leur propre doctrine démocratique : ayant largement assimilé l' idéal démocratique de légalisme, d'égalité et de tolérance, les jeunes immigrés s'indignent aisément des discriminations dont ils sont victimes. Il serait donc sans doute plus simple de faire tomber le foulard dans le cadre d'un vaste débat sur les droits et devoirs civils et politiques de l'immigration qu'en liant la question du hijab aux polémiques sur l'école musulmane et l'intégrisme.
La stratégie de conciliation qui consiste à admettre le foulard de manière conditionnelle se fonde pour sa part sur la sociologie de l'immigration et récuse à ce titre l'efficacité des politiques d'intransigeance, jugées porteuses d'effets pervers et incapables d'infléchir vraiment les comportements : que gagnerions-nous à ce que le hijab disparaisse si les mentalités par ailleurs ne changent pas ? Nous l'avons noté déjà, une étude antérieure nous a permis de nous convaincre de la pertinence des mécanismes psychosociologiques allégués ici; mais les prévisions avancées au nom de ces données sociologiques nous paraissent moins convaincantes. Chacun peut constater en effet que le réflexe de retournement des stigmates et de solidarité communautaire n'a eu, en Belgique, ni l'ampleur ni la profondeur attendues par certains : si en France la modération des autorités musulmanes "officielles" (la Grande Mosquée de Paris notamment) a contrasta avec la vigueur des réactions laïques ou xénophobes adoptées par une large frange du monde poli tique, les tendances au durcissement se sont jouées en sens inverse en Belgique, désamorçant sans doute les velléités de regroupement communautaire autour de l'islam. On peut s'interroger par ailleurs sur le rôle dévolu à l'enseignement dans le scénario de conciliation : tout se passe comme si un vieux fond de rationalisme engageait à faire confiance aux vertus émancipatrices du savoir scolairement transmis, et ce au moment même où chacun reconnaît que l'école n'a toujours pas pu remodeler ses
(84> p. Blaise et v. de Coorebyter, op. cft., PP• 36-38.
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structures et ses méthodes pour s'adapter au public d'origine immigrée. Certes la plupart des jeunes filles abandonnent spontanément le hijab après quelques années de scolarité; mais l'impact de l'école à cet égard tient peut-être moins aux contenus transmis qu'à l'ouverture d'un espace social hétérogène et libéral au sein duquel le foulard fait figure d'archaïsme dépourvu de signification. Les jeunes filles dans cette hypothèse s'en sépareraient en vertu d'un mécanisme que nous avons détaillé ailleurs à propos de l'immigration italienne (85) : dans une atmosphère de tolérance où ils peuvent librement perpétuer leurs particularités culturelles, les jeunes issus de l'immigration adhèrent progressivement au modèle libéral proposé par le pays d'accueil et abandonnent à terme les traditions qui, au regard de ce modèle, paraissent ressortir de la contrainte ou d'un passé pour eux révolu.
LE HIJAB ET LA LAICITE
Il en va de la laïcité comme de l'intégration : c'est au nom de la lai ci té que certains ont réclamé 1' interdiction du port du foulard à 1' école publique, et ce· en France comme en Belgique; c'est ~galement au nom de la laïcité que d'autres ont revendiqué le droit à garder le hijab dans les murs de l'école. La querelle juridique autour des dispositions légales en matière d'exhibition d'emblèmes religieux à l'école s'est ainsi doublée d'un débat de fond sur la nature même de la laïcité, la France ayant vu surgir à cette occasion le concept quelque peu barbare de "nouvelle laicité" (86). Les revendications relatives aux éléments du programme scolaire qui seraient inacceptables pour les musulmans (cours de natation, de musique, de dessin, de biologie) ont pour leur part reposé la question du rôle émancipateur de l'école à l'égard des particularismes et des traditions, de son droit ou devoir d'imposer une formation commune à tous. Si l'on ajoute qu'en France l'école publique est laïque alors qu'elle est dite neutre en Belgique, on admettra qu'un bref rappel historique sur la laicité et l'école en France et en Belgique s'impose à qui veut comprendre les termes du débat et la coloration particulière qu'il a prise de chaque côté de la frontière.
C85l Ibidem, PP• 33-36. (86) Soit une larclté fondée sur la neutralité et la tolérance religieuse plutôt que sur le combat rationaliste ou anticlérical, la "nouvelle" larclté pouvant s'accommoder du foulard alors que l'ancienne(?) ne saurait l'admettre.
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Ecole, Eglise et Etat en France
A compter de la révolution française, la France a mis un siècle à s'installer durablement dans la république et le régime parlementaire. Elle a, sur cette période qui court de 1789 à la fin du 19ème siècle, déposé de force quatre rois dont un fut guillotiné, instauré deux républiques éphémères qui ont fini par basculer vers un régime impérial, connu quatre ré vol tes populaires de grande ampleur (1789-1795, 1830, 1848, Commune de Paris), une guerre civile impitoyable (Terreur contre chouannerie) et un nombre indéterminé de coups d'Etat plus ou moins sanglants et déguisés. Dans cette lutte entre république, empire et monarchie, l'école et l'Eglise ont joué un rôle majeur, tout ensemble acteurs et enjeux du conflit : la version française de la laicité et de l'école publique est inséparable d'un siècle de déchirements.
Le mythe révolutionnaire de la nation une et indivisible composée de citoyens libres et égaux, le rêve de forger un homme nouveau dégagé des superstitions et des allégeances traditionnelles, la nécessité de garantir l'adhésion du peuple à une révolution contestée par les détenteurs séculaires du pouvoir symbolique (monarchie, noblesse, clergé), tout cela a rapidement conduit les révolutionnaires à projeter des systèmes d'éducation nationale unifiée d'initiative strictement publique, dispensant un enseignement fondé sur les Lumières et voué à former des citoyens épris de liberté et d'égalité, de rationalisme et de dévouement à la nation. Le plan de Lepeletier de Saint-Fargeau est emblématique à cet égard, qui s'inspire de Sparte et annonce les utopies totalitaires du 20ème siècle : tous les enfants de la république devront, de cinq à douze ans, être élevés dans des structures communautaires où, "sous la sainte loi de l'égalité, (ils) recevront les mêmes vêtements, même nourriture, même instruction, mêmes soins" (87). C'est que la liberté et l'égalité, face au pouvoir symbolique de la féodalité et de la religion et confrontées aux disparités statutaires, culturelles et linguistiques héritées de l'Ancien Régime, doivent être apprises sous la contrainte de la discipline et de la raison avant d'être intériorisées et incarnées par chacun : on ne natt pas libre, on le devient à l'école de la république. Or ce rêve prométhéen a aussitôt rencontré la plus vive hostilité de tous les fidèles de l'Ancien Régime en général et du haut clergé en particulier, aux yeux duquel la ré-
(87) Pour le "reve pédagogique" de la révolution française et les différents projets d'éducation élaborés à cette époque, cfr le recuel 1 de textes présenté par B. Baczko, Une éducation pour la démocratie, Garnier, Paris, 1982.
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volution s'identifie au combat des Lumières contre le dogme, à l'asservissement de l'Eglise à l'Etat (vente des biens du clergé comme biens nationaux, constitution civile du clergé, assermentation des prêtres à la république) et à la politique de déchristianisation brutale qui a marqué l'an II. Si l'on se rappelle en outre que la révolution signe l'avènement politique du tiers état face aux deux ordres privilégiés de l'Ancien Régime (noblesse et clergé), tout est en place pour une bipolarisation qui, malgré bien des exceptions et des vicissitudes, dominera un siècle d'histoire française : monarchie/Ancien Régime/catholicisme d'un côté, bourgeoisie/république/anticléricalisme de l'autre. Soit une dichotomie qui s'exprime aussi en matière d'organisation du système éducatif : les monarchistes visent à restaurer le monopole catholique dans l'enseignement tandis que les républicains bataillent pour un enseignement public seul apte à faire barrage au soutien idéologique que l'Eglise apporte à l'Ancien Régime (88).
Or lorsque la troisième république s'est instaurée au détour de la guerre de 1870, le rapport des forces politiques entre républicains et monarchistes restait incertain et instable, le combat se poursuivant pour le retour à un Ancien Régime qui serait appuyé sur le catholicisme érigé en religion d'Etat. Il était donc indispensable pour la fragile coalition républicaine au pouvoir, qui héritait de lois impériales favorables à l'enseignement catholique et au conservatisme (89), d'assurer l'avenir en développant un enseignèment public tout à fait indépendant de l'Eglise, couvrant l'ensemble du territoire et des niveaux, et dont la gratuité sera instaurée dans le primaire afin de ne pas écarter les enfants des pauvres et des campagnes, ces dernières étant encore sous l'influence profonde de l'Eglise :ce sera l'objet notamment des fameuses lois Ferry de 1881 et 1882 sur l'enseignement primaire gratuit, obligatoire et laïque. Tout en ayant beaucoup de peine à faire interdire 1' enseignement des jésuites (qui était farouchement anti-républicain) et en préparant la laïcisation du personnel enseignant, Jules Ferry fera supprimer le catéchisme du programme des écoles publiques, au nom de la neutralité de l'Etat en matière religieuse 1' Etat ne peut limiter la liberté de conscience en laissant enseigner une religion déterminée, vérité
(88) Le cas specifique des politiques d'enseignement du premier au second empire, quand les régimes successifs doivent consolider des modes d'organisation politique Inédits en France, ne peut $tre évoqué let. (89) Notamment la loi Falloux de 1850, qui "dégage 1 'enseignement libre de toute tutelle de 1 'Etat, et place 1 'enseignement publ le, du primaire au supérieur, sous 1 •étroite surveillance des notables et des ecclésiastiques" (J.-M. Gaillard, Jules Ferry, Fayard, Paris, 1989, P· 426). Les religieux pouvaient ainsi enseigner dans Je primaire public et les Instituteurs, même JaTques, devalent enseigner Je catéchisme et conduire les enfants aux offices religieux.
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particulière, dans les écoles publiques, vouées à dispenser un enseignement de valeur universelle; plus politiquement, la république ne pouvait laisser une doctrine anti-républicaine se propager dans ses écoles au risque d'y introduire des conflits philosophiques : le catéchisme sera donc remplacé par une instruction morale et civique fortement teintée de patriotisme et de kantisme, doctrines "rassembleuses" s'il en est. L'école laïque prendra sa forme définitive lorsque, pressé sur sa gauche, Jules Ferry fera interdire les crucifix dans les écoles neuves et rénovées : la neutralité de l'école laïque l'empêche d'accueillir des emblèmes religieux dans son enceinte. Mais Ferry, soucieux d'instituer la république sans en exclure personne et surtout pas les habitants des campagnes qu'il tentait d'attacher au nouveau régime, essaiera d'éviter que l'on ôte de force les crucifix existants, de même qu'il recommandera aux instituteurs de ne rien enseigner qui pOt froisser les convictions religieuses des pères de famille. Cette déclaration souvent citée dans le débat français sur le foulard est ainsi révélatrice de sa conception de la laicité, mais aussi d'un rapport de forces politique qui pouvait à chaque maladresse basculer en faveur desanti-républicains (90).
Ecole, Eglise et Etat en Belgique
La révolution belge contraste vivement avec la révolution française : elle fonde une nation nouvelle plutôt qu'elle ne déchire un vieux pays; elle instaure en moins d'un an une monarchie constitutionnelle et parlementaire qui ne sera jamais vraiment menacée; elle se consolide sous des auspices unionistes (1830-1840) qui lui permettent de liquider 1' opposi tian in té ri eure et extérieure au nouvel Etat en moins de vingt ans. La naissance de la Belgique contemporaine ne se confond donc pas, comme en France, avec quelque affrontement interne, mais passe au contraire par 1' union momentanée des cléricaux et des anticléricaux contre le régime hollandais : la Belgique a connu des guerres scolaires mais aucune guerre politico-religieuse à la française, aucun antagonisme entre déchristianisation/république d'une part, rechristianisation/restauration d'autre part. Laicité et catholi-
(90) C'est dans le meme esprit que Ferry Institua dans la semaine scolaire un jour de congé hebdomadaire permettant aux parents d'envoyer leurs enfants au catéchisme s'ils le souhaitent. Quant à la séparation de l'Eglise et de l'Etat en France, rappe 1 ons qu' e Ile fut 1 nstaurée en 1905 sous 1 1 1 mpu 1 s 1 on des ant 1 c 1 ér !caux alors dominants. Elle supprima le budget des cultes qui jusque-là compensait la confiscation des biens ecclésiastiques sous la révolution, mals assura pour la première fols 1 •autonomie absolue de 1 'Eglise à l'égard de 1 'Etat français.
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cisme sont certes entr~s en conflit, mais sans que jamais le régime soit remis en cause à cette occasion : dans un pays chrétien échaudé par les guerres de religion du 16ème siècle et les bouleversements subis sous le régime français (révolution, consulat, empire), et qui de surcroît a conquis son indépendance grâce à l'union entre libéraux et catholiques, le compromis et la liberté de pensée sont des valeurs fortes (91), sanctionnées par la Constitution de 1831 après avoir été incarnées dès octobre 1830 par des arrêtés du gouvernement provisoire sur les libertés d'enseignement, d'association et de presse.
La Constitution traduit ainsi des rapports de force autant qu'une recherche de cohabitation pacifique. Extrêmement libérale pour l'époque, elle place tous les pouvoirs dans la nation (et en aucun cas dans une Eglise ou autre groupe de pression), garantit la liberté de pensée, de parole et d'association, et dispose que nul citoyen ne peut être contraint de pratiquer un culte ou d'en observer les jours de repos. L'organisation de l'Etat et de la vie poli tique est donc formellement indépendante de toute référence religieuse, la religion est affaire de conviction personnelle et de vie privée, le citoyen est libre de n'adhérer à aucun culte : l'Etat belge est bien un Etat laïque et rien dans la Constitution n'empêcherait que la société ne se déchristianise intégralement. Mais la distinction de l'Eglise et de l'Etat ainsi instaurée établit un contrepoids à la laïcisation des moeurs sanctionnée par la Constitution : en garantissant la liberté religieuse et d'enseignement, en interdisant toute intervention de l'Etat dans la vie des Eglises (nomination des ministres des cul tes, relations entre Eglises et groupes politiques, etc.), la Constitution offre à l'Eglise catholique toute latitude d'accra! tre son influence, alors considérable, sur l'opinion et le monde politique. Par ailleurs, la prise en charge par l'Etat du traitement des ministres des cultes reconnus permet à l'Eglise catholique de garder le bénéfice matériel des régimes concordataires antérieurs, sans plus subir les inconvénients de la tutelle publique : l'intervention du primat de Belgique dans les débats constitutionnels fut ainsi couronnée de succès, ce qui reflète parfaitement le déséquilibre des forces entre catholiques et laïques à l'époque.
C91 > Ceci n'enleve rien au fait que le monde catholique a longtemps connu une tendance radicale hostile à la liberté de pensée et à la démocratie et soucieuse de maintenir au plus haut l'Influence de 1 'Eglise sur les âmes et la politique: cela signifie simplement que ce fut une tendance parmi d'autres, contrainte de composer, au sei n même de 1 1 uni vers catho 1 i que, avec une majorité fi dè 1 e à 1 a Constitution.
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Ce rapport de forces est particulièrement perceptible en matière d'enseignement, principal terrain où se sont affrontés catholiques et laiques en Belgique. Libre de renforcer son réseau qui était déjà dominant, 1' Eglise catholique contrôle en outre la plupart des écoles publiques à l'époque unioniste, soit qu'elles dépendent d'une commune à majorité catholique, soit que l'influence du curé soit trop forte que pour être négligée. Cette suprématie se traduit dans la première loi organique de l'enseignement primaire, votée en 1842 sous un gouvernement unioniste : la loi impose à chaque commune d'avoir une école primaire, mais précise que cette école peut être privée (donc généralement catholique) tout en étant financée par la commune; elle rend l'enseignement de la religion obligatoire dans les écoles officielles et sera appliquée conformément au règlement d'ordre intérieur édicté par le ministre catholique de Theux en 1845, qui confie dans les faits le contrôle de 1' enseignement primaire public au clergé. Les libéraux n'obtiennent, en contrepartie, que la compétence communale sur la nomination des enseignants de l'école publique, ce qui ouvre la possibilité de créer des écoles non confessionnelles dans les communes à majorité libérale.
Ces disposi tians ne contentaient évidemment pas les libéraux, qu'ils fussent conservateurs ou progressistes; 1' opposi tian de principe était par ailleurs totale entre les catholiques qui réservaient à l'enseignement public un rôle palliatif en cas de carence de 1' enseignement libre subsidié, et les laiques qui ex igeaient la priorité pour l'enseignement public et s'opposaient à 1' octroi de subventions à 1' école confessionnelle. Mais la première guerre scolaire ne battra son plein qu'entre 1879 et 1884, et portera essentiellement sur 1' école primaire : pour la première fois en position de force, les libéraux adoptent la loi Van Humbeeck (1879) qui contraint les communes à ériger une école primaire neutre, interdit la subsidiation d'écoles libres et met fin à 1' enseignement de la religion dans les établissements publics. La réaction catholique à cette "loi de malheur" proche des lois ferry est extrêmement vive : rupture des relations diplomatiques par le Vatican, pressions de toutes natures sur les enseignants et parents de 1' école publique, création de centaines d'écoles catholiques en un premier temps; abolition de la loi Van Humbeeck et retour à la situation de 1842 par le biais de la loi Jacobs (1884), une fois les catholiques revenus au pouvoir. La première guerre scolaire s'achève donc sur un succès catholique, mais celui-ci provoque à son tour des réactions anticléricales qui contraignent les catholiques, pendant toute la période où ils détiennent le pouvoir de manière exclusive (1884-1914) ou partagée (gouvernements de coalition de 1914 à 1945), à passer des compromis avec les laiques dont 1' aile gauche prend de l' impor-
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tance (création du POB en 1885). C'est ainsi que la loi Poullet de 1914 organise pour la première fois un enseignement primaire gratuit et obligatoire de six à quatorze ans, répartit les subsides de l'Etat entre réseaux libre et officiel et instaure le contrôle de l'Etat sur l'enseignement libre (ti tres requis des enseignants, programmes). Le pluralisme prend alors ses contours actuels, soit la concurrence entre réseaux totalement ou partiellement financés et contrôlés par l'Etat.
La guerre scolaire se rallume dans les années 50, avec cette fois l'enseignement secondaire pour enjeu principal : la prolongation de la scolarité met les écoles moyennes et techniques au centre du da bat, les catholiques s'estimant sous-représentés dans ces types d'enseignement, en raison notamment du minerval que les écoles libres devaient demander faute de subsides suffisants. De 1951 à 1954, le gouvernement social-chrétien homogène fait adopter une série de lois sur l'enseignement normal, moyen et technique qui choquent les laïques sur deux points : elles augmentent considérablement le niveau des subventions aux écoles libres et créent des commissions consultatives paritaires sur les programmes, les méthodes pédagogiques et la création ou subsidiation d'écoles publiques ou privées, l'enseignement libre pouvant ainsi intervenir dans l'organisation de l'enseignement officiel alors que déjà nombre d'écoles communales dispensaient un enseignement catholique. Sans remettre en cause le principe de la subsidiation des écoles libres, les socialistes et les libéraux revenus au pouvoir en 1954 annoncent une politique de diminution des subventions et de développement de l'enseignement officiel : la réaction catholique est très vive, les concessions accordées par le gouvernement en diverses matières scolaires sont jugées insuffisantes; la contestation se poursuit donc après la vote de la loi organique Collard (1955) et débouche, en 1958, sur une victoire électorale du PSC qui lui permet de renverser la coalition libérale-socialiste mais non de gouverner seul de façon durable. Le moment est donc venu d'une grande négociation scolaire entre les trois partis traditionnels, qui débouchera sur le Pacte scolaire (1958) et sa loi d'application (1959). Oeuvre de compromis s'il en est, le Pacte scolaire accroit le subventionnement des écoles libres, mises sur un pied de quasi-égalité avec les écoles officielles, mais reconnait expressément le droit et même l'obligation pour l'Etat de créer ses propres écoles là où l'enseignement officiel fait défaut; il met fin à l'influence du clergé dans les écoles communales mais contraint toutes les écoles officielles à ouvrir un cours de religion (cultes reconnus) comme de morale non confessionnelle à la simple demande d'un parent d'élève, ce qui impose la "neutralité" de l'école officielle; il garantit enfin la liberté du choix de l'école et instaure la gra-
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tuité de l'enseignement moyen pour tous. La guerre scolaire perdra ensui te de son âpreté, même si 1' on assistera à de longues discussions autour de l'enseignement rénové ou du projet d'école unique pluraliste qui aurait mis fin à la multiplicité des réseaux; la communautarisation de 1' enseignement enfin, qui effrayait le PSC en raison de la prédominance laïque dans la Communauté française, s'assortira de la constitutionnalisation des garanties offertes aux catholiques par le Pacte scolaire. Après trente ans d'apaisement, il aura fallu le hijab pour réveiller le débat sur l'école et la laïcité.
Le hijab et les principes de la laïcité
Au terme de ce double historique, on aura peut-être le sentiment qu'à nos yeux la laïcité n'existe pas, que nous avons essayé de la dissoudre dans des rapports de force politiques variables au fil de l'histoire et de la géographie : n'est-ce pas finalement ce que certains ont avancé au cours de la polémique, arguant que l'Angleterre, la République fédérale d'Allemagne, les Etats-Unis, etc., organisaient les relations entre Eglise, Etat et école de manière aussi différenciée qu'on peut l'observer entre la France et la Belgique ? Or notre conviction est exactement inverse : si nous avons tenu à mettre ces deux pays en contraste, c'est d'abord pour faire émerger les arrière-plans (historique, politique, législatif et idéologique) nécessaires à la compréhension du débat car ils en modèlent les termes d'une nation à l'autre, mais c'est aussi pour faire ressortir ce que la France, la Belgique et la plupart des pays démocratiques ont en commun en cette matière. La laïcité, à notre estime, se laisse cerner très précisément à l'aide de quelques principes qui forment système, les libertés et privilèges accordés aux cultes dans les pays laïques variant seuls au gré des héritages historiques et des équilibres politiques ( 92) •
Le principe fondateur d'un Etat laïque tient dans l'autonomie du politique à l'égard du religieux, dans l'organisation de la société et du pouvoir hors de toute référence, doctrine ou norme religieuses, dans la rupture complète avec toute forme de théocratie : la laïcité en conséquence est une idée neuve en Islam mais très ancienne en Europe, où elle s'enracine dans le message
(92) Que la France par exemple soit moins généreuse à l'égard de 1 'Eglise et des écoles libres mals puisse bientôt accepter le catéchisme dans les murs de l'école pub Il que ne change r 1 en à 1 'es sent 1 e 1 , qu 1 rés 1 de dans 1 1 absence de toute référence religieuse dans l'organisation de l'Etat en France comme en Belgique.
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christique sur la séparation des royaumes terrestre et céleste et trouve sa première formulation politique aboutie chez Marsile de Padoue (Le défenseur de la paix, 1324). L'Etat laïque organise la cité sans se donner pour objectif de sauver les âmes; il attribue au pouvoir une origine humaine (démocratique ou non) et forge ses lois (démocratiquement ou non) sans la moindre référence à une doctrine religieuse, que ce soit en termes de contenu ou de légitimité des lois; l'organisation de l'Etat, du pouvoir et de la justice, les relations entre Etat et citoyens comme entre citoyens eux-mêmes sont donc purement civiles (contrats, mariages, etc., relèvent d'un code civil; la justice s'avoue humaine et sans fondement religieux; ••• ).L'Etat, pour se protéger de toute ingérence religieuse, relègue la religion dans la sphère privée (familiale, associative, cultuelle) et ne lui accorde de place dans l'espace public (à l'école, dans des organes consultatifs, etc.) que dans les limites fixées par la loi. Une influence religieuse peut certes s'exercer sur le droit (que l'on pense à l'avortement), mais seulement à travers la traduction laïcisée et applicable à tous les citoyens qu'en propose un acteur civil : la loi divine comme telle est nulle et non avenue dans un Etat laique (93). De même, si l'Eglise peut faire du prosélytisme, c'està-dire essayer de convaincre, elle ne peut imposer ses croyances et son culte à quiconque : l'Etat laïque a le monopole de l'exercice légitime de l'autorité. La laïcité est donc d'abord, historiquement et conceptuellement, indépendance de l'Etat et des citoyens à l'égard des Eglises; c'est en ce sens qu'elle est le fruit d'un combat et peut fort bien ne pas se préoccuper de tolérance, soit parce que les Eglises menacent la paix ci v ile ou l'autorité de l'Etat, soit parce que l'Etat aurait décidé de contrôler ou d'éradiquer toute expression religieuse sur son terri taire.
Mais il va de soi qu'un Etat laïque démocratique ne se contentera pas d'assurer l'indépendance de l'Etat à l'égard de l'Eglise : conformément à une longue tradition de pensée laïque en Occident, l'Etat garantira en outre l'autonomie des Eglises et des citoyens à l'égard de l'Etat, la liberté de pensée et de culte, le droit d'expression et d'association; l'Etat peut même, sans rien perdre de sa lai ci té (94), financer ou organiser par la loi des modes
(93) Le tribunal de première Instance de Bruxelles a rappelé ce principe dans son jugement en référé du ter décembre 1989. (94) Contrairement a ce qu'affirme l'Imam Radhl lorsqu'Il argue des cours de religion offerts par 1 •école officielle pour contester la laTcité de 1 'Etat belge et plaider pour la plus large liberté religieuse. Il est vrai que l'Imam dénonce également le "système laTque" dans lequel nous vivons, au nom cette fols de la théocratie: cfr l'interview à Tribune Immigrée, op. cft.
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d'expression religieuse, à l'instar de ce qui se passe en Belgique. Mais en tous les cas, il s'agira là de mesures délimitées qui ne tendent ni à instituer un culte en religion d'Etat, ni à soumettre l'organisation publique à la tutelle des Eglises : il s'agit de favoriser, dans des limites précises, l'épanouissement des sensibilités religieuses, à charge pour l'Etat, dans un souci de neutralité, de soutenir également les sensibilités non confessionnelles. L'Etat laïque sera démocratique et neutre s'il n'interdit aucune tendance philosophique (sauf en cas de menace pour 1' ordre public) et favorise leur expression en veillant à l'égalité de traitement des différentes tendances (95).
Or c'est bien dans ce contexte de neutralité et de tolérance qu'apparaît l'affaire du foulard et qu'il faut apprécier les arguments contradictoires des uns et des autres en matière de laicité
- le port du foulard à l'école publique peut légitimement se réclamer de la neutralité de l'école et des principes constitutionnels de liberté religieuse et d'expression en France comme en Belgique, l'école publique n'a pas vocation à combattre ou à étouffer les convictions religieuses en général ou telle doctrine en particulier, mais simplement à ne pas les laisser influer sur son enseignement; elle doit rester neutre à leur égard et respecter la liberté de conscience, comme 1' ont rappelé le Conseil d'Etat français et le tribunal de première instance de Bruxelles;
-mais l'école n'a pas non plus pour mission d'encourager l'extériorisation des croyances ou d'admettre les confrontations philosophiques dans ses murs : parce qu'elle est neutre et vouée à la transmission du savoir, elle n'autorise 1' expression de la foi que dans les bornes fixées par la loi et par les exigences inhérentes à sa fonction (sécurité, discipline, présence obligatoire à tous les cours, etc.) • Or les lois françaises et le Pacte scolaire interdisent toute propagande politique (et même religieuse, en France) à l'intérieur des établissements scolaires, et font obligation aux autorités scolaires de mener leur tâche d'enseignement à bonne fin, à charge pour les élèves de se soumettre aux règles qui en découlent : il est donc normal que les juristes belges et français aient fixé des limites très
(95) C'est bien entendu cette égalité de traitement qui risque de n'être jamais complète, car elle passe par des mesures dont la dimension "technique" peut traduire des rapports de force politiques et s'avérer plus favorable pour les uns que pour les autres.
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précises au port du foulard dans le cadre scolaire public (96), ces limites valant potentiellement pour tout autre symbole religieux qui présenterait les mêmes caractéristiques que le hij ab;
- ces principes de respect des règles communes et d'égalité de traitement de tous les élèves rendent irrecevables, au regard de la loi, toutes les demandes visant à soustraire les enfants musulmans à tel ou tel élément du programme scolaire obligatoire (ceci valant pour les écoles subsidiées comme pour les écoles publiques) : le souci de tolérance et d'intégration qui a conduit des écoles à adapter leur système d'options et leur vie quotidienne à la population immigrée ne peut déboucher sur la mise en oeuvre de programmes séparés pour les différentes communautés religieuses, sous peine changer de modèle d'organisation scolaire. La pertinence d'un tel changement peut certes être défendue, mais il est logique qu'un Etat laïque impose un programme minimal commun qui soit indépendant de quelque doctrine religieuse que ce soit et se fonde, en démocratie, sur le primat de la raison et de la science, instances universelles, sur les croyances ou tendances particulières. La censure politique ou religieuse sur les programmes serait irrecevable dans un régime laïque et démocratique, ce qui ne contraint pas pour autant à verser dans la fétichisation de la science (97);
- il est donc indéniable que 1' école, en dispensant un même enseignement de base à des enfants d'origine très diversifiée, leur donne (théoriquement) des chances égales d'épanouissement et de réussite, mais va régulièrement à l'encontre des coutumes et convictions partagées par différents segments de la société. En raison de ses antécédents historiques, ce "brassage des différences dans un même creuset libérateur de l'individu" est défendu avec lyrisme par les "républicains" français et est durement contesté par ceux qui y voient les traces de l'idéologie révolutionnaire (patriotisme assimilateur, prétention bourgeoise à l'universalité) (98). L'unité des programmes n'a pas les mêmes connotations historiques en Belgique, où de surcroît 1' enseignement est communautarisé et le pluralisme érigé en principe constitutionnel (liberté de l'enseignement, neutralité de l'école officielle); le jeu des options et des cours facul-
(96) SI ces limites ne sont pas les mêmes (le prosélytisme en France, l'organisation des cours et la discipline en Belgique>, c'est dans la mesure où l'affaire ne fut pas portée devant les juristes en des termes Identiques : cfr supra, pour le point de vue des juges. (97) Cfr. E. Ballbar, Le symbole ou la vérité, Libération, 3 novembre 1989, p. 2; c. Allègre, La meilleure façon d'enlever le voile, Le Nouvel Observateur, No1305, 9 novembre 1989, p. 67. (98) Cfr, contre cette Idéologie, s. Cheurfa dans Le Monde, 24 novembre 1989, p.2 et A. Touraine dans Le Nouvel Observateur, No 1306, 16 novembre 1989, p. 69.
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ta tifs (dont 1' enseignement dit interculturel) permettrait en outre de concilier égalité devant le savoir et respect des différences. On pourrait certes aller plus loin, développer un enseignement "à la carte" où chaque réseau aurait ses programmes spécifiques soumis à l'aval et au contrôle de l'Etat pour pouvoir accéder aux subsides; la laicité serait préservée au plan formel, mais une valeur démocratique par excellence en ferait les frais : l'égalité dans l'accès au savoir et l'apprentissage de la raison.
LES PRINCIPES DEMOCRATIQUES DANS LE DEBAT SUR L'IMMIGRATION
Tout au long de la polémique, des appels ont été lancés en faveur du respect des lois démocratiquement édictées par les pays d'accueil de l'immigration, que ce soit pour inviter les immigrés à s'y soumettre ou pour leur rappeler que ces lois parfois contraignantes constituent également leur meilleure protection contre l'arbitraire et la discrimination. La référence à l'Etat de droit sert ainsi le plus souvent d'argument décisif, de butoir auquel on s'adosse pour mettre un terme à la discussion, quelle que soit d'ailleurs la position que l'on défende et donc les lois dont on se réclame. Mais le recours à 11 autorité du droit est rarement aussi décisif que les acteurs de la polémique l'espèrent, et ce pour trois raisons majeures qui ont été évoquées avec plus ou moins d'insistance au cours de la discussion et qui engagent, chacune à leur manière, un débat de fond sur les principes de la démocratie.
Normes législatives et normes sociétales
En apparence pourtant tout est clair : le respect de la loi est la pierre de touche des comportements en démocratie, le citoyen doit obéissance aux lois tandis qu'en contrepartie il participe à leur élaboration et ne peut être contraint à poser un acte ou à s'en abstenir si aucune loi ne 1' y oblige - le respect des lois vaut protection contre 1' arbitraire, notamment du pouvoir. Il reste que ce modèle démocratique risque d'avoir récemment perdu de son évidence auprès de l'immigration, car son application récente s'est révélée moins limpide que son énoncé :
-un malaise a surgi chez les immigrés dès lors que l'ouverture et la demande d'accès aux subsides de 1' école Al-Ghazali, ou-
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verture et demande parfaitement légales, ont provoqué une vive réticence du monde politique, au point que la proposition fut faite de modifier la législation sur 1' école afin d'éviter qu'un réseau d'enseignement libre islamique puisse voir le jour. Si les autorités publiques concernées ont annoncé leur intention de ne pas exclure 1' enseignement islamique du bénéfice des lois scolaires, le malaise a subsisté : les refus d'inscription dans certaines communes qui ont anticipé des changements législatifs, les refus d'accueil de réfugiés politiques, 1 1 absence - fondée sur des motifs juridiques solides mais difficilement accessibles au profane - de cours de religion musulmane ici et là, les débats sur 1' école Al-Ghazali puis sur le hijab (qu'aucune loi n'interdit explicitement) ont fait naître le sentiment qu'au moment précis où la société d'accueil demande aux immigrés de respecter ses lois, elle-même semble prête à les mettre sélectivement entre parenthèses;
- l'appel au droit est aisément entendu aussi longtemps qu'aucun conflit de normes ne surgit, que le corpus législatif penche clairement dans une direction déterminée. Or le débat sur le foulard et 1' islam a au contraire fait surgir des conflits de normes législatives qui rendent bien des prises de position insuffisantes. En effet, refuser de suivre certains cours au nom de l'article 14 de la Constitution (liberté de culte et d'opinion) revient à oublier que cette liberb~ n'est plus garantie aussitôt que son exercice engendre un délit, ce qui est bien le cas lorsqu'on se soustrait à 1' obligation scolaire. Par ailleurs la neutralité de l'école officielle (art. 17 de la Constitution) joue en faveur du hijab dans la mesure où l'école publique ne peut refuser ou exclure un élève en raison de ses conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses, mais elle n'enlève rien à l'interdiction de toute propagande politique dans les établissements scolaires (Pacte scolaire, point 7), ce qui conduit à proscrire le foulard s'il devient symbole d'intégrisme. Faut-il ajouter que ce double conflit de normes (99), qui s'est posé en termes similaires en France, explique les nuances et la complexité des avis rendus par les juristes, l'Etat de droit valant respect de tout le droit et des droits de tous, au mépris parfois de la liberté absolue à laquelle nous réduisons mythiquement la démocratie ?
Mais l'ambiguïté introduite par l'exigence de respect des normes éclate surtout lorsqu'on mêle normes législatives et normes sociétales, les conflits de normes ne pouvant désormais plus être liquidés par voie judiciaire. Or cette confusion entre normes lé-
(99) Quant à 1' Inextricable conflit de normes relatif à 1 'organisation actuelle des cours de religion Islamique, cfr. supra, p.45.
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gislatives et normes sociétales a sous-tendu les velléités d'interdiction de l'école Al-Ghazali, refusée au nom de la lutte contre les ghettos et 1' intégrisme alors que rien ne pouvait lui être reproché légalement parlant; de même, l'abolition du hijab a été réclamée par souci de faire reculer le sexisme, lequel pourtant n'est pas un délit hormis les cas expressément prévus par la loi (législation sur le mariage, le travail, etc.). Il faut se réjouir à cet égard que cette confusion entre les lois et les valeurs dominantes ait été levée par le Commissariat royal à la politique des immigrés, qui dans son rapport distingue (lOO) :
- les principes et valeurs essentiels pour l'établissement et le maintien de l'ordre social, qui à ce titre ont trouvé une traduction constitutionnelle et/ou législative et sont donc juridiquement contraignants pour tout citoyen, qu'il soit belge ou étranger : ce sont les normes législatives; les "principes sociaux fondamentaux" qui sont acceptés par l'écrasante majorité des autochtones, organisent les moeurs et peuvent servir de source d'inspiration pour des législations nouvelles, mais qui n'ont pas forcément été coulés sous forme législative. L'émancipation de la femme par exemple fait aujourd'hui partie de ces "principes sociaux fondamentaux", qu'on aurait baptisés jadis d'idéologie dominante et que nous appelons pour notre part "normes sociétales" pour mieux les distinguer des normes législatives;
- les expressions culturelles qui ne contreviennent ni aux normes législatives ni aux normes sociétales. Elles ne posent guère de problèmes relativement à 1' immigration puisque la Belgique a une longue tradition de tolérance à cet égard : si le hij ab n'était, sans ambiguïté possible, qu'une coutume vestimentaire, il n'y aurait pas eu d'"affaire du foulard" sous la forme qu'on lui cannait.
L'intérêt de la distinction établie entre ces trois niveaux de normes et de pratiques n'est manifestement pas, dans le chef du Commissariat royal, seulement théorique : cette hiérarchie de valeurs permet de proposer une politique d'intégration/insertion fondée notamment sur le respect universel des normes législatives, la promotion auprès des immigrés des normes sociétales qu'ils seront encouragés à partager rapidement, et le "respect sans équivoque de la diversité culturelle", soit la liberté de conserver toutes les coutumes qui ne contreviennent ni aux normes législatives ni aux normes sociétales (101). La polygamie est
(100) Commissariat royal à la politique des Immigrés, op. clt., vol. 1, PP• 35-37. (101) Sur cette politique d'Intégration, Ibidem, PP• 37-39.
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interdite, 1' égalité des sexes sera encouragée, 1' art culinaire réservé à l'appréciation de chacun. Soit une politique qu'à titre personnel nous jugeons parfaitement pertinente, mais qui, dans sa formulation actuelle, nous parait laisser deux questions essentielles sans réponse :
- comment concr6tiser une politique de promotion des normes sociétales sans entrer en conflit avec les normes législatives, que ce soit en termes de méthode ou de contenu ? D'une part, les méthodes adoptées ne sauraient aller à l'encontre des libertés fondamentales inscrites dans notre système juridique : qu'on s'en réjouisse ou non, il eût été illégal de fermer 1' école Al-Ghazali ou d'interdire systématiquement le port du hijab; il serait de même illicite d'entrer dans les mosquées pour s'inquiéter des doctrines qui y sont proposées aux fidèles, comme d'aucuns pourtant semblent tentés de le faire. D'autre part, certaines normes soci8 tales majeures sont cependant en contradiction avec des normes législatives fondatrices de notre système social le souci d'émancipation de la femme n'enlève rien à la liberté des familles en matière d'éducation (sauf cas extrêmes prévus par la loi), et l'égalité des citoyens devant la loi empêche qu'une catégorie de la population puisse seule être inquiétée sur ce point. Inutile d'ajouter que le Commissariat royal n'ignore pas qu'à faire passer les normes sociétales avant les normes législatives, nous changerions de mode d'organisation politique;
- le conflit entre normes législatives et normes sociétales se redouble de tensions internes aux normes sociétales : les adolescentes qui se sont solidarisées avec les jeunes filles qui portaient le foulard ont opposé, à une norme sociétale (l'antisexisme), une autre norme sociétale, la liberté de choix, l'individualisme ("Si ça leur plaît, qu'on les laisse tranquille"). Un choix sera-t-il dès lors opéré entre les normes sociétales qu'il s'agit de promouvoir? En tout état de cause,il est vraisemblable qu'en Belgique singulièrement on ne fera pas disparaître les conflits de normes en conduisant l'immigration à intérioriser les normes sociétales autochtones.
Les droits des minorités
Qu'il s'agisse de l'école islamique ou du foulard, le "droit à la différence" a régulièrement été mis en avant par les tenants de la liberté de choix des immigrés en ces matières. Mais la discussion sur ce thème est restée aussi confuse et indescriptible que les débats sur la laïcité; il s'agit de part et d'autre de prin-
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cipes acceptés par le plus grand nombre mais auxquels chacun donne une signification propre qui constitue souvent l'essentiel de 1 1 argumentation proposée ("définissant la laïcité ou le droit à la différence en ces termes, j'en conclus que ••• 11
). Nous ne pouvons donc, cette fois encore, répercuter l'ensemble des prises de po si tian qui ont émaillé la polémique : cela reviendrait à proposer un dictionnaire et à accroître la confusion. Nous essaierons donc, en quelques lignes, de circonscrire le problème plus technique et fondamental du droit des minorités en régime démocratique.
Toute démocratie rencontre tôt ou tard le problème des minorités, pour des raisons qui tiennent à l'histoire (les nations démocratiques modernes sont des agrégats de groupes linguistiques, régionaux, sociaux, religieux, ethniques, etc., dont les intérêts particuliers ne se confondent pas forcément avec !'"intérêt général" de la nation ( 102)) mais aussi à la nature même de la démocratie : fondée sur la liberté, la démocratie s'accommode mal du pouvoir exercé par la majorité sur les minorités; fondée sur l'égalité, la démocratie hésite à conjurer la 11 dictature 11 majoritaire en instaurant des statuts séparés qui mettraient fin à l'égalité de tous devant la loi. Le bricolage a donc été et reste de mise pour éviter ces deux écueils, les solutions retenues variant au gré des héritages historiques et de l'évolution des rapports de force politiques : chacun sait qu'en Belgique le dossier n'est pas clos en matières linguistique et régionale.
Est-il imaginable dès lors d'ouvrir ce dossier pour l'immigration maghrébine et turque, au nom de sa spécificité musulmane ? La question a affleuré à diverses reprises au cours de la polémique - avec trop d 1 insistance que pour être négligée, mais pas assez de consistance que pour être traitée sur le fond : nous nous bornerons donc à apporter quelques éclaircissements élémentaires sous forme de remarques résolument elliptiques.
Nous n'avons aucune raison en Belgique de reprendre à notre compte l'idéologie républicaine qui reste dominante en France (103). La démocratie en France se conçoit toujours comme lutte révolutionnaire contre 11 Ancien Régime, c 1 est-à-dire comme avènement
(102) On salt que 1 'Idée d'intérêt commun ou national, développée par les monarchies naissantes en lutte contre 1 'aristocratie, a été reprise par 1 'Idéologie démocratique car elle permettait de s'opposer à l'Intérêt particulier d'un homme (le roll ou d'une classe Cl'arlstocratlel; Il est significatif à cet égard qu'au 19ème siècle encore la constitution de partis politiques représentatifs d'Intérêts singuliers semblait contraire à l'essence même de la démocratie. (103) R. Debraya brillamment Illustré cette Idéologie dans "Etes-vous démocrate ou républicain ?11 , Le Nouvel Observateur, No 1308, 30 novembre 1989, PP• 115-121.
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volontariste d'une nation une et homogène composée d'individuscitoyens définis par leur commune appartenance à la république, abstraction faite de toute structure collective (religieuse, régionale, ••• ) intermédiaire entre l'Etat et l'individu. La république articule directement 1' individu sur la nation, selon la fameuse formule de l'abbé Grégoire sur l'émancipation des juifs : tout leur accorder en tant qu'individus, ne rien leur accorder en tant que communauté. La Belgique au contraire a rompu depuis longtemps avec ce mythe républicain : nous définissons plus volontiers la démocratie comme gestion des conflits d'intérêts entre groupes spécifiques et pensons 1' individu comme foyer d' appartenances multiples (linguistiques, sociales, philosophiques, etc.).
Tous les niveaux d'appartenance pour autant ne s'équivalent pas : seules les appartenances linguistiques et/ou régionales ouvrent le champ, dans les pays de type fédéral, à une multiplicité de pouvoirs et de systèmes législatifs autonomes, mais organisés sur un mode démocratique et dont le domaine de compétence est limité. L'autonomie d'une communauté religieuse, au contraire, n'aurait de sens qu'à être fondée sur la reconnaissance plénière d'une législation divine incompatible avec les lois humaines - reconnaissance qu'un Etat laïque ne saurait accorder et qui reviendrait à soumettre les membres des communautés religieuses aux autorités qui se prétendent l'interprète légitime de la loi divine (104).
Or personne ou presque dans 1' immigration n'est demandeur d'un statut collectif distinct fondé sur 1' appartenance religieuse : prétendre le contraire revient à réduire l'immigré à sa culture d'origine (ou celle de ses parents), cette culture à la religion et cette religion à une unité factice et introuvable. Il n'y a pas d'immigration ou de communauté musulmanes mais des individus issus de pays de tradition musulmane, qui pas plus que quiconque ne règlent leur existence sur leurs seules et éventuelles préoccupations religieuses : comme les nôtres, leurs allégeances sont multiples, relatives et contradictoires (105), les "musulmans" n'arrivant à se définir de plus en plus souvent comme tels qu'en réponse à ceux qui, de 11 extérieur, les enferment dans cette "identité". La majorité des jeunes Maghrébins sont assurément fa-
(104) Cette ouverture d'une enclave théocratique, outre ses probables effets de ghetto, aura 1 t auss 1 pour conséquence de contra 1 ndre 1 es 1 nm 1 grés maghréb 1 ns et turcs à choisir la communauté et les lofs auxquelles Ils feront allégeance, avec toutes les tensions que cela entratneralt <accusations d'apostasie, Incapacité de trancher, etc.). < 105 > Ce po 1 nt est au coeur du Courr 1er hebdomada 1re No 1187-11 88 déjà c 1 té, et br Il 1 amment déve 1 oppé par P. V eyne dans Les Grecs ont-lis cru à 1 eurs mythes 1, Le Seuil, Paris, 1983. ·
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vorables à une morale sexuelle à deux vitesses, mais boivent de l'alcool, mangent du porc ou pratiquent le Ramadan autant par fidélité au groupe que par conviction religieuse : ils font ainsi quotidiennement la preuve qu'ils souhaitent pouvoir rester différents de leur différence.
La question du statut de la minorité musulmane nous paraît donc se réduire en définitive à deux interrogations concrètes : la possibilité d'accès des musulmans aux sphères d'autonomie reconnues à tous dans le droit belge (la "pil iarisation", les libertés individuelles, etc.), d'une part; les aménagements envisageables dans l'organisation quotidienne de l'espace public (écoles, hôpitaux, ••• ) et qui permettraient de respecter aux moindres frais les sensibilités de tous, d'autre part- soit des problèmes de gestion plutôt que de principes.
La question du droit de vote
Le débat sur l'islam a confirmé la définition de Daniel Sibony : "un groupe est un ensemble de gens décidés à se taire sur la même chose, surtout s'ils ignorent laquelle". Il ne fut en effet pratiquement jamais question du droit de vote au cours de la polémique, la mise en vedette du foulard et de l'islam ayant manifestement donné corps aux convictions de ceux qui souhaitent subordonner le droit de vote à la naturalisation, c'est-à-dire à la manifestation explicite d'une volonté d'intégration et d'adhésion aux normes sociétales autochtones. Au regard de cette attitude dominante, les plaidoyers en faveur du droit de vote sont restés rares et discrets, se fondant généralement sur les données sociologiques que sont la cohabitation et l'intégration : il faut intégrer pleinement ceux avec qui nous cohabitons déjà. Et pourtant quelques indices et la logique permettent de penser que le récent débat sur l'islam aura, dans l'immigration tout au moins, fait progresser l'idée du droit de vote.
Tout au long du débat en effet, les appels se sont multipliés en faveur du respect des lois, de même que l'on a beaucoup insisté sur la réciprocité des droits et des devoirs, sur la valeur protectrice de la contrainte. La polémique a ainsi approché au plus près d'une question cruciale, à savoir la légitimité de la contrainte, le fondement de la soumission aux normes. Dans l'histoire occidentale - histoire des idées comme histoire tout court -, ce fondement comme on le sait ré si de dans le vote, c' est-àdire dans le fait que, se soumettant aux normes législatives, l'électeur se soumet en réalité aux lois qu'il a contribué à for-
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ger à travers son vote, à travers le choix qu' il a fait de ses représentants au pouvoir législatif. Cette participation à l'élaboration des lois a pour conséquence que, obéissant au pouvoir, chacun n'obéit en fait qu'à soi-même : préservation de la liberté sous l'autorité, qui confère une légitimité au pouvoir au moment où l'Occident découvre, avec les Lumières et la révolution française, que les hommes à l'origine naissent libres et égaux, indépendants de tout pouvoir. Seul 1' exercice des droits poli tiques assure la pleine réciprocité des droits (d'élaborer les lois) et des devoirs (de se soumettre aux lois).
Ce raisonnement très simple, qui a trouvé son slogan politique sous la révolution américaine ("No taxation wi thout representation") et sa plénitude théorique chez Rousseau, a accompagné plus de deux siècles d'histoire occidentale. Il offrait en effet un fondement poli tique et théorique au processus de participation croissante des gouvernés au pouvoir qu'ils subissent, processus qui a successivement profité à la bourgeoisie possédante (révolutions anglaise, française, ••• ),à la bourgoisie lettrée (suffrage capacitaire en sus du suffrage censitaire), aux classes populaires (abandon du suffrage capacitaire et censitaire, instauration du suffrage "universel" masculin), aux femmes (suffrage universel pour les autochtones). La question reste donc posée de savoir si, après avoir tant insisté auprès des immigrés sur la réciprocité des droits et des devoirs, l'histoire rendra cette réciprocité universelle et complète.
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