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“1936 ne fut pas seulement des manifestations bon enfant et des meetings gigantesques, associés dans la mémoire populaire aux congés payés et à la semaine de 40 heures : il s’agissait d’une gigantesque grève de masse, suscitée dans la classe ouvrière par la volonté de battre le fascisme, d’empêcher la guerre et d’imposer une autre société.” Simone Weil. In La Condition ouvrière, Paris, Gallimard, 1951 Agrégée de philosophie et écrivain, Simone Weil a été manœuvre chez Alsthom et Renault en 1934-1935 GRÈVES EN ISÈRE 1936 MUSÉE DE LA VISCOSE / ÉCHIROLLES

Livret exposition 1936, greves en Isere

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Livret exposition 1936, greves en Isère

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Page 1: Livret exposition 1936, greves en Isere

“1936 ne fut pas seulement des manifestations bon enfant et des meetingsgigantesques, associés dans la mémoire populaire aux congés payés et à la semainede 40 heures : il s’agissait d’une gigantesque grève de masse, suscitée dans la classeouvrière par la volonté de battre le fascisme, d’empêcher la guerre et d’imposerune autre société.” Simone Weil. In La Condition ouvrière, Paris, Gallimard, 1951

Agrégée de philosophie et écrivain, Simone Weil a été manœuvre chez Alsthom et Renault en 1934-1935 GRÈVES EN ISÈRE1936

MUSÉE DE LA VISCOSE / ÉCHIROLLES

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C’est au regard de son caractère exemplaire que le Musée de la Viscose a été conforté parle Conseil général de l’Isère, qui a souhaité lui donner le statut d’établissement départe-mental. Fondé par des anciens ouvriers et techniciens au moment de la fermeture de l’usine,il est ensuite passé sous la tutelle de la Ville d’Échirolles avant d’être départementalisé.L’objectif des conseillers généraux est bien évidemment de lui donner les moyens de sarénovation, mais de lui confier aussi une mission, d’intérêt départemental. Il s’agit en effetde constituer, autour du fonds initial, un établissement de conservation et de diffusionpublique sur le thème de la mémoire ouvrière.

On le sait, quantité de musées ont vu le jour pour témoigner de la “fin des campagnes” etdes changements profonds qui ont affecté la vie traditionnelle en milieu rural. Rien de lasorte n’a été effectué s’agissant du monde ouvrier et de la société industrielle. Une partpourtant essentielle de notre mode de vie contemporain est redevable de l’histoire particu-lière vécue par ceux qui composaient alors le prolétariat, et redevable surtout à leurs luttespour de meilleures conditions de vie et de travail.

Que la préparation de ce futur musée de la Mémoire ouvrière commence par une évocationdes grèves de 1936 en Isère constitue à cet égard un signe prometteur.

PRÉFACEAndré ValliniPrésident du Conseil généralDéputé de l’Isère

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1936 pour certains, 36 pour d’autres, une année emblématique, voire mythique, dansl’histoire du monde ouvrier puisque c’est elle qui voit l’application de la semaine de 40 heureset les premiers congés payés, l’occasion pour des milliers d’ouvriers de sillonner les routesde France en vélo et découvrir, pour la première fois, les joies de la mer en famille.Nombreuses sont les images qui renvoient à cette période que ce soit les scènes de débrayageset de grèves dans les usines, les poings levés lors de rassemblements de masse ou encore lesbals et les flonflons dans une ambiance bon enfant. Mais au-delà des clichés, 36 c’est avanttout la victoire d’un front syndical et politique uni contre le fascisme et une formidableavancée sociale.

Soixante-dix années nous séparent aujourd’hui de ces évènements, mais l’intérêt est toujourslà, comme en témoignent les nombreux ouvrages ou articles parus à l’occasion de cettedate anniversaire. Dans le département de l’Isère, c’est au Musée de la Viscose, désormaistransféré au Conseil général, que revient l’honneur de présenter une exposition sur le thèmedes grèves de 1936 en Isère. Cet établissement culturel, promis, dans les années à venir, àêtre rénové, devrait être élargi au thème plus général de la mémoire ouvrière, grande absentedu monde des musées et des lieux de mémoire. L’exposition 1936, Grèves en Isère, préfigurece futur musée et nous invite, dès à présent, à la rencontre de ces hommes et de ces femmes,acteurs de l’histoire ouvrière en Isère et dont l’identité repose sur un fort attachement àune mémoire commune.

AVANT-PROPOSSYLVIE VINCENT

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LA CLASSE OUVRIÈREEN 1934 & L’ÉMERGENCEDU FRONT POPULAIRE

“NOUS FAISONS LE SERMENT DE RESTER UNIS POUR DÉFENDRE LA DÉMOCRATIE,POUR DÉSARMER ET DISSOUDRE LES LIGUES FACTIEUSES, POUR METTRE NOSLIBERTÉS HORS DE L’ATTEINTE DU FASCISME.

NOUS JURONS, DE DÉFENDRE LES LIBERTÉS DÉMOCRATIQUES CONQUISES PAR LEPEUPLE DE FRANCE, DE DONNER DU PAIN AUX TRAVAILLEURS, DU TRAVAIL À LAJEUNESSE ET AU MONDE LA GRANDE PAIX HUMAINE.” Serment du Front Populaire, le 14 juillet 1935

Ateliers et Chantiers de la Loire à Saint-Denis

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LA CRISE ÉCONOMIQUE ET LA MENACE POLITIQUE

En 1934, la France subit encore les dommages de la Première Guerremondiale. En proie à une crise démographique et économique, laproduction industrielle ne progresse pas. Les ouvriers connaissent lechômage et la misère surtout dans les secteurs du textile, de lamétallurgie et du bâtiment. Divisée entre la Confédération généraledu Travail (C.G.T) et la Confédération générale du Travail Unitaire(C.G.T.U), la classe ouvrière n’est pas suffisamment puissante niorganisée pour lutter contre le “mur d’argent” des “200 familles”.Dans ce contexte de crise économique, des associations “nationales”appelées “ligues factieuses” émergent. Sous les noms de “Croix-de-Feu”ou “Camelots du Roi”, elles rêvent de renverser la République pourcréer comme en Italie (1922), puis en Allemagne (1933), un régimefasciste. En janvier et février 1934, elles impulsent de nombreuses etviolentes manifestations de rues.Face à cette menace grandissante, le 12 février 1934, des rassemble-ments ont lieu dans toute la France. Appelés par le Parti communisteet la Section française de l’Internationale ouvrière (S.F.I.O), les manifes-tants fusionnent en criant “Unité d’action”, “À bas le fascisme”. L’unitésyndicale commence alors à se cimenter.

La Section française del’Internationale ouvrière(S.F.I.O), née en 1905 de la réunionde différentes écoles socialistes,est l’ancêtre du Parti socialiste.

La Confédération générale duTravail unitaire est née en 1921d’une scission de la Confédérationgénérale du Travail. Elle regroupaitsyndicalistes révolutionnaires etcommunistes, mais fut rapidementdominée par ces derniers. L’unionC.G.T-C.G.T.U, sous le sigle C.G.T,fut reconstituée au congrès deToulouse en février 1936.

LE GOUVERNEMENT DU FRONT POPULAIRE

L’unification syndicale et politique se confirme le 14 juillet 1935 lors d’une grande manifes-tation antifasciste. Ce jour là, les partis politiques de gauche, les syndicats et de nombreusesassociations annoncent un programme commun en vue des législatives de 1936 : Le Frontpopulaire. Le 3 mai 1936, le bloc du Front populaire remporte les élections législatives etun gouvernement est constitué avec, à sa tête, le socialiste Léon Blum.

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SOUDAINLE TRAVAIL CASSE SA CHAÎNE & POSE SON OUTIL

Jacques Prévert, extrait d’un texte de 1936

LES GRÈVES DE 1936 ET LES OCCUPATIONS D’USINE

Cette victoire donne confiance au monde ouvrier qui déclenche unpuissant mouvement de grèves dont les signes s’étaient déjà manifestésen avril et mai dans les usines aéronautiques au Havre (Bréguet), àToulouse (Latécoère) et à Courbevoie (Bloch). Rapidement les grèvess’étendent à toute la France.Pour stopper cette déferlante, dès le 7 juin, Léon Blum réunit à l’hôtelMatignon les représentants du monde syndical ouvrier et du patronat.Ensemble ils signent les “accords Matignon” qui prévoient une haussedes salaires et la reconnaissance du droit syndical.Néanmoins, face aux hésitations du patronat pour mettre en place cesaccords, les grèves se poursuivent tout au long du moins de juin etquelquefois jusqu’à l’automne.

Ce sont des “grèves sur le tas” caractérisées par l’occupation des usines.Les ouvriers prennent possession de leurs instruments de travail dansle calme et la discipline. Devant les grilles pavoisées de drapeaux rougeset tricolores, les piquets de grève contrôlent les entrées et sorties. Àl’intérieur, le pouvoir est aux mains d’un comité de grève qui assure ladiscipline, la sécurité, le ravitaillement et les activités de loisirs. Onjoue aux cartes, aux boules, on écoute de la musique, on danse…Chaque jour lors d’une assemblée du personnel, les délégués rendentcompte des négociations et donnent des consignes.

“… Il s’agit après avoir toujours plié, tout subi, tout encaissé en silence pendantdes mois et des années, d’oser enfin se redresser. Se tenir debout. Prendre la paroleà son tour. Se sentir des hommes pendant quelques jours. Indépendamment desrevendications cette grève en elle-même est une joie. Une joie pure. Une joie sansmélange. Oui une joie…” Simone Weil. In La Condition ouvrière, Paris, Gallimard, 1951

Match de boxe aux Ateliers et Chantiers de la Loire, Saint-Denis

L’heure du repas dans l’usine Christofle occupée, Saint-Denis

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LES GRÈVES EN ISÈRE

“… EN 1936. C’EST L’ANNÉE OÙ LA CGT A EU DISONS 80 000 ADHÉRENTS. EN CE QUICONCERNE LES RÉSULTATS DES GRÈVES DE 1936, CHEZ FIT NOUS AVIONS FAIT TROISSEMAINES DE GRÈVE. ET JE ME RAPPELLE QU’EN CE QUI ME CONCERNE, MONSALAIRE HORAIRE ÉTAIT À L’ÉPOQUE DE 2 [FRANCS] 30. C’ÉTAIT UN SALAIREINCONTESTABLEMENT, ANORMALEMENT BAS SELON LA FORMULE. D’AILLEURSDANS LES PRODUITS CHIMIQUES ET DANS LE CAOUTCHOUC, LE SALAIRE ÉTAIT UNDÉSASTRE…” Henri Vizioz (FIT). Témoignage recueilli par Clément Bon, militant syndical et instituteur et Robert Despres, agrégé d’histoire, en juillet 1976.

Usine Experton à Renage

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“… Il y a eu l’accord de 36 dans la métallurgie et des accords par entreprises : augmen-tation des salaires, etc. Voilà, ce que l’on a fait en 36. Moi, je prenais le train tous lessoirs pour revenir à Voiron. Je restais voironnais. Sandra me dit, “tu restes à Voiron parceque là-bas ils savent plus quoi faire. Il y a des gens en pagaille, ils veulent se syndiquer”Je lui dis d’accord, je reste à Voiron et je m’occupe des syndicats…”

Gaston Charreton, ancien secrétaire général de l’UD CGT-IsèreTémoignage recueilli par Olivier Cogne (Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère) et Michel Szempruch (Association Repérages), le 14 février 2006

1934, VERS L’UNIFICATION SYNDICALE

Depuis la scission de 1921, la Confédération générale du Travail(C.G.T) et la Confédération générale du Travail Unitaire (C.G.T.U)n’ont pas abandonné l’espoir d’une unité syndicale. Les menaces fascisteset la montée des problèmes sociaux vont favoriser ce rapprochement.En Isère, la grève nationale du 12 février 1934, organisée à l’initiativede la CGT et groupant syndicalistes, communistes et socialistes pourla “défense des libertés” remporte un très grand succès à Grenoble avec30 000 personnes défilant dans les rues. De la même façon, la venuele 10 juin de Philippe Henriot, Député et membre d’organisationsd’extrême droite, provoque une émeute place Saint-Bruno. Retranchésderrière des barricades, les ouvriers le font reculer avant de défilertriomphalement sur le cours Berriat.Dès lors, le courant unitaire est en marche. Alors qu’à Paris la CGTrefuse les pourparlers demandés par la CGTU sur les créations syndicalesuniques, le 18 septembre est créé en Isère le syndicat unique desmétallurgistes, le 16 novembre celui des gantiers, le 20 celui descheminots.

La manifestation du 14 juillet 1935 renforce encore la cohésion. Cejour-là, à Grenoble, un cortège de 10 000 personnes marche de la placeSaint-Bruno vers la place Notre-Dame derrière des drapeaux rouges etdes banderoles défiant le patronat, la guerre et le fascisme. Devant lemonument des Trois ordres, le professeur Blet, radical socialiste etrépublicain, ponctue la manifestation d’un discours et de la lecture duserment du Front populaire.L’unité syndicale est confirmée le 28 décembre 1935 lors du congrèsdépartemental unitaire au cours duquel Georges Sandra est élu secrétairegénéral de la nouvelle Union. À ses côtés, on trouve Gaston Charreton,Henry Vizioz, Robert Lyaudet, Louis Mauberret, Louise Beau, HenriSuppo et bien d’autres qui seront d’actifs négociateurs lors des grèvesouvrières de 1936.

Sur le plan politique, les socialistes obtiennent la majorité lors desélections législatives du 3 mai 1936. Sur huit députés, cinq sontsocialistes (Justin Arnol, Léon Martin, Joannès Ravanat, SéraphinBuisset, Lucien Hussel), un radical socialiste rallié au Front populaire(Ginet) et deux radicaux indépendants (Perrin et Buyat).

27 septembre 1935. Les délégués des deux Unions départementales (de gauche à droite) :- en haut : Ferrier, Henri Vizioz, Martial Roux, ?, ? , ?- au centre : André Labouret, Robert Lyaudet, Marius Clerc, Bouzanquet, Chabas- en bas : Leyssieux, Ferrand, Marcel Satre, Georges Sandra, Sulpice, Gabriel Barras

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LES OCCUPATIONS D’USINES

Annonçant les explosions sociales de 1936, le conflit des mineurs deLa Mure débute dès octobre 1935 suite à une baisse des salaires. Aprèss’être assurés de l’unité des deux syndicats CGT et CGTU, les mineursdéclenchent une grève des “bras croisés” de quatre heures le25 décembre. Appuyés et soutenus par les syndicats, les partis politiquesdu Front populaire, les paysans et commerçants du plateau matheysin,les mineurs lutteront du 14 janvier au 24 février. À l’issue de ce longet douloureux conflit, ils obtiennent une hausse de salaire de 15 à 20 %,la levée des sanctions pour faits de grève et une garantie sur le nombreminimum de journées ouvrées par mois.

À Grenoble, les grèves démarrent le 10 juin avec celle des établisse-ments Merlin-Gérin qui entrent les premiers dans la grève. À 18 heures,les ouvriers ferment les grilles d’entrée et occupent les ateliers. Lepersonnel féminin assure le ravitaillement en couvertures et nourriture.Georges Sandra intervient directement dans ce conflit qui dure uneseule nuit. Le 11 juin, également en soirée, c’est à l’entrée de l’usineNeyret-Beylier et Piccard-Pictet (Neyrpic) qu’un piquet de grève éclairéà la bougie se forme. Pendant la nuit, des chanteurs viennent distraireles ouvriers. Le lendemain, le conflit est réglé ainsi que chez Bouchayeret Viallet.À la Bourse du Travail, située rue Berthe de Boissieux, c’est l’efferves-cence. Les locaux débordent de militants ouvriers et de manifestants.Tous les corps de métiers se succèdent pour établir les cahiers de revendi-cations destinés à un patronat hésitant quant à l’application des Accordsde Matignon.Le 14 juin, un grand défilé rassemble les forces de gauche pour fêterles succès du “Front populaire” ce que le journal de La République duSud-Est appelle : “La parade rouge du gymnase municipal”.

Pendant la seconde quinzaine de juin, des établissements comme lesTanneries de l’Isère, Air Liquide, la peausserie Reynier ou Lustucrusont toujours occupés. Chez Valisère, plus d’un millier de personnes,dont une majorité de femmes occupent l’usine. Dans la journée, lesouvrières imaginent des concours de bonnets. Le soir, autour de l’usine,dans les jardins transformés en terrain de pique-nique, les ouvriers del’entreprise F.I.T. les rejoignent avec leur jazz et des bals s’organisent.

La soupe populaire aux mines de La Mure

Les syndicats des produits chimiques de Grenoble

Les femmes de la malle de triage des papeteries de France à Brignoud

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1918

Les établissements des chaussures Pellet, à Vienne

Bal des grévistes aux Usines Merlin Gerin

Usines d’Électro-chimie à Brignoud

Les papeteries de Lancey

“… Pour les accords dans les aciéries de Bonpertuis, ça s’est discuté à la mairie d’Apprieujusqu’à 3 heures du matin. Toute la nuit ! Le patron, il s’endormait ! Mais nous, tupenses, on dormait pas. On lui a fait signer un accord à trois heures du matin…

[…] Oui ! En 1936, on a fait la fête, à tel point que je sais pas si on a pas eu tort.Chaque boîte avait un char et le char précisait le travail qu’ils faisaient. Par exempleles biscuits Brun, ils avaient monté une machine à faire les biscuits !…”

Gaston Charreton, ancien secrétaire général de l’UD CGT-IsèreTémoignage recueilli par Olivier Cogne (Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère) et Michel Szempruch (Association Repérages), le 14 février 2006

Un orchestre s’installe également dans les services d’emballage desétablissements Cartier-Millon. À Saint-Martin d’Hères, la grève dansla biscuiterie Brun dure une journée et demie. Monsieur Paul Billat,ouvrier confiseur et porte-parole de la délégation syndicale, obtientalors des résultats spectaculaires quant aux hausses de salaires. Pour leremercier, le 15 août, les ouvriers organisent une fête au cours de laquelleils lui offrent un vélo et un chronomètre.

Parallèlement à ces occupations d’usines, certains conflits se durcissentavec le temps comme chez les garçons de café qui, malgré un accordsigné le 20 juin, doivent faire face à des menaces de licenciement, etréactivent, de ce fait, le mouvement. Pour l’anecdote, lors d’une rixeentre grévistes et militants d’extrême droite mandatés par les patrons,Georges Sandra perdra deux dents. Le Travailleur Alpin du 27 juin1936 relate la demande d’intervention de ce dernier au préfet dans unconflit qui prend alors une tournure politique.

Le 2 juillet 1936, La Dépêche Dauphinoise fait état de 291 accords signésà la préfecture de l’Isère, intéressant 50 000 salariés. Le préfet est souventdésigné comme médiateur entre ouvriers, syndicats et patrons pourleur élaboration.À la fin du mois d’août, les patrons de la métallurgie refusent toujoursd’augmenter les salaires et d’appliquer à Grenoble, l’accord obtenu dansla région lyonnaise. Il s’ensuit un mouvement de protestation qui seprolonge tout au long du mois de septembre.

De l’origine du conflit à la négociation des conventions collectives,Louise Beau chez Valisère, Henri Vizioz chez F.I.T, Marius Boulognedans les papeteries et fonderies du Grésivaudan, Marius Clerc chez lesfonctionnaires de la ville de Grenoble, ou encore Gaston Charreton àVoiron, tous jouent alors un rôle primordial.

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SOUDAINLE TRAVAIL CASSE SA CHAÎNE & POSE SON OUTIL

Jacques Prévert, extrait d’un texte de 1936

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4 juin Les ouvriers de Merlin Gerin déposent leur cahier de revendications. Ils occupent l’usine le10 juin à partir de 18 heures et obtiennent un accord le 11 juin.Les ouvriers de Neyret & Beylier et Piccard & Pictet (Neyrpic) déposent leur cahier derevendications. Ils occupent l’usine le 11 juin et obtiennent un accord le 12 juin.

12 juin Une première réunion a lieu chez Valisère qui débouche sur un cahier de revendicationsdéposé le 13 juin. Le 15 juin, l’usine est occupé et les accords sont signés le 21 juin.Occupations : Para ; F.I.T ; Berliat ; Dragon.

13 juin Occupations : Limousin & Descours ; Les mines de La Mure.

15 juin Occupations : Cartier-Million ; Le Prophète ; Moynet & Odet (papeterie) ; les tôleriesVialis ; Confiserie des Alpes.

16 juin Grèves : mégisseries Reynier ; Meissonier ; Air liquide ; Belle-Clot.Les ouvriers des Tanneries de l’Isère déclenchent une grève qui aboutit sur un accord le 18 juin.Les ouvriers de la Viscose présentent un cahier de revendications. La grève débute le 18 juinet les accords sont signés le 24 juin.

17 juin Un accord est signé pour les garçons de café qui déclenchent une nouvelle grève le 22 juin.Occupations : bâtiment ; plombiers-zingueurs ; Papeterie Nicolet ; camions et transports ;Teinturerie Naudin.Fermeture des Galeries Modernes et des Dames de France face aux menaces de grèves. Desaccords sont signés le 6 juillet.

18 juin Grèves : Brun (Saint-Martin d’Hères) ; Prosper David ; Nicollet et Roux.

19 juin Malgré un accord signé pour les électriciens, ils déclenchent une nouvelle grève le 17 octobre.Un nouvel accord est signé le 26 octobre.

20 juin Grèves : Vicat ; Petrolier ; Grands Magasins.

23 juin Occupations : les teintureries-dégraissages : Chounet ; Lerat.

25 juin Grève : les cinémas.

29 juin Les chômeurs occupent le fond de chômage.

1er juillet Grève : garçons coiffeurs.

4 juillet Conflits : papeteries.

11 juillet Grève : Asile Saint-Robert.

30 juillet Les ouvriers photographes entrent en grève. Un accord est signé le lendemain.

1er août Assemblée générale des ouvriers métallurgistes. Réouverture des pourparlers le 25 août.Grève décidée le 2 septembre et accord le 26 septembre.

2 août Grève : Belle-Clot à la suite de 12 licenciements, accord le 5 août.

4 août Grève : dans 17 mégisseries à la suite de renvois.

13 août Grève : Delachenal.

12 octobre Grève : Manufacture Franco-Suisse de ski.

17 octobre Grève : usine Terray (mégisserie), renvoi de 20 ouvriers.

DATES DES PRINCIPALES GRÈVES À GRENOBLE ET EN ISÈRESource Archives départementales de l’Isère

Les grévistes de la Viscose gardent l’entrée de l’usine côté “Drac”

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“ Je m’en souviens bien. On venait tous les matins pour faire le piquet. Le chef de servicefaisait grève, mais il nous pointait quand même. On dansait, on faisait des chapeauxdans la cour. Quand les patrons rentraient, on ne sifflait pas. Toutes les machines ontété arrêtées. Ça a duré trois semaines, sans disputes. L’usine avait environ 500 ouvrierset ouvrières. On ne faisait pas de politique. Tout le monde était à la CGT, il n’y avaitpas d’autre syndicat ! on a mis le drapeau rouge en haut de la grande cheminée, maisc’était bon enfant. Ce n’était pas chacun de son côté comme après.”

Antoinette Moro. Fille de cultivateurs d’Échirolles, elle entre à l’usine à l’âge de 16 ans.

L’EXEMPLE DE L’USINE DE VISCOSE À GRENOBLE

La Société nationale de la Viscose, créée en 1925 par l’industriel lyonnaisEdmond Gillet, est installée sur les bords du Drac, à la frontière descommunes de Grenoble et d’Échirolles. En 1936, cette entreprise desoie artificielle emploie près de 700 ouvriers.

Du 18 au 24 juin, l’usine, alors dirigée par monsieur Pierre Fries, estoccupée par les ouvriers. Ces derniers demandent la distribution delait pour ceux qui travaillent devant les bains d’acide, la fourniture devêtements spéciaux et avant toute chose : une augmentation des salaireset la suppression du système de primes au rendements mis au pointpar Charles Bedaux et instauré dans l’usine en 1927.

Dès le 19 juin, toutes les demandes sont acceptées par la direction saufles revendications salariales qui doivent être présentées aux dirigeantsdu consortium à Lyon. Les ouvriers continuent donc d’occuper l’usine.Dans le calme, ils font tourner les machines à vide pour éviter toutedétérioration. Sur la porte de la menuiserie où est installé le comité degrève, ils ont fixé une bannière rouge avec trois mots “calme, dignité,loyauté” et ont fabriqué un cercueil destiné à recevoir la dépouille dusystème Bedaux. En haut de la cheminée de l’usine flottent le drapeautricolore et le drapeau rouge. Dans la matinée du 19 juin, les ouvriersreçoivent la visite du Docteur Martin, député de l’Isère ainsi qu’unedélégation d’ouvriers et ouvrières de Valisère.

Le comité de grève est présidé par le responsable syndical Galléa. Lorsdes assemblées générales, il transmet aux grévistes les résultats obtenusau cours des discussions avec la direction. Ses paroles sont instanta-nément traduites par les représentants qualifiés des sept nationalitéstravaillant à l’usine : espagnols, italiens, polonais, hongrois, russes,allemands et arméniens. À la fin des discours, les ouvriers chantentl’Internationale sous les fenêtres de la direction.

Le 24 juin vers 17 heures, les ouvriers obtiennent gain de cause etévacuent immédiatement les ateliers. L’accord signé met en applicationle plan Matignon et donc entérine une augmentation des salaires et lasuppression du système Bedaux qui imposait un rythme de travailharassant.

Charles Bedaux (Paris 1888 -Miami 1944) - Ingénieur françaisqui mit au point un système demesure du temps de travail,applicable dans l’exécution detoute espèce de tâche. L’unité demesure était le point-minute, oupoint-Bedaux. Inspiré duTaylorisme, il s’agissait d’unsystème de prime au rendement.

Au cours des grèves de 1936, lesystème Bedaux cristallise unepart importante des revendicationsouvrières dans l’industrie textilecomme dans l’industrieautomobile, notamment chezPeugeot à Sochaux.

Intérieur de l’usine de la Viscose, les ateliers sont occupés

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Piquet de grève devant l’entrée de l’usine Les grévistes

Départ pour une manifestation

Élection des rois et reines de beauté

Dans la cour de l’usine

L’usine est occupée dans la bonne humeur Grévistes devant le poste de garde à l’entrée de l’usine

Après l’assemblée générale, un cortège se forme…

Bannière rouge et cercueil du “Bedaux”

… Le cortège part vers le crassier afin d’enterrer le “Bedaux”

Le responsable Galléa et les traducteurs lors d’une assemblée générale

Les filles tricotent sur le crassier de l’usine

Souvenir de la grève (carte postale)

“Pendant les grèves de 1936, j’ai passé les huit joursdans l’usine, nous dormions sur place. La journée

c’était le bal, là où il y a les vélos. Avec un accordéon,on dansait. Les syndicats ont obtenu que les joursde grève soient payés, en plus de l’augmentation

générale des salaires et des premiers congés payés.”

Raymond Ogier. Il entre à l’usine en 1929, à l’âge de 16 ans.

“En 1936, c’était la fête dans l’usine ! Le portailétait fermé, il y avait un cercueil devant. J’ai couché

dix jours sur les balles de déchets de rayonne.

J’ai fait la grève parce que l’usine m’a laissé un moissans boulot au retour du régiment, en octobre 1936.

Je suis monté avec un autre accrocher un drapeaurouge au sommet de la cheminée.”

René Morel. Fils d’un boulanger d’Autrans, il entre à l’usine en 1928, à l’âge de 14 ans.

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L’ŒUVRE DU FRONTPOPULAIRE

Membre de la société des alpinistes de La Mure, 1939

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L’ŒUVRE LÉGISLATIVE DU FRONT POPULAIRE

Le Front populaire a accompli une œuvre législative considérable en un trèsbref laps de temps : création des congés payés, institution de la semaine de40 heures, conventions collectives par branches professionnelles, nationali-sation des usines de guerre, création de la SNCF et de l’Officeinterprofessionnel du blé, instauration du contrôle direct de l’État sur laBanque de France.

REPÈRES CHRONOLOGIQUES

1900 Journée de travail de 10 heures

1905 Journée de travail de 8 heures pour les ouvriers des mines1906 Le repos dominical est imposé

Création du ministère du travail

1910 Loi sur les retraites ouvrières et paysannes

1919 Journée de travail de 8 heures et semaine de 48 heures

1932 Loi créant les allocations familiales pour tous les salariés

1936 Premiers congés payés d’une durée de 15 jours et semaine de 40 heures

1945 Ordonnance sur la Sécurité Sociale obligatoire pour tous les salariés

1950 Création du Salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG)

1956 Troisième semaine de congés payés

1967 Création de l’Agence nationale pour l’Emploi (ANPE)1969 Quatrième semaine de congés payés

1982 Cinquième semaine de congés payés et semaine de 39 heures

1998 Loi Aubry sur la réduction du temps de travail. Semaine de 35 heures

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LE TEMPS DES LOISIRS

La réduction du temps de travail conjuguée à l’obtention de congés payés entraîne unenouvelle forme de penser. Les Français ont désormais du temps pour les loisirs.Au cinéma, ils découvrent Pépé le Moko de Julien Duvivier avec Jean Gabin, Les Bas-fondsde Jean Renoir ou encore Les temps modernes de Charlie Chaplin. Mais, le film le plusemblématique du Front populaire reste La Marseillaise de Jean Renoir. Clamant la luttedes classes, il a été en partie financé par la C.G.T et le P.C.F grâce à une souscriptionpopulaire. Faute de producteur, le “peuple” a produit son film.Au théâtre, dès 1932, Jacques Prévert donne naissance au théâtre populaire. Avec la créationde la troupe Octobre, il veut faire du théâtre un instrument de lutte. Après la guerre, JeanVilar prolongera ce combat avec le Théâtre national populaire.

Si cette “révolution culturelle” est surtout impulsée par de nombreux artistes, chanteurs,écrivains et intellectuels, on doit rendre également hommage à deux ministres d’État.Tout d’abord, Jean Zay, ministre de l’éducation nationale, qui prolonge la scolarité de 13à 14 ans. Il crée également un sous-secrétariat d’État à la Recherche scientifique, se batpour la lecture publique et imagine les Bibliobus. Dans les écoles, il instaure la demi-journée de plein air et augmente les taux des bourses d’enseignement pour les famillesmodestes. Il est aussi l’initiateur du musée des Arts et Traditions populaires à Paris.Puis, Léo Lagrange, sous-secrétaire aux Sports et aux Loisirs, instaure les billets de congéspayés afin de permettre à des centaines de milliers d’hommes et de femmes, qui n’ontjamais eu de vacances de leur vie, de prendre le train pour les grands départs vers la mer,la campagne ou la montagne. Il crée également des théâtres populaires, la Fédérationsportive et gymnique du Travail, les écoles de ski et développe le mouvement des aubergesde jeunesse.

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Page 16: Livret exposition 1936, greves en Isere

Sources et Bibliographie- Bon Clément, Étapes du syndicalisme de l’Isère, Éditions du Centre de documentation du Travail, 1977.

- Bon Clément, Les biscuits Brun, Éditions SMH Histoire-Mémoire vive, 1997.

- Garnier Jean, Chronique des mines de La Mure, 2001.

- Meunier Sylvie, Les syndicats ouvriers à Grenoble 1934-1939, mémoire de maîtrise, 1987.

- Saccoman Pierre, Le Front populaire à Grenoble 1934-36, diplôme d’études supérieures d’Histoire, Faculté de lettres deGrenoble, 1966-1967.

- Weil Simone, La Condition ouvrière, Paris, Éditions Gallimard, 1951.

- 1936, Un printemps en Isère. La campagne électorale de mai et juin 1936, Service Éducatif des Archives Départementalesde l’Isère, 1996.

- Comité d'Etablissement Schneider Electric Grenoble, Les gens de merlin, Paris, Les Editions de l'Atelier, 1997.

- Mémoires de Viscosiers, Éditions des Presses Universitaires de Grenoble, 1992.

- Hors série “L’Humanité” 1936, Front populaire, L’Espoir, mai 2006.

- Cahier n° 2 de l’Institut CGT d’Histoire Sociale de l’Isère, juin 2003.

- Les Années Viscose, revue n° 2. Association Naviscose – Mémoire de Viscosiers, 1994.

- Presse locale : Le Petit Dauphinois, La Dépêche Dauphinoise, Le Travailleur Alpin.

Iconographie & crédits photographiques- Archives municipales de Saint-Denis (pages 6, 10)

- Archives départementales de l’Isère (page 8)

- Institut CGT d’Histoire Sociale - Centre d’archives sociales de l’Isère (pages 12, 16a, 18b)

- Musée dauphinois - Conseil général de l’Isère (pages 14, 16b, 18a, 18d, 26)

- Musée de la Viscose - Conseil général de l’Isère (couverture et pages 9, 21, 22, 24, 25, 28, 29)

- Photographie extraite de l’ouvrage Les gens de Merlin, avec l’aimable autorisation du C.E Schneider Electric IndustriesGrenoble, ex-C.E Merlin Gerin (page 18c)

- Photographie extraite de l’ouvrage Chronique des mines de La Mure de Jean Garnier, avec l’aimable autorisation demadame Garnier (page 16c)

Animations autour de l’exposition- Samedi 18 novembre 2006 Lecture musicale avec Françoise Trémeau et Jean Waltz

- Mardis 13 et 27 mars 2007 Ateliers d’écriture animés par la Maison des Écrits (Ville d’Échirolles)

Ce livret accompagne l’exposition 1936, Grèves en Isèreprésentée au Musée de la Viscose du 16 septembre 2006 au 31 mars 2007

Projet coordonné par Élise Turon

Gravure Alias, PoisatGraphisme Richard Bokhobza (atelier Octobre)Impression Imprimerie des Deux-Ponts, Eybens

© Musée de la Viscose, Échirolles, 2006. Le musée est un service du Conseil général de l’Isère.