80
HACHETTE Éducation établi par Yvon LE SCANFF, agrégé de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée On ne badine pas avec l’amour Musset Livret pédagogique

Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · d’analyse et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour

  • Upload
    danganh

  • View
    212

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

HACHETTEÉducation

établi par Yvon LE SCANFF, agrégé de Lettres modernes,

docteur ès lettres,professeur en lycée

On ne badinepas avec l’amour

MussetL i v r e t p é d a g o g i q u e

Conception graphiqueCouverture et intérieur: Médiamax

Mise en pageAlinéa

Tous droits de traduction,de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.

© Hachette Livre,2003.43,quai de Grenelle 75905 PARIS Cedex 15.ISBN:2.01.168699.7

www.hachette-education.com

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes des articles L.122-4 et L.122-5, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que « les analyses et les courtes citations » dans un but d’exemple et d’illustration,«toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayantsdroit ou ayants cause,est illicite».Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit, sans l’autorisation de l’éditeur ou du Centrefrançais de l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris), constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

AVA N T-P R O P O S 4

TA B L E D E S CO R P U S 6

RÉ P O N S E S AU X Q U E S T I O N S 10

Bi lan de première lec ture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

Ac te I , scène 1

Lec ture analyt ique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

Lec tures croisées et t ravaux d ’écr i ture . . . . . . . . . . . . . . . . 18

Ac te I I , scène 2

Lec ture analyt ique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

Lec tures croisées et t ravaux d ’écr i ture . . . . . . . . . . . . . . . . 28

Ac te I I , scène 4

Lec ture analyt ique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

Lec tures croisées et t ravaux d ’écr i ture . . . . . . . . . . . . . . . . 41

Ac te I I , scène 5

Lec ture analyt ique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48

Lec tures croisées et t ravaux d ’écr i ture . . . . . . . . . . . . . . . . 52

Ac te I I I , scène 3

Lec ture analyt ique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59

Lec tures croisées et t ravaux d ’écr i ture . . . . . . . . . . . . . . . . 63

Ac te I I I , scène 8

Lec ture analyt ique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68

Lec tures croisées et t ravaux d ’écr i ture . . . . . . . . . . . . . . . . 72

BI B L I O G R A P H I E, D I S CO G R A P H I E CO M P L É M E N TA I R E S 80

S O M M A I R E

Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettreen œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclai-rent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, depréparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficaced’un corpus de textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires,techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentationcontextualisée, de l’imitation…).

Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifsde lecture, tout en s’exerçant à divers travaux d’écriture. Une comé-die romantique comme On ne badine pas avec l’amour permet particu-lièrement bien de cerner la spécificité du texte théâtral dans son rap-port problématique avec la représentation. Elle permet notammentd’illustrer les aspects qui mettent en évidence la double énonciationcomme fondement de la communication théâtrale (l’exposition, lemonologue, le théâtre dans le théâtre, etc.) tout en s’initiant à l’ana-lyse dramaturgique et aux règles de construction de l’intrigue théâ-trale (exposition, nœud et conflit, dénouement). En outre, puisque lethéâtre est un art verbal, cette pièce permet également d’aborder lesstratégies de l’argumentation et de la délibération dans le dialoguecomme dans le monologue. Enfin, en tant que pièce romantique, ellesollicite les registres de la tragédie et de la comédie dans le cadred’une esthétique de la mixité des genres.

Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nou-velle collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois :– motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation dutexte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à desnotes claires et quelques repères fondamentaux ;– vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer lesélèves aux travaux d’écriture.

Cette double perspective a présidé aux choix suivants :• Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afind’en favoriser la pleine compréhension.

4

A V A N T - P R O P O S

5

• Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre lalecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions pou-vant donner lieu à une exploitation en classe.• Précédant et suivant le texte, des études synthétiques et des tableauxdonnent à l’élève les repères indispensables : biographie de l’auteur,contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres etregistres du texte…• Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné àfaciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pagesde couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (surfond blanc), il comprend :– Un bilan de première lecture qui peut-être proposé à la classe aprèsun parcours cursif de l’œuvre. Il se compose de questions courtes quipermettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens général del’œuvre.– Cinq à sept questionnaires guidés en accompagnement des extraitsles plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à ana-lyser le passage ; les notions indispensables sont rappelées et quelquespistes sont proposées afin de guider sa réflexion et de l’amener àconstruire sa propre lecture analytique du texte. On pourra procéderen classe à une correction du questionnaire, ou interroger les élèvespour construire avec eux l’analyse du texte.– Cinq à sept corpus de textes (accompagnés parfois d’un documenticonographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objetd’un questionnaire guidé ; ces corpus sont suivis d’un questionnaired’analyse et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînementà l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe dePremière, sur le «descriptif des lectures et activités » à titre de groupe-ment de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documentscomplémentaires.

Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vosélèves, un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et laréflexion.

6

T A B L E D E S C O R P U S

Compositiondu corpus

Texte A: Scène 1 de l’acte I de On ne badine pasavec l’amour de Musset (pp. 29-32).Texte B: Extrait de «Parodos » des Suppliantes,d’Eschyle (p. 40).Texte C: Extrait de la scène 1 de l’acte I des Fourberies de Scapin de Molière (p. 41).Texte D: Extrait de la scène 1 de l’acte I du Barbierde Séville de Beaumarchais (p. 43).Texte E: Extrait de Art de Yasmina Réza (p. 44).Document iconographique: Masques d’acteursde théâtre de l’Antiquité.

Texte A: Scène 2 de l’acte II de On ne badine pasavec l’amour de Musset (p. 66).Texte B: Extrait de la scène 1 de l’acte III de Hamlet de Shakespeare (p. 71).Texte C: Extrait de la scène 4 de l’acte I du Cid de Corneille (p. 72).Texte D: Extrait de la scène 7 de l’acte IV de L’Avare de Molière (p. 73).Texte E: Extrait de L’Inattendu de Melquiot (p. 75).Document iconographique :planches de l’Encyclopédie d’après Lebrun.

Texte A: Extrait de la scène 4 de l’acte II de On nebadine pas avec l’amour de Musset (pp. 79 à 82).Texte B: Extrait de la scène 2 de l’acte I deChatterton de Vigny (p. 89).Texte C: Scène 2 de l’acte I de Léonce et Léna de Georg Büchner (p. 91).Texte D: Extrait de la scène IV de L’Interventionde Victor Hugo (p. 93).Document iconographique : Honoré Daumier :Vous avez la parole expliquez vous, vous êtes libre.

Corpus

L’exposition au théâtre(p. 40)

Le monologue,une forme du langage dramatique(p. 71)

La satireromantique(p. 89)

7

Compléments aux travaux d’écrituredestinés aux séries technologiques

CommentaireVous commenterez le texte de Molière (texte C) à partir du parcours de lecture suivant :– vous étudierez les différentes fonctions de cette exposition ;– vous montrerez en quoi ce texte met enévidence, avec humour, l’aspect conventionnel de l’exposition au théâtre.

CommentaireVous commenterez le texte de Corneille (texte C)à partir du parcours de lecture suivant :– vous montrerez comment le monologue met en œuvre une délibération organisée et structuréequi conduit à une résolution précise ;– vous étudierez le registre tragique dans ce monologue.

CommentaireVous commenterez le texte de Vigny (texte B) à partir du parcours de lecture suivant :– vous analyserez l’argumentation des deuxprotagonistes (Le Quaker et John Bell) et leur affrontement verbal ;– vous étudierez les formes et les figures de la satire et de la critique dans le texte.

Objet d’étudeet niveau

Le théâtre : texte et représentation(Première)

Le théâtre : texte et représentation(Première)

Le théâtre : les genreset les registres du comique et du tragique (Seconde)

Le théâtre : texte et représentation(Première)

Un mouvementlittéraire :le romantisme(Seconde)

8

T A B L E D E S C O R P U S

Corpus

Le conflit théâtral(p. 113)

Le théâtre dans le théâtre(p. 136)

Le dénouement(p. 165)

Compositiondu corpus

Texte A: Extrait de la scène 5 de l’acte II de On ne badine pas avec l’amour de Musset (pp. 97 à 108).Texte B: Deuxième épisode, scène 3 de Antigonede Sophocle (p. 113).Texte C:Tableau VII de Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès (p. 116).Document iconographique : ThomasGainsborough, Conversation dans un parc, Louvre.

Texte A: Scène 3 de l’acte III de On ne badine pasavec l’amour de Musset (pp. 129 à 131).Texte B: Extrait de la scène 2 de l’acte III,de Hamlet de Shakespeare (p. 136).Texte C: Scènes 4, 5 et 6 de l’acte II de Britannicusde Racine (p. 138).Texte D: Extrait de la scène 6 de L’Île des esclavesde Marivaux (p. 141).Document iconographique: Vermeer, La Peinture(1665-1670), musée d’Histoire de l’art à Vienne.

Texte A: Scène 8 de l’acte III de On ne badine pasavec l’amour de Musset (pp. 157-158).Texte B: Scènes 6 et 7 de l’acte V de Médée deCorneille (p. 165).Texte C: Extrait de Médée d’Anouilh (p. 168).Texte D: Extrait de l’acte II de En attendant Godotde Beckett (p. 170).Document iconographique :Charlie Chaplin dans Les Temps modernes.

9

Compléments aux travaux d’écrituredestinés aux séries technologiques

CommentaireVous commenterez le texte de Koltès (texte C) à partir du parcours de lecture suivant :– vous étudierez la progression et l’évolution du dialogue ;– vous analyserez les rapports affectifs qui existententre les deux sœurs et les différents registresqu’elles sollicitent.

CommentaireVous commenterez le texte de Marivaux (texte D)à partir du parcours de lecture suivant :– vous analyserez les caractéristiques essentiellesdu théâtre dans le théâtre dans cette scène ;– vous étudierez les différentes formes ducomique dans cette scène.

CommentaireVous ferez un commentaire comparé des textes B(Corneille) et C (Anouilh) à partir du parcours de lecture suivant :– vous analyserez l’organisation respective dechacun des deux dénouements, et notamment lasignification finale qu’ils mettent en œuvre ;– vous étudierez les différents registres sollicités et les effets produits sur le spectateur ou le lecteur.

Objet d’étudeet niveau

Le théâtre : texte et représentation(Première)Convaincre,persuader et délibérer(Première)

Démontrer,convaincre etpersuader (Seconde)

Le théâtre : texte et représentation(Première)

Le théâtre : texte et représentation(Première)Les réécritures(Première)

Le théâtre : les genreset les registres du comique et du tragique(Seconde)

B I L A N D E P R E M I È R E L E C T U R E ( p . 1 7 5 )

a L’action de la pièce se déroule en trois jours (un par acte). Chaque actes’ouvre à peu près au moment du repas du midi (voir I, 3 ; II, 2 et III, 2).

z L’espace dramatique se partage entre décors intérieurs et extérieurs. Lechâteau est évidemment le lieu principal de l’action et plusieurs de ses piècesservent de décor à l’action : le salon, la salle à manger, le cabinet (le bureau),des salles diverses, l’oratoire, etc. Les alentours du château constituent lesecond espace de référence de la pièce : la place devant le château, le jardin, lebois et la fontaine, un chemin forestier qui mène au village, etc. Dans lapièce, les scènes d’intérieur alternent à peu près régulièrement avec les scènesd’extérieur, même si la fin du troisième acte montre une évolution vers unesorte de rétrécissement de l’espace.

e Plusieurs critères peuvent être retenus, mais tous montrent une organisa-tion symétrique. De toute évidence, les quatre personnages grotesques(Pluche, le Baron, Blazius, Bridaine) s’opposent aux quatre personnages sen-sibles (le Chœur, Rosette, Perdican, Camille). On peut aussi percevoir uncertain nombre de binômes : Perdican et son précepteur Blazius, Camille etsa gouvernante Pluche, le Baron et son confident Bridaine, et enfin le Chœuret Rosette. Ces binômes peuvent aussi se regrouper en fonction de leur pro-venance : quatre personnages sont étrangers et arrivent (Camille et Pluche,Perdican et Blazius) et quatre personnages les attendent (le Baron etBridaine, le Chœur et Rosette).

r Perdican est le fils du Baron et Camille est sa nièce, puisque la mère deCamille était la sœur du Baron. Camille et Perdican sont donc cousins (voirles scènes 1 et 2 de l’acte I) et il faut donc obtenir une autorisation de l’Église(les «dispenses ») pour pouvoir les marier (comme l’a demandé par testamentla mère de Camille au Baron : voir II, 1).

t Dès la didascalie initiale qui présente les personnages, il est dit que Rosetteest la « sœur de lait de Camille » (répété en I, 4) : cela signifie que la mère deRosette a été la nourrice de Camille et qu’elle a allaité les deux enfants enmême temps. Rosette a donc sensiblement le même âge que Camille.

y Perdican est parti il y a dix ans comme il le dit au Chœur en I, 4 : « il y adix ans que je ne vous ai vus ». Camille confirme également qu’elle n’a pas vu

10

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Perdican depuis dix ans : «depuis près de dix ans que nous avons vécu éloignés l’unde l’autre », « il y a dix ans que je ne vous ai vu » (acte II, scène 5). On peut doncen déduire que Camille et Perdican ont quitté le giron familial il y a dix anspour aller suivre une éducation conforme à leur rang.

u Perdican revient clairement au château dans l’espoir de retrouver ceux quilui sont proches (I, 2) et les souvenirs d’enfance dont il a la nostalgie (I, 3 ; I,4 et II, 1 notamment). Camille donne explicitement (et sincèrement ?) la rai-son de son retour : « je suis venue ici pour recueillir le bien de ma mère ; je retournedemain au couvent » (II, 1). C’est en effet à sa majorité que prend effet le testa-ment de sa mère.

i Le projet du Baron est une surprise pour les autres personnages, c’est lapremière péripétie de la pièce. C’est en raison du testament de la mère deCamille que le Baron décide de marier son fils à sa nièce. Il se conforme(avec un grand contentement) à la volonté testamentaire de la mère deCamille que Perdican rappelle en II, 1. Cependant, pour des raisons finan-cières, ce mariage est une aubaine pour le Baron : « J’ai formé le dessein demarier mon fils avec ma nièce ; c’est un couple assorti ; leur éducation me coûte sixmille écus. […] Je me fais une fête de voir comment ils s’aborderont, ce qu’ils sediront ; six mille écus ne sont pas une bagatelle, il ne faut pas s’y tromper » (I, 2).L’argent investi reste donc dans la famille et il n’est pas besoin non plus d’endonner (en dot) à une famille étrangère.

o Perdican ne s’oppose pas spécialement à ce projet : « je ne demande pasmieux que d’épouser Camille » (II, 1). En revanche, Camille y est tout à faitopposée : « je ne veux pas me marier », dit-elle en II, 1. L’évolution de la piècemontrera que la vérité des sentiments est évidemment plus complexe : l’obs-tacle (l’orgueil pour l’un et la débauche par désespoir amoureux pour l’autre)est plus intérieur qu’extérieur et il traverse les deux personnages.

q Sur le plan de l’action dramatique, les deux ecclésiastiques sont en situa-tion de rivalité auprès du Baron : ils cherchent tous deux à en gagner défini-tivement les faveurs au détriment de l’autre ; c’est ce qui constitue l’intrigueaccessoire de la pièce. Le Chœur a en outre livré une analyse plus psycholo-gique de leur affrontement en I, 3 en suggérant que leur opposition prove-nait d’une évidente similitude : « lorsque deux hommes à peu près pareils, égale-ment gros, également sots, ayant les mêmes vices et les mêmes passions, viennent parhasard à se rencontrer, il faut nécessairement qu’ils s’adorent ou qu’ils s’exècrent. Parla raison que les contraires s’attirent, qu’un homme grand et desséché aimera un

11

B i l a n d e p r e m i è r e l e c t u r e

homme petit et rond, que les blonds recherchent les bruns, et réciproquement, je prévoisune lutte secrète entre le gouverneur et le curé ».

s Comme l’indique le Chœur, ils cumulent les vices de l’esprit et ceux ducorps : ils sont stupides, ignorants, mesquins, vaniteux et ils sont cupides,avides, ivrognes, gloutons. Les scènes de délation qui se reproduisent symétri-quement et régulièrement dans la pièce ont pour fonction de nous montrercette parenté dans la bêtise et la bassesse : la scène 5 de l’acte I est caractéris-tique puisqu’on y voit Blazius dénoncer Bridaine et l’accuser d’ivrognerie etde dépravation alors même que le Baron constate, dans cette scène, que cemême Blazius est alcoolique, comme le lui avait dit auparavant Bridaine !

d Camille vient d’un couvent, comme l’explique Pluche au début de la pièce :« elle a quitté le couvent sur l’ordre exprès de monseigneur, pour venir en temps et lieurecueillir, comme faire se doit, le bon bien qu’elle a de sa mère» (I, 1).Camille le répèteensuite en II, 1 en ajoutant qu’elle retourne au couvent : « je suis venue ici pourrecueillir le bien de ma mère ; je retourne demain au couvent ». Pourtant Camille nepartira pas sans vouloir discuter de ce projet et de l’amour en général avecPerdican, qu’elle appelle, avec une ambiguïté relevée par Pluche, son « fiancé »(II, 1) : c’est l’enjeu de la dispute de la scène 5 de l’acte II.

f Perdican avoue d’une certaine façon son amour à Camille, dès la scène 2de l’acte I : « comme Camille est jolie », puis à la scène 1 de l’acte II : « ton amourm’eût donné la vie, mais ton amitié m’en consolera ». C’est ensuite à lui-mêmequ’il avoue cet amour dans le cadre d’un monologue délibératif : « Diable jel’aime, cela est sûr […] il est clair que je ne l’aime pas » (III, 2). Il avoue ensuiteson amour à Rosette par stratégie d’orgueil et d’amour-propre : il veut sevenger de Camille et l’humilier (III, 3). Pris au piège par Camille, il lui avouepourtant son amour devant Rosette cachée (III, 6). Enfin, à la dernière scène,il avoue de nouveau son amour à Camille, mais c’est un aveu de trop, ildevient criminel et tragique (III, 8) puisque Rosette en meurt.

g Poussé par Camille et pris au piège par celle-ci (« tu épouseras cette fille ou tun’es qu’un lâche »), il décide de se marier avec Rosette à la scène 6 de l’acteIII. Il confirme ce choix contre l’avis de tous à la scène suivante : on peutalors parler d’orgueil et de dépit amoureux pour expliquer cette résolution.

h Perdican a évidemment ouvertement badiné avec Rosette, dès la scène 4de l’acte I (il l’embrassera même à la scène 3 de l’acte II) et on peut considé-rer que la dernière scène de l’acte II se présente comme un badinage amou-

12

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

reux entre Camille et Perdican (du moins dans sa première partie). Ce badi-nage est cependant sans conséquence : c’est le sens même du mot badinage.En revanche, à l’acte III, Camille et Perdican vont tous deux investir le badi-nage d’une stratégie, d’une visée cruelle et d’une volonté de domination toutà fait étrangères à ce que recouvre normalement ce mot. Ils vont utiliserRosette et le badinage amoureux pour s’humilier l’un l’autre : d’abordPerdican en III, 3, puis Camille en III, 6. Ils ont donc utilisé les mots commedes armes : on sait que c’est une prérogative de la tragédie et non du badinagede la comédie sentimentale…

A C T E I , S C È N E 1 ( p p . 2 9 à 3 2 )

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE (pp.35 à 38)

a Si on excepte la didascalie (« une place devant le château ») que les person-nages ne prononcent bien évidemment pas, mais que le lecteur lit et que lespectateur doit voir d’une manière ou d’une autre lors de la représentation,on remarque néanmoins que le Chœur évoque un horizon champêtre (les« bluets », une « colline ») qui entoure un « château » que Blazius et Plucheconsidèrent comme le terme de leur voyage.

z Cette première scène nous place manifestement dans une atmosphère féo-dale (un Baron, « seigneur » et «maître », un château, un gouverneur, une gou-vernante). Les archaïsmes nous renvoient même au Moyen Âge et à laRenaissance : « écuelle », « nonnain », « manants », « parchemins », « écritoire »,« écuyer », «ma mie ». Les noms et les titres des personnages («messer ou maître »Blazius, « Dame » Pluche) renvoient également au temps de l’AncienRégime. Manifestement, l’époque représentée ne semble pas être contempo-raine de celle de Musset et ne correspond pas au temps de l’écriture de lapièce (1834). Néanmoins, il est très difficile de situer précisément l’action dela pièce dans le temps.

e Les informations données par la première réplique du Chœur sont trèscontradictoires : les « bluets » sont « fleuris » (ce serait alors l’été) et pourtantc’est le « temps de la vendange » (ce serait donc l’automne) ! On peut cepen-dant constater qu’il fait beau et chaud puisque les deux personnages qui arri-vent ont soif et on remarque que dame Pluche a les cheveux « couverts de

13

A c t e I , s c è n e 1

poussière ». On peut également supposer que le « vent qui fait jaunir les bois »pourrait évoquer l’arrivée de l’automne.

r La scène nous met en présence de trois personnages dont un personnagecollectif (le Chœur). Le mode de présentation est complexe : les personnagesqui arrivent (Blazius et Pluche) sont d’abord présentés et décrits par leChœur (présentation indirecte) avant de se présenter eux-mêmes par leursparoles, gestes et attitudes. Le Chœur est donc un élément très importantdans l’organisation de l’exposition : il donne le nom des personnages et four-nit un certain nombre d’indications (pour la mise en scène) sur le physiqueet le caractère des personnages présentés.

t Deux personnages nous sont très indirectement présentés dans cettescène : il s’agit manifestement des protagonistes, des héros de la pièce(Camille et Perdican). Ils sont décrits respectivement par ceux qui ont eu lacharge de les éduquer et de les instruire : Blazius (pour Perdican) et Pluche(pour Camille). Ils en font des portraits élogieux : Perdican serait une sorte desavant, tandis que Camille serait comme une sainte…

y Le thème initial de cette scène pourrait être celui du retour des enfants(prodiges plus que prodigues) dans le giron familial. L’arrivée de ces invitésnous amène à croire en l’existence d’une fête ou d’une manifestation particu-lière ou exceptionnelle ; c’est en tout cas ce que suggère le Chœur à la fin dela scène : «mettons nos habits du dimanche, et attendons que le Baron nous fasse appe-ler. Ou je me trompe fort, ou quelque joyeuse bombance est dans l’air aujourd’hui ».

u Tout nous laisse croire qu’il pourrait bien s’agir de fiançailles ou d’unmariage. C’est en effet un thème majeur de la comédie et le ton enjoué duChœur semble indiquer un événement particulièrement festif. En outre, ilfaut noter que les deux personnages viennent « d’atteindre leur majorité » etque leur « éducation » est « terminée » : on peut donc supposer qu’il faut alors nepas tarder à les marier.

i Cette scène pourrait en comporter deux : en effet sa première partie setermine au moment où Blazius « sort » comme l’indique la didascalie, tandisque sa seconde partie prend fin au moment où Pluche « sort » également de lascène, laissant le Chœur conclure seul cette première scène en un courtmonologue avant de sortir lui-même (« ils sortent »). La première partie estcentrée sur l’arrivée de Blazius, tandis que la seconde concerne celle dePluche.

14

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

o Les répliques de ces deux parties délimitées par les didascalies (« il sort »,« elle sort ») se répondent de façon symétrique et répétitive. Dans la premièreréplique, le Chœur annonce l’arrivée du personnage ; dans la deuxième, lepersonnage demande à boire ; dans la troisième, le Chœur questionne le per-sonnage ; dans la quatrième, le personnage dresse un portrait de son protégéen une tirade descriptive et informative ; dans la cinquième, le Chœur faitune injonction polie, présente une invitation au personnage ; et dans lasixième réplique, le personnage prend congé.

q Le premier thème évoqué par Blazius et Pluche est bien sûr celui de laboisson, vient ensuite celui de l’éducation dans le cadre des deux portraitsélogieux et symétriques que les deux personnages font des deux héros.

s Les deux premières répliques de chacune des deux parties repérées sonttrès comparables sur le plan de la syntaxe. La première phrase des deuxrépliques suit le même schéma (épithète détachée précédée d’un adverbe etsuivie d’un complément de lieu) ; puis le sujet, le verbe et le complément :«Doucement bercé sur sa mule fringante, messer Blazius s’avance dans les bluets fleu-ris », « Durement cahotée sur son âne essoufflé, dame Pluche gravit la colline. » Lecœur des deux premières répliques est composé d’une présentation physiquedu personnage. La dernière phrase reprend la même structure syntaxique àchaque fois : «Salut, maître Blazius ; vous arrivez au temps de la vendange, pareil àune amphore antique », «Bonjour, donc, dame Pluche ; vous arrivez comme la fièvre,avec le vent qui fait jaunir les bois. » On peut généraliser ce type d’analyse.Ainsile début des tirades est semblable sur le plan syntaxique : « Vous saurez, mesenfants, que le jeune Perdican, fils de notre seigneur… », « Sachez, manants, que labelle Camille, la nièce de votre maître…»

d Cette présentation symétrique fait d’autant plus ressortir l’opposition fon-damentale qu’entretiennent Blazius et Pluche dans cette scène. AutantBlazius est tout en rondeur et en douceur (« doucement »), autant Pluche estmaigre et dure (« durement »). Autant Blazius est affable et poli («mes enfants »),autant Pluche est désagréable et méprisante (« manants »). Le « rebondi »Blazius est un bon vivant, alors que la « chaste » Pluche est aigrie et désobli-geante. L’exemple le plus évident est celui de la boisson : Blazius prend du vintandis que Pluche demande du vinaigre (du vin aigre).

f De façon symétrique, Perdican et Camille vont s’opposer comme se sontopposés Blazius et Pluche. Dans les deux tirades qui les décrivent, ils s’oppo-sent sur un point fondamental qui concerne l’éducation. Perdican a un savoir

15

A c t e I , s c è n e 1

laïc, scientifique qui l’ouvre au monde par la connaissance abstraite etconcrète des choses ; en revanche, Camille appartient à un monde clos, fermésur lui-même, fondé sur la croyance et l’obéissance religieuses. Elle est tour-née vers l’autre monde, vers l’au-delà, tandis que Perdican semble attiré parles choses d’ici-bas.

g Blazius et Pluche sont davantage de types que des personnages, ce sont descaricatures (la Bruyère dirait des « caractères »). Ils sollicitent évidemment uncomique de caractère : leurs défauts physiques et moraux sont exagérés pourproduire une caricature et un type comique. Ils n’ont pas de profondeur psy-chologique, ce sont davantage des masques comiques qui résument en eux uncertain nombre de vices, certes opposés, mais tout autant ridicules et gro-tesques. Blazius semble l’avatar du Docteur de la commedia dell’arte et Pluche estune sorte de duègne, de commère ou de mégère que l’on a pu notammentvoir représenter dans le théâtre espagnol ou chez Shakespeare. Sur le planphysique (voir les deux répliques du Chœur où il les décrit), Blazius ressembleà un rond, tandis que Pluche est une ligne droite ou anguleuse ; sur le planmoral, Blazius est un sot pédant et un ivrogne et Pluche est bête, acariâtre,méchante et austère. Le fait que les deux personnages arrivent sur un « âne »ou sur une «mule» n’est pas innocent du point de vue de l’auteur…

h L’ironie du Chœur se manifeste par un décalage continu entre son tondéférent et affecté et les détails relevés qui montrent une distance moqueuse.Ainsi, les comparaisons qu’il utilise sont ironiques parce qu’elles se présententcomme des flatteries et recèlent en fait de sournoises moqueries. Quand ilcompare Blazius à une « amphore antique », il le flatte par une comparaisonhomérique ou épique, mais il souligne insidieusement sa rondeur ridicule etson goût pour le vin. De la même façon, la comparaison homérique, « commela fièvre, avec le vent qui fait jaunir les bois », utilisée à propos de Pluche, est per-fide parce qu’elle suggère l’aspect desséché et desséchant du personnage.L’ironie se manifeste donc dans cette distance entre une politesse affectée etune moquerie déguisée et imperceptible pour des personnages aussi sots etimbus d’eux-mêmes. De semblables décalages apparaissent dans certainesexpressions qui associent un terme noble et abstrait à un détail concret et tri-vial : « vénérables jarretières », dans certaines descriptions qui montrent un déca-lage entre ce qui devrait être et ce qui existe : Blazius devrait prier, mais toutporte à croire qu’il dort et ronfle : « les deux yeux à demi fermés, il marmotte unPaster noster dans son triple menton». Ces décalages montrent une distance quiest le symptôme d’une ironie dans laquelle le locuteur veut signifier autre

16

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

chose que ce qu’il dit vraiment (voir le «ma mie » par exemple, ou le « défri-pez-vous » ambigu).

j Le Chœur décrit ces personnages grotesques comme des héros, qu’ils pen-sent sans doute être en effet. Héroïser ce qui ne doit pas l’être, élever au rangde héros ce qui est vil et bas, imiter ce qui est élevé alors que l’on est miséra-blement ridicule créent un décalage parodique que l’on appelle héroï-comique.Le Chœur semble prendre au sérieux des personnages qui se croient tels : ilutilise certes des comparaisons homériques et héroïques qui associent lespersonnages à des éléments naturels ou artistiques, mais en révèle l’inadéqua-tion par des détails incongrus qui en sapent la légitimité : ainsi les person-nages enfourchent non pas des destriers, mais une « mule » et un « âne »,Blazius ressemble plus à « un poupon » qu’à un chevalier et Pluche n’a riend’une dame galante.

k Par l’utilisation de tous ces registres comiques (satirique, ironique et paro-dique), par ses nombreuses injonctions (« buvez », « buvez », « défripez-vous »,« mettons », etc.), par sa bonne humeur qui le fait prendre en bonne part lesmensonges de Blazius et les injures de Pluche, il contribue à l’enjouementd’une scène qui a aussi pour fonction d’attirer le lecteur et le spectateur etd’en attiser l’intérêt.

l Le Chœur fait partie de la tragédie antique : il en fut même à l’origine le«personnage » principal. Il a pour fonction de rappeler les faits passés (ce qu’ilfait ici : il expose et se souvient de Perdican), de commenter l’action (il décritles personnages et commente leurs faits et gestes) et enfin d’annoncer desfaits à venir (fonction prophétique). Cette dernière fonction est bien sûr laplus tragique de toutes puisqu’elle obéit à une logique fatale, celle du destin :elle est ici, d’une certaine manière, représentée dans ce souhait qui ne serapas, malheureusement et fatalement, exaucé : «Puissions-nous retrouver l’enfantdans le cœur de l’homme ! ». Cette fonction tragique sera à nouveau sollicitée enIII, 4, et de façon plus angoissée encore. C’est dans le cadre d’une esthétiqueshakespearienne et surtout romantique du mélange des genres que Mussetutilise ici un chœur qui suggère la présence d’un tragique tapi encore dansl’ombre au début de la pièce (il en sera tout autrement lors du dénouement).

m Le cadre spatio-temporel est fantaisiste dans le sens où il est aussi imprécisou presque que celui d’un conte ou d’un apologue. D’un certain point devue, le proverbe dramatique est d’ailleurs une sorte de parabole…L’association des archaïsmes et des registres comiques confère à cet ensemble

17

A c t e I , s c è n e 1

un aspect disparate et étrange. Enfin, la présentation ironique, parodique etsatirique des deux premiers personnages de la pièce par le Chœur donne unaspect profondément fantaisiste dans le sens que le romantisme allemand,dont s’inspire également Musset, a conféré à ce terme (voir Hoffmann,Kleist, etc.) : les personnages sont rendus irréels et semblent « faits de l’étoffe desrêves » (voir par exemple les illustrations de l’ouvrage qui reprennent des des-sins caricaturaux de Musset)…

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (pp.40 à 46)

Examen des textes

a Le Chœur assume d’abord dans cette première partie du texte une fonc-tion explicative : il expose, commente et présente les faits passés et présentsnécessaires à la compréhension de l’action à venir. Dans la seconde partie dela tirade, le Chœur assume davantage une fonction injonctive d’invocation : ils’agit d’émettre des souhaits et de proférer des mises en garde quant à la suitede l’action.

z L’exposition du texte C paraît artificielle car elle se présente comme larépétition d’une scène qui vient d’avoir lieu, dans laquelle Silvestre expliquaitce que répète ici Octave. Le procédé utilisé est celui des questions oratoiresou « fermées » puisque les questions d’Octave comportent les réponses atten-dues. Il s’agit donc d’une confirmation, plus que d’une exposition, comme lesouligne Silvestre lui-même.

e L’exposition devient plus naturelle au moment où Octave cesse de ques-tionner (à la demande de Silvestre, exaspéré) pour implorer son valet par desinjonctions : « Conseille-moi ». L’exposition se tourne alors non plus vers lesfaits passés, bien connus de tous, mais vers l’avenir et les conséquencesfâcheuses de ces événements. L’exposition bascule ainsi vers le futur de l’ac-tion et les dernières questions posées par Octave sont de vraies questions, desquestions «ouvertes » et inquiètes qui attendent des réponses positives, cellesque fournira l’intrigue de la pièce.

r Le Comte cherche à être aimé pour lui-même, indépendamment de sontitre qui peut attirer des aventurières et des ambitieuses. Il se déguise alors,selon un procédé très utilisé dans les comédies de Marivaux, pour connaîtrela vérité des sentiments qu’on peut lui porter : « je suis las des conquêtes que l’in-térêt, la convenance ou la vanité nous présentent sans cesse. Il est doux d’être aimé

18

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

pour soi-même », dit-il en effet. Il s’interrompt dans son monologue aumoment où il allait dire en substance : « si je pouvais m’assurer sous ce déguise-ment » du cœur (des sentiments, de l’amour) de Rosine…

t Elle est traditionnelle au sens où elle livre des informations relatives à laconnaissance de l’action à venir : sujet de la pièce, événements passés, présen-tation des personnages (ici Serge et Marc) et relations (rapport d’amitié). Enrevanche, elle est moderne au sens où aucun élément d’intrigue n’apparaît, àla façon du tableau abstrait que Serge a acheté : tout est possible, le déroule-ment de l’action reste entièrement ouvert, aucun problème ne semble seposer (pas de nœud dramatique), à moins que ce tableau soit lui-même leproblème qui va nouer de façon conflictuelle les relations amicales entrete-nues par Serge et Marc…

Travaux d’écriture

Question préliminaireEn comparant ces cinq textes, nous remarquons les deux éléments princi-paux et caractéristiques d’une scène d’exposition : d’abord, les textes donnentau spectateur les informations nécessaires à la compréhension de l’action dela pièce (fonction informative) ; ensuite, il semble bien que ces textes aientpour fonction de capter l’attention du spectateur (fonction argumentative :convaincre de l’intérêt de la pièce).Ces scènes d’exposition ont une fonction informative ou explicative. Ellesont comme élément caractéristique de fournir des informations suffisantespour que le spectateur comprenne l’action qui va se dérouler sous ses yeux.Ces informations concernent d’abord le sujet de la pièce. Les textes A, C etD montrent apparemment que l’action dramatique de ces comédies a poursujet l’amour ou les relations amoureuses. Ces expositions présentent des« jeunes premiers », personnages typiques de la comédie, et évoquent lemariage (C et sans doute A) ou l’intrigue amoureuse (D). Le texte B présenteune intrigue plus tragique (la persécution) et le texte E, aussi énigmatiqueque son titre, va apparemment parler d’« art ».Les informations renseignent également le spectateur sur les protagonistes(les personnages principaux). Les textes A, C et D présentent avec précisionles héros de la pièce qui commence. Maître Blazius et Dame Pluche font res-pectivement les portraits de Perdican et de Camille (A), Octave est un jeunepremier dont les projets sont contrariés par son père (C), le Comte se pré-sente lui-même comme le protagoniste de l’intrigue amoureuse qui com-

19

A c t e I , s c è n e 1

mence (D), le Chœur présente les protagonistes de l’histoire tragique desfilles de Danaos, les Danaïdes (B) et enfin le monologue de Marc met au jourles relations qui l’unissent à Serge, l’autre protagoniste de la pièce (Yvan serale troisième).Enfin, les informations sont aussi relatives au genre et au registre de la pièce.Les textes A, C, D se présentent comme des débuts de comédie. Le texte A,par son registre ironique (le Chœur), moqueur et satirique (caricatures despersonnages grotesques, Dame Pluche et Maître Blazius), appartient manifes-tement au genre comique. Le texte C présente le canevas bien connu dumariage forcé que l’on trouve déjà dans la comédie latine et la commediadell’arte et le texte D annonce très clairement une intrigue amoureuse. Enrevanche, le texte B introduit le spectateur dans un monde sombre, dépriméet désespéré du «malheur », celui de la tragédie. Le texte E, en tant qu’extraitd’une pièce moderne libérée de l’appartenance à un genre précis, est celuiqui fournit le moins d’indications génériques, mais le sujet de la pièce tendnéanmoins à l’apparenter à une comédie de mœurs.Ces scènes d’exposition ont également une valeur argumentative, persuasive.Elles doivent inciter le spectateur à s’intéresser à ce qui va suivre, elles cher-chent à capter son attention. Le texte A révèle un mystère qui n’est pourl’instant pas élucidé, on sait seulement qu’il s’agit d’un jour bien particulierqui recèle des surprises (« quelque joyeuse bombance est dans l’air aujourd’hui »).Le texte C finit par des questions qui restent sans réponses, pour l’instant, etle texte D s’interrompt brutalement pour laisser place à la première péripétiede la pièce et révéler un étrange et « importun » personnage. Le texte B finitpar des supplications qui laissent en suspens la suite et l’issue de l’action tra-gique : seront-elles en effet entendues ? Enfin, par son évidente discontinuité,le texte E laisse dans l’ombre de nombreux éléments et semble porter à l’in-verse une attention marquée à l’achat d’un certain tableau…

Commentaire

1. Une exposition « classique »(une exposition du théâtre « classique » ?)

A. La composition de la scèneLa scène se compose de deux parties distinctes : une première partie, faite dequestions-réponses, où Silvestre répond laconiquement à son maître,acquiesce et lui confirme ses propos. Cette première phase prend fin aumoment où Silvestre, quelque peu exaspéré, met fin à cette répétition,

20

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

puisque manifestement Octave ne fait que répéter ce que Silvestre vient delui dire. Le changement de ton et de modalité va de pair avec un change-ment d’orientation dans la scène : Octave demande conseil, et implore l’aidede son valet (« conseille-moi », etc.).Ainsi, la première partie semble très nettement orientée vers le passé (qu’ellene fait que rappeler et même répéter) tandis que la seconde est tournée versun avenir problématique que les deux personnages semblent redouter.Ces deux parties correspondent aux deux fonctions classiques de l’expositionau théâtre.

B. La fonction informativeLe spectateur apprend dès le début de la scène l’essentiel de ce qu’il doitconnaître pour comprendre la suite de l’action : Octave est tombé « amou-reux » durant l’absence de son père ; or celui-ci revient « dans la résolution de[le] marier […] avec une fille du seigneur Géronte ».C’est une intrigue classique de la comédie (voir Térence ou la commediadell’arte) qui traite de l’éternel problème du «mariage forcé », pour reprendre letitre d’une pièce de Molière.

C. La fonction rhétoriqueElle a pour but de capter l’attention du lecteur en lui ouvrant des perspec-tives qui vont l’intéresser à la suite de l’action. Les deux personnages évo-quent ainsi le probable courroux du père d’Octave, et les injonctions(« Conseille-moi ») ainsi que les interrogations angoissées qui concluent lascène (« Que dois-je faire ? Quelle résolution prendre ? À quel remède recourir ? »)font participer le spectateur activement et intellectuellement au déroulementde l’intrigue. Cette fonction implique ainsi que l’exposition n’apporte pas unensemble exhaustif de renseignements, mais qu’elle sache ménager desattentes et des impatiences chez le spectateur.

2. Une exposition ludique : le jeu avec la convention théâtrale

A. Une mise en scène ostentatoire de l’expositionOctave est précisément placé dans la position du spectateur lors d’une expo-sition : il apprend des choses et se demande avec inquiétude ce qui va se pas-ser par la suite.Le dispositif mis en place par Molière exhibe l’aspect conventionnel et artifi-ciel de l’exposition : elle est en effet répétée, redoublée, puisqu’Octave répète(pour confirmation) ce que Silvestre vient très probablement de luiapprendre. La solution la plus naturelle aurait été de représenter cette scène

21

A c t e I , s c è n e 1

initiale où Silvestre informait Octave. L’exposition devient donc superfluepour les personnages (et Silvestre le fait bien comprendre à Octave). Or l’ex-position doit être naturelle, nécessaire et vraisemblable, c’est-à-dire légitimeet justifiée par l’action. Molière révèle donc l’illusion théâtrale qui vise à faireoublier la double énonciation : dans cette scène, les personnages parlent uni-quement pour informer le public puisque leur dialogue se révèle parfaite-ment invraisemblable.

B. Le comique de répétitionLa répétition devient la figure majeure de cette scène essentiellement répéti-tive dans sa présentation et on sait que la répétition est comique en celamême qu’elle semble mécanique. Les personnages de cette scène apparaissentalors et à bien des égards comme des doubles, comme des répliques, nécessai-rement comiques.De façon comique, Silvestre reprend de façon mécanique, en manière deconfirmation il est vrai, la fin des répliques d’Octave : « ce matin même », « duseigneur Géronte », «de votre oncle », «par une lettre », « toutes nos affaires ».Dans la seconde partie de la scène, la répétition se transforme en parallé-lisme : Silvestre reprend à son compte les réflexions de son maître. CommeOctave, il demande à être conseillé lui-même ; comme lui, il redoute leretour du maître de la maison et craint également une sérieuse réprimande(« un nuage de coups de bâton»).La répétition s’exprime également sous la forme de réparties et de sailliescomiques du pauvre valet qui renchérissent sur les répliques d’Octave (voircomment Octave cherche à rivaliser dans le malheur avec son maître).

Dissertation

1. Le texte dramatique est une donnée majeure du spectacle théâtral

A. Le texte : une nécessité au théâtreLe texte dramatique est nécessaire au jeu théâtral. La majeure partie despièces de théâtre sont littéraires, ou du moins ont-elles un support verbal. Lacivilisation actuelle n’étant plus fondée sur la tradition orale, le texte reste leseul élément qui permette l’existence et la survie d’une pièce.

B. Le théâtre : un genre littéraireLes auteurs dramatiques sont essentiellement des écrivains qui abordent lethéâtre comme un genre littéraire à l’égal d’un autre (voir Hugo qui s’inté-resse presque simultanément à la poésie, au théâtre et au roman ; voir égale-ment Musset bien sûr). Le théâtre est enseigné comme un genre littéraire à

22

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

l’école, à l’université (par des professeurs de Lettres). Il est considéré dansl’enseignement avant tout comme un texte (faites référence à votre propreexpérience). La critique d’une nouvelle pièce est avant tout une critique lit-téraire : on juge d’abord de la qualité du texte.

C. Le théâtre : un objet littéraireLa production théâtrale est identique aux autres objets littéraires : ce sont deslivres. En outre, ils paraissent souvent avant même que le spectacle ne soitmonté. En ce sens le théâtre est avant tout un objet livresque (la publicationdu livre précède la création de la pièce). Certains auteurs dramatiques ontmême simplement publié des livres, sans que jamais leurs pièces ne soientjouées.Ainsi Musset publie une série de pièces jamais jouées de son vivantsous le titre collectif de Un spectacle dans un fauteuil entre 1832 et 1834 (dontfait partie On ne badine pas avec l’amour).

2. Cependant, le texte dramatique n’est pas suffisant au spectacle théâ-tral : le théâtre est essentiellement un art visuel (et non seulement unart littéraire)

A. Le théâtre : un art de l’interprétationLes didascalies montrent bien que l’auteur du texte n’est qu’un des respon-sables du spectacle théâtral, au même titre que le metteur en scène, lesacteurs, les techniciens, etc. Parfois même le metteur en scène est plus impor-tant que l’auteur et l’on va au théâtre pour voir la mise en scène de tel grandmetteur en scène avant de venir voir une pièce que l’on connaît par cœur etqu’on a lu dix fois. Cela prouve que la mise en scène peut transfigurer untexte (parfois elle le rend bien plus intéressant qu’il ne l’est sur le papier).

B. Le théâtre : un spectacleLe théâtre est un art verbal, mais également para-verbal : le décor, le son et lalumière sont signifiants. Les acteurs ne sont pas des machines à débiter dutexte : ils doivent jouer avec la matière de leur voix pour faire vivre le texte,avec leur expression corporelle pour faire exister les personnages qu’ils incar-nent.Tout prend sens au moment de la représentation : le texte ménage sou-vent une large place à l’interprétation du metteur en scène et des comédiens.

C. Le théâtre : un art verbal et non exclusivement littéraireSi le théâtre est un art verbal, cela ne signifie pas nécessairement même qu’ilsoit un art littéraire. Les plus grands dramaturges ont souvent été avant toutechose de très grands comédiens : Molière en est l’exemple le plus évident. Lacommedia dell’arte (en Italie puis en France) repose sur des canevas et un art

23

A c t e I , s c è n e 1

(« arte ») de l’improvisation. Des traditions théâtrales fortes (au Japon) parexemple fonctionnent sur des gestes et des cris plus que sur des paroles (voirArtaud, Le Théâtre et son double). Certains spectacles utilisent parfois la parolecomme un paramètre non privilégié (voir la Compagnie Deschamps) ; enfin,les improvisations théâtrales montrent bien que le théâtre est verbal, sans êtrenécessairement littéraire ou textuel.

Écriture d’invention

Sujet 1L’éloge de la « liberté de l’écriture » théâtrale devra bien entendu être étayé parune sorte de blâme de l’exposition en tant que « pure convention rhétorique » :les textes de Molière, de Musset pourront être sollicités pour montrer cettedistance ironique des auteurs dramatiques à l’égard de cette convention. Unautre argument pourra être tiré de l’évolution même de l’écriture théâtrale :les scènes d’exposition sont remises en cause dès le XIXe siècle et sont l’objetde jeux avec le public, de parodies diverses et leur abandon progressif (ouleur redéfinition) n’a pas du tout eu pour conséquence un affaiblissement dela composition, de la qualité et de l’intérêt dramatiques. On sera donc sen-sible dans le cadre de ce sujet au point de vue des dramaturges et on s’inté-ressera plutôt à la création qu’à la réception de l’œuvre théâtrale.Un blâme qui consiste à condamner l’abandon de l’exposition va évidem-ment privilégier davantage le point de vue du spectateur, du public plutôt quecelui des créateurs. On va s’intéresser aux problèmes de réception, commenous y invite le sujet qui parle du « spectacle théâtral » et de la « relation avec lepublic ». Si l’on adopte ce point de vue, le blâme doit également se doubler, encreux, d’une sorte d’éloge de l’exposition. On rappellera que le théâtre est detoute façon un art conventionnel et qu’il est naïf ou absurde de vouloir élimi-ner une convention en raison même du fait qu’elle est une convention. Enoutre, on peut rappeler que cette convention est « rhétorique » dans le bon sensdu terme car elle permet de convaincre (ou de persuader) de l’intérêt de lapièce, en même temps qu’elle donne au spectateur des éléments qui vont êtrenécessaires au plaisir qu’il va prendre au spectacle théâtral.

Sujet 2Dans sa forme, le traitement du sujet doit respecter les deux moments de lapensée délibérative : on se demande d’abord « si l’exposition est un élément arti-ficiel et inutile qui accentue la convention théâtrale », puis, dans un second temps,on se demande à l’inverse « si elle ne rend pas plus crédible l’action dramatique et

24

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

favorise la compréhension du spectateur ». Dans son contenu, l’exercice peutreprendre les arguments utilisés dans le traitement du sujet 1.

A C T E I I , S C È N E 2 ( p . 6 6 )

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE (pp.67 à 69)

a Certes, la modalité déclarative est dominante ; mais c’est un constat quel’on peut faire au sujet de tous les textes, tant elle se présente comme lanorme du texte écrit. En revanche, on remarque une présence importante dela modalité exclamative : neuf occurrences ! La sollicitation de la modalitéexclamative suggère que le personnage est fortement perturbé, qu’il est enproie à une forte émotion : on sait en effet que l’exclamation est une moda-lité qui traduit l’émotivité de celui qui l’utilise.

z Le personnage semble être animé du plus grand désespoir : «Ô malheureuxque je suis !» dit-il notamment au début du monologue. Ce malheur provientapparemment d’un « affront » qu’aurait subi le personnage : on peut donc éga-lement dire que Bridaine est particulièrement dépité.

e Puisque, dans ce monologue, Bridaine exprime ses sentiments, il est tout àfait normal qu’il sollicite à ce point le registre lyrique. Il se traduit d’abord etavant tout par l’omniprésence des marques de la première personne (« je »,« j’ », « me », « moi », « ma »), par l’emploi d’exclamations, par la présence duchamp lexical de l’affectivité («malheureux», « affront »), par les invocations etles interpellations («Adieu », «Dieu») et les apostrophes dites lyriques (« ô »).

r On note la présence des trois temps de référence : passé (7 occurrences),présent (4 occurrences) et futur (10 occurrences). Le futur est le tempsdominant. On remarque en outre que deux verbes au présent ont ici l’aspectde verbes au futur proche (« est certain », « retourne »). Le présent du repas esten fait un futur très proche : le repas va avoir lieu. Le passé n’est sollicité quepour mieux envisager l’avenir : Bridaine se souvient du repas de la veille pourconstater que le futur ne va faire que reproduire le passé.Ainsi, l’objectif dutexte concerne le futur et son objet, le type de réaction et de résolution quedoit prendre le personnage. Le monologue est donc tourné vers une décisionà venir, vers une résolution future qui engage une position nouvelle du per-sonnage pour le reste de l’action.

25

A c t e I , s c è n e 1

t Peu après avoir débité la moitié de son monologue, Bridaine énonce un«Non» à l’initiale d’une phrase, comme s’il répondait implicitement à une ques-tion fondamentale (selon lui) qu’il venait de se poser, sans néanmoins l’avoirexplicitement formulée. Cette réponse équivaut à une décision: Bridaine refused’accepter ce nouvel état de fait qui le relègue au «bas bout de la table».

y Cette prise de décision partage très nettement le monologue en deux par-ties distinctes : avant et après cette résolution, matérialisée par le « Non » deBridaine. On parlera de délibération pour désigner les réflexions qui précèdentet néanmoins entraînent la décision et on nommera résolution la nouvelleposition à laquelle aboutit le personnage. C’est l’évocation du passé récentdécevant (« hier ») et d’un présent portant au comble de la disgrâce le sort dupersonnage qui conduit à une résolution qui engage l’avenir de l’action dupersonnage : « je ne souffrirai pas cet affront ».

u Bridaine déplore la perte de sa « place d’honneur » à table, à la « droite duBaron ». Cette place vient de lui être subtilisée selon lui par Blazius, l’usurpa-teur, que l’on a vu, il est vrai, intriguer auprès du Baron en vue de déconsi-dérer Bridaine. C’est bien là, dans la perte de cette chaise, de ce « vénérable fau-teuil » que réside le seul et unique mobile du monologue. Il est vrai que celaest lourd de conséquence : il n’aura plus droit aux meilleurs morceaux, etpeut-être même sera-t-il privé de certains plats qui arriveront vides « au basbout de la table » ; c’est du moins ce qu’il redoute par-dessus tout.

i Si on recherche le thème de ce monologue par le relevé des champs lexi-caux les plus importants, on ne peut qu’être impressionné par l’omnipré-sence du vocabulaire de la nourriture, de l’alimentation, de la cuisine, de lagastronomie :– le service de table est représenté par « place », « chaise », « table », « verre »,«majordome», «plats », « fauteuil », « salle à manger », « convives » ;– la nourriture par « Malaga », « morceaux », « perdreaux », « choux », « carottes »,« os », « pattes de poulet », « mets succulents », « bouteilles cachetées », « fumet »,«venaisons » ;– et l’acte même de manger par « avalés », «dévorait », « gorgé de », auquel il fau-drait ajouter toutes les sensations olfactives (« fumet sans pareil ») et gustatives(« venaisons cuites à point », «mets succulents »), etc.Il n’est donc question que de nourriture. C’est, avec la boisson, le seul mobilequi fait agir cette marionnette humaine, pour laquelle la religion n’est qu’unmoyen de bien figurer à table et de manger démesurément.

26

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

o La fin du monologue montre un personnage qui s’adresse à ses vraisdieux : la nourriture et la boisson, au lieu d’implorer celui auquel il s’est vouécomme prêtre (Dieu). Les trois anaphores finales, les trois adieux sont respec-tivement adressés au « vénérable fauteuil », aux « bouteilles cachetées », au « fumetsans pareil de venaisons cuites à point », à la « table splendide » et à la «noble salle àmanger ». Ce sont les véritables destinataires du monologue auxquels s’adressela résolution prise par Bridaine.

q Malgré la trivialité du thème développé dans le monologue, Bridaine nemanque pas de recourir à de nombreuses expressions tragiques, telles que «Ômalheureux que je suis », qui pourrait bien appartenir à une tragédie racinienne(voir par exemple le fameux monologue de Titus à la scène 4 de l’acte IV deBérénice) ou encore « je ne souffrirai pas cet affront », qui ressemble à une résolu-tion héroïque, digne des tragédies de Corneille (voir Le Cid, acte I, scène 4).

s Le procédé le plus remarquable est bien sûr l’anaphore de «Adieu» qui, parsa triple occurrence, scande et marque le rythme d’une période ternaire dontles trois propositions sont d’un volume syllabique à peu près égal (entre 20 et25 syllabes). On peut également noter une série d’adjectifs antéposés qui ten-tent de conférer une certaine majesté et grandeur au discours : « vénérable fau-teuil », «noble salle à manger ». On pourra enfin relever les apostrophes lyriqueset les invocations dont on a déjà parlé.

d Si l’on analyse de plus près la dernière phrase, on remarque qu’elle est éga-lement construite selon un rythme ternaire : elle comporte trois propositionsorganisées en cadence majeure (selon un crescendo) puisqu’elles sont de plusen plus volumineuses : la phrase s’amplifie et le dernier mouvement (quidébute avec « et ») se présente comme la chute d’un discours grandiloquent,car très convenu, rhétorique et presque scolaire.

f Il y a bien sûr un décalage fondamental entre le sujet (vil et bas, vulgaire,trivial) et le style employé (qui vise le sublime, le ton élevé, le registre ora-toire, la déclamation tragique).Traiter un sujet comme la perte d’une bonneplace à table sur le mode tragique ou héroïque, c’est faire sans le savoir (etc’en est d’autant plus comique) une parodie ridicule du discours héroïque :on parle alors de parodie héroï-comique.

g Dans ce monologue, la religion est systématiquement associée à la nourri-ture : « ô sainte Église catholique » suit la déploration de la perte des « choux» etdes « carottes », l’invocation à Dieu apparaît à l’évocation de Blazius dévorant

27

A c t e I I , s c è n e 2

son repas : «Dieu ! comme il dévorait ! ». Le Baron est une sorte de Dieu ou deChrist (évocation de la Cène?) dont on veut être «à la droite » ; les «mets suc-culents » deviennent de nouvelles idoles auxquelles on s’adresse comme à desdivinités ; on vénère le fauteuil dans lequel on s’asseyait (« vénérable fauteuil »).La religion est manifestement un instrument commode pour assouvir lepéché de gourmandise, le vice de l’avidité et de la cupidité : c’est par la prièreque Bridaine s’est insinué jusqu’à la table du Baron : « Adieu, table splendide,noble salle à manger, je ne dirai plus le bénédicité. » Cette collusion des valeurs lesplus étrangères (le spirituel et le matériel) est à la fois choquante et comique,car Bridaine ne se rend même plus compte qu’il blasphème la religion qu’ilcroit servir : si le bénédicité semble sa prière préférée, c’est bien parce qu’onla dit avant de commencer un repas (pour remercier Dieu de sa prodigalité).

h Cette comparaison prend place au cœur du dispositif héroï-comique misen place par Musset : le décalage est évident et la disproportion par trop fla-grante pour que cette image ne se révèle pas ridicule et grotesque ; mais ellerévèle combien le château et la fréquentation du Baron restent pourBridaine, comme Rome pour César, une sorte de paradis, un absolu que l’onne quitte pas de bon gré.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (pp.71 à 76)

Examen des textes

a Certes, le monologue d’Hamlet semble éloigné de l’enjeu dramatique de lapièce, tel qu’il se présente au début de l’acte III : Hamlet doit venger son pèreet tuer son assassin ; or rien dans ce monologue ne semble destiné à engagerl’action du personnage dans ce sens. Pourtant, ce monologue métaphysiqueest bien également un monologue héroïque : Hamlet, devant l’impossibilitéou du moins la grande difficulté qu’il éprouve, pour de multiples raisons, àvenger son père, se pose la question du suicide, qui apparaît alors comme unesolution dramatique à son dilemme héroïque. Le monologue débouche entout cas sur une conclusion qui montre la lucidité du héros et caractérise par-faitement le problème intérieur qu’affronte le personnage : « ainsi la consciencefait de nous tous des lâches ». On peut alors penser que cette connaissance vapouvoir aider le héros à déterminer et conduire son action à venir.

z L’argumentation de Don Diègue est bien construite. D’abord, dans lesdouze premiers vers, le personnage déplore son impuissance à pouvoir laver

28

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

l’affront qui lui a été fait. Dans un deuxième temps (vers 13-14), au cœur dumonologue, Don Diègue formule alors les termes de sa délibération sous laforme d’un dilemme (vers 14) : « mourir sans vengeance » ou « vivre dans lahonte ». Doit-il alors se suicider ou abdiquer tout honneur ? Dans un troi-sième temps (vers 15 à 24), le personnage prend une décision qui est unedouble résolution. Il laisse la place de gouverneur à Don Gomes puisqu’iln’en est plus digne (vers 15 à 18), mais refuse de vivre sans être vengé, dans lahonte (vers 19 à 24) ; son honneur sera vengé par un autre : « Passe pour mevenger en de meilleures mains » (vers 24).

e C’est au vers 14 qu’est formulé explicitement le problème fondamentalque doit résoudre la délibération : « mourir sans vengeance ou vivre dans lahonte ». C’est un dilemme car l’alternative n’est pas satisfaisante et confirmedans tous les cas l’impuissance du personnage à se venger. La délibération vaalors consister à essayer de sortir le personnage de cette sorte d’« impasse » tra-gique à laquelle son honneur est condamné pour l’instant.

r Harpagon construit son monologue selon le principe de l’accumulation etde l’amplification (qui conduit vite à l’exagération hyperbolique). Les propo-sitions, organisées en séries, s’opposent et s’annulent les unes les autres àmesure qu’elles s’énoncent selon une logique (ou une absence de logique)absurde et comique. Pourtant, le monologue évolue puisque le personnagecommence à poser des questions angoissées qui montrent sa panique et sontrouble maniaque dans la première partie de son monologue pour finir parreprendre possession de ses esprits dans la seconde moitié. Cette maîtriseretrouvée se matérialise par un changement de nature dans les questionsposées : elles deviennent inquisitoires et non plus suppliantes. Plus encore, lamodalité exclamative laisse la place à l’injonction (« sortons », « allons vite »), demême que la volonté semble reprendre le pas sur l’affectivité comme le mon-trent certaines périphrases verbales : « je veux aller », « je veux faire ».

t Harpagon déplore moins qu’il invoque, supplie, menace en fonction d’uncaractère qui n’a pas la sensibilité comme trait dominant.Ainsi, le monologuedevient vite une sorte de dialogue : Harpagon commence d’abord par invo-quer de l’aide et c’est le sens de ses premières questions ; ensuite, le personnages’adresse encore aux autres, mais cette fois-ci pour les menacer. Il est à noter,en outre, que le personnage parle à son argent perdu comme à un être cher etsemble dédier une partie de son monologue à son « cher ami» : « sans toi, il m’estimpossible de vivre ». L’aspect dialogique du monologue est également affirmé

29

A c t e I I , s c è n e 2

par les nombreuses interrogations et injonctions qui l’émaillent. Enfin, onpeut considérer que le personnage, qui fait les questions et les réponses, est enétat de dialogue avec lui-même, jusqu’à s’appréhender même comme unautre : «Qui est-ce ? Arrête. Rends-moi mon argent coquin… […] Ah c’est moi. »

Travaux d’écriture

Question préliminaireLe monologue a d’abord comme fonction essentielle de permettre l’expres-sion lyrique d’un sentiment. Les textes du corpus développent un sentimentqui exprime lyriquement l’idée d’un malheur, d’un désespoir fondamental.Les « douleurs », les « malheurs », les « maux » sont liés au fait d’exister dans letexte B. Un « affront » rend «malheureux » Bridaine dans le texte A et plongeDon Diègue dans la « rage » et le « désespoir » dans le texte C. Le malheurprend aussi la forme d’une déploration qui porte sur la perte d’un objet dansle texte D (« je suis perdu, je suis assassiné, on m’a coupé la gorge, on m’a dérobémon argent ») ou d’un être cher dans le texte E (« pas retrouvée mon petit choumon tigre mon salaud tu t’es sauvé »).La seconde fonction essentielle du monologue, qui est une conséquence dutrouble affectif, consiste à permettre au personnage de conduire une délibé-ration intérieure qui doit aboutir à une résolution, ou du moins à une prisede conscience. Le texte A permet à Bridaine, après délibération sur laconduite à tenir, de prendre une décision ferme qui se présente comme laréponse ferme à ce qu’il interprète comme un « affront ». Le texte B formuledès son début l’objet d’une délibération existentielle provoquée par une ten-tation suicidaire : « être ou ne pas être, c’est là la question ». Le texte C mène unedélibération qui doit résoudre un cruel dilemme : « mourir sans vengeance ouvivre dans la honte ». Le texte D est une délibération continue qui accumule,dans une grande confusion, différentes décisions contradictoires ou impos-sibles à réaliser. Enfin, même le texte E, plus lyrique que véritablement déli-bératif, aboutit apparemment à une décision, mûrement réfléchie, obtenueaprès évocation du passé : « va te faire foutre, ça fait un an».

Commentaire

On pourra adopter le plan suivant :

1. Un monologue délibératif

A. Expression lyrique d’un sentiment• Apostrophes lyriques («Ô») : quatre occurrences.

30

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

• Exclamations nombreuses : cinq occurrences.• Syntaxe qui traduit l’émotion : les phrases des quatorze premiers vers sontsoit interrogatives, soit exclamatives (exclusivement).• Déploration élégiaque et champ lexical de l’affectivité (« rage », «désespoir »,« cruel », etc.).

B. Une délibération• Première partie du monologue : interrogations diverses qui traduisentl’aporie et le désarroi (vers 1 à 12).Au cœur du monologue : la formulationde l’objet de la délibération sous la forme d’un dilemme (vers 13-14).• Seconde partie du monologue (vers 15 à 24) : résolution et double décision(d’où les injonctions et la disparition des exclamations et interrogations).D’abord ce qui concerne le Comte et l’enjeu de la querelle (vers 15 à 18 :une phrase), puis ce qui concerne son honneur et sa vengeance (vers 19 à 24 :une phrase).

2. Un discours héroïque

A. Une éthique de la gloire• Le code de l’honneurTout ce qui ne sert pas cette « gloire » est contraire au code héroïque, d’où uneopposition simple dans le texte entre un champ lexical de l’honneur : « res-pect », «admire », « gloire », «dignité », «honneur », « glorieux» et un champ lexicaldu déshonneur : « infamie », « honte », « sans honneur », « affront », « indigne »,«offense ».• L’idéal épique et chevaleresque– valorisation de l’acte guerrier et de l’héroïsme (« travaux guerriers », « lau-riers », «bras », « glorieux», « fer ») ;– rappel du serment de fidélité chevaleresque et de la vassalité féodale («Monbras qui tant de fois a sauvé cet empire /Tant de fois affermi le trône de son roi »).

B. Une mise en scène de soi• L’exagération héroïqueL’hyperbole est le mode de pensée du héros. Là encore, le héros aborde lemonde selon des valeurs fermement établies, la grandeur ou la bassesse, quisont autant de bornes entre lesquelles oscille son destin. Cette oscillation nepeut être qu’extrême, d’où les nombreuses exagérations, tant du côté de lagloire que du côté du déshonneur. Le héros est absolument héroïque (vers 5,6 et 7) ou absolument indigne («homme sans honneur » au vers 16, « le dernierdes humains » au vers 23). Il n’y a pas de nuances ni de jugements relatifs dans

31

A c t e I I , s c è n e 2

un monde héroïque régi par des principes d’excellence humaine : ou bien onest tout, ou bien on n’est rien.• L’expression de soi ou le style oratoire de l’héroïsme– La gradation : le premier vers est particulièrement représentatif de cetterecherche stylistique puisqu’il associe la répétition anaphorique de l’apos-trophe et de l’exclamation à un rythme ternaire organisé en cadence majeure(2/4/6).– L’anaphore rhétorique : «Mon bras » répété aux vers 5 et 6.– Métonymie et synecdoque : «Mon bras », comme métonymie de son cou-rage et de sa force guerrière, « fer », comme synecdoque pour désigner l’épéesont des expressions du langage héroïque.– Antithèse : sous la forme d’un paradoxe au vers 11 (« nouvelle dignité fatale àmon bonheur »), au vers 22 («M’a servi de parade et non pas de défense »), au vers10 (« Œuvre de tant de jours en un jour effacée ») : présence en outre d’unchiasme à l’hémistiche qui met en valeur cette disproportion qui caractérisele monde héroïque.

C. La formulation d’un conflit tragiqueLe héros est celui qui a accès à la grandeur tragique et qui l’éprouve pour sonplus grand malheur mais aussi pour sa gloire.• Le conflit intérieur : la métonymie n’est pas ici un « inutile ornement », elleexprime cette opposition entre le corps (« Mon bras ») et l’âme (« ne fait rienpour moi »). La principale offense que subit Don Diègue ne provient évidem-ment pas de l’affront du Comte, mais de son impuissance physique à yrépondre, c’est ce qui explique sa résolution de laisser la voie libre à son rival(vers 15 à 18). Le véritable obstacle à sa gloire et à son honneur, c’est cette« vieillesse ennemie » qui le déshonore en faisant de lui un « corps tout de glace ».L’apostrophe oratoire adressée à son épée, qui devient le destinataire de la findu monologue (à partir du vers 19), montre également cette séparation ducorps (et de la honte) de la vertu héroïque (le « fer » de l’épée).• Le dilemme : c’est la forme que prend l’objet de la délibération chez lehéros cornélien et c’est la formulation même du conflit tragique en tant quenœud inextricable. Il est donc formulé au vers 14, au centre du monologue,sous la forme d’une question délibérative, fondée sur un parallélisme deconstruction et une symétrie parfaite dans les deux hémistiches («Et mourirsans vengeance / et vivre dans la honte »). Le dilemme montre bien que lesvaleurs héroïques ne sont pas liées à la conservation de soi : le problème quiagite Don Diègue n’est pas de savoir s’il vivra ou mourra (la vie n’a pas

32

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

nécessairement de valeur et la mort n’est pas à redouter), mais de savoir s’ilpeut sauver son honneur de la honte.

Dissertation

1. Le théâtre n’est pas un genre lyrique

A. Le genre dramatiqueLa différenciation traditionnelle et classique entre poésie lyrique et poésie dra-matique vise à montrer que si le théâtre a pu utiliser le vers, il ne doit en aucuncas être confondu avec le lyrisme. Le registre lyrique a son genre propre depuisle travail de définition générique mené par le classicisme : c’est la poésie. Legenre poétique finit ainsi, notamment après l’abandon du vers par le théâtre, pardevenir essentiellement lyrique.Le théâtre se dégage alors de tous les ornementsdu lyrisme pour les laisser au genre qui en est le support privilégié: la poésie. Ilest à noter que cette clarification des genres permet également de distinguer ledramatique du narratif en montrant que la présentation dramatique est directeet ne passe pas par la médiation d’un narrateur qui rapporte des événements oudes actions.Ainsi, on peut considérer qu’il existe trois grands genres : l’épique(ou le narratif), le lyrique et le dramatique (voir par exemple Genette,Introduction à l’architexte, dans Théorie des genres [collectif] aux Éditions du Seuil).

B. Le dialogisme (concept emprunté à Bakhtine)Autant le lyrisme est par nature «monologique », autant le théâtre se définitbien évidemment comme « dialogisme » fondamental. De même qu’on nepeut, ou avec quelles difficultés (et quel intérêt ?) faire du théâtre sans person-nages, il semble difficile de faire du théâtre sans vrai dialogue, sans véritabledialogisme.Si l’on remonte jusqu’à l’origine même du théâtre occidental en Grèce, onse rend compte que ce genre naît au moment où l’on oppose un acteur aurécitant (ou au Chœur). Le théâtre naît avec la notion de personnage, avec ledialogue, et se distingue ainsi de la récitation telle qu’elle avait cours jusque-là en Grèce.

C. La représentation d’une actionL’action est au cœur du système dramatique. Le mot drama signifie en grec«action».Ainsi, le théâtre vise à représenter (et non à raconter) des événementset non à exprimer (directement) des sentiments. Le théâtre est donc « fiction» etnon « diction » pour reprendre des termes de Genette, mais il est égalementreprésentation d’une fiction et non narration d’une fiction. S’il est donc pos-

33

A c t e I I , s c è n e 2

sible de concevoir un théâtre sans personnages, il est en revanche tout à faitimpossible, à moins d’en dénaturer le sens, de concevoir un théâtre sans action.Le genre dramatique s’oppose donc doublement au genre lyrique : c’est lareprésentation (et non l’expression) d’une action (et non de sentiments).Pourtant, cette approche issue d’une réflexion de bons sens par ailleurs tropabstraite et théorique ne rend pas nécessairement compte de la complexitéd’un genre et ne prend pas en considération certains éléments dramatur-giques et historiques essentiels liés à sa pratique.

2. Le lyrisme au théâtre

A. L’origine : le chantÀ l’origine, le théâtre était sans doute très proche de ce qu’on nommeaujourd’hui « théâtre lyrique » ou « opéra ». Les tragédies antiques étaientconstruites selon une alternance de parties chantées et de parties dialoguées.Le chœur antique est finalement le personnage le plus important, tout dumoins le plus présent sur la scène : il entre en chantant (parodos), reste surplace durant toute la durée de la pièce et ponctue chaque épisode d’un chant(stasimon). Enfin, la plupart du temps il quitte l’espace scénique à la fin de latragédie (exodos) au cours d’un chant dialogué (kommos).L’opéra apparaît au XVIe siècle comme un avatar du théâtre. De la mêmefaçon, le théâtre médiéval (la mise en scène des Mystères) est essentiellementlyrique, c’est-à-dire chanté. Enfin, encore au XVIIe siècle, de nombreusespièces de théâtre sont des comédies-ballets : voir les pièces de Molière, etnotamment sa dernière comédie, Le Malade imaginaire.

B. La nature du spectacle théâtralLe théâtre se définit aussi comme la transmission de sentiments : joyeux eteuphoriques dans la comédie et plus tristes dans la tragédie :Aristote précisemême que le spectacle tragique doit susciter « terreur » et « pitié ». Certainestragédies de la Renaissance (celles de Jodelle, Garnier, Jean de la Péruse) sontd’ailleurs essentiellement lyriques : il s’agit de montrer un personnage quiexprime son malheur par une suite de déplorations tragiques. L’action n’estplacée qu’en arrière-plan : tous les événements se déroulent hors-scène et lepublic ne voit que des personnages qui viennent exprimer leur trouble, leurconflit, leur désespoir.

C. Le cas du monologueCertains éléments importants de la dramaturgie montrent ce besoin lyriqueinscrit au cœur du théâtre : il s’agit notamment du monologue. On a vu que

34

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

le monologue avait bien comme fonction essentielle de transmettre l’expres-sion lyrique d’un sentiment.Avec les grandes scènes d’action, le début et la fin d’une pièce, les mono-logues constituent les scènes capitales d’un spectacle théâtral. Cela est telle-ment vrai qu’au moment de la grande renaissance du théâtre en France, audébut du XVIIe siècle, les dramaturges ont pu lui donner une place tout à faitétonnante : entre 15 et 25 monologues par pièce. Les redéfinitions moderneset contemporaines du monologue vont de pair avec l’extension de celui-ci : ila tendance à couvrir l’ensemble d’une pièce et il devient alors soliloque (voirBeckett, Oh les beaux jours, Koltès, La Nuit juste avant les forêts, Melquiot,L’Inattendu).

3. Le théâtre : un art total

A. Le théâtre comme synthèse

• La différenciation entre tragédie et comédieLe problème du lyrisme au théâtre est finalement complexe si on examineles genres dramatiques traditionnels. La tragédie a une forte tendance, origi-nelle, historique et essentielle à représenter lyriquement des sentiments por-tés par des personnages ; elle a en outre comme objectif d’en faire naître chezle spectateur. En revanche, cette tendance lyrique est bien moins prégnantedans la comédie, qui se rapprocherait davantage du genre narratif que dugenre lyrique. Son objectif est même tout à fait anti-lyrique : aucune empa-thie ne doit normalement naître devant les caractères comiques représentéssur scène, à la différence de ce qui doit se passer dans la tragédie.

• Le drame, comme dépassement des genres et des registresAvec la naissance du drame aux XVIIIe et XIXe siècles apparaît une nouvellevision du monde et du théâtre qui en fait le reflet grossissant et intelligent dela complexité de la réalité dans ce qu’elle a de mixte, mélangé, composite :tous les registres, dont le lyrique, sont alors sollicités pour donner corps à ungenre qui se donne l’apparence de la vie.

B. Le théâtre comme dépassement du monologisme lyrique par le dialogisme dramatique

• Le monologue et le soliloqueOn a vu que le monologue restait un élément moteur et capital de l’actiondramatique alors même qu’il a pour fonction d’exprimer lyriquement unsentiment : il est un moment de pause, de bilan, de délibération qui permetau personnage d’engager son action dans un sens qu’il détermine à mesure

35

A c t e I I , s c è n e 2

de l’évolution des événements. En outre, la valeur dramatique de certainssoliloques, que certaines mises en scène ont révélé, montre que le lyrisme nes’oppose pas sur ce point à l’exigence dramatique.

• Le dramatique comme polyphonie lyriqueLe lyrisme n’est donc pas nécessairement étranger au théâtre : il doit simple-ment se présenter sous une forme dramatique ; il doit pouvoir être objectivé,représenté et dramatisé par un conflit qui le dynamise. Musset en est l’illus-tration évidente : si sa poésie semble souvent dialogique, son théâtre sembleen retour particulièrement lyrique. Il s’en est expliqué dans un article intituléSur le théâtre : «Dans cette multitude de spectateurs, dans ces acteurs qui vont et vien-nent, dans tout cet appareil, dans toutes ces pensées, il semble qu’il n’y ait qu’une pen-sée unique et un seul homme qui parle à un autre homme» (Musset, Œuvres com-plètes, Éditions du Seuil, «L’Intégrale », p.931).

InventionOn peut donner à l’appui de ce sujet d’autres monologues plus longs et net-tement plus délibératifs : Bérénice, IV, 4 (monologue de Titus), Andromaque,V, 1(monologue d’Hermione), Zaïre de Voltaire (acte III, scène 3) et bien sûr onpourra avoir recours aux fameuses stances du Cid (acte I, scène 6) qui pré-sentent une série de dilemmes avant d’aboutir à une décision qui fait préva-loir l’honneur sur la passion amoureuse. On attirera également l’attention surle court, mais néanmoins très délibératif monologue de Perdican au début dela scène 1 de l’acte III…Il s’agit de produire une sorte de méditation personnelle (ce n’est pas un dia-logue délibératif) : la délibération doit suivre les mouvements contradictoiresde la pensée sans perdre pour autant en clarté. La démarche de la délibérationreste donc libre.Toutefois, on peut orienter le travail dans deux directions :• Soit on construit la délibération sous une forme dissertative : on analysealors en deux moments distincts et successifs les deux positions dans l’ordrele plus favorable à l’expression d’une préférence finale et donc à une conclu-sion logique qui exprimera la résolution adoptée, après la confrontation desdeux systèmes de valeurs (respect de la loi ou valeurs de l’amitié).• Soit on adopte une approche plus franchement délibérative, c’est-à-direplus littéraire et thématique en délibérant sur chaque élément particulier, surchaque argument qui justifie l’une ou l’autre thèse.

36

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

A C T E I I , S C È N E 4 ( p p . 7 9 à 8 2 )

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE (pp.84 à 87)

a Le récit d’un événement extraordinaire, annoncé dès le début de la scène(« Seigneur, j’ai une chose singulière à vous dire »), ne survient véritablementqu’aux 5e et 7e répliques, de façon lacunaire : (« Imaginez que j’ai vu passer sousla fenêtre Dame Pluche hors d’haleine […]. Et à côté d’elle, rouge de colère, votrenièce Camille ») puisque l’information inédite et insolite ne sera livrée qu’aumoment où Blazius révélera ce que les personnages en question se disaient…

z Si l’on élimine, dans le discours de Blazius, les premières répliques, super-flues, qui ne traitent que des circonstances de l’action relatée par le récit et lesdernières qui en sont le commentaire absurde, on se rend compte que lerécit, à proprement parler, ne couvre que les répliques 5 à 13 (soit 9 sur 24),et si l’on ne tient compte que des répliques de Blazius qui est finalement leseul à pouvoir rapporter ce récit, et parmi celles-ci uniquement celles quiapportent des informations nouvelles, on ne compte plus alors que lesrépliques 5, 7, 11, 13 (soit 4 répliques sur 24).

e Le récit est constitué symétriquement de deux répliques (5 et 7) quiracontent une action et décrivent l’attitude des personnages et de deuxrépliques qui rapportent au discours direct les paroles prononcées par lesdeux personnages (11 et 13). Ainsi, le récit se présente comme une petitecomédie, constituée de deux sortes de didascalies qui donnent des informa-tions sur le décor, l’attitude des personnages (« hors d’haleine », « rouge decolère ») et de deux sortes de répliques que représenteraient ici les paroles rap-portées au discours direct.

r Dans les deux cas, la scène, typique au théâtre, de « récit de messager », estpervertie en scène de délation : elles commencent toutes deux par la mêmeaccroche : «Seigneur, j’ai un mot à vous dire » (I, 5), «Seigneur, j’ai une chose singu-lière à vous dire » (II, 4). La scène 4 de l’acte II reprend les mêmes motifs pré-sents en I, 5 : la boisson et la fenêtre qui permet de voir sans être vu. Elle metégalement en scène la délation : en I, 5, Blazius dénonce Bridaine et Bridainedénonce l’attitude séductrice de Perdican de la même façon qu’en II, 4,Blazius dénonce l’attitude frivole de Camille.

t La scène 4 de l’acte II semble répéter ce qui a été représenté à la scène 1de l’acte II. En effet, Camille donne bien un billet à Pluche pour qu’elle le

37

A c t e I I , s c è n e 4

remette à Perdican. Pluche s’y refuse et s’offusque, mais Camille insiste etréitère cet ordre à sa gouvernante (fin de la scène).

y Même si tout ne nous est pas montré en II, 1, nous avons des éléments quipermettent de mieux comprendre ce que Blazius a entendu. Le principaldécalage que l’on constate – et il est fondamental –, c’est que Blazius, n’ayantpas entendu le début de la conversation entre Pluche et Camille, n’a pascompris que le pronom personnel de la troisième personne désigne Perdican,d’où le quiproquo comique de la scène 4 de l’acte II.

u Blazius s’interrompt essentiellement pour faire des digressions (« je regardaispar la fenêtre, entre deux vases de fleurs qui me paraissaient d’un goût moderne, bienqu’ils soient imités de l’étrusque »), ou des modifications correctives, ou épanor-thoses (« je veux dire… ») qui cherchent à masquer son ivrognerie et sonivresse. Les interruptions provoquées par le Baron sont des commentaires, laplupart du temps étonnés, ou des demandes de précision dues à des lacunesou des ambiguïtés (ou amphibologies grammaticales par exemple). Le Barondétourne lui aussi le récit de son objectif principal en se fixant sur desdétails : « de la famille ? », « qui était rouge de colère », « dans la luzerne ? » et enralentissant, en anticipant et en contrariant le récit même que tente deconduire à son terme Blazius : « et que répondait la gouvernante ?».

i Les digressions portent d’abord sur les circonstances de l’énoncé (réplique1) et de l’énonciation (réplique 2). Elles portent ensuite sur l’intelligibilitémême de l’énoncé («Pourquoi », «qui », «que»), sur sa validité (« comment savez-vous»). Elles se présentent aussi comme des commentaires superflus (« voilà quiest incompréhensible », « cela est inouï », « cela est insolite », « je n’y comprends rien»).

o Blazius se répète car il est interrompu : ses trois premières répliques disentà peu près la même chose sur le plan de leur contenu et il doit répéter l’in-formation scandaleuse pour être bien entendu du baron (« votre nièce a une cor-respondance secrète »). Le Baron se répète à un niveau plus formel : ses remar-ques disent à peu près toutes la même chose, à savoir qu’il ne comprend plusce qui se passe autour de lui (« je n’y comprends rien ») et de la même façon, parl’utilisation d’adjectifs hyperboliques et négatifs (« voilà qui est incompréhen-sible », « insupportable », « inexplicables », « cela est inouï », « cela est insolite »,« impossible ») qui trahissent son désarroi.

q En apparence, le dialogue respecte les règles d’enchaînement. Mais lesenchaînements dits « sur le mot » (« famille », « hors d’haleine », « rouge de colère »,

38

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

« dans la luzerne ») ne sont que des façons de ralentir, de contrarier et derendre incompréhensible le récit.Ainsi, comme pour le langage en général, laforme est respectée, mais la communication est vidée de tout contenusérieux : on ne parle ici que pour ne rien dire.

s Les très nombreux adjectifs négatifs produits par dérivation préfixale (enl’occurrence avec le préfixe privatif in-) sont des formes de négation: « incompré-hensible », « insupportable », « inexplicables », « inouï », « insolite », « impossible ». Ilsindiquent une incommunicabilité fondamentale entre les personnages, quidouble de façon grotesque le malentendu qui existe entre Perdican et Camille.

d Une amphibologie grammaticale est relevée par le Baron: le groupe adjec-tival « rouge de colère» se rapporte-t-il à Pluche ou à Camille? Le récit de Blaziusest également imprécis car il ne précise jamais la nature du pronom personnel :« il » reste ambigu; le quiproquo est d’ailleurs fondé sur cette ambiguïté.

f L’ébriété de Blazius transparaît d’abord par son manque de maîtrise qui lefait avouer la vérité, puis se reprendre, par une série de modifications (épa-northoses) qui émaillent son discours (« je veux dire…»). Elle transparaît de lamême façon quand il réussit à masquer un hoquet d’ivresse (« hic » qui seplace là où était attendu sans doute le mot problème par exemple) en le répé-tant et en l’incluant dans une expression latine «hic jacet lepus », alors qu’il saitbien pourtant que le Baron ne peut la comprendre.

g Blazius se prend pour une personne avisée, pour un maître de la sciencedéductive, pour un orateur judiciaire qui résout les difficultés et les énigmespar la seule force de son raisonnement logique. Devant le Baron, il com-mence à jouer au plus fin et cherche à lui prouver sa supériorité, ou dumoins sa valeur intellectuelle : «Ne comprenez-vous pas clairement, seigneur, ce quecela signifiait […] Cela veut dire que votre nièce a une correspondance secrète. »

h Les répliques répétitives du Baron (« je n’y comprends rien », « voilà qui estincompréhensible », « insupportable », « inexplicables », « cela est inouï », « cela est inso-lite », « impossible ») en font un être mécanique voué à reproduire éternelle-ment les mêmes paroles. En outre, sa propension à l’hyperbole montredavantage encore le décalage qu’il entretient avec la réalité.

j Blazius fait l’erreur de reprendre un discours étranger, placé dans uneautre situation de communication, en en gardant les mêmes désignations spé-cifiques. Ainsi, à cause d’un malentendu évident, mais aussi d’une certainebêtise, il ne cherche pas à déterminer qui représente le pronom personnel : il

39

A c t e I I , s c è n e 4

est possible en effet que ce soit un jeune homme « sans nom», un « gardeur dedindons », mais il s’avère qu’il s’agit de Perdican dont le nom est simplementrepris par une anaphore pronominale (« il »).

k Le Baron ne semble répéter qu’une seule et unique réplique (« je n’y com-prends rien », « voilà qui est incompréhensible », « insupportable », « inexplicables »,« cela est inouï », « cela est insolite », « impossible »). Cette répétition est en soicomique. Les enchaînements dits « sur le mot » impliquent également desrépétitions comiques (« famille », « hors d’haleine », « rouge de colère », « dans laluzerne ») ou un comique de répétition.

l Les expressions du Baron sont quasiment toutes hyperboliques et lecomique naît de l’incroyable décalage qui existe entre ce qu’on lui raconte etsa réaction («Ma nièce, rouge de colère ! Cela est inouï ! »). C’est cette dispropor-tion qui est comique : à la fin de ce dialogue, le Baron prendra un ton de tra-gédie pour commenter ce qu’on vient de lui raconter : « Passons dans moncabinet ; j’ai éprouvé depuis hier des secousses si violentes, que je ne puis rassemblermes idées. »

m Blazius montre une emphase ridicule, disproportionnée et hyperboliquequi ne semble qu’une imitation creuse de formules rhétoriques issues de l’artoratoire judiciaire : « Je les pèserais dans la balance céleste qui doit peser mon âme aujugement dernier, que je n’y trouverais pas un mot qui sente la fausse monnaie.Votrenièce a une correspondance secrète. » Cette formule parodie nettement les péro-raisons (ou conclusions) judiciaires. C’est ainsi, semble-t-il que l’on peutinterpréter sa dernière réplique : l’expression latine et pédante du début estcaractéristique de ce style rhétorique et judiciaire. Après une accroche enlatin, digne des plus grands avocats, pense-t-il, Blazius commence sa dernièreréplique en définissant et caractérisant le problème à résoudre ; puis il utilisela forme du syllogisme (ici faux syllogisme ou enthymème, typique de l’ar-gumentation judiciaire) pour arriver à une conclusion absurde sur un strictplan logique qui s’avère désastreuse pour le Baron et sa famille. Or le Baronl’avait déjà mis en garde par deux fois («De l’honneur de la famille ! », «Songez-vous de qui vous parlez ? »). Blazius, pour ne pas tomber en disgrâce ou êtrerenvoyé, décide alors de se contredire : « Cependant, il est impossible que votrenièce, avec l’éducation qu’elle a reçue…» Le raisonnement n’a donc plus aucunsens et la réplique n’a plus de raison d’être, il s’arrête donc de façon abrupte :« voilà ce que je dis, et ce qui fait que je n’y comprends rien non plus que vous ». Cetteimitation comique, cette parodie montre le ridicule du personnage en raison

40

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

du fait que son argumentation ne va déboucher sur rien. Sur le plan du dia-logue et de la progression de l’information, cette réplique est alors complète-ment inutile, superflue, c’est ce qui en détermine la vertu comique.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (pp.89 à 96)

Examen des textes

a Le Quaker commence d’abord par présenter John Bell dans une répliquefaussement élogieuse – qui en outre parodie le fameux ecce homo évangéliqueadressé au Christ : John Bell, le faux sauveur des temps de la dégradationmorale et sociale ? Les anaphores (« voilà ») emphatiques mettent d’autant plusen valeur le décalage et la contradiction de la modernité : le « riche » est le« juste » devant la loi ! Les autres répliques utilisent l’antiphrase ironique :« Bien dit, tu es beau comme… », « Courage ami, je n’ai jamais entendu… un rai-sonnement plus sain que le tien », « ce n’est que du bon sens, maître John». L’ironieconsiste ici certes à laisser voir ce qu’on pense (par des exagérations visiblesqui finissent par sonner faux) tout en disant le contraire (antiphrase), maiselle se comprend surtout comme une imitation parodique des raisonnementsadverses : ce que dit le Quaker avec emphase et exagération, le pouvoir poli-tique le pense et la société le met en application. C’est là que réside la forcede l’ironie : elle n’est pas que pirouette intellectuelle, c’est une mise en scèneparodique et satirique de la parole de l’autre, présentée dès lors commeabsurde et impensable.

z Le cynisme de John Bell est fondé sur une reconnaissance d’un hiatusentre la vraie justice et la réalité, entre l’état de droit et l’état de fait : « Je suisjuste selon la loi. » C’est cette vision nihiliste qui fait du pur état de fait lamesure de toute vérité et de toute valeur qui rendent les répliques de JohnBell si cyniques : « Les machines diminuent votre salaire, mais elles augmentent lemien ; j’en suis très fâché pour vous, mais très content pour moi. » Le raisonnementde John Bell n’est pas universaliste (il ne se met pas à la place de l’autre, parsympathie et compassion : c’est le fondement de la morale), il est à l’inversepragmatique (fondement philosophique de l’économie capitaliste) et ilinverse la loi morale : il demande que ceux qui le critiquent se mettent à saplace (et disent ce qu’ils feraient…). C’est évidemment une justification del’égoïsme, de l’intérêt particulier et de la loi positive (ce qui est juste, c’est ceque dit la loi !).

41

A c t e I I , s c è n e 4

e Les deux thèses s’affrontent et se définissent clairement à la fin du texte.John Bell se défend en arguant du fait que ce qu’il fait, qui peut être cho-quant, est permis par la loi et qu’il n’a donc rien à se reprocher : « Je suis justeselon la loi », dit-il. C’est sur ce point que le Quaker semble le contredire : «Etta loi est-elle juste selon Dieu ? » Le Quaker insinue par cette question que la loipositive que défend John Bell est injuste en ce sens qu’elle bafoue les droitsde l’homme à la liberté, à la propriété, à la dignité. Le capitalisme de JohnBell est associé à un nouveau féodalisme : « tu es le baron absolu de ta fabriqueféodale ». Les deux thèses s’affrontent donc autour du problème de la justiceet de sa définition : John Bell défend le droit positif (la loi écrite) tandis quele Quaker défend le droit naturel (les valeurs universelles et implicites quidevraient fonder la loi juste).

r Le premier élément grotesque provient de la confusion entre des élémentsde discours philosophique (en l’occurrence hégélien) et une situation maté-rielle et burlesque (le roi est presque nu et s’habille). Le grotesque est d’au-tant plus manifeste que le roi se prend pour un absolu philosophique (« lasubstance, c’est l’en-soi, et ça, c’est moi ») et confond même les éléments philoso-phiques et les parties de son habillement : « Les catégories sont dans la plusaffreuse confusion, voilà deux boutons de boutonnés en trop… », par exemple.L’ironie est très forte ici car elle s’attaque évidemment à la philosophie hégé-lienne comme support et justification du pouvoir, mais aussi à ceux qui,comme le roi, exercent ce pouvoir : ils sont en effet assimilés à de purs etsimples substances (en-soi), sans conscience, sans liberté, sans esprit ; ce sontdes marionnettes, des automates qui fonctionnent comme de la matièreinerte. La suite de la scène montre ce fonctionnement absurde du person-nage qui dévoile l’inanité de son esprit (le nœud du mouchoir), sa bêtise etson cynisme inconscient (« je voulais me souvenir de mon peuple »), le pur méca-nisme de sa parole : le roi parle pour ne rien dire, ses phrases n’ont aucunsens, ses mots ne portent aucune trace d’une quelconque réflexion suivie.C’est une marionnette qui dysfonctionne car elle tente de se faire passerpour ce qu’elle ne sera jamais, ce qu’elle ne peut être, à savoir un êtrehumain, capable de sensibilité, d’imagination et d’intelligence.

t Le baron de Gerpivrac est odieux car il justifie son époque et sa duretédans les rapports sociaux d’un simple point de vue factuel, par ce qu’onappelle le relativisme historique : chaque époque a ses valeurs, chaque sociétéa ses fondements et il ne faut pas juger le présent par le passé puisque tout se

42

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

vaut. Chaque époque a sa particularité : le passé faisait la promotion de la fra-ternité, le présent, quant à lui, cherche la rentabilité. Il justifie donc son atti-tude par l’état de fait sans faire appel à un quelconque système de valeurs quile fonderait universellement. Il est donc cynique, méprisant et vaniteux. Il esten outre intolérant et tyrannique : il ne supporte pas la contradiction (et sup-primerait bien la « liberté d’expression »). Enfin, il est pervers : il cherche à abu-ser de sa position dominante pour contraindre et pour assouvir ses pulsions :il se détache d’Eurydice quand il perçoit qu’il peut facilement séduire une« ouvrière » pauvre et simple («C’est ignorant, c’est primitif, c’est niais. Je sens queje deviens amoureux»).

Travaux d’écriture

Question préliminaireLa satire prend une forme bien particulière, mais sollicite différentes tonalités.Elle a d’abord recours bien évidemment à la caricature, c’est la forme privilé-giée de la satire : les personnages qui font l’objet de la critique romantique (leBaron et Blazius, John Bell, le Roi Pierre, le baron de Gerpivrac) se dénon-cent eux-mêmes par leur bêtise grotesque (le Baron, Blazius, le Roi Pierre)et par leur cynisme (John Bell, le baron de Gerpivrac) à l’issue d’un traite-ment littéraire caractérisé par l’exagération hyperbolique. Ces personnagesdeviennent des types, des emblèmes qui représentent l’ensemble d’un sys-tème social et politique.Cependant, cette satire romantique prend des tonalités différentes et sollicitedes registres assez variés. Dans les textes A et C, la critique satirique se pré-sente sous la forme d’une fantaisie comique absurde et grotesque ; enrevanche, dans les textes B et D, la critique est plus sérieuse : elle s’y présenteégalement sous la forme d’une ironie spirituelle et amusée (avec Eurydicedans le texte D : « Elle commence à avoir de l’esprit. C’est ennuyeux ») ou fran-chement acerbe et polémique (texte B, avec le personnage du Quaker).

Commentaire

1. Un débat d’idées

A. L’argumentation de John Bell• Thèse (voir examen des textes).• Argumentation.Arguments inductifs fondés sur l’exemple et le modèle : John Bell généraliseà partir de son parcours particulier et s’érige comme un modèle de travail et

43

A c t e I I , s c è n e 4

de réussite par le mérite. Il prend ainsi à témoin par des questions oratoiresl’assemblée des ouvriers. Il se présente comme le support d’une identifica-tion possible (tirade aux ouvriers), il est le modèle du « self-made man » ducapitalisme anglo-saxon, il s’est fait tout seul et comme ses ouvriers il estparti de rien : «Que chacun agisse ainsi, et il deviendra aussi riche que moi. »• Fondement idéologique : le pragmatisme ou le principe de réalité.Contre tout idéalisme, compris comme dogmatisme absurde, John Bell justi-fie la situation présente (car elle arrange bien son égoïsme) en faisant uneéquation entre réalité et vérité ou justice. C’est le fondement de la tautologiebourgeoise (la loi, c’est la loi, c’est ainsi et pas autrement, il faut faire avec,etc.) : « Je suis juste selon la loi », il se fonde sur le seul principe du droit positifet refuse toute critique sur le plan des valeurs (c’est son nihilisme : il n’y arien d’autre de vrai que ce qui est). Le droit, c’est la loi (voir examen destextes). Il inverse la loi morale (se mettre à la place de l’autre : compassion etsympathie) en règle pragmatique (mettez-vous à ma place) : «Si les machinesvous appartenaient, je trouverais très bon que leur production vous appartînt ; mais j’aiacheté les mécaniques avec l’argent que mes bras ont gagné : faites de même, soyezlaborieux et surtout économes. »

B. La réfutation du Quaker• Thèse (voir examen des textes).• Arguments fondés sur le fait (description et énumération).Par le biais de questions oratoires qui répondent à celles de John Bell, leQuaker tente de démontrer la toute-puissance insupportable du chef de lafabrique. Il décrit l’étendue de l’emprise de John Bell pour le contraindre à lamodération, voire à la charité. Il dresse un tableau de son pouvoir jusqu’à enfaire une sorte de monarque absolu, mais archaïque et tyrannique : «La terre deNorton, avec les maisons et les familles, est portée dans ta main comme le globe dans lamain de Charlemagne. – Tu es le baron absolu de ta fabrique féodale. » Il en montrela disproportion par l’utilisation d’hyperboles, pour que son interlocuteurprenne conscience du scandale que constitue son pouvoir économique.• Fondement idéologique : l’idéalisme chrétien.Le Quaker représente un système de valeurs totalement opposé à celui deJohn Bell ; il est fondé sur le respect de valeurs qui transcendent la loi et quiprennent racine dans une conception universaliste de la morale (les droits del’homme en tant que créature de Dieu au respect et à la dignité). Selon lui lefait doit être fondé sur la valeur, le droit positif sur le droit naturel : «Et ta loiest-elle juste selon Dieu ? »

44

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

2. Une satire de la modernité capitaliste

A. La caricature• John Bell est un type plus qu’un personnage : il réunit tous les défauts deceux dont il est l’emblème vivant et caractéristique: «Voilà l’homme riche, le spé-culateur heureux; voilà l’égoïste par excellence, le juste selon la loi.» Il est particulière-ment cynique (voir examen des textes et question préliminaire : «Les machinesdiminuent votre salaire, mais elles augmentent le mien ; j’en suis très fâché pour vous,mais très content pour moi ») et pratique l’abus de pouvoir sans vergogne et sansscrupules : «Retirez-vous sans rien dire, parce que le premier qui parlera sera chassé,comme lui, de la fabrique, et n’aura ni pain, ni logement, ni travail dans le village.»• L’utilisation des hyperboles (toute la tirade du Quaker) : « Quelle minute deleur existence ne t’est pas donnée ? Quelle goutte de sueur ne te rapporte pas un schil-ling ? », etc.

B. L’ironieUne des principales armes du Quaker dans sa critique est l’ironie (voir exa-men des textes). Elle se fonde sur l’antiphrase et elle a comme objectif deridiculiser les idées adverses en les reprenant de façon hyperbolique, en lesexagérant pour les rendre odieuses et inadmissibles. Il suggère ainsi que cer-tains hommes puissants de son pays pourraient très bien tenir ce discoursintenable devant John Bell : la critique dépasse l’interlocuteur pour toucherl’ensemble d’une société qui permet et soutient la toute-puissance de cegenre de personne : «Courage, ami ! je n’ai jamais entendu au Parlement de raison-nement plus sain que le tien. » Le Quaker renchérit sur les positions de JohnBell pour les rendre insupportables, mais aussi pour montrer par ce décalagequ’il n’en partage pas les vues.

Dissertation

1. Le théâtre et la critique de la société

A. Le théâtre : un art publicPar définition, le théâtre est directement lié à la société vivante que repré-sente le public. Il n’existe que socialement et son mode de présentationimplique la notion et la concrétisation d’une collectivité, celle du public surlequel le théâtre se propose d’agir par toutes sortes de moyens.Tout le prédis-pose à être un art propice à la critique ou à la satire de la société : voir la pré-face de Lucrèce Borgia de Victor Hugo : «Le théâtre […] a de nos jours une impor-tance immense, et qui tend à s’accroître sans cesse avec la civilisation même. Le théâtreest une tribune. Le théâtre est une chaire. »

45

A c t e I I , s c è n e 4

B. La comédie, représentation critique de la société• L’ancienne comédieDans l’Antiquité grecque, la comédie ancienne (Aristophane) se comportaitcomme un miroir et une réflexion sur les sujets les plus contemporains à telpoint que certaines allusions restent à jamais incompréhensibles : voir LesNuées par exemple.Ainsi, dans Lysistrata,Aristophane se fait l’écho des reven-dications féminines et remet en cause la société des hommes.• La nouvelle comédiePar la suite, la comédie va moins s’intéresser à la politique qu’aux mœurs :c’est la nouvelle comédie de Ménandre, que Plaute et Térence imiteront plustard à Rome. Il s’agit alors de critiquer et de corriger les mœurs et les carac-tères excessifs. Horace, le poète latin, a bien caractérisé les buts de cettecomédie : « castigat ridendo mores » (l’auteur comique châtie les mœurs par lerire). Les grands thèmes comiques apparaissent alors : le type de l’avare, lemariage forcé, les pères intransigeants, les conditions sociales, etc.• La comédie classiqueLa commedia dell’arte va reprendre à son compte tous ces thèmes d’intriguepour en faire des canevas dramatiques, supports d’improvisations. La comédieclassique en France voit Molière élargir cette approche (« plaire et instruire ») àdes problèmes beaucoup plus sensibles : le pouvoir de la religion (Tartuffe), dela noblesse (Dom Juan, George Dandin), la bêtise de la bourgeoisie montante(Le Bourgeois gentilhomme, Monsieur de Pourceaugnac), les vices de la société decour, fondée sur l’hypocrisie et la fausseté des rapports humains (Le Misan-thrope), l’éducation des filles (L’École des femmes, Les Femmes savantes), etc.

C. Le drameLe drame, en tant que synthèse de la tragédie et de la comédie, va chercher àgénéraliser la portée morale de la comédie à la tragédie tout en essayant derendre la comédie plus touchante (et plus proche ainsi de la tragédie), c’est-à-dire plus apte à corriger les mœurs (Beaumarchais, Essai sur le genre dramatiquesérieux). Le drame romantique, qu’il soit historique (Ruy Blas, Hernani ou Leroi s’amuse) ou moderne (Anthony, Chatterton), parle de et à la société en destermes pour le moins critiques : le drame a une «mission sociale », nous dit jus-tement Hugo (préface de Lucrèce Borgia). Le drame moderne et contempo-rain a repris à son compte cette donnée fondamentale : une esthétique de ladistanciation chez Brecht et des pièces, comme Rhinocéros de Ionesco hier,comme celles de Vinaver ou de Michel Deutsch (Imprécations 36) aujour-d’hui, continuent de porter haut cette exigence critique du théâtre.

46

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

2. La diversité des formes théâtrales

A. Les genres dramatiquesL’ancienne théorie des genres avait l’intérêt de signifier que le théâtre avaitplusieurs objectifs différents et si à la comédie était dévolu un rôle de cri-tique sociale et morale, en revanche la tragédie se voyait confier une mission(la purgation des passions) et des sujets (la représentation des passions) pluspsychologiques ou même métaphysiques (la notion de transcendance et lareprésentation de la fatalité).

B. Des registres variés• Au théâtre, à côté du comique et du tragique, on constate la présence detendances lyriques (voir la dissertation du questionnaire n° 2 et le théâtresymboliste de Maeterlinck), pathétiques, voire fantastiques (le mélodramerévolutionnaire ou romantique), etc.• Le comique lui-même n’est pas que satirique ; il n’a pas seulement unevisée critique ni une mission sociale : il peut être poétique (Audiberti), fan-taisiste (Tardieu, Obaldia), absurde et philosophique (Ionesco, Beckett). Lacritique des mœurs est d’ailleurs souvent un simple prétexte pour faire rirede situations purement dramatiques, comme les quiproquos et les coups dethéâtre qui émaillent le vaudeville (Labiche) ou le théâtre dit «de boulevard »(Feydeau).

C. La multiplicité des approches théâtrales• Critiquer : la critique sociale est un aspect certes important, mais nonexclusif de la mission du théâtre.• Montrer : représenter, décrire ou raconter (le théâtre historique, le théâtremythique, le théâtre documentaire et le théâtre du réel).• Réfléchir (au théâtre et sur le théâtre) : cas de conscience, aperçus métaphy-siques, psychologiques, réflexions éthiques, etc.• Jouer, s’amuser : le plaisir du théâtre, de l’imagination, de l’expression cor-porelle, de l’improvisation, du spectacle et de l’événement pur (théâtre derue, arts du cirque, jeux d’improvisations).• Toucher : émouvoir, faire passer une émotion, un sentiment ou impression-ner, transformer, agir sur le spectateur.

Invention• Le sujet ne pose pas de difficultés majeures : il demande néanmoins à bienconnaître les techniques dramatiques, et notamment l’échange des répliqueset les types d’enchaînements possibles. Le texte B en est un bon exemple.

47

A c t e I I , s c è n e 4

• On peut aussi trouver des illustrations intéressantes pour ce sujet chezDiderot, dans Le Neveu de Rameau, ou dans Jacques le fataliste par exemple.• On peut évidemment solliciter aussi (et surtout) le théâtre de Shakespeare(notamment Hamlet) et les œuvres romantiques qui ont su mettre en scènel’ironie romantique au théâtre : Musset, Büchner, Griboïedov (Le Malheurd’avoir trop d’esprit), Hugo, etc.

A C T E I I , S C È N E 5 ( P P . 9 7 À 1 0 8 )

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE (pp.109 à 111)

a La colère est mentionnée comme signe d’une tension maximale du per-sonnage d’abord par Perdican, à propos de Camille : «Tu es en colère en vérité »et ensuite par Camille, à propos de Perdican : «Vous me faites peur ; la colère vousprend aussi. » On remarquera encore une fois comment Musset fait l’écono-mie de didascalies inutiles et utilise la parole des personnages pour fournirdes indications de jeu.

z La maîtrise du dialogue bascule manifestement de Camille vers Perdicanau moment où Camille conclut son argumentation en regrettant même d’enavoir trop dit : « J’ai eu tort de parler ; j’ai la vie entière sur les lèvres…» C’est à cemoment-là précisément que Perdican émet le souhait de prendre la parole etde répondre au discours de Camille : « j’ai bien envie de te répondre un mot ».

e L’ampleur des répliques a tendance à très nettement s’inverser au momentoù Camille conclut son discours et Perdican décide de lui répondre vérita-blement. Jusque-là, Camille avait les plus longues répliques : on peut même, àquelques exceptions près, considérer qu’elle s’exprimait essentiellement partirades, alors que Perdican ne formulait que de très courtes répliques. À partirdu moment où Perdican décide de « répondre un mot » à Camille, cette logiques’inverse complètement : le jeune homme s’exprime essentiellement partirades et la jeune femme ne répond que par de très courtes répliques.

r Camille expose très clairement sa thèse (sa conception idéale de l’amour)au début de cette séquence qui clôt le long dialogue par un affrontement despersonnages et une confrontation des idées ; elle dit en effet : « Je veux aimer,mais je ne veux pas souffrir ; je veux aimer d’un amour éternel, et faire des sermentsqui ne se violent pas. »

48

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

t Camille commence par exposer sa thèse, comme on l’a vu, puis, dans unepremière tirade, cherche à montrer sa supériorité en traitant avec pitié (com-passion), condescendance et mépris : d’après elle, l’avenir lui donnera raison(« Pensez à moi qui prierai pour vous »). Dans la tirade suivante, elle utilise cequ’on appelle un argument ad hominem (ou ad personam). C’est un argumentqui vise à disqualifier les arguments d’une personne en faisant allusion à lavie, aux mœurs, au caractère de cette personne. C’est un argument évidem-ment très polémique : Camille cherche à montrer que Perdican ne croit pas àl’amour, que l’amour n’est pour lui qu’un synonyme de la débauche (« Ycroyez-vous, vous qui parlez ?… »). Enfin, Camille termine son argumentationen alléguant la sincérité de son projet et la cohérence de ses convictions (voirles deux dernières répliques de Camille). Sa stratégie est donc assez simple :elle expose sa thèse, puis réfute la position adverse comme hypocrite etinsincère en la caricaturant pour enfin se montrer comme sincère et authen-tique (elle se donne, elle, corps et âme à celui qu’elle aime, pour toujours,comme l’implique le serment qu’elle s’apprête à faire).

y Camille fonde l’ensemble de son argumentation sur la sincérité : sincéritédu témoignage des nonnes sur l’amour des hommes, sincérité de sa propreconduite (cinquième réplique de Camille), sincérité de son propos (sixièmeréplique de Camille : « J’ai eu tort de parler ; j’ai ma vie entière sur les lèvres »).

u Perdican, à l’inverse de Camille, termine son argumentation par l’exposéde sa thèse (dernière tirade de la scène et de l’acte). Perdican accepte l’amourcomme un fait humain, c’est-à-dire comme « l’union de deux êtres si imparfaitset si affreux». L’amour des hommes et des femmes ne peut donc être comparéà l’amour divin : comme eux, il est éphémère (et non éternel), il est mortel, ilest souvent le résultat d’erreurs et de déceptions ; mais c’est malgré tout «unechose sainte et sublime » car elle permet à l’homme d’être vrai, de coïncideravec lui-même, d’être vraiment lui-même. Il faut donc accepter le risque del’amour (ce que ne veut pas faire Camille). L’amour est, selon Perdican, unmaître de sincérité et d’authenticité car il est l’expression d’une vérité dessentiments, si passagère soit-elle.

i Perdican commence son argumentation par la réfutation de la valeur del’expérience que Camille a pu recevoir dans son monastère : il tente dedémontrer que toute cette conception de l’amour humain comme vil et basn’est que fausseté, hypocrisie et amertume (les trois premières répliques dePerdican). Ensuite, il réfute la conception de Camille selon la même stratégie

49

A c t e I I , s c è n e 5

argumentative : Camille n’est pas sincère dans son argumentation, elle estdavantage quand elle accepte d’être elle-même et d’aimer simplementcomme au début de la scène (quatrième réplique de Perdican). Enfin, dans sadernière réplique, Perdican expose sa conception de l’amour comme refus dela perfection et de l’éternité, comme éloge de l’intensité et de la sincérité ducœur où se conjuguent dans un moment de grâce vérité et beauté. Il a alorsrecours à la concession : dans un premier temps, il reprend la position deCamille au sujet de l’amour humain en la radicalisant (« Tous les hommes…fange ») pour mieux, dans un second temps de l’argumentation, en montrerles limites («mais il y a au monde… mon ennui »).

o Perdican cherche à mettre au jour l’hypocrisie des nonnes qui ont inspiréles discours de Camille. Perdican cherche également à démontrer l’insincé-rité de Camille qui lui semble répéter une leçon apprise : Camille est insin-cère car elle vit par procuration, elle a une conception de l’amour deshommes qu’elle a empruntée aux nonnes qu’elle a pu côtoyer au couvent.Selon Perdican, Camille n’est pas elle-même, elle est comme sous influence,elle n’est pas sincère, elle n’est pas authentique.

q Camille sollicite plusieurs procédés littéraires et stylistiques pour dénigrerPerdican et ses convictions. Elle utilise par exemple l’hyperbole pour exagé-rer et déconsidérer le passé amoureux de Perdican : «Vous voilà courbé devantmoi avec des genoux qui se sont usés sur les tapis de vos maîtresses. » Elle se sertégalement du raisonnement analogique et de la comparaison pour dénigrerle discours de Perdican : « Vous m’avez répondu comme un voyageur à qui l’ondemanderait s’il a été en Italie ou en Allemagne, et qui dirait : Oui, j’y ai été ; puisqui penserait à aller en Suisse, ou dans le premier pays venu. » Par le biais de lacomparaison, elle assimile également de façon dégradante l’amour selonPerdican à un marchandage, à un commerce, à un échange dévalorisé : «Est-ce donc une monnaie que votre amour pour qu’il puisse passer ainsi de mains enmains jusqu’à la mort ? »

s Perdican sollicite à de nombreuses reprises l’anaphore rhétorique dans lecadre de questions rhétoriques (ou oratoires) : « Es-tu sûre » (quatre fois desuite), « Sais-tu » (trois fois de suite), « savent-elles » (deux fois de suite). Ellesreprésentent autant d’interpellations qui mettent Camille dans une positiondéfensive ; en outre leur répétition représente une remise en cause quantitati-vement importante des arguments de Camille, car ces questions sont autantde réfutations.

50

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

d La dernière tirade de Camille est empreinte d’une majesté et d’uneemphase presque tragiques : elle utilise notamment une synecdoque courantedu théâtre tragique : « il n’en manquera pas un seul sur ma tête lorsque le fer y pas-sera » (le fer = l’épée, ici le rasoir). Enfin, elle termine son discours par unehyperbole qui marque sa résolution, sa sincérité et son entier dévouement :« la mèche de cheveux que je lui donnerai pourra lui servir de manteau».

f Perdican sollicite à de nombreuses reprises les modalités phrastiques quiprennent en compte la présence d’un interlocuteur : modalité interrogative(questions oratoires la plupart du temps), modalité exclamative (« Ô monenfant ! », «Ah! comme elles t’ont fait la leçon ! Comme…», «eh bien ! Camille…»),modalité injonctive (« dis-leur », « retourne à ton couvent… réponds »). Perdicancherche à impliquer, à toucher, à interpeller son interlocuteur pour mieux leconvaincre.

g La dernière tirade de Camille est composée de deux phrases : la premièreest très courte, et la seconde beaucoup plus longue ; mais elle est en faitconstituée également d’un ensemble de courtes propositions juxtaposées oucoordonnées qui encadrent les quelques propositions principales et leurssubordonnées et qui suggèrent une émotion étouffante, un souffle coupé, unrythme haletant. La chute de la tirade est le seul endroit où la syntaxe prendl’ampleur d’une période binaire (« et quand… la mèche »).

h La première phrase de la tirade est constituée d’une proposition intro-ductive et d’une période de trois séquences séparées par des points-virgules(les hommes, les femmes, le monde) : cette série forme la protase (la mon-tée). Le point d’acmé se situe au début de la quatrième séquence syntaxiquecommençant par « mais » qui indique un basculement, un renversement :c’est l’apodose qui va conduire la période à sa chute. Cette même structureen quatre temps composée d’une série ternaire, puis d’une ultime séquenceisolée placée en opposition logique se retrouve dans la phrase suivante : lesrépétitions de « souvent » rendent encore plus sensible ce rythme (« souvent »,« souvent », « souvent » ; « mais… »). Le schéma rythmique imprègne toutecette tirade puisque les propositions suivantes s’organisent également ainsi :rythme ternaire (« on est sur le bord », « on se retourne », « et on se dit »), rythmeternaire avec chute (« j’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois ; mais j’aiaimé »). La conclusion suit en revanche un schéma binaire qui reprend néan-moins la structure en opposition que l’on observait jusque-là («C’est moi…et non pas »).

51

A c t e I I , s c è n e 5

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (pp.113 à 119)

Examen des textes

a Antigone défend l’idée qu’il existe des « lois non écrites », en l’occurrencecelles du sacré, des dieux, et qu’il faut les respecter autant, sinon plus, quecelles que les humains inventent. Ce sont les lois traditionnelles, mais aussi deslois naturelles, car elles dictent le respect dû aux morts. Créon, en revanche,défend l’idée qu’il n’y a de lois que positives, écrites et inscrites dans le droitpolitique et considère que tout ce qui a trait à la cité qu’il administre est enson pouvoir législatif. Ce sont ses décrets qui dictent la loi. Le débat est fonda-mental et il est célèbre pour cela : il oppose deux conceptions radicalementopposées de la notion de loi, deux visions différentes de la justice.

z Antigone sollicite des arguments fondés sur les valeurs : elle tend à mon-trer que ces « lois non écrites » sont « éternelles » et universelles ; dès lors Créonpasse pour un être hors norme, anormal puisqu’il refuse ce qui a toujours étéaccepté. Elle renverse la perspective et c’est Créon qui devient l’exception,Antigone représentant la norme : « ils pensent comme moi ». Créon chercheégalement à marginaliser la position d’Antigone en suggérant qu’elle estseule à soutenir ce paradoxe insoutenable (rendre les honneurs à un traître) :«Toi seule pense ainsi parmi ces Cadméens. » L’autre opposition réside sur la jus-tification intrinsèque des deux thèses : Créon considère que la loi peut et doits’appliquer dans toute sa rigueur même à un mort, pour l’exemple, etAntigone sera châtiée en raison de ce même principe : la morale, la religion,la sphère privée ne peuvent rivaliser avec la décision politique ou publiquequi est universelle et garante de l’application juste de la loi. Il n’y a qu’uneloi, celle de l’État.Antigone considère que pour ce qui a trait à ce qu’on neconnaît pas (le surnaturel), pour ce qui a trait à l’individualité (le respect), laloi n’a pas à légiférer : les dieux jugeront du Bien ou du Mal. Créon s’arrogeun droit qui n’est pas le sien, celui de juger un mort.

e Antigone est plus convaincante car elle ne cherche pas à défendre ou àjustifier celui qui est considéré comme un traître, elle refuse ce débat. Dansun sens, elle reconnaît que Créon peut avoir raison sur le plan politique : elleest ainsi plus tolérante puisqu’elle reconnaît la loi de Créon et accepte lamort qui lui revient comme châtiment. Elle défend des valeurs universelles etde bon sens (lieu de la qualité en rhétorique) : l’amour, le respect, la modestieenvers les dieux. Elle présente un « ethos » très favorable : elle se montre

52

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

comme un être faible devant Créon qu’elle considère comme tout-puissant.Enfin, son acte paraît désintéressé : elle l’a fait pour son frère, elle est coura-geuse et accepte la mort.

r De nombreuses phrases sont injonctives et se présentent comme desénoncés contraignants : chaque personnage essaie de contraindre l’autre pardes impératifs (« ne dis pas cela »), des verbes « jussifs » (« je t’interdis », « je veux»,« je ne veux pas », etc.). En outre, on peut remarquer un certain nombre dephrases interrogatives qui témoignent de cette volonté d’interpeller l’interlo-cuteur : « Qu’est-ce que tu racontes », ou de le maîtriser (par des interro-néga-tives) : «N’es-tu pas ma petite sœur ? », «N’es-tu pas une vieille fille ? »

t La maîtrise du dialogue s’inverse progressivement : la grande sœur fait acted’autorité sur la « gamine », avant de se voir contredite puis contrainte às’adoucir et même à écouter vraiment son interlocuteur. La seconde partiedu dialogue montre en effet la sœur en train de questionner gentiment lagamine, voire de l’implorer. La gamine a donc réussi à inverser les relationsinitiales et la sœur sollicite un ton bien différent à la fin de la scène : « Nem’abandonne pas, ne me laisse pas toute seule », etc.

y La confrontation réutilise des formes classiques du langage dramatique :maximes (« l’expérience du malheur ne sert à rien… »), stichomythies (« N’es-tupas ma petite sœur ?», «N’es-tu pas une vieille fille ? » ; « je veux le retrouver », «Tu nele retrouveras pas», « je le retrouverai », etc.) qui se répondent termes à termes.

u Cette joute verbale se développe dans un dialogue qui sollicite une pro-gression et un enchaînement des répliques très rapide et alerte. La plupart desrépliques suivent le principe de l’enchaînement (ou réplique) sur le mot : laréplique prend appui sur le dernier mot (ou un des derniers mots) de laréplique précédente de telle sorte que les personnages semblent pratique-ment se couper la parole : enchaînement sur « interdis »/« interdire », « expé-rience », « parents », « aimé »/« aimée », « malheureuse », « pleurer »/« pleure »,« retrouver »/« retrouveras »/« retrouverai », « venger ».

Travaux d’écriture

Question préliminaireLes trois textes ont comme point commun d’organiser l’affrontement selonune logique paroxystique : il s’organise en un crescendo qui culmine en unpoint d’acmé et éventuellement se relâche en suivant un mouvement dedecrescendo. Leur mise en œuvre est cependant différente.

53

A c t e I I , s c è n e 5

Dans le texte A, chaque personnage prend en charge et à son compte unepartie du dialogue (la première pour Camille, la seconde pour Perdican) : àl’intérieur de ce mouvement, chaque personnage déploie son argumentationet laisse exprimer son affectivité selon une progression qui culmine à la finde chaque séquence : « Tu es en colère en vérité », « la colère vous prend aussi ».Ainsi l’aboutissement de chaque mouvement d’idée et d’humeur coïncideavec son achèvement et son accomplissement : quand Camille est arrivée aupoint extrême de son discours, elle s’arrête et laisse Perdican à son tour s’ex-primer. Celui-ci s’arrêtera également au moment où il atteindra le pointd’acmé de son discours (il marquera ainsi par là la fin de la scène).Dans le texte B, la montée quasi chromatique de l’agôn vers son paroxysmese fait en deux temps et selon un crescendo : les personnages commencentd’abord par exposer leur point de vue en de longues répliques (deux tiradespour Antigone et une seule pour Créon) ; puis le conflit se radicalise et s’exa-cerbe avec la transformation de ces répliques en stichomythies, où les per-sonnages se répondent brutalement et rapidement vers à vers (en grec),phrase à phrase (en traduction). On peut remarquer que les stichomythiessollicitent la forme de la maxime (« Le bon ne se met pas sur le rang duméchant », «L’ennemi même mort n’est jamais un ami »).Enfin, dans le texte C, le dialogue s’organise selon différentes progressions suc-cessives : d’abord, le conflit s’exacerbe une première fois à l’initiative de la sœurqui cherche à contraindre la gamine : ce premier mouvement s’accomplit aumoment de l’échange des stichomythies («N’es-tu pas…»). À ce moment-là, ledialogue se détend et la sœur change de ton envers la gamine (« mon étour-neau», «mon petit martinet»). Il s’opère alors un renversement : c’est à l’initiativede la gamine que repart le dialogue conflictuel qui aboutit de nouveau à unesérie de stichomythies (« Je veux le retrouver», «Tu ne le retrouveras pas»). À partirde cet échange vif, la tension décroît : la sœur accepte la position de la gamine(«Et qu’est-ce que tu feras quand tu l’auras retrouvé?») et finit même par l’implorer(«Non, ne m’abandonne pas… Il n’y a que toi dans toute ma vie»).

Commentaire

1. Un affrontement verbal

A. La progression du dialogueVoir «Question préliminaire » et «Examen des textes », question 5.• Séries successives de moments de tension et de relâchement, mais tendancegénérale à l’accalmie progressive : le dialogue s’apaise progressivement.

54

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

• Le dialogue conflictuel (les répliques sont des armes lancées contre l’autre)au début devient à la fin un véritable questionnement, un véritable échangeentre une résolution et une supplication.• Inversion de la maîtrise entre le début et la fin du dialogue : la sœur est peuà peu battue par la gamine et passe d’un ton injonctif et jussif à celui de laprière et de l’imploration. Cette inversion est caractérisée par l’inversion hié-rarchique : « Je suis désormais plus vieille que toi », dit la gamine à sa sœur aînée.

B. L’enchaînement des répliquesVoir «Examen des textes », question 7.Répliques sur le mot : vivacité du dialogue, enchaînement alerte et dyna-mique. Certaines répliques se structurent en fonction même de ce qui pré-cède : « le regard de ta sœur, de ton frère et de tes parents » / « Ce sont mes parents,mon frère et ma sœur que…».

C. Les formes du langage dramatiqueVoir «Examen des textes », question 6.• Sentences ou maximes : «L’expérience du malheur ne sert à rien…».• Stichomythies : «N’es-tu pas », etc.• Répétitions et reprises polémiques des répliques de l’autre avec inversionou négation : «N’es-tu pas », « retrouver », « retrouveras pas », « retrouverai ».• Parallélisme et symétrie des répliques : « Tu es… Et moi, je suis » / « Toi, tues… Moi, je suis ».

2. Un échange impossible

A. Les modalités, les actes du langage• Chaque personnage essaie d’imposer son désir ou sa volonté à l’autre.S’exprimer : s’affirmer (le je, le moi), affirmer son désir. Impressionner : agirsur l’autre (le tu, le toi), imposer son désir.• Injonctions, impératifs : ordre, défense (« Je t’interdis », « Ne dis pas ») etprière, supplication (« je t’en supplie, ne m’abandonne pas »), etc.• Interpellations ou fausses questions : «Qu’est-ce que tu racontes ? », «De quelleexpérience parles-tu ? », «Comment oses-tu dire cela ? ».• Questions oratoires qui contraignent le destinataire : «N’es-tu pas…».

B. L’expression d’un désir impossible• Chaîne tragique : la sœur aime la gamine qui en aime un autre qui nel’aime pas…• Expression du désir et non de l’amour : l’ordre, puis la supplication fonde lademande de la sœur qui est à la fois trop haute (dans l’ordre) puis trop basse

55

A c t e I I , s c è n e 5

(dans la supplication) pour construire une relation normale, désintéressée,non fondée sur l’emprise (l’amour) : voir les marques de la possession («monétourneau », « ma petite sœur »), les diminutifs et autres noms d’oiseaux (« petitmoineau», «mon petit martinet », « colombe innocente »).• Décalages : la sœur veut offrir ce qu’elle n’a pas, ne connaît pas (l’amour :«Tu n’as jamais été aimée ») à quelqu’un qui n’en veut pas (la gamine : « Je neveux pas être aimée »).

C. L’incommunicabilité et la solitude des consciences• La sœur pervertit en quelque sorte l’échange amoureux ou passionnel enune relation purement négative qui la protégeait de l’angoisse et de la soli-tude : «ne m’abandonne pas, ne me laisse pas toute seule ».• Le malheur qui isole : selon la gamine, la sœur a raté sa vie (son passé est unéchec) et la gamine se présente comme quelqu’un qui n’a plus d’avenir :«Moi je suis vieille, je suis perdue. » Le seul échange proposé serait la communi-cation d’un malheur partagé, mais les deux sœurs sont séparées à jamais parquelque chose qui les rend incompréhensibles l’une à l’autre : «Toi, tu es unevierge prolongée. […] Moi je suis vieille, je suis violée, je suis perdue. » Même leursolitude respective les isole au lieu de les réunir : la gamine la revendiquealors que la sœur cherche à la fuir (dernière réplique).• Le langage ne communique rien, il n’est qu’un instrument d’emprise affec-tive, qu’un instrument de pouvoir, que l’expression d’un désir qui cherche à seréaliser, que d’une volonté qui cherche à s’affirmer : le seul résultat auquelaboutit ce dialogue est à évaluer en termes de puissance, de pouvoir puisqu’ilmontre l’affrontement du manque et du désir (la sœur) et du refus de la dette(la gamine). La communication se présente donc comme un échange mercan-tile impossible entre une demande suppliante et une offre impossible.

Dissertation

1. Le conflit comme affrontement

A. Les genres dramatiques et le conflitC’est en fonction de la nature du conflit (ou du nœud) que la dramaturgieclassique a pu distinguer les genres dramatiques en comédie (conflit surmon-table et surmonté) et tragédie (conflit insurmontable et insoluble).

B. L’affrontementLes formes théâtrales les plus sommaires et les plus rudimentaires montrentque l’action et l’intérêt dramatiques naissent de la présence d’un conflit entredes désirs et des volontés contradictoires et opposés : les manifestations les

56

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

plus évidentes en sont le plus souvent physiques, c’est le corps à corps, c’est labastonnade chez Guignol, voire dans la commedia dell’arte ou dans la farce (LeMédecin malgré lui, Les Fourberies de Scapin), etc. Les formes plus élaborées n’ensuivent pas moins le même canevas dramatique : voir par exemple Antigone deSophocle (texte B), dont l’action peut se résumer en un affrontement entredeux personnages et deux systèmes de valeurs.Voir aussi On ne badine pas avecl’amour (texte A).

C. Les faux obstacles du conflitLe quiproquo dans la comédie ou dans le vaudeville, la péripétie et la recon-naissance dans les drames et mélodrames sont des formes dramatiques duconflit qui se présentent comme de faux obstacles, puisqu’ils ne sont pas fon-dés. Ils n’en restent pas moins de formidables instruments dramatiques à pro-duire du conflit, et donc de l’action et de l’intérêt pour le spectateur(exemples innombrables à citer).

2. Le conflit comme déchirement

A. La passion : intériorisation moderne du conflit tragique« L’homme, qu’il s’agit de nous montrer, tombe dans le péril ou le malheur par unecause qui est hors de lui ou en lui-même : hors de lui, c’est le destin, le devoir, la parenté,l’action de la nature et des hommes ; en lui, ce sont les passions, les vices, les vertus ; voilàla source de la différence des deux tragédies […]. Dans presque toutes les tragédiesantiques, le malheur du principal personnage naissait d’une cause étrangère ; la fatalité yprésidait […]. Mais ce qu’ils nommaient destin ou fatalité n’existe plus pour nous[…]. La passion est donc devenue la base, ou plutôt l’axe des tragédies modernes.Aulieu de se mêler à l’intrigue pour la compliquer et pour la nouer comme autrefois, elle estmaintenant la cause première. Elle naît d’elle-même et tout vient d’elle : une passion etun obstacle, voilà le résumé de presque toutes nos pièces. » (Alfred de Musset, «De latragédie », Revue des Deux Mondes, 1er novembre 1838.) Même dans la comé-die, dans Badine par exemple, le cas de conscience montre l’intériorisation duconflit : dans le monologue de Perdican au début de la scène 1 de l’acte IIII, leconflit n’oppose plus les deux jeunes gens, il traverse la sensibilité du person-nage qui se pose la question de savoir s’il aime ou non.

B. Le cas de conscience, le dilemme, le problèmeLes monologues délibératifs sont de parfaits exemples de cette intériorisationdu conflit : voir par exemple Bérénice, IV, 4 (monologue de Titus), Andromaque,V, 1 (monologue d’Hermione), Zaïre de Voltaire (acte III, scène 3) et bien sûron pourra avoir recours aux fameuses stances du Cid (acte I, scène 6) qui pré-

57

A c t e I I , s c è n e 5

sentent une série de dilemmes. Même dans le cas de Bridaine, on peut consi-dérer que le conflit qu’il oppose se double, comme le montre son monologue(en II, 2), d’un conflit intérieur entre son intérêt (rester chez le Baron pourbien y manger) et son «honneur» qui l’incite à partir.

C. Les vrais obstacles dans le conflit dramatiqueIls sont doubles, à la fois intérieurs et extérieurs. En effet, si ce n’est pas le cas,soit il reste purement intérieur et donc invisible (l’intérêt dramatique seperd), soit il est purement extérieur et alors ce n’est plus qu’un obstacle à éli-miner, éventuellement physiquement. L’intrigue d’Hamlet est en ce sens unchef-d’œuvre (le conflit est tout autant moral, métaphysique que purementdramatique), celle de Lorenzaccio également. Que dire de l’action de Badine ?Le dénouement montre bien que le conflit était intérieur autant qu’exté-rieur et au moment où l’obstacle intérieur tombe (avec l’aveu réciproque),naît un nouvel obstacle extérieur (la mort de Rosette)…

3. Le théâtre comme représentation directe d’actions

A. Le rapport entre le conflit et le théâtreD’une part, le conflit n’est pas propre au théâtre : d’autres formes artistiquesou littéraires l’utilisent, ne serait-ce que la musique ou les arts plastiques oùles oppositions sont au fondement même de la nature et de la définition deces arts. Le conflit existe également dans d’autres genres littéraires, comme lerécit, dont rend compte par exemple le schéma narratif que l’on peut appli-quer aux contes. D’autre part, le conflit n’est pas co-extensif au théâtre : ilexiste des formes de dramaturgie qui ignorent cet aspect.Ainsi, la présenced’un conflit n’implique pas qu’il y ait nécessairement théâtre et le théâtren’implique pas fondamentalement l’idée de conflit. En revanche, ce quiappartient en propre au théâtre, c’est la représentation directe d’actions (dontle conflit n’est qu’un mode de présence et de présentation) : voir la célèbredéfinition de la tragédie (qui vaut pour le théâtre en général) par Aristote entant qu’imitation d’une action.

B. La représentation comme expression d’une actionReprésenter une action équivaut souvent pour le théâtre, qui est un artessentiellement verbal, à dire, voire à raconter l’action sur scène. Pour des rai-sons de bienséance et de vraisemblance, le théâtre antique et le théâtre clas-sique ont usé et abusé du récit. La représentation tend alors à représenter « cequi s’est passé » et non véritablement « ce qui se passe », selon la distinction deBarthes (dans Histoire des spectacles, « Le théâtre grec », Encyclopédie de la

58

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Pléiade). C’est cette forme épique du théâtre que le romantisme voudra éva-cuer (voir Stendhal, dans Racine et Shakespeare).

C. Le théâtre épique et le théâtre dramatiqueCette conception intellectuelle du théâtre comme discours (plus que commeaction) reste pourtant aujourd’hui très vivace et a été renouvelée par lethéâtre-récit, ou narratif, qui continue d’être très productif. Il a su s’inspirerdu théâtre dit « épique » de Brecht (voir Bertolt Brecht, Écrits sur le théâtre,trad.Tailleur et Delfel, L’Arche éditeur, tome I, 1972).

Invention

1. L’utilisation des modalités et la production stylistique de l’idée de conflitLes élèves peuvent s’inspirer d’un texte de Jean Tardieu : «Eux seuls le savent »,dans Théâtre de chambre, Gallimard, 1966 (voir par exemple l’extrait cité dans lemanuel Hachette, Des textes à l’œuvre, niveau Seconde, p. 485).

2. L’organisation du suspens (ou suspension) et la progression du dialogue jusqu’à sa chuteLes élèves peuvent s’inspirer de la célèbre scène du « ruban» dans L’École desfemmes (acte II, scène 5).

A C T E I I I , S C È N E 3 ( p p . 1 2 9 à 1 3 1 )

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE (pp.132 à 134)

a Les indications de mise en scène sont fournies au public dans les deuxpremières répliques de la scène et par l’intermédiaire de Camille. Elle précisepar ses paroles le lieu de l’action : «Voilà justement la fontaine », le moment del’arrivée des personnages : « Voilà Perdican qui approche avec Rosette » et leursmouvements : « Il la fait asseoir près de lui. »

z Les deux premières répliques de Camille ressemblent à une exposition carCamille explique les circonstances qui expliquent sa présence (la lettre dePerdican qui lui fixe un rendez-vous), le lieu (le même qu’« hier », celui de II, 5 : la fontaine), décrit les personnages qui vont agir dans le cadre de cettescène (Rosette et Perdican) ainsi que leurs mouvements et gestes et suggèrele sujet de l’action à venir pour capter l’attention du spectateur, comme dans

59

A c t e I I I , s c è n e 3

une véritable exposition : «Que peut-il avoir à me dire ?», «Que veut dire cela »,« Je suis curieuse de savoir ce qu’il lui dit ».

e Camille annonce d’abord ce que la didascalie confirme (première réplique),elle répète ensuite ce que la didascalie commande aux personnages (deuxièmeet troisième réplique). Dans ces deux cas, la succession est rapide et la répliqueapparaît comme une annonce ou un commentaire du jeu que met en scène ladidascalie. L’évolution de ces répliques redondantes montre l’inquiétude et lastupéfaction grandissantes de Camille : elle commence par un constat («VoilàPerdican qui approche avec Rosette, ma sœur de lait »), puis s’interroge (« Il la faitasseoir près de lui ?») et enfin s’exclame (« Il a jeté ma bague dans l’eau !»).

r La structure de cette petite mise en scène est simple. Perdican a tout orga-nisé, il est le metteur en scène : il réunit à dessein Rosette et Camille dans celieu. Camille, obligée de se cacher, figure donc le public : elle épie la scènederrière un arbre. Les deux acteurs de cette scène sont bien sûr Rosette etPerdican. On pourrait même dire que seul Perdican est acteur, car il aconscience de parler en fonction d’une double énonciation, caractéristiquede la communication théâtrale : il parle à Rosette et en même temps s’adresseà Camille (« à haute voix, de manière que Camille l’entende. »).

t Perdican est le seul personnage qui joue un double jeu. Camille s’est faitnaïvement manipulée et Rosette ne soupçonne pas la présence de Camille.Seul Perdican connaît la complexité de la situation qu’il a su créer.

y Cette scène est une petite comédie puisqu’elle se présente comme unepetite représentation théâtrale que Perdican donne à voir à Camille. C’est éga-lement une petite comédie au sens où Perdican fait de la comédie, joue un rôle,s’amuse à mystifier et à tromper Camille mais aussi Rosette, qui est sans doutedéjà victime ici de la rivalité d’orgueil qu’entretiennent Perdican et Camille.

u La didascalie : « à haute voix de manière que Camille l’entende » renseigne surl’intention de jeu de Perdican et montre à l’évidence que le véritable desti-nataire de son discours est bien Camille et non Rosette.Tout ce qu’il dit àRosette vise Camille. Ainsi, la double énonciation est évidente : Perdicanparle à Rosette de façon à être entendu de Camille.

i Tout en feignant de s’adresser à Rosette, Perdican critique Camille à troisreprises. Dans sa première réplique, il critique l’indifférence affectée deCamille au moment de leurs retrouvailles (I, 3 et II, 1) : « toi seule au monde,tu n’as pas oublié de nos beaux jours passés, toi seule tu te souviens de la vie qui

60

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

n’est plus ». Il critique ensuite la conception de l’amour mystique queCamille prône depuis son retour et qu’elle a exposée en II, 5 : « On n’a pasflétri ta jeunesse… Tu ne veux pas te faire religieuse. » Il critique ensuite lesnonnes qui ont réussi à convaincre Camille de refuser par orgueil l’amourdes hommes (en II, 5) : « ces pâles statues fabriquées par des nonnes, qui ont la têteà la place du cœur, et qui sortent des cloîtres pour venir répandre dans la vie l’atmo-sphère humide de leurs cellules ».

o Perdican cherche d’abord à se venger de Camille. En effet, à la scène 2 del’acte III, il a intercepté une lettre de Camille adressée à son amie Louise,restée au couvent. Dans cette lettre méprisante et condescendante, Camillese moque de Perdican et de son amour supposé en même temps qu’elle semontre comme absolument indifférente, hautaine et froide à son égard.Perdican imagine alors un stratagème pour venger son amour-proprebafoué : « oui, tu sauras que j’en aime une autre, avant que de partir d’ici ». Ilexpose son plan à la fin de la scène en ces termes : « J’ai demandé un nouveaurendez-vous à Camille, et je suis sûr qu’elle y viendra ; mais par le Ciel ! elle n’ytrouvera pas ce qu’elle y comptera trouver. Je veux faire la cour à Rosette, devantCamille elle-même. »

q Dans la scène 5 de l’acte II, Perdican se retrouve dans la même positionque Camille à la scène 3 de l’acte III : la situation est semblable, mais inverse.Le mode de communication est le même : il s’agit d’une lettre. Le lieu durendez-vous est le même : il s’agit de la « petite fontaine ». Enfin, les deuxscènes débutent de la même façon : par un monologue où le personnageinvité s’interroge sur les raisons de cette invitation.

s On peut relever une allusion précise à la scène 5 de l’acte II dans l’évoca-tion du projet de Camille annoncé en II, 5, de se faire religieuse («On n’a pasflétri ta jeunesse… Tu ne veux pas te faire religieuse ») et dans l’évocation desnonnes et du couvent où Camille veut finir ses jours (« ces pâles statues fabri-quées par des nonnes, qui ont la tête à la place du cœur, et qui sortent des cloîtres pourvenir répandre dans la vie l’atmosphère humide de leurs cellules »).

d Le discours amoureux de Perdican reprend, jusque dans son style, certainséléments de l’argumentation qu’il avait développée en II, 5 devant Camille. Ilutilise notamment les mêmes répétitions anaphoriques : « sais-tu ce que c’estque…», qui deviennent une sorte de marque stylistique du discours amoureuxde Perdican. Comme en II, 5, l’anaphore imprime un élan tout particulier auxrépliques de Perdican : « toi seule… toi seule », «on n’a pas… on n’a pas».

61

A c t e I I I , s c è n e 3

f Les modalités des phrases que Perdican sollicite fréquemment sont essen-tiellement injonctives : il donne en effet un certain nombre de directives àRosette en ce qui concerne notamment son attitude : «Regarde », «Lève-toi »,« Écoute », etc. Quand Perdican sollicite la modalité interrogative, c’est pourquestionner Rosette, mais également pour relancer le dialogue dans uneautre direction : c’est lui qui a l’initiative dans ce dialogue.

g Les répliques de Rosette sont bien moins étendues que celle de Perdicanet elles ne font que commenter les paroles et les gestes de Perdican. Rosettene prononce que trois répliques qui correspondent à autant de phrases. Cettedisproportion fait de Rosette un être passif, effacé, presque muet et specta-teur admiratif de la prestation de Perdican. On pourrait presque voir en elleun faire-valoir, un objet ou un instrument dans les mains de Perdican.

h Grâce à de multiples injonctions, Perdican commence par enjoindreRosette à l’aimer, puis lui pose des questions qui n’appellent pas véritable-ment de réponses puisque Perdican ne laisse pas le loisir à son interlocutricede pouvoir le faire. Pourtant, quand Perdican réitère sa question fondamen-tale («Sais-tu ce que c’est que l’amour ? »), Rosette lui répond brièvement avantde voir sa réponse complétée, amplifiée et expliquée par Perdican. La fin dutexte montre Perdican en train de dresser un portrait de Rosette : il prendentièrement en charge les pensées, les réflexions et les sentiments de Rosetteet les reformule lui-même.

j Les anaphores inscrivent le discours dans le registre lyrique en ce sensqu’elles impriment, par leur succession, un rythme invocatoire et presquemystique à l’ensemble du passage : « toi seule… toi seule », « on n’a pas… on n’apas ». Certaines formules se présentent comme des litanies qui ouvriraient etfermeraient rituellement le discours de Perdican. Elles font donc partie d’unevolonté de faire un éloge (de l’amour plus que de Rosette, qui n’en est quele prétexte) et elles inscrivent ainsi l’ensemble du discours de Perdican ausein du registre laudatif.

k Le discours de Perdican s’apparente à la célébration d’un mariage par lesinjonctions qu’il adresse à l’endroit de Rosette qui s’exécute telle une futureépouse. Les injonctions fonctionnent comme une série de demandesrituelles, comme une suite d’actes sacrés. La célébration amoureuse confèreégalement au discours de Perdican une allure proche de celle du Cantique descantiques, ou de tout texte en général, qui célèbre l’union amoureuse de deux

62

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

jeunes gens. Enfin, certains objets, comme la chaîne d’or, et certaines pos-tures, comme l’élévation finale («Lève-toi »), suggèrent ici qu’il pourrait s’agirde la célébration d’une union symbolique.

l La nature est une sorte d’autel, de temple mystique qui permet à cettecélébration amoureuse de devenir une consécration amoureuse. La natureincite et aide les jeunes gens dans l’accomplissement de leur désir en leurdonnant l’exemple d’une vitalité et d’une fécondité évidentes (voir la der-nière réplique de Perdican).

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (pp.136 à 144)

Examen des textes

a Néron exprime parfaitement la complexité et la perversité de la mise enscène qu’il met en place quand il dit à l’adresse de Junie : « Madame, en levoyant, songez que je vous voi. » Le dispositif spéculaire du théâtre est ici mis enévidence : à la double énonciation s’ajoute le double regard.

z Junie tente de prévenir Britannicus du piège tendu par Néron en utilisantdes expressions à double entente comme : «Ces murs mêmes, Seigneur, peuventavoir des yeux », « Et jamais l’Empereur n’est absent de ces lieux. » Ces vers secomprennent normalement au second degré : le premier vers cité est imagéet le second signifie que Néron possède des moyens d’information et dedélation multiples. Ils doivent se comprendre ici au premier degré (maisBritannicus ne le devine pas) : Néron est vraiment présent et les murscachent vraiment ses propres yeux.

e Les vers où Britannicus exprime sa joie et son bonheur de pouvoir parlerseul à Junie sont empreints d’ironie tragique et montrent sa naïveté : «Parlez.Nous sommes seuls : notre ennemi trompé, […] est ailleurs occupé. Ménageons lesmoments de cette heureuse absence. »

r Ophélie dit très justement à Hamlet : «Vous remplacez parfaitement le chœur,monseigneur. » En effet, Hamlet prend en charge certaines prérogatives duchœur : tout d’abord, il présente l’action représentée par les comédiens : per-sonnages, sujet, titre de la pièce, argument ou résumé de l’intrigue, élémentsd’information nécessaires à la compréhension ; en second lieu, Hamlet com-mente également l’action et annonce certains événements pour capter l’at-tention et dramatiser ce qui se trouve représenté.

63

A c t e I I I , s c è n e 3

t Hamlet est d’un bout à l’autre ironique : d’abord en signalant que le spec-tacle est « inoffensif », alors qu’il a pour but de provoquer le nouveau roiqu’Hamlet suspecte de régicide ; ensuite en mettant hors de cause celui qu’ilconsidère comme le meurtrier de son père : «nous avons la conscience tranquille :cela ne nous touche pas », dit-il à l’adresse de son oncle…

y Les valets ont pris la place des maîtres, comme le montrent certainesdidascalies qui mettent en évidence cette usurpation d’identité. Mais si l’ons’en tient à ce que le spectateur peut connaître, on constate que certainesrépliques montrent que les valets singent les maîtres : « traitons l’amour à lagrande manière, puisque nous sommes devenus maîtres ; allons-y poliment, et comme legrand monde ».

u Le passage montre la coexistence de deux plans d’énonciation distincts :d’abord celui de l’intrigue, qui couvre le début du passage (jusqu’à «Qu’on seretire à dix pas») puis celui de la représentation d’une petite pièce dans la pièce(à partir de «Remarquez-vous, Madame…»). Dans le premier cas, l’énonciationest traditionnelle, c’est celle de toute pièce de théâtre : les personnages agissentet parlent entre eux et pour le public. Dans le second, ils agissent et parlententre eux pour un public présent sur scène et faisant partie de l’énonciation,et en outre pour le public du théâtre : l’énonciation est donc redoublée.

Travaux d’écriture

Question préliminaireCes scènes de théâtre dans le théâtre assument plusieurs fonctions différentes.Elles ont d’abord comme caractéristique commune de s’adresser à un publicinclus de fait dans l’intrigue (même dans le cas du texte C). Junie parle àBritannicus en fonction de Néron qui la regarde, Perdican parle à Rosette enfonction de Camille qui la regarde, la pièce représentée dans le texte B viseson principal public, le roi, tandis qu’Arlequin et Cléanthis se mettent enscène devant leurs anciens maîtres. Dans tous les cas, le théâtre dans le théâtreest utilisé ici comme une contrainte cruelle pour celui ou ceux qui en sontles destinataires (textes A, B, D) ou les protagonistes (texte C).Leurs objectifs sont en revanche variés : les dispositifs mis en place dans lestextes B et C cherchent à provoquer l’avènement d’une vérité, alors que lestextes A et D cherchent, par esprit de vengeance, à stigmatiser la ou les per-sonnes visées (comme destinataires) en les critiquant ou en les ridiculisant. Letexte B cumule ces deux fonctions de révélation et de critique.

64

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Commentaire

1. Une scène de théâtre dans le théâtre (genre de la scène, spécificité dutexte)

A. Composition du passage• Première partie : mise en scène et indications de jeu («Mais parlons d’autreschoses, ma belle damoiselle, qu’est-ce que nous ferons… qu’on se retire à dix pas »+ didascalie qui suit). Mise en scène : assis, puis debout en se promenant.• Seconde partie : la pièce en elle-même. C’est une scène de séduction (Arle-quin va faire la cour à Cléanthis) : «Remarquez-vous Madame… vous gâtez tout.»

B. La représentation du théâtrePrésence d’un lieu théâtral défini : lieu (« se promenant sur le théâtre »), public(«Qu’on se retire à dix pas »), comédiens (« car encore une fois nous sommes d’hon-nêtes gens à cette heure »), présence de la spécificité de l’échange théâtral, de ladouble énonciation (Arlequin et Cléanthis se parlent et parlent pourIphicrate et Euphrosine).

C. La démystification de l’illusion théâtraleLes personnages se dénoncent comme acteurs de leur rôle. Comme le constateCléanthis («vous gâtez tout»),Arlequin brise le contrat de l’illusion théâtrale enétant autant acteur que (bon) public : « c’est que je m’applaudis», etc.

2. Une parodie de scène galante (registre et intertextualité)

A. La parodie du style de la galanterie• Champ lexical de l’amour et de la séduction (« amour », « grâces », « dou-ceurs », « compliments », « aimer », « aimable », « tendre », « affaires ») et par méta-phore (« flammes », « feux»).• Figures «précieuses » : l’hyperbole (« le plus beau temps du monde »), hypallage(« jour tendre »), métaphore (« flammes », « feux»).• Syntaxe et ponctuation expressives et émotives : interrogations, exclama-tions, interjections.

B. Les décalages parodiques• Les décalages et les exagérations sont visibles. Le comique parodique estrevendiqué (« traitons l’amour à la grande manière », « comme le grand monde »,« procédons noblement »). Arlequin a du mal à rester dans son rôle et il laisseainsi transparaître l’aspect parodique, et donc comique de l’imitation quin’aurait été sans cela qu’un pastiche réussi, une imitation parfaite.• Le dialogue en tant que parodie de conversation galante est caricaturé,déformé, exagéré. Les enchaînements « sur le mot » fonctionnent mal et

65

A c t e I I I , s c è n e 3

dénoncent ainsi un discours vide de tout contenu, qui n’est qu’une simpleconvention dans le protocole amoureux (voir les liaisons sur « tendre », « res-semblez », « grâces », « dispense ») : le texte donne l’impression de ressembler àun jeu de société fondé sur l’enchaînement verbal, voire lexical.

C. La satireC’est une leçon de comédie (castigat ridendo mores) : elle s’adresse ainsi essen-tiellement au public représenté (Iphicrate et Euphrosine). Son objectif estmoral ou moralisateur (faire prendre conscience de ses ridicules) et sesmoyens sont satiriques (« nous moquer de nos patrons »).

DissertationOn peut proposer un plan simple de réponse accessible à l’ensemble desélèves : réfutation fondée sur l’évidence, puis prise en compte fondée sur uneanalyse plus profonde de l’histoire et des problématiques du théâtre.

1. Le théâtre en tant que représentation

A. La problématique des genresChaque genre littéraire a sa spécificité et celle qui a trait à la réflexion appar-tient à la prose démonstrative (la littérature d’idées, les textes argumentatifs,les essais, les traités, etc.). Le récit (ou le roman) raconte, la poésie exprime etle théâtre montre, alors que l’essai démontre.

B. Le théâtre et sa réflexionDans le texte théâtral lui-même, le partage des tâches est clair : à la préface,la réflexion et à la pièce, la création : voir les préfaces de Britannicus, deBérénice (Racine), celles de Hugo dans Cromwell, Lucrèce Borgia, ou enfin deVigny (« Lettre à Lord… » pour Chatterton). Certes, certaines préfaces peu-vent même devenir des manifestes, comme celle de Cromwell par exemple,mais ce n’est précisément pas à la pièce qu’est dévolue cette mission. Quandun dramaturge ou un écrivain veut faire part de ses réflexions sur le théâtre,il utilise un autre genre littéraire, celui de l’essai (Le Théâtre et son doubled’Artaud), du témoignage documentaire ou testamentaire (Notes et contre-notes de Ionesco), du discours (Discours de l’utilité et des parties du poème dra-matique de Corneille), etc.

C. La spécificité de la réflexion théâtraleCela ne veut pas dire que le théâtre ne réfléchit pas et ne signifie rien : sim-plement son mode d’appréhension n’est pas conceptuel. Le théâtre réfléchitet se réfléchit avec ses propres outils dramatiques et son mode de pensée estpropre à sa spécificité générique qui nécessite la représentation et le jeu. Le

66

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

meilleur exemple réside sans doute dans le rapport que l’on peut faire entreSophocle et Artistote. C’est ce dernier qui a exprimé conceptuellement (quia traduit en quelque sorte), dans sa Poétique, la théorie de la tragédie et duthéâtre de Sophocle, après examen de ses pièces. La réflexion n’est donc passeulement extérieure au théâtre, elle lui est aussi postérieure (et donc dépen-dante, soumise et redondante d’une certaine façon).

2. Le théâtre en tant que questionnement de la représentation

A. La théâtralité et la mise en abymeLe questionnement sur l’essence du théâtre, sa théâtralité, est une constantedans l’histoire de cet art. Molière a réfléchi en action dans L’Impromptu deVersailles et même dans La Critique de l’école des femmes par exemple.Marivaux a mis en scène la mise en scène dans Les Acteurs de bonne foi. Enfin,Rotrou dans Le Véritable Saint Genest et surtout Corneille dans L’Illusioncomique ont fait l’éloge de cette illusion théâtrale qui a une force et une véritéplus grande que la simple réalité dont elle s’inspire pourtant. Un dramaturgecontemporain comme Jean Genet a lui aussi chanté la fascination de la théâ-tralité comme essence du théâtre dans de nombreuses pièces, notammentdans Le Balcon. La mise en abyme du théâtre est donc réflexion théâtrale surle théâtre.

B. Le théâtre comme sujet du théâtreUne part du théâtre moderne et contemporain a cherché à faire de cetterecherche problématique de l’essence d’un art fuyant, complexe et compositele sujet et le matériau du théâtre. Le théâtre de Pirandello en est sans doute laforme opiniâtre et aboutie (voir Six personnages en quête d’auteur par exemple).

C. L’essence du théâtre comme manifestation de l’existenceParadoxalement, cette réflexion sur le théâtre renverse la perspective etdevient réflexion universelle et existentielle car dans la théâtralité, la mise enabyme et le jeu de l’acteur se jouent les problèmes de l’identité et de la desti-nation de l’être humain. En ce sens, la réflexion sur le théâtre devientréflexion sur la vie (Pirandello) et la réflexion sur l’existence peut s’apparen-ter à une réflexion sur le théâtre (Beckett) selon une logique que la méta-phore baroque du theatrum mundi avait bien perçue. Dans cette recherche,c’est une réflexion sur l’événement qui surgit : qu’est-ce qui arrive quand ilarrive quelque chose ? Claudel a parfaitement défini cette fascination, dont ilfait l’éloge au début de L’Échange : «Et il arrive quelque chose sur la scène commesi c’était vrai […] C’est comme les rêves que l’on fait quand on dort. […] L’homme

67

A c t e I I I , s c è n e 3

s’ennuie, et l’ignorance lui est attachée depuis sa naissance. Et ne sachant commentcela commence ou finit, c’est pour cela qu’il va au théâtre. Et il se regarde lui-même, lesmains posées sur ses genoux. »

Invention• Cet éditorial implique un point de vue critique évident, ou tout du moinsamusé et satirique.• Cette métaphore du theatrum mundi que l’on retrouve déjà chez les stoï-ciens antiques et dans la prédication chrétienne (voir saint Augustin, La Citéde Dieu, commentaire du Psaume 127 dans III, 2, 17) est particulièrementutilisée au théâtre à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle, àl’époque dite baroque : on peut conseiller la lecture de L’Illusion comique deCorneille, Du grand théâtre du monde, de La vie est un songe de Caldéron et deShakespeare en général. On peut ainsi citer à titre d’exemple la réplique deJacques dans Comme il vous plaira qui commence par : «Le monde entier estun théâtre… » (Shakespeare, Comme il vous plaira, trad. François-VictorHugo, acte II, scène 7).

A C T E I I I , S C È N E 8 ( p p . 1 5 7 à 1 5 8 )

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE (pp.160 à 163)

a Ce dénouement comporte une ultime péripétie ou « catastrophe» : il s’agitdu cri, puis de la mort de Rosette, cachée à l’abri des regards de Camille etde Perdican. Il s’agit bien d’une péripétie puisqu’il y a renversement de for-tune (du bonheur au malheur) et c’est bien une catastrophe puisque c’est ladernière de la pièce : elle scelle définitivement le dénouement comme mal-heureux («Adieu »).

z Cette catastrophe, ou ultime péripétie, fait en sorte qu’on a l’impressiond’assister à un double dénouement. Le début de la scène est en lui-mêmeune péripétie : les protagonistes se sont quittés fâchés, en désaccord puisquePerdican a décidé d’épouser Rosette par bravade et que Camille a tenté envain de l’en dissuader. Ce que nous montre le début de la scène 8 est donc enopposition avec ce que l’on pouvait attendre et l’aveu de cet amour, attendudepuis le début de la pièce, surgit enfin.Au moment où le rideau peut tom-ber sur ce dénouement heureux, l’intrigue bascule vers le malheur. La didas-calie qui annonce ce renversement de fortune est elle-même double : « Il

68

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

l’embrasse », puis « on entend un grand cri derrière l’autel ». Commence alors l’ex-posé cruel d’un second dénouement en opposition complète avec cedénouement heureux qui semblait pouvoir clore l’action.

e Ce dénouement est fondé sur un coup de théâtre parce qu’il est extrême-ment rapide. En effet, dans cette pièce, le dénouement n’est formé que parune seule scène, ce qui est déjà relativement court. Cette scène est par ailleursassez courte. Mais en outre, le dénouement ultime (la catastrophe) n’est com-pris qu’à la toute fin de la scène (la seconde moitié de celle-ci). On peutdonc parler de dénouement-éclair et de coup de théâtre, puisque à la rapiditése joint ici la surprise inattendue, l’événement extraordinaire et stupéfiantqui renverse entièrement les conditions finales de la pièce.

r Ce dénouement participe d’une certaine poétique de la cruauté. Rosette estun personnage humilié, négligé : elle est un objet dans les mains de Perdican,qui reste toujours pour elle un maître, plus qu’un amoureux (voir I, 4 ; II, 3 etIII, 3 par exemple, ou même III, 7). Elle est également méprisée par Camillequi l’ignore, en tant que « sœur de lait » (actes I et II), puis l’utilise cruellement(III, 6). La cruauté est donc terrible ici, elle est au comble et Rosette y suc-combe. La cruauté touche également les protagonistes puisque au momentmême où ils s’avouent leur amour, la situation dramatique leur montre qu’il estimpossible : on peut donc parler d’ironie tragique. En effet, les personnages sedisent leur bonheur alors même qu’ils sont en train de faire leur malheur etpire celui d’une autre, bien plus innocente, en outre. C’est bien là ce qui estparadoxal et cruel : c’est Rosette, pure et innocente, qui va mourir.

t Le champ lexical de l’amour est bien représenté dans cette scène : «m’ai-mer », «nous nous aimons » (deux fois), « je t’aime». On peut élargir le relevé aulexique apparenté (par dénotation ou connotation) : «un baiser », « ton cœur »,« chère créature, tu es à moi ». Certaines didascalies montrent une évidente pré-sence de l’affection : « il la prend dans ses bras », « Il l’embrasse ». En tant que sen-timent, l’amour est le thème principal de toute évocation lyrique, il est lemédium privilégié qui permet l’épanouissement du registre lyrique.

y Les apostrophes contribuent à l’expression lyrique du sentiment amou-reux tout autant que celle de l’élégie et de la plainte. Elles sont autant desinvocations que des exclamations : «Ô mon Dieu » (deux fois), « Ô insensés ».Elles apparaissent comme des sollicitations, comme des appels à Dieu et àl’amour : on sait que chez Musset, les deux choses sont finalement très liées,voire confondues.

69

A c t e I I I , s c è n e 3

u Dans sa tirade, Perdican utilise des images qui tentent de conférer unaspect poétique à l’amour et au bonheur. La principale image, qui fonded’ailleurs une métaphore filée tout au long de la tirade jusqu’à en faire uneallégorie, est celle du paysage naturel. Le bonheur est associé à une «perle » etle monde devient un « océan », Dieu, un « pêcheur céleste ». Le cheminementamoureux qui a amené Perdican vers Camille est assimilé concrètement à unchemin naturel, à un paysage de campagne verdoyant et paisible : « le vert sen-tier… horizon». Les difficultés et les obstacles qui sont survenus sont associés àdes obstacles naturels et pénibles : « rochers informes », «vent funeste ».

i Le champ lexical de la mort apparaît évidemment et de façon progressive, àmesure que le dénouement tant redouté s’avère irrémédiable : « il me semble quemes mains sont couvertes de sang», « je sens un froid mortel », «ne faites pas de moi unmeurtrier », «nous avons joué avec la vie et la mort », «ne tuez pas Rosette », et enfin« elle est morte ». La présence du registre pathétique découle logiquement de lareprésentation importante du champ lexical de la mort. Le registre tragique sefait sensible dans le fait que cette mort semble inévitable, irrémédiablepuisque, avant même la terrible confirmation, Perdican évoque cette possibi-lité dans ce qu’on peut appeler ses «prédictions », comme une réalité inéluc-table, fatale : «ne faites pas de moi un meurtrier », «ne tuez pas Rosette ».

o Deux adjectifs utilisés dans cette scène lui confèrent très nettement uneatmosphère tragique, voire une appartenance manifeste au registre tragique :il s’agit de « funeste » et de « fatal ». Funeste, comme son étymologie l’indique,implique l’idée de mort, d’événement funèbre, de cérémonie funéraire, defunérailles (funus en latin). Fatal renvoie au latin fatum qui signifie d’abord«prédiction », «oracle », puis «destin », « fatalité » et enfin «destin malheureux,funeste » précisément. Les deux mots sont donc très liés, ils renvoient tousdeux immédiatement à l’idée d’un événement tragique, ils indiquent par là laprésence du registre tragique.

q Hormis le champ lexical de la mort, surreprésenté à la fin, on note la pré-sence d’un lexique qui met l’accent sur la douleur comme l’adjectif « cruel »notamment. Si on examine le début de la scène, qui appartient il est vrai àune autre situation de souffrance que celle qui est exposée à la fin, onremarque néanmoins la présence d’un lexique de la douleur : «malheureuse »et d’exclamations pathétiques comme «hélas ! » ou «mon Dieu», si bien que lascène semble encadrée par un sentiment pathétique continu, seulementinterrompu par une évocation lyrique au centre de celle-ci.

70

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

s La première partie de la scène conduit à un parfait dénouement de comé-die, puisque le nœud initial (le refus de Camille) s’est dénoué, sans doutegrâce à l’ultime décision de Perdican à la scène précédente.Au dénouementde comédie (« Il l’embrasse ») se substitue alors la possibilité terrible et angois-sante d’un dénouement de tragédie (« on entend un cri derrière l’autel »), marquépar l’irréparable, lequel sera confirmé par Camille après une brève enquête(«Elle est morte.Adieu Perdican »). La seconde partie de la scène, celle qui suit ladidascalie citée, est ainsi occupée par le développement de cette nouvelleoption dramatique.

d Perdican analyse avec une certaine lucidité son aveuglement (et celui deCamille) en tant que ressort tragique. C’est le jeu qui est cause de la mort :« et nous, comme des enfants gâtés que nous sommes, nous en avons fait un jouet »,dit-il en parlant de l’amour. Il dira ensuite : « nous avons joué avec la vie et lamort », c’est-à-dire avec l’amour, le seul sentiment qui donne envie de vivreet dont la perte peut conduire à la mort. C’est donc bien une situation decomédie, le jeu avec l’amour (voir les titres des pièces de Marivaux parexemple), qui conduit à la tragédie : la comédie de l’amour est la cause de latragédie funeste.

f Perdican semble expliciter le titre de la pièce dans l’avant-dernièreréplique de celle-ci quand il dit : « nous avons joué avec la vie et la mort ». Lebadinage de la comédie amoureuse est dangereux, il peut avoir des consé-quences funestes, car c’est un sentiment sérieux qui engage l’âme et le corps,c’est un sentiment sublime qui dépasse l’homme vers sa grandeur, c’est unsentiment divin qui rapproche l’homme de Dieu. Ce n’est finalement pas unsentiment de comédie ! En tout cas, le dénouement de la pièce montre qu’ilest dangereux de bafouer ce sentiment, de l’abâtardir en vile débauche ou enbadinage inconséquent. En ce sens, et d’une façon très paradoxale, la piècereste une comédie, puisqu’elle comporte une leçon (proverbiale), unemaxime morale comme il est de règle dans le genre comique. L’objectif de lacomédie en général, et de celle-ci en particulier, est bien de montrer descomportements condamnables (et de les condamner) pour mieux corrigerles mœurs des spectateurs (et des lecteurs) afin de les mettre en garde contrede tels agissements et d’en améliorer la conduite.

g Perdican semble faire de l’« orgueil » une entité puissante et transcendante :«Orgueil, le plus fatal des conseillers humains, qu’es-tu venu faire entre cette fille etmoi ? » C’est une entité fatale et donc tragique puisqu’elle semble dépasser les

71

A c t e I I I , s c è n e 8

êtres humains eux-mêmes et les conduire inéluctablement au malheur, bienmalgré eux, à leur insu, sans qu’ils en aient une claire conscience. C’est doncce principe d’aveuglement tragique qui rend compte selon Perdican del’évolution de l’action dramatique représentée.

h Si l’on est attentif au fait que cette scène se déroule dans un lieu de prière(« un oratoire » nous dit la didascalie), on comprendra mieux la dimensionmystique et religieuse de ce dénouement. Les personnages s’adressent eneffet à Dieu, comme s’ils priaient : «Ô mon Dieu», disent par exemple à tourde rôle les deux personnages. La première réplique de Camille est entière-ment adressée à Dieu (Perdican n’est pas encore arrivé) et prend des aspectschristiques et évangéliques («m’avez-vous abandonnée, Ô mon Dieu ? »). Cetteréflexion est finalement assez proche de ce qu’exprimera Perdican à la fin dela scène : « je vous en supplie mon Dieu ! ». Cette dernière réplique de Perdicanest entièrement adressée à Dieu (Camille est sortie à ce moment-là). Lesprières de Perdican (« ne faites pas de moi un meurtrier », « ne tuez pas Rosette »,«ne faites pas cela ») donnent une dimension tragique à ce dénouement en cesens qu’elles semblent conférer à la divinité tout pouvoir agissant : c’est Dieu,en tant que transcendance, qui peut sauver les personnages du malheur. Letragique en sera d’autant plus cruel que le pire s’avérera comme l’expressioninéluctable, fatale d’une condamnation, d’un châtiment divin mérité par despersonnages qui ont outrepassé leurs prérogatives.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (pp.165 à 174)

Examen des textes

a Médée utilise une ironie particulièrement choquante dans un telcontexte : elle ironise en effet sur le sort de Jason : « Heureux père et mari »,« bienheureux amant » (elle vient de tuer Créüse sa maîtresse !), sur ses enfantsqu’elle vient d’égorger (« ces petits ingrats »). Elle sous-entend que cette nou-velle situation fait plaisir à Jason et le comble en lui ôtant tout scrupule outout sujet de remords, ce qui est profondément injuste et révoltant. L’ironie laplus insupportable est néanmoins développée dans la dernière réplique deMédée : «Enfin je n’ai pas mal employé la journée /Que la bonté du Roi, de grâcem’a donnée. » Cette journée est en effet émaillée d’un certain nombre d’assas-sinats (Créon, Créüse, les deux enfants). Cette ironie montre le sentimentd’impunité dont fait preuve Médée : ce sentiment la met au-dessus de la jus-

72

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

tice des hommes. Il montre en outre un orgueil et une absence de compas-sion qui ne sont pas de ce monde.

z La délibération de Jason commence d’abord par évoquer l’éventualité desa vengeance, pour ensuite la remettre en cause (« Mais que me servira cettevaine poursuite ») : il décide alors de renoncer à cette idée chimérique. À cemoment-là, la délibération se retourne dialectiquement en une révoltecontre sa propre décision qui met à mal son honneur : «Misérable, perfide ! ainsidonc ta faiblesse / Épargne la sorcière et trahit ta princesse ! » Jason décide alors ànouveau de se venger (« Venge-toi »), pour ensuite à nouveau remettre encause cette position : «Mais quoi ! Je vous écoute, impuissantes chaleurs ». Jason adonc par deux fois pensé à se venger pour deux fois y renoncer. C’est alorsque la délibération aboutit à une résolution (le suicide) qui va tenter de per-mettre au héros de sortir de ce dilemme qui consiste à devoir se venger touten sachant que c’est impossible. Cette décision est évoquée quelques versavant la fin qui ne fait qu’amplifier cette décision : «Tourne avec plus d’effet surtoi-même ton bras /Et punis-toi, Jason, de ne la punir pas. » C’est ironiquement ceque Médée avait suggéré à Jason dans la scène précédente quand elle luienjoignait d’aller « cajoler (s)a maîtresse ».

e C’est bien évidemment Jason qui a le dernier mot (presqu’au senspropre) : c’est lui qui s’adresse aux hommes et tire la leçon de cet épisodesanglant. Ce sont les gens simples (la Nourrice, le Garde) qui rappellent lamesure humaine de toute chose et la possibilité d’un bonheur à hauteurd’homme, débarrassé de tout héroïsme, de tout orgueil dangereux.

r Médée était manifestement un obstacle à la sérénité de la Cité : son élimi-nation est conforme à la logique de ce mythe monstrueux et à la dramatur-gie d’une certaine forme tragique qui célèbre le sacrifice d’un bouc émissaireen vue de la purification de l’ensemble de la Cité. Médée est ici en revancheparfaitement coupable. En son élimination réside manifestement la résolu-tion du conflit tragique.

t L’impossibilité à agir se manifeste d’abord par le fait que cette dernièreséquence propose un certain nombre d’actions possibles qui se révèlenttoutes impossibles pour diverses raisons.Toutes les résolutions des person-nages sont rejetées. Un autre élément qui met en évidence cette incapacité àagir réside dans le décalage, voire la contradiction entre les répliques des per-sonnages qui envisagent éternellement d’agir et les didascalies qui soulignentleur immobilisme.

73

A c t e I I I , s c è n e 8

y L’onomastique permet évidemment un tel rapprochement (God, Godot).En outre, le personnage semble posséder des caractéristiques qui pourraientl’apparenter à une divinité : il est invisible, mais craint (« il nous punirait »), il aun pouvoir de salut (« Et s’il vient ? – Nous serons sauvés »). Enfin, la scènebaigne dans une atmosphère messianique : les personnages semblent attendreleur sauveur, qui ne vient pas, mais qui viendra sans doute demain…

Travaux d’écriture

Question préliminaireLe dénouement est en toute logique l’élément qui scelle le destin des per-sonnages et suggère au public le mode de réception de l’œuvre, à savoir songenre. Ainsi, on peut très nettement constater que le texte B présente undénouement de tragédie, puisque le héros s’y donne la mort après avoir déli-béré sans succès. Le dénouement de cette pièce de Corneille montre unesituation qui ne se dénoue pas, ou qui se dénoue dans le malheur : le conflitn’est pas résolu, il est escamoté et dépassé par la mort de celui qui le portaiten son sein, Jason.En revanche, le dénouement du texte A est ambigu, celui du texte C para-doxal et celui du texte D fondamentalement ouvert et indéterminé. Le texteA est extrait d’une comédie, ce que le début de son ultime péripétie tendraità montrer. Pourtant la fin de la scène et le dénouement à proprement parlerreprésentent la mort d’un des personnages et provoquent la séparation défi-nitive des héros (une fin qui rappelle la séparation des amants du Cid…). Letexte A est donc ambigu car si sa thématique est bien celle de la comédie, sondénouement et certains registres qui y sont utilisés ressortissent plutôt augenre tragique.Le dénouement du texte C est paradoxal en ce sens qu’il s’inspire du mêmemythe tragique que le texte B, tout en en inversant le dénouement : c’estMédée qui se suicide et Jason qui se sauve d’une certaine manière de la fata-lité tragique. Il s’agit donc d’un drame tragique qui repousse dans son ultimepéripétie, dans son dénouement, le tragique et la tragédie pour faire prévaloirdes valeurs du drame bourgeois, voire d’une certaine comédie.Enfin, le texte D propose un dénouement tout à fait indéterminé et ouvert :l’action s’achève en ce sens que les personnages restent immobiles (« ils nebougent pas »), mais l’intrigue (si ténue soit-elle) ne se dénoue pas, puisque lespersonnages continuent d’attendre Godot. Il s’agit donc d’une fin sous formede perpetuum mobile (elle reprend la fin de l’acte précédent) : rien ne se passe,

74

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

c’est-à-dire que rien ne peut se finir, se dénouer. L’atmosphère de tristessedans laquelle baigne ce dénouement le rapproche de la tragédie, mais les per-sonnages et leur dialogue rendent dérisoire jusqu’à l’évocation même de lamort. On peut parler alors de farce tragique pour rendre compte de la per-plexité du spectateur.Ainsi, le dénouement semble un élément décisif pour l’inscription d’unepièce dans un genre uniquement en ce qui concerne la plus ancienne piècedu corpus (texte B), les plus récentes (textes A, C et D) jouent et biaisentavec cette donnée dramaturgique qu’est le dénouement et semblent cher-cher à déjouer les attentes du spectateur plutôt qu’à les confirmer.

Dissertation

1. Le dénouement classique comme clôture du sens

A. La complétude du dénouement• Il clôt l’action, met un terme à toutes les intrigues, règle tous les problèmesde la pièce : dans la tragédie (voir texte B ou Britannicus), comme dans lacomédie (voir la fin du Mariage de Figaro par exemple).• Il scelle définitivement le sort des personnages : par la mort bien souventdans la tragédie (texte B, voir également Hamlet), par le mariage dans lacomédie (voir Les Fourberies de Scapin, etc.).

B. Le dénouement et le genre de la pièceLe dénouement fixe également le mode d’appréhension et de réception de lapièce par le public : c’est alors que l’on va juger s’il s’agit d’une vraie tragédieou d’une comédie, voire d’un simple drame. Les hésitations de Corneille surle genre du Cid montrent précisément que le dénouement non malheureuxde la pièce pouvait poser problème : il préférera parler de tragi-comédie plu-tôt que de tragédie.

2. Le dénouement ouvert : indétermination du sens

A. Le dénouement suspenduLe classicisme se méfiait déjà des lourdeurs possibles d’un dénouement tropscolaire et proposait que l’on puisse simplement suggérer certaines suites del’action. Le dénouement du Cid laisse en suspens l’avenir de la relation entreChimène et Rodrigue (de même que celui de Perdican et Camille). Lesdénouements d’Andromaque, de La Thébaïde de Racine, de Sophonisbe deCorneille laissent le sort de certains personnages en suspens, et que dire alorsde celui de L’Intervention de Hugo?

75

A c t e I I I , s c è n e 8

B. Le dénouement ambiguL’ambiguïté peut s’inscrire au cœur même de certaines écritures dramatiquescomme dans Badine : on a vu combien ce dénouement dénouait l’intriguepuisque Perdican et Camille s’avouent leur amour tout en recomposant aus-sitôt le nœud tragique par la mort de Rosette (texte A). Le dénouement deLa Cerisaie de Tchekhov est tout autant ambigu : il se présente comme inver-sion des données initiales, tous les personnages quittent la scène et l’espacedramatique ; pourtant le spectateur ne sait comment comprendre cette vente,ce départ, cette fin car le registre final reste très ambigu et oscille entre uncertain détachement désabusé, voire ironique, et une profonde mélancolie.

C. L’absence de dénouementCertains dénouements jouent sur le paradoxe et l’ambiguïté en suggérantqu’ils ne sont que des commencements ou plutôt des recommencements. Cesont alors des variations répétitives sur l’éternel retour du même : En atten-dant Godot (texte D), La Leçon de Ionesco, Les Boulingrin de Courteline, etc.

3. Le sens : dans le dénouement ou dans le déroulement ?

A. L’artificialité du dénouementCertains dénouements, par leur artificialité exhibée, tendent à montrer quel’essentiel n’est pas là. Le sens d’une pièce ne coïncide pas nécessairementavec son terme. Le dénouement du Tartuffe en est un bon exemple (voir éga-lement Dom Juan et pourquoi pas également Le Mariage de Figaro ?). Lesdénouements de comédies montrent en général que l’intérêt du spectaclethéâtral ne réside certainement pas dans de telles conventions : la comédie enjoue et se joue d’elles.

B. L’intrigue et/ou la fable : le théâtre dramatique et le théâtre épiqueVoir le corrigé de la dissertation du questionnaire 4 (et le tableau de Brecht) :le théâtre épique met en avant le processus théâtral comme désillusion et ledénouement n’est plus essentiel : on passe d’un « intérêt passionné pour ledénouement » dans le théâtre dramatique à un « intérêt passionné pour le déroule-ment » dans le théâtre épique.

C. Le théâtre : un art non linéaire ?Le dénouement fixe les limites de l’histoire et non l’étendue du sens que lapièce a pu recouvrir. Au moment où la pièce se dénoue, elle se rejoue chez lespectateur : c’est tout l’art de la mise en scène de proposer un feuilleté designifications en profondeur, là où le texte ne propose en effet qu’une sorte derécit linéaire (l’intrigue, l’argument, la fable, etc.). À l’inverse du récit, parce

76

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

qu’il n’est pas monologique, le théâtre se présente comme une forme problé-matique, polyphonique qui nécessite la présence active d’une conscience quipuisse interpréter, juger ce qui a été représenté. Ce qui a pu être considérécomme une faiblesse argumentative (dans la dissertation du questionnaire 3)est une véritable force esthétique : le théâtre serait alors à rapprocher davan-tage de la musique ou de la peinture, que du récit.

Commentaire

Voici quelques pistes à étayer par des analyses et des citations précises tiréesdes textes en question.

1. Des dénouements opposés

A. Inversion de la structure du dénouementLe texte C inverse totalement le mythe représenté dans le texte B : c’estMédée qui se tue (et non Jason), c’est Jason qui triomphe (et non Médée). Leseul point commun réside dans le fait que Jason conclut (presque) la piècedans les deux cas, mais le contenu du discours de Jason est tout à fait opposé :dans le texte B, Jason affirme la victoire du Mal et montre que l’honneur etl’orgueil de l’homme résident dans le renoncement héroïque (le suicide) ;dans le texte C, Jason propose que l’homme puisse fuir le tragique (et doncl’héroïque) pour vivre enfin en paix dans un monde à sa mesure.

B. Des genres opposésSi le dénouement détermine le genre dramatique, on peut considérer que lesdeux pièces s’opposent fondamentalement. Le texte B est une tragédie qui seprésente comme un spectacle purement esthétique où l’admiration se mêle àla terreur et à la pitié : le spectateur est élevé par cette éducation esthétique(voir Schiller) qui passe par la purgation des passions (mauvaises) : la catharsis.Dans le texte C, on présente directement, par le biais d’un personnage porte-parole, et dans une sorte d’épilogue, la leçon morale qu’il faut retenir de lapièce : « rebâtir sans illusions un monde à notre mesure pour y attendre de mourir »,etc. Le texte C, par cette dimension didactique, se rapproche donc très nette-ment du drame : la tragédie ne délivre (directement) en effet aucune leçonmorale.

2. Des projets de réécriture opposés

A. Une opposition de style marquéeAnouilh refuse le vers, le style et le registre tragiques : son langage est simple,voire familier. C’est une façon de refuser dans la forme ce que Jason réfute

77

A c t e I I I , s c è n e 8

sur le fond, à savoir l’héroïsme. La fin de la pièce chez Anouilh ne se finit pasdans le paroxysme comme chez Corneille ; à l’inverse, il se termine sur undialogue, interrompu, entre la Nourrice et le Garde.Au langage de l’hommechez Anouilh (faire un simple relevé) s’oppose le langage du surhomme cor-nélien (le langage de Médée en est l’exemple caractéristique, plus encore sansdoute que celui de Jason : faire un relevé de quelques vers).

B. Des significations opposéesLes interprétations du mythe sont radicalement contraires dans les textes B etC : la définition de l’homme et de l’humanisme y est centrale. Corneille posepar principe une surhumanité sublime et divine de l’homme qui lui permetd’atteindre des sommets, mais aussi de chuter dans des abîmes : le suicide deJason est un sommet en creux, la fuite de Médée est une chute sublime (ausens d’élevée). En ce sens cette capacité divine (ou satanique, en tout cas sur-naturelle) à faire le mal comme le bien met Médée au moins sur le mêmeplan que Jason, sinon plus haut ! Elle représente, certes en noir, cette subli-mité folle qui réside dans le cœur de l’homme, sa liberté, comme don pro-méthéen. On peut parler d’humanisme héroïque (et rappeler le premier sta-simon du Chœur dans Antigone de Sophocle) : cet humanisme se fonde surune tradition surtout chrétienne (celle du péché originel, de la chute).Anouilh se réfère en revanche à l’humanisme antique, et notamment aristo-télicien : il reprend la définition de l’humanisme de la Renaissance qui pro-pose que l’on fasse de l’homme la mesure de toute chose : « rebâtir sans illu-sions un monde à notre mesure pour y attendre de mourir », etc. Cet humanisme estcependant bien déprimé, il n’a plus rien à voir avec l’humanisme triomphantde la Renaissance, car il montre (et en ce sens seulement Anouilh reprendparfaitement Corneille) que la monstruosité existe et continue à ravager lecœur de l’homme (Médée incarne cette horreur). Le ton modeste du texteC rend compte de ce nouveau projet sceptique et pragmatique.

Invention• Genre d’écrit : le parallèle. Ce genre, très prisé à l’âge classique : voir LaBruyère et son parallèle de Corneille et de Racine dans Les Caractères,Perrault, Parallèle des Anciens et des modernes qui s’inspire notamment des Vies(parallèles) des Hommes illustres de Plutarque. Plus proche de nous et plus enrapport avec le sujet, on pourra évoquer le fameux parallèle romantique deSchlegel : Comparaison entre la Phèdre de Racine et celle d’Euripide (1807). Cegenre fonde de nombreux essais littéraires qu’on pourra évoquer à cetteoccasion (sous la forme d’extraits ?) : Hans Robert Jauss, «De l’Iphigénie de

78

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Racine à celle de Goethe » (dans Pour une esthétique de la réception, Tel,Gallimard, pp. 210-242), ou mieux encore Steiner, Les Antigones, Gallimard,«Folio-essais » : voir notamment les pages 212-213 où l’auteur fait un paral-lèle de Sophocle et d’Anouilh tout à fait probant et convaincant.

79

A c t e I I I , s c è n e 8

◆ LE THÉÂTRE ET LA DRAMATURGIE

– Pierre Larthomas, Le Langage dramatique, PUF, 1980.– Jean-Pierre Ryngaert, Introduction à l’analyse du théâtre, Bordas, 1991.– Jacques Schérer, La Dramaturgie classique en France, Nizet, 1986.

◆ LE ROMANTISME

– Paul Bénichou, L’École du désenchantement, Gallimard, 1992 (sur Musset,pp. 99-216).– Jean-Pierre Richard, Études sur le romantisme, Le Seuil, «Points », 1970 (surMusset, pp. 213-226).

◆ LE THÉÂTRE ROMANTIQUE

– Gérard Gengembre, Le Théâtre français au XIXe siècle,Armand Colin, 1999.– Florence Naugrette, Le Théâtre romantique, Le Seuil, «Points », 2001.– Anne Ubersfeld, Le Drame romantique, Belin, «Sup», 1993.

◆ MUSSET, SA VIE, SON ŒUVRE

– Alain Heyvaert, La Transparence et l’indicible dans l’œuvre d’Alfred de Musset,Klincksieck, 1994.– Alain Heyvaert, L’Esthétique de Musset, SEDES, 1996.– Yves Lainey, Musset ou la difficulté d’aimer, SEDES, 1978.– Franck Lestringant, Alfred de Musset, Flammarion, «Grandes biographies »,1999.

◆ SUR LE THÉÂTRE DE MUSSET

– Léon Lafoscade, Le Théâtre de Musset, Nizet, 1966.– Henri Lefebvre, Musset dramaturge, L’Arche, 1955.– Cecil Malthus, Musset et Shakespeare. Étude analytique de l’influence deShakespeare sur le théâtre d’Alfred de Musset, Peter Lang, 1988.– Bernard Masson, Théâtre et langage, essai sur le dialogue dans les comédies deMusset, Minard, «Lettres modernes », 1977.

80

B I B L I O G R A P H I E , D I S C O G R A P H I EC O M P L É M E N T A I R E S