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L’Archipel de Kerguelen : les plus vieilles îles dans le plus jeune océan
par André Giret(1), Dominique Weis(2), Michel Grégoire(3),, Nadine Mattielli((2 Bertrand Moine(1), Gilbert Michon(1),
James Scoates(2), Sylvie Tourpin(1),) Guillaume Delpech(1), Marie Christine Gerbe(1) Sonia Doucet(2), Raynald Ethien(1),
and Jean-Yves Cottin((1)
(1) Dépt. Géologie, CNRS-UMR 6524, Université Jean Monnet, St. Etienne, France
(2) ULB, Isotopes, Pétrologie et Environnement, av. F.D.Roosevelt, 50, CP 160/02, 1050 Bruxelles, Belgique
(3) CNRS UMR 5562 "Dynamique Terrestre et Planétaire", Toulouse, France
(d'après l'article publié dans Géologues, 2003, n°137, pp. 15-23)
Photo 1 (cl. B. Moine)
Le Mont Ross vu du Point Sublime. Au premier plan La Table, phonolitique
Investigations géologiques aux Kerguelen
Découvertes en 1772 par Y. de Kerguelen, les
îles Kerguelen furent l'objet de plusieurs investigations
scientifiques au cours des XVIIIème et XIXème siècles
ainsi qu'au début du XXème siècle. Ce n'est pourtant
qu'avec Aubert de la Rue (1932) que leur connaissance
géologique s'affine, en particulier avec la découverte de
massifs plutoniques dont certains contiennent des
roches granitiques, ce qui les distinguent des autres îles
océaniques. A partir de 1958, année géophysique
internationale, les programmes d'exploration des
océans apportent de nombreuses données
bathymétriques, gravimétriques, paléomagnétiques,
sismiques, sédimentologiques et géochimiques, qui
précisent l'image et l'histoire de l'océan Indien. A la
suite des synthèses océanographiques (Heezen et
Tharp, 1965), géologiques (Nougier, 1970) et
paléomagnétiques (Schlich, 1975), les îles Kerguelen
deviennent une cible privilégiée des géologues pour
qui elles sont un exemple unique d’informations
géologiques sur des terres émergées de grandes
surface (120 x 150 km) liées au magmatisme
intraplaque et situées dans une région de l'océan Indien
où les îles sont rares. L'archipel Kerguelen apparaît
comme un maillon indispensable à la compréhension
de ce secteur et offre un grand intérêt pour la
connaissance du magmatisme en contexte
géodynamique intraplaque océanique.
A partir des années soixante dix, une attention
particulière est portée aux granites dont l'origine
continentale semblait alors démontrée. Leur présence,
inexpliquée à Kerguelen, conduisait à supposer
l'existence d'un fragment continental sous la jeune
croûte océanique (Watkins et al., 1974). La géochimie
isotopique (Rb/Sr, Sm/Nd) lèvera l'incertitude et les
travaux de Dosso et al. (1976) prouvent l'origine
océanique de toutes les roches magmatiques de
l'archipel tandis que Lameyre et al. (1976) démontrent
que des granites, ceux de Kerguelen en particulier,
peuvent provenir du fractionnement de magmas
mantelliques. L'attrait pour les complexes annulaires
des îles Kerguelen s'accroît au cours des années quatre
vingt et le modèle structural volcano-plutonique
proposé par Giret (1983, 1990), confère une même
source aux laves et aux roches plutoniques. Ces
résultats obtenus à terre sont intégrés à ceux obtenus en
mer (Goslin et Patriat, 1984) et il apparaît que les
sources magmatiques qui sont à l'origine des îles
Kerguelen et du plateau qui les supporte sont liées à
l'activité de la ride Est-Indienne et à celle du point
chaud de Kerguelen (Gautier et al., 1990).
La découverte de nombreux gisements
d'enclaves basiques et utrabasiques apporte un
éclairage nouveau, tant sur l'origine des magmas que
sur la structure de la lithosphère. L'archipel Kerguelen
devient un modèle géologique, au même titre que
2
l'Islande et Hawaii (Giret et al. 1997) et
l'épaississement crustal dont il témoigne appuie l'idée
qu'il peut représenter un exemple de nucléation
continentale en domaine océanique (Grégoire et al.,
1995, 1998), comme cela est suggéré dès l’Archéen
pour les ceintures de roches vertes interprétés comme
des reliques de vastes plateaux océaniques
insubductables (Abouchami et al. , 1990 ; Boher et
al.,1992). Les investigations géochimiques se
développent tant dans les îles Kerguelen que sur le
plateau océanique qui les supporte et qui est considéré
comme une grande province ignée (LIP= Large
igneous province). Le programme ODP multiplie les
forages dans cette structure, apportant de nouveaux
arguments aux réflexions concernant l'origine et
l'évolution du plateau et des îles Kerguelen (Wallace et
al., 2002; Ingle et al., 2002).
Le point chaud de Kerguelen, est à présent
bien défini (Weis et al., 1998, 2002) et la réflexion sur
sa participation relative ainsi que celle de la ride sud-
est indienne dans la formation de la LIP "Plateau de
Kerguelen et Broken Ridge", est bien étayée par les
arguments fournis par les îles Kerguelen (Weis et Frey,
2002; Doucet et al., 2002).
al., 2002; Ingle et al., 2002). Le point chaud de
Kerguelen, est à présent bien défini (Weis et al., 1998,
2002) et la réflexion sur sa participation relative ainsi
que celle de la ride sud-est indienne dans la formation
de la LIP "Plateau de Kerguelen et Broken Ridge", est
bien étayée par les arguments fournis par les îles
Kerguelen (Weis et Frey, 2002; Doucet et al., 2002).
Par ailleurs, les données pétrologiques, géochimiques
et isotopiques (radiogéniques et stables) obtenues
directement sur les enclaves ultrabasiques-basiques
mantelliques, récemment découvertes dans l’archipel,
indiquent clairement le caractère initialement
réfractaire et secondairement enrichi d’un manteau
océanique abondamment percolé et métasomatisé à
l’aplomb d’un panache mantellique (Grégoire et al.,
1997, 2000, 2001, Mattielli et al., 1996, 1999, Moine
et al. 2000, 2001).
Une morphologie propice à l'observation
géologique
Ce n'est qu'à partir des années soixante dix
que l'on a pu disposer de cartes géographiques
produites par l'IGN à partir de missions héliportées. Le
document initial (1 feuille) est au 1/200 000. Agrandi,
il a permis la publication de 3 feuille au 1/100 000 qui
bénéficient d'une toponymie plus riche (Durand de
Corbiac, 1970).
A une latitude moyenne de 49°15’ sud,
sensiblement celle de Paris dans l’hémisphère nord
(figure 1a), et à une longitude moyenne de 69°30’ est, à
peu près celle de Bombay, l'archipel Kerguelen se
trouvent au milieu de la partie sud de l'océan Indien. Sa
superficie de 7 215 km2 peut être comparée aux 8 722
km2 de la Corse (figure 1b). Il est constitué par une île
majeure représentant neuf dixième de la surface totale,
la Grande Terre (environ 6 675 km2) étendue sur 130
km d’est en ouest et sur 120 km du nord au sud, par
l’île Foch (220 km2), par huit grandes îles dont les
surfaces vont de 8,5 à 45 km2, et par trente cinq îles
allant de 1 à 5 km2, quarante cinq îlots de 4 à 70 ha, et
d’innombrables rochers et écueils. C'est donc
aujourd'hui une ensemble très morcelé dont la surface a
pu être, dans le passé, très supérieure à ce qu'il en reste.
Figure 1
a- Latitudes symétriques entre Europe et TAAF
b- Comparaison Corse-Kerguelen
La morphologie des îles Kerguelen est
principalement liée à leur origine magmatique et à
l'érosion glaciaire (figure 2). Le volcanisme a produit
de vastes et puissants entablements basaltiques qui
forment 80% de l'archipel, lui donnant souvent un
aspect monotone. Par endroits des ensembles volcano-
plutoniques plus jeunes traversent ces structures et
forment des reliefs, comme le Mont Ross, point
3
culminant à 1 850 m (Photo 1). Des filons basaltiques
linéaires s’étendant parfois sur plus de 5 km et
principalement orientés NNO-SSE et NE-SO
apparaissent en dépression ou en relief et forment un
découpage parfois très dense que l'on peut mettre en
relation avec les structures régionales du plancher
océanique . Cet ensemble a été profondément entaillé
par des glaciers qui creusent des vallées au fond plat et
aux flancs abruptes et qui évoluent en fjörds encaissés
(Photo 2). Les cours d'eau, au régime généralement
torrentiel, n'excèdent pas 20 km et participent aussi au
démantèlement. La terminaison orientale (péninsule
Courbet) est une vaste plaine littorale formée par
l’accumulation de sédiments glaciaires dont émergent
ça et là des reliques volcaniques.
Photo 2 (cl. A. Giret)
Une grande portion des régions occidentale et
centrale est recouverte par la calotte glaciaire Cook qui
culmine à 1 050 m et recouvre environ 550 km2. La
glace s’écoule par une vingtaine de langues divergentes
qui aboutissent à des lacs frontaux plus ou moins
importants et parfois directement à la mer. Les
principaux sommets de la Grande Terre étaient eux
aussi recouverts de nappes de glace permanentes
jusqu’à la fin du XXème siècle. Ces sommets sont de
plus en plus souvent dégagés, comme l’illustre le Mont
Ross (Photo 3) dont la crête de glace fond en été depuis
les années 1990. De ce volcan partent une dizaine de
langues glaciaires dont la principale est le glacier
Buffon (12 km) qui draine jusqu’à la mer les glaces et
les abondantes moraines accumulées dans le cratère au
fond duquel il prend naissance.
Photo 3 (cl. A. Giret)
Le Mont Ross, vu du Nord. A gauche le Grand Ross (1852m), à
droite le Petit Ross
Les sommets de la péninsule Rallier du Baty, au sud-
ouest, qui culminent à 1 262 m, étaient eux-aussi
englacés de façon permanente il y a quelques années
encore, donnant naissance à dix huit langues glaciaires
dont les plus importantes sont le glacier Ampère et le
glacier Arago (Photo 4). Au nord du Cook, les glaces
du Mont Guynemer (1 088 m) et la presqu’île de la
Société de Géographie qui culmine au Mont Richard (1
081 m) sont elles aussi en déliquescence, les glaciers
qui s’en écoulaient perdurant encore difficilement. Le
retrait glaciaire a été souligné dès 1970 par Durand de
Corbiac qui a montré que les glaciers de Chamonix et
Ampère avaient respectivement reculé de 40 et 60 m en
un an. Dans les années 1990, Frénot et al. (1993,
1997) ont montré que le recul du glacier Ampère s’est
amplifié d’environ 3 km en une trentaine d'années, de
1966 à 1997.
Photo 4 (cl. A. Giret)
Le glacier Arago, Péninsule Pallier du Baty
Les très nombreuses vallées sont alimentées
par des cascades et torrents qui deviennent violents à la
moindre précipitation. Ces vallées sont profondes et
encaissées, parfois très longues, comme le lac
d’Hermance qui s’étend sur 12 km pour une largeur
moyenne inférieure à 500m. Le tracé de ces vallées,
regroupées en faisceaux parallèles, semble bien avoir
été influencé par le réseau de fractures très dense.
Quelques inselbergs apparaissent parfois dans les
grandes plaines d’épandage.
Les lacs de crête et de fond sont très
nombreux. 56 ont de 1 à 5 km2 de superficie et 8 de 5 à
10 km2. C’est sur la plaine d’épandage de la péninsule
Courbet que se trouve le plus grand lac, lac Marville,
qui occupe une surface de 23 km2 et qui, seul de son
espèce, semble provenir de la fermeture d’une baie par
un cordon littoral. Cette plaine orientale, nommée "les
Basses Terres", d'altitude inférieure à 50 m, couvre 780
km2, soit plus de 12% de la surface des îles, et elle est
en outre parsemée d’une très grande quantité de petits
lacs ou d’étangs, d’origine glaciaire ou peut-être même
éolienne, dont beaucoup n’atteignent pas un hectare, et
qui donnent à cette région marécageuse un aspect qui
rappelle les Dombes en métropole.
Les côtes, généralement très abruptes, sont
façonnées par l’érosion marine qui, en sapant les bases,
provoquent d’importants effondrements aboutissant à
4
de hautes falaises. La falaise rigoureusement verticale
de la Baie de l’A-Pic, au sud de la presqu’île Jeanne
d’Arc, atteint par endroits 500 m de haut. Les plages
ouvertes sur la mer sont des plages de galets, celles qui
ferment les baies profondes ou les fjords sont
constituées de sables volcaniques généralement noirs
mais parfois blancs et riches en cristaux de sanidine
(Photo 5). Le vent active l’érosion entamée par la
glace, le gel et l’eau. Toutefois, une seule dune
éolienne a été observée. Elle se trouve en face des
Portes de l’Enfer, sur la côte nord-ouest de la péninsule
Rallier du Baty, dans la plaine du Styx où des sables
mouvants peuvent apparaître localement au pied de la
dune.
Photo 5 (cl. A. Giret)
Le Doigt de Ste Anne et Le Peigne
Le tracé des côtes est extrêmement découpé et
leur développement est de l’ordre de 3 000 km, soit la
longueur du littoral de la France continentale. Du fait
de cet extrême morcellement du littoral, avec des fjords
qui pénètrent très profondément à l’intérieur de la
Grande île, aucun point de l’archipel ne se trouve à
plus de 16 km de la mer. L’ensemble de l’archipel
manifeste un ennoyage vers ESE, ce qui se traduit par
des côtes moins festonnées et beaucoup plus abruptes à
l’ouest que dans le reste de l’archipel.
La configuration actuelle de l'archipel, avec
une élévation des reliefs vers l'ouest et un ennoyage
vers l'est, est dû à un basculement généralisé vers l'ESE
(Verdier et al., 1988) auquel s'est superposé un
mouvement en touches de piano qui a provoqué
l'effondrement de certains blocs et la formation de
fossés. Les cycles de la glaciation quaternaire n'ont pas
pu être distingués. Toutefois le façonnage actuel doit
être relié au Würm (30 000 ans), exception faite de
quelques langues glaciaires qui se sont développées au
XVIIème siècle lors des derniers assauts du froid, connus
sous le nom de "Petit âge de la glace". La période
actuelle est caractérisée par un recul général des glaces
comme en témoigne la présence, au front de certains
glaciers, d'affleurements qui étaient masqués il y a
seulement 15 ans.
L'extrême découpage des îles Kerguelen, les
nombreux glaciers et le climat rigoureux qui empêche
le recouvrement végétal, sont propices à une grande
qualité des affleurement géologiques où les relations
entre les différentes formations magmatiques sont
clairement observables.
Figure 2
Schéma géologique des îles Kerguelen
1: calotte glaciaire, 2: basaltes tabulaires = basaltes des plateaux,
3: plaine d'épanchement morainique, 4: complexes volcano-
plutoniques, 5: complexes plutonque annulaire, 6: gisements
d'enclaves basiques et ultrabasiques.
Le contexte océanique
Figure 3
Place des îles Kerguelen dans l'océan Indien
a - Physiographie de l'océan Indien. Les îles : K=Kerguelen,
H=Heard et McDonald, A=Amsterdam, SP=St. Paul, C= Crozet,
M= Marion, PE= Prince Edward, R= Réunion et Maurice. BR =
plateau sous-marin Broken Ridge.
b - La grande province ignée (LIP) Kerguelen et Broken Ridge (BR)
: Le plateau de Kerguelen est subdivisé en NKP= partie nord,
CKP=partie centrale, SKP= partie sud et EB= banc de l'Elan.
5
Figure 4 - Dynamique de l'Océan Indien et formation de la LIP Kerguelen et Broken Ridge
(d'après Coffin et al. , 2002, et Nicolaysen et al., 2000, modifiés). Explications dans le texte. Figurés: 1=continent, 2=marges continentales, 3=croûte
océanique, 4= volcanisme de point chaud
.
Les rides océaniques découpent l'océan Indien en trois
vastes secteurs (figure 3a). Le premier appartient au
domaine africain et il est limité par la dorsale de
Carlsberg au NE et par la dorsale Ouest-Indienne au
SE. Il comprend Madagascar, les Seychelles, l'île de la
Réunion et l'île Maurice. Le second appartient à la
plaque australienne et s'étend vers l'ouest jusqu'à la ride
de Carlsberg qui se prolonge par la dorsale est-indienne
6
au sud du point triple de Rodriguez. Le troisième est
constitué par le domaine méridional que limitent les
deux branches du "Y" renversé formé par les dorsales
ouest-indienne et est-indienne. Il est relié à la plaque
antarctique par le plateau de Kerguelen (LIP) qui
s'élève au-dessus de l'isobathe 4000 depuis 46° jusqu'à
64° de latitude sud et selon une direction NNW-SSE
avec une largeur moyenne de l'ordre de 450 km. Cette
grande province ignée est divisée en sous-provinces
aux histoires sensiblement différentes (figure 3b): le
plateau de Kerguelen Sud (SKP) et le banc de l'Elan
(EB), le plateau de Kerguelen central (CKP) où se
trouvent les îles Heard et Mc Donald et le plateau de
Kerguelen nord (NKP) qui supporte l'archipel
Kerguelen. La partie sud (SKP + EB) a une origine en
partie continentale (Ingle et al., 2002; Neal et al.,
2002), une croûte atteignant 25 km d'épaisseur (Goslin
et Diament, 1987), et sa formation a commencé il y a
plus de 100 Ma (Leclaire et al., 1987). La partie nord
(CKP + NKP) est d'origine uniquement océanique
(Weis et Frey, 2002, Mattielli et al., 2002, Doucet et al.
2002), d'âge inférieur à 100 Ma (Nicolaysen et al.,
2000; Duncan, 2002) et une épaisseur de croûte
comprise entre 14 et 20 km (Recq et Charvis, 1986,
Grégoire et al. 1994, 1995). Il convient de rattacher à
cet ensemble le plateau de Broken Ridge (BRP) situé
de l'autre côté mais à même distance de la ride Est-
indienne, dont l'origine est la même que celle des CKP
et NKP dont il a été détaché sous l'effet de l'expansion
océanique il y a 42 Ma, l'anomalie 17 bordant au nord
le NKP et au sud le BRP (Goslin et Patriat, 1984;
Royer et Sandwell, 1989).
Si l'on accepte que l'isobathe 200 matérialise
son extension passée, l'archipel Kerguelen a pu
atteindre une surface de 50 000 km2 qui s'inscrit dans
un rectangle limité par les méridiens 68°30' et 70°35'
Est et par les parallèles 48°33' et 49°45' Sud. Sa partie
émergée (7 215 km2) ne représente plus que 13% de la
surface du NKP et seulement 2% de celle de la LIP
"Kerguelen", mais cela le classe quand même en
troisième position mondiale, après l'Islande et Hawaii.
L'âge de ces îles, 30 à 40 Ma (Giret 1993, Nicolaysen
et al., 2000) en fait le plus vieil archipel du domaine
strictement océanique. Son histoire (figure 4), inscrite
dans celle de la LIP Plateau de Kerguelen et Broken
Ridge, peut être résumée par les étapes suivantes (Weis
et al.; 1992Giret 1993, Yang et al., 1998; Nicolaysen et
al., 2000; Coffin et al., 2002; Duncan, 2002)
133-120 Ma: Dislocation continentale entre l'Australie
et l'Inde d'abord (133 Ma), l'Australie et l'Antarctique
ensuite (125 Ma). Les basaltes du Bunbury, au SW de
l'Australie, se mettent en place et marquent le début de
l'océanisation. Les parties continentales du Banc des
Elans (EB) et du Sud du Plateau de Kerguelen (SKP)
sont encore attachées à l'Inde. On peut comparer cette
étape à celles qui caractérise l'actuel rift Est-Africain,
la Mer Rouge et le Golfe d'Aden.
120-90 Ma: L'expansion océanique se poursuit entre
l'Inde, l'Australie et l'Antarctique. Les manifestations
du point chaud de Kerguelen conduisent d'abord (120-
110 Ma) à la formation du Sud du Plateau de
Kerguelen (SKP), des trapps de Rajmahal en Inde, et
de lamprophyres en Antarctiqu, ainsi qu'à la séparation
entre l'Inde et le banc des Elans, puis ensuite à la
formation de la partie centrale du Plateau de Kerguelen
(105-100 Ma) et à celle de Broken Ridge (100-95 Ma).
90-40 Ma: Le point chaud de Kerguelen produit la ride
du 90° Est (Ninety East Ridge) et du Skiff Bank (SB)
tandis que l'Inde poursuit sa dérive ves le Nord. La ride
Est-Indienne s'individualise. On peut voir ici l'image de
l'Islande divisée par la ride de Reykjavik.
40-25 Ma: L'expansion océanique s'active. La dorsale
Est-Indienne s'individualise entre Broken Ridge et la
partie nord du Plateau de Kerguelen, qui dorénavant
n'appartiennent plus à la même plaque. Le point chaud
produit la partie Nord du plateau de Kerguelen puis les
îles Kerguelen proprement dites qui bénéficient aussi
des magmas générés par l'ouverture océanique
(MORB). La poursuite de l'édification des îles
Kerguelen, soumises à la fois à un magmatisme
tholeiitique typique de ride océanique (MORB) et à un
magmatisme de point chaud (OIB), donne un ensemble
hybride défini par les suites tholéiitiques-
transitionnelles (Frey et al., 2000). Ce stade peut être
rapproché de celui de l'île de l'Ascension, à l'ouest de la
dorsale atlantique (Harris, 1983). Au cours de cette
étape la croûte s'épaissit, en particulier par le sous-
placage de matériaux mantelliques à l'interface croûte-
manteau (Grégoire et al., 1998).
25 Ma- Présent: Les îles Kerguelen sont franchement
en position intraplaque et ne subissent plus que le
magmatisme alcalin associé à leur point chaud (Giret,
1990). Les dernières manifestations magmatiques
importantes ont été datées à moins de 30 000 ans,
certaines coulées apparaissent mêmes historiques
comte tenu du recouvrement des moraines les plus
récentes (Gagnevin et al., sous presse) et l'on n'observe
plus à présent que quelques fumerolles (Delorme et al.,
1994). Le déplacement des îles Kerguelen vers le Sud
par rapport à la ride est-indienne s'est effectué à une
vitesse calculée variant de 2 à 3,4 cm/an (Schlich,
1975) selon les époques, ce qui s'accorde à peu près
avec la distance parcourue à partir de la dorsale
actuelle, environ 1500 km en 40 Ma.
Paléontologie: flore et faune témoignant de l'émersion depuis le Miocène
La nature essentiellement volcanique de
l'archipel ainsi que les régimes d'érosion glaciaire et
torrentielle qui le rabotent ne sont pas favorables à la
conservation des dépôts sédimentaires, et, par voie de
conséquence, à la formation de gisements fossilifères.
On ne s'étonnera donc pas que ces derniers soient très
rares, même s'ils sont plus fréquents à Kerguelen que
dans la plupart des autres îles océaniques.
Les premiers gisements ont été signalés à la
fin du XIXème siècle à Port Christmas, au Mont
7
Havergal dans la Baie de l'Oiseau. Il s'agit de niveaux
ligniteux centimétriques à décimétriques associés à des
sédiments fluviatiles plus ou moins grossiers (sables
feldspathiques, conglomérats). Au XXème siècle
plusieurs autres niveaux à lignite ont été décrits,
toujours dans le nord de l'archipel. On a trouvé par
ailleurs fréquemment des fragments de bois lignifiés
dans les alluvions torrentielles, sans qu'il ait été
possible de localiser exactement leur provenance
(Aubert de la Rüe, 1931; Crié, 1889; Seward, 1919;
Seward et Conway, 1934; Mechkova, 1969; Wace,
1960). Selon Nougier (1970), ces formations
fossilifères s'apparentent aux lignites de la catégorie
noirs-brillants pouvant être qualifiés de lignites
bitumineux, de lignites durs ou encore de "sub-
bituminous coals" dans la terminologie de Toronto. Ces
gisements du nord de l'archipel ont livré:
Cuporessoxylon antarcticum et C. Kerguelense,
Araucarioxylon, Dadoxylon (Araucarioxylon)
kerguelense que certains rapprochent au genre
Araucaria ou Agathis. Deux autres gisements décrits
par Nougier (1970) se situent au sud-est de l'archipel,
vers Port Jeanne d'Arc. Ils ont livré des Mousses,
Dicranites australis., Muscites thuilioides et Muscites
sp., des Fougères rappelant le genre Gleichenia, des
Gymnospermes, genre Araucaria dont les écailles
rappellent le type A. Rulei de Nouvelle Calédonie ou
A. excelsa de l'île Norfolk, A. Balansæ, Elatocladus,
deux formes de Monocotylédones voisines des
Graminées, des Cypéracées et des Typhacées, trois
formes différentes de Dicotylédones dont l'une est
proche de Nothofagus d'Amérique du Sud, une autre
ressemblant aux Myrtacées ou aux Ilicacées. Les
Ptéridophytes sont abondantes, au moins dix espèces
avec une majorité de Filicales. Des pollens de
Gymnospermes et d'Angiospermes ont été reconnus
sans avoir pu être vraiment classés. Cette flore
correspond à un âge vague, pouvant aller du Crétacé
supérieur au Pliocène. Les niveaux basaltiques
auxquels elle est associée (Photo 6) permettent
cependant de la situer entre 10 et 30 Ma c'est à dire du
Miocène à l'Oligocène.
Photo 6 (cl. A. Giret)
Presqu'île Ronarc'h, pillow lava sur niveau sableux
Un dernier gisement où les dimensions des
restes végétaux et leur état de conservation sont
exceptionnels a été découvert entre le Mont Rond et le
Cap Mac Lear, sur la presqu'île Ronarc'h (Philippe et
al., 1998). Il s'agit de branches et de troncs (Photo 7),
dont les restes peuvent atteindre 60 cm de diamètre et
plus de deux mètres de long, emballés dans un
conglomérat consolidé, dont l'âge est supérieur à 30
000 ans (inédit). On y a trouvé: Agathoxylon
kerguelense, qui semble correspondre à trois espèces
précédemment décrites, Agathoxylon kerguelense
(Crié, comb.nov.), Cupressoxylon kerguelense (Crié,
1889), Dadoxylon kerguelense (Steward, 1919)
etWiddringtonioxylon antarcticum (Beust, 1884) nov.
comb. qui semble identique à Cupressinoxylon
antarcticum (Beust, 1884).
Photo 7 (cl. A. Giret)
Arbres fossilisés dans une formation morainique, Mont Rond
Outre les niveaux ligniteux, il existe aussi des
niveaux à fragments végétaux totalement silicifiés.
Deux gisements importants ont été découverts (Giret et
al., 1999), l'un à Port Matha, dans le Nord-Ouest de
l'archipel, l'autre à l'Est, sur la rive droite de la rivière
Studer. Ces niveaux sont intercalés entre des coulées
basaltiques âgées de 25 à 30 Ma (Nicolaysen et al.,
2000, Damasceno et al., 2002), et associés à des
minéralisations siliceuses (géodes de quartz et placages
d'agate et de calcédoine).
Les gisements fossilifères marins sont encore
plus rares et l'on n'en a recensé que trois, tous situés
dans le sud-est de l'archipel et d'âge miocène (Tate,
1900; Fletcher, 1938; Nougier, 1970; Carriol et al.,
1992; Giret et al., 1994; Lauriat-Rage et al., 2002)
Deux d'entre-eux sont situés de part et d'autre de la
Passe Royale (Golfe du Morbihan). Le premier, situé
au Cap Milon (presqu'île du Prince de Galles) presque
au niveau de la mer, est intercalé entre deux horizons
sableux, l'ensemble ayant une puissance de 50 m. Le
niveau fossilifère renferme des nodules sphériques
grésifiés avec, en leur centre, des coquilles de
lamellibranches, des dents et des vertèbres de
mammifères marins et de poissons.
Le second, aux Oreilles de Chat (presqu'île
Ronarc'h), est épais d'une vingtaine de mètres et se
trouve à la cote 250. Le grès qui le contient est
déformé, pincé et surélevé par la mise en place d'une
extrusion phonolitique. La faune décrite renferme des
Bryozoaires (Membranipora, Phylactella), des
Lamellibranches (Chlamys mawsoni, Musculus
delicatula, Mytilus kerguelensis, Paleomarcia tatei, P.
sculpta, P. ovata, P. roberti, P. kergueleni, Frigichione
8
permagna, F. Lucina), des Gastéropodes (Natica
tremarici, Uba fallai Turitella hallii, Kergipenion
dubia), des Crustacés (Balanus flosculus sordidus)
ainsi que des traces d'annélides (Spirorbus).
Le troisième gisement se situe au Mont Rond
sur la presqu'île Ronarc'h (Photo 8). Il est très difficile
d'accès car situé en falaises au-dessus de la mer entre
les cotes 70 et 150. C'est le gisement le plus important
puisqu'il est représenté par une série sédimentaire
marine de 70 m d'épaisseur avec plusieurs niveaux
fossilifères. Il a livré des Veneridæ [Frigichione
permagna , F. (Paleomarcia) tatei, F. (P) kergueleni,
F. (P.) ovata et F. (P.) sculpta, Paleomarcia tatei,
Paleomarcia kergueleni], des Mytilidæ (Mytilus
magellanicus, M. kerguelenensis et M. sp., Perna
kerguelensis, Perna sp.), des Gastéropodes [Turitella
(s.l.) hallii (proche des genres Stiracolpus et Zeacolpus
connus dans le Miocène de Nouvelle Zélande), et
Natica (s.l.) tremariei], des Cirripèdes balanomorphes
[Notobalanus flosculus (s.str) et Austromegabalanus
(Notomegabalanus) decorus et N. (N.) decorus
ronarchensis, qui est une nouvelle sous espèce à placer
au départ d'une chronospéciation qui se poursuit en
Nouvelle Zélande], ainsi que peut-être des
Scaphopodes.
Photo 8 (cl. A. Giret)
Miocène marin coquillier, presqu'île Ronarc'h, Mont Rond
La présence et la nature de la faune et de la
flore miocène indiquent un climat beaucoup plus chaud
qu'actuellement, en relation avec la paléoposition
géographique de l'archipel et avec les conditions
climatiques globales, chaudes à cette époque. Le fait
que ces fossiles soient encore au-dessus du niveau de la
mer implique que les Kerguelen ne se sont pas
enfoncées sous la mer comme cela est le cas du plateau
de Kerguelen en général (Wallace, 2002). L'altitude
actuelle des niveaux coquilliers marins, entre 70 et 150
m, correspond à la baisse générale des eaux depuis le
Miocène, sans exclure une légère élévation de
l'archipel.
Les appareils magmatiques, plutons et volcans cogénétiques
La formation de la partie nord du
plateau de Kerguelen (NKP) remonte à 40 Ma, mais
cette étape n'est pas représentée à l'affleurement. Après
la construction du plateau sous-marin, le volcanisme
fissural s'est poursuivi et l'empilement de laves fluides
a édifié une île aux reliefs tabulaires (Photo 9). Il s'agit
des "basaltes des plateaux", équivalents des "flood
basalts" de la terminologie anglo-saxonne.
Photo 9 (cl. A. Giret)
Basaltes tabulaires en baie de Recque, provinces du nord
Des venues magmatiques qui n'ont pu
atteindre la surface ont donné, localement, de puissants
filons-couches de gabbros interstratifiés dans
l'ensemble tabulaire. L'un des plus remarquables atteint
une épaisseur de 300 m, il se trouve dans la péninsule
Loranchet. D'autres appareils plutoniques se sont mis
en place de façon intrusive en bombant et en fracturant
les basaltes encaissants.
Ces massifs sont de petites dimensions (0,5 à
1 km de diamètre) et ils sont constitués d'une suite
pétrographique à tendance tholéiitique, c'est à dire à
hypersthène + quartz.
C'est le massif du Val Gabbro, situé à
l'extrémité SE de la presqu'île Jeanne d'Arc, qui
caractérise le mieux cette étape. Il est formé de
péridotites, de pyroxénites, de gabbros lités et de
microgranites, et il a fourni un âge isotopique K/Ar de
39 ± 3 Ma, mais dont la validité est remise en doute
puisque les récentes datations 40Ar/39Ar effectuées sur
les formations anciennes n'excèdent pas 30 Ma
(Nicolaysen et al., 2000) et que ce massif fait intrusion
dans des laves datées à 22 Ma. Cet ensemble
magmatique qui associe des mécanismes aériens et
souterrains forme une série ancienne transitionnelle
que l'on identifie bien sur les diagrammes alcalins/SiO2
(figure 5, tableau 1) en particulier par ses faibles
teneurs en K2O. Ces ensembles précoces ont ensuite été
recouverts par de nouvelles coulées tabulaires de
basaltes alcalins.
Les épisodes alcalins suivants ont produit
essentiellement des coulées plus ou moins épaisses (1 à
15m) de basaltes, hawaiites, mugéarites, qui ont
largement contribué à l'édification des grands
empilements volcaniques. Ce nouvel édifice
magmatique a été le siège de la mise en place de
complexes volcano-plutoniques dont le caractère
alcalin est exprimé tant par la minéralogie que par la
géochimie, avec présence systématique de biotite dans
les gabbros et de pyroxènes alcalins et amphiboles
alcalines dans les roches différenciées. Ces
9
manifestations qui ont débuté il y a 26 Ma aux
Montagnes Vertes se sont ensuite échelonnées dans le
temps jusqu'à l'époque actuelle comme l'attestent, dans
la péninsule Rallier du Baty, d'une part les trachytes
qui recouvrent les moraines, et d'autre part les
fumerolles qui traversent les glaces (Photo 10).
Photo 10 (cl. A. Giret)
Prélèvement de fumerolles, péninsule Rallier du Baty
Selon leur âge et selon les mouvements
verticaux et l'érosion qui les ont affectés, ces
complexes volcano-plutoniques offrent à l'affleurement
des niveaux structuraux différents (figure 5). Les îles
Kerguelen sont à ce titre un véritable musée dont les
différentes pièces ont permis de modéliser ce type
d'appareils (Photos 11 et 12). La durée de vie de ces
complexes est de l'ordre de 4 Ma (Lameyre et al.,
1976), ce qui est comparable à la période d'activité des
différents volcans océaniques connus. Les complexes
plutoniques ont une structure annulaire et leur mise en
place s'est effectuée selon des mécanismes de
subsidence souterraine. Le poinçonnement vertical qui
leur est lié provoque des fractures concentriques et
radiaires permettant au magma d'atteindre la surface.
C'est à la faveur de ces accidents que s'édifient
progressivement les cônes volcaniques sus-jacents. Le
diamètre de ces complexes varie de 1 à 15 km. Les plus
importants d'entre eux sont celui du Mont Ross pour le
niveau volcanique (Giret et al., 1988) et celui de la
péninsule Rallier du Baty (Lameyre et al. 1976) pour le
niveau plutonique.
Photo 11 (cl. A. Giret)
Monts Ballons, apex d'une intrusion composite de gabbro, monzonite
et syénite néphélinique
Photo 12 (cl. A. Giret)
Le Mont Léon Lutaud, péninsule Rallier du Baty. Intrusion syénitique
coiffée de basaltes (roof pendant) et screens basaltique (latéraux)
Figure 5
Les produits magmatiques des îles Kerguelen dans le diagramme
alcalins/silice
a: roches volcaniques et plutoniques de type tholeiitique-
transitionnel, b: roches plutoniques alcalines sursaturées en silice, c:
roches plutoniques alcalines sous-saturées en silice, d: roches
volcaniques moyennement alcalines, e: roches volcaniques fortement
alcalines, Ne: néphéline, Qz: quartz, M: limite entre les domaines
alcalin et subalcalin (d'après Myashiro, 1978), SR: limite des
champs sous-saturé et sursaturé en silice (d'après Schwartzer et
Rogers, 1974.
10
Tableau 1
Les principaux types pétrographiques des îles Kerguelen/ Analyses chimiques et normes CIPW.
Suite plutonique transitionnelle : 1= gabbro, 2= gabbro lité, 3= microsyénite quartzique, 4= aplite granitique.
Suite plutonique alcaline sous-saturée en silice : 5=gabbro, 6=micromonzonite, 7= syénite néphélinifère, 8= syénité néphélinique.
Suite plutonique alcaline sursaturée en silice : 9= gabbro, 10= monzonite, 11= syénite quartzique, 12= granite aplitique.
Basaltes : 13= basalte transitionnel à tendance tholéiitique, 14= basalte transitionnel à tendance alcaline, 15= basalte moyennement alcalin, 16=
basalte fortement alcalin.
En-dessous : Principales caractéristiques des magmas d'après les basaltes émis.
Les associations pétrographiques constituant
ces complexes volcano-plutoniques présentent des
compositions chimiques et des assemblages
minéralogiques (Giret et al., 1980; Bonin et Giret,
1990) caractéristiques des suites alcalines, mais on y
distingue deux lignées d'évolution exprimées chacune
dans une région géographique particulière. La première
lignée évolue vers des roches sursaturées en silice. Elle
est caractérisée par une séquence pétrographique allant
des gabbros aux syénites quartzifères ou quartziques et
exceptionnellement à des granites alcalins pour les
termes plutoniques, et des basaltes aux trachytes et
rhyolites pour les termes volcaniques, ce qui est
exprimé par la présence de néphéline normative en
faibles proportions dans les roches basiques et par celle
de quartz + ægyrine dans les roches différenciées.
Cette lignée n'existe que dans les provinces
occidentales, à l'ouest d'une ligne N165-N145. L'autre
lignée évolue vers une sous-saturation en silice, ce qui
se traduit par une série de roches plutoniques allant des
gabbros aux syénites néphélinifères et néphéliniques
ainsi que par leurs équivalents volcaniques, basaltes,
basanites, trachytes et phonolites. Cette lignée ne se
trouve que dans les provinces centrale et orientale, à
l'est de la frontière précédemment définie.
Deux hypothèses sont avancées pour expliquer
la divergence des suites alcalines (Giret, 1990). La
première privilégie le fractionnement magmatique. Le
magma initial, faiblement sous-saturé en silice, est
supposé identique dans les deux lignées alcalines. Dans
la province occidentale il serait fractionné en
profondeur par l'amphibole qui est un minéral très
sous-saturé en silice et dont la cristallisation provoque
de ce fait l'enrichissement en silice des liquides
résiduels. En revanche, dans les autres provinces,
l'amphibole ne cristalliserait pas en profondeur et c'est
la cristallisation des clinopyroxènes et des plagioclases,
minéraux plus riches en silice que le magma, qui
provoquerait l'appauvrissement en silice des liquides
résiduels. Cette hypothèse suggère que la croûte exerce
un rôle différent que l'on peut relier à la quantité de
H2O qu'elle renferme et qui permettra ou non la
cristallisation de l'amphibole.
La seconde hypothèse est favorable à une
différence dès l'origine, c'est à dire dans les sources
magmatiques elles-mêmes. Elle s'appuie sur une
modélisation arithmétique du fractionnement,
démarche qui permet de reconstituer les magmas
initiaux à partir des roches évoluées et des cumulats
minéraux généralement trouvés en enclaves. Cette
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16
SiO2 40,55 43,70 57,64 68,34 45,33 53,81 57,58 54,61 43,17 58,86 67,20 69,95 45,11 46,58 44,30 43,37
Al2O3 18,02 18,83 17,27 13,73 15,52 19,06 22,80 18,88 12,03 18,11 15,73 13,03 12,50 16,53 15,80 16,88
Fe2O3 10,00 5,53 5,43 3,35 7,51 3,41 1,35 3,14 1,85 1,82 2,15 3,73 2,31 1,94 2,20 1,93
FeO 6,61 4,50 2,15 1,35 3,43 3,27 1,70 3,15 9,88 2,65 1,33 2,15 11,71 9,83 11,12 9,76
MnO 0,20 0,05 0,02 0,00 0,14 0,14 0,10 0,12 0,11 0,07 0,12 0,13 0,24 0,18 0,16 0,18
MgO 6,55 9,06 1,23 1,65 5,91 1,58 0,00 1,11 8,47 1,49 0,25 0,10 4,95 5,62 4,20 4,65
CaO 12,70 12,60 3,14 0,29 8,74 4,69 0,71 3,24 12,05 2,96 0,26 0,00 9,29 8,69 9,83 9,94
Na2O 1,22 1,55 4,57 4,10 3,50 4,77 8,33 6,01 1,76 5,07 5,64 5,37 2,73 3,20 2,89 3,21
K2O 0,33 0,16 4,16 5,96 2,65 5,17 6,07 5,74 1,01 5,44 5,58 4,68 0,64 0,83 1,19 1,03
TiO2 2,95 0,76 1,33 0,61 3,02 1,19 0,09 1,18 5,05 1,06 0,34 0,37 3,63 2,74 3,29 3,37
P2O5 0,17 0,18 0,20 1,19 0,76 0,48 0,00 0,33 0,00 0,00 0,00 0,00 0,52 0,64 0,43 0,63
P.F. 1,58 1,52 1,11 0,67 1,38 1,60 1,20 1,58 2,43 1,61 1,21 0,55 3,46 0,58 3,12 3,12
TOTAL 100,88 98,44 98,25 101,24 97,89 99,17 99,93 99,09 97,81 99,14 99,81 100,06 97,09 97,36 98,53 98,07
Normes CIPW
Quartz 0,00 0,00 7,13 19,22 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,07 11,99 20,93 0,00 0,00 0,00 0,00
Orthose 1,95 0,94 24,58 35,22 15,66 30,55 35,87 33,92 5,96 32,14 32,97 27,65 3,78 4,90 7,03 6,08
Albite 10,32 13,11 38,66 34,68 20,75 32,88 35,37 31,62 12,89 42,89 47,71 40,98 23,10 27,07 22,19 20,65
Anorthite 42,72 43,95 14,28 0,00 18,82 15,34 3,52 7,60 21,94 10,60 1,13 0,00 19,96 28,29 26,63 28,61
Néphéline 0,00 0,00 0,00 0,00 4,79 4,04 19,01 10,41 1,07 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 1,22 3,52
Diopside 14,92 13,68 0,00 0,00 15,27 3,87 0,00 5,14 30,45 3,29 0,12 0,00 18,90 8,88 16,14 13,71
Hypersthène 9,39 18,66 3,06 4,10 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 3,85 0,89 1,86 14,90 7,99 0,00 0,00
Olvine 0,00 0,00 0,00 0,00 5,35 2,56 1,57 1,25 10,75 0,00 0,00 0,00 1,51 10,20 11,74 11,69
Acmite 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 3,92 0,00 0,00 0,00 0,00
éléments incompatibles
(Th,Ta,Zr,Hf,Rb,LREE)
Na2O+K2O
(% pds)
K2O
(% pds)
> 0,705
!Nd
> 0
< 0
87Sr /
86Sr
< 1
> 1
Compositions chimiques
basaltes tholéiitiques-transitionnels
basaltes alcalins fortement enrichis
< 0,705 2,5 à 5
2,5 à 8
moyennement enrichis
11
méthode conduit à proposer deux magmas faiblement
différenciés à l'origine des lignées sursaturées et sous-
saturées en silice. Ces magmas ont respectivement 5,3
et 6,4 % d'alcalins (Na2O+K2O) pour un taux de silice
fixe (45,3%), ou 50,2% ou 46,9% de SiO2 pour un taux
fixe d'alcalins (7,1%). Il faut cependant retenir que
cette hypothèse accorde, elle aussi, un rôle important
au fractionnement par l'amphibole. On peut aussi
envisager que les deux processus s'exercent
simultanément, accordant un rôle comparable à la
nature du liquide initial (source, conditions de fusion)
et au fractionnement magmatique. Par ailleurs, la
signature isotopique d’un certain nombre de ces
complexes plutoniques est comparable à celle des laves
au chimisme comparable, ce qui penche en faveur de la
première hypothèse (Weis et Giret, 1994).
Zéolitisation des îles Kerguelen
SBU* espèce formule stœchiométrique intervalle de composition aux îles Kerguelen
natrolite Na16(Al16Si24O80)16H2O Na15 Ca0,5 (Al16Si24O80)16H2O
Mésolite Na5,3Ca5,3(Al16Si24O80)21,3H2O Na2,5Ca6,75(Al16Si24O80)26H2O
Na6Ca5(Al16Si24O80)24H2O
Scolécite Ca8(Al16Si24O80)24H2O Ca8(Al16Si24O80)27H2O
Na2Ca7(Al16Si24O80)26H2O
Thomsonite Na4Ca8(Al20Si20O80)24H2O Na4Ca7,5(Al19Si21O80)26H2O
Na4Ca7,5(Al17,8Si22,2O90)11H2O
4-1
Gonnardite Na5Ca2(Al9Si11O40)12H2O Na6,2Ca1,15(Al8,5Si11,5O40)11H2O
Analcite Na16(Al16Si32O96)16H2O Na15(Al15Si33O96)17,5H2O
S4R
Laumontite Ca4(Al8Si16O48)16H2O (Na,K)0,24Ca3,68(Al7,6Si16,4O48)16,5H2O
Gismondine Ca4(Al8Si8O32)16H2O Na1,5Ca3(Al7,5Si8,5O32)17H2O
D4 R
Phillipsite K2(Ca0,5Na)4 (Al6Si10O32)12H2O K1,5(Ca1,85Na0,5 (Al5,7Si10,3O32)11H2O
Chabasite Ca2(Al4Si8O24)12H2O (Na,K)0,7Ca1,7(Al4,1Si7,9O24)10,5H2O
Lévyte NaCa2,5(Al6Si12O36)18H2O K0,2Na1,4Ca2,5(Al6,6Si11,4O36)15H2O
Erionite Na0,5K2MgCa1,5(Al8Si28O72)28H2O Na0,5K1,7MgCa2,5(Al9,2Si26,8O72)26H2O
6R
Offrétite KCaMg(Al5Si13O36)15H2O KNa0,2Ca1,72Mg0,35(Al5,3Si12,7O36)15H2O
Mordénite Na3KCa2(Al8Si40O96)28H2O Na3K0,5Ca2,15(Al7,8Si40,2O96)28H2O
Dachiardite (Na,K,Ca0,5)4(Al4Si20O48)18H2O Na2,7K0,5Ca0,4(Al4Si20O48)14,5H2O
5.1
Epistilbite Ca3(Al6Si18O48)16H2O Na0,4Ca2,8(Al6Si18O48)16,5H2O
Heulandite (Na,K)Ca4(Al9Si27O72)24H2O
(Na,K)6(Al6Si30O72)20H2O
(Na,K)Ca4(Al9Si27O72)24H2O
(Na,K)2,5 Ca2(Al6,5Si29,5O72)22H2O
4-4
-1
Stellerite
Stilbite
Ca4(Al8Si28O72)28H2O
NaCa4(Al9Si27O72)30H2O
Ca4(Al8Si28O72)27,5H2O
Na1,5Ca4(Al9,5Si26,5O72)28H2O (*) SBU (secondary building units) et formules stœchiométriques d'après Meier, 1968, Meier et Olson, 1978, Gottardi, 1978 et Gottardi et Galli,
1985)
Tableau 2
Dans les années quatre vingt, marquées par un
grand élan des travaux géothermiques, la mise en
évidence de nombreuses espèces de zéolites dans les
roches magmatiques a suscité beaucoup d'intérêt. Leur
inventaire et l'étude de leur répartition ont été
programmés. Aux huit espèces déjà reconnues (Roth,
1875; Lacroix, 1915; Aubert de la Rüe; 1929; Nativel
et Nougier, 1983), onze autres ont été ajoutées
(Verdier, 1989). Ces minéraux, dont les compositions
chimiques (tableau 2) attestent l'origine hydrothermale
peuvent être associés au quartz, aragonite, calcite,
céladonite, saponite et chlorite.
Les minéralisations hydrothermales
apparaissent principalement dans les basaltes, y
remplissant des vacuoles amygdalaires de 1 à 10 cm de
diamètre. Elles sont plus abondantes au sommet et à la
base scoriacée des coulées, mais elles existent aussi
sous forme de matrice cimentant les niveaux
pyroclastiques poreux. L'inventaire exhaustif a permis
de dénombrer 50 associations (Giret et al., 1992) dont
28 seulement sont relativement fréquentes (tableau 2).
Il s'agit d'assemblages à 2, 3 et parfois 4 minéraux
cogénétiques L'approche zonéographique de la
répartition de ces associations révèle en premier lieu
une prédominance des types de haute température à
l'ouest (scolécite, mésolite, thomsonite, analcite,
heulandite, stellerite, stilbite, céladonite), tandis que les
types de basse température sont confinés à l'est de
l'archipel (phillipsite, chabasite, aragonite, saponite).
Cette particularité a été mise en relation avec la
structure des entablements basaltiques, inclinés de 5°
vers l'E-SE,
12
Zonéographie des zéolites des îles Kerguelen
ZONES MINERAUX INDEX PRINCIPALES PARAGENESES T (°C)
I
PHILLIPSITE
CHABASITE
chabasite + phillipsite
thomsonite + chabasite + phillipsite
40-80
II
SAPONITE
ANALCITE
THOMSONITE
thomsonite + chabasite + saponite
thomsonite + analcite + chabasite
thomsonite + analcite + saponite
thomsonite + saponite
thomsonite + analcite
mésolite + thomsonite + saponite
mésolite + thomsonite + analcite
70-110
III
MESOLITE
STILBITE
stilbite + mésolite + thomsonite
stilbite + mésolite
scolécite + stilbite + mésolite
100-140
IVa
SCOLECITE
STELLERITE
HEULANDITE
stellerite + stilbite + scolécite
stellerite + scolécite + mésolite
heulandite + scolécite + mésolite
heulandite + stellerite + stilbite
heulandite + stellerite + scolécite
IVb
CELADONITE
MORDENITE
HEULANDITE
céladonite + heulandite + scolécite
heulandite + quartz + mordénite
céladonite + heulandite +mordénite
céladonite + quartz + calcite
céladonite + heulandite + stellerite
130-180
V
LAUMONTITE
CHLORITE
laumontite + heulandite + stellerite
laumontite + heulandite
laumontite + quartz + heulandite
chlorite + laumontite + heulandite
chlorite + laumontite
170-240
Tableau 3
Figure 6 - Zonéographie des zéolites,
comparaison avec l'Islande
Les zones III, IVa et IVb ne sont pas différenciées en Islande. La
puissance de l'ensemble zéolitisé est moindre en Islande, peut être à
cause du gradient géothermique supérieur.
qui met à l'affleurement des niveaux plus anciens, donc
plus profonds, au NW qu'au SE. En second lieu, des
coupes détaillées (figure 6) ont permis de montrer que
la zéolitisation s'est développée sur 2000 m d'épaisseur,
et que l'on pouvait, verticalement, déterminer 5 zones
(tableau 3) dont les plans de séparation plongent de 2 à
4° vers l'Est, recoupant ainsi le plan stratigraphique des
empilements basaltiques.
Figure 7
13
Relation Température de cristallisation/profondeur et estimation
du gradient géothermique responsable de la zéolitisation.
L'âge de ces évènements hydrothermaux a été
établi de façon relative par leurs relations avec les
complexes volcano-plutoniques. Les complexes de
type transitionnel et alcalin qui ont plus de 13 Ma sont
zéolitisés et présentent les mêmes associations
hydrothermales que celles des basaltes encaissants où
elles se surimposent aux paragénèses du
métamorphisme de contact. La seule différence affecte
les compositions chimiques des zéolites qui sont
légèrement plus sodiques dans les roches très
différenciées comme les syénites néphéliniques et les
granites. En revanche, dans les complexes plus jeunes
(Rallier du Baty, 12 à 4 Ma, Mont Ross, 4 à 0,2 Ma)
les zéolites sont absentes. Enfin, dans les complexes
d'âges intermédiaires (Monts Ballons, 14-12 Ma;
Péninsule de la Société de Géographie, 15-12 Ma), les
associations à zéolites sont d'intensité moindre que
dans les basaltes encaissants. Ces arguments
chronologiques établissent clairement qu'un champ
géothermique intense s'est manifesté à 15 Ma et a
diminué jusqu'à 12 Ma.
L'absence d'un niveau supérieur non zéolitisé
résulte, selon toute vraisemblance, de l'érosion
glaciaire, comme cela a été proposé en Islande
(Walker, 1960). En prenant en compte les épaisseurs
relatives des différentes zones zéolitiques, l'érosion a
été de 1 500 à 2 000 m à l'ouest et seulement de 500 à 1
000m à l'est, depuis la fin du processus de zéolitisation.
Ces estimations sont du même ordre de grandeur que
celles établies par Lecœur (1980) dans le contexte
irlandais sous un climat comparable, où la vitesse
d'érosion est de 0,12 à 0,15 mm.an-1.
Les données expérimentales (Thomson, 1970;
Liou, 1971 a et b; Zeng et Liou, 1982, Miyashiro et
Shido, 1970, Cho et al., 1986) et les observations de
terrain, replacées dans un diagramme température-
profondeur (figure 7), calibrent le gradient
géothermique responsable de la zéolitisation dans un
intervalle de 70 à 100°C.km-1, ce qui est légèrement
inférieur à ce qui a été observé en Islande, 80 à
110°C.km-1 (Walker, 1960). Une telle différence peut
s'expliquer par le fait que l'Islande bénéficie de la
synergie d'une ouverture océanique et d'un point chaud,
tandis qu'il y a 15 Ma les îles Kerguelen avaient quitté
l'influence de la dorsale est-indienne et n'étaient plus
soumises qu'aux apports thermiques du point chaud,
initié plus de 100 Ma auparavant. Le point chaud de
Kerguelen a donc été réactivé il y a 15 Ma, c'est à dire
à une période où débute la mise en place de la plupart
des complexes volcano-plutoniques alcalins.
Enclaves basiques et ultrabasiques, témoins
d’un sous-placage à l’interface manteau
croûte océanique épaissie Les campagnes de sismique réfraction (Recq
et al., 1990; Charvis et al., 1993) ont mis en évidence
des anomalies structurales dans la lithosphère
océanique des îles Kerguelen. Le niveau 2 (vitesses
sismiques Vp = 5,5 km.s-1) est épaissi et atteint 8 à 9
km tandis que le niveau 3 (Vp = 6,6 km.s-1) atteint 14
à 17 km de profondeur. La limite manteau-croûte, qui
forme normalement une surface sismique bien définie
(MOHO), se présente ici comme une zone à vitesses
anormalement faibles (Vp de 7,2 à 7,5 km.s-1) qui
traduit un passage progressif de la croûte au manteau.
Ces anomalies sismiques, d'abord interprétées comme
le résultat d'une hydratation de la croûte inférieure et
du manteau supérieur par les sismologues, ont été
ensuite attribuées à un épaississement dû au sous-
placage de matériaux magmatiques, comme l'indiquent
les études des enclaves profondes remontées par les
laves (Grégoire et al., 1992, 1994, 1995).
Les îles Kerguelen offrent en effet de
nombreuses occurences de gisements d'enclaves
basiques et ultrabasiques remontées par les laves
alcalines (Photo 13). Ces enclaves sont très variées et
offrent tous les types connus, à l'exception des
éclogites qui caractérisent les zones de subduction.
Elles ont été classées en quatre groupes principaux:
1- enclaves de manteau (harzburgites à spinelle et
dunites à spinelle)
2- enclaves basiques et ultrabasiques
métamorphisées mais présentant des reliques de
textures magmatiques (ensemble à 2 pyroxènes +
spinelle, ensemble à clinopyroxène + ilménite +
spinelle, métagabbro à ilménite)
3- cumulats basiques et ultrabasiques (péridotite,
pyroxénite, hornblendite, biotitite,
clinopyroxénite à biotite, gabbro)
4- enclaves mixtes associant deux des trois types
précédant.
Les enclaves ultrabasiques mantelliques,
correspondant au premier groupe, montrent de
nombreuses évidences d’un très important stade
précoce de fusion partielle (harzbugites) lié au
fonctionnement de la ride sud-est indienne (Grégoire et
al., 1997) suivi d’un ou plusieurs stades de
métasomatisme par des liquides de composition soit
basaltique très alcaline, soit carbonatitique. Les
compositions minéralogiques, géochimiques et
isotopiques (radiogéniques et stables) de ces enclaves
métasomatisées reflètent la signature de magmas
différenciés issus du panache de Kerguelen.
L’association de ces fluides métasomatiques avec le
panache de Kerguelen fournit des contraintes
importantes sur les processus de percolation et
d’enrichissement du réservoir mantellique (EM) à la
source de Kerguelen (Mattielli et al., 1999; Grégoire et
al., 2000B ; Moine et al. 2000, 2001).
Le second groupe, celui des roches
magmatiques métamorphisées est très abondant et
représente plus de 40% des échantillons récoltés, ce qui
suggère une grande abondance également en
profondeur. Il s'agit de cumulats profonds dont les
compositions en isotopes et en éléments en trace
indiquent que ces enclaves sont cogénétiques aux
14
basaltes tholéiitiques - transitionnels, qui caractérisent
l’activité volcanique antérieure à 25 Ma sur l’archipel
(Grégoire et al., 1994, Mattielli et al., 1996; Grégoire
et al., 1998). La principale caractéristique de ces
roches à plagioclase est d'avoir été rééquilibrées dans
les conditions du faciès granulite, c'est-à-dire dans des
conditions P-T allant de celles du manteau océanique
(métagabbro à grenat) à celles de la base de la croûte
océanique épaissie (webstérites à olivine + plagioclase)
en passant par celles de l'interface croûte-manteau
(métagabbro sans grenat). L'évolution dynamique,
trajet P-T, de ces enclaves (figure 8) illustre -
.
Photo 13 (cl. A. Giret)
Enclaves ultrabasiques dans un filon basanitique, Dôme Rouge,
péninsule Jeanne d'Arc : l'accès au manteau.
l'augmentation de pression qu'elles ont subi, c'est-à-dire
leur enfoncement en profondeur, mécanisme attribué à
l'épaississement crustal dû en partie à l'abondant
volcanisme et en partie à l'accumulation de vastes
volumes de magmas au niveau passage progressif
« manteau croûte », caractéristique du plateau de
Kerguelen. Des mesures de vitesse de propagation des
ondes sismiques dans ces roches ont été faites an
laboratoire (Grégoire et al., 2001) et ont montré
qu'elles étaient tout à fait comparables à celles de
l'interface croûte-manteau où les vitesses Vp sont
anormalement faibles (Vp de 7,2 à 7,5 km.s-1). Ces
résultats expérimentaux attestent le rôles que jouent les
matériaux sous-plaqués dans l'abaissement des vitesses
sismiques des horizons où ils se trouvent.
Un tel métamorphisme granulitique n'avait
jamais été décrit en domaine océanique.
Kerguelen, un troisième type d'île oéanique
Longévité du magmatisme (30-40 Ma), abondance des
complexes volcano-plutoniques, existence de roches
différenciés sous-saturées et sursaturées en silice,
épaississement crustal, enclaves magmatiques
granulitisées, réactivation tardive du point chaud,
persistance de l'émersion depuis le Miocène sont autant
de particularités qui font des îles Kerguelen un
exemple original et unique.
Figure 8
Evolution de la croûte sous-jacente au cours de l'histoire des îles
Kerguelen
1: magmas tholéiitiques-transitionnels, 2: magmas alcalins
En cartouche: Evolution P-T des enclaves magmatiques, basiques et
ultrabasiques, métamorphisées. A domaine des granulites de basse
pression, B: domaine des granulites à pyroxène, C: domaine des
granulites à grenat. Les courbes 1, 2, 3 et 4 représentent des limites
de stabilité minérale, S est le solidus du manteau.
A l'exception des ars insulaires qui sont liés
aux zones de subduction, les îles océaniques sont
régies par deux principaux modèles de référence, celui
de l'Islande et celui de Hawaii. En Islande le
magmatisme résulte de l'activité d'un point chaud
localisé sous une ride; c'est le modèle du "ridge
centered hot-spot" de Ribe et al. (1995). La croûte est
également épaissie mais n'excède cependant pas 15 km,
les roches les plus anciennes n'ont que 6 Ma (Donn et
Ninkovich, 1980), et les enclaves basiques et
ultabasiques sont des roches mantelliques ou crustales
non métamorphisées (Nixon, 1987). A Hawaii, âgée
seulement de 1 Ma (Wilson, 1989), la croûte atteint 20
km à cause d'un volcanisme très abondant, mais elle
n'excède pas 5 à 6 km dès que l'on s'éloigne de l'île
(Watts et al., 1985), les enclaves profondes sont
nombreuses et variées mais ne sont pas non plus
métamorphisées. Bien qu'elles présentent une histoire
qui associe celle de l'Islande, lorsqu'elles se trouvaient
sur la ride est-indienne et sous l'influence du point
chaud, et celle de Hawaii, depuis qu'elles sont en
position intraplaque, il est clair que les îles Kerguelen
se distinguent bien de ces deux modèles (tableau 4) et
qu'elles constituent un troisième type d'île océanique
(Giret et al., 1997).
15
A l'extrémité nord du plateau de Kerguelen
(ODP Leg 183, site 1140), les données physiques sur
les pressions partielles de gaz dans les verres
volcaniques indiquent une subsidence de 1 700 m
depuis 34 Ma, ce qui est conforme à la subsidence
estimée dans les autres sites du plateau de Kerguelen
pour une lithosphère indo-océanique normale (Wallace,
2002). Cela signifie-t-il que les îles Kerguelen suivront
le devenir de toutes les îles océaniques qui plongent et
atteignent un profil d'équilibre en profondeur dès que
leur lithosphère n'est plus dilatée par la chaleur
magmatique? Les particularités de ces îles permettent
d'en douter et de s'interroger. En effet, la densité de la
croûte est diminuée par le volume des nombreux
complexes volcano-plutoniques aux roches
différenciées et par l'effet du sous-placage magmatique
dans les niveaux profonds. Cela peut conduire à
"l'insubmersibilité" de l'archipel. Dans ce cas, les
Kerguelen représenteraient un microprotolithe
continental et offriraient un exemple actuel de
nucléation continentale, comparable à ce qui a pu
générer les tout premiers microcontinents (Grégoire et
al., 1998).
ISLANDE
HAWAII
KERGUELEN
DOMAINE GEODYNAMIQUE
ride médio-océanique intraplaque de ride médio-océanique
à intraplaque AGE LE PLUS GRAND DES
AFFLEUREMENTS 6 My 1 My 30-40 My
SEQUENCE MAGMATIQUE tholéïtique et alcalin en
s’éloignant de la ride
alcalin, tholéïtique,
puis fortement alcalin
tholéïtique à transitionnel,
puis alcalin COMPLEXES
PLUTONIQUES quelques uns pas encore apparents nombreux
DEGRE DE
DIFFERENCIATION
rhyolite et granite néphélinite, mélilitite,
trachyte hyperalcalin
phonolite et syénite
néphélinique, granite et
rhyolite
EPAISSEUR DE LA CROUTE
15 km 15 - 20 km > 20 km
ZONE DU MOHO normale normale épaissie
METAMORPHISME DE LA CROUTE PROFONDE
pas encore observé pas encore observé faciès des granulites
Tableau 4 – Les 3 types d'îles océaniques
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