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L’OBJECTIF DE NEUTRALITÉ DU DROIT FISCAL COMME FONDEMENT D’UNE IMPOSITION UNITAIRE DE L’ENTREPRISE Loup Bommier Préface de Daniel Gutmann Fondée par Louis Trotabas Doyen honoraire de la Faculté de droit et des sciences économiques de Nice Dirigée par Michel Bouvier Professeur des universités BIBLIOTHÈQUE FINANCES PUBLIQUES ET FISCALITÉ TOME 73

L'objectif de neutralité du droit fiscal comme fondement d

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LOUP BOMMIER

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La neutralité est l’un des principaux sujets de recherche en fiscalité. Quoiqu’elle revête de multiples acceptions juridiques ou économiques, il est généralement admis que l’impôt ne peut être neutre. Alors qu’une revue de la littérature aurait consisté à faire la litanie des dispositifs fiscaux générant des distorsions, ou des multiples mesures visant à les réduire, la présente thèse s’emploie à démontrer que la neutralité du droit fiscal est une réalité de la fiscalité des entreprises, une construction à la fois législative et prétorienne. En proposant de penser la neutralité comme fondement d’une imposition unitaire de l’entreprise, il est alors possible de reconnaître au droit fiscal des affaires une certaine cohérence, au-delà de l’instabilité de la norme.

Tendant à imposer l’entreprise comme entité unique, le droit fiscal assure ainsi une égalité de traitement entre les différentes formes d’organisation juridique de l’entreprise et garantit corrélativement une certaine liberté dans l’organisation de cette dernière. Cette approche originale de l’imposition unitaire permet de penser ensemble les dispositifs relatifs à l’élimination des doubles impositions juridiques et économiques, des doubles non-impositions ou des doubles déductions. Sans aller jusqu’à donner à l’objectif de neutralité un rang de principe, un tel objectif conduit néanmoins à déroger aux principes de personnalité et de territorialité de l’impôt, et à formuler d’utiles propositions.

9 782275 088310ISBN 978-2-275-08831-0www.lgdj-editions.fr Prix : 59 €

Fondée par Louis Trotabas

Doyen honoraire de la Faculté de droit et

des sciences économiques de Nice

Dirigée par Michel Bouvier Professeur des universités

BIBLIOTHÈQUE FINANCES PUBLIQUES

ET FISCALITÉ TOME 73

L’OBJECTIF DE NEUTRALITÉ DU DROIT FISCAL

COMME FONDEMENT D’UNE IMPOSITION UNITAIRE

DE L’ENTREPRISE

Loup Bommier

Préface de Daniel Gutmann

Fondée par Louis Trotabas

Doyen honoraire de la Faculté de droit et

des sciences économiques de Nice

Dirigée par Michel Bouvier Professeur des universités

BIBLIOTHÈQUE FINANCES PUBLIQUES

ET FISCALITÉ TOME 73

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L’OBJECTIF DE NEUTRALITÉ DU DROIT FISCAL

COMME FONDEMENT D’UNE IMPOSITION UNITAIRE

DE L’ENTREPRISE

Loup BommierDocteur en droit

Préface de Daniel Gutmann

Agrégé des Facultés de DroitProfesseur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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BIBLIOTHÈQUE FINANCES PUBLIQUES

ET FISCALITÉTOME 73

Fondée par Louis Trotabas †

Doyen honoraire de la Faculté de droit et

des sciences économiques de Nice

Dirigée par Michel Bouvier Professeur des universités

L’OBJECTIF DE NEUTRALITÉ DU DROIT FISCAL

COMME FONDEMENT D’UNE IMPOSITION UNITAIRE

DE L’ENTREPRISE

Loup BommierDocteur en droit

Préface de Daniel Gutmann

Agrégé des Facultés de DroitProfesseur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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© 2021, LGDJ, Lextenso1, Parvis de La Défense92 044 Paris La Défense Cedexwww.lgdj-editions.frISBN : 978-2-275-08831-0 ISSN : 0520-044X

L’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les thèses,

ces opinions devant être considérées comme propres à leurs auteurs.

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À mes enseignants, en signe de reconnaissance.

À mes étudiants, en signe d’encouragement.

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REMERCIEMENTS

Mes remerciements vont tout d’abord à mon directeur de thèse, le Professeur Daniel Gutmann, qui a accepté de diriger mes recherches. Par le sujet qu’il m’a invité à approfondir, par ses interrogations judicieuses et ses suggestions décisives, par la disponibilité et surtout par la patience bienveillante dont il a fait preuve, il a su m’encourager, m’aider à structurer ma réflexion et me donner confiance dans la rédaction d’un travail dont l’issue ne s’est dégagée que très progressivement.

Mes remerciements vont aussi, et plus largement, à toute l’équipe pédago-gique et administrative de l’Université Paris  1 Panthéon-Sorbonne. J’aimerais tant que chaque étudiant qui franchit le seuil de notre université puisse mesurer la chance qui lui est donnée et qu’il lui appartient de saisir.

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PRÉFACE

La thèse de M. Bommier aborde un sujet souvent traité de façon para-doxale : si nombre d’études juridiques stigmatisent l’absence ou l’insuffisance de neutralité du droit fiscal en matière d’imposition des entreprises, peu d’entre elles prennent le soin de définir de façon rigoureuse ce qu’il faut entendre par le concept de neutralité et de s’interroger sur les fondements juridiques et politiques qui font de la neutralité un objectif digne d’être poursuivi.

Le travail de M. Bommier constitue, dans ce contexte, un apport important à la réflexion sur un sujet à caractère à la fois intemporel et très actuel. Les réflexions contemporaines sur les moyens de parvenir à une identité de traitement de l’ensemble des entreprises, quel que soit leur secteur d’activité (y compris donc lorsqu’est en cause une entreprise sans présence physique sur le territoire fran-çais), témoignent ainsi d’un besoin urgent d’une réflexion profonde sur un thème connu des économistes mais peu approfondi par les juristes.

La démarche suivie par la thèse est particulièrement intéressante. Traversant l’ensemble de la matière fiscale, elle relève le défi consistant à embrasser d’un seul regard l’ensemble de la fiscalité des entreprises, y compris la TVA où le principe de neutralité revêt une signification à la fois autonome et source d’enseignements généraux. Les développements relatifs à la fiscalité des groupes et des restructu-rations étaient attendus ; ceux relatifs à la translucidité des sociétés de personnes ou à la théorie de l’abus de droit et de l’acte anormal de gestion l’étaient moins mais trouvent parfaitement leur place dans cet ensemble ambitieux.

M. Bommier met par ailleurs particulièrement bien en lumière comment la recherche de l’objectif de neutralité conduit à « mettre en suspens », selon ses termes, certains principes fondamentaux de l’ordre juridique, tels que les prin-cipes de personnalité et de territorialité de l’impôt. L’auteur se livre à une analyse systématique du système fiscal en plongeant à chaque page dans la technique juridique sans perdre de vue la logique d’ensemble qui gouverne ou devrait gou-verner la matière.

L’intérêt de la recherche se dévoile également à travers le souci de M. Bommier de ne pas s’en tenir à un diagnostic superficiel de l’état du droit.  La thèse se conclut ainsi par le récapitulatif des conclusions et propositions auxquelles l’au-teur est parvenu. Dans la droite ligne de la méthode suivie dans l’ensemble du travail, sont ainsi formulées d’utiles recommandations dont certaines sont très spécifiques et d’autres plus générales. Elles conduisent à repenser certains prin-cipes considérés comme acquis, à commencer par le principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés.

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X

Il va de soi que le lecteur pourra ne pas partager l’ensemble des prises de position qui émaillent la thèse, mais c’est le propre d’un travail de recherche de grande qualité que de susciter le débat et d’orienter la réflexion autour d’axes clairement identifiés. Il est donc particulièrement heureux que la publication de ce travail permette d’ouvrir le débat et de mettre à disposition d’un vaste lectorat une pensée originale et constructive.

Daniel GutmannProfesseur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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PRINCIPALES ABRÉVIATIONS

AN Assemblée nationaleass. Arrêt rendu par l’Assemblée du contentieux du Conseil d’ÉtatAvis Avis (Avis Cass. : Avis rendu par la Cour de cassation ; Avis CE :

Avis rendu par le Conseil d’État ; Avis Cons. const. : Avis rendu par le Conseil constitutionnel)

BDCF Bulletin des conclusions fiscales Francis LefebvreBF Lefebvre Bulletin fiscal Francis LefebvreBGFE Bulletin de gestion fiscale des entreprisesBIC Bénéfices industriels et commerciauxBNC Bénéfices non commerciauxBofip Bulletin officiel des finances publiques-impôtsBOI Bulletin officiel des impôts avant le 12-09-2012CA Cour d’appelCAA Cour administrative d’appelCass. Arrêt de la Cour de cassation C. civ. Code civilCE Arrêt rendu par le Conseil d’ÉtatCEDH Cour européenne des droits de l’Hommech. ChambreCGI Code général des impôtsCJUE Cour de justice de l’Union européenne (ex. CJCE : Cour de justice

des Communautés européennes avant le 1er décembre 2009)C. just. adm. Code de justice administrativeCons. const. Conseil constitutionnelConv. EDH Convention européenne des droits de l’HommeD. DallozDr. fisc. Revue de Droit fiscalDr. sociétés Revue de Droit des sociétésDupont Jusqu’à fin 1974 : Bulletin des Contributions directes, de la taxe

sur la valeur ajoutée et des impôts indirectsFR Lefebvre Feuillet rapide fiscal/social Francis LefebvreGA Grands arrêts de la jurisprudence fiscaleGACE Grands arrêts de la jurisprudence communautaireGAJA Grands arrêts de la jurisprudence administrativeGP Gazette du PalaisJCP E Semaine juridique Entreprise et affairesJCP N Semaine juridique Notariale et immobilièreIFI Impôt sur la fortune immobilièreIR Impôt sur le revenuIS Impôt sur les sociétés

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XII

ISF Impôt de solidarité sur la fortuneLebon Recueil des arrêts du Conseil d’État (collection Lebon publiée

par la librairie du Recueil Sirey)LPF Livre des procédures fiscales du Code général des impôtsOCDE Organisation pour la coopération et le développement économiquePCG Plan comptable généralplén. Arrêt rendu soit par les sous-sections fiscales du Conseil d’État

réunies, soit par deux chambres d’une cour administrative d’appel, soit encore par la Cour plénière de la CJUE

QPC Question prioritaire de constitutionnalitéRec. Recueil des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne

(des Communautés européennes avant le 1er décembre 2009)Recueil DC Recueil des décisions du Conseil constitutionnelRFDA Revue française de droit administratifRJDA Revue de Jurisprudence de Droit des Affaires Francis LefebvreRJF Revue de Jurisprudence Fiscale Francis Lefebvre, qui fait suite,

depuis 1975, au Bulletin DupontRJS Revue de Jurisprudence Sociale Francis LefebvreRO Recueil officiel des arrêts du Conseil d’État notifiés à ses agents

par la direction générale des impôtsR. public Rapporteur public devant les juridictions administratives

(commissaire du gouvernement avant le 1er février 2009)sect. Arrêt rendu par la section du contentieux du Conseil d’État.S. Section de tribunal administratifs.-s Sous-section : formation de jugement du Conseil d’État (avant le

21 avril 2016)TFUE Traité sur le fonctionnement de l’Union européenneTVA Taxe sur la valeur ajoutée

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SOMMAIRE

INTRODUCTION

PARTIE 1 L’OBJECTIF DE NEUTRALITÉ DU DROIT FISCAL ET L’ENTREPRISE

COMME ENTITÉ UNIQUE

Titre I : L’entreprise comme entité unique et les régimes de consolidation de l’assiette fiscale

Chapitre 1. Les régimes de consolidation et l’imposition du résultat (intégration, translucidité, régime de faveur des fusions)

Chapitre 2. Les régimes de consolidation et les autres éléments d’assiette (TVA, ISF, IFI)

Titre II : L’entreprise comme entité unique et l’unicité des structures de groupe dans les principaux régimes de consolidation

Chapitre 1. Unicité des structures de groupe et conditions d’unité et de permanence dans les régimes de consolidation

Chapitre 2. Unicité des structures de groupe et neutralisation des chaînes d’interposition dans les régimes de consolidation

PARTIE 2 L’OBJECTIF DE NEUTRALITÉ DU DROIT FISCAL

COMME PRINCIPE DE CONTRÔLE DES ENTREPRISES

Titre I : L’objectif de neutralité du droit fiscal comme dérogation au principe de personnalité de l’impôt

Chapitre 1. Dérogations au principe de personnalité et contrôle des groupes consolidés

Chapitre 2. Dérogations au principe de personnalité et contrôle des groupes non consolidés

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L’OBJECTIF DE NEUTRALITÉ DU DROIT FISCAL COMME FONDEMENT D’UNE IMPOSITION UNITAIRE DE L’ENTREPRISE

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Titre II : L’objectif de neutralité du droit fiscal comme dérogation au principe de territorialité de l’impôt

Chapitre 1. Dérogations au principe de territorialité et lutte contre la fraude et l’évasion fiscale internationale

Chapitre 2. Dérogations au principe de territorialité et doubles impositions internationales

CONCLUSION

PROPOSITIONS

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INTRODUCTION

« La neutralité fait grand bruit »1.« Si l’imposition unitaire gagne du ter-

rain, c’est parce qu’elle traduit le passage d’un état social et économique stable à une économie en devenir »2.

1. La présente thèse tend à démontrer que la fiscalité des entreprises pour-suit un objectif de neutralité fiscale au titre duquel le droit fiscal garantit une certaine égalité de traitement entre les différentes formes d’organisation juridique de l’entreprise et, corrélativement, une certaine liberté dans l’organisation juri-dique de cette dernière. L’objet de la présente thèse consiste à caractériser cet objectif de neutralité et à en évaluer l’éventuel caractère normatif.

2. Le problème de la neutralité est une question récurrente de la littérature fiscale. Si l’absence de neutralité du droit fiscal est généralement déplorée avec « grand bruit », cela tient au fait que cet objectif de neutralité s’avère inopérant lorsque l’impôt poursuit, sur le plan économique, un objectif comportemental ou redistributif. Le Professeur Serlooten a en ce sens jugé « compréhensible que l’affirmation de la neutralité de l’impôt ait été abandonnée au fur et à mesure que le rôle de l’impôt en tant qu’instrument d’interventionnisme économique et social s’est progressivement affirmé »3. Si l’interventionnisme fiscal est certes un phéno-mène à la fois « protéiforme et surabondant »4, il n’en demeure pas moins que toutes les normes de droit fiscal ne sont pas à loger à la même enseigne. Ainsi, le droit budgétaire commande de distinguer d’une part les dispositifs fiscaux qui poursuivent un objectif comportemental ou redistributif à titre principal et doivent à ce titre être considérés comme des « dépenses fiscales »5, et d’autre part les autres dispositifs qui, déclinant des principes généraux, s’abstiennent de toute fin d’inci-tation économique ou d’équité sociale6. Par hypothèse, les dispositifs qualifiés de dépenses fiscales se situent ainsi hors du champ d’un quelconque objectif de

1. Extrait des Œuvres de Monsieur de Voiture publiées chez Augustin Courbé en 1654, cité sous le terme « neutralité » dans les dictionnaires Richelet (1685) et Furetière (1690).

2. L. Mehl et P. Beltrame, Sciences et techniques fiscales, coll. Thémis, PUF, 1984, p. 280.3. P. Serlooten et O. Debat, Précis de droit fiscal des affaires, LGDJ, 17 éd., 2018, n° 36.4. G. Orsoni, L’interventionnisme fiscal, coll. Fiscalité, PUF, Paris, 1995, p. 14.5. Pour recenser les dépenses fiscales conformément à l’article 51, 5° b de la loi organique 2001-692

du 1er  août  2001 relative aux lois de finances, le gouvernement retient que constituent des normes dérogatoires « les dispositions législatives ou réglementaires dont la mise en œuvre entraîne pour l’État une perte de recettes et donc, pour le contribuable, un allégement de leur charge fiscale par rapport à ce qui serait résulté de l’application de la norme, c’est-à-dire des principes généraux du droit fiscal français ».

6. Pour la distinction entre les dispositifs déclinant les principes généraux du droit et ceux y dérogeant, on peut se référer aux rapports du Conseil des prélèvements obligatoires, en particulier La Fiscalité dérogatoire (2003) et L’Entreprise et les niches fiscales et sociales (2010).

Introduction

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neutralité, mais qu’en est-il des autres, de ceux qui renvoient « à des principes géné-raux du droit fiscal ou, pour d’autres encore, se définiraient par référence à des principes intangibles tels que la neutralité fiscale ou l’équité horizontale »7 ?

3. Par opposition aux « dépenses fiscales », peuvent se dire « neutres » les impôts qui ne participent d’aucune politique fiscale incitative8. L’objectif de neu-tralité caractérise en ce sens les impôts dont l’objectif « essentiel »9 est un objectif de rendement, que ce soit à titre principal ou exclusif. Ce faisant, si la neutralité économique de l’impôt est une condition nécessaire, est-elle pour autant une condition suffisante pour garantir la neutralité du droit fiscal ? Cela n’est manifes-tement pas le cas au regard de l’importance prise par l’activité d’ingénierie juridico-fiscale. En effet, le droit fiscal tire les conséquences du statut des contri-buables10, ainsi que des relations juridiques tissées entre ces derniers11. Pourtant, le droit fiscal fait montre d’une certaine autonomie en s’attachant à la réalité économique d’un contribuable ou d’une opération12. Il demeure que la question du réalisme interroge la substance des opérations, là où celle de la neutralité du droit fiscal se rapporte davantage au statut du redevable, à la structure juridique d’une activité13. Le droit fiscal est d’autant plus neutre que l’habit juridique du contribuable ne fait pas le moine. Dans quelle mesure deux ou plusieurs rede-vables peuvent-ils ou doivent-ils ainsi être comptés comme un même et unique au regard du droit fiscal ? À première vue, imposer deux ou plusieurs personnes comme s’il s’agissait d’un seul et même contribuable est une question qui se pose tant dans le champ de la fiscalité des entreprises (régimes des structures de groupe) que dans celui de la fiscalité des particuliers (régime du foyer fiscal).

4. Si le droit fiscal admet que deux ou plusieurs personnes puissent être imposées comme un contribuable unique, l’objectif de neutralité du droit fiscal n’est toutefois pas indifférent à la neutralité économique de l’impôt. La fiscalité des particuliers apparaît en ce sens comme le paradigme d’une fiscalité non neutre

7. G. Orsoni, L’interventionnisme fiscal, précit, p. 16.8. Définition du Dictionnaire Larousse : « Qui, dans un conflit, une discussion, un désaccord,

etc., ne prend parti ni pour l’un ni pour l’autre ». À noter que l’on retrouve dans le Dictionnaire Richelet de 1685, l’idée que la neutralité est conventionnelle : « Neutralité : convention que l’on fait avec les gens de différents partis, de n’être ni de l’un ni de l’autre des partis qui se font la guerre. ‘Accepter la neutralité’. ‘La neutralité fait grand bruit’ ».

9. P.-M. Gaudemet et J. Molinier, Finances publiques, LGDJ, Montchréstien, coll.  Domat Droit public, 1997, t. II, p. 92.

10. M. Cozian, « Fiscalité des entreprises et fiscalité des ménages », in. Mél. Gaudemet, Economica, 1984, p. 676 (Pour l’auteur, l’imbrication des différents prélèvements ne doit pas occulter l’existence de deux blocs en fiscalité, l’un gouverné par la morale des affaires et l’autre par la morale privée). À noter que pour l’analyse de la neutralité du système fiscal international, la distinction de ces deux champs de fiscalité, particuliers et entreprises, est aussi considérée comme fondamentale. Voir en ce sens : M.  Devereux, « Taxation of outbound direct investment : Economic principles and tax policy », Oxford Review of Economic Policy, 2008, Vol. 24, n° 4, p. 704.

11. Sur la prétendue autonomie du droit fiscal, voir l’étude de principe : M. Cozian, « Propos déso-bligeants sur une ‘tarte à la crème’ : l’autonomie et le réalisme du droit fiscal », Dr. fisc. n° 41, 6 oct. 1980.

12. P. Serlooten et A. De Bissy,  « Le néo-réalisme du droit fiscal », Regards critiques sur quelques (r)évolutions du droit, dir. M Hecquard-Théron et J. Krynen, Presse universitaire de sciences sociales de Toulouse  1 Capitol, 2005, p.  195-222. Concernant la portée du statut du contribuable en droit fiscal au regard du principe d’indépendance des législations, voir aussi : J. Lamarque, O. Négrin, L. Ayrault, Droit fiscal général, Lexisnexis, 2016, 4e éd., n° 938.

13. Il y a dans l’idée de neutralité une absence de biais de la volonté. Or la volonté interroge moins l’objet que le sujet du droit fiscal, c’est-à-dire moins l’assiette que le redevable, car l’assiette n’a pas de volonté, à la différence du redevable.

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INTRODUCTION 3

dès lors qu’elle poursuit de manière prépondérante des objectifs comportemen-taux ou redistributifs, que ce soit à travers un mécanisme cédulaire14 ou à travers le prisme du foyer fiscal15, qui tend à rendre compte de la capacité contributive des ménages en pondérant le revenu fiscal de référence du foyer par des « parts fis-cales » d’une inégale valeur16. Par contraste, l’imposition des entreprises demeure quant à elle assez largement attachée à un objectif économique de rendement, dans le cadre duquel l’objectif de neutralité du droit fiscal peut se vérifier. Inter-rogeant la structuration juridique des entreprises, l’objectif de neutralité du droit fiscal apparaît alors comme l’expression d’une certaine tension entre liberté et égalité entre les différentes formes d’organisation juridique de l’entreprise, au bénéfice d’une approche unitaire de cette dernière. Le droit fiscal fait ainsi montre de neutralité toutes les fois qu’il organise l’élimination des doubles impositions juridiques et économiques, mais aussi des doubles déductions ou des doubles non-impositions, de sorte à rendre compte de l’entreprise comme entité unique17.

5. Dans la mesure où, à travers un certain nombre de dispositifs ou par des constructions prétoriennes, le droit fiscal poursuit plus ou moins expressément un objectif de neutralité, il convient d’en acter l’existence, d’en esquisser une défini-tion pour en dégager les fondements et en rechercher la portée. Si la neutralité du droit fiscal est longtemps demeurée difficile d’approche, cela tient d’abord au fait que la notion de neutralité fiscale est polysémique, empruntant sa définition davantage à la théorie économique qu’à la théorie juridique (§1), et ce, alors que les fondements juridiques traditionnellement avancés en soutien de la neutralité du droit fiscal sont relativement faibles, voire inexistants (§2). Pour autant, force est de constater que la doctrine juridique persiste à employer la notion de neutra-lité, dont il faut chercher les contours dans l’unicité d’une opération ou d’une entreprise que permet d’appréhender l’autonomie du droit fiscal (§3).

§ 1. INFLUENCE DE L’APPROCHE ÉCONOMIQUE DE LA NEUTRALITÉ SUR LA LITTÉRATURE FISCALE

6. Affirmer que la fiscalité est devenue un élément important, voire prépon-dérant, dans la gestion de l’entreprise ne semble souffrir d’aucune contestation

14. « L’impôt cédulaire consiste à soumettre chaque catégorie de revenu (ou cédule) à un impôt propre, dont les règles d’assiette et de taux sont adaptées à la nature des revenus » ; les systèmes cédulaires comportent en général des éléments de progressivité et de personnalisation : L. Mehl et P. Beltrame, Sciences et techniques fiscales, précit., p. 534.

15. L’affirmation selon laquelle le libéralisme classique doit s’entendre comme le fait que « la puissance publique n’a donc pas à s’ingérer dans les affaires des particuliers » est en ce sens réductrice. Cf. P. Serlooten et O. Debat, Précis de droit fiscal des affaires, précit., n° 36.

16. Sur le principe d’imposition conjointe, voir J. Lamarque, O. Négrin, L. Ayrault, Droit fiscal général, Lexisnexis, précit., n° 1088. Plus généralement, sur la remise en cause tendentielle de la progressivité de l’impôt sur le revenu, voir aussi : D. Gutmann, « De la progressivité de l’impôt sur le revenu à la flat tax : une tendance inéluctable ? », L’Année fiscale, Dr. fisc., n° hors-série, 1er avr. 2008. Dans le cadre de l’approche de l’unicité du foyer fiscal, on pourrait toutefois envisager une neutralité du droit fiscal pour les opérations passées entre les membres du foyer. On ferait alors face à une divergence d’approche entre les principaux impôts qui concernent les particuliers : l’IRPP et les droits de mutation. En sus, contrairement aux entreprises, le principe de liberté dans l’organisation du foyer fiscal est inopérant, exception faite du choix du régime matrimonial.

17. Pour les entreprises, l’intérêt du concept de neutralité tient au fait de pouvoir rendre compte, dans un même geste, des doubles impositions comme des doubles exonérations, ou doubles déductions, alors que ces dernières sont généralement envisagées séparément. 

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L’OBJECTIF DE NEUTRALITÉ DU DROIT FISCAL COMME FONDEMENT D’UNE IMPOSITION UNITAIRE DE L’ENTREPRISE

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sérieuse. En ce sens, la question de la neutralité fiscale est d’abord apparue dans le champ de la théorie économique et des politiques fiscales (1) alors même que son influence est apparemment demeurée limitée en droit fiscal (2).

A. LA NEUTRALITÉ FISCALE, UN CONCEPT PRÉPONDÉRANT DE LA THÉORIE ÉCONOMIQUE

7. La question de la neutralité fiscale est historiquement liée aux écoles d’économie libérales, attachées à assigner à l’impôt un strict objectif de rende-ment. Selon la doxa, Adam Smith (1723-1790) est le premier à poser les termes du problème dans le Livre V de ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. La neutralité de l’impôt s’entend d’un objectif de politique fiscale qui tend à optimiser les recettes fiscales de l’État en asseyant l’impôt sur une assiette large et un taux faible. Il s’agit par là de limiter les stratégies d’évitement des contribuables qui sont de nature à compromettre l’objectif de rentabilité de l’im-pôt18. Les libéraux se sont par suite emparés de cette idée qui leur offrait un puis-sant argument en faveur d’une diminution des prélèvements fiscaux au motif de « ne pas concéder plus de libertés »19. Jean-Baptiste Say (1767-1832) d’affirmer en ce sens que « l’impôt exagéré détruit la base sur laquelle il porte »20.

8. À compter des années 1970, la question de la neutralité s’est renouvelée après que Arthur Laffer ait modélisé par une « courbe en cloche » l’idée selon laquelle la rentabilité de l’impôt s’amenuisait au-delà d’un certain taux21. La ques-tion de la neutralité a alors été avancée dans un double sens, d’une part pour promouvoir l’instauration d’une flat tax22, d’autre part pour étayer un débat touchant au seuil d’acceptabilité des prélèvements fiscaux. La question de la neu-tralité est ainsi devenue une question technique de politique fiscale s’imposant au-delà des seuls cercles libéraux.

9. Sous cet angle technique, aucun dispositif fiscal ne peut être économique-ment neutre, dès lors que les choix relatifs à l’assiette et au taux de l’impôt orientent nécessairement le comportement des agents économiques23, que ce soit en modi-fiant le prix relatif des biens et des services24, ou le coût des instruments de finan-cement des opérateurs (instruments de dette ou de capital)25. À certains égards, cette analyse vaut aussi en matière de fiscalité des particuliers, car la valeur crée par

18. A. Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776.19. A. Barilari, « Les Rapports compliqués de la liberté et de l’impôt à travers des théories de

l’impôt », in Mél. Hertzog, Economica, 2011, p. 18.20. J.-B. Say, Traité d’économie politique, 1803 (Livre III, Chapitre 4).21. A. Laffer, « The Laffer Curve : past, present and future », Backgrounder, The Heritage

Fundation, 2004.22. R. E. Hall et A. Rabushka, The Flat Tax, Hoover Classics, Stanford University, 1995.23. À noter que, en 1888, Paul Leroy-Beaulieu observe que l’incidence fiscale varie selon la

prospérité des pays, la possibilité pour les agents économiques de transférer la charge fiscale qu’ils supportent étant d’autant plus aisée que le pays est prospère. P. Leroy-Beaulieu, Précis d’économie politique, Librairie Ch. Delagrave, Paris, 1888, p. 371-373.

24. Il est toutefois possible d’atténuer l’incidence du facteur fiscal sur le prix relatif d’un bien ou d’un service en alignant la charge fiscale qui pèse sur l’ensemble des biens et services comparables. Sur cette acception de la neutralité économique d’une politique fiscale, voir F. Ramsey, « A contribution to the Theory of Taxation », in Foundations : essays in Philosophy, Logic, Mathematics and Economics, éd. D.H. Mellor, Cambridge University Press, 1978, p. 242.

25. L’analyse du biais économique généré par la différence de charge fiscale entre intérêts et dividende est devenue un argument classique permettant de caractériser l’absence de neutralité d’un système fiscal depuis les théorèmes de Modigliani et Miller. Sur ce point voir : F. Modigliani et M. H. Miller, « The

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INTRODUCTION 5

les tâches domestiques réalisées par les mêmes membres du foyer fiscal eux-mêmes n’est pas prise en compte dans l’assiette de l’IRPP, si bien que, par construction, « l’impôt n’est pas neutre, en France, à l’égard des activités domestiques »26. D’un point de vue théorique, l’incidence de l’impôt sur les prix introduit donc un biais économique qualifié de « fonction d’allocation » par Richard Musgrave dans le cadre de son analyse des fonctions économiques de l’État27. La fonction d’alloca-tion génère une entorse à la neutralité économique de l’impôt d’autant plus impor-tante que l’on attache aux prix une valeur d’information sur le fonctionnement d’un marché28. Autrement dit, la rationalité d’un marché présuppose une fiabilité des informations de marché, laquelle exige une neutralité fiscale29.

10. Reconnaître à l’impôt une fonction d’allocation ne clôt pas toute discussion sur la neutralité, mais ouvre la voie à une analyse qualitative des politiques fiscales. En effet, si la fonction d’allocation d’un impôt est plus ou moins caractérisée, elle est aussi pondérée deux autres fonctions complémentaires théorisées par Richard Musgrave : une fonction de redistribution de richesses et une fonction de stabilisation des cycles économiques30. Ces différentes fonctions sont-elles aussi contraires à l’objectif de neutralité fiscale ? Est-il pertinent de penser la neutralité d’un dispositif fiscal qui poursuit expressément un objectif comportemental ou incitatif ? L’objectif de neutra-lité fiscale exige certes de minimiser la fonction d’allocation de l’impôt, mais doit-il conduire à exclure tout mécanisme de redistribution ou toute forme d’intervention ? Telle n’est pas l’opinion d’Arthur Pigou (1877-1959) selon lequel l’impôt qui viserait à internaliser le coût social de certains comportements jugés antisociaux, par une sur-charge fiscale, ne contreviendrait pas pour autant aux objectifs de rentabilité ou de redistribution31. L. Mehl et P. Beltrame opinent d’ailleurs en ce sens, en relevant que « cette recherche de la neutralité n’empêche pas une taxation discriminatoire à l’en-contre de certaines consommations préjudiciables à la santé publique (alcools et tabacs notamment) »32.

Cost of Capital, Corporation Finance and Theory of Investment », American Economic Review, 1958, p. 261-297. Dans le même sens, pour une observation concernant l’imposition à la TVA des activités de bourse, voir : L. Mehl et P. Beltrame, Sciences et techniques fiscales, précit., p. 532.

26. L. Mehl et P. Beltrame, Sciences et techniques fiscales, précit., p. 528-530. (Pour les auteurs, l’analyse de la neutralité économique de l’IRPP pourrait être pertinente dès lors que l’impôt ne générerait pas de biais en faveur de l’internalisation ou de l’externalisation des tâches domestiques, ce qui supposerait de valoriser ces dernières dans l’assiette de l’IRPP).

27. R. Musgrave et P. Musgrave, Public finance in theory and practice, McGrawHill, 1989. Pour un commentaire de l’utilisation de l’impôt à des fins économiques, voir aussi : G. Orsoni, L’interventionnisme fiscal, PUF, coll. Fiscalité, Paris, 1995, ch. 1, p. 61 et s.

28. Pour une analyse du postulat économique de la fiscalité, voir : M. Lauré, Sciences fiscales, précit., p.  56 (« On chercherait en vain, dans une économie en division du travail, le mystérieux système de transmission d’informations, d’une entreprise à l’autre, dans la chaîne de fabrication d’un produit, qui aboutirait à ce que la fabrication de ce produit soit la meilleure possible, en fonction de l’état des techniques. […] Mais nous savons bien qu’il n’existe aucune transmission d’informations de ce type. La seule et unique transmission est la facturation, par chaque entreprise à la suivante, du prix du produit qu’elle livre. […] Encore faut-il que la structure du système fiscal ne comporte pas des impôts capables de majorer de façon inégale des coûts entre lesquels l’entrepreneur établit des comparaisons »).

29. À certains égards, il y a une continuité avec les penseurs libéraux classiques, tel que Frédéric Bastiat qui proposait une analyse « mathématique » l’impôt comme n’importe quel coût de production. Sur ce point voir, F. Bastiat, « Curieux phénomène économique », Œuvres complètes, Tome 2, éd. Guillaumin et Cie, p. 189.

30. Ibid.31. A. C. Pigou, The Economics of Welfare, Macmillan, 1946.32. L. Mehl et P. Beltrame, Sciences et techniques fiscales, précit., p. 326.

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11. D’un point de vue théorique, on peut ainsi se poser la question de savoir si les distorsions créées en vue d’internaliser le coût social de certains comporte-ments relèvent ou non de l’exigence de neutralité fiscale33. Doit-on considérer comme des entorses à la neutralité de l’impôt le fait d’imposer à des taux spéci-fiques certains comportements répréhensibles, tels que les transactions financières haute-fréquence34 ou les opérations localisées dans des États ou territoires non coopératifs35 ? Si de telles mesures comportementales ne relèvent pas de l’objectif de neutralité, Jason Furman considère qu’elles ne remettent pas pour autant en cause la neutralité d’un impôt moyennant les réserves suivantes36 :

– comme objectif, la neutralité caractérise d’abord un impôt dont l’assiette est large et le taux est bas ;

– si la neutralité n’exclut pas certains dispositifs incitatifs, elle justifie de recourir plutôt au mécanisme du crédit d’impôt qu’à celui de l’abatte-ment de sorte à ne pas créer d’effet d’aubaine sur la base imposable ; réciproquement, la neutralité n’exclut pas d’imposer une surcharge fis-cale sur certaines opérations de sorte à internaliser le coût social de com-portements répréhensibles ;

– l’impôt doit être proportionnel, notamment en ce qui concerne les reve-nus du capital, lesquels doivent faire l’objet d’un taux unique ; par contraste, les éléments de progressivité doivent se limiter aux dispositifs fiscaux poursuivant un objectif comportemental.

12. La réflexion économique relative à la neutralité fiscale s’attache donc exclusivement aux questions d’assiette et de taux37. Cette approche conduit à pen-ser que, si l’impôt ne saurait être parfaitement neutre économiquement, la ques-tion de la neutralité permet de penser les dispositifs fiscaux poursuivant un objectif de rendement dont il convient de minimiser la fonction d’allocation. Cependant, l’approche économique de la neutralité fiscale laisse comme dans un angle mort les questions relatives aux modalités de recouvrement de l’impôt compte tenu du fait que le redevable n’est pas nécessairement celui qui supporte le coût effectif de l’im-pôt38. Si la poursuite d’un objectif économique de neutralité apparaît comme une condition nécessaire pour caractériser l’objectif de neutralité du droit fiscal, elle

33. Les dispositifs qui poursuivent un objectif comportemental étant hors du champ de l’objectif de neutralité fiscale, ils ne doivent donc pas être considérés comme générant des distorsions, des entorses contraires à l’objectif de neutralité du droit fiscal. Autrement dit, leur absence de neutralité ne serait pas de nature à remettre en cause l’éventuelle neutralité d’un dispositif fiscal.

34. Art. 235 ter ZD bis du CGI ; Art. 235 ter ZD ter du CGI.35. Art. 119 bis 2 du CGI ; Art. 182 B du CGI ; art. 244 bis du CGI ; Art. 244 bis B du CGI ;

Art. 125 A III du CGI.36. J. Furman, « Concept of neutrality in tax policy », Hamilton Project, Brooking Institution,

2008.37. Par exemple, pour le classement des dépenses fiscales, le Conseil des prélèvements obligatoires

avait ainsi proposé d’écarter du classement, mais d’annexer à l’annexe Évaluation des voies et moyens attachée au projet de loi de finances, la liste des mesures considérées comme dérogatoires, mais dépourvues de portée incitative, telles que le régime de l’intégration fiscale ou le régime de faveur des fusions. Sur ce point, voir La Fiscalité dérogatoire, rapp. 2003. Ces mesures font aujourd’hui l’objet d’un classement particulier en tant que « modalités de calcul de l’impôt ».

38. La doctrine économique analyse cependant la question sous le prisme de « l’incidence fiscale », qui tend à évaluer comment la charge d’impôt est effectivement répercutée entre les agents économiques. Pour une présentation détaillée, voir : A. Bénassy-Queré, B. Cœuré, P. Jacquet, J. Pisani-Ferry, Politique économique, 3e éd., De Boeck, 2015, p. 586.

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n’est pas pour autant suffisante, car l’obligation fiscale pèse bel et bien sur le rede-vable légal, lequel a l’initiative d’éventuels comportements d’évitement. L’analyse de la neutralité fiscale ne peut se dispenser de prendre en considération la question de la collecte de l’impôt. L’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 ne fait-il pas obligation au législateur de définir l’assiette, le taux et les modalités de recou-vrement des impositions de toute nature ?

B. INFLUENCE LIMITÉE DE L’APPROCHE ÉCONOMIQUE DE LA NEUTRALITÉ FISCALE SUR LA DOCTRINE JURIDIQUE

13. Si la neutralité fiscale est certes un concept structurant de la réflexion économique, cette dernière s’est avérée peu utile pour rendre compte de l’éven-tuelle neutralité du droit fiscal. Son influence sur la littérature juridique s’est en effet trouvée limitée, dès lors que l’objectif de neutralité économique apparaît une condition nécessaire, mais pas suffisante pour rendre compte de la neutralité du droit fiscal. Dans un contexte de division très poussée du travail, l’objectif de neutralité s’est essentiellement traduit par une élimination quasi systématique des taxes « en cascade » de sorte à atténuer l’incidence du système fiscal sur la forma-tion du prix39. Toutefois, alors que l’incidence de l’impôt sur le comportement des contribuables peut être minimisée d’un point de vue économique, la théorie juri-dique se heurte à la nécessité de prendre en compte une autre réalité, celle du redevable, qui ne permet pas de faire fi de l’incidence de l’impôt sur le débiteur de l’obligation fiscale.

14. En droit fiscal, définir l’impôt implique de préciser les modalités de recouvrement qui y sont attachées. En premier lieu, l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 précise que le prélèvement fiscal doit être défini par une assiette, un taux et des modalités de recouvrement40. Même sur le plan théorique, la défi-nition de l’impôt ne peut faire l’économie de précisions quant aux redevables de l’impôt. Si ce dernier est défini par la loi fiscale, prélèvement par prélèvement, il doit au moins « être rattaché à une entité dotée d’une personnalité juridique »41. Dans la définition la plus classique de l’impôt proposée par Gaston Jèze, le rede-vable était tenu pour être un particulier, l’impôt étant « une prestation de valeurs pécuniaires exigée des individus »42. Le statut des redevables est désormais d’une diversité « extrême » : « personne physique ou personne morale, personne publique ou personne privée, il peut être aussi national ou étranger, régi par le droit fiscal interne ou le droit fiscal international »43.

15. D’un point de vue juridique, la question de la neutralité du droit fiscal ne peut donc faire l’économie d’une analyse de l’incidence de l’impôt sur le compor-tement des agents économiques, lesquels peuvent limiter la charge fiscale qu’ils supportent en adaptant la structure juridique de leurs opérations et de leurs

39. L. Mehl et P. Beltrame, Sciences et techniques fiscales, PUF, 1983, p. 338.40. Il appartient au législateur de définir le redevable de l’impôt au titre des modalités de

recouvrement. Sur ce point, voir Cons. Const., 30 mars 2012, n° 2012-225 QPC, Unibail Rodamco ; M. Pelletier, Revue française de droit constitutionnel, avril 2013, n° 94, p. 461-464 ; J.-E Gicquel, « Droit fiscal (suite) », LPA, 2  oct.  2012, n°  197, p.  8 et  9 ; R. Fraisse, « Majoration d’une taxe d’urbanisme devant le Conseil constitutionnel », Revue juridique de l’économie publique, août-sept. 2012, n° 700, p. 25-28.

41. L. Mehl et P. Beltrame, Sciences et techniques fiscales, précit., p. 70.42. G. Jèze, Cours de finances publiques 1936-1937, LGDJ, 1937, p. 38.43. J.-C. Martinez, Le statut du contribuable, LGDJ, 1981, p. 41.

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entreprises44. Les entorses à la neutralité se trouvent même renforcées lorsque l’impôt traite les personnes morales comme des contribuables et que le montant de la charge fiscale supportée pesant sur une activité dépend de la forme juri-dique. « Loin de régler le problème, la renonciation à la neutralité ne ferait que le compliquer »45. Comment donc évaluer la neutralité du droit fiscal lorsque les personnes morales sont considérées comme des contribuables tout autant que les personnes physiques ? Dans quelle mesure le droit fiscal peut-il être neutre à l’égard d’opérateurs internationaux alors qu’il est par hypothèse l’expression d’une compétence juridictionnelle territoriale ? Peut-on parler de la même manière de la neutralité du droit fiscal pour les impôts directs et les impôts indirects ? Le droit fiscal est-il encore neutre lorsqu’un même contribuable est tantôt sujet à des régimes d’imposition individuels et tantôt à des régimes de groupe ?

16. Sur le plan de la technique juridique, affirmer que l’impôt n’est pas neutre relèverait même d’une lapalissade. Pour faire face aux effets de structures, seul un impôt forfaitaire serait théoriquement susceptible de satisfaire au principe de neutralité46. Cette utopie économique appelle cependant le juriste à distinguer selon que les prélèvements portent sur les ménages ou sur les entreprises.

L’hypothèse d’un impôt forfaitaire se heurterait en effet, pour ce qui concerne les ménages, à des contraintes constitutionnelles et politiques, au sens où il s’oppo-serait notamment au principe d’une contribution établie sur la base des « facultés contributives » des citoyens, tel que prévu par l’article  13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Or, c’est précisément sur ce fondement que les impôts forfaitaires tels que les fouages ou la capitation ont ainsi été abolis en 1789. C’est aussi sur ce même fondement que le Conseil Constitutionnel a consacré en 1990 la progressivité de l’impôt sur le revenu introduit en 191447. Au même moment, au Royaume-Uni, l’échec et la chute du gouvernement Thatcher sur le projet d’instauration des Community Charges visant à assujettir les ménages à une capitation locale, a semblé clore le débat sur l’acceptabilité politique d’une imposi-tion forfaitaire des particuliers48. Or, comme l’ont relevé L. Melh et P. Beltrame, même si l’on peut juger de la neutralité relative de certains régimes fiscaux, « lorsque le taux de l’impôt s’élève, qu’il devient progressif, que d’importantes masses moné-taires sont redistribuées, le fait financier ne peut être neutre, stricto sensu, à l’égard ni de l’ensemble de l’économie, ni de la répartition du revenu national »49. Dans le même sens, constatant que « l’État soit descendu dans l’arène pour se battre avec l’arme de l’impôt contre l’intérêt individuel »50, M. Lauré a regretté « une course à la progressivité signe de désarroi » et « un gâchis causé par les exceptions »51. Il demeure que, pour ce qui concerne la France, la question de la neutralité de l’impo-sition des personnes physiques est partiellement réapparue avec l’instauration d’un prélèvement forfaitaire unique applicable à l’ensemble des revenus de capitaux

44. Pour une analyse plus précise de l’incidence fiscale, voir : A. Bénassy-Queré, B. Cœuré, P. Jacquet, J. Pisani-Ferry, Politique économique, ch. 7, précit., 2015, p. 598-603.

45. L. Mehl et P. Beltrame, Sciences et techniques fiscales, précit., p. 534. 46. A. Bénassy-Queré, B. Cœuré, P. Jacquet, J. Pisani-Ferry, Politique économique, précit,

p. 599. 47. Cons. Const., 28 décembre 1990, n° 90-285 DC, Loi de finances pour 1991.48. Rép. Ehrmann, JO AN 30 avril 1990, n° 27685.49. P. Beltrame et L. Melh, Techniques, Politiques et Institutions fiscales comparées, PUF, Paris

2 éd., 1997, p. 314-315.50. M. Lauré, Sciences fiscales, précit., p. 400.51. M. Lauré, Sciences fiscales, précit.,p. 187 et 191.

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mobiliers aux termes de l’article 28 de la loi de finances pour 201852. Le Conseil constitutionnel a alors admis que l’instauration d’un prélèvement proportionnel ne remettait pas en cause le principe d’égalité entre les contribuables au regard de leurs capacités contributives, dès lors que le législateur permettait de soumettre sur option les revenus en question au barème progressif53.

En revanche, l’hypothèse d’une neutralité de l’impôt caractérise encore assez largement la fiscalité des entreprises54, laquelle poursuit principalement un objec-tif de rendement et demeure empreinte de proportionnalité55. La neutralité qui caractérise la fiscalité des entreprises tient pour l’essentiel à des mécanismes d’imposition unitaire, et non cédulaire. « L’imposition unitaire vise à atteindre l’ensemble des revenus imposables d’un contribuable, sans distinguer leur ori-gine, en les soumettant à un taux de taxation uniforme »56. Par exemple, les impôts sur le bénéfice des entreprises et la taxe sur la valeur ajoutée sont des prélèvements dont le caractère proportionnel n’est pas fondamentalement remis en cause par l’introduction de taux réduits57. Il convient cependant d’admettre que les écarts de taux et la disparité des règles d’assiette entre les juridictions fiscales constituent de réels facteurs d’arbitrage pour l’implantation des entre-prises dans une économie ouverte58.

17. Compte tenu de l’insuffisance du cadre théorique nécessaire à la clarifica-tion de la notion, un silence apparent a alors entouré la question de la neutralité du droit fiscal. Sans doute la théorie juridique est-elle demeurée trop attachée à l’ac-ception économique de la neutralité fiscale59. En effet, si le droit fiscal a retenu que la neutralité fiscale pouvait être qualifiée de « concept absolu »60 conformément à une approche classique, il en allait en fait d’une approche essentiellement écono-mique, laquelle s’est avérée réductrice en cantonnant l’analyse juridique à une approche exogène des entreprises. « Le comportement des entreprises doit être le moins influencé possible, l’imposition pouvant être une source de distorsions

52. Sur le maintien optionnel du barème progressif, voir : « Option pour l’imposition au barème de l’IR des revenus mobiliers dans le champ du PFU », Dr. fisc. n° 1, 5 janv. 2018, comm. 21.

53. Cons. Const., 28 décembre 2017, n° 2017-758 DC, Loi de finances pour 2018, pt. 31.54. La question peut ainsi se poser de juger de la neutralité générale du système fiscal applicable

aux entreprises.55. À certains égards, c’est l’impératif de rendement attaché à la TVA  et à l’IS  qui limite la

possibilité d’introduire davantage de progressivité dans ces prélèvements. Voir en ce sens : B. Brachet, « Volonté politique et rigidité fiscale », in. Mél. Gaudemet, Economica, 1984, p. 617.

56. L. Mehl et P. Beltrame, Sciences et techniques fiscales, précit., p. 271.57. Par exemple, pour définir le concept de norme fiscale, le Gouvernement retient que le taux

réduit de 15 % n’est pas constitutif d’un avantage ou d’une mesure ciblée en matière d’impôt sur les sociétés, mais contribue de manière générale à rendre acceptable ledit impôt. De même, en matière de TVA, les deux taux réduits pris en transposition de l’article 98 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 contribuent à rendre supportable cet impôt sur la consommation ou ont pour effet de préserver l’accès de tous à certains produits ou services. Pour les explicitations, voir Évaluation des voies et moyens (2019), Tome 2, p. 8 à 11.

58. Conseil des prélèvements obligatoires, « Cadre juridique de la taxe sur la valeur ajoutée », Rapport particulier n° 2, mars 2015, p. 48.

59. Selon le Pr S. Utz, juger de la neutralité d’un système fiscal repose en fait sur une prémisse fausse selon laquelle est pertinent le fait d’évaluer l’incidence d’une norme fiscale sur la base de la rationalité du comportement d’un agent économique ; depuis l’abandon des théories de l’équilibre économique, la rationalité économique ne peut toutefois plus être tenue pour comparable à la rationalité physique. Pour plus de détails, voir : S. Utz, « Tax Neutrality », Mél. Beltrame, 2010, p. 567 et s.

60. P. Serlooten et O. Debat, Précis de droit fiscal des affaires, LGDJ, précit., n° 36.

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inefficaces du libre jeu économique »61. La neutralité a en ce sens été présentée dans les ouvrages de droit fiscal comme un « dogme » ou une « idéologie » qui s’oppose-rait au « volontarisme »62 ou à « l’interventionnisme »63. Aussi, à définir le principe de neutralité comme « absence de toute distorsion qui pourrait nuire à la finalité du système économique, quelle qu’en soit l’inspiration ou la justification »64, ce prin-cipe ne devenait-il pas aussitôt utopiste et obsolète ? « Si la neutralité est une ambi-tion, elle ne peut être un absolu : c’est justement parce que l’État est néo-libéral qu’il ne peut orienter les comportements autrement qu’en édictant des incitations, c’est-à-dire des discriminations qui sont autant d’atteintes au dogme de la neutralité »65. La neutralité du droit fiscal apparaît ainsi « démentie par la réalité »66 ou comme un « mythe »67. En ce sens, les dispositifs fiscaux s’entendent comme autant de moda-lités d’intervention dans le jeu économique vues tantôt positivement, tantôt négati-vement, selon que « les effets sur le comportement des contribuables constituent une incitation visée ou une distorsion non recherchée »68.

L’idée de neutralité est-elle donc condamnée en droit fiscal ? Faut-il renoncer à saisir une notion de neutralité juridique de l’impôt, pourtant relevée de manière récurrente par la doctrine dans le champ des impositions à la fois directe et indi-recte des entreprises, mais dont l’apparente unité conceptuelle se révèle en fait telle une hydre de Lerne ?

18. Penser la neutralité du droit fiscal est d’autant plus possible que la tech-nique fiscale permet d’atténuer les soi-disant distorsions résultant de la réglemen-tation. Aussi, le renouveau des écoles d’économie libérales au cours de la seconde moitié du 20e siècle et la radicalité de leurs critiques concernant le rôle croissant de l’État dans l’économie69, a sans doute permis une clarification entre les sujets relevant respectivement des débats économiques ou juridiques70. En effet, la ques-tion de la neutralité juridique de l’impôt a progressivement pris son autonomie, distinguant plus nettement la question de l’incidence de la technique juridique sur l’organisation économique de l’entreprise71. Il a en ce sens été observé que « il n’est pas indifférent que l’entreprise soit exploitée sous forme individuelle ou sous forme sociale, encore que sur ce point la fiscalité n’ait pas, en réalité l’importance qu’on s’accorde à lui reconnaître »72.

61. P.-A. Sarthou et C. Lelarge, « Comment l’impôt sur les sociétés affecte-t-il les comportements ? », CPO, Rapport particulier n° 2, 2017, p. 1.

62. J. Grosclaude et Ph. Marchessou, Droit fiscal général, Dalloz, 2016, p. 8. 63. Ch. De La Mardière, Droit fiscal général, Flammarion, 2012, p. 55.64. P. Serlooten, « La neutralité fiscale. Un principe obsolète ? », in Mélanges dédiés à Louis

Boyer, Presses de l’Université de Toulouse, 1996, p. 701.65. J. Groclaude et Ph. Marchessou, Droit fiscal général, précit., p. 8.66. Ch. De La Mardière, op.cit, p. 56.67. A. De Bissy, Comptabilité et fiscalité, Lexisnexis, 2014, n° 352.68. J.-F Poumerol, Neutralité de l’impôt à l’égard des structures juridiques des entreprises,

thèse, Univ. Paris 1, 1991, p.1169. Concernant l’école de Chicago, l’école du Public Choice ou l’école libertarienne voir

M. Bouvier, Introduction au droit fiscal général et à la théorie de l’impôt, LGDJ, 2008, 9e éd., p. 215.70. Selon le Pr S. Utz, une évaluation de la neutralité relative d’une mesure fiscale est tout à fait

pertinente dans le cadre du renouveau de la théorie de l’équilibre économique telle que développée par J. Shoven et J. Whalley (Applying General Equilibrium, Cambridge Survey of Economic Literarure, 1992). Pour plus de détails, voir : S. Utz, « Tax Neutrality », précit., p. 574.

71. L’auteur illustre d’ailleurs l’utilisation d’une approche relative de la neutralité fiscale dans le cadre du projet Hubbard, qui a visé, sous l’administration Bush, à supprimer toute imposition sur les dividendes. S. Utz, « Tax Neutrality », précit., p. 576-577.

72. P. Serlooten et O. Debat, Précis de droit fiscal des affaires, précit., p. 24

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Page 25: L'objectif de neutralité du droit fiscal comme fondement d

INTRODUCTION 11

19. La question de la neutralité du droit fiscal est en sus très liée à celle des discriminations. Si l’objectif de redistribution s’impose à l’objectif de neutralité dans le champ de la fiscalité des particuliers, il n’en va pas nécessairement de même de la fiscalité des entreprises73, lesquelles revendiquent avec constance une égalité de traitement entre les opérateurs, fondée notamment sur la nécessité de préserver une concurrence saine et loyale sur un marché désormais mondial74. Il résulte de la radicalité de l’approche économique de la neutralité fiscale, une vision minimaliste des impôts, lesquels sont « des instruments conçus pour préle-ver et non pour guider »75, car « un démon redoutable, l’interventionnisme, rôde en matière fiscale »76. Cette idée permet d’envisager la neutralité du droit fiscal comme s’opposant au « droit d’inventaire » que tend à conserver l’administration fiscale adoptant un certain nombre de positions contraires au droit comptable de sorte à assurer la rentabilité de l’impôt77. Par opposition à l’interventionnisme, le droit fiscal donc est censé ne pas rompre les conditions d’une concurrence saine, quitte à ce que la technique fiscale organise des mécanismes visant à neutraliser certains phénomènes économiques78. Pour autant, la question de la neutralité fis-cale demeure moins une notion de droit de la concurrence qu’une notion de droit fiscal79. N’est-ce pas là le sens premier du principe de neutralité ?

§ 2. LES SOI-DISANT SOURCES JURIDIQUES DE LA NOTION DE NEUTRALITÉ FISCALE

20. À défaut de pouvoir tirer de l’approche économique une définition qui permette de rendre compte de la neutralité réelle ou supposée du droit fiscal, il convient de revenir sur les fondements traditionnellement invoqués au soutien du principe de neutralité fiscale. En effet, la neutralité fiscale illustre une certaine tension et évoque un certain équilibre entre les principes de liberté et d’égalité en droit fiscal des affaires80. Cependant, si ces principes fondamentaux contribuent à éclairer la notion de neutralité dans une perspective juridique, ils n’offrent pour autant aucun fondement satisfaisant à un supposé principe de neutralité du droit fiscal. Il en va ainsi tant pour ce qui concerne le principe de liberté du com-merce (A) que de celui d’égalité devant l’impôt (B).

73. Sur l’érosion du rôle redistributeur de la famille et de l’entreprise dans une économie mondialisée, voir : Ph. Von Parijs, « Philosophie de la fiscalité pour une économie mondialisée » in Archives de Philosophie du Droit, n° 46, 2002, p. 329 à 348.

74. Sur l’incidence des libertés économiques en droit fiscal comme intégration négative, voir : A. Maitrot de la Motte, Droit communautaire et fiscalité, Bruylant, 2e éd., pp. 51, 131-138.

75. M. Lauré, Traité de politique fiscale, PUF, 1956, p. 320.76. M. Lauré, Sciences fiscales, PUF, 1993, p. 37.77. A. De Bissy, op. cit., n° 65 à 69.78. J. Schmidt, « Inflation et impôt », in Mél. Gaudemet, Economica, 1984, p. 657 (Dans une

approche économique, l’auteur considère que la technique fiscale organise la neutralisation en tout ou partie des effets de l’inflation sur la détermination de l’assiette fiscale, autant que l’impôt a un effet inflationniste).

79. Sur les aides d’État à caractère fiscal, voir : A. Maitrot de la Motte, Droit communautaire et fiscalité, précit., p. 288 et s. ; M. Sadowsky, Droit de l’OMC, droit de l’Union européenne et fiscalité directe, Larcier, 2013, n° 859 et s. ; I. Papadamaki, Les aides d’État de nature fiscale en droit de l’Union européenne, préf. D. Belin, Bruylant, 2018.

80. Par contraste, la question de la neutralité n’a jamais été réellement abordée au regard de la liberté des personnes physiques. Par ex. : F. Luchaire, « Le Fisc, la liberté individuelle et la Constitution », in. Mél. Gaudemet, Economica, 1984, p. 603.

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