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L’Occupation expliquée à mon petit-fils

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J e a n - P i e r r e A z é m a

L’Occupationexpliquée à mon petit-fils

Éditions du Seuil25, bd Romain-Rolland, Paris XIVe

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ISBN 978-2-02-107441-3

© Éditions du Seuil, janvier 2012

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisationcollective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédéque ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue unecontrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

www.seuil.com

À Philémon

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Pourquoi en parler aujourd’hui

L’Occupation est une période de notrehistoire nationale qui reste très floue dansl’esprit du public français s’intéressant auxdrames de la Seconde Guerre mondiale.

On a pu notamment le constater lorsqu’ilavait été question, à la rentrée scolaire de2007, de lire dans les classes une lettre écritepar le jeune Guy Môquet quelques heuresavant son exécution, en 1941. Dans lescommentaires approuvant ou contestant ladémarche, il était rarement fait référence àl’Occupation. Le drame n’était jamais envi-sagé comme le fruit des choix de l’occupant,pas plus d’ailleurs qu’on ne signalait le rôled’un ministre de Vichy dans l’élaboration de

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la liste des otages. Personne ne semblait sedemander pourquoi ce jeune homme avaitété désigné : on se contentait de lui attribuerun vague brevet d’héroïsme, dénué de signi-fication historique ou même partisane. Lefait même de fusiller des otages semblaitn’avoir besoin d’aucune explication. Et, bienentendu, pas un mot sur le « code desotages » promulgué par les autorités nazies.

Sur cette période, les affirmations discu-tables reposent souvent sur l’ignorance desréalités. Ainsi entend-on, par exemple, affir-mer que de Gaulle, descendant les Champs-Élysées à la Libération, a été acclamé par lesmêmes Parisiens qui avaient fêté Pétainvenu à Paris, en avril 1944. On se dispensed’analyser le sentiment patriotique d’unefoule vivant, en zone nord, depuis quatreans sous la botte d’un occupant qui avaitinterdit La Marseillaise et le drapeau trico-lore. Et au passage, on accrédite l’idée qu’ilscroyaient à l’entente entre de Gaulle etPétain pour la plus grande joie de ceux quiaiment l’entretenir.

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Les jugements portés sur l’occupant lui-même ne sont pas toujours aussi caricatu-raux que dans les films, séries, et autresspectacles populaires qui, trop souvent, sedélectent de l’image de Français malins ber-nant des soldats allemands ridicules. Mais ons’en tient trop facilement à des idées conve-nues. Par exemple, c’est de façon systéma-tique que la « sauvagerie » de la « division SSDas Reich » est opposée à la « modération »générale du combattant de la Wehrmacht,toujours Korrect, surtout quand il s’agit d’unofficier : on oublie que les massacres dans leVercors ont été perpétrés par une divisiond’élite de la Wehrmacht.

Ou bien encore, inversement, on attri-bue tous les malheurs de cette période àl’occupant. Chacun sait que les pénuries ali-mentaires ont été sévères durant ces années,mais on fait comme si toute la productionagricole avait été confisquée par les préda-teurs allemands, en faisant silence sur l’auto-consommation paysanne et sur les circuitsdes profiteurs français…

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Sur la plupart des aspects de cette périodedramatique, sur le régime de Vichy lui-même, sur les collaborationnistes, sur lesétapes qui ont conduit à la crédibilité de laRésistance, sur la France libre, sur les rafles etles déportations, on peut dire non seulementque les mémoires ont beaucoup évolué, maisaussi que le public a su assimiler le travaildes historiens. Mais sur l’Occupation, l’his-torien est frustré et perplexe : elle demeureun point aveugle.

Pourtant les logiques et les contraintes detoute occupation s’exercent encore sous nosyeux, ici et là, de par le monde. C’est pour-quoi j’ai entrepris d’en analyser méticuleuse-ment les mécanismes, en m’appuyant surl’expérience de la France dans les annéesnoires, afin de convaincre mon petit-fils et àtravers lui tous les adolescents d’aujourd’hui,qu’il est de notre devoir de connaître l’his-toire pour mieux exercer notre responsabi-lité d’hommes et de femmes libres dans lemonde d’aujourd’hui.

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Ta mère, qui est aussi ma fille, m’a ditque tu avais des questions à me poser aprèsavoir vu une série télévisée montrant ceque pouvait être l’Occupation dans unepetite ville du Jura. On y va ?

– Dis-moi d’abord : l’occupation de la France,a-t-elle été différente de celle d’autres pays occupéspar les Allemands ?

– Oui. Au moins sur deux points. Hitler,le Führer du IIIe Reich, réservait, selon sesconceptions raciales, un sort différent auxpopulations de l’Europe. Pour lui, les Slavesétaient des « sous-hommes » : en Pologne,dès l’invasion, les massacres ont été immé-diats, pour que le peuple allemand disposede son « espace vital ». Il pensait intégrer àla future « Europe allemande » certainesnations de l’Europe de l’Ouest, parexemple les Pays-Bas peuplés de Flamands.Or, il jugeait que la « valeur raciale » desFrançais les rendait impossibles à germani-ser, mais n’imposait pas de les anéantir.Second point particulier : il décida que la

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France vaincue resterait un État souverain,ce qui créait, tu le verras, une situation par-ticulière.

– Et cette Occupation, elle commence quand ?– Dès la campagne de France, en mai-

juin 1940. Dans les villes conquises, lesresponsables militaires rendaient les autori-tés locales, ou les notables, garants del’attitude de la population, ce qui en fai-sait des otages. Il se produisait souvent, àce stade, en cas de résistance, des pillageset des exécutions, ce que décrit JeanMoulin, alors préfet d’Eure-et-Loir, dansson Journal.

– Et le gouvernement français ? Que faisait-ilalors ?

– Le gouvernement de Paul Reynauds’était replié à Bordeaux. Hésitant à gagnerl’Afrique du Nord, il perdait pied, alors queles vainqueurs étaient entrés dans Paris le14 juin 1940.

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– Comment s’est passée cette entrée dansParis ?

– Paris devenait allemand, avec une occu-pation organisée dans le détail. À chaquecarrefour, des panneaux en lettres gothiquesgermaniques orientaient les troupes ; sur lesmonuments, la tour Eiffel, la Chambre desdéputés, etc., d’immenses oriflammes affi-chaient dans un cercle blanc sur fond rouge,le symbole nazi : la croix gammée. Avec laparade militaire du 16 juin 1940, tout affir-mait la mainmise sur la capitale, au point queHitler y fit une visite discrète – ce fut laseule – le 27 juin à l’aube.

– Et les Parisiens ?– Ils ont d’abord été consignés chez eux.

Les vainqueurs défilèrent donc, comme l’aécrit l’un de leurs chefs, dans « une villesans visage », contrairement à ce que leurpropagande a prétendu en exhibant desphotos plus tardives. Puis, les responsablesallemands interdisant toute exaction, lapopulation se rassura.

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– Pourtant, la France était toujours en guerre ?– Oui. Le 16 juin, le gouvernement,

démissionnaire, cédait la place à PhilippePétain, nommé président du Conseil. LesFrançais étaient encore en plein « exode »,cette gigantesque fuite devant l’envahisseur.Assommés par la défaite, ils ont, pour laplupart, été soulagés d’entendre ce maréchalde 84 ans, très populaire depuis 1917, leurannoncer à la radio qu’il avait demandél’armistice. Celui-ci entra en vigueur le25 juin : les conditions de l’Occupationdevenaient officielles.

– Pourquoi Hitler n’a-t-il pas, dans la foulée,occupé toute la France ?

– En signant un armistice, le gouverne-ment du pays vaincu accepte de renoncer à sedéfendre par les armes, jusqu’à la signatured’un traité de paix – qui, dans ce cas, n’estjamais venu. Hitler, comptant sur la rupturede l’alliance franco-anglaise, pensait que lemaintien d’un État théoriquement souverainet l’existence d’une zone « non occupée »assureraient l’ordre sur les arrières de l’armée

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allemande, la Wehrmacht, quand elle envahi-rait les îles Britanniques. Car la Grande-Bre-tagne, elle, restait en guerre.

– Cela fait donc deux zones. Comment s’estfait ce découpage ?

– À partir de considérations stratégiques,mais aussi économiques. La zone occupéeenglobait environ 55 % du territoire, soit lapartie du pays la plus industrialisée et lesterres les plus fertiles. Les deux zonesétaient séparées par une « ligne de démarca-tion » que l’on ne pouvait franchir qu’avecun laissez-passer, un Ausweis. L’occupationmilitaire était limitée au nord de cette ligne.Le gouvernement de Philippe Pétain sié-geait à Vichy, les vainqueurs lui ayantrefusé de s’installer à Versailles. C’est pour-quoi on parle du gouvernement de Vichy,du régime de Vichy.

– C’est une création de l’occupant, ce régimede Vichy ?

– Non. Le maréchal Pétain obtint desparlementaires français, le 10 juillet, que la

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Troisième République se saborde. Deuxjours plus tard, il instituait l’« État français »,placé sous sa seule autorité, afin d’opérer« un redressement moral et intellectuel dupays », pour créer une « Révolution natio-nale ».

– Chacune des deux zones obéissait donc àune autorité différente ?

– Pas du tout. La convention d’armisticelaissait subsister la totalité de l’admini-stration française : des préfets, des fonction-naires, des forces de police, tout celadépendant officiellement de Vichy au nordcomme au sud.

– Pourquoi « officiellement » ?– Parce que parallèlement aux lois fran-

çaises, des « ordonnances » allemandes s’impo-saient en zone nord. De surcroît, lesoccupants pouvaient exercer des pressions,puisque, selon l’article 3 de la conventiond’armistice, les autorités et les fonctionnairesfrançais devaient « collaborer » (en allemand :

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« travailler avec ») avec les autorités d’occupa-tion « d’une manière correcte ».

– Et Pétain accepta cette sujétion ?– Il fit même mieux. Le 24 octobre, il

rencontra Hitler dans la petite ville deMontoire. Et, quelques jours plus tard, lesFrançais découvrirent avec stupeur la photod’une poignée de main échangée entre leFührer et « le vainqueur de Verdun ». Puis,ils l’entendirent annoncer qu’il entrait« dans la voie de la collaboration ».

– Mais pourquoi ?– Ce que les historiens appellent la « col-

laboration d’État » s’explique au moins pardeux raisons : Pétain était persuadé quel’Allemagne gagnerait la guerre, et il espé-rait – comme l’a bien démontré l’historienaméricain Robert Paxton – que l’occupantlui laisserait mener à bien la fameuse Révo-lution nationale, seule capable, selon lui, deredresser la France.

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– Ce système d’occupation a-t-il évolué ?– Oui, avec les différentes phases de la

guerre. Deux tournants majeurs : en juin1941, avec l’opération « Barbarossa », Hitlerattaqua l’URSS. À la lutte idéologiquecontre les démocraties, ce conflit ajoutait lalutte à mort contre le communisme, entraî-nant en France l’aggravation de la répression.Puis, en novembre 1942, avec l’opération« Torch », les Anglo-Saxons débarquèrenten Afrique du Nord : la Wehrmacht enva-hit alors la zone sud, puis désarma l’arméed’armistice, échouant à mettre la main surla flotte, puisque celle-ci se saborda àToulon.

– Avec l’invasion de la zone sud, que devintla collaboration d’État ?

– Elle ne fonctionna plus qu’au profit duReich. Vichy avait perdu son dernier atout,son autorité sur plusieurs territoires del’empire colonial gagnés à la « dissidence »,ainsi qu’on appelait à Vichy le ralliement à laFrance Libre du général de Gaulle. Les Fran-

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çais, dans cette guerre devenue « totale »,cessèrent d’être relativement ménagés.

Et, humiliation supplémentaire pour lesFrançais : les Italiens, alliés de l’Allemagne,occupaient dans le même temps la Savoie,les Alpes et le sud-est de la France, àl’exception d’Avignon et Marseille que seréservaient les Allemands.

– Ah bon ! Les Italiens ont aussi été desoccupants ?

– Oui, jusqu’à la conclusion, en sep-tembre 1943, d’un armistice entre les Alliéset le gouvernement italien combattant Mus-solini. Si la politique italienne fut moinsrépressive, voire plus tolérante, en particulierà l’égard des juifs, que celle des Allemands, lapolice secrète fasciste, l’OVRA, a durementsévi contre les résistants.

– Revenons au début de l’Occupation.Comment les Allemands se sont-ils installés ?

– En zone nord, l’occupation militaireest placée sous l’autorité du Militärbefehlsha-ber in Frankreich (MBF), le commandement

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militaire en France, installé à Paris, à l’hôtelMajestic et à la Chambre des députés. Etl’état-major chargé des questions militairesest doublé par un second état-major, admi-nistratif et économique, celui-ci.

Par ailleurs, la Propaganda-Abteilungemployait entre 1 000 et 2 000 personnes.Dirigée depuis Berlin par Goebbels, ce ser-vice de propagande travailla habilement àdonner une image rassurante de la main-mise allemande. Par exemple, dans l’hebdo-madaire Signal, publié dans tous les paysoccupés, parurent des photos montrant desFrançais accueillant avec bienveillance lesvainqueurs. Enfin, Himmler, Reichsführer dela SS, un corps d’élite qui était la policepolitique du régime hitlérien et du partinazi, avait envoyé une équipe à l’origineassez modeste, mais qui ne cessa de s’étof-fer, pour surveiller les ennemis du Reich.

– Et en province ?– En zone nord, chaque ville d’une cer-

taine importance avait sa Kommandanturavec ses services.

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La France des années noires(co-direction avec François Bédarida)

2 volumes, Seuil, 1993et « Points Histoire » n° 281 et 282, 2000

1938-1948, Les années de tourmenteDe Munich à PragueDictionnaire critique

(co-direction avec François Bédarida)Flammarion, 1995

Jean MoulinFlammarion, 2000 et « Champs », 2003

Jean Cavaillès ou La Pensée en actes(co-direction avec Alya Aglan)

Flammarion, 2002

Vivre et survivre dans le MaraisAu cœur de Paris du Moyen Âge à nos jours

Éditions Le Manuscrit, 2005

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NORMANDIE ROTO IMPRESSION S.A.S À LONRAIDÉPÔT LÉGAL : JANVIER 2012. N° 104996 ( )

Imprimé en France

Le Seuil s’engagepour la protection de l’environnement

Ce livre a été imprimé chez un imprimeur labellisé Imprim’Vert, marque créée en partenariat avec l’Agence de l’Eau, l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie) et l’UNIC (Union Nationale de l’Imprimerie et de la Communication).La marque Imprim’Vert apporte trois garanties essentielles :

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