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Concert A Pully, le trompettiste et l’artiste s’allient sur Being Human Being, spectacle en récit graphique et musical. Interviews croisées Le trompettiste Erik Truffaz et le peintre dessinateur Enki Bilal: l’association qui devait déboucher sur le spectacle Being Human Being, présenté demain à l’Octo- gone de Pully, surprend. «C’est Armand Meignan, directeur artistique de festivals, qui a commandé cette création, raconte Erik Truffaz, 53 ans. Il m’a dit: j’aime bien vos deux univers, débrouille-toi!» Restait donc à trouver la bonne ouverture, la ren- contre de deux univers. «Personnellement, je ne suis pas un gros lecteur de BD, avoue le musicien. Mais j’avais lu ce que faisait Bilal au début des années 1980, comme Partie de chasse avec Christin. Enki connaissait mes dis- ques. Il a tout de suite été très enthou- siaste, poursuit le musicien. C’était plus facile que je ne pensais!» Le dessinateur de 62 ans ne dit pas autre chose: «Le con- tact a été immédiat. Peu de mots, des regards.» La gestation limpide de ce «concert graphique» a fini par accoucher d’un «live» avec encore l’electro de Murcof et Dominique Mahut (percussionniste de Jacques Higelin et Bernard Lavilliers), sur fond de projections d’images tirées du riche corpus d’un Bilal installé au poste de contrôle. «Avant que je ne commence à composer, il m’a envoyé un scénario, se souvient Erik Truffaz. En fait, un synopsis qui tenait sur quelques lignes: naissance de l’univers, arrivée de l’humain, chaos, amour et abstraction.» Après quelques échanges et modifica- tion, Being Human Being pouvait trouver Avec Erik Truffaz et Enki Bilal, images et musique font l’amour à l’Octogone sa forme finale mais pas définitive, puis- que le dessinateur peut modifier un cer- tain nombre de paramètres pendant le spectacle. «J’ai une console tactile, précise Bilal, qui me permet de jouer sur la colori- métrie, les demi-tons, le flou ou basculer en négatif les images que j’ai filmées avec une caméra HD.» Pour le trompettiste, qui pratique de plus en plus la composition dans des contextes différents (Avant l’aube avec un ensemble classique et Franz Treichler des Young Gods est programmé en juin au Théâtre du Jorat), ce n’était pas une pre- mière approche puisqu’il avait déjà joué à l’Octogone sur la projection d’un film d’Ozu, en 2004. «C’est très proche de la musique de film. Il y a d’ailleurs un thème récurrent. Il faut trouver une dynamique de contrastes, toujours rester au service de l’image, se retenir, ne jamais passer par-dessus.» Se retenir, comme en amour? «Non, parce que là, il y a toujours un moment où l’on ne se retient plus!» L’amour, il en est pourtant question dans les thématiques de Being Human Being, malgré l’univers inquiétant, si ce n’est glaçant, de Bilal. «Je suis resté proche de celles de mes albums, détaille l’auteur de la Foire aux Immortels. La géopolitique, l’humain, l’hybridité. Et la sensualité du couple. L’amour est ce qui sauve. Je me raccroche à l’humain, au corps, à la sen- sualité comme à la seule bouée qui peut nous sauver d’une globalité géopolitique très sombre. Et encore plus planétaire qu’à l’époque où, avec Christin, nous pré- disions la fin du communisme.» Du côté de Truffaz, l’imaginaire «bila- lien» prend d’autres tournures: «Il a choisi la SF, moi Proust. Il y a des taxis volants avec des mitraillettes, d’étranges paque- bots, et ces femmes somptueuses – qu’il a toutes connues!» Les inconditionnels de l’univers visuel de Bilal trouveront avec Being Human Being une occasion unique de s’y immerger en musique. Le dessina- teur, aussi cinéaste (Bunker Palace Hôtel et Tykho Moon), n’a pas abandonné le sep- tième art. «C’est de plus en plus difficile, mais j’ai deux projets: l’adaptation de ma BD Animal’z et un docu-fiction à partir de l’essai Homo disparitus, d’Alan Weisman.» Boris Senff Pully, Octogone Demain (20 h 30) Rens.: 021 721 36 20 www.theatre-octogone.ch Being Human Being propose de plonger dans l’univers visuel d’Enki Bilal avec la musique d’Erik Truffaz. BILAL Erik Truffaz, trompettiste et compositeur «Il y a des taxis volants avec des mitraillettes, et ces femmes somptueuses – qu’il a toutes connues!» Enki Bilal, dessinateur, peintre et cinéaste «Je me raccroche à la sensualité comme à la seule bouée qui nous sauve d’une globalité géopolitique sombre»

L'Octogone, Théâtre de Pully - Artsacré ......que le dessinateur peut modifier un cer-tain nombre de paramètres pendant le spectacle.«J’aiuneconsoletactile,précise Bilal,quimepermetdejouersurlacolori-

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Page 1: L'Octogone, Théâtre de Pully - Artsacré ......que le dessinateur peut modifier un cer-tain nombre de paramètres pendant le spectacle.«J’aiuneconsoletactile,précise Bilal,quimepermetdejouersurlacolori-

Contrôle qualitéVC3 Contrôle qualitéVC3

ConcertA Pully, le trompettiste et l’artistes’allient sur Being Human Being,spectacle en récit graphiqueet musical. Interviews croisées

Le trompettiste Erik Truffaz et le peintredessinateur Enki Bilal: l’association quidevait déboucher sur le spectacle BeingHuman Being, présenté demain à l’Octo-gone de Pully, surprend. «C’est ArmandMeignan, directeur artistique de festivals,qui a commandé cette création, raconteErik Truffaz, 53 ans. Il m’a dit: j’aime bienvos deux univers, débrouille-toi!» Restaitdonc à trouver la bonne ouverture, la ren-contre de deux univers.

«Personnellement, je ne suis pas ungros lecteur de BD, avoue le musicien.Mais j’avais lu ce que faisait Bilal au débutdes années 1980, comme Partie de chasseavec Christin. Enki connaissait mes dis-ques. Il a tout de suite été très enthou-siaste, poursuit le musicien. C’était plusfacile que je ne pensais!» Le dessinateurde 62 ans ne dit pas autre chose: «Le con-tact a été immédiat. Peu de mots, desregards.»

La gestation limpide de ce «concertgraphique» a fini par accoucher d’un«live» avec encore l’electro de Murcof etDominique Mahut (percussionniste deJacques Higelin et Bernard Lavilliers), surfond de projections d’images tirées duriche corpus d’un Bilal installé au poste decontrôle. «Avant que je ne commence àcomposer, il m’a envoyé un scénario, sesouvient Erik Truffaz. En fait, un synopsisqui tenait sur quelques lignes: naissancede l’univers, arrivée de l’humain, chaos,amour et abstraction.»

Après quelques échanges et modifica-tion, Being Human Being pouvait trouver

AvecErikTruffazetEnkiBilal, imagesetmusique font l’amourà l’Octogone

sa forme finale mais pas définitive, puis-que le dessinateur peut modifier un cer-tain nombre de paramètres pendant lespectacle. «J’ai une console tactile, préciseBilal, qui me permet de jouer sur la colori-métrie, les demi-tons, le flou ou basculeren négatif les images que j’ai filmées avecune caméra HD.»

Pour le trompettiste, qui pratique deplus en plus la composition dans descontextes différents (Avant l’aube avec unensemble classique et Franz Treichler desYoung Gods est programmé en juin auThéâtre du Jorat), ce n’était pas une pre-mière approche puisqu’il avait déjà joué à

l’Octogone sur la projection d’un filmd’Ozu, en 2004. «C’est très proche de lamusique de film. Il y a d’ailleurs un thèmerécurrent. Il faut trouver une dynamiquede contrastes, toujours rester au servicede l’image, se retenir, ne jamais passerpar-dessus.» Se retenir, comme enamour? «Non, parce que là, il y a toujoursun moment où l’on ne se retient plus!»

L’amour, il en est pourtant questiondans les thématiques de Being HumanBeing, malgré l’univers inquiétant, si cen’est glaçant, de Bilal. «Je suis resté prochede celles de mes albums, détaille l’auteurde la Foire aux Immortels. La géopolitique,l’humain, l’hybridité. Et la sensualité ducouple. L’amour est ce qui sauve. Je meraccroche à l’humain, au corps, à la sen-sualité comme à la seule bouée qui peutnous sauver d’une globalité géopolitiquetrès sombre. Et encore plus planétairequ’à l’époque où, avec Christin, nous pré-disions la fin du communisme.»

Du côté de Truffaz, l’imaginaire «bila-lien» prend d’autres tournures: «Il a choisila SF, moi Proust. Il y a des taxis volantsavec des mitraillettes, d’étranges paque-bots, et ces femmes somptueuses – qu’il atoutes connues!» Les inconditionnels del’univers visuel de Bilal trouveront avecBeing Human Being une occasion uniquede s’y immerger en musique. Le dessina-teur, aussi cinéaste (Bunker Palace Hôtel etTykho Moon), n’a pas abandonné le sep-tième art. «C’est de plus en plus difficile,mais j’ai deux projets: l’adaptation de maBD Animal’z et un docu-fiction à partir del’essai Homo disparitus, d’Alan Weisman.»Boris Senff

Pully, OctogoneDemain (20 h 30)Rens.: 021 721 36 20www.theatre-octogone.ch

Being Human Being propose de plonger dans l’univers visuel d’Enki Bilal avec la musique d’Erik Truffaz. BILAL

MimeLe danseur Philipp Eglia pris le relais du fondateurBernie Schurch. Sesimpressions, avant la venuede la troupe à Monthey

Rideau. Après quarante ans pas-sés à jouer les marionnettes ausein de ses Mummenschanz, Ber-nie Schurch a passé le témoin enjuin 2012 à Philipp Egli. Cet ex-dan-seur de la Compagnie de PhilippeSaire revient sur sa nomination àl’occasion du spectacle pour lesfamilles, dimanche à Monthey.

Vous êtes danseur etchorégraphe. En quoi est-ce

utile pour les Mummenschanz?C’est un travail très différentmême si tous deux sont basés surle mouvement. Derrière les mas-ques, il faut trouver ses marques.Lapremière fois qu’on en met un,on se sent tout perdu, voire un

peu ridicule. Mais, en mêmetemps, on sent la fascination.

Quels conseils BernieSchurch vous a-t-il donnés?J’en ai retenu deux. Le premier,«faire moins pour dire plus». Ilvoulait me dire qu’il est très im-portant de ne pas accentuer quel-que chose, de toujours aller vers laréaction suivante. Le deuxième:ne jamais perdre la joie de jouer.Si on ne vit pas à fond un numéro,il ne fonctionne pas.

Comment vous sentez-vousdans votre nouvelle peau?Je fais déjà partie des meubles.Mais, à 48 ans, c’est un peu spéciald’être le plus jeune de la troupe:

LenouveauMummenchanzsesentà l’aiseRénovationPropriété de la Ville deLausanne, la plus vieillesalle de Suisse attendtoujours la Cinémathèque.Daniel Brélaz s’explique

Racheté par la Ville de Lausanneen 2010 en vue de le mettre à dis-position de la Cinémathèquesuisse, le cinéma Capitole ignoreencore quel sera son destin. Caravant de devenir «la vitrine» de laCinémathèque, la salle doit êtrerénovée. Qui paiera? Les repré-sentants de la Municipalité le répè-tent depuis le début: la Confédéra-tion doit mettre la main au porte-monnaie. Pourtant, questionnée à

ce sujet, la nouvelle directrice del’Office fédéral de la culture (OFC),Isabelle Chassot, déclarait hierdans nos colonnes n’avoir reçuaucune demande officielle de laVille (24 heures d’hier). «Il est troptôt pour solliciter la Confédéra-

tion, réagit Daniel Brélaz. Nous leferons lorsque la réflexion sur lefinancement des travaux auraabouti.» Une réflexion qui dure…Voilà près de deux ans qu’un rap-port détaillant les différentes op-tions de rénovation a été remis àla Municipalité. «Depuis 2010,nous avons été pris au piège parune succession de changementsau plan politique et le travail a dûêtre recommencé plusieurs fois»,rappelle Frédéric Maire, le direc-teur de la Cinémathèque, pour ex-pliquer ce délai. Au Départementfédéral de l’intérieur, Alain Berseta succédé à Didier Burkhalter, àl’OFC, Isabelle Chassot a pris laplace de Jean-Frédéric Jauslin. Et àLausanne, le dossier est passé des

Le sort ducinémaCapitole serascellécetteannéeavec mes 25 ans d’expérience descène et mes plus de 50 créations,j’étais considéré comme un vieux!

Qu’est-ce que votrespectacle destiné auxfamilles a-t-il de spécial?Nous avons évité d’y mettre lesnuméros les plus compliqués duspectacle des 40 ans pour incluredes tableaux inédits. En tant quepère de famille, je suis content defaire un pas vers ce public en pro-posant un spectacle plus court etmoins onéreux. C.ROC.

Monthey, CrochetanDi 16 fév. (14 h et 16 h 30)Rens.: 024 475 79 09www.crochetan.ch

La salle de plus de 800 placesdoit être rénovée. CHRIS BLASER

Vu pour vous

Un accueil de 1re classePrésenté cet été à Lo-carno, puis dans les sallesromandes à l’automne(30 000 entrées), Lesgrandes ondes (à l’ouest),de Lionel Baier, prennentle chemin des salles fran-çaises. Bonne surprise, lacritique applaudit cettecomédie sur une équipede reporters suisse tombant enpleineRévolutiondesœilletsportu-gaise. Le Monde salue «un film quine se refuse rien». Pour le pointuPositif, c’est «une réussite mineuremais réelle dans un genre trop sou-vent malmené par les tâcherons etles cyniques». Les Cahiers du Ci-

néma ne pouvaient pré-voir la votation de ce di-manche et s’emballent:«On saisit alors l’actualitéeuropéenne d’un appel àla révolution qui invite àdépasser les réflexes iso-lationnistes.» Bonnes vi-brations dans les fémi-nins,d’Elle à Marie-Claire.

Voir ainsi Grazia: «Les grandes on-des célèbrent la capacité de deuxpayseuropéensàs’entraider».Sice«scoop»aprisduplombdans l’aile,reste ce constat «pour retrouver lesmile en pleine actu grimaçante».Décidément, nul n’est prophète enson pays, etc. C.LE

UneexpoàParisetretourEscapadeC’estnouveau, l’offreTGVLyriaParis retourenunjour.Prix:61 fr.(2e classe)ou122 fr. (1re classe, repasà laplace),audépartdeBâleetdeGenève–tarifssoumisàconditions.LedépartdeLausannen’apasétéretenu, l’entrepriseprivilégiant lestempsdeparcours lespluscourts.JE

www.cff.ch/ticketshop

Balthus censuréExpoLeMuséeFolkwangdelavilleallemanded’EssenaannuléuneexpositiondepolaroïdsdeBalthus,représentantpresquetousunetrèsjeunemodèlephotographiéeà la findesannées1980.DieZeitaparléde«témoignagesd’aviditépédophile»,forçant ladécisiondumusée.FB

En 2 mots

mains de Silvia Zamora, qui aacheté le Capitole, à celles de Gré-goire Junod puis, in fine, du syn-dic. «Ma collègue Silvia Zamoranous a fait un beau cadeau sanss’occuper de la suite», peste Da-niel Brélaz.

Début mars, la situation devraitse clarifier. La Cinémathèque et laVille ont rendez-vous pour ficelerun plan de financement. Une réno-vation devisée à 14 millions defrancs a leurs faveurs. Elle prévoit,outre les travaux indispensablessur le chauffage ou l’isolation, deconstruire une deuxième salle deprojection et d’aménager le hall ducinéma. Reste une inconnue: l’étatréel de la structure. Une expertisedu bâtiment devra être entreprise,

indique le syndic. La Ville et la Ci-némathèque espèrent que Berneet le Canton, réticents jusqu’ici,participeront financièrement. Dessponsors privés pourraient êtresollicités. Pour Frédéric Maire,l’aide fédérale est indispensable:«La Cinémathèque ne doit pas seu-lement archiver les films mais aussiavoir un lieu pour les montrer aupublic!»

Une rencontre avec IsabelleChassot devrait s’organiser cetteannée. Le Conseil communal auraaussi son mot à dire. Bref, les pel-leteuses ne devraient pas faireleur apparition au Capitole avantfin 2015. Et la Cinémathèque en-trer dans son nouvel écrin avant2016-2017. Martine Clerc

Philipp Egli au naturel.

ErikTruffaz,trompettisteet compositeur

«Ilyadestaxisvolantsavecdesmitraillettes,etcesfemmessomptueuses–qu’ilatoutesconnues!»

EnkiBilal,dessinateur, peintreet cinéaste

«Jemeraccrocheà lasensualitécommeàlaseulebouéequinoussauved’uneglobalitégéopolitiquesombre»

Culture&Société Culture SociétéGastro Ciné Conso

Sortir Les gens

Art sacré

LetrésordeSaint-MauricevabrillerauLouvre

Florence Millioud Henriques

Un trésor… Celui conservédepuis 1500 ans dans lesentrailles de l’abbaye deSaint-Maurice l’est pour devrai. Prestigieux, il cumuleles superlatifs. L’un des

plus anciens, l’un des plus complet. «L’undes rares trésors ecclésiastiques médié-vaux, ajoute le professeur d’histoire del’art Pierre-Alain Mariaux, à être restéquasi entier sur le lieu même de sonusage.» Les convoitises, les incendies àrépétition ou encore une falaise mena-çante, rien n’a réussi à l’altérer. Et encoremoins à disperser la collection racontantquinze siècles d’histoire en une centainede pièces. Les chanoines veillant, il n’yavait guère que le Louvre pour faire sortirce trésor de son antre. Le Louvre et… «unheureux hasard», précise Elisabeth Antoi-ne-König, conservatrice en chef au dépar-tement des objets d’art.

Si le vase «apporté par les anges» àsaint Martin pour recueillir le sang desmartyrs et si la relique de la sainte épine,offerte par le roi Saint Louis, trôneront àParis dès le 14 mars, il a aussi fallu toute laforce de persuasion d’Henri Loyrette, an-cien président-directeur du Louvre. «Ils’était fait ouvrir les portes du trésor surle conseil de son ami Léonard Gianadda,raconte la conservatrice, et c’est là qu’ilapprend les gros travaux projetés pourquintupler la surface d’exposition despièces. Plutôt que de les soustraire à lavue en attendant la fin du chantier, HenriLoyrette a dû convaincre les chanoines defaire profiter les visiteurs du Louvre de

leurs merveilles.»Même lancée par le musée le plus

fréquenté du monde (9,2 millions devisiteurs en 2013), l’invitation méri-tait réflexion. «Ce sont des pièces derare orfèvrerie, on vient même dedécouvrir la provenance de pierresafghanes, sri lankaises et égyptiennessur l’une d’elles. Mais ce sont avanttout des reliquaires, tempère Mgr Jo-seph Roduit. Peut-on les déplacer?Ces objets sont des actes de foi réaliséspour évacuer les doutes et brider lesvelléités de rébellion. Autant direqu’ils ne devaient pas quitter l’ab-baye.»

En marge de l’HistoireMoins populaire que ceux de Saint-Pierre ou de Saint-Jacques, le pèleri-nage de Saint-Maurice reste incontour-nable mais son trésor demeure peuconnu du grand public. «Il en a tiré saforce, ose Elisabeth Antoine-König. Leschanoines ont ainsi pu préserver desœuvres magnifiques, parmi lesquellesdes pièces spectaculaires appartenantau haut Moyen Age. Des témoins d’uneépoque désormais introuvables enFrance parce que fondus ou détruits. Jepense notamment à cette aiguière,donnée selon la légende par Charlema-gne, et qui devait très certainementavoir son équivalent à la cathédraleSaint-Denis. C’est dire l’émotion res-sentie devant ces œuvres quasi uni-

ques.» Rare bastion de l’Europe chré-tienne à être resté ouvert sans interrup-tion depuis sa fondation en 515, l’abbayede Saint-Maurice y est pour quelquechose. La ruse de ses chanoines aussi…«Avertis du passage de Napoléon et de seshommes en mai 1800, raconte Pierre-Alain Mariaux, ils ont éparpillé leur trésoret l’ont dissimulé dans la région.» Tout estrentré, sauf… une vierge à l’enfant. Offert

par les plus grands, dont Saint Louis, cetart sacré témoigne encore de petits arran-gements entre seigneurs, comme la statuevotive équestre de saint Maurice offertepar Emmanuel-Philibert de Savoie en1577. «Le duc avait à se faire pardonnerdes ancêtres peu scrupuleux qui avaientpartagé le corps du saint en deux. On estdans la même dynamique, poursuit l’his-torien d’art, avec un document reçud’Humbert III en compensation de l’ar-gent emprunté par sa famille pour finan-cer une croisade.»

L’histoire de ces reliquaires, châsses etaiguières, parfois scellée dans leur pesantd’or, se réveille petit à petit. La premièreétude date de 1872, la seconde de 1974. Latroisième, bientôt publiée, révélera l’exis-tence d’un atelier d’orfèvrerie à l’abbayeet la provenance mongole d’une pièce dela collection. Comment est-elle arrivée là?C’est dans cette même épaisseur histori-que et chronologique que le Louvre achoisi de révéler le trésor de Saint-Mau-rice. Une exposition d’exception pour lacommissaire, Elisabeth Antoine-König,mais assure-t-elle, «c’est promis, on le ren-dra! Vous pouvez l’écrire.»

Paris, Le Louvre (aile Richelieu)Du ve 14 mars au lu 16 juinTlj (9 h-17 h 45) sauf mardiRens.: 0033 1 40 20 50 50www.louvre.fr

«C’estuneexpositiond’exception,maispromis,onrendraletrésor!Vouspouvezl’écrire»Elisabeth Antoine-König,conservatrice en chef au départementdes objets d’art du LouvrePour ses 1500 ans, l’abbaye s’est autorisé une exception: prêter

des œuvres toujours utilisées mais qui n’ont jamais quitté le Valais

Coffretde Teudéric

Ce reliquaire mérovingien daté dela première moitié du VIe siècle est

l’une des pièces les plusimportantes du trésor. Selon les

dernières recherches, il ferait partiedes pièces façonnées par l’atelier

de l’abbaye. Le prêtre Teudéricaurait ordonné de le faire en

l’honneur de saint Maurice.

Vase dit deSaint MartinDe passage à l’abbaye, pour ramenerla relique de saint Maurice, SaintMartin se heurte au refus net deschanoines. Parti prier sur le lieu dumartyre, il plante son couteau et voitsoudain le sang jaillir. A court derécipients pour le récolter, son salutvient des anges qui lui amènent cevase de sardoine (VIe siècle) contrela promesse de ne pas toucher autrésor.

Reliquairede la sainte épineOfferte le 15 février 1262 par SaintLouis à l’abbaye de Saint-Maurice, lasainte épine aurait été détachée de lacouronne du Christ. De récentesanalyses gemmologiques ont révéléla provenance de ses pierres. Ellesviendraient d’Afghanistan, du SriLanka et d’Egypte.

ChefreliquaireL’ouvrage datéde 1160-1165 estun reliquaire desaint Candide,compagnon desaint Maurice.

Découvrezencoreplusdetrésorsdel’Abbayesurwww.st-maurice.24heures.ch

19Le nombre d’œuvresenvoyées à Paris etsélectionnées parmi lacentaine que compte le

trésor de Saint-Maurice. La plusancienne date du VIe siècle, la plusrécente du XVIe. Mais il y aura égale-ment des stèles romaines du Ieret IIe siècle pour évoquer le passéromain avant la christianisation et lafondation de l’abbaye, en 515.

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ABBAYE DE SAINT-MAURICE/JEAN-YVES GLASSEY, MICHEL MARTINEZ

24heures | Mercredi 12 février 201428 24heures | Mercredi 12 février 2014 29

pulryml
Texte tapé à la machine
12.02.2014 24 Heures