Loi de Dieu, loi du Christ et loi de l'Esprit d'après les epîtres pauliniennes: Les rapports de ces trois lois avec la Loi Mosaique

Loi de Dieu, loi du Christ et loi de l'Esprit d'après les epîtres pauliniennes: Les rapports de cestrois lois avec la Loi MosaiqueAuthor(s): A. FeuilletSource: Novum Testamentum, Vol. 22, Fasc. 1 (Jan., 1980), pp. 29-65Published by: BRILLStable URL: http://www.jstor.org/stable/1560530 .

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Novum Testamentum, Vol. XXII, fasc. I

LOI DE DIEU, LOI DU CHRIST ET LOI DE L'ESPRIT D'APRtS LES EPITRES

PAULINIENNES Les rapports de ces trois lois avec la Loi Mosaique

PAR

A. FEUILLET Paris

Le mot ,,loi" (v6o4) est d'une frequence extreme dans les deux

fpitres aux Galates et aux Romains, 'troitement apparent'es l'une A l'autre, ce qui semblerait indiquer que chronologiquement la premiere n'a priced6 que de peu la seconde 2). Par contre le mime mot est totalement absent des deux epitres aux Thessaloni- ciens, de la seconde 6pitre aux Corinthiens, de la seconde 6pitre

'

Timoth'e et de l'6pitre a Tite. Abstraction faite de He oih il est assez frequent, il est rare dans le reste du Corpus paulinien: 6 fois dans I Co, 3 fois dans Ph, une fois dans Eph, 2 fois dans I Tm. Nous avertissons une fois pour toutes que, pour eviter des com- plications, nous &crivons d'ordinaire le mot loi sans majuscule 2).

Une fois seulement Paul parle de la loi de Moise (I Co ix 9), formule assez frequente dans le reste du Nouveau Testament. Presque toujours, pour designer la Tora, l'Ap6tre dit simplement ,,la loi" sans rien ajouter. Mais quelquefois ce terme regoit des precisions qui en modifient le sens. C'est ainsi qu'en Rm iii 27 il est question de "la loi des oeuvres" A laquelle est opposee ,,la loi de la foi"; qu'en Rm vii 23, 25 nous entendons parler de ,,la loi

1) Nous inclinons h penser que l'6pitre aux Galates a 6t6 6crite apres les deux 6pitres aux Corinthiens et donc qu'elle a pr6c6d6 imm6diatement l'6pitre aux Romains. On peut lire h ce sujet la d6monstration convaincante de U. BORSE, Der Standort des Galaterbriefes, K61n, 1972. F. MUSSNER fait sien pour l'essentiel le sentiment de Borse, Der Galaterbrief, Freiburg-Basel- Wien, 1974, p. 9-11.

2) Sur l'emploi du mot v6tzoq dans saint Paul, cf. TWNT IV, art. v6toq (W. GUTBROD), CO1. 1061-1070. Parfois Paul d6signe par le mot v6vog tout le Pentateuque, voire tout l'Ancien Testament: par exemple en Ga iv 21, la question ,,n'entendez-vous pas la loi" se rapporte au r6cit de la Genese expliqu6 aussitot aprds; en i Co xiv 21 les mots ,,il est 6crit dans la loi" introduisent une citation d'Is xxviii 11-12.



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du peche" et de ,,la loi de la raison" et en vii 2 de ,,la loi du mari" a laquelle la femme se trouve soustraite si l'homme meurt.

Ce sont trois de ces precisions apporties au mot ,,loi" qui feront l'objet de la presente enqu~te: que signifient dans les epitres pauliniennes la loi de Dieu, la loi du Christ et la loi de l'Esprit et quels sont les rapports de ces trois lois avec la loi mentionnee sans aucune determination, c'est-a-dire avec la loi mosaique? On peut dire que ces problemes ont assez peu retenu jusqu'ici l'attention des exegetes. Pourtant, ainsi qu'on va le voir, la solution qu'on leur apporte est de grande importance pour une intelligence ap- profondie de l'&thique paulinienne en general ainsi que de ses rapports avec l'Ancien Testament et avec l'enseignement moral de J6sus.

I0) LA LOI DE DIEU

Il est question de la loi de Dieu en quatre passages; les voici: I Co ix 21: ,,Je me suis fait un sans-loi avec les sans-loi, moi qui ne suis pas sans une loi de Dieu, 6tant sous la loi du Christ, afin de gagner les sans-loi"; Rm vii 22-23: ,,Je me complais dans la loi de Dieu du point de vue de l'homme interieur, mais j'apergois une autre loi dans mes membres qui lutte contre la loi de ma raison et m'enchaine A la loi du peche qui est dans mes membres" 3); Rm vii 25: ,,C'est donc bien moi qui, par la raison, sers une loi de Dieu, et par la chair une loi de pech&"; Rm viii 6-8: ,,Car la tendance de la chair, c'est la mort, tandis que la tendance de l'esprit, c'est la vie et la paix; c'est pourquoi la tendance de la chair est ennemie de Dieu; elle ne se soumet pas

" la loi de Dieu, elle ne le peut meme pas, et ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire

"

Dieu" 4). Comme on le voit, chacune des quatre mentions de la loi de

Dieu est situee en un contexte different. Or c'est seulement en raison de ce contexte qu'on peut d6finir ce qu'est la loi de Dieu. Nous devons faire porter notre recherche avant tout sur Rm vii 22-23, apris quoi la determination du sens des autres textes ne sera plus qu'un jeu d'enfant.

On ne peut 6tablir le sens de vii 22-23 sans rappeler les vives

3) Au lieu de "la loi de Dieu", le Vaticanus porte ici "la loi de la raison (v6o4)", legon isol6e qui n'est pas retenue par les critiques et doit provenir d'une assimilation avec le verset qui suit.

4) Nous modifions ici 16gerement la traduction de la Bible de J6rusalem.



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discussions qu'a provoqu6e dans l'antiquit' et que soulve toujour- l'interpretation de Rm vii 7-25. Ce developpement comporte luis meme deux pericopes distinctes: les vv. 7-13 oi les verbes sont d'ordinaire au pass6, et les vv. 14-25 ohi au contraire les verbes sont constamment au present' Le sens exact de chacune de ces pericopes est tres discute; nous ne rapporterons de ces controverses, souvent fort compliquies, que ce qui concerne directement l'objet de notre etude; sur plusieurs points nous nous &carterons notablement de ce que nous avons soutenu dans des etudes anterieures 5), ce qui ne saurait surprendre quiconque est au courant de la difficulte ex- trime de ces textes.

Le sens du mot loi en Rm vii 7-13 Dans cette pericope qui commence par l'interrogation: ,,la loi

est-elle peche ?" on se demande de quelle loi il s'agit. La solution donnee A ce probleme nous importe au plus haut point, car c'est d'elle que nous partirons pour fixer le sens de l'expression ,,loi de Dieu" en Rm vii 22.

Maintes fois en Rm vii 13 le mot loi a ete entendu exclusivement de la loi mosaique. Quelques interpretes ont voulu faire de ce passage un simple complement de vii 1-6: apres avoir proclame l'abrogation de la loi mosaique, Paul nous dirait le pourquoi de cette abrogation 6). D'autres fois on a suppose qu'en vii 7-13 Paul decrirait deux etats successifs de l'humanite: avant et apris l'intervention de la loi mosaique 7). Ou bien encore on a parlk d'une veritable apologie de cette meme loi mosaique 8).

5) Il s'agit des 6tudes suivantes: Le plan salvifique de Dieu d'apres l'Epitre aux Romains, Revue Biblique LVII (1950), p. 370-375; La citation d'Habacuc 2, 4 et les huit premiers chapitres de l'Epitre aux Romains, New Testament Studies VI (1959-1960), p. 6o-61; Le Rdgne de la mort et le Rdgne de la vie (Rm V, 12-21), Revue Biblique LXXVII 1970, p. 506-507.

6) On peut lire en ce sens par exemple F. PRAT, Thdologie de saint Paul, Paris, 1934, t. I, p. 271 sq.; A. NYGREN adopte une position analogue et se fait l'id6e suivante de la structure de Rm v-viii: le chapitre v traiterait de la lib6ration de la colere, le chapitre vi de la lib6ration du p6ch6, le chapitre vii de la lib6ration de la loi, le chapitre viii de la lib6ration de la mort: Der Rdmerbrief, G6ttingen, 1959, p. 30. Cf. pareillement N. GAUMANN, Taufe und Ethik. Studien zu R6mer 6, Miinchen, 1967, p. 23. Pour une critique de cette position, cf. U. Luz, Zum Aufbau von Rdm i-8, dans Theologische Zeitschrift 25 (1969), p. 164-165.

7) Rm vii 9: "En l'absence de loi je vivais" est entendu par CHRYSOSTOME de l'6tat qui a pr6c6d6 la loi de Moise (PG 6o, 501). Tout le passage est appliqu6 & cette p6riode de 1'histoire de l'humanit6 par W. GRUNDMANN,



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Aucune de ces solutions ne donne pleine satisfaction. A propos de la derniere d'entre elles, E. KASEMANN fait observer justement que si le motif apologetique apparait bien en vii 12-13, (il y est parle de la saintete et de la bont6 intrinseques de la loi), c'est surtout la puissance malkfique du Pech6 quasi personnifie qui est soulign'e, ce qui est une preparation de vii 14-25 oh il ne s'agit plus que de cette puissance du Peche, la loi passant tout a fait a l'arriere-plan 9).

Par ailleurs l'emploi du mot ,,commandement" (eivroX') A c6te du mot ,,loi", et cela six fois de suite en vii 7-13, comme aussi les nettes allusions au drame du paradis terrestre aux vv. 9-II, sug- girent que la loi mosaique n'est pas seule visee. Et quand Paul affirme ,,je n'ai connu le pech6 que par la loi" (v. 7) et ,,en l'absence de la loi je vivais" (v. 9) 10), peut-il se referer par ces declarations & l'histoire de l'humanite du deluge & Moise, periode qui serait ainsi presentee comme exempte de pech6 ? Une telle these est trop contraire aux faits et & 1'I~criture elle-m~me pour &tre vraisemblable sous la plume de Paul 11).

A cause des reminiscences du chapitre 3 de la Genise, visibles surtout au v. II, oh l'affirmation ,,le Peche me seduisit" semble bien 6tre une transposition de la parole d'Eve: ,,Le serpent m'a seduite" (Gn 3, 13: dans la Septante &OM'v, chez Paul e~o iv) plusieurs interpretes anciens et modernes ont cru que Rm vii 7-13 viserait la chute d'Adam et d'Eve au paradis terrestre 12).

TWNT, I, art. &op'roCivo, p. 313-314 (avec en mime temps une r6f6rence '

l'exp6rience personnelle de Paul), E. STAUFFER, TWNT, II, art. iyco, p. 356-360; P. BENOIT, La loi et la Croix d'aprys saint Paul: Rm VII, 7 - VIII, 4, dans Revue Biblique XLVII (1938), p. 481-509, ou bien dans Exdgdse et Thdologie, Paris, 1961, t. II, p. 9-40; (c'est A cet ouvrage que nous renvoyons dans les citations qui suivent); J. HUBY, Epitre aux Romains, Paris, 1941, p. 240-251.

8) Avec plus ou moins d'insistance, de nombreux auteurs ont soutenu cette idWe. Citons W. G. KtMMEL, RBmer 7 und die Bekehrung Paulus, Leipzig, 1929, p. 9-1o; R. BULTMANN, R5mer 7 und die Anthropologie des Paulus, Imago Dei (Festschr. G. Kriiger), 1932, p. 58-59; O. Kuss, Der Rimerbrief, Regensburg, 1959, p. 451-452. E. BRANDENBURGER, Adam und Christus, Neukirchen, 1962, p. 206 etc...

9) An die R6mer, Tiibingen, 1973, p. 183. 10) Ainsi traduit fort heureusement la version cecum6nique du Nouveau

Testament. Il1 est inadmissible d'entendre ici le verbe "vivre" en un sens affaibli: j'existais, je me trouvais 6tre sans loi. Cf. P. BENOIT, La loi et la Croix, dans ExdgJse et Thdologie, t. II, p. 16, n. 2.

11) Cf. sur ce point S. LYONNET, Les dRapes du mystdre du salut d'aprys l'Epitre aux Romains, Paris, 1969, p. 116-121.

12) Citons quelques noms: chez les anciens Grecs: MATHODE (PG 18, 296-



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Mais si les allusions a ce drame sont incontestables (ce sont elles qui expliquent le mieux la fagon dramatique de presenter le Pech6 sous l'aspect d'une force personnifi&e qui, tel le serpent de la Genese, cherche a 'tablir du dehors sa domination sur l'homme), il est impossible qu'ici, a la difference de Rm v 12-14, ce soit ce drame primitif qui soit directement decrit. Dans notre passage le sujet des verbes n'est pas ,,Adam", mais ,,je". En outre, comme le note P. Althaus, a supposer que Paul ait song6

' la condition originelle de l'homme au paradis terrestre, comment aurait-il pu caracteriser ainsi cette situation: ,,sans loi le Pech6 est mort" (vii 8)? Une telle formule ne se congoit que pour un monde oh le Peche a dej a fait son entree et pour une humanit6 qui deja ressent les effets de la chute d'Adam 13). Pareillement la presentation du PNch' sous la forme d'une Puissance mauvaise qui sort de son assoupissement et ,,reprend vie" (v. 9) implique que deja elle a exerce une premiere fois son action nefaste 14).

En tenant compte des observations qui viennent d'&tre faites on aboutit a une explication tres nuancee. Sans nul doute la loi mosaique est vis&e en vii 7-13: n'est-ce pas a elle (Ex xx 17) qu'est emprunte le precepte allkgue au v. 7: ,,Tu ne convoiteras pas"? De plus il existe un parall6lisme certain entre l'intervention de la loi mosaique en v 20 et l'entree en scene du precepte en vii 9. Cependant la loi mosaique n'est pas seule en cause, ainsi que le montre la reference k l'histoire du paradis terrestre.

Il semble qu'il faille dire ceci: s'il n'est pas exact de soutenir

297), THEODORE DE MOPSUESTE (PG 66, 807-810), TH]EODORET (PG 82, 117); au XVIe siecle: CAJETAN; parmi les modernes: S. LYONNET, Les dtapes du mystere du salut, p. 121-137; E. KaSEMANN, An die Rdmer, p. 186: ce qui est dit en vii 9-11 ne s'applique rdellement qu'& Adam. Il faut distinguer clairement de cette position celle qui se contente d'affirmer, avec plus ou moins d'insistance que Paul fait allusion h Adam. Cf. par exemple, parmi beaucoup d'autres, F. G. LEENHARDT, L'Epitre de saint Paul aux Romains, Neuchatel-Paris, 1957, p. 106-107.

13) Der Brief an die R'mer, G6ttingen, 1949, p. 63. 14) J'avoue ne pas voir pourquoi il faudrait traduire en vii 9: ,,Quand le

pr6cepte est venu, le P6ch6 a pris vie" (Bible de Jdrusalem, Bible de Osty, Traduction Oecuminique du Nouveau Testament). Cette version n6glige le sens normal de &vo&ico qui est "reprendre vie," soit au propre (Rm xiv 9; Ap xx 5), soit au figur6 (Le xv 24). Ce sens attest6 par la Vulgate (peccatum revixit) est maintenu par la plupart des interpretes de l'6pitre aux Romains: par exemple Lagrange, Huby, Leenhardt (cf. son commentaire p. io8, note I); P. BENOIT (art. laud, p. 27): ,,De mort qu'il 6tait, l'ennemi a rev6cu (v. 9); il a profit6 du message bon en soi (v. 13) ... pour se montrer tel qu'il est".

3



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qu'en ce passage Paul ferait abstraction de l'histoire 15), on doit en tout cas reconnaitre qu'il la transcende, car ce qui s'est passe aux origines de l'humanite ou lors du don de la loi mosaique se r#p0te d'une certaine fagon dans 1'existence de chaque homme mis en presence d'une loi divine positive. KASEMANN n'a donc pas tort d'affirmer qu'aux yeux de l'Ap6tre des Gentils le sort de chaque homme s'est trouv4 comme prefigure en celui d'Adam 16).

Volontiers nous ferions n6tre cette exegese proposee par Lagran- ge 17): Paul suppose un homme pleinement responsable, mais qui a l'innocence d'un enfant, ce qui est la vie par rapport

' Dieu (cf. le ,,je vivais" du v. 9). Une telle innocence ne peut 6tre d'ailleurs que relative, puisque cet homme participe A la decheance d'Adam (cf. Rm v 12-14). Quand il est mis en presence du precepte divin, le Peche, puissance hostile jusqu'alors endormie, se riveille et prend occasion du precepte pour exciter la convoitise mauvaise, source de toute faute.

Si tel est le sens du texte, l'argumentation de l'Ap6tre en Rm vii 7-13 s'applique a toute loi divine positive, quelle qu'elle puisse etre. Le P. Prat, qui ne songe qu'8 la loi mosaique, se fait a lui- mime cette objection que les affirmations de Paul pourraient 6tre dirigees contre la loi de grace elle-m~me. Il se contente de repondre: ,,Cette loi de grace, comme son nom l'indique, porte en elle-mime son antidote, puisque la grace y est inherente ' la loi. Au contraire la grace s'ajoutait

' la loi mosaique comme un element extrins&- que" 1s). Cette reponse n'est pas satisfaisante; Langrange dit fort bien: ,,Que la grace abonde dans le nouvel ordre, cela est constant, mais on ne voit pas qu'elle soit inherente a la loi morale, ou & la loi par exemple du jeiXne. La loi en elle-m6me, demeure toujours loi, et c'est de la loi en elle-mime que parle saint Paul" 19).

Apres ce long detour, nous pouvons revenir a la question posse au debut de ce paragraphe: puisque d'une part il y a un lien evident, voire tres 6troit, entre Rm vii 14-25 et vii 6-13 et puisque d'autre part en Rm vii 6-13 la loi dont parle saint Paul englobe toute loi divine positive, sans excepter celles qui sont imposees aux chretiens,

15) C'est ce que pr6tend W. G. KOMMEL dans l'opuscule cit6 h la note 8. 18) An die Rimer, p. 187: ,,Nach Adam ist jeder Mensch in das Geschick

des Protoplasten verflochten, wurde sein Geschick in diesem vorweg- genommen".

17) Epitre aux Romains, Paris, 1950, p. 168. 18) La Thdologie de saint Paul, t. I, p. 278. 19) Epitre aux Romains, p. 165.



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c'est-A-dire celle, que nous 6tudierons plus loin sous le nom de loi du Christ, il faut conclure que la loi de Dieu de Rm vii 22 a au moins la mime extension: elle englobe, elle aussi, toute loi divine positive, y compris la loi du Christ. Mais le contexte immediat de Rm vii 22 ne suggere-t-il pas quelque chose de plus?

L'identification de la personne mise en scene en 7, 14-25 La reponse a la question que nous venons de poser depend de la

solution apportee A ce probleme toujours tres Aprement discute6: quel est le heros du drame poignant decrit en ce passage ? En d'autres termes qui est cet homme, ce ,,moi", qui, tout en se complaisant dans la loi de Dieu, ,,ne fait pas le bien qu'il veut et fait le mal qu'il ne veut pas" ? Deux interpretations differentes de ce texte ont ete proposees tour a tour par saint Augustin, et ces deux exegeses divergentes se retrouvent pareillement chez les commentateurs modernes.

Avant la controverse pelagienne saint Augustin a applique ce tableau & l'homme non regendre. Mais ensuite, afin de mieux refuter les pelagiens qui s'autorisaient de ce passage pour pretendre que l'homme sans la grAce peut se complaire dans la loi de Dieu (Rm vii 22), l'Fveque d'Hippone a entendu le mime tableau du chretien qui connait toujours la lutte entre la chair et l'esprit, concritement de Paul converti 20). Saint Thomas d'Aquin reproduit les deux explications de saint Augustin tout en declarant la seconde meil- leure que la premiere. De cette seconde explication Luther a tire la conclusion que l'homme justifie n'est pas transforme interieure- ment, qu'il est a la fois ,,juste et pecheur" 21).

La majorite des exegetes modernes, aussi bien protestants que catholiques, se prononcent en faveur de la premiere explication de saint Augustin; ils estiment donc qu'il s'agit en tout ce passage de l'homme non encore regendre. Les arguments qu'ils invoquent semblent au premier abord decisifs. Alors qu'en Ga v 16-23 et Rm v 8-13 il est question de l'antagonisme entre la chair et le 7v~ipOc qui est l'esprit de l'homme regendre par 1'Esprit divin (Hlv~eoc) au contraire en Rm vii 23-25, ce qui est oppose & la chair, ce n'est pas le nVEsiLc, mais le volc, c'est-a-dire la raison. En outre la langage de Rm vii 14-25 rappelle plusieurs fois des textes palens. On peut

20) Cf. 1'historique de l'ex6ghse de saint Augustin dans S. LYONNET, Les dtapes du mystere du salut, p. 141-150.

21) Cf. S. LYONNET, p. 150-154.



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citer par exemple ce vers bien connu d'Ovide (Metam. VII, 19): Video meliora proboque, Deteriora sequor, ou bien encore ce texte d'Epictite qui est presque celui de Paul materiellement du moins, car son sens profond differe: ,,Le pecheur ne fait pas ce qu'il veut, et il fait ce qu'il ne veut pas" (Dissert. II, 26). Il y a encore ceci: s'il est vrai qu'en d'autres 'pitres pauliniennes (2 Co iv 16; Ep iii 16) ,,l'homme int'rieur" est 1'homme nouveau, ,,l'homme interieur" de Rm vii, 22 est A rapprocher de Platon (Rep. IX, p. 589), oii la mime expression sert a designer une r6alite purement humaine, et cela en un contexte curieusement apparente a celui de Rm vii 22-23: en effet dans les deux cas il s'agit de la lutte de l'homme interieur contre les mauvais instincts, que Platon compare " des bates feroces ou plus exactement a ,,un monstre " formes et a tetes multiples" 22).

On laisse parfois entendre que la seconde explication de saint Augustin qui rapporte vii 14-25 aux chr6tiens serait aujourd'hui presque abandonnie. Ce n'est pas exact. Les auteurs qui soutiennent cette exegese sont certes une minorite, mais qu'il n'est pas permis de tenir pour negligeable. Nous avons releve les noms sui- vants: K. BARTH, A. NYGREN, H. ASMUSSEN C. K. BARRETT,

J. MURRAY. Il faut encore ajouter une monographie de J. I. PAC- KER 22). La mime interpretation est defendue avec une grande vigueur dans le commentaire tout recent de C. E. B. CRANFIELD 24), et c'est de lui surtout que nous allons nous inspirer. Cet exegete

22) Lagrange affirme: la ressemblance est ,,saisissante..., assez 6troite pour qu'on soit inclin6 h admettre une d6pendance directe ou indirecte de s. Paul" (p. 178). Voici quelques lignes de ce texte de Platon, trop complexe pour qu'on puisse le reproduire ici en son entier: ,,Disons maintenant h celui qui pr6tend.. qu'il ne lui sert de rien de pratiquer la justice que sa pr6tention revient - dire qu'il lui est avantageux de nourrir avec soin et de fortifier la bete aux cent formes..., d'affamer au contraire et d'affaiblir l'homme", de sorte qu'il sera entrain6 oii elle voudrait.... ,,Au contraire dire qu'il est utile d'ftre juste, c'est dire qu'il ne faut rien faire, qu'il ne faut rien dire qui n'assure - l'homme int6rieur les moyens de dominer I'homme entier". (Traduction E. CHAMBRY, La Rdpublique (livres VIII-IX) Soci6t6 d'Edition ,,Les Belles Lettres", Paris, 1948, p. 76).

23) Voici le d6tail de ces r6f6rences: K. BARTH, Der Rimerbrief, Miinchen, 1922; A. NYGREN, Der Ramerbrief, G6ttingen, 1951; H. ASMUSSEN, Der Ramerbrief, Stuttgart, 1952; C. K. BARRETT, A Commentary on the Epistle to the Romans, London, 1957; J. MURRAY, The Epistle to the Romans, Grand Rapids, 1967; J. I. PACKER, The Wretched Man in Romans 7, Studia Evan- gelica II (1963), p. 621-627.

24) The Epistle to the Romans, vol. I: Introduction and Commentary on Romans 1-8, Edinburgh, 1975.



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allegue en sa faveur, non seulement Luther et Calvin, mais encore plusieurs auteurs anciens: chez les Grecs Methode (PG 18, 299-300), chez les Latins Ambroise (PL 14, 467), l'Ambrosiaster (PL 17, 111-116), et naturellement Augustin. Mais il se r&clame specialement du commentaire de Thomas d'Aquin dont il fait le plus grand eloge 25).

Voici les arguments les plus percutants invoques a l'appui de cette exeg'se. Les sentiments attribues par Paul au ,,moi" qu'il fait parler en vii 14-25 paraissent trop 6leves et trop d6licats pour ktre ceux d'une paien, surtout quand on se souvient de la peinture du paganisme que nous donne le debut de l'6pitre aux Romains. En particulier comment harmoniser d'une part ce qui nous est dit en Rm vi 17-20 des Romains non encore convertis: ils etaient esclaves ou serviteurs (8o0XoL) du pech6 (vv. 17 et 20), ils avaient asservi (8o6Ax) leurs membres a l'impurete (v. 19), et d'autre part ce que nous apprend de lui-meme l'homme mis en scene en vii 14-25: il veut le bien et hait le mal (vv. 15-20), il se complait dans la loi de Dieu selon l'homme interieur (v. 22), par sa raison il sert (8ouXS'60) la loi de Dieu (v. 25) ? Au reste n'est-il pas tentant de penser que ,,l'homme interieur" de vii 22 est l'homme nouveau tout comme celui de 2 Co iv 16 et de Ep iii 16? II y a encore ceci qui est tris significatif: dans cette pericope les verbes sont constamment au present, ce qui suggere que le combat interieur decrit par l'Ap6tre est une realite toujours actuelle. Et n'est-ce pas li le sens le plus normal du verset final (v. 25) ,,Ainsi donc je suis (maintenant encore) le meme homme qui, par la raison, sers la loi de Dieu, mais par la chair la loi du p6che".

Nous avouons etre beaucoup moins convaincu quand, a la suite de O. MICHEL 26), Cranfield soutient qu'en tout ce passage Paul decrirait une experience liee A sa propre personne. Nous pr6ferons 1'explication la plus habituelle qui considere le ,,moi" de cette pericope comme une figure de rhetorique. KASEMANN croit pouvoir allUguer les Psaumes bibliques et les hymnes (Hodayot) de Qumran oh le ,,je" designait souvent une collectivit 27). En tout cas,

25) The Epistle to the Romans, p. 345, n. 5. L'61oge tres appuy6 du commentaire de Thomas d'Aquin sur l'6pitre aux Romains se lit aux pp. 36-37, et il commence ainsi: "One does not have to read very far in it to realize that one is observing in immensely powerful intellect at work".

26) Der Brief an die Ramer, G6ttingen, 1966, p. 170: ,,Von einer an seine Person gebundene Erfahrung".

27) An die Rdmer, p. 182. Au moins dans les Psaumes, la th6orie du ,,moi"



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comme 1'explique P. BENOIT, le ,,moi" de vii 14-25, c'est ,,l'homme comme tel et vu dans son caractere specifique de personne auto- nome et responsable" 28).

Que doit-on tirer de l'expose que nous venons de faire? Il faut en conclure au moins ceci que l'exegese la plus courante de Rm vii 14-25, qui rapporte ce tableau exclusivement

' l'homme non

regenere, a le tort de ne pas tenir compte de plusieurs 4lments tres importants du texte. Cela veut-il dire qu'elle soit a rejeter? Certainement pas, et ici nous nous separons de CRANFIELD, Saint Augustin ne s'&tait pas trompe dans sa premiere explication, ni non plus saint Thomas qui en maintient la lgitimit&. Car c'est bien " l'homme dechu et non encore transform4 par la grace que fait songer la premiere lecture du texte. L'aveu du v. 14: ,,Je suis charnel, vendu au pech&" oriente fortement la pensee dans cette direction, car il est certain que l'action de l'Esprit Saint decrite en Rm 8 tend a attenuer de plus en plus chez les chretiens la lutte contre leurs mauvaises tendances, lutte qui les asservit, car elle entrave l'orientation fondamentale de leur etre vers Dieu. Chez les saints la victoire de l'homme interieur s'affirme avec eclat, meme s'il est vrai qu'elle demeure toujours perfectible. C'est 1a pour nous un motif de plus de recuser l'hypothese selon laquelle en Rm vii 14-25 l'Ap6tre nous ferait des confidences sur son 6tat d' me actuel de chretien.

Mais voici l'autre aspect du probleme: comment une exegese equilibr'e pourrait-elle ne pas prendre en consideration les arguments si forts invoques par Cranfield? Ces arguments imposent de croire, A notre avis, que le tableau trace par Paul est aussi universel que possible et qu'il s'applique egalement aux chretiens chez lesquels se continue en effet la lutte entre la raison et les passions. Dira-t-on que les mots: ,,Je suis charnel, vendu au pzch'" ne sauraient s'appliquer A des chretiens? Mais repond CRANFIELD 29), ce sont les hommes les plus 4pris de perfection qui ont le sens le plus aigu du peche, la conscience la plus vive des exigences divines et de leurs propres manquements. Un philosophe grec (Aristote, si je ne me trompe) a fait observer que ce sont les justes qui con- essentiellement collectif est fort exag6r6e, mais il est certain, h tout le moins, que le psalmiste qui dit ,,je" ne s6pare pas sa cause de celle de ses coreli- gionnaires.

28) La Loi et la Croix, p. 13. Cf. 6galement H. SCHLIER, Der R6merbrief, Freiburg, 1977, p. 221.

29) The Epistle to the Romans, I, p. 346-347.



LOI DE DIEU 39

naissent le mieux le mal moral: ils connaissent ' la fois la vertu et son contraire.

Veut-on un indice supplmentaire que cette position exegetique, en apparence nouvelle, en realite conforme aux vues de saint Augustin et de saint Thomas, est la seule qui fasse droit a toutes les donnees du texte paulinien? Cet indice nous est fourni par les vv. 24-25

' propos desquels nous faisons n6tres les remarques per-

tinentes de CRANFIELD 30). Au v. 24 on lit cette interrogation an- goissee de l'homme divise contre lui-meme: ,,Malheureux homme que je suis! Qui me d6livrera de ce corps qui me voue a la mort? ,,Sous forme d'action de graces, le v. 25a fournit la reponse: ,,GrAces soient rendues ' Dieu par Jesus-Christ notre Seigneur!" En d'autres termes le Christ apporte aux chretiens la liberation de cet etat douloureux. Mais, ~ supposer que cette delivrance s'identifie entierement avec l'entree dans la vie chretienne, comment se fait-il qu'aussit6t apris, le v. 25b la presente comme non encore realisie et reprenne le theme de la division interieure de l'homme, division toujours actuelle? ,,Ainsi donc je suis le meme homme qui par la raison sers la loi de Dieu, mais par la chair la loi du pech'".

Pour remedier a ce qui paraissait ktre une incoherence, on a eu recours A ce qu'il faut bien appeler des expedients 31):. par exemple on a suppose que ce v. 25b se lisait primitivement avant l'exclama- tion du v. 24 ou encore qu'il s'agriait 1a d'une observation marginale faite par un scribe ou par Paul lui-m~me, observation qui aurait ensuite penetr6 dans le texte. La solution de cette difficulte est bien plut6t celle-ci: la lutte interieure decrite en Rm vii 14-25 ne cesse pas avec l'entree dans la vie chretienne; elle perdure chez l'homme regenere, mime s'il est vrai que normalement elle tend a s'attenuer.

Ce qu'est aux yeux de Paul la loi de Dieu La conclusion A laquelle nous venons d'aboutir au sujet de Rm

vii 14-25 n'a rien qui puisse surprendre apres ce que nous avons deja dit plus haut de la pericope qui precede immediatement a savoir vii 7-13. Dans les deux cas Paul transcende l'histoire de

30) The Epistle to the Romans, I, p. 345. 31) Sur ces conjectures cf., par exemple W. G. KijMMEL, Rdmer 7 und die

Bekehrung des Paulus, p. 67-68; S. LYONNET, Exegesis Epistolae ad Romanos (cap. V ad VIII), Romae, 1966, p. 140-141; A. VIARD, Ep~tre aux Romains, Paris, 1973, P. 168. H. SCHLIER parle d'une glose non paulinienne: Der Rdmerbrief, p. 235.



40 A. FEUILLET

l'humanitd, et ce qu'il dit s'applique a tout homme sans exception. La difference entre vii 7-13 et vii 14-25 est la suivante: le premier passage vise tout homme: le chretien aussi bien que le Juif, quand il est mis en face d'une loi divine positive; le second passage est plus universel encore, puisqu'il ne parle que de ,,la loi de la raison" (vii 23, 25) qui, proposant k l'homme le bien A accomplir, s'oppose par 1& a ,,la loi des membres" ou a ,,la loi du pech'": l'Ap6tre a donc en vue tout homme, soit le paien, soit le chretien, car tout homme, quel qu'il puisse etre, connait la lutte entre la raison et les bas instincts.

A partir de l1 nous pouvons preciser ce qu'est la loi de Dieu dont il est question en vii 22-23. En nous appuyant sur vii 7-13 nous avons dit qu'elle englobe toutes les lois divines positives, A com- mencer par la loi mosaique; en nous autorisant de vii 22-23, oh la loi de Dieu est mise en rapport etroit avec la loi de la raison, comme s'opposent l'homme interieur et la loi du peche, nous devons ajouter maintenant que la loi de Dieu inclut egalement ce que nous avons pris l'habitude d'appeler la loi naturelle. Il n'y a

" cela rien d'etonnant, puisque Rm ii 13-16 enseigne que la loi de la raison, inscrite a l'interieur de tout homme et connue par la conscience, est un veritable equivalent de la loi mosaique pour les Gentils qui n'ont pas b6nefici4 de la revelation 32). Par sa raison ou par sa conscience l'homme connait quelque chose de la loi de Dieu.

32) En Rm ii 13, saint Paul d6clare que ce sont les vrais observateurs de la loi qui seront justifi6s, et au verset suivant il enseigne que les paiens qui accomplissent les pr6ceptes de la loi ,,montrent la r6alit6 de la loi 6crite dans leur coeur". De 1'avis de la majorit6 des interpretes, ce passage affirme non seulement l'existence d'une loi naturelle inscrite dans les coeurs, mais encore la possibilitd trys rdelle pour les paiens de se sauver par la seule observation de cette loi naturelle. Il y a autre chose encore. Ce texte de Rm ii 13-16 parait bien impliquer pour les paiens une participation, d'ailleurs tres imparfaite, t ce qui est, selon J6r6mie (xxxi 31-34), la grande caract6ristique de la nouvelle alliance: l'inscription de la loi divine dans les coeurs. Il r6sulte de 1l que, si les paiens se sauvent par la simple observation de la loi naturelle, ce n'est pas sans le secours de la grace divine. Telle est la r6ponse qu'il convient de faire aux p61lagiens, qui, en se r6clamant de Rm vii 22, 25 soutenaient, c L'encontre d'Augustin, que le pafen, par ses seules forces naturelles, peut se complaire dans la loi de Dieu. Sur ce probleme tres important, cf. J. RIEDL, Das Heil der Heiden nach Rm 2, 14-16, 26-27, M6llin bei Wien, 1965; A. FEUILLET, Le Prologue du Quatridme Evangile, Paris-Bruges, 1968, p. 170-17; C. E. B. CRANFIELD, The Epistle to the Romans, I, p. 158-159. Cranfield affirme que les mots de Rm ii 15: ypi&iov &v rat xaplalS aob&rv renvoient

'

J6r6mie xxxi 33, mais il en conclut t tort que les Gentils vis6s par 1'Ap6tre en cet endroit sont des Gentils devenus chr6tiens. H. SCHLIER met en doute la r6f6rence h Jr xxxi 3, mais il concede que la terminologie rappelle Is li 7, 6cho certain de Jr xxxi 33: Der Rdmerbrief, p. 78.



LOI DE DIEU 41

Les commentateurs se sont demande combien de lois ii fallait distinguer en Rm vii 22-23 oh le mot ,,loi" revient quatre fois. A la suite de saint Jerome (PL 23, 10-24), quelques auteurs, notamment E. KO-HL 33), comptent quatre lois: la loi de Dieu et la loi du Pech6 exterieures a l'homme, la loi de la raison et la loi de la chair (ou des membres) qui sont au dedans de l'homme. Lagrange propose de ramener ces lois a trois, car du fait de la decheance originelle, la loi du Pech6 est installee A l'interieur de l'homme, ce que dit d'ailleurs formellement le verset 23 34). On peut aller plus loin encore et ramener ces lois ' deux, une fois admis, comme nous le faisons, que la loi de la raison n'est qu'un des aspects multiples de la loi de Dieu. On aboutit ainsi a une antithese parfaite: la loi de Dieu ou la loi de la raison, et, en opposition avec elle, la loi du pech6 ou la loi de la chair (des membres).

Apris cette longue enquite entreprise pour fixer le sens de l'expression ,,la loi de Dieu" en Rm vii 22, il nous reste a dire quelques mots des trois autres passages pauliniens oh revient la meme expression: A savoir Rm vii 25; I Co ix 21 et Rm viii 7. Non seulement ces textes confirment ce que nous venons de dire, mais le second et le troisieme nous permettent de completer notre definition de la loi de Dieu.

Rm vii 25 est tout a fait parallele a vii 22-23, a cette difference pres que ce verset 25 ne compte plus que deux lois: la loi de Dieu a laquelle est rattachee la raison (le voi5), et la loi du pech4 & laquelle est rattachee la chair. Il est donc bien vrai que les quatre lois de 7, 23 n'en font en realite que deux; il est donc vrai 6galement que la loi de la raison est aux yeux de saint Paul incluse dans la loi de Dieu.

En I Co ix 20-21 l'Ap6tre proclame tout d'abord s'&tre fait sujet de la loi (mosaique) avec les sujets de la loi (mosaique), alors qu'il n'est plus assujetti A cette loi, afin de gagner les Juifs. Il dit en outre qu'il s'est fait sans-loi avec les sans-loi, c'est-a-dire avec les Grecs, 4trangers A la loi mosaique. Il ajoute que cependant il n'est pas sans une loi de Dieu, 6tant sous la loi du Christ. Nous voyons par h1 que la loi de Dieu, dont nous venons de voir qu'elle englobe non seulement la loi mosaique, mais encore toute loi divine positive, et meme la loi de la raison, inclut en particulier ce que saint Paul d~signe par l'expression ,,la loi du Christ", expres-

33) Der Brief des Paulus an die Ramer, Leipzig, 1913, P. 240-241. 34) Epitre aux Romains, p. 178-179.



42 A. FEUILLET

sion dont nous dirons A l'instant comment il convient de la comprendre.

En Rm viii 7 1'Ap6tre declare que la tendance de la chair est ,,ennemie de Dieu" et ,,ne se soumet pas a la loi de Dieu". Tout ce passage decrit ce qu'est la vie chretienne: une vie ,,selon l'esprit" (v. 5) qui consiste ' atre ,,habite par l'Esprit de Dieu" (v. 9) et a posseder l'Esprit du Christ (vv. 9 et io). En raison du contexte, 1'expression du v. 7 ,,ne pas se soumettre A la loi de Dieu" 4quivaut donc a ne pas se soumettre a la loi du Christ.

Cette constatation n'est pas sans consequence pour une exegese exacte de l'expression ,,la loi de Dieu" en vii 23-25. A supposer, comme le soutiennent la majorite des exegetes actuels, qu'en ces deux versets la loi de Dieu ne concerne que les hommes non regene- res par la grace, les disciples du Christ demeurant alors totalement en dehors de la perspective paulinienne, force nous serait de conclure qu'a quelques versets de distance: en Rm vii 23-25 d'une part et en Rm viii 6 d'autre part, I'Ap6tre des Gentils aurait utilis4 la formule ,,la loi de Dieu" en deux sens fort differentes, ce qui reviendrait A admettre qu'il nous a jet4 dans une certaine confusion. Tout se concilie au contraire parfaitement si, comme nous le pensons, la loi de Dieu a des aspects multiples et inclut tout a la fois la loi de la raison, la loi mosaique et la loi du Christ.

20) LA LOI DU CHRIST ET LA LOI DE L'ESPRIT

La doctrine paulinienne presuppose un lien si intime entre la loi du Christ et celle de l'Esprit que nous devons parler en mime temps de l'une et de l'autre. Est-ce a dire qu'il faille aller jusqu'a les confondre purement et simplement ? C. H. DODD l'a un moment pens6; il a cru tout d'abord que la loi du Christ n'6tait pas aux yeux de l'Ap6tre la doctrine de Jesus consider&e comme une norme pour les chretiens, mais qu'elle ne differait pas au fond des inspirations de l'Esprit Saint 35). Mais plus tard le mime exegete est revenu sur cette affirmation pour la corriger; il a demontr6 que, selon saint Paul, il y a bel et bien un enseignement de Jesus qui regle la vie chretienne de la meme fagon que la loi mosaique regle la vie du peuple juif 36). D'autres enqu6tes, notamment celles de

35) The Bible and the Greeks, London, 1935, p. 37. 36) Ennomos Christou, dans Studia Paulina in honorem Johannis de Zwaan

septuagenarii, Haarlem, 1953, p. 96-11o.



LOI DE DIEU 43

P. BLASER et de H. SCHtURMANN aboutissent h la mime conclusion 37).

Dans les pages qui suivent, nous allons nous inspirer de ces 6tudes, mais en les completant sur plusieurs points importants. A la racine de 1'6thique chr6tienne, telle que la congoit l'Ap6tre des Gentils, il y a 1'imitation du Christ; c'est par cet aspect de la loi du Christ que nous commencerons; ensuite nous examinerons tour a tour les r6f6rences explicites ou implicites aux enseignements de Jesus, les rapports entre la loi du Christ, la loi mosaique et la loi de Dieu, enfin les rapports entre la loi de 1'Esprit, la loi du Christ et la loi de Dieu.

L'imitation du Christ Sur cette question souvent 6tudiee 38), nous irons tout droit a

ce qui nous parait tre l'essentiel. Tout comme dans les Evangiles (les Synoptiques et Jean), l'imitation du Christ est requise de ses disciples dans les Epitres Pauliniennes, mais avec une difference importante: tandis que les Evangiles traduisent surtout cette donnee par le verbe ,,suivre" (&xoXouo0Zv) qui est tres frequent, l'Ap6tre presente la vie du Christ comme un exemple normatif qui commande la conduite chretienne. Il le fait d'une double fagon.

Maintes fois Paul se r6ffre ' l'exemple donne par le Christ, mais sans utiliser le langage de l'imitation. On songe tout de suite a 2 Co viii 9: le Christ s'est fait pauvre; Rm xv 3: le Christ n'a pas recherche ce qui lui plaisait, et surtout & l'hymne christologique sur les abaissements du Christ de Ph ii 5-11. Mais entrent egalement en ligne de compte nombre d'autres passages oi l'amour r'dempteur du Christ est mis en rapport &troit avec ce que doit ktre l'existence des chretiens, car Dieu les ,,a predestines a reproduire l'image de son Fils, afin qu'il soit l'aine d'une multitude de freres" (Rm viii 29): Ga ii 20; 2 Co v 14; Rm iv 24-25; v 3-11; viii 31-38; Ep v 23-33 etc...

37) Voici ces deux r6f6rences: P. BLXSER, Das Gesetz bei Paulus, Miinster i.W., 1941, p. 134-143; H.

SCHURMANN, Neue Testament und Kirche, Fiir

Rudolph Schnackenburg zum 60. Geburtstag, Freiburg-Basel-Wien, 1974, p. 282-300.

38) Voici quelques r6f6rences: E. J. TINSLEY, The Imitation of God in Christ, London, 1960; E. LARSSON, Christus als Vorbild, Uppsala, 1962; A. SCHULZ, Nachfolgen und Nachahmen, Miincher, 1962; 0. BETZ, Nachfolge und Nachahmung Jesu Christi im Neuen Testament, Tiibingen, 1967; E. COTHENET, Dictionnaire de Spiritualitd, art. Imitation du Christ (1970), col. 1536-1562 (pour saint Paul, col. 1548-1555).



44 A. FEUILLET

Ces textes appellent quelques observations. Ce n'est pas a un Christ exterieur a eux que se conforment les chretiens, puisqu'ils lui ont tet incorpores par la foi et le baptime (Ga iii 26-27; Rm vi I-ri ...). Ce que Paul propose avant tout ' leur imitation, c'est le Christ donnant sa vie pour les hommes dans sa Passion. Mais cela ne veut pas dire que Paul ignorerait tout ce qui a prec6de dans la carriere terrestre de Jesus; ainsi que l'observe A. PLUMMER, un appel comme celui de 2 Co x I: ,,Je vous en prie par la douceur et la bienveillance du Christ" implique que l'Ap6tre ,,avait instruit les Corinthiens du caractere du Redempteur dont il devait con- naitre les paroles et les actions" 39).

Ii nous faut maintenant aborder d'autres passages oti est utilise le langage proprement dit de l'imitation (avec 0IEa, q-rS, et auvppS) ). Abstraction faite de I Th ii 14 oii il est question d'une imitation non deliber'e par les Thessaloniciens des ,,eglises de Dieu qui sont en Jud&e", il y a tous les textes oii il est dit qu'on imite le Christ en se faisant l'imitateur de Paul: I Th i 6: ,,Vous vous etes mis A nous imiter, nous et le Seigneur"; 2 Th iii 7-9: ,,Vous savez bien comment il faut nous imiter... Nous entendions vous proposer en nous un modile ta imiter"; I Co iv I6: ,,Je vous en conjure, montrez-vous mes imitateurs; I Co xi I: ,,Montrez-vous mes imitateurs comme je le suis moi-meme du Christ"; Ph iii 17: ,,Devenez A l'envi mes imitateurs, freres, et fixez vos regards sur ceux qui se conduisent comme vous en avez en nous un exemple" 40).

Dans les textes qui viennent d'etre cites, W. MICHAELIS croit pouvoir discerner deux categories 41). Il1 range dans la premiere categorie 2 Th iii 7-9 et Ph iii 17 o0t il est tres clair, d'apris le contexte, que Paul entend se donner lui-meme en exemple. Et MICHAE-

LIS demontre qu'il n'y a dans cette conduite aucune vaine gloire personnelle, cela d'autant moins, qu'en Ph iii 17 1'Ap6tre cite d'autres chretiens, sans doute d'autres missionnaires qui sont, eux aussi, un modile (r67og) pour les chretiens. Mais il faut noter qu'en mime temps Paul se r&clame de son autorite apostolique: c'est en tant qu'Ap6tre du Christ qu'il demande qu'on l'imite, si bien que cette imitation comporte 4galement l'obeissance a ses ordres qui sont des ordres du Christ lui-meme.

39) The Second Epistle to the Corinthiens, Edinburgh, 1948, p. 273. 40) Cf. D. M. STANLEY, "Become Imitators of Me", Apostolic Tradition in

Paul, Biblica 40 (1958), p. 859-877; W. P. DE BOER, The Imitation of Paul, Kampen, 1962.

41) Dans Theologisches Warterbuch t. IV, art. VyIeopt~a p. 668-673.



LOI DE DIEU 45

Pour les trois autres textes, c'est-a-dire I Th i 6; I Co iv 16 et xi I MICHAELIS soutient qu'il faut exclure toute idea d'imitation proprement dite de Paul; la raison en est que dans ces passages le theme de l'imitation est en rapport aussi etroit que possible avec

,,l'accueil de la Parole" (I Th i 6): Ce n'est qu'en accueillant la Parole que les Thessaloniciens sont devenus un modile rU7COq,

pour tous les croyants de Macedoine et d'Achalie (v. 7): Les ,,regles de conduite

(66oi) dans le Christ que Paul enseigne partout dans

toutes les eglises" (I Co iv 17), ou encore les traditions (xcapa6aosq) qu'il a reques et qu'il transmet fidelement (I Co xi 2), renvoient plus ou moins clairement au Christ si bien qu'imiter l'Ap6tre dans ces conditions, ce serait uniquement obeir aux ordres du Christ lui-meme.

Il y a sans nul doute quelque excis dans cette systematisation. Voici, nous semble-t-il, ce que l'on peut dire. L'Ap6tre n'a certainement pas la pretention de se comporter en maitre et de re- cruter des disciples qui devraient se modeler sur lui: il n'est que le serviteur et l'intendant du Christ (cf. notamment I Co iii 21-iv 5). Il est bien vrai egalement que l'imiter, c'est se soumettre a des rigles de conduite qui, d'une fagon ou d'une autre, se rattachent au Christ et, par le Christ, a Dieu le Pare. Aussi en Ep v I est-il demande aux chretiens de ,,chercher ' imiter Dieu" en se souvenant de la misericorde divine qui s'est manifest&e dans le Christ crucifi6 (cf. Ep iv 32 et v 2).

Il n'en reste pas moins vrai que l'6lment d'imitation proprement dite de Paul est partout present de fagon plus ou moins nette en ces textes. La raison en est celle qu'indique J. H. SCHtTZ 42). Paul a une tres vive conscience de refleter de maniere exceptionnelle dans sa vie apostolique le mystere de mort et de resurrection qu'est l'ceuvre redemptrice du Christ, surtout ce paradoxe inoul qu'est le Christ crucifie, c'est-a-dire la manifestation supreme de la puissance divine dans la faiblesse humaine portee a son degre supreme.

Les rdfirences explicites ou implicites aux enseignements de Jdsus L'imitation du Christ telle que l'Ap6tre des Gentils la congoit

se rattache etroitement a ce qu'en deux endroits il appelle ,,la loi

42) Paul and the Anatomy of Apostolic Authority, Cambridge, 1975, P. 226- 232. On peut penser que, par r6action contre W. MICHAELIS, J. H. SCHutTZ souligne de fagon trop unilat6rale cet aspect des choses: le mystere de la Croix se refl6tait dans l'exp6rience de Paul.



46 A. FEUILLET

du Christ". Ces deux passages, les voici: Ga vi 3: ,,Portez les fardeaux les uns des autres, et accomplissez ainsi la loi du Christ" 43) I Co ix 21: ,,Je me suis fait un sans-loi avec les sans-loi, moi qui ne suis pas sans une loi de Dieu (1voqo O0Oi), tant sous la loi du Christ (e'vvoto4 XpLato0)".

Faut-il conclure de 1l que la loi du Christ ne serait pas autre chose que celle qu'il s'est le premier imposee a lui-meme, en donnant sa vie pour les hommes nous offrant ainsi l'exemple de ce que nous devons faire? Nous ne le pensons pas: quand l'Ap6tre parle de la loi du Christ, il songe non certes exlusivement, mais aussi et peut-'tre avant tout, a une loi imposee par le Christ a ses disciples, tout comme la loi de Dieu est celle que Dieu impose aux hommes 44). En fait on trouve dans les Epitres Pauliniennes deux references aussi nettes que possible a des preceptes du Christ.

En I Co vii 25 Paul declare n'avoir pas d'ordre ('~t-Lxoy) du Seigneur en ce qui regarde les vierges; Jesus en effet n'avait fait que recommander, mais n'avait pas impose la chastet4 parfaite en vue du Royaume (cf Mt xix 10-12). Aussi l'Ap6tre distingue-t-il ce cas de celui des personnes marines propos desquelles il rappelle l'enseignement de Jesus sur l'indissolubilite du mariage (cf Mt v 32; xix 9 par.) ,,Quant aux personnes mariees, voici ce que j'ordonne, non pas moi, mais le Seigneur: que la femme ne se separe pas de son mari; en cas de separation, quelle ne se remarie pas ou qu'elle se reconcilie avec son mari, et que le mari ne repudie pas sa femme" (I Co vii io). En I Co ix 14, au sujet des predicateurs, Paul reproduit une parole de Jesus consignee dans le premier et le troisieme 6vangile (Mt x Io = Lc x 7): ,,Le Seigneur a prescrit

(&L6'sev) a ceux qui annoncent 1'Evangile de vivre de 1'Evangile".

En ces deux passages Jesus est appelk ,,Seigneur". L. CERFAUX observe: ,,C'est en tant que souverain, Seigneur, empereur que Jesus lgifere (xllpoS quivaut a peu pris a cette 6poque en Orient a xoZmp) ... Ses paroles sont donc pour Paul des ordres, des de'crets comparables a ceux des empereurs. Ce sont des lois constitu- tives du Royaume que le Christ fondait" 45). Une remarque

43) On h6site entre deux lectures: le futur (&v7rXpCadere): ,,vous accom- plirez" ou l'imp6ratif aoriste (&va7rXp6aaore) ,,accomplissez".

44) Cf. E. DE WITT BURTON, The Epistle to the Galatians, Edinburgh, 1950, p. 329: ,,By the law of the Christ Paul indoubtedly means the law of God as enunciated by the Christ, just as the law of Moses (Lc ii 23; Ac xiii 39) ist the law of God as put forth by Moses".

45) Le chrdtien dans la Thdologie Paulinienne, Paris, 1962, p. 50.



LOI DE DIEU 47

philologique montre le bien-fond6 de cette explication: on a le verbe LocroicsLv en I Co ix 14; or ce verbe et le substantif correspon- dant

1'ra?ytc servent a designer les decrets de l'empereur ou de

ses representants; on se reportera par exemple " Ac xviii 2: l'edit

de Claude; xxiii 31: les ordres donnes aux soldats romains charges de Paul prisonnier; xxiv 23: l'ordre donne par le tribun Lysias au centurion de garder Paul prisonnier 46).

Outre ces deux rappels explicites, nombreux sont dans les lettres de l'Ap6tre les reminiscences implicites plus ou moins nettes "

l'enseignement moral de Jesus. A titre d'exemples, nous allons en indiquer un certain nombre en suivant l'ordre chronologique le plus probable des lettres pauliniennes. On voudra bien se reporter aux commentaires pour la justification detaill~e de ces rapproche- ments qui ne sont pas toujours hors de discussion. Qu'il soit bien entendu que nous laissons de c6te les references aux Evangiles qui sont sans rapport direct avec l'6thique chretienne.

On lit en I Th iv 7: ,,Qui rejette (&6s'rv) ces prescriptions, ce n'est pas un homme qu'il rejette (&O6s~t), mais Dieu"; ce qui evoque un avertissement de Jesus, specialement sous sa forme lucanienne: ,,Qui vous 4coute m'&coute, qui vous rejette (&O'ssv) me rejette (&OE'Cs), et qui me rejette rejette celui qui m'a envoy&" (Lc x 16). B. RIGAUX commente: Cela ,,ne veut videmment pas dire dependance litteraire de Paul par rapport & Luc, mais de Paul par rapport a la parole du Seigneur rapport&e par Luc. Dans les endroits paralleles (Mc ix 37; Mt x 40), on a le terme positif (accueillir), mais beaucoup plus terne" 47). De ces endroits paral- lles on rapprocherait plut6t Ga iv 14: ,,Vous m'avez accueilli comme un ange de Dieu, comme le Christ Jesus".

A. M. HUNTER 48) signale encore I Th v, 13: ,,Soyez en paix entre vous", ce qui est une reproduction presque litterale de Mc ix 50, et surtout I Th iv 9: ,,Sur l'amour fraternel, vous n'avez pas besoin qu'on vous instruise, car vous avez personnellement appris de Dieu ' vous aimer les uns les autres", ce qui 6voque invincible- ment plusieurs passages du quatrieme evangile: Jn xiii 34; xv 12,

I7; cf. I Jn iii II, 23; iv 7, II. Tandis que les donnees eschatologiques de I Th et de 2 Th font

48) Cf. MOULTON-MILLIGAN, Vocabulary of the Greek Testament, s.v.; C. H. DODD, "Evvo?o0 XpLtao3, p. 103.

47) Les Epitres aux Thessaloniciens, Paris-Gembloux, 1956, p. 514. 48) Paul and his Predecessors, London, I961, p. 49.



48 A. FEUILLET

penser de toute evidence a l'apocalypse synoptique, specialement sous sa forme matth'enne (Mt xxiv-xxv) 49), les recommandations de vigilance et de sobri&te comme prdparation au jour du Seigneur qui ,,doit venir comme un voleur dans la nuit" (I Th v 1-7) rappellent clairement les paraboles evangeliques sur la vigilance (Mt xxiv 42-51 par.). Les Epitres Pastorales utiliseront plus tard ces memes paraboles pour dicter leurs devoirs aux membres de la hierarchie (I Tm iii 2-7; Tt i 6-9) 50).

Le principe de non resistance au mal enonc4 en I Th v 15 et en I Co vi 7 nous renvoie au Sermon sur le montagne (Mt v 39-40). Sans que d'ailleurs soient exclues d'autres influences 51), le catalogue de vices qui empechent d'acceder au Royaume de Dieu en I Co vi 9-1o est A rapprocher d'une enumeration semblable en Mc vii 21-22 par. Quand en I Co ix 19 l'Ap6tre declare que, ,,libre a l'gard de tous, il s'est fait l'esclave de tous afin d'en gagner le plus grand nombre", comment ne pas songer

' Mc x 44-45 par.: ,,Celui qui voudra etre le premier se fera l'esclave de tous; aussi bien le Fils de l'homme lui-mime n'est pas venu pour etre servi, mais pour servir et donner sa vie en rangon pour la multitude"? La foi qui transporte les montagnes de I Co 13, 2 est certainement a rapprocher de Mt xvii 20o. Quand en 2 Co 17-18 l'Ap6tre &crit: ,,Mes projets s'inspirent-ils de la chair, en sorte qu'il y ait en moi le oui, oui et le non, non? Aussi vrai que Dieu est fiddle, notre langage avec vous n'est pas oui et non" comment ne pas penser A cet ordre de Jesus que Matthieu est seul a rapporter: ,,Que votre langage soit oui (si c'est) oui, non (si c'est) non; ce qu'on dit de plus vient du Mauvais" (Mt v 37) 52).

49) Outre les commentaires, cf. notamment J. B. ORCHARD, Thessalonians and the Synoptic Gospels dans Biblica 19 (1938) p. 19-42.

sO) Cf. C. SPICQ, L'origine dvangdlique des vertus dpiscopales selon saint Paul, dans Revue Biblique 53 (1946), p. 36-46; A. FEUILLET, La doctrine des Epitres pastorales et leurs affinit6s avec l'oeuvre lucanienne, Revue Thomiste 1978, p. 209-212.

51) En tant que formations littbraires, les listes pauliniennes de vices et de vertus rappellent celles des moralistes populaires du monde hell6nistique; cf. J. DUPONT, Gnosis, Louvain-Paris, 1949, P. 380-409. Mais en I Co vi 9-1o, comme en Ga v 21 et Ep v 5, la pr6sence de la formule "h6riter le Royaume de Dieu" montre qu'il y a galement r6miniscence de l'enseignement du Christ, dont un des thames fondamentaux est la BatLhd; celle-ci occupe au contraire une place fort restreinte dans le message paulinien.

52) On retrouve une r6miniscence du m~me passage 6vang~lique dans l'6pitre de Jacques (v 12). Les rapports litt6raires entre ces trois textes appelleraient une discussion dans laquelle nous ne pouvons entrer.



LOI DE DIEU 49

La parenese de l'epitre aux Romains, sur laquelle C. H. DODD et A. M. HUNTER ont fait de tris pertinentes observations 53), merite de retenir plus longtemps notre attention.

Tandis que la recommandation de Rm xii 14: Benissez ceux qui vous persecutent; benissez, ne maudissez pas", celle de xii 17: ,,Ne rendez a personne le mal pour le mal", celle enfin de xii 21: ,,Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien" doivent sans doute &tre considerees toutes les trois comme autant de references aux grandes legons du Sermon sur la montagne: l'amour des ennemis, la non resistance au mal, l'exclusion de l'esprit de vengeance; un peu plus loin la formulation du devoir d'ob6issance au pouvoir civil se termine par cette prescription:' ,,Rendez a chacun ce qui lui est du: a qui l'imp6t l'imp6t;

' qui

les taxes, les taxes; a qui la crainte, la crainte; a qui l'honneur, l'honneur" (Rm xiii 7) : comment ne pas operer ici un rapprochement avec cette parole du Christ apropos de l'imp6t diu & Csar: ,,Rendez done

' Cesar ce qui est ' Cesar et & Dieu ce qui est &

Dieu" (Mt xxii 21 par.) ? Quand en Rm xiv 14 l'Ap6tre &crit: ,,Je sais et suis assure dans

le Seigneur Jesus que rien n'est impur en soi", les mots ,,dans le Seigneur Jesus" gardent sans doute le sens normal qu'ils ont dans les epitres pauliniennes, c'est-a-dire qu'ils expriment une com- munion vitale au Christ. Mais il est impossible de s'en tenir lI. S'il est trop subtil de pretendre distinguer, avec quelques auteurs anciens et Zahn 54), entre d'une part une connaissance naturelle qui correspondrait au premier verbe (,,je sais") et d'autre part une tradition surnaturelle qui serait marqu&e par le second verbe (,,je suis assure dans le Seigneur Jesus"), il est a peu pres certain que tout ce passage n'est qu'une application de la doctrine de Jesus qui rejette formellement la distinction enre aliments purs et aliments impurs (Mc vii 14-23; Mt xv 10-20.

En Rm xiv 13, c'est-A-dire immediatement avant le passage que nous venons de citer, saint Paul demande aux chretiens de la communaute romaine qu'il appelle les forts (9uvao': xv I) de ne pas 6tre pour les ,,faibles" (0oesvouivE:" xiv I, 2, 21; &suvoco.: xv I) une occasion de chute (7p6axot1a, ~poax6t-ELV : xiv 13, 20, 21) ou de scandale (*x&~voaov, axocvahle.v: xiv 13, 21). Une mise en garde

53) Cf. C. H. DODD, "EvvoogS XpLaoro, p. 106-107; A. M. HUNTER, Paul and his Predecessors, p. 45-51 et 126-128.

54) Cf. TH. ZAHN, Des Brief an die Rdmer, Leipzig, 1910, p. 578-579.

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50 A. FEUILLET

du mime genre se lisait deji dans la premiere 6pitre aux Corin- thiens (sp6axot : viii 9; oxcvsOcXL~~~W : viii 13: 2 fois) oh l'Ap6tre traitait d'un conflit analogue entre les chretiens 6claires et ceux qui 6prouvaient des scrupules sans fondement dans l'usage des viandes immolees aux idoles. Dans les deux cas, soit dans I Co, soit dans Rm, Paul s'inspire de la condamnation si sevire proferee par le Christ A l'encontre du scandale (Mt xviii 5-9; Mc ix 42-47; Lc xvii 1-2).

Dans le premier 6vangile, aussit6t apris la mise en garde contre le scandale, Jesus fait cette recommandation: ,,Gardez-vous de mepriser aucun de ces petits" (Mt xviii io). Est-ce un hasard si de son co6t l'Ap6tre des Gentils, en meme temps qu'il demande aux chretiens forts de Rome de ne pas scandaliser les faibles, formule sous forme interrogative la mime recommandation que Jesus: ,,Pourquoi mepriser ton fre're"? (Rm xiv Io). Au reste dans le mime verset (xiv Io), cette question: ,,Pourquoi juger ton fre're?" est, elle aussi, un reflet tris certain de l'esprit et des enseignements du Christ; on lit en effet en Mt vii 1-2: ,,Ne jugez pas (les autres) pour n'6tre pas juges (par Dieu), car du jugement dont vous jugerez on vous jugera, et de la mesure dont vous mesurez on usera pour vous". (Cf. Lc vi 37).

Dans la definition du Regne de Dieu de Rm xiv 17: ,,Le Rigne de Dieu n'est pas affaire de nourriture ou de boisson; il est justice, paix et joie dans l'Esprit Saint", il est permis de percevoir un echo des BWatitudes, specialement sous leur forme mattheenne (Mt v 3-12). En lisant Rm xvi 19:,,avises pour le bien et candides pour le mal", on songe a Mt x 16: ,,malins comme des serpents et candides comme des colombes".

S'il n'y a pas dans les Epitres Pauliniennes de references cer- taines au ,,Notre Pare", P. FEINE et J. CARMIGNAC ont sans doute raison d'en soupponner une en Col i 12-14 55). En effet ce passage qui fonde l'exhortation morale antecedente de i 9-11 associe etroitement quatre themes de la priere du Seigneur: le titre de ,,Pere" donne ' Dieu, ce qui n'arrive que rarement dans les lettres de l'Ap6tre 56); la mention du Royaume, rare elle aussi dans ces

66) Cf. P. FEINE, Jesus Christus und Paulus, Leipzig, 1902, p. 253; J. CARMIGNAC, Recherches sur le ,,Notre Pare", Paris, 1969, p. 364.

66) CH. MASSON observe: ,,Abstraction faite de l'6pitre aux Eph6siens et de l'6pitre aux Colossiens, les seuls textes des 6pitres de Paul dans lesquels Dieu est appel6 ,,Pre" sans compl6ment sont des textes dans lesquels Paul est manifestement tributaire de la tradition et de la langue de l'Eglise:



LOI DE DIEU 51

mimes lettres; la formule ,,la remission des p6ch6s" (&(cpeoas v

c&p-ncwv) qui ne se retrouve ailleurs chez Paul qu'en Ep i 7 (&paLs ICOv

COX7qt1c ) 57), enfin la d6livrance des puissances mauvaises

(avec de part et d'autre le m~me verbe s6aO.L: Col i 13 et Mt vi 13; Lc xi 4). En 2 Th iii 3: ,,Le Seigneur vous gardera du Mauvais

(ou du mal)" peut ftre tenue, elle aussi, pour une allusion 'a la finale du ,,Notre Pare". Cf. encore 2 Tm iv 18.

On peut voir encore une allusion au ,,Notre Pare" en Ep iv 32 et Col iii 13: il s'agit de la demande faite aux chretiens de se pardonner mutuellement comme Dieu le Pare (Ep) ou le Seigneur (Col) leur a pardonn&. La recommandation de Ph iv 6: ,,N'entretenez aucun souci (avec le verbe speLvm'v) voque les legons d'abandon a la Providence de Mt vi 25-33 (= Lc xii 22-31) (avec le m6me verbe

ISpL~pVcV, cinq fois chez Mt et 3 fois chez Lc).

Loi du Christ, loi mosaique et loi de Dieu

Selon plusieurs auteurs 58), quand Paul &crit en Ga vi 2: ,,Portez les fardeaux les uns des autres et accomplissez ainsi la loi du Christ", il n'emploierait la formule ,,la loi du Christ" que pour marquer son opposition a la loi mosaique. En realite, ainsi que le note F. Muss- NER 59), rien dans le contexte ne suggere une pareille antithese; l'Ap6tre entend seulement souligner que la communaute chretienne n'est conforme au vouloir du Christ que si la charite y regne en souveraine.

Le texte de Ga vi 2 doit tre mis en rapport 6troit avec ce qui a et6 dit un peu plus haut en Ga v 13-14: ,,Par la charitY, mettez- vous au service les uns des autres, car en ce seul precepte est accomplie toute la loi: tu aimeras ton prochain comme toi-m6me". Quand on lit ce passage qui se termine sur une citation de Lv xix 18, il est impossible de ne pas se souvenir une fois de plus de l'enseigne-

2 Co viii 6; Ph ii I I; Ga iv 6; Rm viii 15. Seuls Rm vi 4 parait faire exception; encore Dieu n'y est-il appel1 ,,le Pbre" que par rapport t J6sus-Christ: L'Epitre de saint Paul aux Colossiens, Neuchitel-Paris, 1950, p. 95, n. 4.

67) Paul pr6fere employer les termes ,,justification", ,,justice", ,,r6conci- liation"; cf. CH. MASSON, L'Epitre aux Colossiens, p. 97, n. 3.

68) Citons H. LIETZMANN, An die Galater, Tiibingen, 1932, p. 41; A. VAN DtLLMEN, Die Theologie des Gesetzes bei Paulus, Stuttgart, 1968, p. 66. Cf. encore dans le mime sens les commentaires de A. LIPSIus (Freiburg, 1892); F. SIEFFERT, (G6ttingen, 1899); A. OEPKE, (Berlin, 1957).

69) Der Galaterbrief, Freiburg-Basel-Wien, 1974, p. 399. Cf. dans le mime sens G. S. DUNCAN, The Epistle of Paul to the Galatians, London, 1948, p. 181.



52 A. FEUILLET

ment moral de Jesus, et cette reminiscence doit tre la veritable explication de l'expression ,,la loi du Christ". En effet en reponse a une question qui lui a 6te posee, Jesus declare en Mt xxii 37-40: ,,Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cceur, de toute ton Ame et de tout ton esprit: voila le plus grand et le premier commandement. Le second lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-meme. A ces deux commandements se rattache (lit- teralement est suspendue: xp&e?touL) toute la Loi, ainsi que les Prophetes". Cf. avec quelques variantes Mc xii 29-31). On constate que, tout comme Ga v 14, ce passage evangelique attribue une importance primordiale au texte de Lv xix 18: ,,Tu aimeras ton prochain comme toi-mime", ce qui porte a conclure qu'en l'oc- currence l'Ap6tre n'a fait qu'imiter son Maitre.

Cependant, A l'encontre de la dependance de Paul par rapport '

Jesus, une objection serieuse pourrait ici 6tre soulevee: Jesus n'est pas le premier a avoir donne un tel relief a la loi d'amour et a avoir rapproch6 Dt vi 4-5 qui concerne l'amour de Dieu de Lv xix 18 qui a trait a l'amour du prochain; d'autres l'avaient fait avant lui ainsi qu'en temoignent plusieurs textes du judaisme prechretien 60).

Effectivement dans la scene de Lc x 25-28, qui sert d'introduction a la parabole du bon Samaritain (scene qui doit tre distincte de celle de Mt xxii 34-40 = Mc xii 28-31), c'est un lgiste qui opere de lui-meme la synthese entre Dt vi 5 et Lv xix 18. On pourrait donc supposer qu'en Ga v 14 l'Ap6tre des Gentils s'est fait tout simplement l'&cho de la tradition juive.

Mais plusieurs motifs poussent fortement ' opter pour sa depen-

dance directe par rapport a Jesus: tout d'abord la formule mime ,,la loi du Christ" de Ga vi, 2, puis le texte de v 13 oih il est demand# aux Galates de ,,se mettre par la charit6 au service les uns des autres", application manifeste de la legon de service mutuel donn6e par le Fils de l'homme Serviteur en Mc x 43-45 par., 6galement le texte de vi I qui recommande la correction fraternelle ,,en esprit de douceur", application du principe pos' en Mt xviii 15-16; cf. une autre application du meme principe en I Co v 3-5; il y a enfin toute la masse des autres rifirences

% l'enseignement moral de

Jesus, ref6rences dont nous avons donn6 plus haut de nombreux specimens.

60) Cf. a ce sujet C. BURCHARD, Das doppelte Liebesgebot in der friihen christlichen Uberlieferung, dans LOHSE-BURCHARD-SCHALLER, Der Ruf Jesu und die Antwort der Gemeinde (J. Jeremias zum 70. Geburtstag), G6ttingen, 1970, p. 39-62; F. MUSSNER, Der Galaterbrief, p. 372.



LOI DE DIEU 53

Loin d'etre oppose & la loi mosaique, la loi du Christ est, comme on vient de le constater, en rapports etroits avec elle. Il nous faut maintenant preciser ce que sont ces rapports. Nous pouvons le faire en partant du verbe ,,accomplir" (n~XApoiv) du v. 14: ,,La loi entiere est accomplie (7Ce7Xperoxc) 33) en une seule parole: Tu aimeras ton prochain comme toi-m~me". Comment entendre cet accomplissement?

Dans le grec ordinaire le verbe X?Apoiv a de nombreuses accep- tions dont les principales sont: remplir, rassasier, completer, accomplir. Le texte de Ga v 14 a donne lieu a deux interpretations divergentes: les uns comprennent que les exigences de la loi sont entierement satisfaites par la pratique de l'amour du prochain 62); les autres pensent que cette pratique procure & la loi mosaique une perfection, un achivement qu'elle ne possedait pas encore, mais que Dieu avait cependant en vue dis le temps oix elle fut promulgu~e 63).

Il y a lieu de se demander avec F. MUSSNER 64): est-il ncessaire de choisir entre ces deux sens? Ne doit-on pas plut6t les unir? Si incontestablement on songe tout d'abord au premier sens, le second n'en est pas moins suggere par le fait que ce n'est pas chacune des prescriptions de la loi prise separement, mais la totalite de la loi qui se trouve ,,accomplie" en un seul precepte 65). En outre ce second sens s'impose presque quand on se souvient que l'Ap6tre songe sans cesse ' l'histoire du salut; &y oi7 dont il veut parler a trouv4 son expression parfaite dans la doctrine et la mort du Christ qui ont procure a la loi mosaique son ,,accomplissement" eschatologique. Comment ne pas rappeler ici Mt v 17? ,,N'allez pas croire que je sois venu abolir la loi ou les prophetes; je ne suis pas venu abolir, mais accomplir (7rXnpoc6oc)". La Nouvelle Bible de Jerusalem commente ainsi ce texte (p. 1421, note c): ,,Jesus ne vient ni

61) Le temps parfait du verbe doit sans doute 6tre consid6r6 comme gnomique.

62) C'est 1 l'explication la plus courante. Elle est d6fendue, a l'exclusion de toute autre explication, par exemple par H. SCHLIER, Der Brief an die Galater, G6ttingen, 1949, p. I17; G. DELLING, TWNT, VI, art. nxo'p6o, p. 292.

63) Cf. par exemple en faveur de cette explication W. GUTBROD, TWNT, IV, art. v6~op, p. 1O69.

64) Der Galaterbrief, p. 370. 66) Contrairement a l'usage habituel, n~i suit ici l'article au lieu de le

pr6c6der, pour bien marquer que c'est la totalit6 de la loi mosaique qui est concern6e en mime temps, et non pas des 616ments isol6s de cette loi. Cf. Dictionnaire de Bailly, s.v. 7S0, p. 1495; nombreux exemples dans la lit- t6rature classique.



54 A. FEUILLET

detruire la loi (Dt iv 8) et toute l'&conomie ancienne, ni la consacrer comme intangible, mais lui donner par son enseignement et son comportement une forme nouvelle et definitive oii se realise en plenitude ce vers quoi la loi acheminait".

Si c'est bien cela que l'Ap6tre a voulu dire en Ga v 14, il est clair qu'il assigne une signification nouvelle au precepte de Lv xix 18 al- l6gu4 par lui, ,,Tu aimeras ton prochain comme toi-meme". Con- formement aux perspectives universalistes de Jesus, il doit enlever au mot ,,prochain" la portee 6troitement nationaliste que lui attribuait souvent (mais pas toujours) le judalsme tardif, cela en depit meme d'un autre passage du Levitique (xix 34) qui &tend le commandement de l'amour meme aux etrangers 66). On peut faire ici une comparaison avec I Co vii Io-II deja mentionne plus haut: en ce dernier texte Paul s'autorise formellement de l'enseignement de Jesus pour proclamer l'indissolubilit4 absolue du mariage, ce qui representait un progris considerable par rapport aux disposi- tions de la loi mosaique.'

Avec raison on regarde d'ordinaire Rm xiii 8-io comme un developpement et une explicitation de la pensee de Ga v 14. Car il est bien certain que, malgre l'absence d'article devant le mot ,,loi" en Rm xiii 8, ce n'est pas de la loi en general, mais bien de la loi mosaique que traite ce passage tout comme en Ga v 14 67). Or il confirme pleinement 1'exegese de Ga v 14 que nous venons de defendre.

Quand Paul dit que ,,celui qui aime autrui a de ce fait accompli la loi" (Rm xiii 8b), l'emploi du verbe Xhypo5v a l'actif avec comme sujet l'homme qui aime montre A l'vidence que seule est visee ici l'observation humaine de la loi. L'Ap6tre 4crit ensuite que les divers preceptes: Tu ne commettras pas d'adultere, tu ne voleras

66) Ici il convient de se montrer circonspect. Cf. J. FICHTNER dans TWNT, VI, art. n7X)alov, p. 343-344; l'auteur fait remarquer qu'd c6t6 de la tendance B restreindre la notion de prochain, il y a eu tres t6t dans le judaisme la tendance contraire c l'61argir; cette derniere tendance s'affirme d6jh dans la Septante.

67) Quand Paul emploie v6[toq sans article, ce n'est pas du tout une preuve qu'il ne vise pas la loi mosaique; cf. P. BLXSER, Das Gesetz bei Paulus, p. I, 23; A. VAN DtfLLMEN, Die Theologie des Gesetzes, p. 131-132; Anm. io. En Rm xiii 8-Io, Paul se r6fere & la loi mosalque, puisqu'il la cite explicitement au v. 9. 11 est certain qu'au v. 8 il faut d6tacher v6to0 de b6v ,epov qui pr6cede, cela & l'encontre de quelques critiques: par exemple le commentaire de LEENHARDT; W. MARXSEN, Der 9repoS v6[oq Rm 13, 8, dans Theologische Zeitschrift II (1935), P. 230-237. Sur tout ceci, cf. de nombreux commentateurs et tout r6cemment E. KXSEMANN, An die Rdmer, p. 345; H. SCHLIER, Der Rdmerbrief, p. 395.



LOI DE DIEU 55

pas, tu ne tueras pas et tous les autres preceptes se resument (&vor~cpLo7o0t ) tous en celui-ci: Tu aimeras ton prochain comme toi-meme; la encore on se maintient dans la perspective de l'observation humaine de la loi mosaique. Par contre la formule finale (v. io) ,,la charit4 est le X6pokpca de la loi" a, croyons-nous, la mime richesse de sens que Ga v 14: il faut en effet garder a nXkpo~a son acception normale de plenitude (cf. la Vulgate plenitudo), et non le tenir pour un simple synonyme de kpcoaLS; accomplissement. L'id~e de Paul, c'est que la charite chretienne, c'est la loi mosaique parfaitement accomplie, et cela en un double sens: elle est tout d'abord parfaitement observee, elle se trouve en second lieu pourvue de l',,accomplissement" eschatologique qui lui manquait encore 68).

Le depassement considerable de la loi mosaique par la loi du Christ resulte d'ailleurs tres nettement de deux autres observations: 0I) ainsi que nous l'avons montre plus haut, la pericope qui pre- c'de immediatement celle que nous 6tudions, c'est-a-dire Rm xii 14-21 est remplie de references aux enseignements du Sermon sur la montagne: amour de tous les hommes, m?me des ennemis; exclusion de l'esprit de vengeance; par consequent le prochain que, d'apres Rm xiii 9, il faut aimer comme soi-meme, c'est tout homme, conform6ment

' l'ideal 4vang6lique 69). 20) aussit6t apres avoir

rappelk aux chretiens l'obligation oih ils sont de payer leurs dettes (Rm xiii 7), l'Ap6tre ajoute cette pensee: quant

' la charitY, c'est une dette qui n'est jamais soldee, mime quand on a pay4 ce qu'on devait en justice: ,,N'ayez de dettes envers personne, sinon celle de l'amour mutuel" (Rm xiii 8). En d'autres termes on n'a jamais fini d'aimer 70).

68) Cf. par exemple en ce sens M. J. LAGRANGE, Epitre aux Romains, p. 317; J. HUBY-S. LYONNET, Epitre aux Romains, p. 440; W. GUTBROD, dans TWNT, IV, art. v6poq, p. 1069-1070.

69) Cf. h ce sujet Nouvelle Bible de Jdrusalem, p. 1642, note d. 70) Nous suivons l'interpr6tation la plus normale et de beaucoup la plus

courante de Rm xiii, 8; si on voulait rendre ,,E etu" par ,,mais", le sens serait tout diff6rent, mais cette version soulve de grandes difficult6s; cf. C. E. B. CRANFIELD, A Commentary on Romans 12-13, Edinburgh-London, 1965, p. 82. Citons ici deux commentaires anciens: ORIGANE: ,, Vult ergo Paulus ... permanere et nunquam cessare a nobis debitum caritatis; hoc enim solvere et semper debere expedit nobis" (Commentaria in Epistolam B. Pauli ad Roma- nos, traduction latine par Rufin), PG 14, 1231; P'LAGE: ,,Hoc solum semper debet manere quod nunquam persolvi potest" Expositio ad Romanos, dans A. SOUTER, Pelagius' Expositions of Thirteen Epistles of St Paul, II, Cam- bridge, 1926, p. 103.



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Ainsi donc la loi du Christ, telle que la congoit saint Paul, est bien autre chose qu'un code plus parfait qui se serait substitue a un code moins parfait: la loi mosaique. Elle est tout a fait dans la ligne du Sermon sur la montagne et de l'ensemble de l'6thique Ivangtlique: on n'a jamais fini de l'observer, car elle est une ouver- ture des Ames A des perspectives de perfectionnement A l'infini. Elle correspond bien a ce que H. Bergson a appelb ,,la morale ouverte" qu'il oppose a ,,la morale close" 71). Paul formule la grande enigme chr tienne de la charit4 et du don de soi a la lumiere de 1'existence du Christ et tout specialement a la lumiere de la Croix. C'est pourquoi la morale chretienne, celle qu'il la presente, transcende toutes les morales humaines, mime lorsqu'elle leur rassemble par son contenu.

A l'encontre de cet accord fondamental entre Paul et J sus, on serait enclin " objecter ceci: c'est dans les deux commandements de l'amour de Dieu et du prochain que Jesus synthetise toutes les exigences divines; il nomme mime l'amour de Dieu avant l'amour du prochain (Mt xxii 34-40); Mc xii 28-31; Lc x 25-28); au contraire 1'Ap6tre des Gentils semble ramener tous les commandements au seul amour du prochain. La reponse a cette difficult6, c'est que l'amour du prochain que Paul a en vue n'est pas separable de l'amour de Dieu et du Christ; il est en effet devouement aux autres et sacrifice en imitation du sacrifice du Calvaire et en connexion vitale avec le Christ (,,dans le Christ") sous l'action de 1'Esprit (,,dans 1'Esprit"). On ne peut qu'approuver cette observation de H. Lietzmann A propos de l'hymne

' la charit de I Co xiii: l'amour de Dieu et l'amour du prochain ne sont dans la doctrine paulinienne que deux manifestations d'un unique amour qui est 1')nergie fondamentale (Grundkraft) de 1'existence chr tienne 72).

De tout ce qui precede on peut d duire une consequence impor-

71) Cf. Les Deux Sources de la Morale et de la Religion, Paris, 1933, Bergson souligne le caractere souvent paradoxal et inapplicable du Sermon sur la montagne si on le traite comme un code: ,,Mais le paradoxe tombe, la con- tradiction s'6vanouit, si l'on considere l'intention de ces maximes qui est d'induire un 6tat d'ame ... ,On vous a dit que... Et moi je vous dis que..." D'un c6t6 le clos, de l'autre l'ouvert. La morale courante n'est pas abolie, mais elle se pr6sente comme un moment le long d'un progres. On ne renonce pas h l'ancienne m6thode, mais on l'integre dans une m6thode plus g6n6rale, comme il arrive quand le dynamique r6sorbe en lui le statique devenu un cas particulier" (p. 57).

72) An die Korinther I-II, Tiibingen, 1931, p. 67. Cf. pareillement C. SPICQ, 'Aydr&t dans le Nouveau Testament, t. I, Paris, 1958, p. 261-262.



LOI DE DIEU 57

tante au sujet des relations de la loi du Christ avec la loi de Dieu. Dans la premiere partie de cette etude, en partant de Rm vii 22-23, nous avons paru presenter la loi du Christ comme 6tant simplement l'un des aspects multiples de la loi de Dieu. Cela n'est vrai que sous le rapport des destinataires: alors que la loi du Christ ne s'impose qu'aux chretiens, la loi de Dieu inclut en mime temps que cette loi du Christ, la loi mosaique qu'observent les Juifs et la loi de la raison a laquelle sont soumis les palens. Mais il est evident que pour les chretiens la loi du Christ exprime le vouloir divin sur eux dans son integralit4. Loi de Dieu et loi du Christ s'identifient dans la perspective chretienne.

Loi de l'Esprit, loi du Christ et loi de Dieu. Nous avons deja dit comment C. H. DODD, qui s'est ensuite

corrig6, avait d'abord cru pouvoir identifier la loi du Christ et la loi de l'Esprit. P. BONNARD ecrit de mime: ,,La loi du Christ, c'est la loi de l'Esprit de vie (Rm viii 2). Il y a identitJ complete chez Paul entre cette loi (resum&e dans le commandement d'amour) et les injunctions de l'Esprit" 73). Qu'en est-il exactement, et que penser d'une pareille identification? C'est ce qu'il nous faut maintenant preciser.

La premiere chose A faire, c'est de definir la loi de l'Esprit dont Paul ne parle explicitement qu'en Rm viii 2: ,,La Loi de l'Esprit de vie dans le Christ Jesus t'a affranchi de la loi du pech4 et de la mort" 74). Comme le font la plupart des commentateurs, le fascicule de la Bible de Jerusalem consacr &a l'pitre aux Romains et la Traduction (Ecumenique du Nouveau Testament comprennent ainsi le debut de ce texte: ,,la loi de l'Esprit qui donne la vie dans le Christ Jesus". A l'exemple de CRANFIELD 75) et de quelques autres critiques, on pourrait aussi rattacher la formule ,,dans le Christ Jesus" au verbe qui suit: ,,t'a affranchi dans le Christ Jesus". Cependant cette derniere explication est moins probable: l'af-

73) Epitre aux Galates, Neuchatel-Paris, 1953, P. I18. 74) La lecture ,,t'a d61livr6" est la mieux attest6e (B, S, G, 1739, it, syP),

mais on a aussi les variantes ,,m'a d6livr6", ,,nous a d61livr6s" ou encore ,,a d6livr6" sans compl6ment. L'emploi inattendu de la seconde personne du singulier est tres expressif: ne dirait-on pas que Paul interpelle chaque chr6tien de Rome et veut le persuader que la lib6ration merveilleuse dont il va tre question le concerne personnellement? Cf. CRANFIELD Op.cit. vol. I, p. 377.

75) The Epistle to the Romans, p. 374-375.



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franchissement dans le Christ est une maniere de parler moins paulinienne que la vie dans le Christ; il y a une double antithese: l'Esprit s'oppose au pech6 et la vie dans le Christ ' la mort.

Comment rendre compte de cette expression inattendue et unique dans les 6pitres pauliniennes: ,,la loi de l'Esprit de vie"? Il faut convenir qu'elle est paradoxale. En vii I-6 Paul a d6montre que, grAce

' la mort redemptrice du Christ, le chretien est affranchi de la loi aussi completement que la femme se trouve af- franchie de ,,la loi du mari" lors de la mort de son epoux. D'oih vient qu'en viii 2 l'intervention divine qui nous libere de l'esclavage de la loi soit appelee par l'Ap6tre une loi, la loi de l'Esprit ? Saint Thomas d'Aquin s'6tait deja pose cette question, et il y avait repondu en renvoyant a Jeremie: la loi de l'Esprit, explique-t-il, c'est soit la personne mime de l'Esprit Saint, soit son activit6 en nous, conform6mement 'a cette promesse de Jr xxxi 33:,,Je mettrai ma loi au fond de leur 6tre, et je l'&crirai sur leur coeur" 76). A cette r'f'rence biblique un commentateur du XVIIe si'cle, B. Justi- nianus, a eu la bonne id&e d'en joindre une autre tiree d'Ezechiel: ,,Je vous donnerai un coeur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau: j'6terai de votre chair le coeur de pierre et je vous donnerai un cceur de chair. Je mettrai mon Esprit en vous et je ferai que vous marchiez selon mes lois" (Ez xxxvi 26-27) 77).

S. LYONNET s'est ralli &a cette interpretation 78), et elle est en effet tres solide. L'oracle de Jr xxxi 31-33, auquel le Christ renvoie formellement 'a la Cine, est d'une souveraine importance pour l'conomie chretienne; qu'on se rappelle la longue citation qui en est faite au cceur meme de l'4pitre aux Hebreux: viii 8-12; (c'est dans le Nouveau Testament la plus longue citation de l'Ancien Testament). Quant

' l'oracle d'Ez xxxvi 26-27, il ne fait que completer celui du prophete d'Anatot en precisant que la loi 4crite dans les coeurs sera une effusion de l'Esprit Saint 79). C'est de 1A

76) Voici l'essentiel du texte de saint Thomas: ,,Haec quidem lex spiritus dicitur lex nova, quae est vel ipse Spiritus Sanctus, vel eam in cordibus nostris Spiritus facit: Jr 31, 33: Dabo legem meam in visceribus eorum et in corde eorum superscribam eum": Super Epistolam ad Romanos lectura, cap. 8, lect. I; 6d. CAI, Turin, 1953, n' 603.

77) In omnes Beati Pauli Apostoli Epistolus Explanationes, Lugduni, vol I, p. 220-221.

78) Le Nouveau Testament & la lumikre de l'Ancien, A propos de Rm 8, 2-4 dans Nouvelle Revue Thdologique, 1965, p. 561-587.

79) Sur la d6pendance litt6raire et doctrinale d'Ez6chiel 36, 26-27 par rapport c J6r6mie xxxi 31-34, on peut consulter, outre les commentaires,



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que, selon toute vraisemblance, derive l'expression paradoxale de Rm 8, 2: le mot ,,loi" vient de Jeremie et le mot ,,Esprit" d'Ezechiel. Les deux oracles pris ensemble expriment l'idee d'une interiorisation de la loi divine par le don de l'Esprit, ce qui correspond parfaitement & l'affirmation de Rm viii 2.

Pour ne citer que les commentateurs les plus recents, ni CRAN- FIELD ni KASEMANN n'ont fait leur cette explication si seduisante de S. LYONNET. Mais CRANFIELD y souscrit implicitement 80) quand il souligne avec raison qu'un rapport intime existe entre Rm viii 2 et les derniers mots de vii 6:,,servir dans la nouveaut4 de l'esprit, et non dans la vetuste de la lettre" 81). Car il n'est pas difficile de s'apercevoir que ces mots font eux aussi allusion a la fois a Jr xxxi 31-34 et i Ez xxxvi 26-27 6troitement associbs: l'opposition ,,vetuste-nouveaute" renvoie ' Jeremie, et le mot ,,esprit" renvoie & Ezechiel.

KASEMANN croit devoir rejeter les references & Jeremie et & Ezechiel soutenues par S. LYONNET, mais ne les admet-il pas indirectement 82)? En effet il met un lien tres fort entre Rm viii 2 et le chapitre 3 de la seconde epitre aux Corinthiens ohi, aussi clairement que possible, l'Ap6tre opere deji la synth se de Jr xxxi 31-34 et d'Ez xxxvi 26-27: au v. 3 il est question d'une lettre ,,&crite non avec de l'encre, mais avec l'Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur les cceurs", premiere fusion de Jr xxxi 31-34 et d'Ez xxxvi 26-27; aux vv. 6-7 il est parl d' ,,une alliance nouvelle non de la lettre, mais de l'Es- prit" s'opposant au ,,ministere de la mort &crit en lettres sur des pierres", avec en outre cette sentence qui est une veritable antici- pation de Rm vii-viii: ,,la lettre tue, mais l'Esprit vivifie": c'est la une nouvelle fusion des predictions du prophite d'Anatot et du fils de Buzi 83). 1'6tude d6taill6e de H. HAAG, Was lehrt die litterarische Untersuchung des Ezechiel Textes ? Freiburg in der Schweiz, 1943, p. 38-47.

80) The Epistle to the Romans, I, p. 374. 81) F. GODET, note fort justement que la premiere expression ,,la nouveaut6

de l'esprit" est une annonce du chapitre 8 et la seconde expression ,,la v6tust6 de la lettre" une annonce du d6veloppement qui suit imm6diatement (vv. 7-25). A l'6tat nouveau ,,qu'il laisse entrevoir et qu'il se r6serve de d6crire au chapitre viii, l'ap6tre oppose l'6tat ancien. II place celui-ci le second, parce que c'est celui qu'il se propose de d6crire imm6diatement apres, vv. 7-25" Commentaire sur l'Epitre aux Romains, 3e 6dition, Geneve, 1968, t. II, p. 84.

82) An die R6mer, p. 205. 83) Sur les origines de l'antithese paulinienne lettre-esprit, commune g



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Jamais le Nouveau Testament ne repete purement et simplement 1'Ancien. Aussi nous faut-il maintenant souligner toute la distance qui s4pare Rm viii 2 des predictions precitees de Jeremie et d'Ez4chiel. Dans ces oracles, et tout d'abord dans celui du prophete d'Anatot, qui a precede dans le temps et commande celui d'Ezechiel, la loi qui est gravee dans le coeur de l'homme, ce n'est pas autre chose que la loi mosaique s4). En effet ce que J rbmie annonce, ce n'est pas A proprement parler le remplacement du code mosaique par un autre code plus parfait, mais c'est uniquement ceci qui est d'ailleurs considerable: parce que la premiere alliance a abouti & un 4chec (car, si Yahvy a tenu ses engagements, Israel, lui, a viol4 les siens), Dieu instituera une nouvelle alliance qui ne fera que reprendre le but et la formule mime de l'ancienne (,,Je serai leur Dieu, et eux seront mon peuple"), mais avec tout de meme une modalite nouvelle extraordinaire: au lieu d'etre inscrite simplement sur des tables de pierre, la loi divine sera inscrite dans les coeurs, ce qui signifie qu'elle sera pratiquee avec empres- sement, et egalement qu'elle sera decouverte en vertu d'une veritable intuition surnaturelle; il y aura une sorte de connaturalit6 oper&e par Dieu lui-meme entre la loi et les enfants d'Israel.

Cette magnifique perspective est certes maintenue par saint Paul quand il parle de ,,la loi de l'Esprit de vie". Mais en mime temps il l'amplifie considerablement. En effet, selon lui, ce n'est pas la loi mosaique, mais la loi du Christ qui est mise par l'Esprit dans le coeur des hommes; ne parle-t-il pas de ,,la loi de l'Esprit de vie dans le Christ Jdsus"? Pour faire comprendre tout ce qu'implique cet approfondissement de la perspective de Jeremie, nous n'avons qu'a renvoyer

' ce que nous avons dit plus haut sur le de passement et l',,accomplissement" eschatologique de la loi mosaique par la loi du Christ, soit dans la doctrine mime de Jesus, soit dans l'6thique paulinienne qui est un echo tris fiddle de cette doctrine.

Mais si dans le paulinisme loi du Christ et loi de l'Esprit sont A ce point unies, par quoi peut-on cependant les differencier? Pour exprimer ce qui les distingue, nous croyons 6tre en droit de faire

2 Co iii 6 et - Rm vii 6, cf. notre 6tude: Les attaches bibliques des antitheses pauliniennes dans la premiere partie de l'Ep~tre aux Romains, (1-8), dans Mdlanges Bibliques en hommage au R. P. Bdda Rigaux, Gembloux, 1970, 3e partie (p. 340-345).

84) Nous ne pouvons que renvoyer ici aux nombreux commentaires du livre de J6r6mie. Citons seulement celui-ci: A. WEISER, Das Buch des Pro- pheten Jeremias, G6ttingen, 1955, p. 292-296.



LOI DE DIEIJ 61

appel aux deux formules pauliniennes ,,dans le Christ" et ,,dans l'Esprit" en renvoyant aux monographies qui leur ont ete con- sacr8es s5).

Voici en resume ce que l'on peut dire. De mime que la formule ,,dans le Christ" exprime la sphere objective du salut en laquelle l'homme se trouve transfere par la foi et le bapt6me, de mime la loi du Christ designe les exigences morales qui resultent de ce transfert; c'est l'imperatif moral qui decoule de l'indicatif baptismal: il faut ktre toujours plus ce que l'on est devenu par la foi et le bap- tome. De m6me que la formule ,,dans l'Esprit" traduit l'aspect subjectif de la vie chretienne, l'6nergie divine du

IIsveusa qui, presente en chaque chretien, lui permet d'&chapper au double esclavage de la lettre et de la chair, de m6me la loi de l'Esprit, ce sont les inspirations et les orientations morales qui proviennent de cette energie spirituelle; c'est, pour user du langage d'Ezechiel, le ,,coeur de pierre" change en ,,coeur de chair" sensible a toutes les impulsions de l'Esprit divin que Yahv6 met gratuitement dans les hommes qu'il veut sauver.

Cependant ce n'est pas d'abord par rapport la loi du Christ, mais bien plut6t par rapport

' la loi de Dieu que le contexte de Rm viii 2 pousse a considerer la loi de l'Esprit de vie. S'il est vrai, ainsi que nous venons de le voir, que la loi de l'Esprit n'est pas autre chose que la loi divine interioris~e et consider~e comme le principe subjectif de l'action morale des chretiens, cette loi de l'Esprit correspond et s'oppose a la loi de la raison (du voic) qui &claire certes l'homme sur les exigences divines et meme les lui fait aimer (cf Rm vii 22-23, 25b), mais le laisse radicalement impuissant & les accomplir en raison des forces antagonistes de la chair et du Pech&. La loi de l'Esprit de vie nous ,,affranchit de la loi du pech6 et de la mort", parce qu'elle transforme l'esprit (le vou") de l'homme et fait &clore en lui le Tv~eitx.

Il nous resterait A scruter un dernier probl'me: quelle conception Paul s'est-il faite dans l'6pitre aux Romains de la liberte du chr&-

65) Citons seulement trois de ces monographies, tres diff6rentes les unes des autres, mais qui se compltent: E. PERCY, Der Leib Christi in den pau- linischen homologoumena und antilegomena, Lund-Leipzig, 1942 (les formules ,,dans le Christ" et ,,dans 1'Esprit" sont compar6es p. 19-43); A. WICKEN- HAUSER, Die Christusmystik des Apostels Paulus, 2e 6dition, Freiburg, 1956 (les formules ,,dans le Christ" et ,,dans 1'Esprit" sont compar6es p. 48-56; M. BOUTTIER, ,,En Christ", Etude d'Exdgise et de Thdologie Pauliniennes, Paris, 1962.



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tien, apres les preparations de cette grande doctrine dans les fpitres anterieures, et tout d'abord dans la premiere 6pitre aux Corinthiens? 86) Ne pouvant traiter maintenant une question aussi complexe, nous nous contenterons de cette seule remarque: le chretien est affranchi par l'Esprit qui lui fait aimer au dedans de lui-mime ce que du dehors r6clame la loi du Christ.

Cette liberation est d'ailleurs progressive et n'est jamais achevee. Car on retrouve ici sous une autre forme ce que nous avons constate plus haut ' propos de la loi du Christ: la morale chretienne n'est pas un code qu'on puisse se vanter d'avoir un jour accompli integralement. De

mrme qu'on n'a jamais fini de realiser les perspectives de perfectionnement moral ouvertes par le Christ, ou, ce qui revient au meme, d'imiter le Christ en personne de meme on n'a jamais fini de repondre aux impulsions de l'Esprit de Dieu qui transforme la raison de l'homme (son voiS) et le spiritualise. Et comme, d'apres l'affirmation de Rm v 5, cet Esprit ,,verse" l'amour dans le coeur des hommes, on n'a jamais fini d'aimer de cet amour que demandent de concert la loi du Christ et celle de l'Esprit.

Dans le m~me sens, on peut citer Rm xii 2: l'Ap6tre y parle de la ,,m'tamorphose" du chretien

(~-Eraop poo0eoL) et du renouvellement (&vaxvonLs) de son esprit (de son voig) sous l'action de l'Esprit Saint, renouvellement qui, inaugur6 au bapt~me, se poursuit chaque jour. Moyennant cette conversion continuelle, le chretien pourra discerner en chaque circonstance de sa vie ,,quelle est la volont6 de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plait, ce qui est parfait". Relevons la juste observation de G. Therrien au sujet de cette derniere formule (,,ce qui est parfait"): ,,Cette perfection, dit-il, ne separe pas les chretiens en fiddles de premiere z6ne et en fiddles de seconde z6ne, comme dans les religions a mysteres. Le vrai ,,parfait", selon saint Paul, est celui qui ne se considere pas encore comme parfait, achev6, parvenu au terme, mais qui demeure en route, oubliant le chemin parcouru... Comme mesure de la perfection, les 6pitres de la captivit4 proposent d'une part la charitd (Col iii 14) qui demeure dans l'au-del, contrairement aux autres

86) Nous avons 6crit . ce sujet une premiere 6tude: Le probldme de la libertd dans la Premiere Epjtre aux Corinthiens, dans Humanisme et Foi Chrdtienne, Mdlanges Scientifiques du Centenaire de l'Institut Catholique de Paris publi6s par CH. KANNENGIESSER et Y. MARCHASSON, Paris, 1976, p. 547-563.



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realites ,,incompletes" appelees '

disparaitre (cf. I Co xiii), d'autre part le Christ dans la maturit6 de sa vie celeste (Ep iv 13-15)" 87).

CONCLUSION

De l'&tude qui precede nous voudrions tirer tres brievement deux conclusions importantes: la premiere concerne l'idee que saint Paul s'est faite des rapports de l'&conomie chr6tienne avec cet el~ment capital de l'ancienne &conomie qui s'appelle la loi mosaique; la seconde a trait aux relations entre la morale paulinienne et l'enseignement de Jesus.

Quelques passages des 4pitres pauliniennes isols de leur contexte ou compris de travers pourraient suggerer et ont parfois laiss6 croire que Paul s'6tait conduit en detracteur acharne et systematique de la loi mosaique, qu'il savait pourtant avoir 6te donnee par Dieu. En realit6 il n'en est rien. Dans une etude an- terieure 88) nous avons montre comment les textes pauliniens qui traitent de la loi mosaique se repartissent aisement en deux categories. Il y a en premier lieu ceux qui la relient 6troitement '

l'alliance ancienne, donc a un acte d'amour misericordieux de Yahvy, dont elle est le signe; alors elle apparait comme une etape indispensable, quoique depass6e, de l'histoire du salut, et comme une preparation tres positive de l'conomie chretienne. Il y a en second lieu les textes ot 1l'Ap6tre se place au point de vue des judaisants qui detachaient la loi mosaique du contexte historique de l'alliance pour l'6riger en absolu; alors Paul ne voit plus dans la loi mosaique qu'un instrument de pech6 et de mort, une lettre qui ne fait que donner la connaissance de la volont6 divine sans procurer en mime temps la force necessaire pour l'accomplir; en consequence ,,une lettre qui tue", car elle brandit son terrible verdict de condamnation contre ceux qui la violent.

La recherche que nous venons de faire permet de completer ces donnees. Certes en 2 Co iii 6 la lettre qui tue, c'est uniquement la loi mosaique. Mais, ainsi que nous l'avons montr6 dans la premiere partie de notre etude, d'apres la perspective beaucoup plus large ouverte par Rm vii 7-25, ce n'est pas seulement la loi mosaique, mais ce sont toutes les lois exterieures a l'homme, y compris les

87) Le Discernement dans les EpUtres Pauliniennes, Paris, 1973, P. 148. 88) Loi ancienne et Morale chrdtienne d'aprks l'Epftre aux Romains, Nou-

velle Revue Thdologique 102 (1970), p. 785-805.



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lois imposees aux chretiens, qui ne sauraient ktre qu'une lettre qui tue, une fois detach6es du secours divin qui seul permet . l'homme dechu de les accomplir en luttant victorieusement contre ses mauvaises tendances.

Ces vues ont deja' 6t defendues par saint Augustin et par saint Thomas d'Aquin. Dans De spiritu et littera (PL 44, 215-218), l'veque d'Hippone fait observer que, mise A part la prescription du sabbat, les autres commandements du Decalogue continuent de s'imposer aux chr tiens; il en conclut que les lois de la morale chretienne, par exemple le precepte du Decalogue allegue en Rm vii 7: ,,Tu ne convoiteras pas" peuvent fort bien tuer les chretiens. S'appuyant sur ces d6clarations de saint Augustin, saint Thomas affirme egalement sans hesiter que mime les preceptes evangeliques tueraient si la grace divine ne guerissait pas la faiblesse de l'homme dechu (Ja IIae, 9. io6, a. 2).

Dans le meme passage de la Somme Theologique, en reponse a la question de savoir si la loi nouvelle justifie, saint Thomas discerne en cette loi nouvelle deux elements: un element principal (princi- paliter) qui est la grace du saint Esprit donnee aux chretiens, et un 6lment second (secondario) mais non pour autant secondaire, constitue par les enseignements de la foi et les preceptes moraux qui reglent l'existence chretienne. Ces assertions du Docteur Ang6lique correspondent fort bien a la seconde partie de notre enquete dans laquelle nous avons montre que l'6thique paulinienne comporte deux aspects intimement unis: d'une part la loi du Christ et d'autre part la loi de 1'Esprit Saint qui n'est pas autre chose que la loi du Christ interioris&e; c'est cette int&riorisation qui fait que l'homme est libere et sanctifie et qu'il appartient

' la nouvelle alliance prophetisee par Jeremie et Ezechiel.

Si, comme on l'a vu plus haut, 1'enseignement moral de 1'Ap6tre des Gentils d6pend &troitement de celui du Christ, a son tour il jette une vive lumiere sur celui-ci en soulignant qu'il ne saurait etre observe sans l'intervention de l'Esprit divin.

C'est du reste ce qui resulte d'un examen attentif du Sermon sur la montagne oji le mot ,,justice" est entendu tant6t d'une justice a pratiquer par l'homme (Mt v 20; vi I), tant8t d'une justice donnee par Dieu (Mt v 6: le rassasiement par la justice; vi 33: la recherche du Regne de Dieu et de sa justice); ce double sens est d~ji attest& dans la seconde partie du livre d'Isaie (cf. notamment le texte saisissant d'Is lvi I), ainsi qu'd QumrAn: le



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don divin: I Q S I, 12-13; XI, 12-15; la pratique de la justice: I Q S I, 5, 24; IV, 9; VIII, 2 s9). Dans le Sermon sur la montagne, l'imitation par 1'homme de la perfection du Pare celeste, et notamment de sa bonte universelle, a comme condition prealable le bienfait messianique de la justice du Regne; sans ce bienfait divin, l'ideal propose par Jesus demeurerait une chimere irrealisable 90). De meme, selon 1'Ap6tre des Gentils, la loi du Christ ne peut tre observee qu'avec la force procuree par 1'Esprit Saint.

89) Cf. W. GRUNDMANN, Das Evangelium nach Matthius, Berlin, 1968, p. 127. Grundmann souligne ce double sens en renvoyant en note aux textes de QumrAn. II dit que ce sont ceux qui souffrent de l'injustice qui ont faim et soif de la justice. Il rappelle que d'apres les prophetes il revenait au Messie d'instaurer cette justice (Jr xxiii 5; Is xi 1-4), d'oti le nom qui lui est donn6 en Jr xxiii 6: ,,Yahv6, notre-justice", nom qu'il convient de rapprocher de I Co i 30; La justice est d'abord un don de l'yre messianique, ce qui fait que RMgne de Dieu et justice sont insdparables. Cf. pareillement G. SCHRENK, dans TWNT, II art. 8taxto6vwJ p. 200: en Mt v 6 la justice est consid6r6e comme un don de Dieu offert A qui le d6sire, et pareillement en vi 33 (le Rigne de Dieu et sa justice), la justice est un don gratuit de Dieu qui met l'homme en harmonie avec la volontd divine.

90) Nous renvoyons h notre 6tude: Les deux aspects de la justice dans le Sermon sur la montagne, dans la Revue Internationale Communio, Mars 1978, p. 5-12.

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Documents

Loi de Dieu, loi du Christ et loi de l'Esprit d'après les epîtres pauliniennes: Les rapports de ces trois lois avec la Loi Mosaique