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Loi Jardé et règlement européen : quelle législation pour la recherche impliquant la personne humaine en France ? Mihaela Matei 1 , François Lemaire 2 1. APHP, département de la recherche clinique et du développementOffice du transfert de technologie & des partenariats industriels (OTT&PI), hôpital St Louis, 75010 Paris, France 2. 92, rue d’Alésia, 75014 Paris, France Correspondance : François Lemaire, 92, rue d’Alésia, 75014 Paris, France. [email protected] Disponible sur internet le : 5 novembre 2013 The Jardé law and the European reglementation: What legislation about research involving human subjects? La loi relative à la recherche impliquant la personne humaine dite « loi Jardé » a été promulguée en mars 2012 [1]. Plus d’un an s’est donc écoulé depuis sa publication, mais cette loi n’est toujours pas applicable en 2013. En conséquence, la recherche en France est toujours privée d’un nouveau cadre juridique susceptible d’améliorer et de simplifier des contraintes réglementaires inadaptées aux spécificités des recherches hors médicament. Le projet du décret d’application a été soumis à une concertation publique en septembre 2011, prélude à la saisine du Conseil d’État. Mais, en juillet 2012, la Commission européenne publiait une « Proposition, de re ` glement relatif aux essais cliniques de me ´ dicaments a ` usage humain et abrogeant la directive 2001/20/CE », cette dernière ayant elle-même été en 2004 à l’origine d’une première révision de la loi Huriet. Bien que le champ d’application du règlement européen soit limité aux essais cliniques de médicaments, l’initiative de la Commission européenne a pourtant cassé en France la dynamique de la loi Jardé. Les travaux sur le décret d’applica- tion de la loi Jardé ont été ralentis et la soumission du projet de décret au Conseil d’État repoussée. La loi Jardé Dans la lignée de la loi « Huriet » [2], la loi Jardé ne se limite pas au médicament, mais concerne la totalité de la recherche dès lors qu’elle implique la personne humaine. Elle a été écrite pour les recherches hors médicament, qui subissent pourtant depuis 2004 les contraintes imposées par la directive européenne relative aux essais cliniques portant sur des médicaments. Champ d’application Il est plus étendu que celui de la loi de 2004. En effet, la mention des recherches « impliquant la personne humaine » dans le titre de la loi est importante puisqu’elle en redessine le périmètre, permettant d’y intégrer les recherches non inter- ventionnelles. Les recherches impliquant la personne humaine pourraient en englober d’autres que celles strictement biomé- dicales, par exemple des recherches en sociologie ou en psy- chologie, « a ` condition qu’elles contribuent au de ´ veloppement des connaissances biologique et me ´ dicales ». Le titre de la loi implique la sortie de son champ des recherches conduites à partir des données déjà existantes et dont le recueil n’implique plus la personne humaine. Ceci correspond en pratique à un changement de finalité par rapport à l’objectif pour lesquelles ces données ont été collectées initialement. Actualite ´ le ´gislative en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com Presse Med. 2013; 42: 14821484 ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 1482 Évaluation et progrès tome 42 > n811 > novembre 2013 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.10.002

Loi Jardé et règlement européen : quelle législation pour la recherche impliquant la personne humaine en France ?

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Actualite l egislativeen ligne sur / on line onwww.em-consulte.com/revue/lpmwww.sciencedirect.com

Presse Med. 2013; 42: 1482–1484� 2013 Elsevier Masson SAS.

Tous droits réservés.

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Disponible sur internet le :5 novembre 2013

Loi Jardé et règlement européen : quellelégislation pour la recherche impliquant lapersonne humaine en France ?

Mihaela Matei1, François Lemaire2

1. AP–HP, département de la recherche clinique et du développement–Office dutransfert de technologie & des partenariats industriels (OTT&PI), hôpital St Louis,75010 Paris, France

2. 92, rue d’Alésia, 75014 Paris, France

Correspondance :François Lemaire, 92, rue d’Alésia, 75014 Paris, [email protected]

The Jardé law and the European reglementation: Whatlegislation about research involving human subjects?

La loi relative à la recherche impliquant la personnehumaine dite « loi Jardé » a été promulguée en mars 2012[1]. Plus d’un an s’est donc écoulé depuis sa publication, maiscette loi n’est toujours pas applicable en 2013. Enconséquence, la recherche en France est toujours privéed’un nouveau cadre juridique susceptible d’améliorer et desimplifier des contraintes réglementaires inadaptées auxspécificités des recherches hors médicament. Le projet dudécret d’application a été soumis à une concertation publiqueen septembre 2011, prélude à la saisine du Conseil d’État.Mais, en juillet 2012, la Commission européenne publiait une« Proposition, de reglement relatif aux essais cliniques de

medicaments a usage humain et abrogeant la directive

2001/20/CE », cette dernière ayant elle-même été en2004 à l’origine d’une première révision de la loi Huriet.Bien que le champ d’application du règlement européensoit limité aux essais cliniques de médicaments, l’initiativede la Commission européenne a pourtant cassé en France ladynamique de la loi Jardé. Les travaux sur le décret d’applica-tion de la loi Jardé ont été ralentis et la soumission du projet dedécret au Conseil d’État repoussée.

La loi JardéDans la lignée de la loi « Huriet » [2], la loi Jardé ne se limite pasau médicament, mais concerne la totalité de la recherche dèslors qu’elle implique la personne humaine. Elle a été écrite pourles recherches hors médicament, qui subissent pourtant depuis2004 les contraintes imposées par la directive européennerelative aux essais cliniques portant sur des médicaments.

Champ d’application

Il est plus étendu que celui de la loi de 2004. En effet, lamention des recherches « impliquant la personne humaine »

dans le titre de la loi est importante puisqu’elle en redessine lepérimètre, permettant d’y intégrer les recherches non inter-ventionnelles. Les recherches impliquant la personne humainepourraient en englober d’autres que celles strictement biomé-dicales, par exemple des recherches en sociologie ou en psy-chologie, « a condition qu’elles contribuent au developpement

des connaissances biologique et medicales ». Le titre de la loiimplique la sortie de son champ des recherches conduites àpartir des données déjà existantes et dont le recueil n’impliqueplus la personne humaine. Ceci correspond en pratique à unchangement de finalité par rapport à l’objectif pour lesquellesces données ont été collectées initialement.

tome 42 > n811 > novembre 2013http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.10.002

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Loi Jardé et règlement européen : quelle législation pour la recherche impliquantla personne humaine en France ? Actualite l egislative

Typologie de la recherche

Une notion clé, véritable pivot de la loi et critère majeur dequalification des recherches, est le risque que l’intervention liée àla recherche ajoute à la prise en charge habituelle de la personne.La loi identifie désormais trois catégories de recherches, selon leniveau de risque encouru par la personne qui s’y prête :� catégorie 1 : recherches interventionnelles qui comportent

des risques et des contraintes supérieurs aux risques et auxcontraintes minimes. Elles correspondent aux recherches« biomedicales » de la loi en vigueur. Les dispositions quirégissent ces recherches n’ont pratiquement pas étémodifiées ;

� catégorie 2 : recherches qui ne comportent que des risques etdes contraintes minimes et qui ne portent pas sur unmédicament. Elles englobent, outre les recherches « portant

sur les soins courants » actuelles, d’autres recherchesinterventionnelles à condition que le risque et la contrainteajoutés par ces derniers soient minimes ;

� catégorie 3 : recherches non interventionnelles. L’inclusion deces recherches dans le champ de la loi est sans doute un deschangements les plus marquants par rapport à la loi de 2004.L’avis du Comité de protection des personnes (CPP) devientobligatoire. L’avis du Comité consultatif sur le traitement del’information en matière de recherche (CCTIRS), qui précède lasoumission à la Commission nationale de l’informatique etdes libertés (CNIL), ne sera plus exigé. Ce sont les CPP quireprendront leurs missions.

Dispositions relatives aux démarchesréglementaires

Les différentes catégories de recherches existantes sont uni-fiées dans un ensemble unique comportant un socle réglemen-taire commun qui impose essentiellement la soumission detous les projets à un CPP et la désignation d’un promoteur.Les dispositions relatives aux collections biologiques et à larecherche génétique sont clarifiées et simplifiées.Les missions des CPP sont augmentées et diversifiées, rappro-chant ceux-ci de leurs équivalents internationaux, les comitésd’éthique de la recherche, ou Research Ethics Committees, etaux États-Unis les Institutionnal Review Boards (IRB). L’attribu-tion des dossiers aux CPP se fera par tirage au sort. Cettedisposition est cependant critiquée par la quasi-totalité desinvestigateurs et des promoteurs, industriels et académiques.La loi crée, par ailleurs, une Commission nationale des recher-ches impliquant la personne humaine auprès du Ministère de lasanté, chargée de la coordination, de l’harmonisation et del’évaluation des pratiques des CPP.

Modalités d’information et de recueil duconsentement des personnes

Les dispositions relatives à l’information et au recueil duconsentement sont également modulées en fonction des

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particularités méthodologiques de la recherche et du niveaude risque encouru par les personnes qui s’y prêtent, de façon àmieux prendre en compte la diversité des situations rencon-trées dans le monde réel. Il en existe trois catégories :� catégorie 1 : le consentement doit être libre, éclairé et écrit ;� catégorie 2 : le consentement est exprès, ce qui veut dire qu’il

peut être en pratique écrit ou oral ;� catégorie 3 : le consentement n’est pas requis. Néanmoins,

l’information spécifique et individuelle de la personne estbien sûr obligatoire, avec toujours la possibilité d’opposition.

D’autres adaptations des modalités de recueil du consentementsont apportées en pédiatrie (modifications des conditions per-mettant l’inclusion d’un mineur avec le consentement du seultitulaire de l’autorité parentale présent) ou en épidémiologie(dérogation au consentement dans le cadre des recherchesinterventionnelles en population ou portant sur des clusters), àcondition que la recherche ne comporte que des risques mini-mes.

Proposition de règlement européen relatifaux essais cliniques de médicaments

Champ d’applicationÀ l’instar de la directive 2001/20/CE, le règlement n’encadreque la recherche interventionnelle portant sur le médicament,appelée « essai clinique de medicament ».

Déroulement de la procédure communautaire

Le Conseil quant à lui devrait terminer l’examen du projet de laCommission et y apporter ses amendements à la fin du moisd’octobre 2013. Le projet de règlement a été transmis par laCommission européenne en juillet 2012 au Parlement euro-péen et au Conseil des ministres des états membres (EM).Chacune de ces deux instances doit étudier et amender cetexte. La Commission Environnement, santé publique et sécu-rité alimentaire (ENVI) du Parlement européen a remis sonrapport fin mai 2013 [3]. Le projet de règlement sera ensuitediscuté et consolidé au cours d’une négociation tripartite, le« trilogue », avant d’être soumis au vote du Parlement euro-péen, qui ne pourra guère intervenir avant le début de l’année2014.

Objectifs

Le texte proposé par la Commission vise essentiellement àsimplifier et à raccourcir les procédures d’autorisation desessais cliniques, tout en inscrivant ces recherches dans uneapproche basée sur le risque.

Procédure d’évaluation et d’autorisation des essaiscliniques

Afin d’accélérer la procédure d’autorisation des essais cliniquesmultinationaux, cible prioritaire de l’industrie pharmaceutique,un seul état membre (EM) dit rapporteur conduira l’évaluation

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M Matei, F Lemaire

des projets soumis via un portail unique européen. Cet EMrapporteur, après concertation, rendra un avis unique quis’imposera alors aux autres EM concernés par le projet. Lesdélais d’expertise ou de décisions seraient considérablementraccourcis, par exemple 10 jours pour l’évaluation éthique (!?).

L’approche basée sur le risque

Le projet de règlement s’inscrit dans la démarche qui consiste àadapter les contraintes réglementaires aux risques et auxcontraintes ajoutés par la recherche. En conséquence, unecatégorie d’essais avec « faible intervention » est créée, àl’instar de la catégorie des recherches avec « risque minime »

de la loi Jardé. Elle englobe les essais cliniques qui portent surles médicaments titulaires d’une autorisation de mise sur lemarché et dont les procédures supplémentaires de diagnosticou de surveillance impliquent un risque ou une contrainteminimes pour la sécurité des participants.

Évaluation éthique

Le parti-pris le plus contesté de la proposition est le refus delégiférer au plan communautaire dans le domaine de l’éthique,ce champ relevant de la compétence nationale. Enconséquence, le mot « comités d’éthique » n’est jamais men-tionné, à la grande fureur de nombreux intervenants, quicraignent leur suppression pure et simple. Le grand nombred’amendements déposés aussi bien par le Conseil des ministresque par la Commission ENVI du Parlement laisse présager unrecul de la Commission européenne sur ce point.

Consentement des personnes

Le régime établi par le règlement est plus strict que celui de laloi Jardé, la règle étant le consentement écrit, y compris pour lesessais cliniques à faible intervention. S’agissant des recherchesen situation d’urgence, alors que la directive de 2001 avaitcomplètement omis de les inscrire dans son dispositif, laproposition de règlement prévoit des règles spécifiques. Néan-moins, les essais cliniques en situation d’urgence ne pourrontêtre réalisés sans consentement préalable que si la recherchene comporte que des risques et des contraintes minimes (art.32) ce qui interdira en pratique les essais sur tout produitinnovant [4,5].

Références[1] Loi no 2012-300 du 5 mars 2012 relative aux

recherches impliquant la personne humaine.(JO du 06/03/2012).

[2] Loi no 88-1138 du 20 décembre 1988 diteHuriet relative à la protection des personnesqui se prêtent à des recherches biomédica-les. (JO du 22/12/1988).

[3] http://www.europarl.europa.eu/sides/get-Doc.do?.pubRef=%2f%2fEP%2f%2fTEXT%2-

bREPORT%2bA7-22bDOC%2bXML%2bVe=FR

[4] Matei M, Kompanje ELemaire F. Clinical resat the horizon, onceMed 2013;39:1479-8

[5] Coats TJ, Graham CAtrials directive – a th

Transparence

Lors des débats qui se sont déroulés de mars à mai 2013, denombreux intervenants, notamment les réseaux Cochrane, ontdemandé que le règlement renforce les dispositions prévuesinitialement sur la transparence des données permettantl’accès public non seulement aux résultats des essais cliniquesmais aussi aux données brutes recueillies pendant la recherche.La nature des données qui deviendraient ainsi accessibles faitencore l’objet de vifs débats, parasités par la discussion para-llèle d’un autre règlement européen portant sur la protectiondes données à caractère personnel [6].

Articulation entre la loi française et lerèglement européenBien que le règlement européen ne traite que des recherchesinterventionnelles portant sur le médicament (essais clini-ques de médicament) et que la loi Jardé soit consacréeessentiellement aux autres types de recherches impliquantla personne humaine (dispositifs médicaux, chirurgie, etc.),l’articulation entre les deux textes rendra nécessaire unecertaine adaptation du cadre juridique en France. De nom-breuses dispositions « Jardé » sont attendues avec impa-tience par la communauté scientifique, notamment celles quiconcernent les recherches avec risque minime, les recherchesnon interventionnelles, les collections biologiques et lagénétique.Il est regrettable que la mise en oeuvre de la loi Jardé ait étésuspendue dans l’attente d’un texte européen dont le périmè-tre est limité au médicament et qui pourrait n’être voté quedans plusieurs années.En pratique, le législateur français devra choisir entre le main-tien d’une loi unique ou la coexistence de deux loiscomplémentaires pour la recherche : continuer dans la voiechoisie en 1988 et inscrite dans la loi Huriet, à savoir une seuleloi pour la totalité des recherches, ou prévoir deux lois dis-tinctes, l’une pour la recherche sur le médicament et qui sera laversion française du règlement européen, et l’autre, la loi Jardé,qui encadrera toutes les autres recherches ?

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Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflitsd’intérêts en relation avec cet article.

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research in Europe? Eur J Emerg Med2013;20:149-50.

[6] Reding V : « Données personnelles : il esttemps d’agir » Le Monde : 25 juin 2013 -Eudes Y : « Très chères donnéespersonnelles » Le Monde 04 juin 2013.

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