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BECMcMASTER

LONDRESLATÉNÉBREUSE–2

LaBêtedel’ombre

Traduitdel’anglais(États-Unis)parTiphaineScheuer

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BecMcMaster

LaBêtedel’ombre

Londreslaténébreuse2

Collection:CrepusculeMaisond’édition:J’ailu

Traduitdel’anglais(États-Unis)parTiphaineScheuer

©BecMcMaster,2013Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ’ailu,2015Dépôtlégal:octobre2015

ISBNnumérique:9782290083727ISBNdupdfweb:9782290083734

Lelivreaétéimprimésouslesréférences:ISBN:9782290093856

CompositionnumériqueréaliséeparFacompo

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Présentationdel’éditeur:ÀWhitechapel,oùrègnentenmaîtreslesmembresdel’Échelon,quipourraitsoupçonnerlacharmanteLenaTodddequelconquetraîtriseenverslessiens?Pourtant,ensecret, elleaembrassélacausehumaniste,espérantdéfierlesredoutablessangbleuquigouvernentLondres.Maisalorsqu’elleestenpossessiond’unbilletconfidentield’uneextrêmeimportancequ’onluiarécemmentremis,ellesefaitdémasquerparWillCarver.Leloup-garouauterriblepassé.CeluiquechacunsurnommelaBêteetqueLenadésireauplusprofondd’elle-même...Etsilamenacenevenaitpasquedessangbleu,Lenadevrait-elleseméfierdeWill?

Biographiedel’auteur:Passionnée par les créatures surnaturelles, Bec McMaster écrit de la romance paranormale. Londres la ténébreuse, sa toute première série, est sombre, originale etdélicieusementsensuelle.

©J’ailu

©BecMcMaster,2013

Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ’ailu,2015

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DumêmeauteurauxÉditionsJ’ailu

LONDRESLATÉNÉBREUSE

1–LafugitivedeWhitechapelN°11079

1.5–Desangetdeglace

Numérique

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Sommaire

TitreCopyright

Biographiedel’auteur

DumêmeauteurauxÉditionsJ’ailu

Chapitre1

Chapitre2

Chapitre3

Chapitre4

Chapitre5

Chapitre6

Chapitre7

Chapitre8

Chapitre9

Chapitre10

Chapitre11

Chapitre12

Chapitre13

Chapitre14

Chapitre15

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Chapitre16

Chapitre17

Chapitre18

Chapitre19

Chapitre20

Chapitre21

Chapitre22

Chapitre23

Chapitre24

Chapitre25

Chapitre26

Chapitre27

Chapitre28

Épilogue

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1

Lebrouillards’accrochaitàlaTamisecommeuneprostituéeàunclientfortuné.Leslampesàgazquidiffusaientleurfaisceauicietlàperçaientcettepuréedepoisàlamanièred’unfeufollet.C’étaitlanuitidéalepourpasserinaperçu.

WillCarvergalopaitàtraverslestoitset lespignons.Ilbonditpar-dessusuneruelleets’arrêtaderrièreunecheminéenonloindeBrickbank.

Unhommeatterritaveclégèretésurlestuilesàcôtédelui,lesoufflecourt.Vêtudecuirdespiedsàlatête,iln’étaitarméquededeuxlamesfixéesàsaceinture.

—Bonsang,tuessaiesdemetuer,ouquoi?murmuraBlade.Il avait parlé à voix basse, mais les sons portaient dans la nuit silencieuse.Will retroussa les

lèvresetjetaunregardàsonmaître.—Cen’estpasnousqu’ilsécoutent,monpote.(Bladeseredressaetobservalacolonnedefumée

rougedevanteux.)Pasaveccefeu.Etaucund’entreeuxn’atonouïe.Un nuage de fumée rougeâtre embrasait le ciel nocturne, à peine étouffé par le brouillard.

Àchaqueinspiration,Willpercevaitlegoûtdecendredansl’air.Devanteux,unmurdebriquemassifetunegrillebloquaientl’accèsàlaville.UnetroupedeCuirassesarpentaitlaplacedevantlaclôture,lalueurdeslampessereflétantsurleurspoitrinesblindées.L’extrémitéduredoutablelance-flammesqui remplaçait leur bras gauche suffisait à tenir la foule en respect. Toutefois, il s’agissaitd’automatesetnond’humains.

Willavaitapprisdepuislongtempsqu’ilsnelevaientjamaislesyeux.—Par-dessus?demanda-t-il.— Tu m’excuseras, dit Blade, mais on pourrait directement passer les grilles en dansant le

quadrillequ’ilsbougeraientpasuneoreille.La lueur diabolique dans son regard indiquait qu’il était prêt à essayer.Rien ne plaisait plus à

Bladequedefaireunpieddenezauxsangsbleusquigouvernaientlaville.—Ouais,ehben,onapastoustachance,luirappelaWill.Matêteàmoiesttoujoursmiseàprix.Bladesoupiraetobserval’imposantédifice.—Danscecas,ceserapar-dessus.—Tudeviensparesseux.—Jedevraisêtreàlamaison,dansmonfauteuil,avecuncigareetunbonverredevindesang

chaud.Cequ’il segardad’ajouter, c’étaitqu’ilne seraitprobablement en trainde faire aucunedeces

choses.Sil’incendienelesavaitpasattirésdehors,Bladeseraitaulitavecsafemme,Honoria.

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Willreculadequelquespas.Luin’avaitaucuneraisondevouloirrentrerchezlui.L’appartementqu’illouaitétaitfroidetpeuattrayant.Iln’avaitriennipersonneàyretrouver.

D’ungrandbond,il traversalarueetatterritsuruntoitprèsdesgrilles.Puisilpritsonélanetsautapar-dessuslemuravantquelegardesituéausommetaitpuéteindrelaflammedesonallumette.Lesyeuxhumainsnevalaientparfoispasmieuxqueceuxdesautomates.

Des bruits de pas lui firent écho sur les toits tandis qu’il filait discrètement dans la nuit. Lebrouillard s’écartait autour de lui et dérivait dans son sillage, mais il était trop rapide pour quequelqu’unpuissel’apercevoir.

Ici, en ville, les rues étaient légèrement plus larges, les bâtiments moins serrés que dans lescoloniesdeWhitechapeloùilrésidait.Lesangaffluaitdanssesveinesàmesurequ’ilbondissaitdetoitentoit.Ilétaitrestéenfermétroplongtemps:cetexerciceluifaisaitleplusgrandbien.

Deshurlementsparvinrentàsesoreilles,suivisdescrisorganisésdeceuxquiessayaientdefairefonctionner les pompes à eau. De petits flocons de cendres étouffants dérivaient dans l’air. Wills’immobilisaaudétourd’unecheminée.

Devant lui, le monde tout entier semblait s’être embrasé. Des flammes orangées léchaient lescieux et un voile de fumée sombre flottait au-dessus de la rivière. Des dizaines de personnesmaniaientdespompesàeau,essayantdésespérémentd’empêcherlebrasierdesepropagerdavantage.

—Nomd’unchien,juraBladeens’agenouillantauxcôtésdeWill.—Lesusinesdedrainage,déclaraWill.Quelqu’unamislefeuauxusinesdedrainage.C’était impensable.Laséried’usinessituée le longde larivièreappartenaità l’Échelon,et leur

butétaitdefiltreretdeconserverlesangrécoltégrâceauxtaxesdesang.Laperteseraiténorme.Bladeplissalesyeux.—Toietmoi,ondevraitsetirerd’icivitefait.(Ilgonflalesnarines.)L’endroitvagrouillerde

Cuirassesenmoinsdetempsqu’iln’enfautpourledire.Willreculad’unpas.IlsavaitégalementcequeBladenedisaitpas.Onnepourraittrouverplus

parfaitsboucsémissairesqu’euxdeux.Lamajoritédesaristocratesde l’Échelonétaient furieuxdupardonetdutitredechevalierquelareineavaitaccordésàBladetroisansplustôt.Et,àleursyeux,Willn’étaitqu’unesclavesanscollier.

Untintementdemétalsefitentendre.Desbruitsdebottescercléesdefersurdespavéslointains.Àenjugerparleson,ils’agissaitd’unearméeentièredeCuirasses.

—Va,ordonna-t-ilenpoussantsonmaîtreenarrière.Iln’enfallaitpasplusàBlade.Ilremontalestuilesàlahâte,etunepercéedanslesnuagesbaigna

sonvisagedansleclairdelune.Ilfutuntemps,quelquesannéesplustôt,oùsescheveuxseseraientilluminés telunpharedans lanuit.Aujourd’huid’unecouleurbrunclair, sapeaun’étaitplusaussipâlequelemarbrecommeautrefois.

Willprit sa suited’unpas léger, à l’affûtdumoindre sonderrièreeux. Ils avaientvucequ’ilsétaientvenusconstater.Nuldoutequelarumeurenvahiraitlesruesaupetitmatin.

Unmouvementdevantluiattirasonattention.L’éclatd’unmanteaunoiravaitpercélebrouillard.WillbonditetplaquaBladeausolenlecouvrantdesoncorps.

Bladesoufflabruyamment.Ilrelevalatête.—Merci,maisjesuisdéjàpris…—Tais-toi.Willposalamainentrelesomoplatesdesonmaîtreets’accroupit.Ilfouillalabrumedesyeux.

Là.Untintementmétallique.Desvoixdansl’obscurité.L’immobilitédeBladeétaitéloquente;illesavaitentenduesluiaussi.

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—Resteàterre,soufflaWillprèsdesonoreille.Jevaisallervoir.—Est-cequej’ail’aird’avoirbesoind’unfichuchaperon?Will lui jeta un regard. Trois ans plus tôt, ça n’aurait pas été le cas. Blade avait été la plus

dangereusedetouteslescréaturesàrégnersurlesténèbres.Maisl’évolutiondelacouleurdesapeauet de ses cheveux n’était pas la seule transformation qui avait opéré en lui depuis qu’il avaitcommencéàboirelesangdeHonoria.

—Vasurlagauche,finit-ilparmurmurer.Àmoinsd’attacherBladeàlacheminéeavecsaceinture,ilyavaitpeudechancequ’ilresteplanté

là.Tousdeuxsefondirentdanslebrouillard.Lesvoixdevanteuxs’estompaient.Willsemouvaittel

unspectre,etsonmanteauenlainesombreondulaitautourdeseshanches.Par-dessus, ilportaitunlourd gilet en cuir truffé d’inserts en métal ; ses genoux étaient également renforcés de plaquesd’acier.Dansunmondeoùl’armedebasepouvaitêtreuncouteaudeboucherouunecléanglaise,onn’étaitjamaistropprudents.Sonvirus,leloupe,pouvaitleguérirdepresquetout,maisuncoupdecouteau,çarestaitdouloureux.

Unbruitmétallique résonnadenouveauetun juron retentit dans l’air.Puis le silence retomba,comme si les deux personnes s’étaient figées pour vérifier qu’on ne les avait pas entendues.Willralentitetavançaenplaçantprudemmentunpieddevantl’autre.Ils’accroupitetcontournaunconduitde cheminée à quatre pattes. Aucun signe de Blade alentour,mais ce dernier le surpassait dans ledomainedeladiscrétion.

—Fais-letomberencoreunefoisetMercurytecouperalatête,lâchaquelqu’un.Deux silhouettes. Toutes deux vêtues de noir, et qui avançaient à pas de loup. La plus petite

récupéra quelque chose de lourd par terre. Un tube enmétal creux, semblable aux lance-flammesutilisésparlesCuirasses.

—Mercuryestpas là,si?demandalepluspetitenhissant le lance-flammessursonépaule.Etquandilsauracommentons’enestsortis,ilnousnoierasouslabièreetlesputes.

— Seulement si l’Échelon ne vous étripe pas avant, déclara Blade d’un ton affable en sematérialisantdenullepart.

Merde.Will bondit en avant tandis que les deux hommes se tournaient vers son maître. Malgré leur

querelle,ilsréagirentavecuneefficacitémilitaire.Lepluspetitbranditlelance-flammestandisquel’autredégainaitsoncouteau.Letubecrachota,puisuneflammeorangeviftransperçalebrouillard,illuminantletoitettousceuxquis’ytrouvaient.

Bladesebaissaetbalayalespiedsduporteurdecouteau.Willsaisitlecanondulance-flammesetdonna un coup de coude dans le visage de l’agresseur. Il y eut un craquement, puis son cerveauenregistralachaleurducanon.Illerelâchaetl’armeallaroulerauborddutoit,avantd’êtreretenueparlagouttière.

—Vousêtesquetouslesdeux,lesgars?raillaBladesansmêmeprendrelapeinededégainersesrasoirs.

Ilsepenchaenarrièrepouréviterlecoupdecouteau,effectuantungestequidéfiaitlesloisdelagravité,avantdeseredresserd’uncoup.

L’hommeenfacedeluiseraidit.—Saletédesuceursdesang!s’écria-t-il.Puisilplongealamaindanssapochepourappuyersurquelquechose,etlesupplicesedéchaîna

souslecrânedeWill.

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C’étaitcommeunpicàglaceenfoncédanssoncerveau,quiledéconnectaitdesonproprecorpsetdurestedumonde.Ils’effondrasurlestuilesetcherchadésespérémentuneprise.Ilcommençaàglisser.

Il reçutuncoupviolentsous lementonetsa têtepartitenarrièreavecuneforceahurissante. Ildistingua des paroles déformées par le hurlement dans sa tête,mais il ne pouvait en saisir aucunedistinctement.Puisilperçutunmouvementdanssavisionpériphérique.Unautrecoupàlapommette.Unflotdesangchaudethumidegiclasursonvisage.

Will plaqua sesmains sur ses oreilles et se laissa retomber en arrière sur les tuiles. Ce son !Commedesrasoirsdanssatête.

Dans…sapoche.Çavenaitdelapochedel’homme.Unesorted’appareil.Il serra les dents et vit le plus petit des assaillants lever le lance-flammes. Pas le temps de

réfléchir.Ildonnauncoupdepiedendirectiondugenoudel’homme.Il sentit un poids s’effondrer sur lui et ils grognèrent enmême temps. Le crissement strident

résonnaitenrythmeaveclesbattementsdesoncœur.Willsehissasursespieds,chancelant,etsemitenquêtedeBlade.

Là. Sur le toit. L’autre homme était penché sur lui et Will comprit qu’il avait profondémentenfoncésalamedanslapoitrinedeBlade.Pouressayerdeluitranspercerlecœur.

—Non!rugit-il.Ilvit rouge.La ragemontaen lui, l’engloutit toutentierenbrûla toutdanssonsillage. Il saisit

l’hommeparlecoletleprojetaàplusieursmètres.Bladehoqueta,désorienté,etposalamainsurlemancheducouteau,maissesréflexesétaientralentis.

Leson.Willplaqua l’hommeà terreet fouilladanssapoche. Il ensortitunpetit appareilvibrantqu’il

broyadanssamain.Lesilenceretomba.Willtitubaetjetalesfragmentssurlecôté.Lesoreillestoujourslancinantes,ilpouvaitaumoins

réfléchirpluscalmement.Respirer.Bouger.L’odeurcuivréedusangmontaàsesnarines.—Blade,gronda-t-ilens’agenouillantàcôtédesonmaître.Bladelevalatête,avantdes’effondrerdenouveau.—Retire…cefichutruc…c’estdel’argent.Ilposalesdoigtssurlemancheettressaillit.—Bougepas,ditWill.Lasueurperlait sur son front.L’armeétaitenfoncée jusqu’à lagarde. Iln’avaitaucune idéede

l’étenduedesdégâts,nidecequirisquaitd’arrivers’illaretirait.Derrière lui, les deux hommes s’entraidaient pour se remettre sur pied.Will leur jeta un coup

d’œil,maismaintenantque l’avantage leur était revenu, àBlade et lui, ils essayaient deprendre lafuite.

—Éventréparunhumain…ditBladeavecunrireincrédule.J’aitoujourspensé…queceseraitl’Échelon.Unjouroul’autre.

—Arrêtedepleurnicher.Will arracha sa chemise et un frisson glacé remonta le long de son échine. Les sangs bleus

avaientlaréputationd’êtrecoriacesàabattre.C’était l’unedesraisonspourlesquelleslesFrançais,pendant laRévolution, avaient guillotiné leursnobles.Le seul autremoyend’yparvenir, c’était deleur transpercer le cœuroude leur causerdesdégâts suffisammentgraves. Il déglutit et plaqua sachemisesurlaplaiepourendiguerleflotdesang.

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—C’estrienqu’uneégratignure.Onvateremettresurpiedenunclind’œil.Blade croisa son regard. Ses doigts se refermèrent autour du poignet deWill avec une force

étonnante.—Jure-moideveillersurelle,grogna-t-il.Si…sijene…Willbaissalesyeux.—Ouais.Tu le saisbien. (Il devait savie àBlade,malgré cequ’il pensait personnellementde

Honoria.)Bougepas.Tuasbesoindesang.LesténèbresengloutirentlesprunellespâlesdeBlade.Satêteroulasurlecôté.—Jemesens…engourdi…murmura-t-il.LapaniquemontadanslagorgedeWill.—T’avisepasdefaireça!(Ilsortitsongroscouteaudechasseetpritlatêtedesonamientreses

mains.)Tiens.Boismonsang.Çavat’aider.Ilsehâtad’entailleruneveineàsonpoignet.PuisilredressalatêtedeBladeetlamaintintcontre

lacoupure.Ileutunmouvementd’hésitationquineluiétaitjamaisarrivéauparavant.Ilsavaitàquoipensait

Blade. Il avait cessédeboire directement sur tous ses esclavesde sangquandHonoria était entréedanssavie.Ilbuvaitdésormaissonsangsousformeréfrigérée,oudirectementsurelle.

—Soispasstupide.Elledirarien,grognaWill.Denouveau, les ténèbresconsumèrent les irisdeBlade.LecœurdeWillmanquaunbattement.

Pasdepeur, non, cen’était pas ça.L’anticipationenflammait sesveines. Il n’était plus l’esclavedeBladedepuisbienlongtemps.Iln’avaitpasréalisécombiençaluiavaitmanqué.

QuandlabouchedeBladeseposasursonpoignetetquesalanguepassasurlaplaie,Willtombaen avant sur sesmains. Un gémissement s’échappa de ses lèvres. Des sentiments qu’il n’avait paséprouvésdepuisdes annéesaffluèrent en lui.Audébut,quandBlade l’avaitpris commeesclave, ilavaitétéenproieàlaconfusionlaplustotale,maiscen’étaitriendeplusquelaréactiondesoncorpsauxagentschimiquescontenusdanslasalivedesonmaître.

Maiscetinstantdeproximité…Ilserralesdentsettentadenierl’attraction.C’étaitdeuxfoisplusduraprèstroisansd’abstinence.Ettoutaussidéroutant.Iln’avaitjamaisrienressentidetelaveclesfemmes.Oudumoins,jusqu’àcequ’ilrencontreLena.Nepensepasàelle.Willsemorditlalèvreens’efforçantd’ignorerlavaguedeplaisirqueluiprovoquacettepensée.

Sescheveuxfoncés,sesyeuxsombres,sonsourireenjôleurquilerendaitfou…Sonentrejambesedurcitetillâchaungrognement.Ilpenchalatêtequandlasensations’intensifiasursonpoignet.

Toutfutfinibientroprapidement.Willselaissaretomberenarrièreetplaquasonpoignetcontresontorse.L’empreintedeslèvresdeBladepalpitaitencoresursapeau.Lesbordsdentelésdesaplaiesemirentà s’échauffer ; le loupeguérissaitpromptementsablessure.Elleauraitdisparuenmoinsd’uneheure,pournelaisserqu’unepetitelignerosesursapeaubasanée.

Blade releva les genoux. Des flammes noires brillaient dans ses yeux. Il saisit la poignée ducouteauetserralesdents.Ilretiral’armedesapoitrineenpoussantunrâle,puiss’effondracontreletoit,haletant.

Laplaiesaignaittoujours,maismoinsabondamment.AveclesangdeWilldanslecorps,ilavaitdebonneschancesdes’en tirer.Lesangde loup-garouétait trois foispluspuissantqueceluid’unhumain.

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—Honoria…vametuer,haletaBlade.Siseulementilsurvit.Willobservasonteintcireuxetdétournarapidementlesyeux.Lesblessures

au cœur étaient toujours dangereuses. Il devait le ramener au repaire, où Honoria, avec sonexpériencemédicale,seraitenmesuredel’aider.

Il fabriqua un bandage de fortune, maintint son manteau bien en place pour contenir lessaignementsetnoualesextrémitésdesachemise.

—Voilà.Çatiendrajusqu’àcequ’onsoitrentrés.Ilglissasonbrassousl’épauledeBladeetl’aidaàseredresser.Bladeplaquasonpoingsursapoitrine.CespectacleglaçadenouveaulesangdeWill,avantdele

mettreencolère.Troisansplustôt,Bladeauraitridelasituation.Iln’étaitdésormaisplusàlalimitede la Disparition graduelle, ce moment où le virus finissait par triompher du sang bleu ettransformaitcedernierencréaturemaléfique…mais, l’espaced’uninstant,Willnefutpassûrquececivalaitbeaucoupmieux.

—Tupeuxmarcher?Bladesedressapéniblementsursespieds,leregardvoiléparladouleur.—Tiensbon,ditWillensepenchantpourhissersonamisursonépaule.Jevaisterameneràla

maison.ÀHonoria.Ellesauraquoifaire.Tiensbon.

Honoria remonta les couverturesunpeuplushautpuisbaissa l’intensitéde la lampeàgaz.Lalumières’atténua,projetantdemultiplesombresàtraverslachambre.Bladedormait.Willfaisaitlescent pas devant le feu dans la cheminée et la peau de son poignet picotait sous l’effet de lacicatrisation.

Honoria s’éloigna du lit et alla se laver les mains. Elle gardait un visage composé, mais dessillonss’étaientcreuséssoussesyeuxrougis.Quandellesetourna,lalumièreilluminasonprofilet,l’espace d’une seconde, Will cessa de respirer ; c’était un autre visage qu’il visualisait dans lesombres.PuisHonoriarelevalesyeuxethaussaunsourcil,etl’imagedisparut.Elleavaitlesmêmesyeux foncés et lesmêmes cheveux acajou que sa sœur,maisLena possédait un plus joli visage etquelquescentimètresdemoinsquesonaînée.

Lefantômedesasilhouettelehantait.Honorialuiadressaunpetitsignedumenton,signifiantqu’ellevoulaitluiparler.Dehors.IljetaundernierregardàBladeetsedirigeaverslaporte.Ilavaitdûluiemprunterunechemise,

maisill’avaitlaisséeouvertecarilneparvenaitpasàlaboutonner.Lesmanchestiraientsursesbras.C’étaitgrotesque.Maisiln’allaitpasfrapperchezRip,l’autrelieutenantdeBlade,pourluiemprunterunechemisequiavaitplusdechancedeluialler.

Honoriarefermalebattantderrièreelle.—Jepensequeçaira.Ilnesaigneplusetjevaisluiapporterencoreunpeudesang.Mercideme

l’avoirramené.Willhochalatête.Iln’avaitjamaiseugrand-choseàluidire.Ilsavaientessayé,quandelleavait

épouséBlade,detrouverunterraind’entente.Maisilsavaitcequ’ellepensaitdelui;laveilledesondépartdurepaire,ilavaitsurprisdesbribesdeconversationplutôtexplicites.

Dangereux.Imprévisible.Unemenacepoursasœur.Parfois,ilsedemandaitsiellen’avaitpascomplètementtort.

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Ellebaissalesyeuxsursonpoignet.—Est-cequetuasbesoindesoins…?—Çacicatrisera.—Quelquechoseàmanger,danscecas?Ilyaduragoût…danslacuisine.Jevais…—J’aipasfaim.Ilhochalatêteenguisedesalut,puistournalestalons.Sanuquelepicotait.—Will.S’ilteplaît.Ils’arrêtaetjetaunregardpar-dessussonépaule.—Tusaisquetupeuxreveniràlamaison,maintenant.Çaluibriselecœurquetuvivestoutseul.

Etpuis…ellen’estplusicinonplus.Honorianecomprendraitjamais.Ilsecoualatête.—C’étaitpaselle,laraisondemondépart,gronda-t-il.Dumoins,paslaseule.Ildisparutdansl’obscuritéetsentitlesyeuxdelajeunefemmequinelequittaientpas.

Inutilederentrer.Willobserval’incendieauloin,toujourshorsdecontrôle.Quelquechoseausujetdecetteattaque

letracassait.Lemystérieuxappareil.Lelance-flammes.Lecouteauenargent.Ceshommess’étaientpréparésàaffronterunsangbleuetàlemettrehorsd’étatdenuire.

Ilinspiraprofondémentparlenez.Avecl’odeurdecendreétouffantequiobstruaitl’air,difficilededénicherunepistequelconque.Maispasimpossible.Ilpritladirectiondel’estparlestoits;sonmalaises’accentuait.Lestypesretournaientverslenord.VersWhitechapel.

Juste avant lemurqui entourait les colonies, ilsdescendirentdesbâtiments etdisparurentdansuneruelle.Willconnaissaitbienlequartier.C’étaituneimpasse.

Illessuivitetseretrouvafaceàunmurdebrique.Lesodeursdescoloniessedéversaientdanslesruesenvironnantes.Ilplissalenezetjetaunregardalentour.Ilyavaitunegrilleaumilieudespavés,maisilsn’étaientsûrementpasdescendusparlà…Ellemenaitauxégoutset,delà,danslelabyrinthedesSouterrains.Plusriennipersonnenevivaitpluslà-dessous,saufdesfantômes.Lesgensavaientessayéd’yretournerunefoisquelevampireayantabattuleshabitantsyavaitététué.Maisquelquechoselesenavaitdenouveauchassés.

Tout cet espace, les grottes et les habitations creusées dans les tunnels des vieux souterrainsétaientvides.Dumoins,c’estcequ’onendisait.

Willsoulevalagrilleetselaissatomberdanslesténèbres.Ilatterritd’unpiedléger.Sonodoratluiindiquaqu’iln’yavaitrienici.Aucuneautreodeurquecelledesdétritusetdesrats.

Sanslacendreetsansunsouffledevent,ilétaitplusfaciledesuivrelapiste.Leduon’avançaitpas vite, estimant probablement qu’ici-bas, il était à l’abri de l’Échelon et de ses Cuirasses.Willsecoualatête.C’étaientdeshommesmorts.L’ÉchelonnesecontentaitpasdesesCuirasses.Enmoinsd’une heure, les tunnels pouvaient être envahis d’Engoulevents, l’infâme guilde de traqueurs quiarrêtait lesvoleursdelaville.Ils’agissaitdesangsbleusrenégatsdont l’odoratétaitpresqueaussiaiguiséqueleurvue.

Ilallaitdevoirsedépêchers’ilvoulaitleurmettrelamaindessuslepremier.Ilpataugeadanslefondd’eaustagnante,lenezpresqueneutralisé.Ilavaitdéjàsentipiresodeurs

mais,àcetinstantprécis,ellesn’étaientplusqu’unlointainsouvenir.Voilàlamalédictiondeposséderdessensaffûtés.Ildécelaitlemoindreeffluve,dumuscnaturelchezunefemmeàlalégèretracede

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poisondansunverre;ilpouvaitvoiràdeskilomètreset,s’iltendaitl’oreille,ilpouvaitentendredeschosesquelesgensauraientpréférégardersecrètes.

Commedespasfurtifsàquelquescentainesdemètresdelui.Willsuivitcettedirectionsansunbruit.Desmurmuresrésonnèrent,puisunelumièreapparut.Une

lueurvacillanteetétouffée.—Je l’aieu!s’exclamaleplusgros.Enpleindans lemille. Ilvamoinssedonnerdesgrands

airs,celui-là,hein?Willplissalesyeux.—Laferme,grognalaplusgrandedesdeuxsilhouettes.(Ilémanaitd’elleunrelentâcredepeur

etdetranspiration.)Tul’aspasreconnu,ouquoi?Unhaussementd’épaule.Lepluspetitpataugeaitnégligemmentdansl’eau.—C’esttouslesmêmespourmoi.Desvampiresauteintterreux.—C’étaitlui,réponditl’autrehomme.Lediableenpersonne!—LeDiable deWhitechapel ? (Un sourire enchanté étira les traits du petit.)Nomd’un chien,

Freddie!Aprèstoutescesannéesoùl’Échelonlui-mêmen’apasréussiàl’attraper!Ettoitul’aseu!T’escélèbremaintenant!

—Jesuissurtoutmort,voilàcequejesuis,répliquaFreddie.Sic’étaitlediable,alorst’imaginesquiétaitl’autre!

Will fitunnouveaupasenavantensortantsa lame.Ilsourit.Exactement,espèced’enfoiré.Lesennuiscommencentpourtoi.

—Qui?—LaBête,sifflaWill,savoixrésonnantdanslapénombre.Freddiepoussauncrietorientavivementsalanterne.Willlaprojetasurlecôtéetlaflammes’éteignitdansl’eau.L’obscuritétombacommelerideau

d’unthéâtre,maisilneperditpasuneseconde.Ilécrasasonpoingcontredescôtes.LesoscraquèrentetFreddies’effondraavecunhurlementétranglé.

Willsefigeaenécoutantlarespirationpaniquée.—Freddie?murmuraleplusgros.Iltâtonnadanslenoir,haletant,larespirationsifflante.Leloup-garous’avançalentement.— Oh, Seigneur. (Le gros homme tenta de s’enfuir.) Oh, Seigneur, non. J’ai rien à voir là-

dedans!C’étaitFreddie!Laissez-moitranquille!Willl’attrapaparsonmanteauetl’attiraàluid’uncoupsec.L’hommetombadansl’eauetcouina

commeunporcqu’onégorge.Willsaisitlepanduvêtementetl’enroulaautourdelagorgedutype,avantdelehisserd’unepoignedefer.

—Quies-tu?Pourquitutravailles?Legroshommedonnades coupsdepied en émettant des sons étranglés.Will lemaintint dans

cettepositionletempsqu’ilcessedesedébattre,puislelaissaretomberdansl’eau.Dumouvementderrièrelui.Ilbranditsonbrasetattrapalelourdtubeenmétalqu’agitaitFreddie,

accompagnantsongested’uncoupdepoing.L’odeurcuivréedusangemplitl’airetFreddieretombaencriant.

—Seigneur,répétaitlegroshommeensanglotant.Willlesaisitparlecoletleplaquaviolemmentcontrelaparoivisqueuse.Illuifouillalespoches.

Iltrouvauncrand’arrêtquecetidiotn’avaitmêmepaseulecouragededégainer,unboutdepapier

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ciré et un curieux objet en forme de doigt, un de ces appareils qui émettent des sons stridents. Ilempochaletout.

—Estime-toiheureuxqu’ilsoitpasmort.Cettepenséeravivalatempêtedefeudanssatêteetilfitclaquerlegroshommecontrelemur.Et

encore.—Pitié,pitié,nemetuezpas!Attention,l’avertitunepetitevoix.Neperdspaslecontrôle.Willpoussaungrognementetlesonrésonnadanssagorge,inhumain.Ilsleprenaientdéjàpour

unebête.Pourquoinepaslesdéchiqueterenpetitsmorceaux?IlsavaientenfoncéunelamedanslapoitrinedeBlade.Personnenetouchaitàsafamilleadoptivesansenpayerlesconséquences.

Descrisretentirentdanslestunnels.Willrelevalatêteetserralepoing.LesEngoulevents.Bonsang,ilsétaientdéjàsurlapiste.

Ils’approchaencoreetreniflal’aircontrel’oreilledel’homme.— J’ai ton odeurmaintenant, chuchota-t-il.Approche-toi encore une fois deWhitechapel et je

viendrait’attraper.Jetedéchiquetteraimorceauparmorceau…etjeboiraitonsang.C’estpascequetuveux,si?

Uneodeurd’urineserépanditet l’hommeacquiesçadansunsanglot.Will le laissaretomberettournalestalons.

LesEngoulevents allaient sentir sa trace,mais ils ne l’attraperaient pas.C’était le territoire deWill,ici,etilsn’oseraientpasfranchirlemurquientouraitWhitechapelpourletraquer.Ilétaittempsde ficher le camp. Il jetaundernier regard avide àFreddie et à son acolyte, puis s’enfuit dans lesténèbres.

Ilsn’oublieraientpassamenace.C’étaittoutcequiimportait.

Willjetalachemisehumidesurlecôtéetcommençaàdéboutonnersabraguette.Sesvêtementsempestaientlessouterrains,maisilsesentaitbienmieux.Latensiondesesépauless’étaitapaiséeaufuretàmesuredescoupsqu’ilavaitportés.

Il avait eu envie de répandre le sang.De tuer.Mais parfois, il valaitmieux leur laisser la viesauve.Commetémoins.Ceshommespropageraientleurrécitàvoixbassedanslescabaretsducoin,et recommanderaient aux autres de ne pas attiser le courroux de la Bête deWhitechapel. Tout çafaisait partie d’une légende qu’il cultivait soigneusement. Une leçon qu’il avait apprise auprès deBlade.

Lapeurquel’onsusciteestsouventlameilleuredesdéfenses.Il retira le reste de ses vêtements et se dirigea vers le lavabo dans l’air frais. Il ne remarquait

généralementpaslefroid,maisilétaitrestédansl’humiditépendantdesheuresetilavaitl’estomacvide.Aprèss’êtrelavévigoureusement,ilenroulauneservietteautourdesatailleetsedirigeaverslacuisine.Illuirestaitdupainetdufromage,ainsiqu’unecruched’eaupotable.

Ils’assitsurlatable,morditdanssonrepasetobservasachemise.Quelquechoseensortait.Unboutdepapier.Lanotequ’ilavaitrécupéréesurlegroshomme.

Iltraversalapièceets’agenouillaenmâchantlentement.Lepapierétaitrecouvertdecire.Celuiquil’avaitécritavaitvouluqu’ellerestebiensèche,cequisignifiaitqu’ilavaitsuqu’àunmomentouun autre, le destinataire serait mouillé.Will fronça les sourcils. Où exactement se dirigeaient cesdeux-là,quandillesavaitrattrapés?Àcetteépoquedel’année,l’eauarrivaitàpeineauxgenoux.

Cependant, la rumeurcirculaitqu’encontrebas,danscertainespartiesdesSouterrains,elleétaitplusprofonde.

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Will déplia le papier et l’orienta vers la lumière. Des lignes de symboles sillonnaient leparchemin,deslettres,desnombresetdecurieuxtraitsobliques.Unfouillisindéchiffrable.

Surquoiétait-ildonctombé?Willpritunenouvellebouchéedesonpainetdesonfromageets’approchade la lampe.Maiscomme il s’yétait attendu, la lumièrenedonnapasplusde sensauxsymboles.

Willretournalepapier,maisiln’yavaitrienauverso.Aucuneautreodeurquecelledelacire.Ilfronçalessourcils.L’incendieauxusinesdedrainage,lesmessagescodés,lesétrangesappareilsquiavaientmanifestementétécrééspourneutraliserdessangsbleus…Quelqu’uncherchaitàdéclencheruneguerre.

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2

—Quelleprodigieuse…atrocité.Lenadétournalesyeuxdelascènerecouverted’unrideau,interpelléeparlamalicecontenuedans

letondesonamie.—Qu’est-cequetuveuxdire,Adele?AdeleHamilton,ancienjoyaudelasociété,sepenchaplusprès,unsourireauxlèvres.— Ce sont des marionnettes. Je suis surprise que Mlle Bishop n’ait pas convié toute une

ménageriepournousdivertircesoir.Ouunetroupedecirque.—Tuesseulementjalouseparcequ’elleasignéuncontratd’esclavageavecLordMacyalorsque

tupensaisqu’ilallaittefairesaproposition.Lenatournalatêteverslebalcon,oùMlleBishopsirotaitduchampagneetirradiaitdebonheur.

Aveccecontrat,elleétaitmaintenant tranquillepour lavie.C’était laplushauteambitionpourunedébutante :obteniruneprotection,êtrenoyéesous lesdiamants, lesperleset les luxueuxcarrossesdorés.

Iln’yavaitqu’unpetitprixàpayer.Celuidusang.Lenafrissonnaetbaissalesyeuxsursonverreàmoitiévide.—Commesij’allaismecontenterdequelqu’uncommeMacy,raillaAdeleavantdevidersaflûte.Sesjolisyeuxenamandenecessaientpourtantd’observerlebalconàlamanièred’unfaucon.Macyposa lamain sur celle,gantée,deMlleBishop, et lui caressa lesdoigts.Mêmedepuis le

jardin, Lena vit sa respiration s’accélérer et les yeux de Macy s’assombrir de désir. Il paraissaittellementplusâgéqueMlleBishop!Tellementpluspuissant…Lenafutprised’unenausée.

Arrête,s’ordonna-t-ellevivement.Nepensepasàça.C’étaitlechoixdeMlleBishop.Onnel’yavaitpasforcée.

Sauflescirconstances.—Jen’arrivepasàcroirequ’ilssecomportentainsienpublic,repritAdele.Ilpourraitaussibien

lajeterparterreetlaprendredevanttoutlemonde.Prisedanssonpropremalaise,Lenas’exprimad’unevoixplustranchantequ’ellel’auraitvoulu.—Rentretesgriffes,turisqueraisdeteblesser.Adele lui jeta un sourire dévastateur, un sourire qui avait ébranlé la moitié des cœurs de

l’Échelon.Avantdelesbriser.—Miaou,ronronna-t-elle.Malgrésagêne,Lenaneputcontenirunemoueespiègle.Adeleétaitlegenred’amieàquil’onne

pouvait pas faire confiancemais, depuis sa débâcle, l’année précédente, quand on l’avait surprise

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danslesjardinsencompagniedeLordFenwick–quiavaitplustardrefusédelacontracter–,Adeleétaitégalementuneproscrite,àsamanière.Elles’étaitdenouveaufrayéunchemindanslasociétéàcoupsdeserres,grâceàuncœurdepierreetunsourireinébranlable,maissontemps,commeceluideLena,était compté.Et, contrairementàLena,quiétaitdans sa situationpourune raisonprécise,Adelen’avaitpasd’autrechoixdanslavie.

Une foule s’amassait devant le rideau baissé. Les drones de service passaient entre les invités,munisdeplateauxd’argentproposantunassortimentdeboissons.Lenasaisitdeuxnouvellescoupesdechampagneenprenantsoind’éviterl’éventàvapeurdudrone.Ilss’avéraienttrèspratiques,maisplusd’unejeunefemmeétaitrepartieavecunerobetachée,etLenaportaitdelasoiecouleurvioletteécrasée.

Ellerestaàl’affûttoutentraversantlafoule,écoutantnonchalammentdesbribesdeconversationavantdeneplusyprêterattention.Lapositiondedébutanteétaitledéguisementidéal.D’unecertainemanière, elle était presque invisible. Certaines personnes évoquaient certaines choses devant ellequ’ellesauraienttuesdevantquelqu’und’autre.

C’étaitlemoyenrêvédelaissertraînersesoreilles.Ellen’avaitpresquerienàfaire.—Desmarionnettes.Adelesecoualatête.Pourtant,ellerejoignaitelleaussil’avantdelasalle,biendécidéeànepasen

perdreunemiette.La nuit était douce, les étoiles scintillaient au-dessus d’elles. Lena leva la tête et ses yeux

s’adaptèrentàlalumière.C’étaitcommeunmillierdediamants,ainsiquesamèreavaitl’habitudedeledirequandelleétaitpetite.«Rienquepourmoi»,auraitajoutéLena,puissamèreauraitri,l’auraitembrasséeetluiauraitsouhaitéunebonnenuit.

Désormais,lesétoilessemblaientavoirperduquelquepeudeleuréclat,etlesdiamantsaussi.Lemondequil’entouraitétaittropéclatant,tropétincelant,emplidesoie,d’oretderiresmalveillants.Ilfut un temps où l’Échelon avait représenté tout ce qu’elle désirait, et maintenant qu’elle s’enapprochait,ellenepouvaits’empêcherdesedemanders’iln’yavaitpasautrechose,quelquechosedeplusvalorisant,quil’attendaitàl’extérieur.

Maisjamaisellenel’admettrait.Quandilétaitdevenuévidentqu’ellen’avaitplusrienàfaireàWhitechapel,elleavaitsuppliésa

sœur,Honoria, de la laisser saisir cetteoccasion.Elle l’avait imploréependantdes semainesde lalaisserretourneràsonanciennevie,etdetenterdedécrocheruncontratd’esclavage.

Curieusement,ellesavaient trouvéunallié inattenduen lapersonnedeLeoBarrons,sondemi-frère.En tantqu’héritierduducdeCaine,Leonepourrait en aucuncas révéler lavérité sur leursliens–etsursapropreillégitimité–maisilavaitproposédelaprendrecommepupille.Lenas’étaitempresséed’accepteretdelui témoignersareconnaissance.Quandsonpèreétaitencoreenvie, ilsavaientcôtoyélemondedel’Échelon,maisaujourd’hui,avecungardienaussipuissantqueLeo,elleétaittotalementadoptée.

Pourtant,ellenes’étaitjamaissentieaussiseule.Unmalaisefitsehérisserlespoilssursanuque.Lasensationaiguëd’êtreobservée.Ellejetaun

regard alentour, mais ne vit personne. Quelque chose siffla et elle tressaillit. On aurait dit unebouilloire.Lafouleseresserraetlesconversationss’interrompirent.Surscène,lesond’unorguedeBarbariesemitàrésonner.

Ilréveillaunsouvenirdanssatête;lesbruitsfracassantsetlesriresdeWhitechapel,lamassedescorpssalesetlelangagegrivoisqu’elleavaitfaitminedenepasrelever.Lamusiquedanslesrues,dans les tavernes.Uneambiancequ’ilvalaitmieuxoublier.ElleavaitquittéWhitechapelunanplus

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tôt,uneannéequiluifaisaitl’effetd’uneéternité.Pendantcelapsdetemps,elleavaitperdutoutesalégèreté juvénile et réalisé la nature précise du monde dans lequel elle vivait, une nature contrelaquelleellenepouvaitrien.

Mais elle s’engagerait sur ce qu’elle serait en mesure de changer. Un mouvement destiné àrestaurerl’égalitédesstatutsentresangsbleusethumainsétaitentraindesepréparerdansl’ombre:plusdetaxesdesang,plusdeloimartiale,plusd’esclavesinvolontaires.EtLenaétaitdanslapositionidéalepourlesaider.Elleavaitaccèsàunefouledesecretsdel’Échelon…àconditiondegarderlesoreillesgrandesouvertes.

—OndiraitbienqueMlleBishopestaccro,finalement,murmuraAdele.—Chut,ditLenaensehissantsurlapointedespiedspourmieuxvoir.Elle parcourut la foule des yeux et ne se détendit que lorsqu’elle constata que personne ne

l’observait.Cesontseulementtesnerfs…Elleétaitensécuritéici,parmilafoule,avecAdeleàsescôtés.Les rideaux s’écartèrent dans un mouvement mélodramatique. Les lumières baissèrent et les

flammesétoufféesjetèrentunelueurbleuesurnaturellesurlepublic.Delafumées’échappasurlescôtés,masquantunesilhouettequisetenaitaucentredelascène.Sesbrasselevèrentenl’airetlesficellesapparurentdanslalueurdeslampesàgaz.

—Desmarionnettes,raillaAdele.Le Bal de Contrat deMlle Bishop était sur toutes les lèvres depuis un mois, et on l’attendait

comme l’événement majeur de la saison. On parlait de délices et autres curiosités inédites, maisjusqu’ici,lasoirées’étaitrévéléedécevante.Lenareposalespiedsàplatetlepublicpoussaunhoquetdesurprise.

—Ohmince,ditAdele.Regarde,lesficellessonttombées!Eneffet, lamarionnettes’agita faiblementetsesbrass’affaissèrentsur lecôté.Puis, lentement,

alorsqu’unemystérieusefuméetourbillonnaitautourdesespieds,ellecommençaàseredresser.—C’estunautomate,ditLena.Lacréaturedemétalsemitàbougeretlevalesbrascommesielleenlaçaitquelqu’un.Puiselle

entamaunevalsesurl’airjouéparl’orguedeBarbarie.Lenarestabouchebée.Elleavaitvudenombreuxnumérosdedronesdeserviceetdesdizainesde

Cuirassesblindésquiprotégeaient les rueset imposaient lavolontéde l’Échelon,maisellen’avaitjamais rien observé de tel. Mince, les articulations étaient lisses et les gestes de l’automateparticulièrementfluides,presquehumains!

Laperformancetouchaàsafinetl’orgueralentitdoucement.L’automatefitdemême.Quiquefûtsonmaître,c’étaitunhommedouéd’unimmensetalent.

Lena applaudit avec enthousiasme. Elle voulait voir ça de plus près. Elle-même possédaitcertainesaptitudesaveclesmécanismesenacier,maiscettemaîtriseatteignaitunniveauaveclequelellenepouvaitrivaliser.

Malheureusement, la foule elle aussi voulait voir ça de plus près. Lena fut séparée d’Adele etrepousséesurlecôté,telundébrisàladérivedansuncourantdéchaîné.

Elleécartauneplumedesonchampdevisionetsemitenquêtedesonamie.C’estalorsqu’ellelevit.Lesangquittasonvisage.AlaricColchester,leducdeLannister,l’observaitdel’autrecôtédela

masse,unsourireprédateursurseslèvresfines.Ilsirotaituneflûtedevindesang.Soncœurmanquaunbattement.Lecontrasteentresaboucherougeetsapeaupâleetpoudrée lui rappelauneépoquelointaine.Maiscettefois-là,lesangn’avaitpasétécoupéavecduvin.

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Il n’était pas censé être là. Elle s’en assurait chaque fois avant d’accepter une quelconqueinvitation.

Avec la réunionorganisée à laTourd’IvoireduConseil desDucsquigouvernait laville, elleavaitétécertained’êtreensécurité.

Laréunionavaitdûprendrefinplustôtqueprévu.Lenadétournalesyeux,sonpoulsbattantsourdementdanssesoreilles.Necourspas.S’ilyavait

bienunechosequ’elleavaitappriseau fildesannées,c’étaitque lapeurexcitait les sangsbleusetattisaitchezeuxuneaviditéincontrôlable.

Elleperçutunmouvementdanslafoule:sescheveuxblonds,pâlesetbrillants.Illasuivait.Lenasehissasurlapointedespieds.OùétaitdoncpasséeAdele?Parfois,ilfallaitcomptersurlasécuritédunombre.

SiColchesterétaitd’humeuràjouerselonlesrègles.C’étaitunduc,aprèstout,àlatêtedel’unedesseptgrandesMaisonsquidirigeaientlaville.S’il

avaitenviedelaprendreicietmaintenant,personnen’oseraitdirequoiquecesoit.Songardien,Leo,le seul homme qui possédait la force de contrer Colchester, avait assisté à la réunion à la Tourd’Ivoire,pourreprésentersonpère,leducdeCaine.

Lenasefonditdanslamasse,unsourireplaquésurlevisage.Lapeaudesanuquelapicotait.EllelevasonverrepourtenterdesaisirlerefletdeColchester,maislafouleétaittropcompacte.

Bonsang.Ellejetaunregardpar-dessussonépaule.Une assemblée dense se pressait en riant autour de lamarionnettemécanisée. Aucun signe de

Colchester.Lamusique et les rires assaillirent ses oreilles. Elle tourna la tête dans tous les sens parmi la

multitudedecouleursvives,lespoingsserrés.Necourspas,Seigneur,necourspas.Maisoùdiableétait-ilpassé?

Uneénormeplumed’autrucheroseflottadevantsesyeux.Adele.Lenacherchaàserapprocherd’elle.Ellesefaufilad’unpaschancelantentredeuxfemmesquicancanaientderrièreleurséventails,et se heurta à une poitrine ferme. Des mains gantées la saisirent par les épaules, comme pourl’empêcherdetomber.

— Désolée, murmura-t-elle, avant de se figer en voyant le manteau de velours noir, munid’épaulettesdoréesetd’unpomponsurl’épauledroite.

—Tuesbienpâle,machère,déclaraColchesteravecuneexpressioncarnassière.(Ilresserrasonemprisequandelletentainstinctivementdereculer.)Commesituavaisbesoindeprendrel’air.

Illapoussasurlecôté,endirectiondujardin.Lenaenfonçasespiedsdanslesolensecouantlatête, un sourire désespéré aux lèvres. Elle ne devait pas laisser paraître son angoisse.Ça ne feraitqu’engendrerdesrumeursqu’ellenepouvaitpermettre.Laréputationd’unedame,voilàtoutcequilamettait à l’abri des revendicationsd’un sangbleuquivoudrait faired’elle saputede sangpour lasoirée.

Elleparvintàforcerunrire.C’étaitsaseuledéfensepossible.—AucontraireN1029D*1,VotreGrâce.(Elledésignalesjardinsautourd’euxd’ungesteprompt.)

Ilsemblequejen’aijustementquedel’air,ici.LesyeuxdeColchesterbrillèrentd’unesombrejouissance.Lespoilssedressèrentsurlanuque

de Lena, mais elle parvint à hausser nonchalamment une épaule. Colchester risquait de sentir lamontéeâcredesapeursursapeau.«Unesaucedélicatepourassaisonnerleplat»,luiavait-ilditunjour…

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—Mercidem’avoirrattrapée,VotreGrâce.Maisjecrainsdedevoirrejoindremonamie,Adele.Ellenesesentaitpastrèsbien.J’étaiscenséeallerluichercherunpeud’eau.

—Queldommage,dit-ilenluiprenantlesmains.(Illuicaressalesdoigtsàtraverssesgantsdesoie.)J’espéraisquetum’accorderaisunedanse.L’assah,situveuxbien.

Il s’agissaitd’unedansedestinéeàaguicher,àexposer lesatoutsd’uneesclavepotentielleàunsang bleu. L’érotisme qui s’en dégageait était une chose à laquelle elle refuserait de se livrer enpublic.Maisquantàyassister,enrevanche…oh,c’étaittotalementdifférent.

—Jecrainsde…—Cen’étaitpasunequestion.Lenatentaderetirersamain,maisil luisaisit lepoignetetuneombrepassadanssesprunelles

pâles.—Nemetentepas,machère.J’essaiedememontrercourtois,maisj’aibienpeurquetabeauté

mefasse…perdrelatête.Ilsourit,puispassaledosdesamainsurlajouedeLena.Unrireéclatadanslafoule,cequilafitsursauter.Ilsétaiententourés,maispersonnenelèverait

lepetitdoigtpourluivenirenaide.—As-turéfléchiàmaproposition?demanda-t-il.—Jecrainsd’avoirététerriblementoccupée…—Çafaitunmois.Cen’étaitpasencoreassezlong.Ellen’accepteraitjamaisdedevenirsonesclave.Lenadressale

mentonetleregardadroitdanslesyeux.—Cefutunmoistrèschargé,VotreGrâce.—Colchester.Jet’aiditdem’appelerColchester.Aprèstout,ajouta-t-ilavecunricanement,nous

nousconnaissonsassezbien,n’est-cepas?Elleavaitenviedebrisersaflûtedechampagneendeuxetdeluienenfoncerlepieddansl’œil.

LaseuleidéedelabouchedeColchestersursoncorpsluidonnalanausée.Plusjamais.—Vais-jedevoirattendreunmoisdepluspourtaréponse?—Laissez-moipartir,VotreGrâce.C’estinconvenant.—Répondsàlaquestion.—Lena!s’exclamaAdele,sortiedenullepart.Tevoilà!Précédéed’uneffluvedeparfum,Adeleapparut,etlesplumesdanssescheveuxchatouillèrentle

mentondeColchester.Ilrecula,lestraitscrispésparlacolère.Adeleplaquaunemainsursaboucheetgloussa,manifestementsousl’empriseduchampagne.

—Oh,VotreGrâce!Jenevousavaispasvu.Toutesmesexcuses.Lafoulesecondensaautourd’eux.Iln’eutd’autrechoixquedelarelâcher.Lenaserrasamaincontreelle,commes’illuiavaitfaitmal.Adeleluipritl’autremain.Colchesterleuradressaunbrefsignedetête.—Laprochainefois,j’exigeraiuneréponseferme.Puisiltournalestalonsetdisparutdansl’assemblée.Tout à coup,Lenaeut le souffle coupé.Adelevit sonexpressionet l’entraîna à l’écart, vers le

jardin.—Tiens, dit son amie en s’emparant d’une coupe de champagne sur le plateau d’un drone de

service.Boisça.—Je…jenepeuxpas.

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Laseulechosequilamaintenaitdebout,c’étaitlamaind’Adele.Unepetitefolieapparutdansl’ombre,àl’écartdurestedelaréception.AdelefitpivoterLena,la

forçaàs’appuyeràlarambardeetàsepencherenavant.EllearrachalesboutonsdeLenaetdénoualesficellesdesoncorset.

Lenainspiraunegrandeboufféed’air.Elletremblaitdetoutsoncorps.Ellenecomprenaitpascequivenaitd’arriver.Seulementque,soudain,ellen’avaitplusétécapablederespirer.Etelleypeinaitencore.

Deslarmeschaudescoulèrentsursesjouesetellelesessuyadesesdoigtsgantés.Sonamieluifrottaitledoseneffectuantdepetitscercles.

—Merci.Ellen’auraitjamaisimaginéqu’Adele,entretous,puissevoleràsonsecours.Cettedernièreimmobilisasamain.—J’auraisaiméquequelqu’unsoitlàaussi…pourmoi.Lenarelevalatêteetcroisasonregard,lesoufflecourt.—JepensaisquetuétaisalléeavecLordFenwickdetonpleingré.—C’estlarumeurqu’ilafaitcirculer.Toutlemondeestaucourant,évidemment.(Adelepinça

les lèvres.)C’est devenuundivertissementdans les jeunes cerclesmondains. Ils trouventque c’estdépassédeprendreunefemmecommeesclave.Pourquoil’entretenirpourtoutelaviequandonpeutprendred’ellecequ’onveutavantdelarejeter?

—Mais…c’estrévoltant!—C’estunpasenarrièrepourlesesclavesdesang.(Ellehaussauneépaule.)C’estpourçaqueje

courais aprèsLordMacy, parce que c’est un traditionaliste. Il estime qu’il doit la protection à sesesclaves.À ta place,Lena, je chercherais quelqu’unde plus âgé.Et n’accepte rien demoins qu’uncontratd’esclaveenbonneetdueforme.C’estlaseuleprotectionqu’onpeuttrouvertoietmoi,parlestempsquicourent.

—Pourquoipersonneneditrien?—Qui oserait ? (Adele laissa échapper un rire dénué d’humour. Son expression se durcit.) Et

pourquoiunmembredel’Échelonlèverait-illepetitdoigtpournousaider?Onestdelanourriture,Lena.Leseulintérêtqu’ilsontànousgarderenvieouànousprendrecommeesclaves,c’estparcequec’estplusfacilepoureux.Onestdubétail.

Lenasentitlacolèremonterenelle.—Ilsnesontpastouscommeça.Mongardien,Leo…—…saittrèsbiencequisepasse,toutcommenous.Eta-t-ilditquoiquecesoitàcesujet?Lenaouvrit labouche.Puisseravisa.Cequ’elledéchiffraitsur levisaged’Adelen’étaitque le

refletdecequ’elle-mêmeéprouvait.Ellesesentaitpriseaupiège,commeuneproie.Non, pas comme une proie. Elle prit une profonde inspiration en tremblant. Les proies ne

résistaient pas ; elles ne cherchaient pas demoyen de faire la différence, et c’était bel et bien cequ’ellefaisait.

—Suismonconseil,repritAdele.J’aivul’expressiondeColchester.Tuasbesoindeprotection.Tongardiennesuffitpas…Iln’estpasici,si?Àtaplace,jemetrouveraisunvieuxlorddécrépiavecsuffisammentdepouvoirpourtenirtêteàColchesteretledécouragerdeteprendrecommeesclave.

—Çanedevraitpasêtremaseuleoption…—Malheureusement, pour les filles comme toi et moi, il n’y en a pas d’autres. Plus vite tu

ouvriraslesyeuxsurlemondedanslequeltuvis,mieuxçavaudra.Sinon,tun’esqu’uneidiote…etlesidiotesnesurviventpaslongtemps,danslesparages.

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—Qu’est-cequinevapas,cematin?Lenaouvritlesyeux,latêteposéecontrelavitredufiacre.Sacompagne,MmeWade,l’observait

par-dessus soncrochet. Iln’yavaitplusaucunsignede lamigrainequi l’avait retenuechezelle laveilleausoir,l’empêchantd’assisteraubaldeLordMacy.

Lenaseredressaensefrottantlesyeux.—Rien.Jen’aipastrèsbiendormicettenuit,c’esttout.—On devrait peut-être retourner àWaverly Place. (Son inquiétude se lisait dans son regard.)

Vouspourriezvousreposer.Lenaplissalespaupières.—Vosmotivationssontonnepeutplustransparentes.Ellesepenchaenavantetjetauncoupd’œildel’autrecôtédesrideauxenveloursdelacarrioleà

vapeur,toutenpianotantsurlapetiteboîtedanssamain.Ellen’avaitpasoséendétournerl’attention.MmeWade eut la bonne grâce de rougir. Elle avait son opinion propre quant aux activités de

loisirappropriéespourunedame.Etlacréationdejouetsàmécanismen’enfaisaitpaspartie.—Jem’inquièteseulementpourvotreréputation.Siquelqu’unnousvoitdanscetteboutique…—Quivoulez-vousquinousvoie?Etmêmesic’est lecas, jene faisqu’acheterunenouvelle

horloge.Lacarrioleàvapeurs’arrêtaengrinçantdevant leMarchéde l’HorlogeriedeMandeville.Elle

jeta un regard aux gueux qui jouaient à la balle mécanique dans les ruelles et aux vendeuses decharbonquiseglissaientà travers lafoule, leursseauxenéquilibresur lesépaules.Ellen’enavaitque trop vu pendant son séjour dans les colonies deWhitechapel, après la mort de son père. Enréalité, elle avait un jour été l’une d’entre elles, avant que M. Mandeville lui offre une placed’apprentie.

Elle fut submergéeparunevaguede compassion.Quelsque fussent lesdangersde savie à lacour, ils n’étaient rien comparés aux risques que prenaient ces filles en arpentant les rues sansprotection.Aumoins,danslasociété,onnelalaisserait jamaisseviderdesonsang,seule,danslecaniveau. Sa situation l’en prémunissait. Elle était une proie potentielle, mais une proie sousprotection.

Laportières’ouvritetunvaletdepiedapparut.—Mademoiselle.—Merci,Henry.Lenaacceptasamainetdescendit.M.Mandevillelavitapprocheretluiouvritlaporte.Avecles

extrémitésrecourbéesdesamoustachecirée,leslunettesgrossissantesperchéessursescheveuxgrisbalayésparleventetsongiletbigarréetrapiécé,ilneseraitjamaisreçudanslesgrandesmaisons.C’étaitpourtantl’undesmeilleurshorlogersqu’illuiaitétédonnéderencontrer.

Ettellementplusencore.Ilavaitégalementétésonsauveur.Ill’avaitsortiedelarue,àcetteépoqueoùc’étaitelle,lafille

au charbon rejetée et ensanglantée, et l’avait soignéedans saboutique. Il lui avait offert unboulotrespectable.Puis,plustard, il luiavaitredonnéespoir,quandelleavaitcommencéàréaliserquesavieàlacourneluiaccordaitpaslasécuritéqu’elleavaitcherchée.

Elle se rappelait très bien le jour où elle était revenue chercher sonmanteau et qu’elle l’avaitsurprisentraind’évoquerdessecretsquipouvaientcoûterlapendaisonàunhomme.Lechocavaitbien failli la terrasser.M.Mandeville, un humaniste ?Elle avait gardé le secret pendant des jours,tournantetretournantdanssatêtedesquestionsquicommençaientàlaronger.Puisl’excitationetla

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curiositél’avaientemporté.Elleavaitfiniparavoiruneconfrontationavecluietparluidemanderderejoindrecettecause.

—Mademoiselle Todd, la salua M. Mandeville, bien qu’il l’appelait autrefois « Lena » et lamenaçaitdeluitapersurlesdoigtssielles’avisaitdefairetomberuneseuledesesœuvres.

—MonsieurMandeville, répondit-elle en lui présentant la boîte. Vous avez bonnemine. L’airestivalvoussiedàmerveille.

—C’estlui?Sesyeuxs’illuminèrentquandildésignalecoffret.Une sorte de pointe de fierté coupable pinça la poitrine de Lena. Il n’y avait que très peu de

domainesdanslesquelselleétaitdouée.—Oui,souffla-t-elle.Oh,ilfautquevousvoyiezça.Ilfonctionneexactementcommejel’avais

prévu.—Jepeux?Avec son assentiment, il la guida vers le comptoir. Les murs étaient envahis d’innombrables

horlogesetmécanismessuspendusauplâtre.Entantqu’apprentie,Lenas’étaithabituéeauspectacle.MmeWade,enrevanche,restaprèsdesfenêtresetobservalespendules,àl’abrisoussoncapot.

M.MandevilleposalaboîtesurlecomptoiretcoulaunregardàMmeWade.—LeVieuxDragonesttoujoursdansl’ignorance?—Ellepensequejesuisvenuevérifiersivousaviezdescommandespourmoi.Cetravailétaitsuffisammentstablepourlamainteniroccupée,bienqu’elledûtl’effectuersousle

nomdesonfrère.LesjouetsoriginauxCharlieToddpartaientàdesprixplutôtgénéreux.Ilsn’étaientpas toujoursdestinésauxenfants,mêmesic’étaitdanscescommandesqueLenaprenait leplusdeplaisir.

—Hmm.Mandevilleouvritlaboîteets’emparadumécanismed’unetrentainedecentimètresdehauteur.Il

ledéposaprécautionneusementsurlecomptoir.— Oh, doux Jésus. Lena, c’est votre plus belle œuvre. Elle est magnifique. Où trouvez-vous

l’inspiration?Jesupposequ’ellefonctionne?Lesplaquesenacier superposéesetpoliesattiraient l’œil.La sculpture représentaitunhomme,

unesilhouettecharpentée, façonnéedansuneplaquede tôleet foisonnantderessortsetdebobines.Elle tenait sur une plaque enmétal, et son dos était équipé d’une clé qui servait de remontoir. Lerougemonta aux joues deLena.La dernière chose qu’elle pouvait admettre, c’était bien d’où elletenaitsoninspiration.Ellen’avaitjamaisosé,jusque-là,seservirdecetteimagequ’elleavaitdessinéesurunefeuilledepapier.

—Ellefaitbienplusqueça.Là,laissez-moivousmontrer.Elleactionnalemécanisme.Lasilhouettesemitenbranleetsonvisagetailléà laserpes’agita

brusquement.Quelleressemblance,songea-t-elleavantdelâcherlaclé.Il ne se passa rien pendant une seconde. Le viril homme de fer tremblota et, lentement, les

rouages se mirent à tourner. Les plaques glissèrent les unes sur les autres, laissant brièvementapparaîtrelesengrenagesau-dessous.Puisunecréaturecommençaàseformer,toutaussisauvageetfarouchequel’hommedefer.

Mandevilleretintsonsouffle.Lenaleregardabaisserseslunettessursonnezpouryregarderdeplusprès.

—Bonté divine, Lena ! C’est incroyable. Regardez cette transformation ! C’est un homme et,l’instantd’après,c’estunloup.

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Elleposasamainsurlasienne.—Attendez.Ils observèrent le loup redevenir homme et les mécanismes ralentir progressivement, jusqu’à

finir par s’arrêter. Stoppé en pleine transition, le visage de l’homme apparaissait par-dessus lesmâchoiresduloup.

—Alors?Qu’est-cequevousenpensez?Mandevillelibéraunsouffleetnettoyaseslunettes.—Vousavezvraimentundon,machère.C’estau-delàdetoutecomparaison.Bienau-delà!LecœurdeLenagonfladanssapoitrine,puisellelevitsecouerlatête.—Cependant,vousnepourrezjamaislevendre.Parquoiétiez-vouspossédéepourcréerpareil

objet?L’ÉchelonvavousjeterdanslescachotsdelaTourd’Ivoire!— L’année dernière, peut-être, répondit-elle en jetant un regard à MmeWade par-dessus son

épaule. (Elle baissa la voix.) Les temps changent, monsieur Mandeville. J’ai entendu dire quel’EmpireScandinaveallaitenvoyerunambassadeuràLondres.

M.Mandevillesefigea.—Oùavez-vousentenduça?—Ilyaunegrilledéplacée…dansleplafonddubureaudemongardien,avoua-t-elle.Jetravaille

souventdanslapiècedudessus.Ellerécoltaunsourireconspirateur.Commesisoningéniositél’avaitsurpris.—Hiermatin,LeorecevaitlesducsdeMallorynetdeGoethe.Cen’estpasencoredenotoriété

publique,maisleConseilestimpliqué.Mandeville s’approcha pour observer attentivement la créature mécanique. Mais toute son

attentionétaitconcentréesurLena.—Jenevois toujourspasenquoi importentceschangements.L’Échelonaexterminé lesclans

écossaisdeloups-garousàCulloden.Ce…cetteœuvrevaréveillerdedangereuxsentimentsenversunancienennemi.

Ilramassalasculptureetlarangeaavecprécautiondanssaboîte,d’oùellenesortiraitpeut-êtreplusjamais.

—LeducdeMallorynaditquel’Échelonenvisageaitdeconclureuntraitédepaixaveclesclansscandinaves,déclara-t-elle.

M.Mandevillesefigeadenouveau.Ilfronçalentementlessourcils.—C’est une situation sans précédent. Les loups-garous scandinaves sont en désaccord avec la

Grande-BretagnedepuisCulloden.Aucunechancequ’ilsacceptentdeconclurecetraité.— C’est tout ce que je sais. Ensuite, j’ai dû accompagner MmeWade faire les boutiques de

chapeaux.—Bontédivine,murmuraMandeville.Jevaisdevoirrelayercetteinformation.Immédiatement.Lenajetauncoupd’œilàMmeWade,quitapotaitsonsacàmainavecimpatience.— Vous pensez que je devrais demander à voir Mercury ? Pour lui confier ce que je sais ?

Directement?Pendantdesmois,Mercuryn’avaitexistéquedanssonimagination.Entantquechefmystérieux

du mouvement humaniste occulte qui œuvrait ici, à Londres, il n’était guère plus qu’une ombrefuyante.LarumeurdisaitqueleConseildesDucsproposaituneénormerécompensepoursacapture.

— Non. Non, je transmettrai l’information. Il ne faudrait absolument pas vous impliquerdavantage.Moinsilyauradepersonnesaucourantdel’identitédeMercury,mieuxcesera.

—Jenelerépéteraisjamaisàquiquecesoit.

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—Oh,Lena,vousêtesencoreterriblementnaïve.(Illuiadressaunsouriretriste.)Lessangsbleusont de nombreux moyens d’extorquer des informations à une jeune femme. En particulier cesenfoirésvéreuxdelaTourd’Ivoire.(Il lui tapotalamain.)Jeferaipasserlemessage.Avecunpeud’espoir,nouspourronsfairebonusagedecetteinformation.Sicetteallianceentrel’Échelonetlesloups-garousvoitlejour,leshumanistesaurontpeudechancesdepouvoirvaincrel’Échelon.Ilseratroppuissant.

Ilfitglisseruneenveloppeverselle,sousuneliassedecommandes.—Àl’endroithabituel,sivousvoulezbien?Lenaposalamaindessus,faisantminedefeuilleterlescommandes.Elleélevalavoix.—Biensûr.Mercipourtout.Jesélectionnerailescommandesquej’estimelesplusconvenables.—Faites-moisavoirsivousentendezautrechose.(Ilfronçalessourcils.)Jesuisplusquecurieux

desavoirpourquoiilsparlentdepaix.—Entendu.Lenaramassalaboîtecontenantsonmécanismeettournalestalons.Elleplaquaunsouriresurses

lèvres, ne prêta aucune attention à la curiosité qui illumina le visage deMmeWade, et désigna lacarriole.Elleétaitsurlepointdepourrirencorelajournéedesonamie.

—Oh,nousavonsletempsderendrevisiteàmonfrèreetàmasœur,dit-elled’untonléger,bienqu’ellel’eûtsoigneusementplanifié.

MmeWadepâlit.—Paslescolonies,Lena.Siquelqu’unvoit…—Nousseronsdiscrètes.Etils’agitdemafamille,aprèstout,mêmesil’Échelonlesconsidère

commepersonaenongratae. (Elle sortit sous les rayons brûlants du soleil.) J’ai envie d’offrir cejouetàCharlie.M.Mandevillen’enapasvoulu.

Ellenepouvaitserésigneràlejeter.C’étaitl’objetleplusdélicatqu’elleeûtjamaiscréé,mêmes’ilarboraitunefrappanteressemblanceavecunebrutesauvagedesaconnaissance.

Mais elle n’allait pas le croiser à cette heure de la journée. Elle avait vécu au repairesuffisammentlongtempspourconnaîtreleshorairesdeWill.Àmidi,ildormait,généralement,aprèsavoireffectuésagardedenuitdanslescolonies.

Cequiluiallaitàlaperfection.Ellesefichaitdenejamaislerevoir.

SiHonoriafutsurprisedelevoirsitôt,ellen’enmontrarien.Willproféraunevaguesalutation

et la contourna. Les rayons du soleil filtraient à travers la fenêtre du grenier et des moutons depoussière tourbillonnaient dans la lumière. L’odeur des produits chimiques lui coupa le souffle,accompagnéeparcellesdusangetduthéàlacamomille.

—Bladeestencoreaulit,ditHonoriaencalantunemèchedecheveuxderrièresonoreille.Ilseremetbien,maispeut-êtrepasaussivitequejelevoudrais…

Niaussivitequ’auparavant.Willhochalatêted’ungesteabrupt.—Jel’aivu.—Biensûr.C’étaitlepremierendroitoùilétaitallé.Honoria retira ses lunettes grossissantes, puis son tablier. Le grenier avait été divisé en deux

pièces, une pour le laboratoire deHonoria, et l’autre pour la salle de boxe deBlade.Will n’étaitjamaisentréiciauparavant.Ils’agissaitdudomainedeHonoriaet,alorsqu’ils’attendaitàytrouverdesbancsetdeséquipementsstériles,ilfutsurprisparcequ’ildécouvrit:deuxfauteuilsconfortables

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situésprèsdel’âtreettoutuntasdepaperasse.Lajeunefemmeluiavaittoujoursfaitl’effetd’êtreunepersonneextrêmementméthodiqueetorganisée.

—Jepeuxt’aider?Aucundoutequ’elleétaitpresqueaussisurprisedelevoirquelui.Willsortitleboutdepapierdesapoche.Lecontenun’avaitpourluiniqueuenitêtemais,avec

sonespritcurieux,Honoriaseraitcommeunpoissondansl’eaufaceàcetteénigme.—Est-cequetusauraisdéchiffrerça?Elles’enemparaetgrattalasubstancecireuseavecsonongle.—Hmm.Jepeuxessayer.Çarisquedemeprendreunmoment.C’estimportant?—Çasepourrait.Elleluijetaunregard.—Jel’aitrouvésurletypequiapoignardéBlade.Honoriablêmitetobservadenouveauleboutdepapier.—Alorsjevaisfairedemonmieux.Quandest-cequetul’astrouvé?—Cematin,murmura-t-il.Jelesaisuivisdansleségouts.—Ilssonttoujoursenvie?—Oui.Lasurpriseluifitécarquillerlesyeux;puisellelesplissaavecuneexpressionvengeresse.—Puis-jesavoirpourquoi?—LesEngouleventsétaientsurmestalons.Ilslesontmissouslesverrous,tupeuxenêtresûre.—Çaneteressemblepasdelaisserunennemienvie.Elles’éloignaettapotalepapiercontreseslèvres.C’étaitlemomentpourluidepartir.Elle lui jetaun regardpar-dessus sonépaule, lespaupièresbaissées sur sesyeux lumineux.Ce

gesteluifitpenseràLenaetildéglutitpéniblement.Ilétaitvraimenttempsdesortird’ici.Mais,alorsqu’iltournaitlestalons,ilentenditdespasdansl’escalier.—Jepeuxtedemanderunefaveur,Will?Lamainsuspendueau-dessusde lapoignée, ilgonfla lesnarines,assaillipar l’odeurdevinde

sangetdecuir.Blade.CequisignifiaitqueHonorial’avaitsoigneusementprisaupiège.Ilnepouvaitsemontrergrossierets’enfuir.

—Quoi?—Bladem’asuggérédeprendreunéchantillondetonsang.Biensûr.Elleavaitpassélestroisdernièresannéesàfairedestrousdanslecorpsdesonmari.

Bladeavaitdûpenserqu’ilétaitgrand tempsdedétournersonobsessionsurquelqu’und’autre.Unfrissonparcourutsonéchine.Desaiguilles.Desfichuesaiguilles.

Envoyantsonexpression,Honorias’empressad’ajouter:— Pour voir s’il y a une chance de trouver un remède. Ou un vaccin. (Après un soupir, elle

ajouta:)Mesrecherchespiétinent.CharlieneréagitpasausangvaccinécommeBlade.EtlesrésultatsdeBladesesontstabiliséspourlemoment.Sonhématocritestagneàquarante-huit,etcedepuissixmois.

Laporte s’ouvrit.Honoriadéporta instantanément sonattentionderrièreWill.Pourune fois, ilétaitheureuxdenepasêtrelacibledeceregarddeglace.

—Qu’est-cequiteprendtequittertonlit?Blade referma la porte d’un coup de talon. Blanc comme un linge et aussi raide qu’un

octogénaire,illuttaitpourreprendresonsouffle.

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—Contentdetevoir,mabelle.— Je t’ai strictement ordonné de rester alité pendant les trois prochains jours. Ensuite, on

renégociera.—Cequisignifiequ’elledéciderasijepeuxmeleverounon,précisaBladeàl’intentiondeWill,

avecunclind’œil.Jenepouvaissupporterdepasserunesecondedeplussanstoi,mabelle.J’avaislecœurbrisé.

Honoriapointasondoigtverssonmari.—Assis.Toutdesuite!IltenditàWillsabouteilledevindesang,ets’installadansl’undesfauteuilsdevantl’âtre,sousle

regard faussement furieux de Honoria. Blade l’acceptait avec bienveillance, mais ses prunellesétincelaientdèsqu’elleluitournaitledos.

Will remua,mais la jeune femme perçut lemouvement et releva les yeux du tabouret qu’elleplaçaitsouslespiedsdesonmari.Ellehaussaunsourcildélicatetinterrogateur.

—Qu’est-cequ’ilya,mabelle?demandaBladeensurprenantsonregard.—J’aidemandéàWills’ilacceptaitdemelaisserexaminersonsang.—Pasbesoin,s’empressadedireBladepourlerassurer.Voilà ce que le loup-garou détestait le plus, désormais. Lamanière hésitante avec laquelle ils

s’exprimaient en sa présence, comme s’ils craignaient qu’il ne quitte la pièce et qu’il ne reviennejamais.

Will croisa les bras sur sa poitrine et jeta un regard noir à Blade. Comme s’il pouvaitl’abandonner un jour. Sans lui, il serait probablement encore emprisonné dans une cage, réduit àl’étatd’animal,voireencoremoinsqueça.

Une flamme s’allumaen lui.Si seulement il n’avait pas été là cette fichuenuit.Si seulement iln’avait pas entendu Honoria lui demander s’il représentait un danger, si l’on pouvait le laisserapprocherLena…

Etpuis,l’hésitation.Iln’avaitjamaisdoutédeluiauparavant.Jamaisdoutédesoncontrôlesurlui-même.Cesannées

passées en cage lui avaient appris à tenir en laisse la bête qui vivait dans son corps, à contenir sacolère.Ill’enfermaitsoigneusementderrièredesolidesbarreauxdefer–unrappeldelacagedanslaquelleilavaitpassétantdetemps.Personnenepouvaitentrerlà-dedans.

Jusqu’àl’arrivéedeLenadanssavie.Elleavaitfaillilerendrefou.Cen’étaitqu’unjeupourelle,unflirt,destaquineries.Unemanière

detestersaféminitébourgeonnantesurquelqu’unavecquiellepensaitpouvoirsecomporterentoutesécurité. Mais il n’était pas quelqu’un de sûr. Et il n’était pas du genre à se livrer à des jeuxquelconques.Aprèsdeuxannéespasséesàvivreainsi, lesbordsde lacageavaientcommencéà secorroder.SiBladeavaitperçul’agitationdelabêteenlui,siHonoriaaussi…alorsàquelpointavait-ilfrôlélapertedecontrôle?

Depuiscombiendetempslesurveillaient-ils?Depuiscombiendetempsneluifaisaient-ilsplusconfiance?

—Will?demandaHonoria.—Vas-y,dit-ild’untonsec,plusrudequ’ilnel’auraitvoulu.Maisdépêche-toi.J’aideschosesà

faireaujourd’hui.

*1.Lestermesenitaliquesuivisd’unastérisquesontenfrançaisdansletexte.(N.d.T.)

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3

—Soisfort,Will,lançaBlade.Tuverras,c’estpresquerien.Tusentiraspasgrand-chose,c’estuntout petit dard, un peu comme le tien. Est-ce que t’as déjà entendu les filles de Petticoat Lane seplaindre,toi?

Willmarmonnaquelquesvagues insultes et riva lesyeux sur lemur face à lui d’unair férocequandHonoriaenfonçal’aiguille.L’argentlebrûlaimmédiatement.L’acierlaissaitlaplaiecicatriserenquelquessecondes,maisl’argentpermettaitdelamaintenirouverteassezlongtempspourqu’ellepuissepréleverunéchantillon.Desgouttesdesueurcoulèrentdanssesyeuxetilsentitsonvisageserefroidir.Labileremontadanssagorge.

—Etvoilà,c’estpresquefini,rassuraHonoriaenlui tapotant l’épaule.C’estunbeléchantillonbienrouge,Will.Jecommençaisàm’habituerausangbleudeBlade.

Ilperçutdesbruitsdepaslégersdanslecouloir.Iltournalatêtedanscettedirection,légèrementétourdi, un frisson parcourant sa colonne vertébrale. Un parfum sensuel et floral parvint à sesnarines. Le chèvrefeuille.Oh non. Pas elle. Pas maintenant… Quelque part au loin, il lui semblaentendreBladeluidemanders’ilsesentaitbien.Iljetaunregardversl’aiguilleetlafiolerempliedesonsang.

Grossièreerreur.Laseconded’après,ilétaitallongéparterre,surledos,etilrepoussaitl’horribleodeurdesels

quequelqu’unagitaitsoussonnez.Sesdoigtsfrôlèrentunepoitrineféminineetilouvritbrusquementlesyeux;Lenachancelaversl’arrièreetlesselsserépandirentdanstoutelapièce.

Celafaisaitdesmoisqu’ilnel’avaitpasvue.Desmoisquesonvisages’estompaitdanssonespritetmenaçaitdedisparaîtreentièrement.Etlavoilà,plusbelleetplusvibrantequejamais,sajuperougeétaléesurlesolcommeunemaredesang.Ledésiretl’aviditéquileconsumèrentaussitôtteintèrentses yeux d’une couleur dorée de loup. Sa vue s’aiguisa et il fut en mesure de saisir en détail lemoindrepetitcheveuquitombaitsursesépaules,lamouedeseslèvres,lalumièrequisereflétaitsurl’extrémitédesescils.

Elleestàmoi,grondalacréatureaufonddelui.L’espaced’uninstant,lemondevacillaautourdeluiet,quandilrepritlecontrôle,samainétaittendueverselle.

—Qu’est-cequetufaisici?demanda-t-ilsèchement,toujoursdésorienté.Dessueursfroidesimbibaientsoncol.Bladeluisaisitlamain.—Doucement.Letonétaitléger,maisWilltintcomptedel’avertissementqu’ilcontenait.Maîtrise-toi.

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L’effortl’essouffla.Quandsavisionrevintàlanormale,ilpritconsciencequetoutlemondeledévisageait,àdiversdegrésdecirconspection.

—Çava,murmura-t-il.Blades’assitsursestalons.—Bien.Net’imaginepasnonplusquejesuisimpotent.Lenaseredressa,levisagepâle.Lacouleurcafédesescheveuxétaitdelamêmeteintequeceux

de sa sœur,mais ses yeuxmarron étaient plus chauds, plus en amande.Des yeux rieurs destinés àséduireetàtaquiner.

Maispourlemoment,ilsneriaientpas.Lenaaffichaunsouriredontl’éclatn’atteignitpaslerestedesonvisage.— Bonté divine, dit-elle d’un ton faussement enjoué. Quelle quantité de sang as-tu prise,

Honoria?—Jenesavaispasquetuavaispeurdesaiguilles,ditHonoriaenjetantunregardàlaminuscule

fiole.—J’aicruqueçairait.Celafaisaitbienlongtempsqu’ilnes’étaitpasévanoui.—Lafoire?demandaBlade.C’estlàqu’ilavaittrouvéWillquandilétaitencoregamin.Enchaînésurunescènedel’EastEnd,

contraintàexhibersaforcemonstrueuseetsescapacitésdeguérisondevantunefouleendélire.Leforain,TomSturrett, l’entaillait avecdes lamesen fer.Malgré le loupe, sesconditionsdevieet lemanquedenourriture l’empêchaientdeguérir aussi vitequ’ils le voulaient.AlorsMmeSturrett lerecousaitavecsagrosseaiguille.

Iln’avaitpasfallulongtempsavantquelaseulevued’uneépingleluidonnedessueursfroides.Lenaposasesmainsgantéessursesgenoux.Quelquescheveuxbrunclairs’échappaientdeson

chignon.Sonchapeauétaittoujoursbienenplaceetuneplumeécarlateeffleuraitl’unedesesjoues.LeregarddeWills’attardasurcetteplume.

—Lafoire?Quellefoire?demanda-t-elle.Bladecroisasonregard.—Quand…—Rien,coupaWill.ToutlemondesetournadenouveauversluietWillsemauditpoursonmanquedetact.Rienne

pourraitplusexciterl’imaginationdeLenaqu’unbrusquerejet.Ilvoyaitdéjàlacuriositéenflammersesyeux.Elleseraitmaintenantàl’affûtdesessecretscommeunvéritablechiendechasse.

Peut-êtrevalait-ilmieuxleurdonneruneversioncondenséedesonhistoire.—J’étaisexposédansdestavernescommeunecuriosité.Ousurscène,àCoventGarden.(Ilprit

unevoixaiguëet imita lesexclamationsdeSturrett :)Venezvoir laBête féroce !Ledernier loup-garoudeLondresenchaîné!

Ilpouvaitencoresentirl’odeurfortedutabacbonmarchéquefumaitlepublic,etlesrelentsdescorpscrasseux.

—Aprèslenumérodechantetdedanse,j’étaislaprincipaleattraction.Ilsmetraînaientdansmacage et les spectateurs me jetaient de la nourriture pourrie. Des fois, ils me faisaient enfiler desfourruresdeloupetquelquesacteursjouaientlerôledessangsbleus.Engénéral,ilsfinissaientparm’attaqueràl’épée.

Lenaécarquillalesyeux.—Ilsnetepoignardaientquandmêmepaspourdevrai?

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—Si,avecdufer.(Savoixsedurcit.)Çaguéritvite.Àmoinsquecesoitunalliageenargent.—TupartagescettesimilaritéavecBlade,fitremarquerHonoria.—Honnêtement,Honoria.Commentpeux-tupenseràlamaladieaprèsavoirentenduunehistoire

aussiatroce!s’indignaLenaavantderegarderdenouveauWill.JecroyaisquetuavaisquinzeansquandBladet’aramenéàlamaison.

—Oui.Plusoumoins.J’aipastroptenulecomptedesannées,danscettecage.LadétresseadoucitleregarddeLena.Will ne s’était pas attendu à ce qu’elle le défende ou qu’elle fasse preuve de compassion. La

plupartdesspectateursavaientétédesmarchandsambulants,maisparfois,unmembredel’ÉchelonpayaitSturrettpourl’exhiberdanslesgrandesmaisonsdeMayfair.Lesdamesportaientdedélicatessoierieset jouaientavec lesperleset lesdiamantsextravagantssuspendusà leurcou–desfemmesrichesvêtuescommeLena–maisaumoins,ellesne lui jetaient rienauvisage.Elles l’observaientplutôtavecleurspetitsyeuxenchuchotantetenricanantderrièreleurséventails.

Les gentlemen, eux, n’appréciaient pas du tout.Will n’avait pas eu le cœur de leur dire qu’ilpartageaitleursentiment.Çan’auraitpasfaitgrandedifférence,detoutefaçon.Personnenel’écoutaitquandilsetrouvaitdanslacage.Àleursyeux,iln’étaitguèreplusqu’unanimal.Àlalongue,ilavaitcessé de parler, de grogner et de montrer les dents dès qu’ils approchaient. C’était le pire desavilissements.SiBladenes’étaitpastrouvédanslepublicunbeausoiretn’avaitpasforcéSturrettàlelibérer…ilfrissonnaensongeantàcequ’ilseraitdevenu.

—Lesdeuxvirusnesupportentpaslaprésencedel’argent,ditHonoriad’unairsongeur.Cequisignifieraitqu’ilyaeuun…ancêtrecommun,pourainsidire?Plusonenapprendra,plusjeseraisusceptible de trouver un remède. Je vais examiner l’échantillon aumicroscope et commencer lestests.Ilseraitpeut-êtrepréférablequetunesoispluslà,Will?

Cen’était pas tant la vuedu sangqui le gênait,mais les aiguilles. Il devait cependant ficher lecampd’ici.Sapeaulepicotait.

—Ouais.Jem’envais.—Non, pas chez toi, intervint Honoria. Tu n’es pas en état de partir tout de suite. Je veux te

surveilleravantquetupartes.Lena?Celle-cirelevalatêtetelleunebicheapeurée.—Oui?demanda-t-elleprudemment.Honoriaprituneinspiration,commesiellepesaitsesmots.—Peux-tu accompagnerWill à la cuisine et lui tenir compagnie un petitmoment ?Donne-lui

quelquechoseàmanger.Tusaiscommentilestaprèsunetelleagitation.—C’estpasnécessaire,répliqua-t-il.Lenaéchangeaunregardaveclui.—J’espéraispouvoirteparler,Honoria.Bladeladévisageaavecunairinterrogateur.Honoriacroisasesyeuxetsaquestionparuttrouver

uneréponse.Blademarmonnadanssabarbeethochalatête.—Vaudraitmieuxtemettrequelquechosedansleventre,Will.Ondescenddansuneminute.Impossibled’yéchapper.Ilétaitcoincéavecelleetlapiècesemblasoudaintroppetite.Willouvrit

laporteet sortit.Lenasepressaàsasuitedansunbruissementde tissu, toutenproférantun juronétoufféquantauxmanièresd’ungentlemanquidevaitlaisserpasserlesdamesd’abord.

—Jesuispasungentleman.—Çan’aéchappéàpersonne,murmura-t-elle.Onnet’appellepas«laBête»pourrien.

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Cesparolesn’auraientpasdûleblesser.Onluiavaitattribuédessurnomsbienpiresquecelui-là.Enfait,ilavaitmêmeprisl’habitudedelesaccepteretdesefondredanslepersonnage.Ils’enservaitpourmaintenirleshumainscurieuxàl’écartetlesprédateurssurleursgardes.

Maispouruneraisonquelconque,danslabouchedeLena,cesparolesluifirentl’effetd’uncoupdecouteauenpleincœur.

La cuisine était vide. Esme ne s’y trouvait pas. Même si la marmite de soupe bouillonnantetrahissaitlaprésencedelagouvernantedeBlade,ellen’étaitpasvisible.

Ilsentitlefrôlementd’ungantsoyeuxsursonpoignet.—Là,ditLenaen l’attirantversun tabouretbasdevant le feudans lacheminée.Assieds-toi, je

vaisteservirunpeudesoupe.Ellelerelâcha,maislasensationducontactdemeura,commedesdoigtsfantômes.Willselaissa

lentementtombersurlesiègeetlaregardas’affairer.Lena ne semblait pas à sa place. L’âtre dominait la pièce et répandait une nappe de chaleur

constante.Leplafondétait tachéde suieet lesplansde travail, rainurésparuneutilisationassidue,étaientrecouvertsd’herbesetderondellesd’oignons.Àcôtésetrouvaitunerangéedecasserolesencuivresuspenduesàdescrochetsenmétal.Lapièceétaitchaleureuseetaccueillante.ToutlecontrairedeLena.

Ses jupes en velours rouge étaient légèrement relevées et laissaient entrevoir un petit bout dejupon.Soncorsetépousaitsataillefine,dontWillauraitpufaireletouravecsesmains.Desbandesdedentellenoireornaientsoncorsageetlespansdesesjupes.Quandellelevalebraspours’emparerd’un bol, sa poitrine blanche et crémeusemenaça de jaillir de son décolleté. Il devina un bout dedentellenoiresursapeaublanche.

LesdoigtsdeWillledémangèrentsoudain.Ilserappelaitlapremièrefoisqu’ill’avaitvue,entrainderemonterPetticoatLane,sarobegrise

en tissu sergé tourbillonnant autour de ses chevilles, un petit chapeau cabossé sur le crâne qui laprotégeaitàpeinedelapluie.Elletenaitunjournaldétrempéau-dessusdesatête.Elleavaitglissésurleborddu trottoiret le journals’étaitdéchiréendeuxavantdesedésintégrerdanssesmains.Elleavaitlâchéunpetitrireimpuissantfaceàdeuxgalopinsdesrues,haussélesépaulesetjetélagazetteparterre.Letimbredesonrirel’avaittranspercé;c’étaitlegenredesonquiavaittoujoursdonnéàWilll’impressiond’êtreunétrangerentraindel’épier.Lajoieirradiaitdesapersonnetoutentière,semblable à la chaleur d’un feu de bois par une froide nuit d’hiver.Will avait éprouvé un frissond’envie,commes’ilavaitvoulu tendre lesmainspoursaisirunpeudesonbonheurcommunicatif.Aprèsavoirretirésonchapeau,elleavaitlevésonvisageverslecieletlaissélapluiehumidifierseslèvres,lescilsbattantsursapeaupâle.Willavaitbienfaillitomberdutoitàforcedesetordrelecoupourl’observer.

Detoutefaçon, lesfemmeslemettaient toujoursmalà l’aise.Sapropremèrel’avaitvendudèsqu’elleavaitcomprisqu’ilétaitunloup-garouetlaseuleautrefemmeprésentedanssavieavaitétéEsme.Cen’étaitqu’auboutd’uneannéepasséeensacompagnieaurepairequ’ilavaitcommencéàsedétendre,maistoutcequiconcernaitLenaluihérissaitlespoils.Unecurieusesensationdegênequ’ilnecomprenaitpas.Quandunvampireavaitrôdédanslescolonies,Willavaitétéchargédesurveillerlesdeuxplus jeunesToddetdeprotéger lamaisonpendant lanuit. IlavaitsuiviLenaàsontravailtouslesjours,puissursontrajetderetouràlamaisonlesoir,sansmêmequ’elleenaitconscience.Ils’enplaignaitàquivoulaitl’entendre,maisenréalitéils’étaitmisàsedélecterdumomentoùelleapparaissaitàlaportedel’horloger,quandelleadressaitunpetitsignegaidelamainàl’intérieurde

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laboutique.DanslatristeréalitédelaviedeWill,Lenaétaitdevenuelaprincipaleétincelledevie,etavaitfaitnaîtreenluiundésirpourunechosequ’iln’avaitjamaisconnueniressentieauparavant.

Il était plus sagepour lui de rester dans ces dispositions.Lenademeurait une étrangèrequi nereprésentaitaucunemenacepour lui,ni luipourelle.Cenefutque lorsqu’ils’était retrouvéfaceàellequ’ilavaitcompriscombienlaréalitépouvaitêtredifférente.Unenuit,Lenaétaitsortiesurletoitenchemisedenuit,riendeplus,etl’avaitdévisagécommes’iln’étaitqu’unesortedebruteépaisse.

Lespaumesmoites,lagorgeserrée,Willavaitétéincapabledeprononcerunmot.Puissoudain,ilsétaientsortis,crusetmaladroits:«T’yarriveraspasàtemps.Etsitunepeuxpasm’éviter,moi,alorstunepourraspasl’éviterluinonplus.Es-tustupide,petitefille,poursortiraveclacréatureenliberté?Oubientuveuxsimplementmourir?»

C’était lapiredeschosesà luidire.Elleavaitplissé lesyeuxets’était redressée telleunereinefaceàlaplusviledesracaillesdesrues.

Il était redevenu lepetitgarçon impuissantdontpersonnen’avaitvoulu–personned’autrequeSturrett, qui avait vu en lui un moyen de gagner de l’argent. Will s’était juré de ne plus jamaisressentir cette impuissance, mais chaque fois qu’il la voyait, il plongeait dans un tourbillond’émotions.Sanervositéetsonaviditéseréveillaient.Labêtegrondaitdanssapoitrine,commeunloupencage.

Jepeuxpaslalaissersortir.Jamais.—Tun’espasobligéedefaireça,dit-ilabruptement.Jepeuxmedébrouillertoutseul.Lenaenlevasonchapeau,etôtasesgantspuislesjetanégligemmentsurlatable.Sapeaulisseet

sesdoigtsmanucurésattirèrentsonregard.Ellel’avaittouchéuneseulefoisaveccesmainsetjamaisilnel’oublierait.

—Tuastoujoursbesoindemangerquelquechoseaprèsl’undetesincidents.Fredonnanttoutbas,ellesemitàverserdelasoupedansunbol.—C’étaitpasunincident.Le tonde sa voix était bienplus tranchant qu’il n’en avait eu l’intention etLena se figea. Il se

mauditetpoursuivit:—Jemesensfaibleseulementquandjedéploiedegroseffortsouquandj’aiperdutropdesang.

C’estseulementlevirusquiagitetmeguérit.Là,c’estdifférent.—Honoriam’ademandédetenourrir.Malgrésanonchalancedélibérée,elleétaitnerveuse.Àcausedelui.Illesentait.—Tupeuxendébattre avecelle si tuveux.Moi, jen’aipas l’intentiondegaspillerma salive,

continua-t-elle.Constatantqu’ilnerépondaitpas,ellerepritsatâche.—Jesavaispasquetuétaiscapabledetedébrouillerdansunecuisine,dit-ildansleseulbutde

romprelesilencegênant.Onapprendça,danslessalonsdeluxe?Lenalevaunregardnoirpar-dessuslebol.Ellesemblaitsincèrementsurpriseparsaquestion.Ce

n’étaitpasétonnant,aprèslestroisannéesqu’ilavaitpasséesàl’ignorer.—Quand mon père est mort et qu’on est arrivés àWhitechapel, c’était moi qui préparais la

majoritédesrepas,répondit-elleenbaissantdenouveaulespaupières.Honoriarentraittoujoursplustardquemoidutravail.

—C’esttoiquicuisinais?Ils’emparaduboletdelacuillèrequ’elleluitendait.LamaindeLenaparaissaitminusculeàcôté

delasienne,ettrèspâle.Deuxmondesdifférents.—Mal.

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Elleluijetaunsouriresoudainquiilluminasonvisagetoutentier.Nom d’un chien. Il détourna les yeux sur sa soupe. Il ne l’avait pas vue depuis six mois,

délibérément,etilavaitpresqueoubliéqu’ellepouvaitfairebouillirsonsangavecunsimplesourire,unseulregard.

Unbaisernonchalant.—Etaujourd’hui,tuassistesàdesbals.Ilavaittentéd’employeruntonrailleur,maisl’effettombaàplat.Iltrouvarefugedanssasoupe

etfaillitsebrûlerlepalais.— J’aimedanser. (Elle plissa les paupières.)Et j’aime les bals.Les hommes se comportent en

gentlemen.C’esttrèsagréable.—T’aspasencoredecontratd’esclavage.Ils’étaittenuaucourant.Ils’imaginaitundecesenfoirésdesangbleuentraindeposersabouche

etsesmainspartoutsursoncorpstoutenbuvantsonsangsucré.LesjouesdeLenasecolorèrent.—Non.Jenemesuispasencoredécidée.Iln’yaaucuneurgence.—Aucuneurgence?Est-cequetuvaspasdevenirvieillefille?—J’aiàpeinevingtans,répliqua-t-ellesèchement.—Jevois.Tupréfèreslesfairecourir?—Cen’estpasdutoutcequej’aidit.—Çacorrespondaugenredejeuxauxquelstuaimesjouer.Lenapivotasursestalonsetrécupérasesgants.—J’espèrequetuvast’étoufferavectasoupe,espècedegroslourdaudhirsute.Tunesaisriende

moi.Rien!Un bout de papier s’échappa de samanche quand elle se retourna, et tomba au sol comme un

papillonmort.—Ah,nousyrevoilà!fit-ilenrepoussantsonpotagepourlelaisserrefroidir.(Ilsepenchapour

ramasserlepapier.)Tuaslaissétomberça.Lenasefigeasurleseuil.Ellefourraimmédiatementsamaindanssamanche,puisfitvolte-face,

lesyeuxécarquillés.—Rends-le-moi!Willseleva,brisalesceauetdéroulalepetitrouleaudepapier.Iln’eutqueletempsd’apercevoir

degrosseslettresnoiresavantqueLenaessaiedelerécupérer.—Unelettred’amour,jeparie.Ilseretournaetfitminedelalire.Uneboufféedeparfumemplitl’airetLenaluiagrippal’épaulepouressayerdebaissersonbras.

Sesseinss’écrasèrentcontresondoslarge.Soudain,ilenoubliatotalementlalettre.—Qu’est-cequetuconnaisauxlettresd’amour?(Ellegrimpasurletabouretetseretrouvaàla

mêmehauteurque lui.Dansuneproximité intime.)Le typede femmequipeuts’intéresserà toinedoitpasêtredugenreàécriredespoèmes.

—N’ensoispassisûre,rétorqua-t-il.Tuseraissurprisedevoirlegenredepoèmesqu’ellesmesusurrentàl’oreille.

—Beurk.Tuesméprisable.Letabouretvacillaetleursregardssecroisèrent.Lenapoussauncriets’accrochaàlui.Willse

retrouva avec du velours et de la chair chaude pleins les bras, ainsi qu’un cœur qui battait à toutrompre,faisantéchoausien.

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LemondesemblaralentirautouretseréduireàlasensationdeLenacontrelui.Willplongeadanssonregard,puisbaissaspontanémentlesyeuxverssabouche.

Lenaouvritgrandlessiensetémitunsonétouffé.—Repose-moi.Il avait le souffle court. Son appétit le submergeait et cherchait désespérément à prendre le

contrôledesoncorps.Ilsavaitquelaflammeambréedesonregards’intensifiait;ilpouvaitpresquesentirlachaleurparcourirsesiris.

—Will,murmura-t-elle.Tesyeux.Lenaexpiraitsonhaleinechaudesurseslèvres.Elleavaitdûmangerquelquechoseàlapommeet

àlacannelle.Ileutsoudainenvied’ygoûter.Nefaispasça.Illareposaetsedétournaenfroissantlepapierdanssamain.Ildevaitficherlecampd’ici.Loin

desonparfum.Éloignerlatentationavantdefaireunechosequ’elleneluipardonneraitjamais.BladeetHonoriaavaientpeut-êtreraison.Nepouvait-onpasluifaireconfiance?—Will,murmura-t-elle.Tutrembles.Ilbaissaleregardsursesmains.Letremblementpartaitdelàetenvahissaittoutsonêtre.—Tuavaisraison,dit-ild’unevoixrauque.J’aisûrementfaittropd’efforts.—Jeferaispeut-êtremieuxd’yaller?Unjudicieuxinstinctdeconservation.Ilhochalatête,s’efforçantdesecontenir.Qu’est-cequin’allaitpaschezlui?Qu’est-cequeça

pouvait bien lui faire qu’elle ait… trouvé quelqu’un ? La colère monta de nouveau, étouffante,commeunvoilerougequitombaitdevantsesyeux.

—Tun’auraispasdûvenir.C’estplustonunivers,maintenant.Unecruautéintentionnelle.Silence.—Jesais.Jenepensaispasquetuseraislà.Tun’esjamaislààmidi.Voilàlaraisonpourlaquelleellepassaittoujoursuniquementàcemomentdelajournée.—Alorsqu’est-cequetuattends?—Malettre?Ilperçutdesbruitsdepaslégersderrièrelui.LajupedeLenafrôlasesjambesetelleglissaune

main le longde sonbraspour refermer sesdoigts sur leboutdepapier.Une lettrequ’ellevoulaitdésespérémentrécupérer.

Ellenepouvaitavoirqu’uneseuleraisonderefuserqu’illalise.Soudain,ilfutincapabledeseretenir.Ildevaitsavoir,mêmes’iln’apprécieraitpaslavérité.Lena

poussauncrienessayantdelareprendre.Lebilletsedéchiraettousdeuxchancelèrent,chacunavecunmorceaudanslamain.Willdéroula

lesienetleparcourutdesyeux.Ilnes’agissaitpasdelettres.Sonregards’aiguisa.Ilavaitdéjàvuçaauparavant.C’étaitlesmêmeschiffresqueceuxtrouvéssurl’hommequiavaitincendiélesusinesdedrainage.

Sonvisageperditsescouleurs.— Qu’est-ce que tu fabriques avec ça ? murmura-t-il d’une voix empreinte d’un effroi

inexplicable.Lenalaissaéchapperunsonétrangléetseprécipitaverslaporte.Willlarattrapaparlajupe.—Tun’irasnullepartavantdem’avoirditoùtuastrouvécefichupapier!—Jel’aitrouvéparhasard,répliquaLena,quiexhalaitl’odeuramèredumensonge.

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Willlapritparl’épauleetlafitpivoter.— Assieds-toi, gronda-t-il en la poussant sur le tabouret. Et explique-toi. À ta place, je

m’aviseraispasdementirunenouvellefois.

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4

Willdressasesdeuxmètresdixau-dessusd’elleavecunregardnoir.—Explique-toi,ordonna-t-il.Ses yeux étincelaient de cette étrange couleur ambrée qui révélait qu’il n’était pas totalement

humain.Lenareculaens’agrippantàsontabouret.Cederniervacillasousellemaisellen’osaitplusbouger.

Ellen’avaitpaslecouragedeluidire.—Ousinon?demanda-t-elleenlevantlementonpourcroisersonregardfurieux.Lesbattementsdesoncœurrésonnaientdanssesoreilles.Iln’allaittoutdemêmepasluifairede

mal.Ellebaissapourtantlesyeuxverssesmainsfrissonnantes.C’étaitpeut-êtrel’effetdelafatigue.Oupeut-êtrepas.Ellenel’avaitjamaisvudanscetétat.

Ilgonflasesnarinesetplaquaviolemmentsesdeuxpaumessurleplandetravail.Latêtepenchée,ilprituneprofondeinspiration.Puisuneautre.

—Je…—Tais-toi.(Unevoixgraveetgrinçante.)Laisse-moiuneminute.Lenadéglutit.Qu’est-cequi n’allait pas chez lui ?Elle se redressa sur son tabouret.L’horloge

murale égrenait les secondes. Le temps sembla s’étirer et ralentir, et la tension emplit la pièce.L’attenteétaitpresqueinsoutenable.

Aussisoudainementqu’ils’étaitretourné,Willrelevalatêteets’écartaducomptoir.Sescheveuxd’unbrundoréluiarrivaientaucoletillesécartadesonvisaged’ungestevif.

—Pasdemensonge,prévint-ilenlapointantdudoigt.(Lemorceaudelettreétaittoujoursfroissédanssonautrepoing.)Oùest-cequetuastrouvéça?

—Jenepeuxpasteledire.Willvintposersesdeuxmainsàplatsurleplandetravailderrièreelleetsepencha,laprenant

ainsiaupiège.—Nem’obligepasàtoutraconteràBlade.SiWill parlait à Blade, Honoria serait à son tour informée, et alors… eh bien, elle hurlerait

certainementsurLenaetlatraiteraitd’idiotedes’êtrefourréedansunehistoirepareille.—Tuiraiscafarder?Elleignoral’éclatrageurdesesiris.Willnepourraitjamaiscomprendrecequ’elleessayaitde

faire,etelleavaitbienconsciencedesdangersqu’ilyavaitàimpliquerd’autrespersonnes.Willsaisitsonmentonentresesdoigts.—C’estpasunjeu.JelediraiàBladeparcequ’ilestclairquetuesdépasséeparlesévénements.

J’aidéjà trouvécegenredepapiersurun typequiamis le feuauxusinesdedrainage.Lena,elles

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étaientlapropriétédugouvernement!L’Échelonvamassacrerceuxquiontfaitça.(Ilagitalalettredevantelle.)Siçapouvaitt’empêcherdetefairecouperlatête,jeleferaispublierenpleinepagedansleTimes!

—Ondiraitpresquequetutepréoccupesdemoi.Quelquechosepassadanssonregardauxpaupièrestombantes.Unelueurindéchiffrable.Ellese

surpritàretenirsonsouffle,cequiétaitridicule.—Jeneveuxpasquetusoisblessée,finit-ilpardire.Ettasœurm’étriperaitvivants’ilt’arrivait

quoiquecesoitalorsquej’étaisaucourant.Quelle idiote d’avoir penséqu’il aurait pu se soucier d’elle, rienqu’unpetit peu !Ses épaules

s’affaissèrent.— J’ai promis à un ami que je la transmettrais pour lui. Je ne savais pas ce qu’il y avait à

l’intérieur.Jen’enaitoujoursaucuneidée.Çapourraitaussibienêtreunelistedecourses,pourcequej’ensais.

—Sachequejepeuxsentiràtonodeurchaquefoisquetumemens.—C’estlavérité!C’était lapartie laplusdifficiledesacause :mentirà sesamisetà sa famille.Mais sielle les

mêlaitàcettehistoiremaintenant,quisaitcequ’ilrisquaitd’arriver?Willavaitraison.L’Échelonsedébarrasseraitdetousceuxqu’ilpensaitêtreimpliquésdanscetteaffaire.Ellejetauncoupd’œilgênéau bout de papier. Mandeville lui avait assuré qu’elle ne faisait que transmettre les points derencontresàl’undesespionsquiagissaitauseindel’Échelon.

Elle envoyait les lettres par l’intermédiaire d’un corbeau à un mystérieux conspirateur et lesréceptionnaitpourlecomptedeMandeville.Etsil’unedeceslettresavaitétablilesinstructionspourincendierlesusines?Elleavaitbesoind’êtreseulepourréfléchiràtoutça.

Soudain,lemondeluisemblaêtredevenuunendroitbienplusdangereuxencore.—Lena.LesonquisortitdelagorgedeWillétaitpresqueprimitif.Legenredesonquel’ons’attendà

entendre dans une forêt enneigée, en pleine nuit, alors que l’on se trouve seul. Le genre degrondementquipropageaitdesfrissonssurtoutsoncorps,carellesavaitcequ’ilsignifiait:elleétaitlaproie.

Fuis,murmuraunepetitevoix.—Je…je…Bien décidé à ne plus jouer, il lui saisit le menton et la dévisagea. Ses prunelles ambrées la

transpercèrent.Lenaretintsonsouffle.Ellen’avaitrienàcraindre,ils’agissaitdeWillmais,quelquepart,dansunrecoindesaconscience,ellesavaitreconnaîtreledangerlorsqu’elleseretrouvaitfaceàlui.Lespetitspoilssedressèrentsursesbrasetunechapedeplombs’abattitsurelle.

—Jenesuispas…Unrirerésonnadanslesescaliers.Lenatournalatêteverslaporte,soulagée;Esmeetsonmari

Ripentrèrentdanslacuisine.Will se redressa instantanémentet retirasesdoigtsdesonvisage. Ildétourna lesyeuxpour les

dissimuleràlavuedesnouveauxarrivantsetpourselaisserletempsderefrénerlabêtequigrondaitenlui.Aujourd’hui,leprédateurrôdaitdangereusementprèsdelasurface.

—Lena!s’exclamaEsmeenguisedesalut.(EllepritlesmainsdeLenaetluidéposaunbaisersurlajoue.)Jenesavaispasquetupassaisnousvoiraujourd’hui.

—Jesuisvenuesuruncoupdetête,réponditrapidementLena.Tuasbonnemine.Lemariagetevasibien!

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Esme adressa un sourire àRip par-dessus son épaule. Le géant à l’airmenaçant avait d’abordeffrayéLena,avecsonbrasmécaniqueetsaminesombre.AucoursdespremiersmoisdesavieaurepaireavecsasœuretBlade,Ripavaitmanifestéetsubilespremierssignesduvirusdubesoin.Ellesesouvenaitencoredesescrisetdesamanièred’arpentersachambre,enproieàunerageindicible.Bladelui-mêmen’étaitpasparvenuàlecalmeretseuleEsmeenavaitétécapable.

—Disdonc,Will,ditEsmeavecunepointedereprochedanslavoix.Jevoisquetut’enesprisàmasoupe.

—Sur lesconseilsdeHonoria, je lecrains,précisaLena. (Elleeutunsouriredoux tandisqueWillseretournait.)IlyaeuunpetitincidentetWillaeudesvapeurs.

Siunregardpouvaittuer…Mais elle était en sécurité désormais, avec des témoins dans la pièce. Quand il l’aurait à sa

merci–etçanetarderaitpasàarriver,ellelesavait–ilpourraitluifairen’importequoi.Riplaissaéchapperunrire.—Tuestombédanslespommes,gamin?—J’aidûmeservirdemessels,réponditLenaenrécupérantsonchapeauetsesgants.Willsuivitsongestedesyeuxsansjamaisbougerd’unmillimètre.—Lena,dit-ild’untonbourru.Tuviensfaireunepetitebaladeavecmoi?Sûrementpas.Elleluijetauneœilladecharmeuse.—J’aibienpeurdedevoirm’enaller.J’airendez-vouschezlechapelier.Maisj’étaisraviedete

voir.Jedevraisvenirplussouvent.Un nouveau mensonge éhonté. Elle ne remettrait pas les pieds ici à moins d’être certaine de

l’absencedeWill.Il fit un pas vers elle, mais Esme lui barrait le passage.Will s’arrêta, les traits empreints de

frustration.Mais avec Rip quimontait constamment la garde auprès de sa femme, il n’osa pas larepousser.

—Àlaprochainefois,repritLenaenluitenanttête.Ilmitdutempsàrépondre.Etquandillefit,sontonmenaçantfaillitlafairereculer.—Ceseraplustôtquetulecrois.

Will claqua laporte et parcourut lepetit appartementdu regard.C’était làqu’il vivait,mais ce

n’étaitpaschez lui. Ilmanquait la chaleur et les riresdu repaire. Il jeta sonmanteau sur le côtéetallumaunebougie.Sonhaleinecréaitdelacondensationdansl’airdusoir.Ilavaitbeauavoirpassétoutl’après-midiàgérerlesaffairesdeBladeauxcolonies,leparfumdechèvrefeuilles’accrochaittoujoursàsesvêtements.

Il fronça les sourcils et trouva un reste de tourte au frais. Il ne voulait pas penser à ça. Lenacroyaits’enêtretiréeaujourd’hui,maiselleavaitoubliéunechose.

Willrattrapaittoujourssaproie.Toujours.Qu’est-ce que cette petite idiote était donc en train de manigancer ? En transportant ainsi un

documentaupotentielsidévastateur?Siunquelconquemembredel’Échelonlasurprenaitavecunpapierpareilensapossession,celasoulèveraituneavalanchedequestions.Ets’ilsenconnaissaientlasignification,elleseraitimmédiatementexécutée.

Unfrissonleparcourut.Sesriresetsestaquineries,envoléspourtoujours.Mêmesisaprésencelemettaitmalàl’aise,ilnevoulaitpasqu’illuiarrivelemoindremal.Enfait,cetteseulepenséefitsedresserlespoilssursapeauetuneragefollefutprèsdelesubmerger.

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Il n’avait jamais ressenti ça auparavant. Un seul regard sur elle et tous ses besoins primitifsmenaçaientd’anéantirsesdéfenses.

Laseulepenséedelasavoirendanger…Ilsefigea.Puisreposasafourchette.Laveinedesatempesemitàpalpiter.Ilprituneprofonde

inspiration.Etencoreuneautre.Nepensepasàça.Pasavantd’avoirreprislecontrôlesurlui-même,quelquesoitlemomentoùçaarriverait.

Ilrécupérasoncouvertavecunrirebrusqueetleplantadanslatourte.Alorsqu’ilmordaitdansunmorceaudeviandegoûteuse,unsonprovenantdesescaliersextérieurscaptasonattention.

Quelqu’unseglissaitsursonpalier.Quelqu’unquifaisaitpreuved’unsilencesurnaturel.Ilserralafourchettecommeunearme,lamaintintcontresacuisseetsedirigeaverslaportesans

unbruit.Ilhumaunefragrancedecuir,maisaucuneodeurpersonnelle.Unsangbleu.Levirusquilesinfectaitleurôtaitleurparfumdistinctif.

Will ouvrit le battant d’un coupbrusque, fit unpas en avant, attrapa l’intrus par la gorge et leplaquaviolemmentaumur.

Unemainsaisitsonpoignetetundoigts’enfonçadansses tendons, justeassezpouratténuer lapression.

— Pouce ! dit Blade d’une voix rauque. Si j’avais voulu te tuer, tu ne m’aurais pas entenduapprocher.

Willlerelâchaavecuneminededégoût.—Bonsang.Tudevraisêtreaulit.(Ilrecula.)Honoriasaitquetueslà?—Biensûr.Quoi,t’entendspasladisputequirésonneencore?(Bladedesserrasoncol.)Jesuis

pasunvieuxdébris.Etjepeuxpasmepermettred’êtrecoincéaulitpendantplusieursjours.—Tusoufflescommeunbœuf.—Jevaisreprendremarespiration.(BladejetaunregardderrièreWill.)Tum’asl’airuntantinet

irritable,Will.Quelquechosetetracasse?Willfitsigneàsonmaîtred’entrer,puisrefermalaportederrièreeux.Toutecettehistoireavec

Lenal’avaitmisàcran,etilvoyaitdessangsbleusdanslemoindrerecoin.—Quelestleproblème?Tun’espasdugenreàrendredesvisitesdecourtoisie.Bladeappuyasahanchecontrelatableetcroisalesbras.—Jesuispaslebienvenu?Ils’étaitexprimécalmement,maislalueurdanssesyeuxétaitsuffisammentéloquente.Willserassitetplantasafourchettedanslatourte.Ilavaitperdusonappétit.—Soispasbête,murmura-t-il.Tuestoujourslebienvenu.IlsentitleregarddeBladerivésurlui.Puiscederniersoupira.—Qu’est-cequetupensesdeça?IlexhumaunrouleaudesapocheetlejetaversWill,quilerattrapaenpleinvol.Illedéroulaet

approchaleparchemindelalampe.Leslettresétaientrondesetinclinées.—LeConseildesDucsréclamevotreprésenceaubaldeLordHarker,demainsoiràhuitheures,

lut-il lentement en butant sur lesmots. La demeure sera considérée comme terrain neutre pour latotalitédelasoirée.AmenezlaBête.Ilbénéficierad’unlaissez-passer.

IlbaissalepapieretcroisaleregarddeBlade.—Unpiège?Lesangbleusegrattalajoue.

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—Je pense pas.Mais c’est une sorte de jeu tactique.Et je compte bien comprendre ce que çasignifie.Oudécouvrirpourquoituesimpliqué.

—Ehbien…(Willfroissaleparchemin.)Jeleurdoisrien.Ettoinonplus.— C’est vrai. Mais qu’est-ce qu’ils veulent ? (Blade se renfrogna.) Je déteste ces fichues

manigances.Est-cequejepeuxmepermettred’ignorerleurinvitation?Çapeutêtretoutetn’importequoi.(Avecunsoupir,ils’écartadelatable.)Jenecomptepassurtavenue.Cemondeestdangereuxpourtoi…

Will fut frappé par une idée. Lena serait certainement présente. C’était exactement le genre deréceptionsauxquelleselleassistait.Etledernierendroitoùelles’attendraitàlecroiser.

Tuascruquetupourraism’échapper,hein?—Ilestdangereuxpournousdeux,lecorrigealentementWill.Situyvas,jet’accompagne.IlétaitlegardeducorpsdeBladeentouteoccasion.—Et j’ai d’autres choses à régler là-bas.Autant profiter de leur laissez-passer et voir ce que

veulentcesenfoirés.—Tesaffairesn’auraientpasunrapportaveclagentféminineparhasard?Willluijetaunregardnoir.—Iltefautunefemme,ajoutaBladesansdétour.Sesparolesfirentnaîtreuneimagedanssonesprit:descheveuxsombres,desyeuxsombres,un

petitsourirecoquin.Sonentrejambedurcit.—C’estbienladernièrechosedontj’aibesoin.—Iltefautquelquechose,entoutcas.(Bladeparcourutl’habitationspartiate.)Tudoisrentreràla

maison,Will.Cetendroitestfroidetlugubre.C’estpastaplace.Maplacen’estnullepart.Pasvraiment.Ildétournasonattention,lesépaulestendues.—Onenadéjàparlé.Laréponseestnon.Unlongsoupiremplitsesoreilles.—OK.Jetelaisse,alors.Toutseulaveclessouris.Soisprêtdemainàsixheures.Oh,et…Will?—Ouais?—Çateferaitpasdemaldeteraser.

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5

—J’aibesoind’air,ditLenaenéventantsonvisage.Lesplumesdepaonluichatouillaientleslèvres,maisellen’yprêtapasattention.Ellesuivaitdes

yeuxlejeuneducdeMalloryn,quiescortaitladuchessedeCasavianhorsdelasalledebal.TousdeuxétaientchefsdeleursMaisonsrespectivesetmembresduConseildesDucs.Etleduc

deGoethes’étantretiréàpeinecinqminutesplustôt,elleenconcluaitqu’ilsdevaientseréunirpourévoquerunsujetimportant.

Leproblèmescandinave,avecunpeud’espoir.Adelevidaunverredelimonadeglacée.—Est-cequec’estbienprudent?Lenaluiserralamainavecunregarddur.—Iln’estpaslà.J’aivérifié.—Nefaispasl’autruche,Lena.Colchestern’estpasleseuldanger.Lajeunefemmehochalatête.Lafoulecoloréetourbillonnaitautourd’elle.Unedizainedesangs

bleusétaientprésentsdans lapièce, et sirotaientduvinde sang tout enobservant lapistededansed’unœildeprédateur.

—Tuferasattention?—Cenesontpaslesseulsàêtreenchasse.(Adeleesquissaunsouriredontl’éclatn’atteignitpas

sesprunelles.)Jet’aiditquej’avaisbesoind’unprotecteur.—Soisprudente.Leducet laduchesseavaientdisparu.AprèsunderniersourireàAdele,ellesehâtadepartirà

leurrecherche.Laduchesseportaitunerobecouleurauberginefoncéquisoulignaitsachevelurecuivrée.Lena

sortit de la salle de bal. Elle se pencha par-dessus la balustrade de l’étage et fouilla des yeux levestibuleencarrelageblanc.Unimmenseescalieroccupaitlamajeurepartiedelapièce.Plusd’unedizaine d’hommes et de femmes occupaient l’entrée et les escaliers, drapés dans une myriade decouleurs.D’aprèslachaleurdeleurpeauetlesmèchesnoircorbeaudedeuxd’entreeux,ilsétaientprobablementtoushumains;aucund’euxn’avaitlerangrequispourrecevoirledondusanginfecté.Seulsceuxissusdegrandeslignéespouvaientbénéficierdesritesdesang,quisurvenaientàl’âgedequinzeans.C’étaitunepreuvedeconditionsociale,deprestige.

Ilnesuffisaitpasd’êtreunsangbleupourfairepartiedel’Échelon.Touslesmalheureuxinfectésaccidentellement étaient considérés comme des renégats. Ils pouvaient se voir enrôler chez lesEngoulevents ou offrir une place chez les gardesColdrush qui protégeaient laTour d’Ivoire et leConseil.Ouencore,ilsétaientéliminés.

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Leshumainspouvaient,commeelle,évoluerdansl’ombreàlalisièredel’Échelon,maisilsn’endevenaientjamaismembresàpartentière.Sileurrangétaitsuffisammentélevé,ilsavaientleurplace,soitd’esclave,soitd’épousepotentielle.

Évitant la statue d’ange en marbre, elle jeta un œil dans le couloir. La dizaine de parents etancêtresdistinguésdeLordHarkerdontlesportraitsétaientaccrochésauxmurssemblèrentluijeterdes regards demépris. Lena fit quelques pas en avant, dans un frou-frou de jupon vert. Un autrecouloirs’ouvraitdel’autrecôté.

Ellevenaitdecontournerl’énormehorlogedeparquetquitenaituneplaced’honneurausommetdesescaliers,quandunsilences’abattitsurlevestibule.

Deuxvaletstenaientouverteslesportesprincipales,levisageimpassible.Bladeentraenbalançantunecanneàpointeenébène.Il jetasonhaut-de-formeàunvaletetsalua legroupequi l’observait,bouchebée.Unautreserviteurpassa,munid’unplateaugarnideverresdevindesang,etBladeenvolaunaupassage.Puisilexaminalapièceavecintérêt.

Willapparutsursestalons,lesépaulesgonflantletissudelavestenoirequ’ilavaitmanifestementempruntéepour la soirée. Ilportaitungiletgris, soigneusementbrossé, tout commesesbottes.Lalueurdes chandelles se reflétait sur lesmèchescuivréesde ses cheveux. Il était plusgrandque lesvalets.Malgré leur formation,deuxd’entre eux s’écartèrentde sonchemin telsdes lapins apeurés.Willlessuivitdesonregardavide,commes’ilenvisageaitdeleurdonnerlachasse.

Lenaeutlesoufflecoupéetsentitsonvisageseraidit.—Will,murmura-t-elle.Quediablefaisait-ilici?Willsefigeanetetlevalatêtecommeunlionquiauraitsentiunegazelle.L’ambrebrûlantdeses

yeuxsefixasurlessiens.Ilretroussaleslèvresdansunsouriremenaçant,etLenarecula.—Plustard,mima-t-ilduboutdeslèvres.Elledétournasonattention ;soncœurs’emballa.L’espaced’un instant,elleavaitcruqu’ilétait

venu pour elle, mais c’était du délire. Pas avec sa tête mise à prix. Que fabriquait-il au cœur duterritoiredel’Échelon?Cedernierconsidéraitl’espècedesloups-garouscommebonneseulementàvivreencageouenchaînée.S’ils’étaitattirédesennuis…

—Sir…Blade,dit lemajordomeen se rattrapant à temps.MaîtreWill.Par ici, sivousvoulezbien.LordBarronsvousattend.

Leo.Sondemi-frèreétaitimpliquélà-dedans.Lenadesserralespoings.PourquoiLeolesinvitait-il ici, alors qu’il avait tout loisir de leur rendre visite dans les colonies ? Il était l’un des raresmembres de l’Échelon en qui Blade avait suffisamment confiance pour lui autoriser l’accès àWhitechapel.

Lemajordomelesguidadansunautrecouloir.Justeavantdedisparaître,WillrelevalatêtepourjeteràLenaundernierregardbrûlantquilatransperçacommeuneflamme,etquisuscitaenelleunmélangedepeuretd’anticipationqu’elleauraitétébienincapabledenommer.

Merveilleux. Elle laissa échapper le souffle qu’elle retenait et reprit la direction du deuxièmecouloir.Elledevaitpartird’iciavantqu’illaretrouve.

Maisd’abord,elledevaitterminersamissiondereconnaissance.DécouvrirsipossiblecequisepassaitentrelesmembresduConseil.

Ensuite,ellefeindraitl’évanouissement,cequi,étantdonnélafrénésiedesonrythmecardiaque,neseraitpastrèsdifficile.

—Prépare-toiàtout,murmuraBladetandisqu’ilstraversaientlarésidencedeLordHarker.

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Will redressa les épaules sans cesser de scruter les ombres. Il était à crandepuis qu’ils étaientsortisdumauditfiacre.Venir ici,aucœurmêmedelasociété,représentaitunréeldanger.Ildevaitêtreprêtàtout;plusdesurprises.

Ilavaitdéjàeusapremièredelasoirée.Lena.Mêmes’ils’yétaitattendu,qu’ils’étaitréjouidecetteoccasion,ils’étaitsentimomentanémentengourdiàlasecondeoùilavaitposélesyeuxsurelle.Elle avait toujours porté de jolies toilettesmais, à demi dissimulée dans l’ombre, avec un trait delumièrequisoulignaitsescourbesdouceset lesmystérieusesprofondeursdesoncorps…elleétaitd’unebeautéàcouperlesouffle.

Unecascadedebouclesélaboréesretombaitsursesépaules,retenuesparunpeigneélégant.Lesémeraudesquiornaientleprofonddécolletédesarobeverteattiraientlesregards.Ilétaitimpatientdelavoirseule.L’anticipationfaisaitbouillirlesangdanssesveinesetmettaittoussessensenalerte.

Seulement,ilnesavaitpasencores’ilavaitenviedel’étrangler…oudel’embrasser.Uneportes’ouvritetunrayondelumièredoréeperçal’obscurité.Willchassapromptementses

pensées.L’heuren’étaitpasàladistraction.C’étaitlemeilleurmoyendesefairetrancherlagorge.Unhommeapparut,vêtudenoirdelatêteauxpieds.Ilsemouvaitaveclagrâcedangereused’un

épéiste, lasilhouetteminceetferme.Ilobservalecouloirsombred’unregardprudent.Undiamantétincelait à son oreille et, bien qu’il ne portât aucune arme, une aura de violence émanait de sapersonnetoutentière.

LeoBarrons.LegardiendeLena, et peut-être le seul sangbleuqueWill tolérait en dehors deBlade.

—Blade.Barrons tendit lamain. Il examinabrièvement la scène,maisWill savaitqu’il enavaitnoté les

moindresdétails,dumotifdestapisrougesaudrapédeleursmanteaux.—Quelexcellenttiming,déclara-t-il.Leprinceconsortdevraitarriverd’uneminuteàl’autre.—Leprinceconsort?(Bladehaussaunsourcil.)Tiens,tiens,ilsdoiventvraimentcherchermes

faveurspourramenerSaRoyalePâleur.UnpetitsouriresournoisapparutbrièvementsurleslèvresdeLeo,maisilsecoualatêted’unair

d’avertissement.—Lesautressontàl’intérieur.UnefaçondesignifieràBladedelaboucler.Barronss’avança,lamaintendue.—Will.Turessemblesàunemontagne,commed’habitude.—Ilengloutittoutesmesprovisions,murmuraBlade.Willletoisafroidement.—J’aimonproprelogementmaintenant.—Ouais,etpourtant,chaquefoisquejetournelatête,jetetrouvefourrédansmafichuecuisine.Unsourireprudent;Bladeexagéraitletraitàl’intentiondeBarrons–etdesautresàl’intérieur–

maisiln’avaitpasoubliéoùilssetrouvaient.—Entrez,proposaBarronsendésignant laporte. Jevais faireenvoyerunpeudevindesang.

Will,tuveuxquelquechose?Delabière?Duvin?Will luiaccordaun longregard.Aucunechancequ’ilavalequoiquecesoitprovenantdecette

maison.—Jepréfèregardertoutematête.—Ah,lestoïquegardeducorps.—Ilfautbienquequelqu’unsurveillelesarrièresdeBlade.Lesdeuxsangsbleuséchangèrentunregard.Blades’approchadelaporte.

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—Ilsmepoignarderontpaslà-dedans,ilssonttropsoucieuxdesconvenancespourça.Non,çaarriveraquandjem’yattendrai lemoins,enpleinenuitdansuneruellesombre.Ils’agitseulementd’unjeu.Allez,Will.AllonsvoircequeleConseilnousveut.

QuandBlade s’y attendrait lemoins… comme dans le salon d’unmanoir, pendant qu’une fêtebattrait son plein.Will ferma lamarche, prêt à bondir à lamoindre alerte.On lui avait retiré sesarmesàl’entrée,maispeuimportait.Soncorpstoutentierétaitunearme.

Lapièceétaitéclairéeparunfeudanslacheminée.Lesombresvacillaientsurlesmurs.LeregarddeWillfutattiréparlespanneauxdeboissculptésetleplafondpeint.Iln’avaitjamaisvuautantdedoruresdetoutesavie.

Et des rideaux en soie.Quelle blague !Lamoitié des habitants deLondres avaient à peine lesmoyensdepayerlestaxesexorbitantesdel’Échelon,etvoilàpourtantquel’undeleurslordsvivaitdansunemaisonquipourraitprobablementnourrirWhitechapelpendantuneannéecomplète.Voirecinq.

Il n’était pas là pour s’extasier devant le mobilier. Will baissa les yeux alors que Blade, lui,tournaitsurlui-mêmepourobserverledécor.

—Mincealors,regardez-moiça,déclara-t-il.Quelspectaclepourlesyeux,ceplafond!Touscesangesetcesnuages…

—Merci,réponditunevoixfroide.Lemanoirappartientàmafamilledepuishuitgénérations.Willplissalesyeuxetobservaceluiquivenaitdeparler.CertainementLordHarker.Ilse tenait

prèsdufeu,lesmainsjointesdanssondos.Lesautresétaientassisendemi-cercleautourdelui.Ilconnaissait l’identitédelafemme.Iln’y

avait qu’une seule femme sangbleu enAngleterre,LadyAramina, duchessedeCasavian. Il l’avaitrencontréeune foisetnese fiaitpasà l’expressiondanssesyeux.Pourtant,quand leConseilavaittenu la vie deBlade entre sesmains, c’était elle qui avait détenu le vote décisif et son choix avaitscellésondestin.Pouruneraisonquelconque,uncapriceouunmotifpolitique,elleavaitchoisideluilaisserlaviesauve.

L’undesautreshommesétaitgrand, avecunnezde fauconetunebarbe soigneusement taillée.Desmèches grises ponctuaient sa chevelure, un signe de distinction plutôt que de vieillesse ou dedécrépitude.Manderlay,leducdeGoethe.LuiaussiavaitvotéenfaveurdeBlade.

Puislepetitvavasseur,assisdansunfauteuilLouisXIII,quiobservaitlejeudelumièredanssonverre de vin de sang.Des bagues étincelaient à ses doigts et il avait laissé son col négligemmentouvert.Unebouteilleàmoitiévide reposait à sespieds.Willne leconnaissaitpasmais,d’après lachevalièreornéed’ungriffonàsondoigt,ilcompritqu’ils’agissaitd’AuvryCavill,lejeuneducdeMalloryn. Lamenace lamoins probable, selonWill, qui tourna son regard vers Goethe. Il savaitpertinemmentquireprésentaitleplusgranddangerdanscettepièce.

Chacun d’entre eux avait voté en faveur de Blade. Une aura politique flottait dans l’air, tellel’odeurviciéed’unmanteau rongépar lesmites.Leprinceconsortdevait chercher sérieusementàobtenirunefaveurbienprécise.

—Etvotrefemme?demandeleducdeGoethe.—Curieuse,têtue.Fidèleàelle-même.UnsouriresincèreilluminalevisagedeBlade.—Commentavancentsesexpériences?demandaladuchesse.La seule manière pour elle d’être au courant des recherches de Honoria était d’avoir fait

surveiller le repaire.Willplissa lesyeux.Aucund’entreeuxn’avaitmanifesté lemoindresignede

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surprise.Cequisignifiaitque leConseilsavaitprobablement toutcequisepassaitaurepaire.Willallaitdevoirs’enoccuperdèsqu’ilseraitsortidecetendroit.

—Elleaimebricoler, réponditBladeavecunhaussementd’épaule. (Il jouaitce jeubienmieuxqueWilln’enseraitjamaiscapable.)Ellepensequ’unjour,ellepourrameguérir.

—Vousycroyez?demandaladuchesseensirotantsonvindesang.La lueur des lampes à gaz donnait à ses cheveux cuivrés l’allure d’une couronne flamboyante

poséesur sa têtemais, endépitde sesyeuxcouleurcognacetde ses joues roses, sonattitudeétaitaussifroidequ’unenuitd’hiver.Unepetitearaignéemécaniquerampaitsursonépaule,reliéeàunebrochesursapoitrineparunechaîneenacier.Lepetitdômeenverrelaissaitapparaîtrelesdélicatsrouages en laiton de son mécanisme interne. Il en avait déjà vu de semblables. Quand on lesretournait,leurventrefaisaitofficedemontre.

—Ça l’amuse et je ne l’ai pas dans les pattes. (Le sourire deBlade était plus incisif.) Tout lemondesaitqu’iln’yaaucunremèdecontrelevirus.

—Oui,maiselleestlafilledeSirArtemusTodd.N’était-cepaslegéniequiavaitmisaupointtoutescesarmespourlecomptedeVickers,avantquevousn’abattiezleduc?J’aientendudirequedéjààl’époqueTodds’apprêtaitàdécouvrirunremède.Peut-êtrequevotrefemmesuivaitl’évolutiondesontravail?

Bladeétaitcapabledesemontrerraisonnable.Maispasquandils’agissaitdeHonoria.Ilmontralesdents–certainsauraientpuappelerçaunsourire,maisWillsavaitquec’étaitl’expressionqu’ilaffichaitavantdetrancherlagorgeàquelqu’un.

—Peut-être.Comme les poisons qui neutralisent les sangs bleus, ou le pistolet dont les ballesexplosentàl’impact.Maisriensurunpossibleremède,princesse.

Àsoncrédit,cettedernièrenetressaillitpasd’unpouce.Àlaplace,elles’emparadel’araignéemécaniqueetlalaissaramperentresesdoigts.

—Jevoisquevotretitredechevaliernevousarienenlevédevotrebarbarie.—Vousvousattendiezaucontraire?— Il y a cinquante ans, vous étiez dangereux, Blade. Les temps changent. Nos ressources ont

changé.Sinousvoulionsnousdébarrasserdevous,nousenverrionssimplementlesSpitfiresbrûlerlescoloniesetlesrayerdelacarte.

Laduchesseremplitsonverredevindesangetleremuacommeduthé.Commesiellen’étaitpasentraindeparlerd’uneguerre.

— Pour l’instant, vous êtes… une gêne, reprit-elle. Loin des yeux, loin du cœur. Comme uncousinembarrassant,labrebisgaleusedelafamillequinecessedes’inviterauxbals.

—Sivousessayezdemegraisserlapattepourobtenirunefaveur,vousnevousyprenezpastrèsbien,princesse.

Laduchessecessaderemuersonbreuvage,tapotatroisfoissacuillèrecontresonverre,puislaposasurlecôté.Ellerelevasesyeuxenamandedontlescilsnoirsetépaispapillonnaientcontresesjouespâles.

—Quiaditquec’étaitauprèsdevousquenouscherchionsàobtenirunefaveur?TouteslesattentionssetournèrentversWill.Leofitlagrimace.—J’aienvisagédevousprévenir…LespoilssedressèrentsurlanuquedeWill.Ilcroisalesbrasetleurjetaunregardnoir.—Non.—Vousnesavezmêmepascedontils’agit,murmuralejeuneducdeMalloryn.

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—JenevousaimepasplusqueBlade.Jevousfaisàpeuprèsautantconfiancequ’àunclébard.(Iljeta un coup d’œil au fier jeune homme et montra les dents.) Un prétentieux comme vous ? Lesclébards,moi,jepréfèreleurbotterlesfesses.

Malloryn lui adressa une œillade nonchalante. Il fit apparaître un couteau d’un petit geste dupoignetetlebalançaauboutdesesdoigts.

—Ilfaudraitdéjàquevouspuissiezvousapprocher.—Auvry,çasuffit,murmuraBarrons.Leurs regards se croisèrent etBarrons se redressa ; sa posture trahissait le défi silencieuxqui

passaitentreeux.Mallorynhaussalesépaules,etlecouteaudisparut.—Tuasperdutonhumour,Barrons.— Nous prétendons être des gentlemen, alors essayons au moins de rester civilisés assez

longtempspournousdonnerunecertainecrédibilité.Barronss’installaavecgrâcedansunfauteuilprèsdufeuetposasonpiedsursongenouopposé.

Malgrésadécontractionapparente,ilparcourutattentivementlapiècedesesyeuxmi-clos.—Etc’estvousquivoulezobtenirquelquechosedenous, réponditBladeens’installantà son

tourdansunfauteuil.(Il letesta,impressionnéparleconfortdurembourrage.)Nejamaisnégocieravecunhommequivousmetunelamesouslagorge.C’estcequejedistoujours.

Will resta sur ses gardes. Un bruit en provenance du couloir le mit en alerte. Trois fouléesdistinctesquiapprochaientdelapièce.

La porte s’ouvrit et deuxmembres des gardes de l’élite, les Coldrush, entrèrent les premiers.Aussitôtqueleurinfectionparlevirusétaitavérée,lesmembresdel’escorteduprinceconsortetlesgardiensdelaTourd’Ivoireétaientenlevésàleurfamille,placésdanslescampsaustèresdelaTouretentraînésàtuer.Willpritleurmesure.L’und’euxluirenditsonregardavecvigilance.Iln’avaitpaspeur,maisilnemanquaitpasdevoirenluiunadversairepotentiel.

L’hommequientraàleursuitedépassaitlesgardesd’unetête.Avecsescheveuxbrunsetternes,sesyeuxpresquedénuésdecouleur,ilavançaitàgrandesfouléescommes’ilétaitlepropriétairedeslieux.Son longmanteau rouge tournoyait autourde seshanches, etunplastronenmétal étincelantprotégeaitsapoitrine.

Willavait toujourspenséque leprinceconsortétaitunvieilhomme. Ildécouvritavecsurprisequ’ilétaitpeut-êtreplus jeuneencorequeBlade.Arrivéà laRégenceprèsd’une trentained’annéesplus tôt, il avait pris la jeune princesse humaine sous son aile pour la guider à travers les eauxtroublesde l’Échelonaprès lachutedesonpère.Pourasseoirsonpouvoir, il l’avaitalorsépouséequandelleavaitatteintl’âgelégal,dixansauparavant.

Iln’étaitpastrèsbienvud’évoquerenpublicquec’étaitluiquiavaitrenverséleroihumain.—VotreAltesse.Leshommesselevèrentets’inclinèrent.Leprinceconsorts’approchadufeupourseréchauffer,lesmainstenduesdevantlui.Ilrelevala

têteetsesyeuxd’unbleuglacialsefixèrentsurWill.—VoicidonclaBêtedeWhitechapel?Un grognement monta dans la gorge de Will. Les deux gardes Coldrush se redressèrent et

posèrentlamainsurleurpistolet.Leslèvresduprinceconsorts’étirèrentrienqu’unpetitpeuetWillseforçaàsedétendre.Fichus

jeux.Ils’agissaitd’untestpourvoirquelgenred’homme–oudemonstre–ilétait.Lenouvelarrivéexaminal’assistance.

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—Vousont-ilsexpliquélaraisondevotreprésence?—Vousattendezquelquechosedemoi,réponditWill.Pasétonnantqueleurprésenceàtouslesdeuxeûtétérequiseenceslieux.SiseulleConseilavait

été impliqué, la rencontreauraitpuavoir lieun’importeoùenville.Mais leprinceconsort,c’étaituneautrehistoire.

—J’aiunepropositionàvousfaire.Une…opportunitépourvous.—Quelledélicateattention,grondaWill.Veillerdecettemanièreàmesintérêts…Nouveausouriremielleux.—Ehbien,certes,c’estaussiuneopportunitépournous.Maisjevaisvousexposerlasituation

sans détours. Je n’ai pas l’intention deme servir de vous à votre insu. Et vous serez grassementdédommagé.

Commes’ils’étaitjamaisintéresséàl’argent.Laduchessepritlaparole.—LarumeurcourtquelesFrançaissontengrandediscussionaveccesfanatiquesd’Illuminatide

NouvelleCatalogne.C’estuneidéeinquiétante,c’estlemoinsqu’onpuissedire.Les loups-garous étaient l’ennemi naturel des sangs bleus, les seules créatures capables de les

abattre sans peine. Mais les Illuminati considéraient toute créature surnaturelle comme uneabominationquidevaitêtreexterminée.Lesrécitsdel’InquisitiondeNouvelleCatalognesuffisaientàfairetremblerlespluscourageux.

—Etenquoiçameconcerne?demandaWill.—Nousnesommespasleseulpaysàmanifesterdel’intérêtpourcequisepassedel’autrecôté

delaManche,réponditBarrons.SilesIlluminaticontinuentdegagnerduterrainenFrance,ilsaurontaccèsauxeauxdunord,enplusdesdirigeablesfrançais.Nousenvisageonsdecréeruneallianceavecles Scandinaves pour empêcher ça. Nous avons des navires – des cuirassés – et les Scandinavespossèdentleurspropresdrakkarsainsiqu’uneflotteaérienne.

Nomd’unchien.Unrirebrusques’échappadesagorge.—Vous pensez que les clans scandinaves vont s’allier à vous ? Les Bouchers de Culloden ?

N’oublions pas ce qu’il s’est passé depuis. Tous les loups-garous emprisonnés dans des cages,achetésetrevenduscommedesputainsd’esclaves.

IlfitunpasenavantetBladelerattrapaparlebras.Unemiseengarde.Willselibéraettentadegarder son sang-froidmalgré la rage qui battait sourdement dans ses veines et résonnait dans sesoreilles.

—Culloden,c’étaitilyabienlongtemps,répliquafroidementleprinceconsort.Sesgardess’étaientavancés,commes’ilsredoutaientuneattaque,maisleprinces’assitdansun

fauteuiletretiraunepeluchedesamanche.—Passilongtempsqueça,pourcertainsd’entrenous.—Cullodenétaituneerreur.TouteslestêtessetournèrentdansladirectiondeBarronsquivenaitdeprononcercesparoleset

il haussa les épaules, comme s’il ne faisait qu’énoncer une vérité que tous avaient trop honted’admettre.

—Onnepeutpas exterminerune race entière sans conséquences.Anéantir les clansde loups-garous écossais ne pouvait qu’inciter à la colère et à la haine. Mais c’était une décision de nosancêtresetnousnepouvonsrienyfaire,Will.

—Et lesFossesdeManchester?Làoù ilscontinuentdenousdonnercommeappâtauxchienssauvagesetauxours?Oupournousobligerànousaffronteruniquementpourleurdistraction?

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—Ils’agitd’initiativesprivées, rétorqua leprinceconsortenpianotantsursonaccoudoir.Quiproviennentd’humainspourlaplupart,enréalité.

Ce qui signifiait qu’il s’en fichait royalement. Will avait expérimenté l’emprisonnement, lesbarreaux et les blessures infligées pour le seul plaisir d’une foule. Et pourtant, il n’y avait rien àfaire…Les loups-garous étaientproscrits enGrande-Bretagne.Leur capture et leur emploi en tantqu’esclavesétaientnonseulementlégaux,maisencouragés.

Tandisqu’ilfixaitlevisagepâleetexsangueduprinceconsort,Wills’efforçaitnonsansmalderéprimerlavaguedecolèrequimontaitdanssonventre.

—Qu’est-cequelesclansscandinavespensentdevotrepolitique?Leprincecessadepianotersursonaccoudoir.—Savez-vouscequ’ilsfontauxsangsbleus,enScandinavie?(Unpetitsourirecrispéflottasur

ses lèvres.)Toutcommejesuisprêtà fermer lesyeuxsurcertaineschosesdans l’intérêtcommun,euxaussi.Cettemenacevenueducontinentconstitueunepréoccupationbienplusgrandequecelledequelquesindividus.

Willluijetaunregarddehainepure.— Dans ce cas, je ne suis pas disposé à me montrer coopératif. Vous allez devoir trouver

quelqu’und’autre.Il tournales talons, les jouesenfeu,et lançauncoupd’œilàBlade.Encequi leconcernait, la

réunionétaitterminée.—Pasmêmepourdixmillelivres?Leprinceconsortavaitàpeineélevélavoix,maisWilll’entendittrèsdistinctement.Il lâchaun rire sombre.C’étaitbien l’Échelonpourpenserqu’ilspouvaient acheterunhomme

poursonpesantd’or.IlavaitdéjàposéunemainsurlapoignéedelaportequandBarronspritlaparole.—Etsilestermesdenotreaccordétaientdanstonintérêt?—Vousnepouvezpasm’acheter.Pasmêmetoi,Barrons.—Etsileprix,c’étaitunemodificationdelaloi?Willsefigea,lamaintoujourssurlapoignée.Commegalvanisé,Barronss’approcha,sesbottess’enfonçantdanslestapismoelleux.—Si tu nous aides à signer ce traité avec la Scandinavie, alors nous serons prêts à effectuer

quelquesmodificationsdelaloi.Plusdecagesnidechasseursdetêtes,Will.Nouspourronsmêmeinterdirelescombatsdefosse,situlesouhaites.

Lesoufflecoupé,Willpivotasurlui-même.Lescinqsangsbleusl’observaient,inexpressifs.Faceàcespectacle,ileutlasensationquec’étaitlepiègequ’ilsluiavaient,enréalité,tendutoutdulong.

—Pourquoivousaveztantbesoindemoi?Ondiraitpresquequec’estdéjàsigné.—Ilyadesoppositionsetdesréticencesdanschaquecamp,réponditBarronsavecunegrimace.

Lesclansnorvégienssontinflexibles,ilsn’ontpasbesoindenous,etunoudeuxmembresduConseilysontégalementopposés.

Will jeta un nouveau regard à la ronde. Il ne s’agissait donc pas seulement desmembres quiavaientvotéenfaveurdeBlade,maiségalementdeceuxquivoulaientvoircetraitéaboutir.

—Etjesuiscenséamadouerlesclansnorvégiens,c’estça?— Ils sont vieux jeu, expliqua le prince consort. Et ce sont des brutes. Mais ils représentent

également une voix importante au sein du Riksdag. Nous voudrions leur montrer que nos deuxespècespeuventvivreenharmonie.(Sonsourires’agrandit.)Etvousenêtesleparfaitreprésentant.Votrerôlepourraitêtredécisif.

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—Jecroisqu’ilvientdetetraiterdebrute,murmuraBlade.Willneluiprêtapasattention.—Si j’arrive à convaincre les clans norvégiens et à obtenir la signature du traité, alors vous

révoquerezlaloiquiproscritlesloups-garous?Leprinceconsorthochalatête.—Jeveuxcettepropositionparécrit,ditWill.Etdevanttémoins.Leprinceconsortfronçalégèrementlessourcils.—Accordé.—C’estpasfini.Jeveuxqu’oninterdiselesfosses.Touslesloups-garousretenusencageouen

esclavagedoiventêtre libérésetdoiventaccéderauxmêmesdroitsque leshumains…oulessangsbleus.

Nouveauhochementdetête.—Etjeveuxqu’onretirelamiseàprixsurmatête,c’estcompris?Jeveuxpouvoiralleretvenir

àmaguise.Fini de rôder furtivement et de parcourir les toits la nuit. Il serait libre d’aller où bon lui

semblerait.Libredeparcourirlesruessansquequiconqueessaiedeletuer…oudel’enfermer.Leprinceconsortagitanégligemmentlamain.—Çaaussi,vouslevoulezparécrit?Willmontralesdents.—Absolument.

—C’étaitbienjoué,déclaraBladeensehissantàl’intérieurdelacarrioleavecungrognement.Will adressa un signe de tête à Rip, derrière lui, qui portait une livrée de cocher et un épais

manteau.Au-dessousapparaissaitunevéritablearmurerie,ainsiquelebrasmécaniquequipourraitlecondamnerdanscettesociété.Àl’arrièredelavoituresetrouvaitTinMan,unautrehommedeBlade.Lalumièresereflétaitsurlaplaquedemétalappliquéesursoncuirchevelu.Ilneparlaitpas,maisilsavaitsacrémentbienyfaireavecunelame.

—Ramène-leà lamaison,ditWillenposant lamainsur l’épauledeTinMan.Assure-toiqu’ilrentreentoutesécurité.

Bladesortitlatêteparlafenêtre.—Oùtuvas?—Tenirunepromessequej’aifaite.—Toutseul?—J’aiunlaissez-passer.Autantenprofiterpourlanuit.Ilyeutunelonguepause.—Soisprudent.—Commetoujours.Il tourna les talons et reprit la direction de la salle de bal.Malgré la présence d’innombrables

sangsbleus,unpetitsouriresedessinasurseslèvres.Cettefois,Lenaétaitàsamerci.

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6

Aucunsigneduducoudeladuchessenullepart.Lenajuraàvoixbasseetbattitenretraite.Ilnefallaitpasqu’onlasurprenneicitouteseule.Elle

avait beau vouloir en découvrir davantage au sujet du traité scandinave, elle n’était pas assez bêtepourfouillerlespiècesaucoursd’unesoiréepeupléedeprédateurs.

Elleretournadanslevestibuleetfutassaillieparlebruit.Elleseglissadanslasalledebaltoutengardantl’œilouvertàl’affûtd’uncertainloup-garouqu’elletenaitàéviter.

Ilétait tempsdepartir.Il luifallaitseulementtrouverAdeleetsamère–quilachaperonnaitcesoir – et prétexter une migraine. Elle plaqua un sourire blême sur son visage et se mit à leurrechercheenrasantlesmurs.

Elle fitun tourcompletqui la ramenaauxportesprincipales.Adeleportaitdublanc,commeilconvenaitàunefemmequicherchaitactivementunprotecteur,maisellenelaretrouvadansaucunedesdébutantesvêtuesdecettecouleur.Unelégèrepaniques’emparadeLena.Ellen’auraitpasquittéle bal sans elle, si ?Adele en connaissait les conséquences aussi bien qu’elle. Ici, les deux jeunesfemmesprofitaienttoutesdeuxd’uneillusiondesécurité.

À moins… qu’elle ne soit partie à dessein avec quelqu’un. Peut-être avait-elle trouvé unepersonnedisposéeàlaprendrecommeesclave?

Lenafilalelongdesfenêtresenscrutantlesjardinsplongésdanslapénombre.Adele,Adelelarusée,Adele l’astucieuse,nemettrait jamais sa réputationendangerunenouvelle fois.Passansuncontratd’esclavageinfaillibleenmain.

Elleadressaunsourireàsamère,quibavardaitavecuneautrematrone,puissefrayauncheminàtravers lafoule.Elleseretrouvadenouveaudans l’entrée.L’horlogedeparquetégrenait lentementlesminutesaumilieudesescaliers,maislapièceétaitvide.

Lestoilettespourdames.Peut-êtreétait-ellelà-bas?EllepoussalaportedelapetitepièceettombanezànezavecladuchessedeCasavian.Lafemmel’attrapadesesmainspâlesetfortes.Desannéesplustôt,sonpèrel’avaitinfectéedu

viruspourqu’àsamortsonclannetombepasdansl’oubli.Araminaauraitdûêtreconsidéréecommeunerenégate,maissaMaisonétaitl’unedesGrandesMaisons.Aprèsavoirsurvécuàd’innombrablestentatives d’assassinat, certains disaient qu’elle s’était frayé un chemin vers le pouvoir par lechantage,forçantl’Échelonàl’accepter.

—Jesuisdésolée,ditLena.Jecherchaismonamie.Araminaplissalesyeux.—VousêteslapupilledeBarrons,n’est-cepas?Unpeutroptard,Lenaserappelalaquerellequiopposaitcettefemmeàsondemi-frère.

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—Oui.—Unefillecommevousnedevraitpasseretrouverlàtouteseule.C’estdangereux.—Jelesais.Jen’arrivepasàretrouvermonamie…etjenepartiraipassanselle.Unelueurdeprévenancebrilladanssesyeuxcouleurcognac.Puis laduchessepinçaseslèvres

rubis.—Jevaislachercher.Comments’appelle-t-elle?—AdeleHamilton,réponditLena,soulagée.Elleestvêtuedeblanc.Laduchessefitunepause,lamainsurlapoignéedelaporte.—Cenomnem’estpasétranger.N’est-cepas lafillequiaétésurpriseencompagniedeLord

Fenwickl’annéedernière?—Pas par choix, précisa Lena en se demandant si la duchesse se préoccupait de ce genre de

détail.Toutlemondeestaucourant,aprèstout.Laduchessefinitparsortiraprèsluiavoiraccordéunlongregard.—Jevaislaretrouver.Restezici;vousdevriezêtreensécurité.Lenas’éventalevisage.Detoutesleschosesquiauraientpuarriver,ellen’auraitjamaisimaginé

que la duchesse de Casavian puisse lui venir en aide. Elle était célèbre pour son attitude et soncaractèreglacials.

Et,par-dessustout,pourlahainequ’ellevouaitàlaMaisondeCaine,Leocompris.Pourquoiaiderlapupilledesonennemi?Àmoinsqu’ellenesoitpasréellementpartieàlarecherched’Adele…Lenacessad’agitersonéventailendentellenoire.Laduchesseluiavaitconseilléderesterici,de

nepasretournerdans lasalle,oùellepourraitêtreensécurité. Ilétaithautement improbablequ’unsang bleu déboule dans les toilettes pour dames, mais c’était également l’endroit idéal pour uneembuscade. Sombre, isolé… suffisamment pour que personne ne l’entende crier par-dessus lamusique.

Toutcequeladuchesseavaitàfaire,c’étaitd’allertrouverl’undestypeslesplusdangereuxetluisusurrerunordreàl’oreille.EtLenaseraitperdue…unautrepioninsignifiantsacrifiéaujeuquisedéroulaitentreladuchesseetLeo.

Ellenepouvaitpasresterlà.Elleseglissadanslecouloirenténébré.Était-celefruitdesonimaginationouleslampesàgaz

avaient-ellesréellementétééteintes?Lecœurbattant,ellesehâtaendirectiondelasalledebal.Troptard.Ducoindel’œil,ellevitlesombresbouger.Quelqu’unsortitdel’abridelastatued’un

angeetuneénormemainbasanéeseplaquasursabouche.Non!Lenaécarquillalesyeuxquandellefut attirée contreunepoitrine ferme.Puis,malgré ses coupsdepied impuissants, elle fut entraînéedansl’unedesnombreusespiècesplongéesdansl’obscurité.

Lenahurlacontrelapaumedelamainquilabâillonnaittoutencontinuantdedonnerdescoupsautibiadesonravisseur.LesouriredeprédateurdeWills’effaça.Ilavaitbieneul’intentiondeluifaireunpeupeur,maislaterreurquiémanaitd’elleréveillatoussesinstinctslesplusdangereux.

—Chut,murmura-t-ilcontresonoreille,lafaisantfrissonner.Lena,c’estmoi.C’estWill.Lanervositélaquittasisubitementqu’ildutlaretenircontrelui.Ellesetournaavecunsanglot,et

posalatêtesursontorse.Ellehaleta,àl’étroitdanssoncorset,etenfonçasesdoigtsdanssachemise,toutprèsdesoncœur.Willsefigea,lamainensuspensau-dessusdesescheveux.

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Qu’est-ce qui avait bien pu autant l’effrayer ? Ce n’était certainement pas son proprecomportement ;àsamanièredes’effondrercontre lui,elleavaitdûs’attendreàquelqu’und’autre.Cettepenséeluifitvoirrouge.Lespoilssedressèrentsursanuqueetungrognementmontadanssagorge.

—Lena?—Çava,répondit-elle.(Elleserral’autrepoingetluidonnauncoupdanslebras.)Est-cequetu

essayaisdemefairemourirdepeur?Ilsentitàpeinesoncoup.—Qu’est-cequit’aeffrayéainsi?Quiestàtapoursuite?Lenas’immobilisa.Elledesserralesdoigtsetrecula.—Personnen’estàmapoursuite.Mensonge.—Personned’autreque toi, ajouta-t-elle enplissant lesyeux.Qu’est-ceque tu fais ici ?Tues

fou?Ilsvonttemettreenpièces!—J’aiunlaissez-passerpourlanuit.—Pourquoi?(Unelueurd’inquiétudetraversasonregardetelleluipritlebras.)Neleurfaispas

confiance. Ne les laisse pas t’impliquer dans leurs complots. S’il y a unmoyen de contourner lapromessequ’ilst’ontfaite,quellequ’ellesoit,ilsletrouveront.

Étrange,delapartd’unefemmequirêvaitdepuisdesannéesdevivreauseindel’Échelon.Ilregardalapetitemainposéesursonbras.Etserenditcomptequ’ilsétaientseulstouslesdeux

dansunepiècesombre.LeregarddeWillglissaverssondécolletéetlescourbesdoucesdesapoitrine.Leclairdelune

filtraitàtraverslesrideauxetprojetaitunéclatargentésursapeau.Elleétaitmagnifique.Unedéessedelanuit.Chacunedesombresdessinéesparlalumièresemblaitl’appeler,lemettreaudéfideposersesmainssurelle,detracerlescreuxetlescontoursquiétoffaientsarobe.Seigneur.Sonentrejambedurcitettenditletissudesonpantalon.Ilpouvaitpresquesentirlachaleurparfuméedesapeau.

Ilfitunpasenarrièreetsecoualatête.—Tumedoisquelquesexplications.—Jen’aipasletemps.Pasmaintenant.Illuisaisitlepoignetetcaressalapeausensiblesoussonpouce.—Alorsprends-le.Elle chancela contre lui et posa légèrement sa paume sur son torse. Elle avait dû lire quelque

chosesursonvisagecarelleprituneprofondeinspiration.—S’ilteplaît,Will.Pasmaintenant.Jedoism’occuperdequelquechose.—Biensûr.—Tunecomprendspas.Jedoisretrouvermonamie.Jepensequ’elleapeut-êtredesennuis.Sonodeurchangea.Plustranchante,plusamère.Lapeur.Willlarelâchaetobservasonvisageen

formedecœur.—Quelsgenresd’ennuis?—Ilyaun…jeuauquelselivrentlessangsbleus.Quandilsattrapentunefilletouteseule.Ellesefrottainconsciemmentlepoignet.—Continue.—Adeleneserait jamaispartiedesonpleingré.Elleconnaît lesconséquences.S’il teplaît, je

doislaretrouver.Avantqu’ilsoittroptard.—Tun’yvaspasseule.

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—Siquelqu’unmevoitavectoi…Elleseraitperdue.L’espaced’uninstant,ilfutàmoitiétenté.Ellenepourraitjamaisrevenirdans

cetuniverssionlasurprenaitseuleavecunloup-garou.Mais elle avait fait son choix. C’était le monde qu’elle désirait. Il n’y avait rien pour elle à

Whitechapel;c’estelle-mêmequil’avaitdit.

Ilsepenchaetluimurmuraàl’oreille:—Alorsilsmeverrontpas.Maisjeserailà.Cen’étaitpeut-êtrequelefruitdesonimagination,maisilcrut,pendantuninstant,qu’elleavait

frissonné.

Le rythmed’unevalse luiparvint auxoreilles tandisqueBarronsmontait lesescaliers. Il avaitespéré s’entretenir avecWill avant son départ,mais le loup-garou semblait s’être évaporé dans lanature.

Quandiljetauncoupd’œildansl’undescouloirs,ilaperçutlepand’unejupecouleuraubergineetunechevelurecuivréedisparaîtredansunaccès.

Ils’arrêtanet.Intéressant.Lamusiqueetlesriresrésonnaientenbas,maissespiedsleguidèrentdansl’enfilade.Ilseglissaensilencedanslapièceetseretrouvadansunpetitsalonplongédanslapénombre.Le

clairdelunequifiltraitparlafenêtreilluminaitlescheveuxbrillantsdeladuchessedeCasavian.Elleétaitcolléecontreuneportecommunicante,latêtepenchée,commesielleécoutait.

—Tucherchesquelquechose?Unlégercridesurprises’échappadeseslèvres.Ellepivotaetluijetaunregardglacial.—Ouquelqu’un?Ils’appuyacontrelaporteferméeetcroisalesbras.—Çaneteregardepas,Barrons.Elle s’approcha furtivement de lui, la chair blanche de son décolleté exposée de manière

aguicheuse.Unstratagème,biensûr,destinéàattirer les regardsmasculins,pour lesécarterdesesmains.

Iln’avaitjamaisétésibête.Cettefemmeétaitdangereuse,etLeolesavait.Rienneluiplairaitplusquede le voirmort, lui ainsi que le duc deCaine, et regarder leursMaisons tomber dans l’oubli.Malgrétout…lespectacleétaittentant.

—Ôte-toidemonchemin,ordonna-t-elle.Elle fit encoreunpas en avant et ses jupons frôlèrent les chevillesdeBarrons.Comme si elle

pensaitqu’ilallaitluiobéir.—Pourquoi?(Leos’avançaàsontour.Ellelevalementon.)C’estunenuitmagnifiqueettues

une femmemagnifique. (Il tendit lamainpourdésigner la pièce avecun sourire railleur.)Et noussommestoutseuls.

Le geste fut rapide. Il lui saisit le bras et le clair de lune illumina la poignée incrustée d’unedague. Leurs regards se croisèrent. Elle n’affichait aucun signe de confusion. Rien d’autre que lehaussementd’unsourcil.

Uneprincessedeglace.Ileutsoudainenviedeluiarrachersonmasqueimpassible.

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Il lafitpivotercontre laporteet laforçaà lever lepoignet–et lepoignardqu’elle tenait.Elles’apprêtaàabattresonautremain,maisillasaisitàtempsetlafitclaquercontrelebois.

Piégée.Araminaretintsonsouffle.—Net’imaginepasquejesuismoinsdangereusepourautant.—Çanemeviendraitpasàl’esprit,murmura-t-il.Sonparfumluimontaauxnarines.Delacannelleépicée.Séduisant.Presqueassezpourluifaire

desserrersonempriseetcollersoncorpscontrelesien.Presque.—Uncoupdegenoudanslesparties?demanda-t-il.Ellesourit.Maisiln’yavaitaucunechaleurdanssonattitude.

—Unelameseraitpréférable.Leogrimaça.—Tuessanspitié,machère.—Jepeuxl’être.Araminabaissalesyeux.Etlesposasursabouche.Leosefigea.L’adoucissementdesonexpressionlecaptivacommeuneflammeattireunpapillon.

Cette femme était son ennemie. Leurs deuxMaisons étaient en conflit. Pourtant, il ne pouvait nierqu’ellelefascinait.

—Moiaussi, jepeuxêtresanspitié,chuchota-t-ilenapprochantsonvisagedusien.Maisça teplairait,n’est-cepas?

Ellehumectaseslèvres.Puisdétournalevisage.LesouffledeLeoagitalesbouclesautourdesonoreille. Son cœur semit à battre plus fort quand sa bouche frôla sa joue.Les palpitations dans sacarotideluiprouvaientqu’ellen’étaitpasaussiindifférentequ’ellevoulaitlefairecroire.Ilpassaseslèvresdessus et sentit sonpoulsdans saveine.La chaleurmonta et son sexe sepressa contre elle.Puis,laseconded’après,sesmainsseretrouvèrentsurleshanchesd’Aramina.

—TudevraissurveillertaMaison,susurra-t-elle.Il traça lacourbedesagorgeduboutdesa langueetmordilladoucement saveine.Nomd’un

chien,commeilavaitenviedegoûtersonsang!—Qu’est-cequetuveuxdire?Unrireléger.Araminalevasonvisageversluiets’approchadesonoreille.—Oùesttapupille,Barrons?murmura-t-elle.Unobjettranchants’enfonçadanssonentrejambe.Lecouteau.Ilsiffla.—Qu’est-cequetuluiasfait?—Moi?Rien.(Araminasehissasurlapointedespiedsetcollasapoitrineàsontorse.)C’était

presquetropfacile.Elleleforçaàreculer.Araminaouvritlaporteetjetaunregarddésinvoltepar-dessussonépaule.

Ladagueavaitdisparu.—En fait, j’essayais de faire une bonne action. Je l’aime bien. (Un bref sourire.) Et elle peut

avoirsonutilité.(Toutenseglissantdel’autrecôtédelaporte,ellelançasansseretourner:)Tulatrouverasdanslestoilettespourdames.

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Lenaremonta lecouloirenvérifiant lespièces lesunesaprès lesautres.Lapeaudesesbras lapicotait,carelleétaitconscientequeWilll’observait.Ellenelevoyaitnullepart,maissaprésenceluiapportaituneassurancequ’ellen’avaitpaséprouvéedepuisbienlongtemps.

Quand elle referma sans bruit la porte du bureau deLordHarker, elle se figea.Qu’est-ce quec’était ?Un cri faible dans le noir ?Elle avança en silence vers la bibliothèque en gardant la têtepenchée.Lesonluiparvintdenouveau.

—Non.Pitié.Adele.Danslabibliothèque.Unevaguedecolères’emparad’elle.Elleouvritviolemmentlaporte.Laflammed’unebougie

vacilla, illuminant la méridienne devant l’âtre froid. Adele était penchée dessus comme une fleurfanée.Dusangcoulaitsursagorgedouce.Soncorpsétaittrempéetlerougeécarlatecontrastaitaveclasoieblanche.

Unhomme releva les yeux, les lèvres rouges.La lueur de la bougie se reflétait dans ses yeuxnoirs.BenjaminCavendish,lefilsaînédubaronRackham.

Ils’essuyalabouchesursamanche,avecunsourireinsolent.—Ah,leplatderésistanceestarrivé.—Lâchez-la.— J’avais fini, de toute façon. (Il la parcourut du regard.) C’estmademoiselle Todd, n’est-ce

pas?Adelepoussaungémissementetportasesmainsàsagorge.Sonregardeffrayécroisaceluide

Lena.«Fuis.»Lena serra les poings. Ce salaud pensait l’avoir acculée. La présence silencieuse de Will lui

procurauneforcequ’elleneseconnaissaitpas.Elles’emparad’untisonnierprèsdelacheminéeetluifitface.

—Lâchez-latoutdesuite.—Unefougueuse…C’estencoremieuxquandellessedébattent.Iléclataderire.Lenabranditletisonnierquandilfitunpasfurtifverselle.—Vousêtesunlâche.Traquerdesjeunesfemmeslorsd’unbal…vousn’êtesbonqu’àça.Vous

n’êtespasunhomme;vousn’êtesqu’unsalepetittyranquis’attaqueauxplusfaibles.Cavendishplissalesyeux.—Tuvasleregretter.Il tentade l’attraperpar la jupe.Lenaabattit le tisonnieravecplaisir.Prendsça, espècede sale

crétin.—Enlevezvosmains!Lessecondessuivantessedéroulèrenttroprapidementpourqu’ellepuissesuivrelefildel’action.

Cavendishétaitentraindemontrerlesdentset,l’instantd’après,ilagrippaitsamainblessée.Puisilseretrouvaplaquécontrelemanteaudelacheminée,lamaindeWillautourdesagorge.

—Will!Tun’espascensétemontrer!—Ilaposésesmainssurtoi.Laprofondeurdesavoixlafitfrissonner.Dangereuseetbrutale.Unevoixquin’accordaitaucun

pardonetnefaisaitaucuncalcul.Elledevaitl’arrêteravantqu’iltuequelqu’un.—Ilm’aàpeinetouchée.Will!Lâche-le.Ellelaissatomberletisonnieretluisaisitlebras.C’étaitinutile.Ellenepouvaitriencontrelui.—Will!Situluifaisdumal,ilstetueront.

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—Toi!hoquetaCavendishavecunregardmalveillant.(IltournalesyeuxversLena.)Espècedepetiteputedegarou.Jevais…

SesmotsfurentétouffésparlesdoigtsdeWillquiseresserrèrent.—Regarde-moi,dit-il.Leprédateurrôdaitsouslasurface.Cavendishneputqu’obéir.—Situt’approchesd’elleencoreunefois,jetetue.Etjeferaidurerleplaisir.IlsouritetLenafrémit,choquéeparlasauvageriecontenuedanssavoix.—Ne t’imagine pas pouvoir te cacher. Tu peux t’entourer de tous les gardes que tu veux, je

finiraipart’avoir.Tupiges?Lesangbleutentadeselibérer.Sonvisagetournaviteaucramoisi,maisilparvintàhocherla

tête.WilllerelâchaetCavendishchancelaenarrièreavantdes’effondrercontrelacheminée.—Si j’entends seulementunmotconcernantce soir, concernantLena, jeviens techercher, lui

promitWill.Maintenant,dégaged’iciavantquejechanged’avis.Cavendishseruatantbienquemalverslaporte.L’aisanceavec laquelleWills’étaitcomporté…Lenaéprouvaunebrèvepointede jalousie.Oh,

commelaviedevaitêtreplusfacilequandonétaitunhomme,fort,redouté…Une touxétrangléeparvintde laméridienne.La jeune femme fit volte-faceet seprécipitavers

Adele.—Ques’est-ilpassé?Lenas’agenouillaettournalatêtedesonamiesurlecôtépourexaminerlesdégâts.Il l’avait profondément entaillée, en se servant de l’une de ces petites lames que l’Échelon

affectionnaittant.Quelques-unsdessangsbleuslespluscruelstaillaientleursdentsenpointe,maislamajoritéutilisaientdeslames.

Il avait aumoins eu la présence d’esprit de lécher la plaie par la suite.La salive de sangbleupermettaitd’accélérerlacicatrisation.

—Là,murmura-t-elleenarrachantunboutdesonjupon.Elleleroulaenbouleetarrachauneautrebandepourmaintenirlapremièresurlablessure.—Jetecherchais,murmuraAdele.—J’étaisseulementalléeauxtoilettes.—Colchester…estarrivé.LesmainsdeLenasefigèrent.Puisellecontinuadenettoyerlesang.—Tun’auraisquandmêmepasdûvenirseule.—J’aivuColchesterparleràCavendish.(Adeledéglutit.)Ilaquittélapièce,etj’aipensé…—Ilst’onttenduunpiège.Au diable Colchester. Il avait délibérément envoyé l’un de ses alliés pour piéger Adele. Son

comportement,l’autrenuit,avaitdûattisersacolère.—C’estqui,Colchester?Lenas’immobilisa.ElleavaitoubliéWill.Elleseretournadansunbruissementdejupons,l’esprit

enébullition.ElleavaitvusonexpressionquandilavaitétoufféCavendish.Sielleluiparlaitduduc,ilrisquaitdes’enprendreàlui.

—LeducdeLannister,répondit-elleavecprudence.IlaquelquesgriefscontreLeo.AdeleremuaetLenaluiserralamainenguised’avertissement.Pasunmot.Willl’observa,levisagedénuéd’expression.Àcôtéd’elle,Adeles’éclaircitlavoix.

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—Qui…est-ce?—C’estl’hommedeBlade,répondit-elleenreportantsonattentionsursonamieblessée.Le bandage contenait les saignements.En revanche, la robe n’était pas récupérable. Ils allaient

devoirlafairesortirincognito.—Cavendishaditquec’étaitun…Adelenefinitpassaphrase.Lena ne l’avait jamais vue effrayée auparavant. Lasse du monde et cynique, oui, mais jamais

vraiment effrayée.Elle s’apprêta à lui répondreet s’interrompit.Elle savaitdequoi ça aurait l’air.Will restait dans l’ombre, mais tout, chez lui, était intimidant aux yeux d’une personne qui ne leconnaissaitpas.Etmêmealors…

Adeleavaitsûremententendudesrécits–desrécitsdesangsbleus–concernantlesloups-garous,leurviolenceet leuremportement incontrôlable.Auxyeuxde l’Échelon,Willn’était riendemoinsqu’unmonstredangereux.

—Unloup-garou?Oui,répondit-elleenl’aidantàseredresser.(Elleluisouritetsepenchapourluimurmurer:)N’aiepaspeurdesaminerenfrognée.Ilsecroitimpressionnant.Maisc’estuncœurtendresoussonairlugubre.(Lenaneputs’empêcherdesourire.)Unjour,jel’aivusauveruneportéedechatonsqu’unebandedejeunesallaitnoyer.Ilsl’ontsuivipartoutaurepairependantdesmois.J’aibienpeurqueçan’ait ruinésa réputationsoigneusemententretenue.Jenevoyaisplusqu’unemèrepouleavecsespetits.(Sonsouriredisparut.)Lesseulsmonstres,ici,cesontColchesteretsespetitscopains.

Will semblait somnoler, les paupières mi-closes. L’alerte d’un danger. Ça signifiait qu’ilréfléchissait,etcen’étaitpasdutoutcequ’ellevoulait.Ellecroisasonregardetlevalementon.

—Ondoitlasortird’iciavantquequelqu’unlavoie.Sinon,elleestperdue.Will retira sonmanteau et le lui offrit. Adele tressaillit,mais elle prit une lente inspiration et

laissa son amie le passer autour de ses épaules. Lena inspira la chaleur délicieuse qui émanait duvêtement.

Will retroussa sesmanches et la lumière des bougies illumina ses avant-bras bronzés. Elle sedemanda,etcen’étaitpaslapremièrefois,sisapeauétaituniformémentdelamêmecouleurdorée.

Despenséeshasardeuses.Elledétournarapidementsonattention.—Viens,dit-ilàAdele,enessayantàsamanièredesemontrercourtois.Jepeuxteporter.Elle écarquilla les yeux,mais elle hocha la tête et le laissa glisser ses bras sous elle.Will la

soulevasanspeine.IlcherchaleregarddeLena.—Paroù?AvecWillàsescôtés,traverserlecouloirsombreluifutnettementplusfacile.Sessensaiguisés

les épargnèrent de nombreuses fois. Ils traversèrent en silence l’entrée des domestiques, puis lejardin,etsehâtèrentderejoindrelacarrioleàvapeurdeHamilton.

Affaiblieparsapertedesang,Adeles’installasurlabanquette,somnolente.Lenatiraunepetitecouverturesursesgenouxetvérifiasonbandagedefortune,avantdesetournerverslevalet.

—Pouvez-vousallerchercherMmeHamilton?Illuirestaitunequestionàrégler.Elleposalepiedsurlemarchepieddelacarriolepuissetourna

versWillàcontrecœur.—Merci.Pourm’avoiraidéeavecAdele.Dosà la lumière, sonvisageétaitplongédans l’ombre.Maisun légeréclatambré révélait son

humeur.—Toietmoi,ilfautqu’onparle.

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—Iln’yarienàdire.Ellesedétournapours’installersurlabanquette,maisillarattrapaparlepandesajupe.—J’aipasl’intentiondepartir,Lena.Uncoupd’œilpar-dessussonépauleluiconfirmasesintentions.—Pourquoituneveuxpaslaissertomber?Çaneteregardepas.Cen’étaitmêmepascommes’ils’enpréoccupait.Iln’agissaitainsiquedansl’intérêtdeBlade.Quandellesetournadenouveau,sonvisageétaitàlamêmehauteurquelesien.Bienqu’ellese

soit toujours sentie désavantagéepar rapport à sa petite taille, soudain, c’était bien trop intime.Lachaleur de son corps imposant la protégeait de la brise froide, et ses jupes pressèrent contre sescuisses. Elle scruta son regard à la recherche de quelque chose, n’importe quoi, pour lui prouverqu’ellesetrompait.Qu’ilétaitlàpourelleetnonpaspourBlade.

—Pourquoi?Ildétournalesyeux,pensif.—J’aitrouvélemêmemessagecodésuruntypequiapoignardéBladeenpleincœur.Ilsepasse

quelque chose, Lena. Je ne compte pas le laisser, ni lui ni les colonies, s’y faire prendre. (SesprunellesdebraiseplongèrentdanscellesdeLena.)Etjepensequet’ensaisplusquetuledis.

Ellepinçaleslèvres.Évidemment.Blade.Etlescolonies.—Tucroisvraimentquejepourraisêtreimpliquéedansunehistoirequirisqueraitdefairedu

tortàBlade–et,àtraverslui,àmasœuretàmonfrère?—Jesaispas,répondit-iltoutbas.Àcet instant, elle lemaudit.Malgré sesnombreuxdéfauts, elleneprendrait jamais lemoindre

risqueaveclaviedeHonoriaetdeCharlie.Elletenditlamainverslapoignéedelaportièreetluijetaundernierlongregarddemépris.

—Rentre,Will.Taplacen’estpas ici, et tun’espas lebienvenunonplus.Contente-toid’allerpatrouiller dans ton petit secteur de Londres. Je ne viendrai plus vous rendre visite et je n’ai pasl’intentiondetecroiserenville.

ElleaccordauneœilladeglacialeàlamaindeWill,etillaretiralentement.Latensionirradiaitdesesépaules.

—Cen’estpascequejevoulaisdire.Jesaisquetuaimestonfrèreettasœur.—C’estl’unedesrareschosesquetusemblesconnaîtredemoi.Elle rassembla ses jupes dans la carriole et s’apprêta à refermer la portière, mais Will l’en

empêcha.Ilsepenchaplusprès.—Lena,bonsang…—Est-cequecetypevousennuie?Tout contreWill, ellen’avait pas réalisé laprésenced’uneautrepersonne.Will nonplus, à en

jugerparlasurprisequilefitfrémir.Lenaluijetaundernierregardmordantetobservapar-dessussonépaulelejeunelordlégèrement

ivre,auquelelleadressaunsourire.Sauvéeparunsangbleu.Quelleironiedusort.—Ilallaitpartir.Merci.—Avecplaisir.Lejeunehommeluiadressaunclind’œiletunsignedelamain.Ellel’avaitdéjàvuauparavant,

maissonnomluiéchappait.Willretirasamain.—Jetelaissepartir.Pourcettefois.

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Lenarefermalaportièreetluisouritàtraverslavitre.Iltournalestalonsetjetaaujeunelordunregard qui le fit pâlir. Puis il disparut parmi les ombres, lesmains dans les poches, le brouillardtourbillonnantdanssonsillage.

—Alors,murmuraAdeleenposantlatêtecontreledossierdelabanquette,toujoursblottiedanslemanteaunoir.Parle-moiunpeudeceWill.

—Hmm?(Lenarelevalesyeuxdesajupequ’elleétaitentraindelisser.)Commentça?Adeleplissalespaupières.Unlégeréclatdesonpétillementhabituelréchauffasesjoues.—Ondiraitqu’ilveuttedévorertoutcru,Lena.Etpasdanslesenseffrayantduterme.—Will?Iln’aaucuneintentiondecegenre!Ilafaitassez…Puiselles’interrompit,conscientedecequ’elles’apprêtaitàrévéler.—Assez…?insistaAdele.(FaceausilencedeLena,unsourirelasflottasurseslèvres.)Tuas

consciencequejenevaispasenresterlà,machère?Lesyeux tournésvers l’extérieur,Lenaobserva les fenêtres illuminéesde la demeuredeLord

Harker. Le valet n’allait pas tarder à ramener la mère d’Adele. Alors, elle serait préservée desquestionsindiscrètes.

Pourtant…unbesoinsoudainlagagna.Lebesoindeseconfieràquelqu’un,mêmeàAdele.Elleretenaittantdechosesenelledepuisdesmoisqu’ellesesentaitsurlepointd’exploser.

—Je l’ai embrassé, éructa-t-elle. Jene saispaspourquoi.Cen’étaitqu’un jeuauquel je jouaisaveclui.Unflirt.Çanevoulaitriendiredepluspourmoi.

N’est-cepas?Lenafronçalessourcils.Ellenepouvaitréellementrépondreàcettequestion.—C’était horrible. Il nem’amêmepas rendumonbaiser.Etquand j’ai arrêté…(Ses joues la

brûlaient.) Ilm’a dit qu’il toléraitmes petits jeux puérils uniquement dans l’intérêt deBlade,maisqu’ilpréféreraitquejenemejettepassurluicommeça.Notammentparcequ’onvivaitsouslemêmetoit.

Cesouvenirluinoual’estomac.Ils’étaitmisdansunetellecolèrequ’ilenavaittremblé.Puisilavaittournélestalonsets’étaitéloignésansrienajouter.

Elleparvinttantbienquemalàhausserlesépaulesaveclégèretéàl’intentiond’Adele.—Lelendemain,ildéménageaitdurepaire.Etj’aidécidéqu’ilétaittempspourmoiderevenir

danslegrandmonde.Iln’yavaitrienpourmoiàWhitechapel.—Ilnet’apasrendutonbaiser?—Mêmepasunpeu.Adelefronçalessourcils.—Comme c’est étrange.Moi, j’aurais soupçonné tout l’inverse, ma chère. Il n’arrivait pas à

détacherlesyeuxdetoi.EtquandCavendishaessayédet’attraper,j’aibiencruqu’ilallaitletuer.—C’est enversBlade qu’il est dévoué.S’il laissait lemoindremalm’arriver, c’est à lui qu’il

devraitrendredescomptes.EtàHonoria.—Hmm.(Adeleseblottitunpeuplusdanslemanteau.)Jetepariecentlivresquetutetrompes.—Etcommenttuveuxleprouver?demanda-t-elled’untonaigre.Jen’aipasl’intentiondelui

poserlaquestion.Adelefermalespaupières,unpetitsourireauxlèvres.—Laprochainefois,jesuissûrequec’estluiquit’embrassera.

LaportedubureaudeLordHarkers’ouvritbrusquement.

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Colchesterrelevalesyeuxpar-dessusleborddesonverre.IlobservaCavendish,soncolfroisséetlalueurdefureurdanssonregard.S’ilnesetrompaitpas,unlargebleuétaitentraindeseformersursagorge.

—Qu’est-cequis’estpassé?Ellenes’estquandmêmepasautantdébattue,si?Cavendishluijetauneœilladenoireetsedirigeaverslacarafedevin.—Tuasoubliédepréciserqu’elleétaitsousprotection.Ilversaunegénéreusequantitédevindesangdansunverreetlebutd’untrait.—Une protection ? s’étonna Colchester. (Il observa de nouveau l’ecchymose.) Quel genre de

protection?Cavendishbaissasonverreetmurmura:—Peuimporte.Colchesterselevaetjetalejournalqu’ilétaitentraindelire.Aurez-de-chaussée,lafêtebattait

toujours son plein, à en juger par le volume sonore de la musique ; cependant, il n’avait pasl’intentionderejoindrelafouletourbillonnante.Non,ilavaitd’autresprojets.

DesprojetsqueCavendishvenaitpeut-êtrebienderuiner.—Jecroyaisquetuétaisunsangbleu,Cavendish.Pasunpauvrehumainsansdéfense.Jet’avais

demandé de détruire cette fille et tu n’en asmême pas été capable. (Il ricana et contourna l’autrehomme.)Est-cequ’elle t’a frappéàcoupsde sacàmain?Oubienellen’étaitpas seule?Toutuntroupeaudedébutantespourtesauterdessus…

UnelueurdecolèreassombritleregarddeCavendish.—J’aimeraist’yvoir,toi,àdéfierlaBête.Ondiraitbienquetapetitetraînées’estdégotéunsale

loup-garoupoursurveillersesarrières.—Qu’est-cequetuveuxdire?—Ilestsûremententraindedépouillerlafilleencemomentmême.Ondiraitquetunemettras

paslamainsurelle,enfindecompte.Colchesterlesaisitàlagorgesansprévenir.—LaBêtedeWhitechapel?Cavendishhochalatêtetantbienquemal.Ilétaitsouslechoc.Lapetitegarce.Elleavaitcrupouvoirsetrouverunprotecteur,c’estça?Il

émitunsonétrangléetColchesterlerelâchaavantdes’éloigner.Ildonnaungrandcouprageurdanslesverresdisposéssurleplateau,quiallèrents’écraserausol.Lenaétaitàlui.Maissiellesesouillaitavecl’unedecesvilescréatures,alorsellen’avaitplussaplaceàsescôtésentantqu’esclave.Ilallaitlafaireréfléchiràproposdesoncomportement.

Cavendish,effondrécontrelatable,l’observaprudemment.—Qu’est-cequetuvasfaire?demanda-t-il,etColchestercompritqu’ilavaitparléàvoixhaute.C’était déjà suffisamment grave que le reste du Conseil cherche à s’allier à ces créatures.

Maintenant,l’uned’entreellesluivolaitsonesclavejustesoussonnez.Etceseulélément,sansparlerdureste,suffisaitàladésirerd’autantplus.

Ilsourit.Méchamment.—Laisse-moim’enoccuper.Jevaisluifaireregretter.(Ilépoussetasamancheetsetournavers

laporte.)Jevaisleurfaireregretteràtouslesdeux.

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7

—Entrez.Willjetauncoupd’œildanslecouloir,lesbottesenfoncéesdansletapisturcmoelleux.Ilsentait

laprésencedeLenaquelquepartdanslamaison,maispasàproximité.Cequiluiallaitàlaperfectionpourlemoment.

Ilseglissadanslebureauetrefermalaportederrièrelui.Lesoleilmatinalrépandaitsesrayonsparlesfenêtres.Uneheureindue,enfait.Ilavaitàpeinedormi;sonespritn’avaitcesséderessasserles événements de la nuit précédente.Chaque fois qu’il s’était apprêté à sombrer dans le sommeil,l’odeurapeuréedeLenaluiétaitrevenueàl’espritetsespaupièress’étaientrouvertesbrusquement.Ilavaitbesoind’enapprendredavantage.Enparticulierausujetdunomquil’avaiteffrayée.

Barronsrelevalesyeuxdesonbureauetlesagranditlégèrement.—Will.Ilsecarradanssonfauteuil,etsongesteprovoquauncrissementsurlecuirgraissé.Vêtud’un

manteauenveloursnoir,lesourletsdedentelleblancheàsespoignetsetàsagorgeconstituaientlaseulenotedecouleur.Unepetitebrocherubisétincelaitsurletissubrodé.

—Tuasbienconsciencequetatêteseratoujoursmiseàprixjusqu’àcequetusignesledocumentduprinceconsort?(Ilbrandituneliassedepapiersetfronçalessourcils.)Quisetrouvejustelà,sijenem’abuse.

Willcroisalesbrassursapoitrine.—Qu’est-cequetusaisdel’hommequis’appelleColchester?—Colchester?(LesmainsdeBarronss’immobilisèrent.)C’étaitunami,avantqu’ilorchestrele

duelentresoncousin,Vickers,etBlade.Pourquoicettequestion?—PourquoiLenaapeurdelui?Barronsseredressa,etunelueurdedangers’allumadanssesyeuxd’obsidienne.—Qu’est-cequetuveuxdire?—J’aieuunproblèmeavecelle,hiersoir.Quandjel’airetrouvée,elleétaitterrifiée.Parlui.—Raconte-moi.Willluirelatal’histoireenomettantsoigneusementdementionnerlalettrecodée.—Jeleconnaispas.Jamaisentenduparlerdelui.(Ilgrattasabarbe.)Ilestdangereux?—Touslessangsbleussontdangereux.Willsoutintsonregard.—Est-cequ’ilpeutl’atteindre?Pourunefois,leflegmehabitueldeBarronsdisparut.L’incertitudeassombritsestraits.

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—Jenesaispas.Elleaunecompagneetelleneserendàdesévénementsqu’avecunchaperonouavecmoi-même.MaispourunhommecommeColchester,ilyatoujoursunmoyendecontournerça.

—Qu’est-cequ’illuiveut?—Jepeuxseulementfairedessuppositions…Sevengerdemoi.Oupeut-êtrequ’ilaunintérêt

pourLenaelle-même.D’aprèslarumeur,ilseraitàlarecherched’unenouvelleesclave.—Tunecomptespaslaisserunechosepareilleseproduire?Barronslejaugead’unregardintense.—Enquoilaquestiont’intéresse-t-elle,detoutefaçon?—Bladeprotègelessiens,répondit-ilpromptement.Etmoi,jeleprotège.Ilneserelèverapasde

l’affrontd’unautreduc.Ilveutqueças’arrêteavantd’enarriverlà.—Jevois. (Barronsdésigna le fauteuil situéen facede lui.)Et comment suggères-tud’arrêter

toutça?Willselaissatombersurlesiège.—J’aipenséàunmoyendeprotégerLenaetd’aiderleprinceconsortdanssatâche.Faired’une

pierre,deuxcoups,pourainsidire.Barronsluifitsignedecontinuer.—Cetteruseduprinceconsort,medemanderdememettreàsondiapasonetdejouerlebouffon

delacour,nefonctionnerapas.Jeneconnaisrienaufonctionnementetauxusagesdecesystème.—Et?— Qui est mieux placé que Lena pour m’apprendre ? M’empêcher de me ridiculiser, ou de

marchersurlesplates-bandesdequelqu’un.— À moins que ce ne soit celles de Colchester… sur lesquelles tu souhaiterais fermement

empiéter, si je comprends bien où tout ça nousmène-t-il ? (Barrons se pencha en avant.)C’est unhommedangereux,Will.

—Moiaussi.Barronsl’examinaunlongmoment.Puisilhochalatête.—Ungardeducorps loup-garou.Çaferait réfléchiràdeuxfoisn’importequelhommesensé.

Entendu.Jevaisl’informerqu’elledevrat’aideràteprésenteràlacourett’escorter.—Sielleestàmescôtés,alorsilnepourrariententer.—Nefaisriendefâcheux,leprévintBarrons.Souviens-toidelacausepourlaquelletuagis;situ

tuesColchester,tupeuxfaireunecroixsurl’aideoulabonnevolontéduprinceconsort.Ycomprissurcetteréformedesloisquetuespèrestantétablir.

Willaffichaunsourireanticipatif.—TuveuxinformerLenadesanouvellemission,oujepeuxm’encharger?

HAUSSEDESTAXESDESANG!annonçaientlesgrostitres.Lenaplongeasacuillèredanssonœufàlacoquetoutenparcourantdesyeuxl’article.—MadameWade,vousavezvuça?demanda-t-elleenagitantsacuillère.(Dujaunebaveuxcoula

sur le journaletelle reposa rapidement l’ustensile.) Ilsaugmentent les taxesdesang!Onpassededeuxpintesparanàtroispintes!Tousceuxquin’ontriendonnéaucoursdumoisdernierdoiventsubirunesaignéeobligatoiredansleshuitprochainessemaines.

— Une jeune dame ne parle pas de choses pareilles. Surtout à la table du petit déjeuner.(Mme Wade pinça les lèvres en découpant méticuleusement sa saucisse.) As-tu lu les pagesmondaines?Qu’as-tupensédeladescriptiondelarobedeMlleHambley?

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—Une jonquille flétrie ?C’est assez fidèle, si j’osedire, répondit-elled’unairdistrait. Il doits’agird’uneconséquencedel’incendiedesusinesdedrainage.L’Échelondoitêtredangereusementàcourtderéservesdesang.

Même si les esclaves servaient à leur fournir du sang frais, ils avaient également besoin deréservesréfrigérées.Ilétaitdangereuxdeprendreunetropgrossequantitésurunesclave,etlesviderdeleursangjusqu’àcequemorts’ensuiveétaitdetrèsmauvaisgoût.Lesseulslordsquipouvaientsepermettred’entretenirsuffisammentd’esclavespoursurvivresansriend’autreétaientlesgrandsducsqui gouvernaient la ville. Le reste de l’Échelon était forcé d’acheter du sang auprès des usines dedrainage,propriétésdugouvernement,oud’entretenirdesesclaves.

—Laclasseouvrièrenevapasêtrecontente.Trois émeutes avaient déjà eu lieu cette année, deux concernant les travailleurs automates qui

volaientleurtravail,puisquandunejeunefemmeavaitétéretrouvéemortedansuneruelle,vidéedesonsang.

MmeWadeémitunsondésapprobateuretpiquaunboutdesaucisse.OnfrappaàlaporteetLeoapparutdanslasalleàmanger,entièrementvêtudenoir,commeàson

habitude.—Mesdames,salua-t-il.MmeWadesetamponnalaboucheavecsaserviette.—Bonjour,monseigneur.Vousjoignez-vousànouspourlepetitdéjeuner?—Jecrainsquenon.IljetauneœilladeàLena,etcelle-cisefigea.Àenjugerparsonregard,Leomanigançaitquelque

chose.—Oui?demanda-t-elle,lecœurbattant.Avait-ilentenduparlerdecequiétaitarrivéàAdele?OuàCavendish?—J’aiunefaveuràtedemander,déclara-t-ilenappuyantsahanchecontrelatable.—Biensûr.Qu’ya-t-il?Elleperçutunmouvementducoindel’œil.Will.Ilentradanslapièce,lesmainsenfoncéesdans

sespoches,leregardbrillantd’unelueurdesatisfaction.Lenarestafigée.Soncolétaitouvert,laissantapparaîtreunepartiedesapoitrinesaineetbronzée.

Iln’avaitpaspris lapeinedese raser.Avecsesprunellesd’ambrebrûlantet sabarbe, ilparaissaitparticulièrementdangereux.Unegriffeenargentpendaitàunlonglacetdecuirautourdesoncou.

UnsourireinhabituelflottaitsurseslèvresetLenasentitlesbattementsdesoncœuraccéléreràun rythme frénétique. Oh, Seigneur ! Elle l’avait rarement vu sourire. Et encoremoins à elle. Lerésultatétaittotalementdévastateur.

LeoseraclalagorgeetLenadétournalesyeux.—Certainementpas!éructa-t-elle.—Tun’asmêmepasentendumaproposition.—Inutile.—CarverareçuunecommissiondelaCouronne,poursuivitLeo.CesmotsdétournèrentsonattentiondeWill.—Unecommission?Quepouvaitbienluivouloirleprince?Carc’étaitbiendeluiqu’avaitdûvenircettecommission.

C’étaitpeut-être la reinequiétaitassisesur le trône,maisellen’étaitque lamarionnetteduprince.Elleosaitàpeineprendrelaparolesanssapermission.

—UnedélégationarrivedeScandinaviedansunesemaine.

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—Vraiment?demanda-t-elle,lesoufflecourt.—SeulementquelquesaffairespolitiquesquiconcernentleConseiletleprinceconsort,précisa

Leo.Riendetrès intéressant, j’enaipeur.Mais tuconnais lessentimentsentrenosdeuxpays.OnapenséquelaprésencedeWillpourraitagircommeunfacteurd’apaisement.

Lenahochalentementlatête.Lastupeurfaisaitsurchauffersoncerveau.Willétaitimpliquédanstoutça?

—Ilabesoind’apprendreàêtreunpeuplusprésentable,repritLeo.Àlafoisdanssesmanièreset dans son apparence. Il a aussi besoin de quelqu’un pour lui expliquer le fonctionnement del’Échelonetleguideràlacour.Malheureusement,jen’aipasletemps…

Oh,oui.Ellevoyaitoùilvoulaitenvenir.—Tuveuxquejel’escorte.(EllejetaunregardàWill,lesyeuxplissés.)Jemedemandebienqui

aeucettebrillanteidée.Il n’eut même pas la courtoisie de paraître coupable. Appuyé contre la porte, il arborait un

sourireimpénitent.CesourirequifaisaitdesravagesdanslecorpsdeLena.—Tonhabiletéàévoluerauseindel’Échelonserviraittrèsutilementnotrepays,réponditLeo.—Çaalors,c’estterriblementbienpensé.En son for intérieur, elle fulminait. Quel toupet ! C’était pourtant précisément ce contre quoi

M. Mandeville l’avait mise en garde quand elle avait accepté d’espionner pour le compte deshumanistes.Ellenepouvaitlaissersessentimentsperturberunetelleopportunité.

Sa découverte au sujet du traité scandinave était bien plus importante que d’apprendre àWillCarvercequ’étaitunesoupière.

—Alors,tuvasnousaider?demandaLeo.—Jepeuxdifficilement refuseruneoffresigénéreuse.Nouscommenceronsdèsdemain. (Elle

jetaunregardàlachevelurehirsutedeWilletauxmèchescouleurmielquieffleuraientsesépaules.)Quisaitparoùjevaisbienpouvoircommencer.

—Iln’apasbesoind’êtreparfait,précisaLeo.Seulementpoli.Etqu’ilsachelesbonneschosesàdire.

—Ouplutôt,cellesànepasdire.(Elleplissalespaupières.)Ilfaudraaumoinsqu’ilaitl’aird’ungentleman.Unecoupedecheveux,uncoupde rasoir…peut-êtremêmeunépouillage. (Unsourireapparutsurseslèvres.)Unenouvellegarde-robe.Etdescoursdedanse.

Willhaussaunsourcil.—Jedansepas.—Tudanserassijetedisdedanser.Tut’inclinerasquandjetelediraietturesterascourtois.Unepartd’elleétaitpresqueimpatiente!—Sinon,jemelavelesmainsdecetteaffaire,etcen’estpascequetuveux,n’est-cepas?Ohnon,ilvoulaitsemontrercharmantetserapprocher.Pourveillersurelle.Il plissa lesyeuxet lemessagequ’ils contenaient futparfaitement limpide.Ce serait laguerre.

Maisiln’avaitpasd’autrechoixqued’acceptersesconditions.Leolesconsidéral’unaprèsl’autre.—Ya-t-ilquelquechosequim’échappeetdontjedevraisêtreaucourant?—Non,répondirentLenaetWillàl’unisson.—Riendutout,ajouta-t-elleenjetantunregardnoiràWillpours’assurerqu’ilnerévéleraitrien

àLeo.

—J’imaginequetutrouvesçaamusant,ditLenaenenfilantsesgantsd’ungestebrusque.

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Appuyécontrelemur,Willl’observaitnonchalamment.Elleavaitlesjouespâlesmaissonregardlançait des éclairs. Il avait envie de l’embrasser, de la plaquer contre le papier-peint oriental etd’enfouirsalanguedanssoncou.

Danger.Ilpouvaitmaîtrisersondésir.Illedevait.Ilétirasesdoigtsetjetauncoupd’œildanslecouloir.Lachaperonnerôdaitcommeundronede

service.Elleouvraitdegrandsyeuxchaquefoisqu’illaregardait,commesielleredoutaitàmoitiéqu’ilnesejettesurelle.Willétaittentédeluimontrerlesdents.Pourvoirsiellefaisaitunecrisedenerfs.

—Çat’ennuieraitsijet’avouaisquejesavourechaquesecondedecettesituation?Lenas’immobilisa,sonchapeauhautdeformeposéavecdésinvolturesursatête.Elleemmêlases

doigtsdanslesrubanspourpresetleursregardssecroisèrentdanslemiroir.—Jet’aiprévenue,murmura-t-ilens’approchantpourquesonrefletapparaisseàsontourdans

leverrepoli.Avecsonmanteaufoncé,ilressemblaitàuneombredéployéederrièresafinesilhouette.Legrand

méchantloupprêtàladévorer.Le parfumdeLena enveloppa les sens deWill et lui donna justement lamême idée. Il voulait

fourrersonnezdanssoncou,inspirerunepleineboufféedesonodeuretfaireglissersesmainssurlescourbescorsetéesdeseshanches…

Lena releva vers lui des yeux impuissants. Son désir avait dû se lire sur ses traits car elleentrouvritleslèvresavecunelégèreexpiration.

—Jefiniraipardécouvrircequetumijotes,laprévint-il.Elletirabrusquementsursesrubanspourlesnouer,rompantainsilecharmedel’instant.—Profitedecemoment,Will.Ceserapeut-êtreladernièrefoisquetumeverrasdansdebonnes

dispositions.(Avecunsouriredoux,elleajouta:)Tupeuxconsidérerçacommemonavertissement.—Qu’est-cequetuveuxdire?Elleseretournadansunbruissementdejupons.—C’estmonuniversdésormais,ettun’aspaslamoindreidéedesrèglesquilerégissent.Tune

vasrienapprendredutoutetje…jevaisyprendrebeaucoupdeplaisir.Elletentadepasser,maisilrefusades’écarter.LerythmecardiaquedeLenas’accéléra,maisrien

netransparutsursestraitsquandellesefaufilacontreluieteffleurasacuisse.—Qu’est-cequetu…?—Demain,àmidi,déclara-t-elleenrécupérantsonombrelleendentellequineseraitd’aucune

utilitécontrelescapricesdelamétéo.Ilneseraitpasbonpourtoideveniricitropsouvent.Lesgenspourraient commencer à se poser des questions.Alors c’estmoi qui viendrai.Au repaire. Je peuxprétendre rendrevisite àma sœurou l’aiderdansunquelconqueprojet. (Elle lui coulaundernierregard.)Essaied’êtrepropreetdeporterune tenueappropriée.Réussirà t’arrangerpour lavieensociétéprometd’êtreunetâchemonumentale.

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8

Will arpentait le rebord du toit, l’attention plongée de l’autre côté du mur qui encerclaitWhitechapel. Des chants et des cris résonnaient en provenance du nord, près de la sortie deBishopgate. On aurait dit le roulement sourd d’un orage et l’intempérie s’intensifia pendant plusd’uneheureavantqueCharlieetLarkeux-mêmespuissentl’entendre.

—Que se passe-t-il ? demandaCharlie qui était assis sur un conduit de cheminée et tapait sestalonscontrelemurdebrique.

Àsespieds,Larkétait assiseen tailleurà labaseduconduit, etmâchouillaitunemèchedeseslongscheveuxbruns.DepuisqueHonoriaavaitemménagéaurepaireavecLenaet leur jeunefrèreCharlie,cesdeux-làétaientinséparables.

—C’estuneémeute.Oulesprémicesd’uneémeute,réponditWill.Charlie ouvrit des yeux ronds et Will sourit. À dix-sept ans, il était encore trop jeune pour

comprendrecequisetramait.—Uneémeute?Terrible!Onpeutallerregarder?—Soispasdébile,lecoupaLark.(Ayantgrandidanslescolonies,elleencomprenaitbienmieux

lesimplicationsqueCharlienelepourraitjamais.)Çavafairecoulerlesangetriend’autre.—Encoremieux,fitCharlieavecunegrimace,unenoteombrageuseteintantsonregard.Larkluidonnauncoupdanslacuisseetilfitlagrimace.— On voit bien que t’as jamais assisté à une émeute, espèce d’idiot. Pour moi, ça n’a rien

d’excitant.C’estrienquedescorpsbroyésetdesosbrisés.Deshommes,desfemmesetdesenfantstous mélangés. (Elle secoua la tête.) L’Échelon ne tolérera pas ça longtemps. Ils vont lâcher lacavalerieetrépandrelesang.(Ellefrissonna.)Maispasici.Pascheznous.

Willparcouraitlestoitsduregard,lesnarinesgonflées.—ÇavientdeLangbourn.—Oh.(LesépaulesdeCharlies’affaissèrent.)Jeplaisantais,jenelepensaispas.—Tunepensaispastoutcourt,lecorrigeaLark.Charlieavaitbeauêtreunsangbleuettroisfoisplusfortqu’elle,l’équilibredupouvoirentreeux

penchaittoujoursducôtédelajeunefille.Débrouillarde,aguerrieauxmœursdelarueetrusée,ellepossédaitquelques«oncles»d’adoptionquiveillaientsurellesiquelqu’unvenaitàluimanquerderespect.

Will continuait àparcourir leborddu toit sansprêter attentionà leurs chamailleries. Il jetauncoupd’œilausoleil,quiluttaitvaillammentderrièrequelquesnuagesgrisetcotonneux.

—Charlie,quelleheureilest?Charliesortitsamontredepoche.

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—Midimoinslequart,m’sieur.Midi.Une pointe d’inquiétude monta en lui. Elle avait dit qu’elle viendrait à Whitechapel pour sa

première leçon. Il retraça un plan mental de la ville. Si Lena venait par Aldgate, elle éviteraitprobablementletrouble.MaissiellearrivaitparBishopgate…

Ungrognementmontadanssagorge.—Heu…Est-cequetoutvabien?demandaCharlie.LuiaussisavaitfairepreuvedeprudenceaveclecaractèredeWill.—Jesaispas.(Leloup-garouseretournaetlesclouasurplaced’unregard.)Restezlà.Continuez

demonter la garde.Et nequittez les colonies sousaucunprétexte. Si les problèmes se propagent,vousretournezaurepaireetvousdonnezl’alerte.

—Oui,m’sieur!s’exclamaCharlieenconcentranttoutesonattention.Tuvasoù?Wills’approchaàgrandesenjambéesduborddumur.— Je vais chercher ton idiote de sœur. Elle a dit qu’elle venait ici, aujourd’hui. Ça me

surprendraitpasqu’elleseretrouvecoincéeaumilieudetoutcebazar.

LalettredeM.Mandevillearrivatôt,cematin-là.Lenarelevalesyeuxdesonplandetravailrecouvertd’unevariétéderouagesetdebandelettesde

tôles.Ellehissaseslunettesgrossissantessurlesommetdesoncrâne,récupéralamissiveetglissauntournevispourladécacheter.

Unepulsationlenteetrégulièresemitàbattredanssapoitrine.ChèremademoiselleTodd,

J’espèrequecettelettreseraparvenuejusqu’àvous.J’aireçuuneoffredesplusimpressionnantespourvous,encequiconcernelemécanismeoriginalquevousm’avezmontrél’autrejour.Jeseraisravidepouvoirendiscuteravecvousenpersonne,àvotreconvenance.

Amicalement,

ArthurMandeville.

Elle plaqua une main sur sa poitrine et se leva lentement. Le mécanisme transformable !Quelqu’undésiraitenacquérirunexemplaire!

—MadameWade!lança-t-elleenseruantverslachambredesacompagne.MadameWade!En moins d’une demi-heure, elle l’avait traînée dans la carriole à vapeur pour se rendre au

Marchédel’HorlogeriedeM.Mandeville.Les rues étaient bondées et leur progression s’en trouva ralentie.Lena écarta les rideaux pour

observer la foule et l’omnibus devant eux. Quand ils passèrent sous Bishopsgate, l’un des pontsmassifsquigardaientl’entréedelavilleproprementdite,ellesemitàjouernerveusementavecsonréticule.

—Pourquoitoutcemonde?MmeWadesepenchaverslafenêtreets’entretintaveclechauffeur.Quandelleserassit,elleavait

lesoufflecourt.—C’estunemanifestation.ÀLangbournetLimeStreet.Cesontlesmécaniquesquiremettentça.Lenajetaunnouveaucoupd’œilcurieuxàl’extérieur.Elleavaitentenduparlerdesmécaniques,

ceuxquitroquaientleursannéesdeserviceauseindel’Écheloncontredesmembresbiomécaniquesoudesorganesàmécanismes.Cantonnésenvilledansdesenclavesinondéesdevapeur,onlestraitaitàpeinemieuxquedesanimaux.Onnepouvaitfaireconfianceàunhommequiétaitàmoitiéfaitdemétal. En effet, de nombreux aristocrates de l’Échelon arguaient qu’en se greffant des membres

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mécaniques ils se rabaissaient à un niveau plus bas que celui d’humain et que, par conséquent, ilsn’avaientpluslesmêmesdroitsqu’unhommeàpartentière.

—Ilsdevraientlesrepousserdansleursenclavesetlesenfermeràl’intérieur,maugréa-t-elle.—Moi, je ne vois pas la différence. Ce n’est pas un bras enmétal qui peut les rendremoins

humains,répliquaLena.DeuxdeshommesdeBlade,TinManetRip,possédaientdesmembresmécaniques.Enprincipe,

tous deux auraient dû se retrouver emprisonnés dans les enclaves, mais personne n’osait le faireremarqueràBlade.

—Onnepeutpasleurfaireconfiance,insistaMmeWade.—Pourquoipas?Lemétaln’affectepasl’esprit,quejesache.Ilsrestentceuxqu’ilsétaientavant

derecevoircesaméliorations.—Cen’estpasnaturel,unpointc’esttout.Inutile de chercher à discuter avec une personne dépourvue de discernement et de lamoindre

argumentation.Lenasemorditlalangueetobservalafouleplusattentivement.—Espéronsqu’ilsenvoientlesCuirassespournettoyertoutça,ajoutaMmeWade.Qu’onpuisse

circulerenpaix.Nousn’étionsplus très loinduMarché.Lena avait déjàparcourudix fois cettedistance àpied

quandellevivaitdanslacolonie.—Pourquoinepasfinirenmarchant?Cettesuggestionfutaccueillieparunregardd’horreurpure.—Avectouscesmécaniquesenliberté?—Nousprendronsunvaletdepiedavecnous.Lacarriolepourranousretrouverlà-basunefois

quelacirculationaurarepris.Lenatenditlamainverslapoignée.—Attendez!Votreombrelle!soufflaMmeWadederrièreelle.TandisqueLenasautaitàbasdelavoiture,ellerassemblasonchapeau,sonombrelleetsoncabas

decrochetqu’elleemportaitpartoutavecelle.Sesyeuxfuretèrentalentour,commesielles’attendaitàcequ’unmécaniquesejettesurelleàtoutmoment.

Lafoulediminuaàmesurequ’ellesapprochaientdechezMandeville.Laplupartdesgensétaientpauvresetbrandissaientpoingsetpancartes, commesi l’Échelonallait seulement leuraccorderunregard.Malgrétout,Lenacomprenaitcebesoind’agir.

Quelquesruesplusloin,lebruitétaitplusintense.Lenalesguidadansl’autredirection,mêmesicelaleséloignaitdeleurdestination.Ellen’avaitpasl’intentiondesefairehapperparlamasse.

Un homme de forte carrure avec une plaque de métal sur le crâne trébucha contre elle. Sonhaleine empestait l’alcool. Il possédait également une main mécanique grossièrement ajustée à lachairdesonpoignet.Àenjugerparlesbordsdepeauirréguliers,c’étaituntravailexécutéàlahâte.Quandilaperçutsesjupesrouges,ilrelevalesyeuxetlesglissasurlesperlesautourdesoncouetlesplumesdesonchapeau.Ils’agissaitdesseulsornementsqu’ellesepermettaitet,danslaplupartdescirconstances,elleneseseraitpassentieaussimalàl’aisedelesarborerdanslarue,commeencemoment.

—Tienstiens,railla-t-ilenluisaisissantlepoignet.Unepetiteputedesangbleutouteseuledanslesrues.

—Àvotreplace,jemerelâcheraistoutdesuite,dit-elled’unevoixferme.Etjenesupposeraispasaussifacilementquejesuisseule.

MmeWadebranditsonombrelleversluicommeunearme.

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—Lâchez-la,salebrutedemécanique!Lenaluijetaunregardnoiretsecoualatête.Voilàprécisémentlemauvaistonetlesmauvaismots

àemployerdanscettesituation.Ellelevaunemaind’ungestemodérateur.—Nousn’avonsaucunintérêtà…—Salebrute?gronda-t-il.Une salebrutedemécaniquecommemoi?Quoi,vouscroyezque

vousvalezmieuxquenous?Ilscommençaientàattirerl’attentiondespersonnesautourd’eux.—Lâchez-laouvousallezvousattirerlesfoudresduducdeCaine!s’écriaMmeWade,comme

sicenompouvaitfairepoids.Lenasehâtadedésamorcerlasituation.—Nousnepensonspasquenousvalonsmieux,ouquenoussommesdifférentsou…—Hé,lesgars!rugit-il.Visezcespetitesnénettesquifontlafineboucheetquinousregardentde

haut!Desmurmuresetdesgrognementss’élevèrenticietlà.Lenajetaunregarddésespéréalentour.—Non!Jen’aijamaisditça.—Vous venez en ville et vous nous prenez de haut. Attendez un peu. Votre heure viendra. (Il

l’observaavecconcupiscence.)Onsaitcommenttraiterlesgensdevotreespèce.—Lâchez-la! insista levaletensaisissant l’hommepar lebras.MademoiselleLena,est-ceque

toutvabien?Dessiffletstranspercèrentl’airetlafouleseretournacommeunseulhomme,bouchebée.—Lacavalerie!hurlaquelqu’un.Descriseffrayésretentirentetlapaniques’emparadelamassequifilatoutdroitendirectionde

laplacepoursemettreàl’abri.Lenafutrepousséesurlecôtéetsonpoignetéchappaàl’hommequilaretenait.

Quelqu’unl’attrapaparlatailleetlasoulevadeterre.—Pardonnez-moi,mademoiselle,ditHenry,levalet.C’étaitungrandgaillarddeplusd’unmètrequatre-vingts,maisildutluttercontrelahordepour

s’extrairesurlecôté.MmeWades’étaitréfugiéeprèsd’uneporteets’éventaitavecsamain.—Oh,Lena!Oh,Dieumerci!Ellel’attirasouslaportecochèreetHenryseservitdesoncorpspourlaprotégerdelafoule.—Quesepasse-t-il?demandaLenaenjetantuncoupd’œilpar-dessoussonbrastendu.—L’Échelonadûlâcherlacavalerie,m’dame,réponditHenry,levisagepâle.Nebougezpas.Ils

anéantironttoutcequisetrouverasurleurpassage.—Maispersonnenecauselemoindretrouble!protesta-t-elle.—Çan’aaucuneimportance.Unclaquement retentit sur lespavés,commesiunecentainedechevauxavançaientà l’unisson.

Un frisson remonta dans son dos. Les incendiaires Spitfires risquant de causer trop de dégâts,l’Échelonutilisaitlacavaleriepourdissiperlesémeutesetlesmouvementsdemasse.Onnepouvaitpasgrand-chosecontreceschevauxdemétal lourdementarmés,etelleavaitentendudirequ’ilssecontentaientdepiétinerleshommes.Ainsineprovoquaient-ilsaucundommagecollatéral.

Lenatournalesyeuxversleboutdelarue.—Qu’est-cequ’onvafaire,maintenant?Laportecochèrepouvaitdifficilementlesabritertouslestrois.Henryétaitàdécouvertetlafoule

paniquéelebousculaitenfuyant.

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—Onnepeutpasresterlà.C’esttropdangereux.LeMarchédeM.Mandevillen’étaitpastrèsloin,etilspouvaientyparvenirs’ilssedépêchaient.

Elleconnaissaitcesruescommesapoche.MmeWade se mit à tousser, le visage blanc comme un linge. Le cœur de Lena se serra. Sa

compagneplusâgéenetiendraitpasladistance.Àenjugerparsarespirationsaccadée,ellefrôlaitlacrised’hystérie.

Àmoinsque…LenaplongeasouslebrasdeHenryetexaminalagouttièreensurplombau-dessusd’eux.— Henry, quand ils lâchent la cavalerie, est-ce qu’ils envoient aussi des Spitfires ou des

Cuirasses?—Non,c’estinutile.Ilneresteplusgrand-choseaprèslepassagedelacavalerie.Lamajeure partie de la foule s’était dispersée. Au bout de la rue, le soleil se reflétait sur les

armurescuivréesd’unrangdechevauxdemétal.—Venez,madameWade,dit-elledoucementenlaprenantparlebras.Nousdevonsfairevite.L’interpelléesecoualatête.—Non,nonjenepeuxpas!Ilsvontnouspiétiner.—Henry,voussentez-vouscapabledelasoulever?Ilparutréfléchiruneseconde,l’airhésitant.—Jenesaispascombiendetempsjepourrailaporter.—Onnevapasloin.(Ellerelevalatête.)Onvapasserparlestoits.—Biensûr!Pourquoin’yai-jepaspensé?Parcequ’iln’avaitjamaisvécudanslescolonies,oùBladeetWill–etlaplupartdeseshommes–

seservaientdestoitspourcirculer.EllefitsortirMmeWadedesonabrietaidaHenryàlahisser.—Vousallezdevoirattraperlagouttière!—Je…jenepeuxpas!—Vouslepouvezetvousallezlefaire!s’exclamaLena.J’enaiassezdevoscrisesdenerfs!Si

vousnevousdépêchezpas,alorsHenryetmoin’auronspasletempsdevoussuivre,etceseraàvousd’expliqueràmonprotecteurcommentvousm’avezfaitpiétiner!

Lamenacefitaussitôteffet.MmeWadesedébattitensoufflantpouressayerdemontersurletoit.Henry lutta pour la hisser par-dessus ses épaules. Il ferma les yeuxquand les plis volumineuxdesjuponsdeMmeWadelaissèrentapparaîtreunebonnepartiedesesdessousàlafacedumonde.

Lessabotsd’acierrésonnaientsurlespavés.Lenajetaunregardnerveuxdanslarue.—Àvotretour,mademoiselle,pressaHenry.Lenagrimpasursongenouplié,puissursonépaule,etsaisitlagouttière.Elledevaitaccélérerle

mouvement;MmeWadeleuravaitcoûtédeprécieusesminutes.Lenasemorditlalèvreetgrimpasurletoit,puiselles’aplatitetseretournaversHenry.

—Vite!La cavalerie était presque arrivée à leur niveau. Les chevaux faisaient plus de deuxmètres au

garrotavecdelargespoitrailsblindésetd’énormessabots.Conçuscommedesdestriers,delavapeursortaitdeleursnaseaux.Lavuedecescréaturessuffitàdonnerdescrampesd’estomacàLena.

—Henry!Elletenditlebrasetilrelevasesgrandsyeuxbleusverselle.Lenaarrachal’ombrelledesmainsdeMmeWadeetlatenditàHenry.

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—Accrochez-ladanslagouttièreetservez-vous-enpourvoushisser!MadameWade!(Ellejetaun regard derrière elle, où sa compagne était étalée sur les tuiles.) Tenezmes chevilles et nemelaissezglissersousaucunprétexte!

UnepairedemainsgrassesluiagrippaleschevillesetlepoidsconsidérabledeMmeWadeluifitofficed’ancre.

Lacavaleriedemétalpassadutrotaupetitgalop,avantdesemettreàgaloperfranchement.Unhommequicouraitdevanteuxse retrouvaécrasésous lessabots.Lesmaîtresavançaientparmi lescréaturesqu’ilsdirigeaientpargroupesdedix,grâceàdespetitsboîtiersd’oùsortaitlesignalradioquilescontrôlait.

—Henry ! criaLena en s’efforçantd’attraper sonbras tandisqu’il luttait vaillammentpour sehisser.

Derrière elle,MmeWadepoussaun cri et glissadequelques centimètres.Lena retomba sur leventre,levisageetlesbrassuspendusdanslevidepar-dessuslagouttière.Elles’agrippaaubrasdeHenry,maisilperditsapriseetsebalançaauboutdel’ombrelle.

—Nevousavisezpasdemelâcher!s’écriaLena.Henry releva ses pieds dans un geste de désespoir tandis que la première ligne de chevaux

métalliquespassaitdansunfracasassourdissant.Desnuagesdepoussièreétouffantes’élevèrentdelachaussée.Lamancheduvaletcontinuadeluiéchapper,jusqu’àceque…

—Non!Derrière elle,MmeWade cria et lâcha prise.Lena écarquilla les yeux.Elle chuta en avant, ses

jupes dérapant sur les tuiles. Elle aperçut le regard horrifié de Henry tandis qu’elle continuait dedégringolerverslarue,et…

Quelquechoselarattrapaparsesjupes.D’uncoupsec,elleatterritsurledossurlestuilesàcôtédeMmeWade.Elleclignalesyeux.Will.

Ses largesépaules sedécoupaientcontre lesnuages impitoyableset lesmusclesnusde sesbras sebandèrentquandilserralespoings.

—J’auraisdûmedouterquetuallaistefourrerdanslepétrin.—Henry!s’exclama-t-elleendésignantleborddutoit.Wills’agenouilla,sescuissesserréesdanssonpantalondecuir.Iltenditlamainets’emparade

l’ombrelle,puisseredressacommesiçaneluidemandaitpaslemoindreeffort.Henrys’élevadanslesairsensedébattantfaiblementauboutdel’ombrelle.Willsaisitsamainet

letirabrusquementsurletoit,oùils’effondra,lecorpssecouédeviolentsspasmes.—Oh,douxJésus,murmura-t-il.Oh,mademoiselleLena!Vousn’auriezjamaisdûprendretous

cesrisquespourmoi.—Jen’allaistoutdemêmepasvouslaissertomber.Elle s’agenouillaà sescôtésetvérifia s’ilétaitblessé.Sespropresmainssemirentà trembler.

C’étaitmoinsune.Uneombresedressaau-dessusd’elle.L’estomacdeLenasenoua.Quandellerelevalesyeux,Willarboraituneminemeurtrière.—Àquoitupensais,bordel?—Je…—Non!(Il levalesbrasenl’air.)Quiest lecrétinquivousafaitsortirdelacarrioleaubeau

milieu d’une fichue émeute ? Tu n’as pas pensé une seule seconde à quel point ça pouvait êtredangereux?

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—J’essayais justementde l’éviter.LaboutiquedeM.Mandevillen’estqu’àdeux ruesde là.Sion…

—C’estdéjàdeuxruestroploin!Tuimaginescequim’estpasséparlatêtequandj’airetrouvélacarriolevide?Renverséesurlecôtéetabandonnée?Avectonfichuvaletassissurletoitentraindefumeruncigare!

Lenaserelevaetsecouasesjupes.— Je ne pensais pas qu’une émeute allait éclater aussi rapidement !Et visiblement, la carriole

n’étaitpasbeaucoupplussûre.—Tunepensaispas?Tunepensaispas?LegrondementdesavoixfittressaillirHenryetMmeWade.Sesjouessemirentàlabrûler.—J’aifaituneerreur.Mais jemesuisdéjàretrouvéedanscegenredesituationauparavant.Je

ne…—Qu’est-cequetuentendspar«jemesuisdéjàretrouvéedanscegenredesituation»?Lenacherchaitàconserversonsang-froid.D’aprèsl’expressionsur levisagedeWill, ilétaità

deuxdoigtsdelasecouercommeunepoupéedechiffon.—Quand je travaillais pourM.Mandeville. Je n’avais pas de quoime payer le tramwaypour

rentrer, alors je devaismarcher. J’ai déjà faillime faire prendre deux fois dans des émeutes. (Envoyantl’expressionduloup-garous’assombrir,ellesehâtadelerassurer:)Lapremièrefois,jesuismontéesuruntoit,etladeuxième,jemesuiscachéechezunhommed’uneextrêmegentillesse.

Willprituneprofondeinspiration.Puisunedeuxième.Sesépaulesétaienttendues,etsonregard,furieux.

—Sijamaistut’aventuresunenouvellefoisdanslesruessansprotection,jet’étrangle.—J’ai traverséces ruespendant sixmoisquand j’avais seizeans, répliqua-t-elle.Et cette fois,

Henry etMmeWade étaient avecmoi. C’est bienmoins dangereux que lorsqu’on était pauvres etqu’ondevaitsecacherdeVickers.

Un bruit étranglé s’échappa de la gorge de Will. Lena se tut. Ce n’était pas le moment dementionner toutes leshorribleschosesqui lui étaientarrivéespendantcettepériodeconsécutiveaudécèsdesonpère.

IlsetournaetposasurHenryunregardquilefitdéglutir.—Plusjamais,tum’entends?Lejeunehommehochavivementlatête.—Viens, repritWill d’unevoix sèche. Jevais te ramener au repaire.Onverra ensuitepour te

ramenercheztoi.—Jedoisd’abordvoirM.Mandeville.IlpivotasursestalonsetLenafitunpasenarrière.—Ilm’attend,reprit-elle.Ennemevoyantpasarriver,jenevoudraispasqu’ilarpentelesruesà

marecherche.Il pinça les lèvres. Quand il se retourna de nouveau, il sembla à Lena l’entendre marmonner

quelquechosed’indistinctdanssabarbe.Enrevanche,levisageblêmedeMmeWadeneluiéchappapas.

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9

—Dieumerci,vousn’avezrien!M.Mandevillelaserradanssesbrasenpoussantunsoupirdesoulagement.Lenaréponditbrièvementàsonétreinte.—Vousavezvulapagailledanslesrues?—Pascettefois.Maisj’aientendulescris.Ildévialeregardpar-dessussonépauleetsefigea.—VousconnaissezHenryetMmeWade,dit-elleendésignantsesdeuxcompagnonsépuisés.Will,quiobservait la ruepar la fenêtre, se retournaet la lumière soulignases irisd’unambre

brûlant.—EtvoiciWilliamCarver.C’estunamidumaridemasœur.LaraideursoudainedanslaposturedeM.Mandevilleparlad’elle-même.Ilsavaitexactementce

quesignifiaitlacouleurdecesyeux.—Ravidevousrencontrer,dit-ilavecunvifmouvementdetête.Lenaplaquaunsouriresurseslèvrespourcompensersagrossièreté.—Willnousaaidésànoussortirdel’émeute.Ilesticipourmeraccompagnerchezmoi.—Jevois.(Sonregardpassaentreeuxdeux.)Vousavezeumonmessage?—Oui.J’aimeraisdiscuterplusendétaildecettecommande,sivouslevoulezbien?—Dansl’arrière-salle?—Jeneseraipaslongue,lança-t-elleàWill.(Devantsonregardnoir,elles’empressad’ajouter:)

Promis.EllepritlebrasdeM.Mandevilleets’éloigna.Dèsquelaportesefutrefermée,ilsetournavers

elle,maisellelevaunemainenguised’avertissementetsetapotal’oreille.—Alorscommeça,quelqu’un souhaiteacquérir lemécanisme transformable?demanda-t-elle

avantdesaisirundesesstylospourécriresurunefeuilledepapier:Neditesrienquevousnevoulezpasqu’onentende.

M.Mandevillecaressalesextrémitésdesamoustache.—J’enaitouchémotàundemesamis.(Mercury,écrivit-il.)Ilest trèsintéressé.Ilsouhaiterait

l’offrir comme cadeau à l’ambassadeur scandinave une fois que le traité sera signé. Il étaitimpressionnéparlafinessedesdétails.

Dansquelbut?L’incidentliéauxusinesdedrainageétaitencorefraisdanssonesprit,mêmesiellenevoyaitpasdepossibilitéd’utilisationdétournéedesonmécanismetransformable.

IlveutétablirsespropresaccordsaveclesScandinaves.Àvoixhaute,M.Mandevilleajouta:—Iln’ajamaisrienvudetel.

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Puis, après avoir pris une profonde inspiration – tout en se demandant combien la commandeallaitpouvoirluirapporter–elleécrivitavechésitation:Connaissez-vouslecontenudeceslettres?Ensavez-vousdavantagesurl’incendiedesusinesdedrainage?

M.Mandevillecaressadenouveausamoustache.—Jesupposequevousallezpouvoirdemanderunboncachet.Illeveutenétatdemarchedans

deuxsemaines.—Deuxsemaines?couina-t-elle.—LesScandinavesarriventlasemaineprochaine.Onpeuts’attendreauxhabituelstablesrondes

etdivertissementsmondains.Il s’empara du stylo pour écrire :Nous ne sommes pas les seuls àœuvrer contre l’Échelon. Il

existeuneautrepetitefaction,quiadesidéesbienplusdrastiquessurlamanièredelesfairetomber.Etleslettres,d’aprèscequejesais,contiennentdesdatesderéunions.

Iln’avaitpasencorereposélestyloqueLenaleluipritvivementdesmains.Maisvousn’enêtespascertain?Unehésitation.Non.Maisjenetoléreraipasdetelsactesdeterreur.Tantmieux. (Ellecroisasonregard.)Parcequemoinonplus, jeneveuxrienavoirà faireavec

toutça.Lena garda les yeux rivés sur la feuille. Un doute la taraudait. Et elle ne parvenait pas à s’en

débarrasser.JeveuxrencontrerMercury.M.Mandevillerelevabrusquementlatête.—C’estimpossible,répondit-ilàvoixhaute.Ellerécupéralestyloaprèsavoirsecouélatête.Alors je ne veux plus m’impliquer davantage. Je ne veux pas être au courant d’actes qui

pourraient tuer des innocents. il y avait des gardesdevant les usines.Desgardeshumains. je veuxparleràquelqu’unquiconnaîtlecontenudeceslettres.

M.Mandevilleladévisagea,leslèvrespincées.—Jeferaipasserlemessageencequiconcernelacommande.Ladécisiondevousrencontrerlui

appartiendra.(Ilbranditlalettre.)Allez-vouslaprendre?mima-t-ilensilence.Lena examina la feuille. Tellement inoffensive.Rien qu’un petit bout de parchemin.Elle tendit

lentementlamainpours’enempareretladissimuladanssoncorsage,làoùpersonnenelatrouverait.Pourcettefois,écrivit-elle.

—Merci,fit-elletouthaut.Jevaismemettreautravail.Elleajoutaparécrit:JeveuxrencontrerMercury.M.Mandevillehochabrusquementlatête.—Jevaisvoircequejepeuxfaire.(Illalaissapresqueatteindrelaporteavantd’ajouter:)J’étais

ravi de rencontrer la source de votre inspiration, Lena. Mais je ne saurais que vous inciter à laprudence. Par les temps qui courent, les sangs bleus ne sont pas les seuls dangers pour une jeunefemme.

Sesjouess’enflammèrent.—Jesaiscequejefais,merci,monsieurMandeville.—Jeveuxbienvouscroire.

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Willpénétradanslerepaire,lesmainsenfoncéesdanssespoches.S’illessortait,ilredoutaitdel’étrangler, toutsimplement.S’ilétaitarrivédeuxsecondesplustard,elleserait tombéeavantdesefairebroyersouslessabotsdelacavalerie.Unfrissonbalayasesentrailles.Unsentimentoppressantqu’ilnereconnaissaitpas.Mieuxvalaitnepasypenser.

Derrièrelui,Henryaidaitlagrossedamequisoufflaitetseplaignaitdesescaliers.LenasuggératoutbasàHenryd’emmenerMmeWadeàlacuisinepourluifaireboireunremontant.Àenjugerparle charabia qu’elle débitait depuis une demi-heure, Will songeait qu’il lui faudrait sûrement unebouteilleentière.

—Ehbien,ditLena,deboutàcôtédeluienhautdesmarches,suivantdesyeuxsacompagnequis’éloignait.Aumoins,elleauraattendulafindugrabugepoursuccomberàsesnerfs.

Elledégageaitundélicieuxparfumdesavon.Siseulementelleavaitpuseservird’autrechose,pourunefois.IlenétaitvenuàassociercetteodeuràLenaetlemoindreeffluvepouvaitl’exciterau-delàdetoutemesure.

Lenajetauncoupd’œildanslecouloiretfrôlasestibias.—Oùveux-tucommencerlaleçon?DanslesalondeBlade?Lerez-de-chausséedurepaireétaitunramassisdepoussièreetdetoilesd’araignée,auxplanchers

grinçants et aux papiers peints décollés. Il n’y avait rien à voir. Rien d’aucune valeur. Un effetdissuasifpourlesvoleursetpourquiconquevoudraitfaireunrapportàl’Échelon.Àl’étage,c’étaitunetoutautrehistoire.Tapis luxueuxetpeinturesdélicates,uneodeurdecired’abeilleflottaitdansl’air et la plupart des pièces étaient chauffées par des cheminées. Très peu de personnes étaientsuffisammentdignesdeconfiancepouraccéderàl’étage.

Willhochalatêteavecunairbourru.—Çaferal’affaire.—Jevaisallerchercherduthéetdesbiscuits.Tuasfaim?Ilavaittoujoursfaim.Lacolèreetlapeurnefaisaientquebrûlerlecarburantdesoncorps.—Oui.—Jeprendraiquelquechosedeplussubstantiel,danscecas.Ellepritladirectiondelacuisineenroulantdeshanches.Ilouvritlaportedusalon.Unsouffle

d’air frais balaya son visage. Le feu n’avait pas été allumé depuis un certain temps. Ces jours-ci,BladepréféraitserendredanslelaboratoiredeHonoriaàl’étagesupérieur.

Il ressentait à peine le froid,maisLena aimait s’installer devant un bon feu ronflant.Elle étaitplutôtfélineàbiendeségards.Ill’avaitvueserecroquevillersurletapisàmaintesreprises,quandelle bricolait avec les pièces d’une horloge cassée. Le fonctionnement de tels petits gadgets ledépassait totalement,maisLenaparvenaità lesassemblercommes’il s’agissaitd’unsimplepuzzlepourenfants.

LorsqueLena revint, le feu crépitait dans l’âtre. Il entendit le bruissement de ses jupes dans lecouloiretuneodeurderôtidebœufembaumal’air.Ilsemitaussitôtàsaliver.Ilallalarejoindreàlaporteetglissaunregardintensesurleplateauqu’elletenait.

—Donne,murmura-t-ilens’enemparant.Lenaposalesyeuxsurlacheminée.Elles’enapprocha,lesmainstenduesdevantelle.—MmeWadereprenddesforces.Elleveutnousrejoindredansunmoment.Jecroisqu’ellenete

faitpasconfiancepourresterseulavecunejeuneetdélicatedemoisellecommemoi.Son regard se réchauffa.Will déposa lentement le plateau sur une petite table de lecture.Cette

MmeWadeétaitplusmalignequ’iln’auraitcru.—Tuasfaim?demanda-t-il.

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L’odeurdelaviandel’attirajusqu’auplateau.Willsoulevalecouvercleetexaminal’assiette.Lerôtid’Esmeétaitaccompagnédelitresdesauceetdepainépais.

—Pasparticulièrement.Ilposal’assietteenéquilibresursesgenouxetmangeaavecdélectation.Lenas’installadanslefauteuilenfacedeluietrepoussasesjupessurlecôté.Elleleurservitdu

thé puis se prépara une petite assiette de gâteau aux épices.Malgré son léger fredonnement qui semêlaitautintementconfortabledel’argenterie,unetensionalourdissaitl’atmosphère,aussiétouffantequelesilence.LenavolaunregardàWillavantdedétournerhâtivementlesyeux.

C’étaitainsiqueleschosessedéroulaientdepuisunan.Depuiscejouroùelles’étaitglisséesursesgenouxetavaitbattudescilsavantdeposerseslèvressurlessiennes.

Justelà,surcesatanécanapéàcôtéd’eux.Ilrivasonattentionsurlescoussinsbrodés.Sonpremierbaiseravaitétéunfiascototal,dudébut

àlafin.Unefoisquelastupeuravaittranspercésoncerveau,ilavaitétéincapabledes’écarterassezvite.Seslèvresdoucescommedelasoie,poséessurlessiennes,humidesetavides…PuisleboutdelalanguedeLenaquil’avaiteffleurépourl’encourageràluirendresonbaiser.Ilavaitserrélepoingdans ses jupes. Son autremain s’était levée, près de saisir sa nuque pour l’attirer contre lui avantmêmequ’ilaitréalisécequisepassait.

Puis,brusquement, il s’était retrouvédeboutetLenas’étaiteffondréesur lescoussins, lesyeuxécarquillésde surprise, ses jupesétaléesautourd’elle. Il avaitbrièvementaperçu seschevilles, sesmolletsgainésquiluiavaientdonnéenviedepousserunpeuplusloinsonexploration.Desimagescourtes et succinctes, commedeséclairs.D’imperceptiblesmouvementsqu’il n’étaitmêmepas sûrd’avoirfaits.

Danger.Iln’avaitjamaisperdulecontrôlequ’uneseulefois.L’effetqu’ellepouvaitavoirsurluil’effrayaitplusencorequ’unearméeentièredeCuirasses.

S’il perdait sa maîtrise de lui-même, s’il lui faisait du mal, s’il l’infectait… il ne se lepardonneraitjamais.

—Premièreleçon,déclara-t-elled’unevoixdoucequiinterrompitsespensées.Ungentilhommenedévisagepasunedameaussi…aussifranchement.

Elle se sentit rougir quand Will parut revenir au présent. Il était bel et bien en train de ladévisager.Commeun imbécile audésespoir.À repenser à leurbaiser.À repenser auparfumet augoûtdesabouche.

Ilbaissalesyeuxetplantasafourchettedansunmorceaudeviande.—Commentvatonamie?demanda-t-il.Lablonde?Lenacoupaunpetitboutdesongâteau.—Adele?Jel’aiappeléecematin.Sesparentsontchoisidedirequ’elleétaitmalade,aumoins

jusqu’àcequelesmarquess’estompent.Lasalived’unsangbleuaccéléraitlaguérison,maisilavaitvusuffisammentdecicatricesdanssa

viepoursavoirqu’ellesnedisparaissaientjamaistotalement.Lui-même,s’iln’avaitpasétéunloup-garou,sagorgeauraitétédansunétatdésastreux.

—Tupensesqu’elless’estomperont?demanda-t-il.—JeluiaidonnéunpeudebaumequeLeoutilisesursesesclaves.(Ellejouanerveusementavec

safourchetteetdemanda:)TucroisqueCavendishgarderaçapourlui?—Illeferas’ilveutresterenvie.—Tunepeuxpassimplementmenacertouslessangsbleusdelaville,Will.Çafonctionnepeut-

êtreicidanslescolonies,maistuvasteretrouverdansleuruniversettudoisapprendreàjouerselon

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leursrègles.—Osedirequetun’yaspasprisdeplaisir.Ilreposasonassietteets’enfonçadanssonfauteuil.—Jenevoispaslerapport.Biensûrquej’aiappréciédelevoirrécoltercequ’ilméritait.Cet

hommeestunebruteetunflagorneur.Iltenddespiègesauxjeunesfemmes,lesattiredansdescoinsreculésetabused’elles.Çan’atteintpassaréputation.(Sonvisages’assombrit.)Seulementlanôtre.

—Lanôtre?Lenablêmit.— Mauvais choix de mots. Je voulais parler des jeunes femmes de l’Échelon. Il n’a jamais

proférédemenacesouvertescontremoi.—Maissiçaarrive,tumelediras?Lenaleregardadroitdanslesyeux.Etmentit.—Biensûr.—Lena,gronda-t-ilens’apprêtantàselever.Elleposanerveusementsatassedethéentreeuxdeux.—Cen’estpascontremoiqu’ilvachercheràsevenger.Tul’asridiculisécettenuit-là,Will.Ilne

l’oublierapas.Promets-moiquetuvasêtreprudent.Willsepenchaenavantetposasesmainssurlesaccoudoirsdepartetd’autredeLena.Ellapinça

leslèvresetposasatassesursesgenoux.—T’arriveraspasàmedistraire,dit-ilensaisissantsonmentonentresonpouceetsonindex.Erreur.Lenaavaitunepeaudouceetsoyeuse,etlelégerentrebâillementdeseslèvresquandelle

relevalesyeuxversluifaillitcausersaperte.LeregarddeLenas’adoucitetelleretintsonsouffle.Malgrésadésinvolture,sonexpressionétaitcurieusementcandide.Hésitante.Commesielledoutaitd’elle-même.

Cettenotedevulnérabilitéfaillitl’anéantir.Willretirasamaincommes’ils’étaitbrûléetsemitàrespireravecdifficulté.—S’iltemenace,tumelediras?Lenabaissalesyeux.—Biensûr.Qu’est-cequinetournaitpasrondchezelle,àcetinstant?—Tun’aspaspeurdelui?—JepeuxgérerdeshommescommeCavendish.(Ellereposasatassesurlatableetmurmura:)

Cesontcertainsautresquimedonnentlamigraine.—Colchester?—Non.(Ellefronçalessourcils.)Pourquoituparlesdelui?—Iltefaitpeur,déclaraWillenbaissantlavoix.Tuveuxquejeletuepourtoi?Ellebonditsursespieds.— Tu es malade, ou quoi ? C’est un duc ! Même si tu arrivais à l’approcher, l’Échelon te

liquiderait.(Elleluisaisit lepoignet.)Will,promets-moiquetuneferasriendelasorte!Promets-moidenepast’enprendreàColchester.

L’odeurdepeurétaitreparue.Maiscettefois,cen’étaitpaslapeurpourelle-même.Will se frotta la nuque et l’observa prudemment. Personne ne s’était jamais soucié de lui

auparavant.Àl’exceptiondeBlade.—Jelaissepersonnetoucheràcequim’appartient.—Jepeuxm’occuperdeColchester,insista-t-elle.

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Lapointed’incertitudedanssavoixfitsedresserlespoilsdeWill.—Comment?Ensouriant?Enflirtant?—Enjouantlejeu!Enmecachantdanslafouleetenl’empêchantdem’acculertouteseuledans

uncoin.—Ouais,ettuferasquois’ilyarrive?Ellen’avaitrienàrépondre.Ils’approcha.—Alors?—Ilya…desmoyens…(ElleposalesmainssurleventredeWillpouressayerdelerepousser.)

Laisse-moi.C’estinconvenant.—Quelgenredemoyens?Lenaluijetaunregardnoir.—Enme soumettant. Tout ce qu’il veut, c’est du sang.Ça neme coûte rien. Il ne peut pas se

permettrede tropm’enprendre et deme tuer. Jene suispas… jene suispasqu’unepauvrepetitevendeusedecharbonsansprotection.

Ses mots le transpercèrent comme une lame. Une rage sourde lui comprima le cerveau et savisionserétrécitjusqu’àcequ’ilnevoieplusqu’unechose:levisageeffrayédeLena.

—Certainementpas.SesmainsseresserrèrentinconsciemmentetLenatressaillit.—Arrête,Will.Lâche-moi!Unhoquetsurlepasdelaportecaptasonattention.MmeWadesetenaitlà,enveloppéedansses

jupesnoirescommelavoiled’unnavire.—Jevouslaisseseulscinqminutesetvoilàcequiarrive!Monsieur,retirezvosmainssur-le-

champ.Ilnel’avaitmêmepasentenduearriver.Quoiqu’ilensoit,l’expressionsursonvisageincitaLenaàluimurmurer:—Net’avisepasdefaireça.Ellearboraitunemouetêtueetdécidée,absolumentpaseffrayée.Etcefutcetteminequiaccorda

unrépitàMmeWade.PeudegensvoyaientunepersonnequandilsregardaientWill.Seulementunmonstre.IlnepouvaitpassouillersonimageauxyeuxdeLena.Ilnepouvaitpasagircommelabêtepourlaquellelemondeentierleprenait.

Ilfermalesyeux,écartalesdoigtsetellereculaensefrottantlesbras.Willsaisitunpandesajupeets’approchadenouveau.Iln’enavaitpasterminé.—S’ilfaitneserait-cequ’unseulgesteverstoi,jeletuerai,Lena.Jel’enterreraisiprofondque

personne leretrouvera jamais.Alorssoit tu trouvesunmoyende l’arrêter,soitc’estmoiquim’enoccupe.

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10

Cinqjoursplus tard,Lenadéposaitunecerisedanssaboucheet lamordillait toutenregardantWill arpenter la pièce. Il avait passé la matinée avec Leo à s’équiper d’une nouvelle garde-robe.Mêmes’ilétaitdesaresponsabilitédeleprésenteràl’Échelon,ilyavaitcertainesétapesauxquellesLenan’étaitpasautoriséeàassister.

Dommage,songea-t-elleenparcourantseslargesépaulesduregard.— Le dos droit, lança-t-elle, étendue sur la méridienne du salon de Leo. Essaie de marcher

commesitutepromenaisplutôtquecommesitutraquaisunbanditdansuneruelle.Elle ne pouvait nier qu’il possédait une grâce séduisante, mais il y avait quelque chose de

dangereuxdanssa façondesemouvoir.Même lorsqu’ilétait immobile, il semblait toujoursprêtàbondir.

Willluijetaunregardsombre.—Tupourrasmefairerépéterautantquetuveux,j’aipasl’intentiondemetrémoussercomme

undecesvautoursauxchemisesbouffantes.Lenaseredressa.C’étaitleurquatrièmeleçonetilnecessaitd’émettredesobjectionsàtoutbout

dechamp.Leproblèmen’étaitpasqu’ilfûtincapable;leproblème,c’étaitqu’ilsefichaitpasmaldesrèglesdebienséance.

—Encoreunefois,dit-elle,lemettantaudéfideluidésobéir.Willcroisalesbrassursapoitrine.—Jevoispasl’intérêt.—Commepourtoutlereste.Contente-toidefairecequejetedis.Tuasacceptédem’obéir.Je

connaiscetunivers.Pas toi.Etpour l’instant, tuas l’aird’unesortedemalabardescoloniesprêtàéclaterlatêtedequelqu’un.

Willserralesdents,pivotasursestalonsetretournaprèsdelafenêtre.Lenaportaunemaindevantsesyeuxetretintunsoupir.L’après-midipromettaitd’êtrelong.—Dis-moi,combienya-t-ildesourcesdepouvoirauseindel’Échelon?—C’estleConseildesDucsquiprendtouteslesdécisions.—EtquisiègeauConseil?—LesseptchefsdesGrandesMaisonsetleprinceconsort.—Quipeutprévaloirsurleurvote?—Techniquement,lareine,àtraverssondroitderégence,répondit-ilentournantsursestalons

d’unairgrandiloquentquiluifitpenseràBlade.Maisellenefaitqu’exprimerlesvolontésduprince.Ses paroles auraient pu être celles de Lena. Malgré son manque d’éducation, Will parvenait

facilementàemprunterdesmotsdesonproprevocabulaire.

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—Commentfais-tupourtesouvenirdetoutça?Jusque-là, il n’avait pasmanqué une seule questionmême si, quand elle lui avait expliqué les

différents jeuxdepouvoirauseinde l’Échelon,elleétaitpratiquement sûrequ’ilne luiavaitprêtéaucuneattention.

—ParcequeBlademel’avaitdéjàappris.Onn’écritpasleschoses,aurepaire.Alorsondoitsesouvenirdetout.Quinousdoitquoi,combien,quiadéjàpayé,lesadresses,lesnoms,quiabattusaprotégée…(Ilhaussalessourcils.)C’estpasdur.

Will reprit sa marche nonchalante en direction de Lena. Il avait retiré son manteau, commesouventquandilétaitenintérieur.Ungiletdetweedgrissculptaitlescourbesdesapoitrineetilavaitde nouveau retroussé ses manches. À l’intérieur de son poignet, un tatouage représentait deuxpoignardscroisés,lamarquedeBlade.Untatouagequ’arboraitchaquehommedesabande.

—Ilvafalloirquetuarrêtesdefaireça,fit-elleremarquer.Lesmanchesdoiventresterbaissées.Etlemanteausurledos.Maislespectacleluiplaisaittroppourqu’elleluifasselaremarque.Elle

piochauneautrecerise,lafittournoyerautourdesatigeavantdelaglisserentreseslèvres.LeregarddeWills’attardasursabouche.—Quoid’autre?Onavularévérence,lespiègesàéviter,lesmanières,dequijedoismeméfier,

quidétientlepouvoir,quinel’apas,cequejevaisdevoirporter…Lenamorditdanslachairpulpeuseetjuteuse,puisavalalacerise.—Ladanse.—Non,finieladanse.(Ilposaungenouauborddelaméridienneetattrapaunfruit.)Onl’adéjà

fait.Letoutsousl’œildésapprobateuretmaterneldeMmeWade.Maintenantqu’ilsétaientseuls…—Absolument,maisnousallonsdanserquandmême.IlsepenchaetbranditunepairedecerisesdevantlabouchedeLena.—Tufaisçapourmetorturer.Lenamorditdansl’undesfruitsetl’arrachaavecsesdents.—Absolument.Ilposal’autredanssaboucheetlemâchad’unairsongeur.—Plus tard, dit-il. Tous ces trémoussementsm’ont déjà cassé les pieds, et je n’ai pas encore

dormi.—Jesuisvraimentdésoléesimacompagniet’ennuie.Willsouleva lespiedsdeLenapourpouvoirs’asseoircorrectement. Ilavaiteffectivement l’air

fatiguéetsesyeuxétaientplussombresqued’habitude.—C’estpastacompagnie.Lanuitdernière,quelqu’unadécidédemettrelefeuàuneboutiqueà

laquelleBladeavaitoffertsaprotection.J’aidûlesretrouver.C’étaituneespèced’ivrognequiafaillise faire dessus quand il nous a vus. Il était tellement imbibé qu’il avait même pas remarqué lespoignardscroisésincrustésdanslaporte.

—D’accord,dit-elleenseredressant.Peut-êtrequ’onvaremettreladanseàplustard.—Etplusdecoursnonplus.Lenapinçaleslèvres.—Pasdedanse,pasdeleçon,peut-êtrequetupréféreraisunepetitedémonstration?—Exactement.Avecunpetitsourire,ellecalasesjambessouselle.LaporterestaitouverteetMmeWadevenait

passerlatêtedetempsentemps,maispourlemoment,ilsétaientseuls.Etelleavaitl’intentiondeluidonnerunebonneleçonpouravoirtrouvésacompagnieennuyeuse.

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—Dis-moi,murmura-t-elle,commentunefemmedémontre-t-elleclairementsadisponibilitéentantqu’esclavepotentielle?

—Paslamoindreidée.Ellerassemblasesjupesdevantelle,puisselevapours’approcherduboldecerises,enajoutant

délibérémentunstylefémininàsadémarche.Elles’emparadurécipientetrevints’asseoiràcôtédelui. Sa jupe frôla ses cuisses. Sa tenue était plus délicate que ce qu’elle portait habituellement enjournée,maisjamaisilnepourraitleremarquer.

Willseraidit.Ellen’avait jamaisvraimentprêtéattentionà lapuissancedesacarruremusclée,alorsquesonpouvoirémanaitdetoutsonêtre.

—Elleportedublanc,pourcommencer,déclaraLenaenpiochantdans lebol.Maisseulementpendantlasoirée,carenjournée,c’estunecouleurconsidéréecommedémodée.Unecerise?

Illaregardafixementporterlefruitàseslèvres.L’espaced’uneseconde,ellesongeaqu’ilallaitpeut-êtrelarefuser,maisilmorditdedans,etlejusquiencoulacoloraseslèvresenrouge.

—Tuferaisça,toi?demanda-t-il,labouchepleine.Pourunsangbleu?Lenaluijetaunregardparendessous.Puiselleléchalesucresursesdoigts.—Ilsmetrouveraientunpeurapide.C’estunedangereuseréputationpourunedébutante.Ilbaissalespaupières,dissimulantsonmagnifiqueregard.—Alorsc’estunjeuquetujoues?Avecmoi?—Cenesontquedesjeux,répondit-elleavecunpetithaussementd’épaule.ElleapprochauneautrecerisedeslèvresdeWillenvoyantlacouleurdesesyeuxchanger.—Jenesuispasentraindet’endormir,si?Willluisaisitlepoignet.—Non.Ilmorditdanslacerisequ’illuipritdesdoigts.—Tantmieux.(Ellesepenchaversluietdésignasagorge,puispassalégèrementsesdoigtssur

sa peau.) Il y a certaines zones du corps qu’une femme laissera apparaître si elle cherche unprotecteur.Siellelescouvre,çasignifiequ’ellen’estpasintéressée.

—Lagorge,parexemple.Elleinclinalecouetluiprésentasapeaudouceavecunegrâcelanguide.—Lesdébutantesneportentnicolliernifoulardàmoinsd’êtreenpassedesigneruncontrat.Les pupilles deWill se dilatèrent, son regard glissa le long de sa gorge et plus bas, dans son

décolletéetàlanaissancedesesseins.Sarobeétaitaudacieuse,mêmepourelle.C’étaitlegenredevêtementqu’elleneportaitquepourlui.

—Quoid’autre?demanda-t-ild’unevoixdoucequifitnaîtreunfrissonsurlapeaudeLena.LesyeuxdeWillsemblaientluilancerundéfi.Lenasepenchaencoreetluiprésental’intérieurdesonpoignet.Lapeauétaitlaiteuseetlesveines

bleuespalpitaientsouslasurface.—Là.(Leursregardssecroisèrent.)Tutesouviensdequellefaçononsalueunefemme?Illuipritlamainparréflexe,maisellegardal’intérieurdesonavant-brastournéverslui.Willse

figeaetl’incertitudecrispalestraitsdesonvisage.—Tupressesteslèvressurledosdesamain,murmura-t-elleenlevantlepoignetverslui.Pour

manifestersonintérêt,unefemmeprésentesonpoignetàlaplace.Ilbaissalatêteetseslèvreseffleurèrentlapeaudélicateàlanaissancedesamain.Unecaresse

froide.Àpeineunfrôlement.Sabarbelachatouillaetfitdurcirsestétonscontreladentellenoiredesoncorsage.Lenaappuyasalanguecontresesdentspourréprimerunhoquet.

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—Siunsangbleuestintéressé,alorsils’attarde,dit-elle.Peut-êtremêmequ’ilposelégèrementsalangue.

Willpenchadenouveaulatêtesanslaquitterdesyeux.Lenaentrouvritleslèvresquandsaboucherecouvrit son poignet pour suçoter la chair. Le contact de sa langue sembla se répercuter au plusprofondd’elle-même.Elleserralescuissesetsentitlefrottementdesaculotte.

—C’est…murmura-t-elle.C’estassezprovocantpourunsangbleu.Willretirasaboucheetsonsoufflechaudséchalalégèretracehumide.LecœurdeLenabattaitla

chamadedanssapoitrinecomprimée.Que lui faisait-il?Commentavait-il renversé les rôlesaussiadroitement?C’étaitinsupportable.

Samainsurlasienneétaituneflambéeaccueillante.Uneinterrogationpassadanssonregard.—Tuprésentessouventtonpoignet?—Pourquoi?Elleremua.L’ambredanslesyeuxdeWills’étaitmisàflamboyer.—Réponds-moi.Letimbrepossessifdesavoixl’électrisa.—Qu’est-cequeçapeutfaire?—Réponds-moi.Ilresserrasonemprisesurelle.—Unefois,admit-elle.J’étaisjeuneetLordRamsayétaitsublime.Maisj’airetenulaleçon.Etje

nel’aiplusoffertuneseulefoisdepuis.Jusqu’àaujourd’hui.—Jenesuispasintéressépartonsang.—Alorsparquoies-tuintéressé?Conscientedupouvoirdesondécolleté,Lenasepenchaenavant,levisagecernéparsesboucles.Lemoments’étiraensilence,suspendudans le temps.PuisWillsepenchaàsontourverselle,

inconsciemment,commemûparuneforceinvisible.Iltenditlamain,effleurasoncorsagedudosdesesdoigts,etcaressalasoiecommepourenmémoriserlatexture.Cecontactallumauneétincelleenelleetelles’appuyacontresamain,pourlaforceràseposersursesseinssensibles.C’étaitlàqu’ellevoulaitqu’illatouche.Justelà.

Tous lespetitspoilsdesoncorpssedressèrent.Ledésirmontaenelle,unbesoindésespérédesentirsesmainssurelle.Lenafitglissersapaumesursacuisseetéprouvasesmusclesfermes.Elleinclinasonvisageverslesien…

Will ouvrit la bouche et tenta de dire quelque chose, mais les mots moururent dans ungrognementavantqu’iln’aitpulesprononcer.

—Bonsang,Lena.Ildétournalesyeux.Puisillarepoussafermementetseredressaenétirantlesbrassurledossier

delaméridienne.—Sijesuislà,c’estpourapprendrelesbonnesmanières.C’esttoutcequim’intéresse.Et,justecommeça,elleleperdit.Laconfusionetlafrustrationcreusèrentuntroubéantaufond

d’elle.Unbesoininassouvi.Ellen’avaitjamaiseudedifficultéàfairetomberleshommesdanssesfilets,maisWillnecessaitdeladéfier.

Elleenavaitlesoufflecoupé.Ellefitunedernièretentative.—Biensûr,toutcommepourlagorge,unpoignetcouvertpeutavoirdifférentessignifications.

(Elledésignasesgantsposéssurlatable.)Turemarquerasquejeportedesmancheslonguespourlesoiroudesgantsquirecouvrentdécemmentmespoignets.

—Commeilsedoit,chuchota-t-il.

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Elleluijetaunregardmaissonvisageétaitinexpressif,indéchiffrable.Ilposasescoudessursesgenouxetl’observafixement.

—En revanche, si une femme porte des gants courts, c’est une autre histoire. Ils dévoilent lepoignetpourleslèvresd’unsangbleu.C’estunsignemanifestededisponibilité,peut-êtremêmedemœursdissolues.

—Etunpoignetcomplètementdécouvert?— Jamais. Seul un protecteur voit une femme avec les poignets découverts. C’est considéré

commequelquechosedetrèsintime.—Etpourtanttunelesportespasencemoment.—Tuasdittoi-mêmequecen’étaitpasmonsangquit’intéressait.Samines’assombrit.Lenas’adossaàlaméridienneetjouaaveclamanchedeWill.— Tu serais peut-être plus intéressé par la différence entre droits de sang et droits de chair,

murmura-t-elle.LesmusclesdesbrasdeWillsebandèrent.—Qu’est-cequeçaveutdire?—Unefemmecèdesesdroitsdesangàsonprotecteurquandelledevientsonesclave,enéchange

desaprotectionetdesonentretien.Pourlesdroitsdechair,c’estdifférent.C’estl’unedeserreursquefait la classemoyenne. Elle s’imagine qu’un protecteur peutmettre son esclave dans son lit aussisouventqu’ilveutboiresonsang.

Willlaregardaintensément.—En fait, ce n’est qu’avec son accord, ajouta-t-elle doucement, bien consciente d’avancer en

terrainminé.Sesdroitsdechairluiappartiennentpleinement.Onserapprochepeut-êtreplusdetondomained’intérêt?(Ellesepenchaverslui,humectaseslèvresetvitsonregardseposersurelle.)Est-cequelachairt’intéresse,Will?

—Pourquoi,c’estcequetuproposes?fit-ild’unevoixbrusque.Parcequed’oùjeviens,onaunmotpourqualifierça.

Ils’écartad’elleetserelevad’uncoup.—Tuconfondslesdeux,répondit-elle.Lesdroitsdechairsontdonnésdepleingré.Leseulprix

estceluiduplaisir.LesjouesdeWilldevinrentécarlates.Ilfourrasesmainsdanssespoches.—Etcommentunprotecteursait-ilqu’ilssontofferts?Lenahaussaunsourcil.Ellepassaundoigtsursaclavicule.—Illatrouvenuedanssonlit.Cettedéclarationsansdétourluiarrachaunsifflementdegorge.Ellesedemandal’espaced’une

secondes’ilnevisualisaitpaslascène.Avecelle.Cettepenséelafitfrémir.—Engénéral,onn’enparlepasouvertement,repritLena,maistoutcommelesleçonsdebonne

conduite,decoutureetdemusique,unejeunefemmesevoitsouvent…donnerquelquesindicessur…lafaçondesatisfaireunhomme,sielledécidaitdeluioffrirsesdroitsdechair.

Non pas qu’elle-même ait appris grand-chose avant que son père soit assassiné et qu’elle soitentraînéeàWhitechapel.Maisiln’avaitpasbesoindelesavoir.

Ilplissalesyeux.—Jesuispresquesûrquetudevraispasparlerdeçaavecunhommequin’estpastonprotecteur.—C’estvrai.(Unnouveauhaussementd’épaulelaissaapparaîtrelapeaulaiteusedesaclavicule.)

C’étaitpourtetaquiner.

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—Encoredesjeux,dit-ilavecdégoût.(Iljoignitlesmainsdanssondosetarpentaletapisdevantelle.)Peut-êtrequetuauraisbesoinquejetemontrelaréactiond’unhommedemonuniversquandunefemmesemontreaussiintrépideaveclui.

—Tun’oseraispas.C’étaitunedéclaration,pasundéfi.Ellesavaitjusqu’oùellepouvaitlepousser.Elledevinaitqu’il

reculeraitàl’instantoùelledonneraitunedimensionsexuelleaujeu.Willseretourna.Etcroisasonregard.—Ahnon?Ilsepenchaenavantetposalesmainssurseshanches.Ilinséraungenouentresesjambes,écarta

sescuissesetlaretintprisonnière.Lenasefigeaquandiltenditlamainpours’emparerd’unemèchedesescheveuxsombresquiretombaitsursonépaule.

—Touslesjeuxauxquelstujoues…jemedemandebiencommentturéagiraissij’yjouais,moiaussi.

L’excitationaffluadanssesveines.Iln’avaitjamaisréponduàsesavancesjusque-là.—Nemedispasquej’aitouchélacordesensible?glissa-t-elle.—Plutôtmesnerfs.Il caressa subrepticement ses cheveux. Puis il plongea les doigts dans les boucles légèrement

emmêléesàlabasedesanuque.Ellesesentitgênéedanssarespiration.IlinclinalevisagedeLenaverslesien.Leurssoufflessemêlèrent.Leurproximitéétaitembarrassante.

Lena avait conscience d’être captive. Elle empoigna sa chemise et leva les yeux vers lui. Sonregardétaitdur,presquecruel.Soudain,cejeuneluiplaisaitplus.

—Lâche-moi,murmura-t-elle.—Pourquoi?C’estpascequetuveux?Mesmainssurtoncorps?C’estpasàçaquetuasjoué

pendantuneheure?Oubienj’aidépassélesbornes?Quoiqu’ilensoit,soissincèreavecmoi.Oubienjevaisfaireprendreàcepetitjeuuneautredirection.

Unseulmot.Oui.Unseulmotetilleferait.Maisencroisantsonregardfroidcommedel’acier,elle comprit qu’il ne plaisantait pas.Quand avaient-ils dépassé le stade du jeu ?Le stade du légerflirt?

Jepariecentlivresquetutetrompes,luimurmuralavoixd’Adeledanssatête.Laprochainefois,jesuissûrequec’estluiquit’embrassera.

Oui?Ounon?LecœurdeLenabattaitsourdementcontresescôtes.Ellel’avaitdéjàembrassé,une fois. C’était un jeu, rien de plus. Mais son message, à cet instant, était très clair. Will nesupporteraitpluslamoindrecomédie.Etunepartd’elleavaitpeurdejouerpourdevrai.

Ellen’étaitpassicourageusequecela.Parcequesiçanereprésentaitrienpourlui,s’ilseservaitd’elleavantde s’endébarrasser, elle risquerait soudaindecomprendreque,pourelle, ça signifiaitquelquechose.

—Non,marmonna-t-elle.LespaupièresdeWills’alourdirent.—Alorsjeveuxplusdeça.J’enaiassezdesplaisanteries.Assezdecesleçonspouraujourd’hui.

Detoutefaçon,ellesserventàrien.Illarelâchaetseredressa.Lena sentit la colèremonter en elle. Elle était fébrile, déconnectée de la réalité. Comme si le

mondeavaitbasculésursonaxeetqu’elleneretrouvaitplussonéquilibre.—Si,ellesserventàquelquechose.J’essaiedet’aider,etc’esttoiquitefichesdetoutcequeje

dis.

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—L’Échelonnem’accepterajamais,quoiqu’ilarrive.Ilsveulentunebête,alorsc’estcequejevaisleurmontrer.

Ilpartitd’unriremoqueurtoutendéroulantsesmanches.Lenas’assittantbienquemal.Sesjupespartaientdanstouslessens.Commesesémotions.Will

avait inversé leur petit jeu et l’avait tourné en dérision. Il n’avait jamais eu l’audace de répondreauparavant. Des années passées à lui lancer des piques, à le taquiner pendant qu’il continuait del’ignorer…Elleavaitsongéquec’étaitlapiredesréactionspossibles–fairecommesiellen’existaitpas–maiscen’étaitpaslecas.Lapiredeschoses,c’étaitderépliquer,dejoueràsontour,d’abattretoutes ses défenses, et ensuite, de baisser sesmanches comme si l’instant ne l’avait pas affecté lemoinsdumonde.

—Danscecas,mesleçonssontinutiles,sesurprit-elleàdire.Elleconstataavecstupéfactionquesavoixnetremblaitpresquepas.Willsefigeaetsesdoigtss’immobilisèrentsursachemise.—Inutiles,reprit-elledansunmurmure,etparconséquent,tun’asplusderaisondecontinuerà

venirici.Ouàm’escorterensociété.Ellevoyaitsespenséestourbillonnerdanssesyeux.—Non,dit-ild’untonbourru.Non.Jevaiscontinuer.—Pourquoidevrais-jeperdremontemps?Elleparvintàserelever,àarrangersesjupesetà lissersoncorsage.Aprèsunbrefcoupd’œil

dans le miroir, elle remarqua que ses cheveux s’étaient échappés de ses épingles. Elle les refixapromptementetsentitlesprunellesdeWillposéessurelle.

Sapeausemitàfourmiller.Qu’ilailleaudiable.—Tun’écoutes riendeceque jedis, tu tournesen ridicule toutes les règlesdesociétéet tu te

moquesdemes efforts, poursuivit-elle en tentantdebraver sonémoi.Tu sais cequ’il y adepire,Will?Lepire,c’estqu’ilstevoientcommeunebêteetquetuleslaissesfaire.(Alorselleseretournaetcroisasonregard.)Tufaistoutcequiestentonpouvoirpourleurdonnerraison,tuvisàlahauteurdetaréputationetensuitetulesméprisesparcequ’ilssefichentdetoi.

Uneflammes’allumadanslesyeuxdeWill.Ilfitunpasverselle.—Cetteréputationestpeut-êtrejustementcequinousmetàl’abri,grogna-t-il.Enplus,jesuisun

loup-garou.Ilsmeverrontjamaisautrement.—Ettoinonplus!Cetéclatdevoixlessurprittouslesdeux.Lenasoufflaetleregardaavecdéfi.—Tutequalifiestoi-mêmedebête,Will,parcequetuesconvaincud’enêtreune.Unepartiede

toi est persuadée qu’elle ne vaut pas mieux que ce qu’ils disent. (Elle inspira en tremblant etpoursuivit :)Turechignesàécoutermesleçonsparcequetudétestesl’Échelon,maisjenefaispasquet’aideràt’intégrer,j’essaiedetemontreruneautremanièredevivre.

Un silence s’installa entre eux.Will ladévisageait, l’air choquéplutôtque furieux.Galvanisée,Lenafitunpasverslui.

—Acceptemesinstructions,chuchota-t-elle.Sers-t’enpourdevenirceluiquetuveuxêtre.Forcel’Échelonà te regarderdans lesyeux.Mets-lesaudéfide te traitercommeunhomme.Unhommedangereux,situveux,maispas…pasunanimal.

Ildétournal’attention,commesilavéracitédesesparolesluiavaitmisuncoup.Puisilcontractasespaupières.

—Ettoi?—Quoi,moi?

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—Commenttumetraiteras?Lenasecoualatêteetremualeslèvressansémettreunson.—Jenesuispassûrede…L’expressiondeWillsedurcit.—Tusaiscequ’ilsdiront.Cequ’ilspenserontquandilsteverrontavecmoi.Est-cequetujoueras

lejeu?Est-cequeturirasdanstamainaveceux,pourassurertapropreplacedansleurmonde?Oùest-cequetuprendraslerisquedesubirleurcensure?Toutrisquerpourprouverquetun’asqu’uneseuleparole?Parcequ’ilyauraunprixàtoutça,crois-moi.Etc’esttoiquilepaieras.

Ellesecontentadel’observer,troubléeparsaproximité.Pasuneseulefoisellen’avaitsongéauprixqu’ilpourraitluiencoûter.Êtrevueaveclui,avecunloup-garou,c’étaitunsuicidesocial.

—Ouais,murmura-t-il.C’estbiencequejepensais.(Iltenditlamainverssajoueettournasonvisageverslesien.)Tupeuxjouertacomédieavecmoi,Lena,parcequeici,personnenetevoit.Ehbien,jesuisfatiguéd’êtretonpetitjouet.Tuaspeut-êtreraison.Peut-êtrequejelaisselesautresmedicterl’opinionquej’aidemoi-même.Maismalgrétoutestesbellesphrases,toiaussi.

Ce fut un choc.Malgré sa haine pour l’Échelon, elle s’était conformée à leurs règles.Elle lesavaitlaissésdéfinirquielleétait.Cequ’ellepensait.Cequ’elleosaitfaireounon.

Saproprecagebienàelle.Willlâchasajoueetrecula.—T’yasjamaispensé,c’estça?Unsourireamersedessinasurseslèvres.Ilrécupérasonmanteausurlatableetlejetasurson

épaule.— J’imagine qu’on se verra à la présentation officielle. (Après un bref signe de la tête, il se

dirigeaverslaporte.)Etalorsonverrasitun’asvraimentqu’uneparole.

Deuxjoursplustard,Willétaitadosséaumurdebriqueetexaminaitl’immensetourblanchequisemblaitpercerlescieux.Lemarbred’albâtrebrillaitsouslapluielugubredel’après-midi,commeunrappelconstantdupouvoirdel’Échelon.Lelendemainsoirs’ytiendraitlaprésentationofficielledèsl’arrivéedeladélégationscandinave.Illuifaudraitalorsfairepreuvedecharmeetdebienséance,afin d’essayer d’amener les Scandinaves à signer le traité. Une tâche herculéenne qui rendait sesmainsmoites.

Ets’iléchouait?Ilnes’étaitjamaisrenducompteàquelpointilaspiraitàlarespectabilitédustatutd’hommelibre.

Sansprixsursatête,avecunelibertétotaledemouvementsansavoiràregarderconstammentpar-dessussonépaule.Lapossibilitédefairetoutcequiluichantait…êtreceluiqu’ildésirait…sansserésigneraufaitden’êtrequ’unhommedemainbourrédemuscles.

Il prenait rarement la peine de s’embarrasser de telles réflexions, mais le discours qu’avaitprononcéLena,l’autrejour,tournaitenboucledanssatête.IldevaittoutàBlade,maisunepartdeluiétaitlassedel’exiguïtédesavie.Unesensationdesoifetd’ambitionrôdaitdansletréfondsdesoncœuretilnesavaitnicommentl’analysernicommentyremédier.

Ilplissalesyeuxenvoyantunecarrioleàvapeurdoréesegarerdevantlesportesdelatourencrachant une épaisse fuméed’échappement. Il l’avait suivie depuisMayfair, où il avait surveillé lademeure deBarrons toute lamatinée.La pluie était propice à la discrétion et le valet ne regardaitjamaisautourdelui.Quelsidiots.UnepreuvesupplémentairedelafacilitéaveclaquelleColchesterpourraitluimettrelamaindessuss’illevoulait.

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Unlaquaisouvritlaportièreetunemaindélicateapparut,suiviedejupesdelacouleurdespétalesderose.PuisLenamitpiedàterreetjetauncoupd’œilnerveuxàlatour.

Chaquefoisqu’illavoyait,c’étaitlamêmechose:ilavaitlesoufflecoupé.Alors,soudain,sondésiretsonaviditépossédaientunnometunvisage.

Etl’effetétaitbienplustroublantquetoutecettehistoireavecl’Échelon.Tunepeuxpasl’avoir.Elleétaithumaine,etluiloup-garou.Ilnepourraitjamaisseretrouverdanssonlitsansrisquersa

vie,risquerdel’infecteravecsonvirus.Iln’auraitmêmepasdûavoiràselerappeler.Will fit la moue, croisa les bras et s’installa pour l’attente. Il ne pouvait pas la protéger à

l’intérieurdelaTourd’Ivoireetçalerendaitfou.IlallaitdevoirseconvaincrequeLenanecouraitaucundanger.

Lecontraireétaitinconcevable.

Lena jeta un regard par-dessus son épaule tout en caressant la plume de corbeau lustrée. LesommetdelaTourdesCorbeauxregorgeaitdecagesd’oiseauxquel’Échelonutilisaitautrefoispourenvoyerdesmessages.Depuis,avecl’inventiondupneumatiqueetdesfréquencesradio,ilsn’avaientplusaucunevéritableutilité,maislescorbeauxrestaientdanslatradition.Ilseraitmêmeétrangedenepluslesvoirtournoyerausommetdelatour.

Et on s’en servait encore à l’occasion. L’échange demessages secrets était revenu à la modeauprès des sangs bleus et des jeunes débutantes. De nos jours, il était considérablement plussignificatifd’envoyeruncorbeauquedesfleurs.

Lenatrouval’horriblevieiloiseauqu’elleconnaissait,ouvrit lacageetl’attirasursonpoignet.Pas toujours aussi précis et efficace qu’un pigeon voyageur, un corbeau pouvait malgré toutretrouverlamaisondanslaquelleilavaitétéélevés’ilavaitétécorrectementdressé.Puisunvaletlerenvoyaitensuiteàlatouravecuneréponse.

Iln’yavaitaucunblasonassociéàlacagedececorbeau;ellen’avaitaucunmoyendesavoiràquiilappartenait.

Unepetitelanièred’acierencerclaitsapattegauche.Ellesortitleminusculetubedecuirdesondécolleté et l’y attacha fermement.Ellen’avait pas encore trouvé l’occasiond’envoyer lemessagequeM.Mandevilleluiavaitconfié.Detropnombreusesvisitesàlacolonierisqueraientd’éveillerlessoupçons et plusieurs jours de réflexion avaient été nécessaires avant qu’elle décide seulement del’envoyer.

Ilnerestaitquevingt-quatreheuresavantqu’ellepuisseparleràMercury.Aprèsunbref coupd’œilpar-dessus sonépaule, elleporta l’oiseauvers l’horlogeouvertequi

dominaitlapièce.Lecadrandebronzeausommetdelatourattirait touslesregards.Unventfroids’infiltrait par ses facettes ouvertes. La trotteuse avança d’un cran juste devant son visage tandisqu’ellebrandissaitlecorbeauetlepropulsaitdanslesairs.

LaTourd’Ivoiresedressaitdevantelle.LaTourdesCorbeauxétaitl’unedesquatrepluspetitestoursquientouraient l’imposantdonjon.Sonmessagerpritde l’altitudeet tournaautourde la tourblancheetétincelanteavantdedisparaîtrederrièreunecathédraleabandonnée.

Samissionachevée,Lenasefaufilaentrelescagespourreprendreladirectiondesescaliers.Elleavait essayé de suivre l’oiseau à l’aide de jumelles, mais elle savait seulement qu’il avait pris ladirectiondel’ouestavantdedisparaître.

VersMayfairouKensington,d’aprèselle.

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Cequisignifiaitquesoncontactdevaitêtrebienintégréàl’Échelon.Unserviteur,peut-être?Oumêmeunesclavehautplacé?Quelqu’unquiavaitaccèsauxsecretsdel’Échelon,entoutcas.D’aprèsl’informationqu’ilavaittransmise,ildevaitêtreprocheduConseildesDucslui-même.

Le lendemainou le surlendemain, un corbeauviendrait gratter à sa fenêtre avecunmessage àtransmettreàM.Mandeville.Leo,lui,supposaitqu’elleavaitunprétendant.

Lenarefermalalourdeporteenbois,laverrouillapuisseretourna.Unéclatdesoienoirepassadanssonchampdevisionet,lasecondesuivante,quelqu’unlaplaquacontresoncorpsetcollaunelametranchantesursacarotide.

—Bougepas,luiparvintunmurmurerauque.Lenasefigea,affolée.Quelqu’unl’avait-ilsuivie?Savait-ilcequ’ellevenaitdefaire?—Quelvisageportelamort?Elle n’aurait su dire s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme.Mais elle reconnaissait cette

phrase.C’étaitlesignedereconnaissancedeshumanistesentreeux.—Unvisagepâle,murmura-t-elle.Lalameducouteaus’écartalégèrement,maisnedisparutpaspourautant.—Ladélégationscandinavearrivedemain, reprit lavoix. Jeveuxque tuanéantisses toutes les

chancesdesignaturedutraité.—Vousvoustrompez.Jenesuisplusconcernée.J’aiparléàMandeville.LalameseresserradenouveauetLenasecambraendéglutissant.Lapersonnequilatenaitétait

plusgrandequ’elle,maisdepeu.—TuneserasplusconcernéequandMercuryl’auradécidé.Unevoixfroide,desmainscruelles.Lenainspiratantbienquemal.—C’estvous,Mercury?Ilyeutunlongsilence.—Jetransmetssesordres.—Commentempêcherlasignaturedutraité?Jenesaispas…—LaBête,murmuralavoix.Sers-toidelui.Lenaserralesdents.—Non.Saréponserésonnadanslecouloirdepierre.Lamainrelâchasataille.—Peut-êtrequeçateferachangerd’avis.Onluifourraunobjetmétalliqueetanguleuxdanslamain.Lenalalevalégèrementetsoncœur

manquaunbattementquandelledistingual’objet.L’undessoldatsmécaniquesdeCharliequ’elleavaitfabriquéelle-même.Ladernièrefoisqu’elle

l’avaitvu,c’étaitsurl’étagèredesonfrère.Danssachambre.—Empêchelasignature.(Lemurmureétaitrude.)Ousinon,jeluiprendraiautrechosequeses

jouets.Puis lapression sur sagorgedisparut etdesbruitsdepas fluides et rapides retentirentdans le

couloir.Ellechancela.Toutcequ’elleavaitpupercevoirdel’humaniste,c’étaitunecapenoireettourbillonnante.Mais

unechoseavaitattirésonattention;aucunhumainnepouvaitsedéplaceràunetellevitesse.Ildevaits’agird’unsangbleu.

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11

L’airdesquaisdusudempestaitleparfum,maispasassezpourmasquerlesodeurssingulièresdelaTamise,unpeuplusétoufféesqu’enpleinété.Çàetlà,desdamesportaientdessachetsaromatiquesàleurnezetd’autresenavaientmêmecoususurleurséventails.

Des Cuirasses étaient alignés sur la plateforme érigée le long des quais, en alerte. La lueurhabituellementbleuedansleursyeuxfendusétaitréduiteàunéclatneutre.L’éclairagedeslampesàgaz vacillait sur leurs plastrons dorés ; l’escadron impérial n’était composé que de deux centsautomates,maiscesderniersétaientparticulièrementimpressionnants.Leplussouventutiliséesdansle cadre de cérémonies, les lames circulaires attachées à leurs bras leur donnaient une attitudesingulièrementmenaçante.

Lenasentitlanervositéfairefourmillersapeau.Laferveurdelafouleétaitcontagieuse,maislajeunefemmen’arrivaitmêmepasàseforceràsourire.Laplupartdesmembresdel’Échelonétaientprésents,parésdebijouxétincelantsetdesoieriesauxcouleursvives.Lesangbleudusommetdelatourpouvaitêtren’importelequeld’entreeux.

Unemainsepressadanssondosetunsoufflefroideffleurasonoreille.—Relax.Ilnetenterarienici.Pass’ilveutavoirlaviesauve,entoutcas.Leoapparutàsescôtésetlaissasamainchaudeaucreuxdesondos.Colchester.Ellel’avaitpresqueoublié.— Je le sais. Pas ici. Pas en public, du moins. (Elle lui coula un regard en biais.) As-tu des

nouvellesde…deWill?Trois jours déjà. Leo avait fait livrer la garde-robe deWill,mais celui-ci lui avait seulement

envoyéunmessagepour lui faire savoirqu’il étaitoccupéparuneaffaire.Lesmotsqu’ilsavaientéchangés,l’autrejour,avaienttouchéunecordesensible.Cheztouslesdeux.Lenas’étaitefforcéedeseconcentrersursonmécanismetransformablepournepaspenseràlui.

Plus facile à dire qu’à faire. À ce stade, elle n’en était qu’à l’assemblage des rouages et desengrenages;maistôtoutard,elleallaitdevoirsouderlesplaquesdetôledel’enveloppeextérieure,façonnerlephysiquedesonguerrier.Mêmeplongéedanssesmécanismes–laseuleactivitéquiluiavaittoujourspermisd’oubliertoutleresteetd’assemblertranquillementlespiècesdupuzzle–,ellenepouvaitluiéchapper.

—Ilviendra.Ils’agissaitd’unedéclarationetnond’unequestion.Leoparcourutd’unregardsombrelafoule

desangsbleusauxcouleurscriardes.—Jedevrairejoindre leConseildès l’arrivéedesScandinaves.Mais jene te laisseraipassans

surveillance.

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—Jemedébrouillerai.Leocherchasonregard,puishochalatête.—Resteici.Jegarderaiunœilsurtoidepuisl’estrade.Au-dessusde la rivière, leciel explosa soudain.Deshoquets retentirent et lesgens semirentà

applaudir.Untourbillondevolutesrosesetbleuesdéchiralecielsatiné,ponctuéparlehurlementstridentde

petitesroquettes.UnebouledefeuorangéesemitàgrossiretbrouillalavisionnocturnedeLena.—Lesvoilà,susurraLeo.Jeferaismieuxd’yaller.Lenaclignalesyeux,puislescontourssombresd’unvaisseauapparurentsurlarivière.Ilglissait

surleseauxhuileusestelunserpent.Quandlevaisseaudragonapparutplusdistinctement,lesriresetlesacclamationscessèrentpour laisser laplaceàdesmurmuresétouffés.Seule résonnait laplaintedesfeuxd’artifice.L’engindeprèsdesoixantemètresdelongressemblaitlégèrementauxchaloupesdeleursancêtres.Unetêtedeserpentsinueusefaisaitofficedefiguredeproueetd’immensesvoilesentoileétaientsoigneusementrepliéessursesflancs.Lacoquemétalliqueétincelaitd’unvernisdoréet les boucliers incrustés de pierres précieuses qui recouvraient les côtés reflétaient la lueur deslampesàgaz.

Flanquédedeuxautresnavires,leursenveloppesd’héliumsedégonflèrentetserangèrentàleuremplacement.Onpouvait lesutiliser dans l’air comme sur l’eau, et elles étaient aussi dangereusesdansunélémentquedansl’autre.D’immensesguerriersétaientalignéssurlesponts,vêtusdetenuesmilitaires bleu foncé, la poitrine couverte de brandebourgs, la tête coiffée d’un casque surmontéd’unelongueplumenoire.Leslumièresdesquaisfaisaientbrillerl’éclatambrédeleursyeux.

—Regardez-les,chuchotaunefemmenonloin.Quelsbarbares.—Oh,commentnepaslesvoir,luirépondituneautredamederrièresonéventail.Desfeuxd’artificeexplosèrentdanslecielavecfrénésieetbaignèrentl’horizond’or,debleuet

derose.Lenaneputs’empêcherdedétournerlesyeuxdesnaviressilencieuxetdelesleververslespectacle.

Ellesentitsaprésencebienavantdelelocaliser.Unfrissonsursapeau.Lafaibleanticipationdesoncorpsquireconnaissaitledanger…enmêmetempsquel’excitation.Will.Ellebaissalatête,lesoufflecourt,etsesdoigtssecrispèrentsursonéventail.Ellelecherchadu

regard malgré les points de couleur qui dansaient devant ses prunelles. La foule n’avait plusd’importance.Nilesnaviresenapproche.NimêmeColchester.

Elleavaitpassélajournéedansunétatd’agitationextrême,incapabledesecalmer.Incapabledefaire quoi que ce soit d’autre que jouer avec sa nourriture ou lire distraitement un paragraphe duTimes.LesparolesdeWillnecessaientderésonnerdanssatête.Etalorsonverrasitun’asvraimentqu’uneparole.

Lenafrissonna.Ellesentaitsonregardsurelle.Desmurmuress’élevèrentdanssondos.Lafoules’agita.Unfourmillementparcourutsanuque.

Quand elle se retourna tout en s’éventant avec énergie, elle vit l’assemblée se diviser et les jupess’écartercommelamerRouge.Ellenelevoyaitpas.Ellenevoyaitqu’unhommevêtudenoirquiavançait dans le passage libéré par les gens, affichant un dédain arrogant. Il marchait à grandesfouléespleinesd’assurance.

Elle nota la coupe élégante de son manteau, soigneusement boutonné jusqu’en haut du côtégauchedesapoitrine.Puissonregardremontavivementetelleécarquillalesyeux.

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Oh,monDieu…Lenacessalittéralementderespirer.Elle ne l’avait jamais vu qu’en chemise débraillée et en manteau informe. Le spectacle qu’il

offrait,ainsivêtupourlasoirée,était totalementdévastateur.Lenoirabsoludesonmanteauattiraitl’attentionsur lacouleurd’orsombredesapeau,etsescheveux, lesmagnifiquesbouclesambréesqu’ellerêvaitdecaresser,avaientdisparu.

Sonéventails’immobilisaetl’extrémitédesesplumeseffleurasapoitrine.QuandWillémergeades ombres, la lueur des lampes souligna les courbes rigides de son visage, et ses yeux couleurbronze se fixèrent sur elle avec une intensité telle qu’aucun spectateur ne pouvait seméprendre. Ils’agissaitd’unregardd’intérêt.D’unintérêtdeprédateur.

Ildevaitarrêterdelaregarderainsi.Lenadétournabrusquementlatêteetpritunebrèveinspiration.Sil’Échelonpercevaitlaforcedu

regarddeWill,saréputationseraitfichue.Etc’étaitexactementlaréactionqu’ilavaitprédite.LesépaulesdeLenas’affaissèrent.Ill’avaitpratiquementmiseaudéfideniertoutlienentreeux.

Malgréletondedérisiondesavoix,elleavaitdéceléunepointedesouffrancedanssesprunelles.Commes’ilsavaitqu’ilneseraitjamaisàlahauteur.Elle se tournadenouveauvers lui, la tête inclinée,parfaitement conscientedesyeuxmalicieux

posés sur eux. Si seulement il ne restait pas debout là, en silence, à attendre qu’elle prenne unedécision, à savoir l’ignorer, ou bien abandonner toute chance et tout espoir d’intégrer un jour cemondeétincelant.

Maiscommentl’Échelonpourrait-ilaccepterWillsielle-mêmeenétaitincapable?Willluioffritsonbras,d’ungesteaussifluideetdélicatques’ilsl’avaientrépétédesmilliersde

fois,etnonpasunedizaine,àpeine.Unelueurdiaboliquebrillaitdanssesiris.Undéfi.—Sivousmepermettez…Lenaacceptasonbrasetperçutmalgrésesgantslachaleursurnaturellequiémanaitdesoncorps.

Desmurmuresaccompagnèrentleurprogressionversl’estradeetlesouriredeLenadisparut.—Jenesuispascenséemonterlà,murmura-t-elle.Au-dessusdeleurstêtes,lesfeuxd’artificecrépitaientdanslecieletlesifflementdesfuséeslui

volaitsesmots.Will sepenchaplusprès.Maintenantqu’elle levoyaitdeprofil, elle s’aperçutque ses cheveux

étaientsoigneusementretenusenarrière.Lesrubansdevelourseffleurèrentsanuque.—J’aicruquetut’étaiscoupélescheveux,laissa-t-elleéchapper.—Tuasl’airsoulagée.Jecroyaisquemacoupeétaittotalementringarde.Paslamoindretraced’unéventuelmalaisedanssavoix.Lenaserralesdents.—C’estlecas.—Alorsjelescouperai.Faceàsonairchoqué, levisagedeWills’éclaira.Puis leursregardsseverrouillèrent.Danger.

Sonpoulss’accéléra.Willpassasamainsursoncrâne.—Ilsmegênent,detoutefaçon.—Faiscequetuveux,mentitLena.Jem’enfiche.Lesourirequ’illuiadressacommeréponsefutsuffisant.—Nousyvoilà,dit-ilenlevantlesyeuxversl’estrade.Aucunsigneduprinceconsortnidelareine,maislesseptmembresduConseilattendaient.

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WillprituneprofondeinspirationetLenaremarquapourlapremièrefoisqu’ilétaitnerveux.Elleluiserralebras.

—Est-cequetun’asjamaisrencontréd’autresmembresdetonespèce?—Non,jamais.(Sonregardglissaverslarivièreets’attardasurlesofficiersdemarinealignés

surlepontduvaisseaudragon.)J’aipassélamajeurepartiedemaviedansunecage,puiscoincéàWhitechapelavecmatêtemiseàprix.

Quelque chose se pinça dans la poitrine de Lena. Elle glissa sa main dans la sienne en lesdissimulantcontresesjupes.Touteslesattentionsétaienttournéesverslarivière.Elleluipressalesdoigtsetilbaissalesyeux,hésitantavantderépondreàsongeste.

—Onfaitunetrêve?murmura-t-elle.Justepourcesoir.—Vapourlatrêve,acquiesça-t-il.Elle grimpa les marches. Un souffle de vent agita ses cheveux, chargé du riche parfum à la

cannelledeLadyAramina.LenaseplaçaàcôtédeladuchesseetretirasamaindecelledeWill.Derrière le bruit des feux d’artifice et le murmure de la foule, un étrange bourdonnement

lancinant s’éleva. À moins de cent mètres derrière le vaisseau dragon, de l’écume se forma à lasurfacedel’eauetlatêtesombred’unétrangeenginfitsurface.

—Qu’est-cequec’estqueça?demanda-t-elle.—Unkrakensubmersible, répondit laduchesse, lesyeuxbraquésdanscettedirection.Letueur

furtifde la forcenavale scandinave.C’est le seul enginàavoir jamais anéantiundenoscuirassésd’escadre.

Surprisequeladuchessesesoitdonnélapeinederépondre,Lenasepermitd’ajouter:—Jecroyaisquelescuirassésétaientinvincibles.—Onnepeutpasluttercontrecequ’onnevoitpas,réponditladuchesse.Etl’onnepeutdéceler

qu’au dernier moment le bruit de ses hélices qui approchent. Si on le coince tout seul, même uncuirasséd’escadrepeutêtrecouléparsestentaculesd’acier.

Le vrombissement retentit dans l’air et Lena sentit presque les vibrations se répercuter sur sapeau.Ellenepouvaitqu’imaginerlapuissancenécessairepourcréeruntelvacarme.

—Enrevanche,ilss’aventurentrarementaussiloindeleurterritoire,ajoutaAraminaavecunairsongeur.Ilsdoiventvouloiressayerdenousimpressionner.

—C’estréussi,réponditLenaenobservantlesvisageséblouisdelafoulequandlatêtebombée,faitedeverreetdemétaldusubmersible,fenditlasurfacepourapparaîtreàlavuedetous.

Lepremiervaisseaudragons’amarra.Deuxdeséquipagesdunavireportaientlatenuebleuedel’arméesuédoise,caractériséepardesépaulettesornéesdeglandsd’or.Tousétaientaumoinsaussigrands queWill. Ils semouvaient avecune efficacitémilitaire et semirent augarde-à-vous quandtroisofficierssurgirentsurlepontavant.

Lederniervaisseaus’approchaduquaiavecunefacilitépresquedédaigneuseets’amarraunpeuà l’écart des vaisseaux suédois. Des marins balafrés et grisonnants se tenaient au bastingage etobservaient la foule d’unœilméprisant.D’épaisses peaux de loup recouvraient leurs épaules et laplupartportaientunebarbeépaisse.

Lesclansnorvégiens.Derrière elle, le bruit de bottesmétalliques résonna sur les pavés.Une carriole apparut sur la

place,étincelantedenacre,ets’arrêtajustedevantl’estrade.LesCuirassesImpérialesdégagèrentunpassage,leursfusilsd’apparatsuspendusentraversdeleursépaulesblindées.

Leprinceconsortdescenditdansunepostureglorieuseetfutacclaméparlafoule.

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Lenane savaitplusoù regarder.Les feuxd’artificequi reprenaientdeplusbelle réduisaient lemondeàuneexplosiondecouleurs.Leprinceconsorttenditlamainverslacarrioleetaidalapetitereinehumaineàdescendresurlequai.Derrièreeux,lesScandinavessemirentenrang,guidésparunhomme imposant en habit écarlate. Il était encore plus grand que Will et les traits de ses jouessculptéessetrouvaientadoucisparsabouchecharnue.

Àcôtéd’elle,Willtressaillaitàchaqueexplosion,lesnarinesévasées.Biensûr.Toutcelaétaittoutnouveaupourlui.

Elletirasursamanche.—Jesupposequecethommeestlechefdeladélégationsuédoise.LecomteStefanHallestrømde

Skåld.Ilsefaitappeler«leMarteaudeGuerre».Lesclansnorvégienseux-mêmesprennentdesgantsaveclui,etpourtantilsn’ontpeurderiennidepersonne.

Ill’observadesesyeuxd’ambreavecindolence.Ilsedétendait,cequiétaitprécisémentl’objectifdeLena.

—LesNorvégienssont…retors,expliqua-t-elle.Officiellement,leParlementaétédissousetilssont désormais soumis à la cour suédoise.Dans la capitale, la plupart se sont adaptés au nouveaurèglement,maisdanslescontréesplusreculéesilssontbienplustraditionnels.(EllejetaunregardaugroupedeNorvégiensauxminesrenfrognéesrassemblésurlesquais.)L’hommeàl’avants’appelleMagnusRagnarsson,leFenrir1duClandesCorbeaux.Ilabeauporterunbandeausurl’œiletavoirplusquenosdeuxâgesréunis,ilestconnupourêtreruséetroublard,etseshommesluivouentunefidélitésansbornes.SonfilsEricsetrouveàsadroite.

Lenaécarquillalesyeux.Elleavaitentendudirequ’ilétaitbelhomme,maislorsqueleguerrierblondaffichaunsourire,lamoitiédesdamesprésentescessèrentderespirer.Leséventailssemirentàs’agitercommeunenuéedepapillons.

—Netelaissepasavoirparsoncharme.Onnegravitpasleséchelonsd’unclansanssemettredusangsurlesmains.Plusleurrangestélevé,plusilsontversédesang.EtEricestvouéàprendrelarelèvedesonpèreunjouroul’autre.

Will accueillit cette déclaration en silence. Lena releva les yeux vers lui. Le loup-garoul’observaitavecunregardperçantetdangereux.

—Quoi?—Jecroispasquecesoitmoiquidevraism’inquiéterdesoncharme.Unevaguedechaleurenvahitsonvisage.Elles’éventarapidement.—Jenevoispasdequoituparles.—Tuaspousséunsoupir.—Pasdutout.—Ondiraitbienquetuasunfaibleredoutablepourleshommes-loups.—Jetegarantisquenon.Elleneputs’empêchermalgrétoutdelaissersonattentionglisserdenouveauverslasilhouette

blondesurlesquais,avecsacottedemaillesenfeuillesd’argentetlalourdehachequiceignaitseshanches.Elleavaitunjour traitéWilldebarbare,maiselleenavaitdésormaisunenchairetenosdevantelle.

Riendemoinsqu’undieunordique.Lesond’une fanfare s’élevadans lesairset les rangsnorvégiens sedivisèrentpourouvrirun

passage.Les loups-garousavaientgagné : tout lemonde tordit lecoupourvoirquiméritaitun telorchestre.

Unejeunefemmepénétradanslesrangs.

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—Oh,murmuraLena.Lesilenceretombasurlaplace.C’étaittoutàfaitjustifié.Lafemmeétaitnonseulementgrandeet

biengalbée,avecunepoitrinegénéreuse,maisellepossédaitunvisagecapablederéduireunefouleaumutisme.Unecascadedecheveuxblondsluitombaitjusqu’àlatailleetunbandeaudoréornaitsonfront.Elleportaitunesimplerobeblancheetunepeaudeloupnonchalammentposéesuruneépaule.Pourtant, elle n’avait pas besoin de plus. L’or et les pierres précieuses seraient passés inaperçusderrièreseslèvrescharnuesetlaperfectiondesacarrure.

—Jerêve,fitWillenhaussantunsourcil.Unepetiteétincellebrûlal’estomacdeLena.Elleluimarchasurlepiedets’yappuyadetoutson

petitpoids.—Tais-toi,avantdet’étouffer,dit-ellesèchement.Ellen’estpassibellequeça.Elle regarda autour d’elle, consciente qu’il continuait de l’observer. La chaleur de son regard

s’attardasursapeauetellesesurpritàaccélérerlerythmedesonéventail.—T’esjalouse?Jecroyaisquec’étaitseulementunjeu.L’éventail ralentit.Elle plongeadans l’intensité brûlante de ses prunelles. Il avait prononcé ces

motsaveclégèreté,maisl’expressionsursonvisageétaittoutautre.—Jenesuispasjalouse.Tupeuxlaregardertantquetuveux.Jem’enfiche.Maismonbutestde

tefaireparaîtreunpeuplusdistinguéqu’uneespècedeploucélevédanslescoloniesquirestebouchebée,tunecroispas?Tuveuxlesimpressionner?

Tandisqu’elle,desoncôté,voulaitlesécarter.Accabléeparunsentimentdeculpabilité,sesdoigtssecrispèrentsursonéventail.—Nemedévisagepascommeça,susurra-t-elle.—Turesteslaplusjoliefemmesurlaquellej’aiposélesyeux.Uncoupaucœur.—Tunedevraispasdiredetelleschoses.Ilhaussalesépaules.Commesiçanesignifiaitrienpourlui.Alorsquec’étaittoutpourelle.Elleavaitreçudesmilliersdecomplimentsinsignifiantsdelapartdesangsbleusdepuisqu’elle

avaitintégrélacour.Lesmotsétaientdestinésaucharmeetàlaséduction.MaisWillnedisaitjamaisrienqu’ilnepensaitpas.Unevaguedechaleurgonfladanssapoitrine.

Puis elle déchanta. S’il apprenait qu’elle avait l’intention d’empêcher la signature du traité, ilentrerait dans une rage folle. Elle pourrait dire adieu à ses sourires et à ses compliments.Will ladétesterait.Lenaserralesdoigtsautourdesonéventailetsentitunechaleurmonterderrièresesyeux.Elledétournapromptement le regardetdéglutit. Jamais il nedevrait savoir.Gagner le soutiendesScandinavesn’étaitpasaussiimportantquelaviedeCharlie.

—Tuenconnaisunpaquetsurlesujet,repritWilltandisqueleprinceconsortfaisaitunpasenavantpoursaluerl’ambassadeursuédois.

Ilséchangèrentlesformulesdepolitesse,àgrandrenfortdesourirestranchantsetdepoignéesdemain.L’ambassadeur s’inclina devant la reine, plus bas qu’il ne l’avait fait pour le prince consort. Il

devaitsavoirquigouvernaitréellementlaGrande-Bretagne;ils’agissaitlàd’uneinsulte,sansaucundoutelapremièred’unelonguesérie.

Peut-êtrequesatâcheneseraitpasaussidifficilequ’ellel’avaitcru,aprèstout?—J’étaiscurieuse.

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Et elle avait eu besoin de connaître ses cibles. Une nouvelle pointe de culpabilité lui noua leventre.

—CeMagnus…murmura-t-il.C’estlechefdesNorvégiens?Elle n’allait pas lui refuser l’information qu’elle avait obtenue grâce à de longues heures de

commérages.— Il ne reste plus que cinq clans en Norvège. Magnus dirige l’un d’eux, mais pour cette

délégation il parle au nom de tous. Le véritable pouvoir, en Norvège, est détenu par ValdemarEinarsson, le jarl2 de tous les clans. (Ellevolaunnouveau regardà la jeune femmequi s’inclinaitdevantlareine.)Ildoits’agirdesafille,LadyAstrid.

—Qu’est-cequisepasseaprèstouteslescourbettes?—NousnousretireronsàlaTourd’Ivoirepourlebaldebienvenue.Levisageduloup-garoutraduisitunlégermalaise.—Oui,Will.Ilvafalloirdanser,dit-elleensavourantl’instant.Onvavoirsituasretenuquelque

chosedemesleçons.

Leslumièresscintillaient.Lasalledebalofficielleétaitsurchargéedemiroirsauxcadresornésdedoruresetintercalésd’élégantespeintures.Willattenditausommetdesmarchesrecouvertesd’untapisrougequesoientannoncéssonnometceluideLena.

Alors,descentainesdevisagesse tournèrentvers lui.Dessangsbleus,des loups-garousetdeshumains, tout confondu. Une brève œillade à la ronde lui indiqua que les Norvégiens s’étaientregroupésdansuncoin,uneexpressionprudenteetconcentréesur levisage.LeFenrirbraquasonregardsur lesien; lebandeaunoirsursonœildétonnaitsévèrementdansceparadisétincelant.Lafourrure se hérissait sur ses épaules et sa barbe argentée portait le poids des ans. Will se sentitsoupesé,jaugéetmesuréparcettepupillesolitaire.

Voilàunhommequ’iln’auraitpasaimésemettreàdos.—Viens,murmuraLenaenletirantparlamanche.Pourquoidiableavait-ilacceptétoutça?Avecl’impressiond’êtretraqué,ildescenditlesmarches

àsescôtés.Lena entreprit de le présenter auxmembresde l’Échelon et l’heure suivante s’écoula dansune

succession de mondanités forcées et de sourires affectés. Des regards durs s’attardaient dans sondos et il surprit plusieurs sangs bleus à en échanger entre eux. Des regards faciles à interpréter.Qu’est-cequ’ilfichaitlà?ÀqueljeuselivraitleConseil?

Les lumières. La musique. Les rires et les paillettes. Des dizaines de lustres éclairés au gazprojetaientleurlumièrechaudesurlasalle.Willgonflalesnarinesetattrapauneflûtedechampagnesurleplateaud’undrone,puislatenditàLena.Elleluifaisaitofficedeseuletuniquechaperondanscemondequiluiétaitétrangeretqu’ilnevoulaitpasconnaître.

CerôleconvenaitàLena.Elleriaitetdonnaitdestapessurl’épauledesesamisduboutdesonéventail, tout en veillant à le maintenir impliqué constamment dans la conversation, alors que luiauraitnettementpréférésecontenterderesteràcôtéd’elleetdefairelamoue.Pourelle,cettesoiréene présentait aucune difficulté. Les sangs bleus eux-mêmes semblaient se plier à ses volontés,maintenusàleurplacegrâceàdessourirescoquetsetuntraitd’espritexpriméd’unevoixenjôleuse.

Àchaquesourirequ’ilsrécoltaientdelapartdeLena,Willavaitenviedeleurfracasserlenez.—J’aibesoindeprendrel’air,gronda-t-ilàsonoreille.—Pastoutdesuite.(Aprèsunregardverssonvisage,ellehochalatêted’unairpensif.)Viens

danseravecmoi.

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Iln’yavaitquepourellequ’ilacceptaitdesubirpareilletorture.Illuipritlamain,l’entraînasurlapistededanseetl’attiracontrelui.Lenaouvritdegrandsyeux

quandellelesentitglisserlamainaucreuxdesondoseteffleurersesjupesavecsescuisses.Maisellen’osapasleréprimanderenpublic.

Willselaissaemporterparlamusiqueetlafittournoyerdanssesbras,concentrésurlecomptedespas.Leurduoauraitpuparaîtreridicule–ilétaiténormecomparéàsasilhouettedélicate–maislagrâcedeLenapermettaitàleurcoupledefonctionner.C’étaitcommedetenirunetoupieentresesmains.Elle flottait dans les airs, avecdesgestes fluides et distingués, une attitude empreinted’unelégèretouchedecoquetterie.Quandilchancelait,ellel’encourageaitd’unsourireauxpaupièresmi-closesquiluifaisaitaussitôtoubliertoussespas.

Quiluifaisaittoutoublier,enréalité.—Arrêtedecompter,murmura-t-elle.Il lui jetauneœilladenoireet luifiteffectuerunepirouette.Souscetangle,sonregardtombait

directementdanssarobeauniveaudubombédechaircrémeusequ’elleexposaitavecbientropdecomplaisance.Desperlesornaientsondécolletéetattiraientsonattentionplusbas.

—Jecroyaisquec’étaitlesfemmesquicherchaientunprotecteurquilaissaientleurgorgeetleurdécolletédécouverts.

Lena lui jeta un regard par-dessus son épaule tandis qu’il lui faisait effectuer une nouvellepirouette.

—Maiscen’estpasmoncas.—Quelcas?Unelégèrehésitation.—Jenecherchepasdeprotecteur.Il resserra ses doigts autour des siens. Il n’aurait même pas dû s’en soucier. Elle ne pourrait

jamais lui appartenir,de toute façon.Mais il entretenaitmalgré tout cettepenséeavecun sentimentaigudesatisfaction.Depossession.

Il se rapprocha d’elle et l’attira contre sa poitrine tout en maintenant ses mains en l’air. LemouvementobligeaLenaàsecambreretàleverlatête.Chaquepasduassahavaitétéélaborédansune intentiondeséduction,dans lebutdeprésenter les femmesauxsangsbleus sous leurmeilleurjour.Willn’avaitaucundésirpoursonsang,maislacourbedoucedesoncouetdesonépauleattiraitinlassablement son regard. Il avait envie de poser ses lèvres sur sa peau et de la sentir frémir, degoûterleparfumdesachairetdel’entendreretenirsonsouffle.

Son sexe se durcit.Que de pensées risquées. Surtout ici, au beaumilieu d’une salle de bal.Lefrottement de la structure sous ses jupes contre son aine était une délicieuse torture qui l’excitaitencoredavantage.

—Tumeserrestrop,chuchota-t-elle.Lesouriresursonvisageétait insouciant,commesiellen’avaitpasconsciencedece fait.Une

énigmepourlesyeuxindiscrets.Sonsouffle,enrevanche,latrahissait.Quefabriquait-il?Willinspiraprofondémentetdétournaleregard.Illafittournoyerlégèrement

etelleseretrouvadenouveaufaceàlui.Ilfutdévastéparl’expressionqu’illutdanssesiris.Peut-être était-ce lié à cet autre après-midi ? Il l’avait mise au défi de l’accepter en public. Il

l’avaitprovoquéeàsespropresjeux.Toutecettehistoireétaitvaine.Ellen’étaitpassienneetneleseraitjamais.Pourtant…ilétaitsi

tentantde la serrer,desouffrir saproximitécommeune torturealorsqu’il savaitqu’ilnepourrait

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jamaisl’avoir.Justecettefois.—Will,murmura-t-elle.Arrête.Ilnepouvaitpaslarelâcher.Mettreladistanceappropriéeentreeux.Ilselaissaitemporterparla

musique, un quatuor de cordes et flûtes avec un contrepoint exotique, légèrement oriental. Ilenchaînaitdésormaischaquepasavec fluidité. Il réfléchissaitmoinset secontentaitde suivreLenadans leur danse sinueuse. Le prédateur et la proie.Mais cette fois, la proie détenait le pouvoir etl’appâtait,l’attiraitdeplusenplusprès.

Puis il ne dit plus rien. Elle non plus. Tout ce qui méritait d’être exprimé l’était parl’entrelacementdeleurscorps.Lenacédafaceàl’inéluctable,lesjouesroses,alanguiedanssesbras.

Alors,ilprétenditqu’elleétaitsienne;sesdoigtsenserraientsespoignetsquandelletournoyait,avantdeglissersurseshanchescorsetées,puisilposaunemainfermeaucreuxdesondospourlaramener contre lui. Il avait oublié les pas. Il en créait de nouveaux.Duprédateur à la proie, leursmouvementss’apparentaientàdespréliminaires.

Lamusiques’arrêtadoucement.Desapplaudissements retentirentetWill s’immobilisa, lesbrasserrésautourdelatailledeLena.Ellerelevalesyeuxetsonexpressionétourdiedisparutquandellerevintàlaréalité.Sesjouess’enflammèrentunpeuplusetellejetaunrapidecoupd’œilpar-dessussonépaule.

Nombre de regards curieux étaient tournés vers eux. Lena essaya de se libérer. Il la retint uninstantenforçantsesyeuxàrencontrerlessiens,puislarelâcha.

Elleeffectuaunerévérenceaccompagnéed’unsourirepoli.—Merci,glissa-t-elletoutbas,bienconscientequ’onprêteraitl’oreilleaumoindremotqu’elle

allaitprononcer.Pourcettemerveilleusedanse.Ilinclinalatête,unsignederespectqu’iln’avaittémoignéàaucuneautrefemmeiciprésente.—Toutleplaisirétaitpourmoi.Unevéritablesurprise,àvraidire.Maissaprésenceavaittransforméunmomentdetortureenun

instantdélicieux.Àsongrandétonnement,ilauraitmêmevoulucontinuer.Toutétaitbonpourlagarderdanssesbras…Willdétourna lesyeux. Ilnepouvait sepermettred’entretenircegenredepensées.Son regard

dérivaversleclandesNorvégiens,laraisondesaprésence.Ilnedevaitpasl’oublier.—Touteslesfemmesvontvouloirdanseravectoi,maintenant,chuchotaLena.—Jenedansequ’uneseulefois.Unlégersourire.—Jepensequesijeteledemandais,tuchangeraisd’avis.—Tumeledemandes?Lenaluijetaunregardparendessous.—Jepensequ’ondevraitéviter.Sijedansedenouveauavectoi,çavaattirerl’attention.—C’estdéjàfait.Lenajetaunregardàlaronde.—Ilfautquejedanseavecquelqu’und’autre.Lamusiquereprenait,unemélodieplustraditionnelle.Unevalse,selonlui.Illuisaisitlepoignet.—Pasleassah.—Non?—Non.

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Cettedanseluiappartenait.EllesouritlentementetlesouffledeWillsebloquadanssagorge.—Pasleassah,danscecas.VaretrouvertesNorvégiens.Jevaisallerécouterlescommérages

quetuassansaucundouteprovoqués. (Ses lèvresaffichèrentunemouetriste.)Tuvasfinirparmerendrefolle,tulesais?

C’étaitniplusnimoinsl’effetqu’elleavaitégalementsur lui.Heureusement, ilnesemblaitpasseulàêtreaffectéparl’étincelledefoliequibrûlaitentreeux.

Aprèsundernierregardenarrière,ellesefonditdanslafouleet,d’undoigt,ellefitsigneàunjeunelordenmanteaujaune.Celui-ciseprécipitaàsescôtésetluioffritsamainpourlaguiderdanslavalse.

Willtournalestalonsetsefrayaunpassageparmilesinvitésenmurmurantdesexcuses.Ilyavaittropdemonde.L’airétaitétouffant.Etiln’avaitpasenviedelavoirdanslesbrasd’unautre.

Il trouvaunepiècedans laquelleétaientproposésdes rafraîchissementsetdescollations. Il tirasurlecoldesonmanteau.Unsouffled’airfraiseffleurasonvisage.Lesrarespersonnesquiétaiententraindeseserviruneboissonréalisèrentquiilétaitetsehâtèrentderejoindrelasalledebal.Cequiluiallaitàlaperfection.

Will s’empara d’une assiette et y empila des friandises et des pâtisseries, ainsi que ces petitsgâteauxqueLenasemblaitadorer.DelégersbruitsdepasbruissèrentsurletapisderrièreluietWills’immobilisaenpercevantlescontoursd’unesilhouettepâlereflétéedanslesaladierencristalposédevantlui.

Ilneleuravaitpasfallulongtemps.Ilseretourna,sedemandantquiilsluiavaientenvoyé,etobserval’inconnuesanssurprise.Avecuneexpressionnerveuse,LadyAstridtraversalapiècejusqu’àlatablederafraîchissements.

Sa robe blanche bien coupée accompagnait tous ses mouvements et créait un effet gracieux etondoyantqu’aucunefemmehumainenepourraitjamaisespérerimiter.

—Vous êtesWilliam Carver, susurra-t-elle en laissant traîner ses doigts sur la nappe tout ens’approchantdelui.

Unbref sourire.Ellen’étaitplus aussi fébrile.Ellene l’avait sûrement jamais été. Iln’enavaitdéceléaucunetracedanssonodeur.

—Nousnenousattendionspasàretrouverl’undesnôtresici.—Jem’attendaispasnonplusàmeretrouverici,répondit-il.Inutiled’essayerdejoueraveclesmots.Ilétaitquiilétait.Toutelapolitessedumondenesuffirait

pas à changer sa nature ou à le mettre à l’aise avec les jeux que les sangs bleus affectionnaientparticulièrement.

Astridluicoulaunregardoblique.—Pourquoipas?—C’estpasmonmonde.Ellel’observacommes’ilvenaitdefairequelquechosed’inattendu.—Vousêtesécossais,c’estça?—Àl’origine,oui.Jesuisnédansunepetitefermeàcôtéd’Édimbourg.Elles’approchaencoreetsonbraseffleuraceluideWill.—Quelâgeaviez-vousquandvousavezreçuledon?Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule en direction de la salle de bal. De l’autre côté de

l’arche, ildistinguaitàpeine les jupesrosesdeLena.Ellediscutaitavecun jeune typequisemblaitpenduàseslèvres.Elleétaitàl’abripourlemoment.

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Ilreportasonattentionsurlafemmedevantlui.—Cinqans.Etjeconsidèrepasçacommeundon.Ilserappelaitàpeinel’inconnuquiétaitarrivédansunecharrette,unjour,fiévreuxettranspirant,

lesbrasrecouvertsd’écorchuresensanglantées.Onavaitappelélemédecin,maisl’hommeétaitalorsentrédansuneragefolleetavaitrepoussélesautrescommeonchassedesinsectes.Willavaitétéledernierencoredebout,leregardrivésurl’étrangeravecunepeurpanique.Iln’avaitaucunsouvenirdelasuite.Maisonluiavaitrapportéqu’ilavaitfallul’interventiondecinqhommespourarracherl’inconnu,quiletenaitàlagorge.

Personnenes’étaitattenduàcequ’ilsurvive.L’hommel’avaitdéchiquetécommeunlapin.Maissoncorpss’étaitreconstituédelui-même.Letempsqu’ilscomprennentpourquoi,ilétaittroptard.Levirusduloupeavaitdéjàbienentamésamutation.

—Jevois.Lacompassionadoucitsonregard,maisl’odeurqu’elledégageaitrestaitdure.C’étaituneleçonà

retenir:ildevaitsefieràsonnezetnonàsesyeux.—Commentavez-vousapprisàvouscontrôler?Étiez-vousseuldansvotrecas?—Mamèrem’avenduàunforainitinérant.Lablessureétaitvieille,guérieetrecouverted’unecroûte,maislacicatricerestaitvisible.— J’ai été enfermé dans une cage pendant dix ans. Quand j’essayais de m’échapper, ils me

donnaient des coups de fouet jusqu’à ce que je m’écroule. (Il but une gorgée de champagne etl’amertumepétillasursalangue.)J’aiapprisàmesdépensànepasperdremonsang-froid.

Astridsemitàjoueravecl’amulettependueautourdesoncou,l’airtroublé.—Commentpouvez-voussupporterd’êtreici?Parmieux?Ensachantqueleursloisvousont

emprisonnépendantdesannées?—Jemecontented’accomplirunesimpletâche.—Unetentativedes’accordernotresoutien?Ilsnousconnaissentmal,n’est-cepas?(Nouveau

frôlement de son bras. Elle fit glisser sa main gantée sur celle deWill.) Et combien vôtre petitemission leur coûte-t-elle ? (Elle prit une profonde inspiration et sa poitrine se gonfla.) Qu’est-cequ’elleimplique?

Illalaissaluicaresserlamain.Elleétaitsublime,maisellen’étaitpasLena.—Jedoisvousameneràsignerletraité.—Enéchangedequoi?—Demaliberté.—Ellevautplusquevotrepoidsenor,murmura-t-elle.—Pourtouslesloups-garousdesÎles,précisa-t-il.Plusdecages,plusdecombatsdefosseoude

misesàprix.Lesloups-garousserontdeshommesetdesfemmeslibres.Unetouchedemalaiseteintal’odeurdesoninterlocutrice.Malgrélesourirequ’elleaffichait,il

avaittitillésaconscience.—Quellenoblecause. (Elle caressa sondoigtmais sonesprit semblait àdeskilomètresde là.

Elle fronça les sourcils.) Vous devriez venir rencontrer mon oncle. Ce que vous dites pourraitl’intéresser.

—Votreoncle?—Magnus.Willenvisagealasuggestion,puisilhochalatête.Ildésignasonassiette.—Laissez-moijusteapporterçaàmacompagne,Lena.

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1.Danslamythologienordique,leFenrirestunloupgigantesquequireprésentelespuissancesduchaos.(N.d.T.)

2.Enlanguescandinave,le«jarl»estuncomte.(N.d.T.)

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12

Ilneluiavaitpasfalluplusdedixminutespours’attirerlesbonnesgrâcesdesNorvégiens.Lenamorditdanssatarteaucitronenadressantunsourireaujeunelorddevantelle,puisjetaun

regardfurtifpar-dessussonépaule.WillserraitlamainauFenriretsaluaitsonfils,Eric.Elleperçutunmouvement.UnemainglissaaubasdudosdeWill.Lenafaillits’étoufferavecsa

tarte.Elleplissa lesyeux.Cette sorcièrenorvégienne.Elle leconnaissaitdepuisunquartd’heureàpeineetessayaitdéjàdesel’approprier.

Elle balbutia une vague réponse à la question que venait de lui poser Lord Folsom puis ellecherchaunmeilleurangledevue.LadéesseblondesouriaitàWilltoutencaressantsonmanteaud’ungestepossessif.Willluijetaunregardamusé.

EtLenasentitsoncœursetordredanssapoitrine.—Vousvoussentezbien,machère?demandaLordFolsom.Il n’était qu’un simple humain. Sa famille n’avait pas été considérée comme suffisamment

importantepouraccéderauxritesdesang.—Àpeuprès,parvint-elleàrépondreenlui tendantsonassiette.Rienqu’unelégèrenausée.Je

devraispeut-êtreéviterlafoule.Elle aurait dû agir à l’encontre deWill,mais elle n’en avait pas le cœur. Elle avait besoin de

s’éclaircir les idées.De se ressaisir.Avant de faire une chose stupide, commedemander àEric dedanserl’assahavecelle.

EllesavaitprécisémentcommentWillprendraitlachose.Ellese frayauncheminà travers l’assembléeet se retrouvaà l’extrémitéde lasalledebal.La

pièceétaitsituéeàl’undesétageslesplusélevésdelaTourd’Ivoireetoffraitunevueàcouperlesouffle sur la totalité de Londres. Une colonnade s’ouvrait à l’extérieur : l’occasion pour unedemoiselledeflâneràunedistancesécuriséedelasalledebal.

Elle poussa les doubles portes et s’approcha de la balustrade. Un souffle d’air fit voler sescheveuxautourdesonvisage.Quelquescentainesdemètresencontrebas, legazonsemblait lanceruneinvitation.Plusd’unsangbleuavaitconnulamortici.Maisjamaispendantqu’unbalbattaitsonplein.Certaineschosesnesefaisaienttoutsimplementpas.

Lenaretirasesgantsetrisquauncoupd’œilàl’intérieur.Avectoutesceslumières,lasalleétaitbienvisibletandisqu’ellerestaitdissimuléedansl’ombre.EllerepéraWillsansdifficulté.Ilsemblaitavoir retrouvé son calme et échangeait de temps à autre un sourire avec les clans norvégiens quitentaientdelecourtiser.

Sonespèce.

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Si on le recouvrait de fourrure et qu’on l’empêchait de se raser pendant quelques jours, onpourraitaisémentleprendrepourl’und’entreeux.

Lena pivota sur elle-même, froissa ses gants dans ses poings serrés et s’appuya contre labalustrade.Tu savais qu’il ne serait jamais pour toi. Pourtant, la semaine passée lui avait donnéquelquesfauxespoirs.Unsourireici,unfrôlementparlà,leursboutades…

S’ilsavaitcequ’elles’apprêtaitàfaire,ilneluiadresseraitplusjamaislaparole.Perdue dans sa détresse, elle entendit à peine la porte s’ouvrir. La brise rafraîchissait sa peau,

maislefrissonsursesbrasn’avaitrienàvoiraveclesouffled’air.Ellefitvolte-faceetsefigeacontrelabalustrade.Colchesterluisouritetlaporteserefermatout

doucement.Derrière lui, les couples de danseurs virevoltaient, leurs silhouettes déformées par lesbaiesvitrées.Siprochesetpourtantsiloin.

LenafitunpassurlecôtéetColchesterl’imita.Untremblementparcourutsacolonnevertébrale.Ellelevalementonetremitsesgants.Siquelqu’unlessurprenait,inutiled’alimenterlesrumeurs

selonlesquellesellel’auraitencouragé.Découvrirsespoignetséquivalaitàexposersapoitrine.Colchesterobservalasoieglissersursapeau.—Çaneteservirapasàgrand-chose,tuenesconsciente?—Jenefaisquerespecterlesconvenances.Ils’approchasanssepresseretseservitdesoncorpspourl’emprisonnercontrelarambarde.Il

tenditlesbrasetposasesdeuxmainsdechaquecôtédesataille.Elle risqua un coup d’œil vers la salle de bal. Les larges épaules d’un homme bloquaient les

portes par lesquelles elle était sortie. Cavendish, d’après elle. Qui avait pourmission d’empêcherquiconquedesortir.

—Jevousaiditquejen’avaispasprismadécision,dit-elle.Elleretintsonsouffleenlevoyantserapprocherdavantage.Ilfitcourirsonregardsursagorge.— Peut-être que la proposition est annulée, de toute façon. Qui voudrait d’une marchandise

souillée?Ses doigts effleurèrent la courbe de sa clavicule. Elle s’appuya contre la balustrade,mais elle

n’avaitnullepartoùs’enfuir.Rienquelevideetlevent.—Unemarchandisesouillée?—Pourunautresangbleu,j’auraisputepardonner.Maispaspourl’unedecesbêtesimmondes.IlposasesdoigtsautourducoudeLena.Elle n’arrivait plus à respirer. Elle plongea son regard dans ses yeux déments et elle sut qu’il

n’hésiteraitpasàpasseràl’acte.—Non.Pasici.Lesgensnousregardent.Ilresserrasaprise.—Tupensesquejem’ensoucie?(Unéclatderire.)Jesuisunduc,Helena.Ettoi…tun’esrien

dutout.Elle saisit son poignet pour essayer de se libérer de sa domination. Il l’étouffait et la tête

commençaitàluitourner.—S…s’ilvousplaît.Ildesserralégèrementlesdoigts.—Excuse-moi?Es-tuen traindesupplierpour tamisérablepetiteexistence?Tun’espas très

douée,machère.Bonsang,réfléchis.

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—Vousvousméprenez.Quoiquevouspensiezqu’ilapusepasser,vousvoustrompez.Leom’ademandé d’enseigner àWill les règles du savoir-vivre pour intégrer l’Échelon. Il ne s’agit…qued’untravail,riend’autre.

Sonregarddevintsongeur.Illuicaressalagorge.—Untravail?Aprèscettedanse?LaBêtem’al’airterriblementpossessiveavectoi,machère.Elleforçaunsourire.—C’estunehabitudegrossièrequej’essaiederomprechezlui.Vraiment…(Elleéclatad’unrire

fragile.)M’accuserd’unechosepareille…Voussavezbienquejepréfèrelesmanièresplusraffinéesdanslavie.Plus…sophistiquées.

—Hmm.(Ilplissalesyeux.)Jenesuispasentièrementsûrquetum’aiesconvaincu.D’un geste brusque, il s’empara d’elle et la fit pivoter pour la presser violemment contre la

balustrade. Ses pieds glissèrent et elle s’agrippa à la rambarde en poussant un cri. Les pavés encontrebassemblaientàdeskilomètres.

—Vingt-quatrepersonnessontpasséespar-dessuscetterambarde,susurra-t-ilàsonoreille.Avectout lechampagneque tuasbucettenuit, iln’yaurait riendeplus facilequedeconvaincre tout lemondequetuasperdul’équilibre.

Il la saisit par la taille et la poussa inexorablement vers l’avant. Il avait relâché sa tête pourl’instantet,mueparuninstinctqu’elleneseconnaissaitpas,ellelarejetabrusquementenarrière.

ElleentendituncraquementassourdissantetColchestersemitàhurler.Lapressionautourdesonbustedisparutetelles’effondracontrelabalustrade.Ils’enétaitfalludepeu…Colchesterseprenaitlevisageentrelesmainsetdusangs’écoulaitentresesdoigts.Elleperçutbrièvementsesprunelles,danslesquellesbrillaitunelueurmeurtrière.

Lenaseruaverslaporte.Elleressentitunedouleursoudainedanslehautdubrasetdusanggiclacontrelavitre.Ilavaitsortisalame,lapetitedontilseservaitpourlessaignées.Elleesquivasamain,tirasurlesportesetseprécipitaàl’intérieur.

Cavendishvacillasurlecôté,lesyeuxagrandisparl’étonnement.LestêtessetournèrentetLenaplaqua un sourire sur ses lèvres, les dents serrées. Dans son état de panique, la salle se mit àtournoyer,lespierresprécieuses,lesvisagesetlesrobescoloréesdevenaientunmélangeconfus.Ellepressavivementsamainsursonbrasetsefrayauncheminàtraverslafouledelaquelles’élevaientdesmurmures.

Iln’oseraitpasl’attaquerici.Pasavecunnezcassé.Aucunsangbleucontrecarréparunesimplehumainenepourraitsereleverdecetoutrage.

Sonrythmecardiaquequimenaçaitdel’étouffercommençaenfinàralentir.Toutcequ’elleavaitàfaire,c’étaittrouverWillouLeo.Elleétaitensécuritédésormais.

Mais ce n’était pas l’impression qu’elle avait. Le sang commençait à couler entre ses doigtsgantés.Lafouledesangsbleusluijetaitdesregardsbientropintéressésàsongoût.Lamusiqueluiécorchaitlesnerfs.

Unebrèche s’ouvrit dans la foule et, soudain, elle se retrouva face àWill.Le regarddu loup-garoulaparcourutpuisseconcentrasursonbrasblessé.Lapièceentièreauraitputomberdansunsilence de plomb. Rien ne changea dans son expression, rien pour indiquer son humeur, maissoudain,ellepritconscienceàquelpointilétaitdangereux.

Unelueurcuivréebrilladanssesyeux.Lafemmeàsescôtésluiposaunequestionencaressantdoucementsonbras.Ils’écartadelatableenl’ignoranttotalement.Lenaneparvenaitplusàbouger.Ellenepouvaitqueledévisagerenpriantpourqu’ilnefassepasunescène.

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Derrière elle, elle perçut la voix deCavendish qui était à sa recherche.Will l’entendit aussi ettournalatêtedanssadirection,leregardassassin.

—Non,mima-t-elleduboutdeslèvres.Mais il était trop tard.Will serra lespoingset se tournaversCavendish. Il coupa la trajectoire

d’uncouplededanseurssansmêmeleurprêterattentionetlavalses’interrompit.Si elle ne réagissait pas, il allait tuer Cavendish. Puis ils n’auraient d’autre choix que de

l’exécuter.Elle retrouvasoudain l’usagedeses jambes.Elle l’interceptaàmi-cheminen l’attrapantparlamanche.

—Arrête-toi,siffla-t-elle.Net’avisepasdefaireça!Aucunhommene l’avait jamais regardée commecesyeuxbrûlants et cuivrés le faisaient.Elle

avait toujours été convaincue qu’il ne lui ferait jamais, jamais de mal, pourtant, l’espace d’uneseconde,ellesefigeadevantlarageetlacruautéqu’ellelutdanssesiris.

—Will.Iln’yavaitqu’uneseulechoseàfairepourl’arrêterdanscescas-là,uneseulechosequipourrait

ledistraire.—Will,jesaigne.Jedoisrentrerpourm’occuperdemonbras.Jenemesenspastrèsbien.Elles’appliquaàfairetremblersesgenouxetàchancelercontrelui.Illarattrapa,commeelles’yétaitattendue.BladeavaitditunjourqueWillétaitl’hommeleplus

dangereuxqu’il ait jamais rencontré,mais que ses instincts de protection surpassaient ses instinctsbarbares.Loupjusqu’àlamoelle.

Quandillasoulevadanssesbras,Lenaenfouitsonvisageaucreuxdesoncou.Voilà.Ellepouvaitdireadieuà seschancesd’intégrer l’Échelon.Ellepourraitpeut-êtreévoluerdans son sillon,maisellen’enferaitjamaispartieintégrante.Willquittalapièceàgrandesenjambéessouslesmurmuresdelafoule.

Ellejetaunderniercoupd’œilenarrièrequandilsfranchirentlesportes.Lestoilettes,lesbijoux,lesdameset leursatours…Terminé.Sachances’étaitenvoléeàl’instantoùelles’étaitblottiedanssesbras.Et,curieusement,ellesentaitunpoidsenmoinssursesépaules.

Lenatournasonvisagedanssoncouetinspirasonparfummasculin.Ellenesavaitpascequ’elleallaitdevenir.Iln’yavaitrienpourelledanslescolonies,etrienpourelleàl’Échelon.Elles’agrippaaucoldumanteaudeWill. Iln’yavaitqu’unechosequ’elleavait toujoursdésiréeetqu’il luiavaittoujoursrefusée.

Maist’es-tuvraimentbattueavectestripes?Elleenfouitdenouveausonvisage,depeurderegarderenfacelaréponseàsaquestion.Ellene

s’étaitpasbattue,elleneluiavaitpasavouécequ’elleressentait.Parcraintedevoirsoncœurpiétinéetdeneplusjamaisoserl’ouvrir.

Ilnesauraitjamaisàquelpointellesecachaitderrièrelesjeuxauxquelselles’adonnaitaveclui.—Paroù?demanda-t-il.Elle jeta un coup d’œil à l’immense escalier circulaire qui plongeait en spirale au cœur de la

Tourd’Ivoire.Certainsparlaientd’unmillierdemarches,maisellen’avaitjamaisprislapeinedelescompter.

—Dansl’ascenseur.Jeveuxunpeud’intimité.Ilsetournaverslesdeuxdamesquilesavaientsuivishorsdelasalledebaletlesrepoussad’un

regardnoir.—Problèmerésolu.—Nediscutepas.Tunepeuxpasmeportersurcettedistance.Noussommesauneuvièmeétage.

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Iltournasonvisageverselle.Deséclatsambrésbrûlaientautourdesespupilles.—Qu’est-cequis’estpassé?Ellesecoualatête.Elledevaitlefairesortird’iciavantqu’ilexplosedenouveau.—Dansl’ascenseur.Levaletenlivréeleuradressaunsignedetête,commes’ilavaitl’habituded’assisteràcegenre

de scène à la sortie de la salle de bal. Les portes en laiton poli s’ouvrirent lentement, laissantapparaîtrelesdélicatspanneauxdesparois.

Willlaconduisitàl’intérieuretlesportesserefermèrent.Elleluifitsignedelareposer.Ilfronçalessourcils,maiss’exécuta.—Alors,qu’est-cequis’estpassé?L’ascenseursemitenmouvementetilsecollaaumur,lesyeuxécarquillés.—Jesuisalléeprendrel’airsurlebalcon.EtColchesterm’asuivie.Willbaissaleregardsursesgantsensanglantés.Sesnarinessegonflèrent.—C’estluiquit’afaitcettecoupure.Saphraseressemblaitàunemenace.Elledevaitdésamorcerlasituation.—Jeluiaicassélenez.C’estéquitable.—Lena.—C’estunesimpleégratignure…—Tuétaisterrifiée,lacoupa-t-il.Ilpivotaetenvoyauncoupdepoingdanslaparoi.Lepanneaudelaitons’enfonçasouslechoc.Elletressaillit.—S’ilteplaît.Nefaispasça.Ilsemaîtrisaavecuneffortmanifeste,puispassaunemainsurlaparoi.—Jeneteferaijamaisdemal.Tulesais.Jeneteferaijamaisdemal.Elleserenditcomptequ’elleétaitpresséecontrelemuropposé,lesnerfsàvif, incapabledese

détendrefaceàlacolèredeWill,quisoufflaitdanslacaged’ascenseurcommeuncyclone.—Oui,j’aieupeur,admit-elle.Maisjesuisensécuritémaintenant.C’esttoutcequiimporte.—Qu’est-cequ’ilt’afait?Qu’est-cequ’ilt’adit?Ilamenacédemetuer.Ellepâlitetsecoualatête.Lorsquelesmachinesàvapeurs’activèrentauplusprofonddescavesdelaTourd’Ivoirepourles

entraîner vers le bas, les cahotements continus devinrent presque hypnotiques.Mais ce n’était pasl’avisdeWill.Ilarpentaitl’espaceexigu,lesmainsdansledos,desflammesdanslesyeux.

—Jedétestelespetitsespaces,dit-il.Alors, elle prit soudain conscience que sa colère et sa nervosité ne venaient peut-être pas de

Colchester.—Est-ceque…est-cequeçaterappellelacage?Elleduts’yreprendreàdeuxfoispourpouvoiracheversaphrase.Illuijetaunregardperçantaccompagnéd’unhochementdetête.—Là,dit-elleenglissantsamaindanslasienne.Jesuislà.Illuifitunpetitsigneetdétournalesyeux.Maissesdoigtsseresserrèrentsursamain.— La cage, c’était pas le pire. Je pouvais encore voir à travers les barreaux. (Il s’assombrit,

comme s’il avait vu quelque chose de l’autre côté des parois polies de l’ascenseur.) Quand jedésobéissais, ilsavaient l’habitudedemebattre jusqu’àmefaire tomberdans lespommes.Maisenvieillissant,cettemenacenemefaisaitplusaussipeurqu’avant.(Ils’humectaleslèvres.)Ilyavaitune

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cave.Trèsprofonde.Ilsm’yenfermaientpendantdesjours,voiredessemaines.Impossibledesavoirtellementilfaisaitsombre.Ilyavaitmêmepasunrat.

Unpetitgarçonperdudanslenoir.Soncœurseserra.—Tueslibre,maintenant.Willcroisasonregard.— Je suis pas libre, Lena. Pas encore. Seulement, la cage est devenue plus grande. J’ai tout

Whitechapelàarpenter.—Pourtanttuesici,aujourd’hui.Sestraitssedurcirent.— Jusqu’à la signature du traité. Je dois m’assurer que les Norvégiens acceptent, sinon c’est

retouràWhitechapelpourmoi,etlesautres,lesgenscommemoi,garderontleurschaînes.Ellerestasansvoix.—C’estcequ’ont’apromis?Ont’apromistaliberté?C’étaitundésastreabsolu!—Lamienneetcelledetouslesloups-garousdel’Empire.Elleselaissaretomberenarrièrecontrelaparoietportaunemainàsapoitrine.Willétaitbien

plusimpliquédanscettehistoirequ’ellenelepensait.Enagissantcontrelui,enmanœuvrantcontrelui,ellemenaçaitd’anéantirseschancesdeliberté.

Ellenepouvaitpasfaireça.EtCharliealors?Ellelaissaretombersesmainssurlecôté.Qu’allait-ellefaire?Despicotements

luibrûlèrentlesyeux.—Lena?Willattendaituneréponse.Maiselleneparvenaitplusàréfléchirassezvite.—Lafilledujarlasemblébeaucoupt’apprécier,dit-elleparautomatisme,commesisoncœur

n’avaitpasaccusélecoup.Situl’asséduite…Ellenepouvaitplusrienajouter.Lesmotsmouraientsurseslèvres.—Jeconnaisabsolumentrienàlaséduction.Lena lâcha un rire, unmisérable petit son insignifiant. Il fallait qu’elle sorte de là. Elle avait

l’impressionquelesmursseresserraientautourd’elle.—C’estlavérité.L’ascenseur s’arrêta enfin et Lena pivota sur elle-même. La sonnette retentit et les portes

commencèrentàs’ouvrir.Lenasefaufilaparl’ouverturedèsqu’elleleput.Une dernière volée de marches jusqu’à l’entrée principale. Elle rassembla ses jupes dans ses

mainsets’apprêtaàdescendrelepetitescalier,maisWillbonditdevantelle,lessourcilsfroncés.—Qu’est-cequivapas?—Rien.Elleessayadepasser,maisilluibloquaitlepassage.Ildescenditdedeuxmarchespourmettreson

visageauniveaudusien.—Will,jesuisfatiguée.Jeveuxrentrer.Cen’estpas…—Tonodeurachangé.(Ilremontad’undegréetsescuissestouchèrentsesjupes.)Dèsquejet’ai

ditcequ’onm’avaitpromis.Laculpabilitéavait-elleuneodeurpropre?ElleappuyasesdoigtssurlapoitrinedeWill.Pourle

teniràdistanceoupourl’attirerplusprès?Elle-mêmenelesavaitpas.Letissudesonmanteauétaitdouxautoucher.

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—Elleaencorechangé,ajouta-t-ilavecdesétincellescuivréesquiparsemaientsesiris,quandtuasparlédeLadyAstrid.(Ilinclinalatêteetposalesyeuxsurseslèvres.)Etellevientdechangerdenouveau.

LecœurdeLenasemitàbattreplusfort.Chaqueémotion,chaqueespoir,rêveetremordsqu’ellepensaitluidissimulerétaienttrahisparsonparfum.Quandellecroisasonregard,ellefutincapablededéchiffrersonexpression.Desprunellesd’ambrebrûlantdanslesquellesellepourraitsenoyers’illalaissaitfaire.Wills’approchaetleurcouleurs’adoucit.

SesintentionscoupèrentlesouffleàLena.Ilallaitl’embrasser.Dansl’entréedelaTourd’Ivoire,alorsquen’importequipouvaitapparaîtreenbasdesescaliers.L’euphories’emparadesonsystèmenerveux.

—Net’avisepasdefaireça,murmura-t-elle.Ils’arrêta,laboucheàquelquescentimètresdelasienne.—Jecomprendsjamais.(Sonregards’assombritavecpassion.)Ouiounon,Lena?Son souffle chaud contre sa peau. Samain se détendit sur le torse deWill. Elle connaissait la

réponseavantmêmedel’exprimer.Etluiaussi.Will captura le «oui » sur ses lèvres. Il prit sonvisage entre sesmains et le levavers lui.Ce

premiercontactfutenivrant.Lenasaisitlesreversdesonmanteauetsehissasurlapointedespieds.Autourd’eux,lemondes’évanouit.Aveclachaleurdesoncorpsfermepressécontrelesien,le

goûtdechampagneetdetarteaucitrondanssabouche,elleoubliatoutlereste.Ellesortitleboutdesalangueetengloutitsonlégergémissement.Commes’ilydécelaitl’autorisationqu’ilattendait,salanguecaressalasiennepuisladévoraavecunepossessionmasculine.

Will posa lesmains sur ses fesses et la plaquabrusquement contre lui.Elle sentit son érectionpresser contre ses hanches.Lena en voulait encore plus.Elle glissa sesmains dans ses cheveux ets’abandonnaauparfumdeseslèvres.Iln’étaitplusquestiondelamaîtrise,deladélicatesseetdelaretenue dont elle faisait preuve quand elle flirtait avec l’Échelon. Il ne s’agissait que de désir etd’avidité,etdelapassioncontenuequicouvaitsouslapeaudeWill.

Lemettredanssonlitluiferaitprendreunrisqueénorme.C’étaitpourtantcequ’elledésiraitplusquetoutcequ’elleavaitvouludanssavie.

—Ramène-moiàlamaison,susurra-t-ellesansoserréfléchir.Cheztoi.Will releva la tête et son corps s’immobilisa. De petites étincelles cuivrées enflammèrent son

regardetellecompritinstantanémentqu’elleavaitditcequ’ilnefallaitpas.Elle l’embrassa de nouveau, luimordilla la lèvre,mais il ne réagissait plus. Il prit son visage

entresesmainsets’écarta,lesoufflecourt,avantdeposersonfrontcontrelesien.—Lena.(Danssabouche,sonprénométaitempreintd’undésirrefoulé.)Jepeuxpas.Onpeutpas.Elleglissasesmainssursontorseetlesposasursonabdomen.—Si,onpeut.Personnenelesaura.(Ellefutparcourued’unfrisson.)J’aienviedetoi,Will.J’ai

besoindetoi.Deça.Cen’estpasunjeupourmoi.Elleavaitprononcélesderniersmotsdansunsouffle.Ilfrémit,lesyeuxfermés,s’efforçantdeluttercontreunechosequ’ellenecomprenaitpas.—Impossible.Ils’écartacomplètement,lesjouesrouges.Illuijetaunregardsombreetdangereux.Avide.Puis

ilsecoualentementlatête.—Mêmeça,çan’auraitjamaisdûarriver.C’étaitcommeuncoupdepoignardenpleincœur.—Tuavaisenviedemoi,chuchota-t-elle.

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—Cedontj’aienvieetcequejedoisfairesontdeuxchosesbiendifférentes.Ilpassasamaindanssescheveuxetretiraleruban.D’épaissesmèchescouleurmielretombèrent

autourdesonvisageetcaressèrentsesjouessculptées.Ce refus la bouleversa. Comme pour se moquer d’elle, son pouls s’accéléra et une sensation

chaudeet lancinantenaquitentreses jambes.Soncorpsn’avaitpasencoreréalisécequesonespritavaitdéjàcompris.

—Pourquoi?—Parcequejesuisunloup-garou,Lena.—Jem’enfiche.Tusaisquejem’enfiche…Willluisaisitlespoignets.—Pasmoi.C’était tout ce qu’elle avait toujours redouté.Elle détourna la tête, les yeuxbrûlants.Cette nuit

s’étaittransforméeenunvéritablecauchemar.—Lâche-moi,dit-elle.L’instants’étira.Puisilfinitparobéiretparreculer.Enfin,ellepouvaitdenouveaurespirer.Elle

déglutitpéniblement,refoulaseslarmesetserrasesgantsfroissés.—Tu ferais bien de retourner au bal, dit-elle. Tu as unemission à accomplir. Je trouverai la

carrioletouteseule.—Lena…—Jepréféreraisquetuyretournes.Jeveuxrentreràlamaison.ÀWaverlyPlace.Incapable de supporter sa présence plus longtemps, elle prit la fuite dans un bruissement de

jupons.

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13

Laclochettedel’entréedelaboutiquecarillonna.Derrièrelecomptoir,l’hommerelevalatêteetsonsourires’estompaquandilaperçutlenouvel

arrivant.D’unregardintéressé,ilparcourutlachemised’ouvrierdeWilletsonpantalondecuir.—Puis-jevousaider,monsieur?Lesvitrinesquiabritaientplusieursrangéesdepistoletsétincelaientsouslafaiblelueurdujour.

Dans un coin se trouvait une autre vitrine remplie d’armes aux formes moins communes ; unearbalètedoréedestinéeàunemain féminine,unemasse, etmêmeunepairedemitainesmuniesdelames de rasoir. Un seul coup de poing suffirait à tuer son adversaire.Will observa longuementl’attirail,puiss’approchadespistolets.Iln’étaitpasicipourlui.

—Jechercheunpistolet,déclara-t-il.Quelquechosededélicat.Lepropriétairehaussalessourcils.—Ceneserapasdonné.Sansleregarder,Willluijetaunepetitebourserempliedepiècesquitintèrentsurlecomptoir.—Jem’yattendais.Ilsepenchaetécartalesmainstoutenobservantlecontenudelavitrine.Unlourdderringer,un

ReichrevolverM1879defabricationallemande,unpistoletdetiràvapeur…etlà,unobjetassezpetitpourtenirdanslamaindeLena.

Lacrossedélicatement sculptéeétait incrustéedenacre.Lesautreséléments étaientdorésetunviseurenlaitonsurmontaitlecanon.

—Celui-ci,dit-ilenposantl’indexsurlavitre.—Unepiècemagnifique,monsieur.Puis-jevousdemandersonutilité?Elleaétéconçuepourle

tiràlacible.—Pourlaprotection.Lepropriétairedéverrouillalavitrineetsoulevalecoffretenacajoudanslequelétaitdisposéle

pistolet.—C’estuncalibre .17.Jecrainsqu’iln’arrêtequedespigeonsoudespetitsanimaux.Àmoins

quevousnesoyezunsacrébontireur.Willtouchalecanonduboutdesdoigts.Quelquesmodifications,quelquesaméliorationsetLena

seraitcapabled’abattreunours…ouunsangbleu.Sonproprepèreavaitconçuuntypedeballequiexplosait à l’impact. Tout ce qu’il avait à faire, c’était reproduire l’alliage chimique et affiner lesballespourqu’ellescorrespondentàcettepetitearmecompacte.

Maintenant qu’il était assuré des moyens financiers de son client, le marchand se montra auxpetitssoinsavecWill.

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—Etça,ajouta-t-ilinstinctivementendésignantlesmitaines.Àl’extérieur,lesoleildardaitsesrayonsdanslarue.LespassantsjetaientàWilldescoupsd’œil

curieux,maispersonnenepipamot.Unejeunefemmevêtued’unerobeencotonbrodéattrapaparlamainsonfils,quidévisageaitleloup-garou,pourl’éloigner.Willfuttentédeleursourireàpleinesdents,maisquelquechosequ’avaitditLenaluirevintàl’esprit.Iln’étaitpasunebête,pasvraiment,malgrécequevoyaientlesfemmesquandellesleregardaient.Ils’efforçadeleuradresserunsignedelatêteetpassasonchemincommes’ilétaitparfaitementàsaplace.

Lanuit avait été longue et le sommeil difficile à trouver.Colchester, l’ennemi sur lequel il nepossédaitquepeud’informations,hantaitsespensées.

Maistrèsbientôt,ilensauraitplussurlui.Si Lena pensait que sa meilleure défense contre un sang bleu était de s’allonger et de se

soumettre,alorsellen’étaitpasauboutdesespeines.Lanuitprécédente,elleavaiteutrèspeur.Mêmelorsd’unrassemblementdeprèsdequatrecentsconvives,Colchesteravaitréussiàl’approcher.

Willentraensuitechezunbijoutier.Deuxsangsbleusvêtusdeveloursetdedentelleexaminaientles marchandises disposées sur le comptoir. L’un portait une perruque parfumée, à la mode del’époquegéorgienne,ets’appuyaitsurunecanne.UneodeurdepourritureperçaitsoussonparfumetWillsentitsespoilssedressersursanuque.

En voilà un qui frôlait dangereusement la Disparition graduelle. Il ne devait pas lui resterlongtempsavantquequelqu’unsedécideàmettreuntermeàsoncalvaire–etàépargneràlavilleunnouveaumassacredevampires.

Quandcelui-ciseretournaens’appuyantsursacanne,l’hommed’âgemoyenluipritlebras.— Viens, grand-père, assieds-toi. (Il le guida vers un fauteuil et fit un signe au gérant de la

boutique.)Duvindesang.Immédiatement.Aucund’euxn’avaitencoresentilaprésencedeWill.Ilparcouraitlesvitrinesenréprimantson

enviedeseretournerpourlesavoiràl’œil.Leurodeurluiglaçaitlesang.Iln’avaitjamaisaffrontéqu’unseulvampire.Etcommepouvaiententémoignerlescicatricessursonventre,celaluisuffisaitamplement. Il s’agissait des seules blessures que son virus n’avait pas été en mesure de guérirtotalement.

Àl’époquegéorgienne,lesdébordementsd’ungroupedevampiresavaientpratiquementmislavilleàsang.Ilsavaientôtélavieàprèsdedixmillepersonnesavantquel’Échelonparvienneàlesexterminerjusqu’audernier.Désormais,quandunsangbleuapprochaitlaDisparitiongraduelle,onlesurveillaitétroitement.Aussitôtquesoncorpscommençaitàperdresescouleurs,qu’unvoile sedéposaitsursesyeuxetquesesdentss’aiguisaient,onluicoupaitlatête.

Laclochettedelaportetintaetunepairedelourdesbottess’avança.Willentrevitbrièvementlerefletdunouvelarrivantdanslavitred’unearmoire.

Un longmanteaunoirornéd’unebandededentelleauniveauducourecouvrait lesépaulesdel’homme.Unemontredepochedoréeressortaitcontresongiletenveloursrouge.Sesgantsblancsenserraientunecanneaupommeaudoré.Iljetauncoupd’œilauxdeuxsangsbleusdanslecoinetunsourireseformasoussonneztordu.

—Quelediablel’emporte,Arsen,déclaral’hommed’untonsecensortantunmouchoirparfumédesapoche.Tun’aspasencoreenterrécevieuxdébris?

Lesdeuxhommessefigèrent.Tandisqueleplusjeunesemettaitàbégayer,leplusâgélevasonvisagepâleetpoudré,unelueurdemalicedanssesyeuxsombres.

—Jenesuispasencoremort,Colchester.Etjet’emporteraipeut-êtreavecmoi.Colchester.

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—J’aimeraisbienvoirça,Monkton, raillaColchester.Jevaispeut-êtremechargerde la tâchequ’Arsenamanifestementnégligéd’accomplir.

ColchesterétaitplusjeunequeceàquoiWills’étaitattendu,avecdesjoueslissesetdescheveuxnégligemment coiffés en arrière qui devaient faire tourner la tête de ces dames. Un individu auxlargesépaulesquisemouvaitaveclagrâcefluided’unépéiste.

IljetaunbrefregardàlatenuedeWilletlelaissadecôtésansplusyprêterattention.C’étaitsapremièreerreur.Unvéritableprédateurneseseraitpasarrêtéauxvêtementsetauraitvul’hommequisetrouvaitdessous.Àforce,sonrangetsapositionl’avaientimmunisécontrelesdangersdumonde.Au sein de l’Échelon, quand deux sangs bleus nourrissaient des griefs l’un envers l’autre, ilss’affrontaientenduel.Will,lui,étaitplusaguerriauxmœursdelarue,oùleshommesprenaientcequileurchantaitenvousplantantuncouteaudansledos.

—Jevousenprie,VotreGrâce,bredouillaArsen.Grand-pèrenepensaitpascequ’ildisait.Nouslesurveillonsdeprès.Nousavonssimplementpenséqu’unpeud’airfraisluiferaitdubien.

—Unehacheferaitmieuxl’affaire.UnsourireencoinétiraleslèvresdeMonkton.—Oui.CommecelledontvousavezoubliédevousservirsurledéfuntetnonregrettéVickers

avantqu’ilsoittroptard?(Iléclatad’unrirerauque.)J’aientendudirequeleduelavaitétéglorieux,quandlaperruqueduducaétéarrachéedevantlacourtoutentière,révélantlavéritésursacondition.Onditqu’ilafalludessemainespourfairedisparaîtrel’odeurdepourrituredel’atrium.

Colchesterserrainconsciemmentlespoings.—Évitez de vous faire des ennemis,Monkton.Vous n’êtes qu’une ramificationmineure de la

Maison deMalloryn. Et Auvry est un ami très cher. Peut-être que je lui toucherai un mot et quel’affaireserarégléedemanièreappropriée.

Les deux hommes blêmirent. Le plus jeune saisit son grand-père par samanche de velours etl’emmenaàl’extérieurtoutendébitantunlongchapeletd’excuses.

Colchesterlessuivitdesyeuxavecuneexpressionennuyée.Ilsortitunepetitetabatièreenétaindesapocheetenhumauneboufféeavecunegrimacedesonnezcassé.

Leursregardssecroisèrentdanslemiroirsertisurlemuropposé.—Vousneseriezpashorsdevotreterritoireici?demandaColchesterenrempochantsaboîte.—Vousseriezsurprisdelaréponse,réponditWill,lesmainscrispées.UnseulaccèsdeviolenceetLenan’auraitplusjamaisàregarderpar-dessussonépaule…Ilfitun

pasversleduc.Lepropriétairede laboutique reparutavecdeuxverresdevinposéssurunplateau.Surprisde

trouverlapiècevide,ilclignalespaupières.Colchesters’emparad’undesverres.—Vraiment,Griffith,quandjevoislespersonnesquevouslaissezentrerici…murmura-t-ilen

observantuncaméeantique.Jevaispeut-êtredevoirplacermesaffairesailleurs.—V…VotreGrâce,bégayalemarchand.UnebulledecolèreéclatadanslagorgedeWill.L’occasions’étaitenvolée.Colchesterlevales

yeux.—Vousêtesencorelà?—J’aidesachatsàfaire,répliqua-t-ilensortantdel’ombre.Soncorpsseraiditetlachaleurmontaenlui.Cetenfoirés’enétaitprisàLena.Ilnesavaitpas

précisémentcequ’illuiavaitfait,maisassezpourlaterrifier.Qu’ilseraitdouxdeselaisseralleretdel’exterminersurplace…maisilpourraitfaireunecroix

sursaliberté,toutcommeceuxdesonespèce.

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Sesinstinctsexigeaientlamiseàmortduduc.Maissaraisonl’endissuadait.IlpouvaitpresqueentendrelesvoixdeBladeetdeLenaquiessayaientdeluiexpliquersonerreur.Desgouttesdesueurperlèrent sur son front.C’était unmondequ’il ne comprenait pas et qu’il ne comprendrait jamais.Maisilleurfaisaitconfiance.Ilsavaitqu’ilsseraientterriblementdéçuss’ilcédaitàsesinstincts.

Colchesternesauraitjamaisqu’ilavaitfrôlélamort.—Savez-vousseulementquijesuis?—Ouais.Jesaisexactementquivousêtes.Unelueurd’intérêtpassadansleregardtranchantdeColchester.Willsentaittoutsonêtrevibrer

sous l’effet de la colère. Pour une fois, il la laissa monter jusqu’à la surface. De l’or en fusiontransformasesyeuxdanslerefletdumiroir.

Colchesterlâchaunhoquetetplaquaunemainàsaceinture,commeprêtàdégainersalame.—Jeferaispasça,àvotreplace,ditWillavantdedétournersonattention.Les petites pierres précieuses reflétaient les rayons du soleil et étincelaient demille feux et de

millecouleurs.Bagues,colliers,bracelets,desrayonnagesentiersdeperlesquivalaientplusquesaproprevie.Ilseconcentradessusens’efforçantd’ignorerleparfumduduc.

LasilhouettedeColchestervacilladanslavitreetcelui-ciplissalespaupièresderrièreWill.—Vousêtesceluiqu’onappelle«laBête»,n’est-cepas?Celuidontlatêteestmiseàprixs’il

pénètredansl’enceintedelaville?Willluijetaunregardpar-dessussonépaule.—Onnevousapasdit?LesyeuxdeColchesternefurentplusquedeuxfentes.—Ditquoi?—Leprinceconsortenpersonnem’aaccordésagrâce.Colchesters’approchadelavitre,lesmainsjointesdanssondos.Sesgestesétaientnetsetprécis;

il était à cran, prêt à en découdre aumoindre écart.Will s’éloigna dans la direction opposée, enlaissantsesdoigtstraînersurlecomptoirenverre.Unevalsemenaçante.Legérants’étaitretranchédanssonarrière-salle,bienconscientdel’électricitéquirégnaitdansl’air.

— Je vois, raillaColchester. Toujours cette plaisanterie d’alliance qu’ils essaient demettre enplace.Jusqu’àlanuitdernière,jen’avaispasévaluéjusqu’oùvousétiezimpliqué.

—Ondiraitquevousêtespasaussiimportantquevouslepensez.Sil’onpouvaittuerd’unregard…—Jemesuislavélesmainsdecetteaffaireilyadessemainesdéjà.Ilafalludesannéespour

vousremettreàvotreplace,vousautressauvages.Pourquoivousréintégrerdansnosviesavectantdecondescendance?(SesyeuxglissèrentsurWill.)Cetteidéeàelleseuleestunevéritableinsulte.

Sarépliqueneluifitnichaudnifroid.IlsefichaitpasmaldecequeColchesterpensaitdelui.Commes’ill’avaitcompris,lesangbleuserapprocha.—Jedoisadmettrequejesuisdéçu.Aprèscequem’aditCavendish,jem’attendaisàunesortede

foufurieux.Ondiraitqu’onvousabiendompté.—Ilyaunlieuetuntempspourtout.—Hmm.Colchester se pencha en avant pour examiner une jolie broche en formede papillon.Une fois

portée,lesailessemettaientàbattre.—Dites-moi,reprit-ilentraçantdepetitscerclessurlaparoivitréeavecsondoigt,vousa-t-elle

enfinparlédemoi?Silence.

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—Elle?—Helena,réponditColchesterenplaçantunaccentintimesurleprénom.Willrelevalatête.Lesouriresurleslèvresduducn’étaitriencomparéàl’expressiondansses

yeuxquandilcompritquesesmotsavaientenfinatteintleurbut.—MachèreettendreHelenaTodd.Wills’efforçadesecontenir.—Pourquoifaire?—Parcequ’elleserabientôtmaprochaineesclave…Non.Will le saisit à lagorgeavantmêmedeprendreconsciencede songeste. Il enfonça sesdoigts

danslachairpâleetleduclaissaéchapperunrire.—Laissez-latranquille,grondaWilld’unevoixdureetfroide.Sivoushumezneserait-cequ’un

effluvedesonparfum,vousavezintérêtàtournerlestalonsetàrepartirdansl’autredirection,c’estcompris?

—Uneffluvedesonparfum?(Colchesterparvintàémettreungargouillis.)J’aieubienplusqueça,espècedebêteimmonde.

—Qu’est-cequevousracontez?—Ellene…vousapasdit?Unelueurdedéliceréchauffasesyeuxbleupâle.Willresserrasaprise.Unvoilerougemenaçaitdel’aveugler.D’unseulgeste,ilpourraitarracherlatêtedecetteordure.

Maisilperçutunmouvement.Lepropriétaire,tremblant,lesobservaitavechorreursurlepasdelaporte.

Pasici.Pasmaintenant.Maislejourviendra,sepromit-il.IlseforçaàdesserrerlesdoigtsetrepoussaColchester.Leducchancelaetallaheurtalesvitrines.

Ilriaittoujoursetlesonqu’ilproduisaitvrillaitlesnerfsdeWill.Ilsedétourna,lesoufflecourt.— Elle a le sang le plus sucré que j’aie jamais goûté, vous savez ? lança Colchester. Elle

ronronnecommeunchatonsousmescaresses…Lasecondesuivante,Colchesterseretrouvalevisageplaquécontreuneautrevitrine.Legérant

recula,etleriredeColchestercessaenfin.Willattiraleducenarrièreetluienfonçasonpoingdansle ventre. Colchester se plia en deux comme un sac de graisse fondue, le visage ensanglanté etincrustédemorceauxdeverre.

Leducluifituncrochetettousdeuxroulèrentàterre.Willsentitunebrûluredanssondosmaisn’yprêtaaucuneattention,concentrésur la ragequidéferlaiten lui. Ilbloqua lecoudeColchesterentresesbrasetparvintàleplaquerausol.Ilgrimpasurlui,branditsonpoing…

Maisilnes’abattitjamais.Unemains’emparadelasienneetserefermaautourdesonpoignettelleunemenotte.—Çasuffit,ordonnaquelqu’un.Willrelevalatêteenmontrantlesdents.—Contrôlez-vous,continualavoixvaguementfamilière.L’inconnuétaitpresqueaussigrandqueWill,avecunecarrureminceetmusclée.Sesyeuxavaient

lacouleurd’unglacier.Ilportaitducuirnoirdelatêteauxpiedsetunplastronrecouvraitsapoitrine.Will cligna les yeux et finit par remarquer la présence des deux gardes derrière l’étranger. Il

baissa le regard sur sonautremain,qui tenait legiletdeColchester.Le sangbarbouillait les traitspâlesduducetdesfragmentsdeverreétaientrestésenfoncésdanssesjoues.

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—Écartez-le de moi ! s’écria Colchester en crachant du sang. J’exige que cette créature soitarrêtée.

C’estalorsqueWillidentifialenouveauvenu.Sir JasperLynch,maîtrede laguildede traqueursdevoleursdesEngoulevents. Ils avaientuni

leursefforts,troisansauparavant,pourarrêterunvampire.Lynchétaitunhommedurmaisefficace.Malheureusement,c’étaitaussiunsangbleu.

LynchtiraWillsursespiedsetjetauneexpressionbelliqueuseauduc.—VotreGrâce,dit-ild’unevoixdénuéedelamoindreinflexion.Surquellesaccusations?—Agression.(Colchesterroulasurlui-mêmepoursereleveretbalayalesfragmentsdeverrede

sonmanteau. Il jetaunregardà la ronde.)Dégâtsmatériels. (Unsourireapparutsurses lèvres.)Ettentativedevol.

Willpoussaungrognementets’apprêtaàbondir,maisLynchluitorditlebrasdansledosetleplaqua contre le mur. Même sous l’emprise de la fureur, il reconnut que l’homme savait quellepressionexercerpourlemaintenirimmobilemalgrésaforcesupérieure.

—Ne soyez pas idiot,murmuraLynch d’une voix de velours implacable.C’est exactement cequ’ilcherche.

IldonnaunedernièrepressionsurlebrasdeWillavantdelerelâcher.Leloup-garoujetaunregardmeurtrieràColchester.—Vousallezdevoirdéposeruneplainteofficielleausiègedelaguilde,annonçaLynch.Ensuite,

nousdevronstrouverunmagistratquil’inculpera.Ainsiqueletémoin,biensûr,ajouta-t-ilavecunsignedetêteàl’adressedugérant.

Colchesterinterrompitsongeste.—Pourquoidiableavons-nousbesoindelui?Vousl’avezvu.Ilm’asautédessussanslamoindre

provocation.—Jecrainsd’êtreintervenudemanièreintempestive,répliquaLynch.Toutcequej’aivu,c’est

deuxhommesentraindesebattre.Ilssesoutinrentduregardquelquesinstants.PuisColchesterplissalespaupières.—Vousfaitesuneerreur,Lynch.Jevousauraifaitremplaceravantlecoucherdusoleil.—C’est peu probable, Votre Grâce, répliqua Lynch. C’est le Conseil qui dirige les forces de

l’ordredelaville.Pasvous.Unlourdsilences’abattitjusqu’àcequeColchesterfinissepardétournerlesyeux.—Ehbien,soit.ColchesterserralespoingssurlecôtéetregardaWillderrièreLynch.Ilsourit,laissantapparaître

sesdentsensanglantées.—Net’imaginepasquetuseraslepremier.Cettepetitegarceauncertaingoûtpourlachose.Cette fois-ci, il fallut l’intervention des trois Engoulevents pour le retenir.Will se débattait de

toutes ses forces pour se jeter sur Colchester. Le duc lissa les revers de son manteau, retira lesmorceauxdeverredesonvisagepuisquittalaboutiquesanssepresser.

—Laissez-lepartir,grognaLynch.Vousneferiezquevousattirerdesproblèmesetiln’envautpaslapeine.

Will releva la tête. Ils l’avaientplaquécontre lemuret il sentitquelquechosedechaudcoulerdanssondos.Lynchl’observauninstantavantdehocherbrièvementlatêtepuisdereculer.

—Lâchez-le,lesgars.Ilss’exécutèrent.—Voussaignez,reprit-ilengonflantlesnarines.

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Will fit lagrimace.Avec le refluxde la fureurmontait ladouleurd’unedizainedebleusetdecoupures. L’élancement s’intensifia encore quand sa vision revint à la normale. Il tourna la tête etpoussaunjuronlorsqu’ilsentitunobjettranchantenfoncédanslesmusclesdesondos.

Lynchenretirauntessondeverre.L’enfoiré.Willsiffla.—Çaauraitétésympadeprévenir.—Vousguérirez,réponditLynch.Çavousapprendrapeut-êtreàgarderlatêtefroide.(Iljetaun

œil à l’un de ses camarades.) Prends la déposition du témoin, Garrett. Et fais une estimation desdégâts.

Pourlapremièrefois,Willregardaautourdelui.Lesoldelaboutiqueétaitjonchédeverrebriséetlesécrinsdepierresprécieusess’étaientrenversésparterre.Dusanggouttaitdesbordstranchantsd’uncasierenverre,celuicontrelequelilavaitplaquéColchester.Ilvisualisacemomentdanssatêteavecunimmenseplaisir.

Legérantévaluaitlesdégâtssansunbruit,lesyeuxécarquillés.—CommentjevaisannoncerçaàMartha?murmura-t-il.Leducvadiscréditermonnom.Ilva

medétruire.Willserralespoings,honteux.Ilauraitdûrefrénersacolère.—Jepaierailafacturepourlesréparations.Lynch le saisit par le bras et le guida vers la porte. Le ciel s’obscurcissait et d’épais nuages

s’amassaientàl’horizon.— Je vous suggère de partir. Je ne serais pas surpris de voir Colchester réapparaître… avec

quelquesamis.Iln’estpasdugenreàlaisserpasserça.Etj’aifaittoutcequej’aipu.Willhochala tête.BonDieu.Àquoipensait-il?Àrien,manifestement.Uneseuleévocationde

Lenaetils’étaitlaissétotalementdépasserparsarage.Puisilplissalesyeux.—Pourquoi?—Pourquoiquoi?—Pourquoim’avoiraidé?Ilpouvaitcomptersurlesdoigtsd’unemainlespersonnesquis’étaientportéesvolontairespour

luivenirenaide;etd’aprèssonexpérience,ilyavaittoujoursunprixàpayer.Lynchs’arrêtasurleseuiletobservalafouledecurieuxquicommençaitàseformer.Depetites

ridesapparurentauxcoinsdesesyeuxetilfronçasessourcilssombres.—Ilyatroisans,Bladem’asauvélaviedansleségouts.Jeluisuisredevable.Disonsqu’onest

quittes.Willremarqualatensiondanssesépaules.—Et?Lynchfrottasajouelisse.—Ilya…unecertainepressionde lapartduConseil. Jedois localiserun révolutionnairedu

nomdeMercury. Il dirige lemouvementhumaniste àLondres et il est directement responsabledel’incendiedesusinesdedrainage.Jenesuispasidiot,Carver.Bladeadesoreillesdansdeslieuxqueje ne pourrai jamais infiltrer. (Il regardaWill droit dans les yeux.) Et vous aussi. J’ai senti votreodeurdanslestunnelsquandonaarrêtélesdeuxcoupablespourlesusines.

—Onarienàvoiravecça.—Jesais.Ilsnousonttoutdit.IlspensaientavoirtuéBlade.—Ilsl’ontàpeineégratigné.

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Nul besoin de répandre la rumeur que Blade était faillible. Sa légende permettait de tenirl’Échelonàdistancedepuisplusdecinquanteans.

—VousvoulezdesinfossurMercuryalors?—Toutcequevouspourrez.Unfrissonremontale longdesonéchine.Lynchétaitdésespéré.Il lepercevaitàsonodeur.Le

Conseil devait resserrer le nœud coulant autour de sa gorge. Tout le monde savait que lesEngouleventsétaientcomposésdesangsbleusrenégats– lessangsbleuscréés illégalementouparaccident. La plupart étaient tués aussitôt qu’ils étaient infectés par le virus du besoin. Ceux quipouvaient se contrôler se voyaient proposer une alternative : une vie solitaire et sinistre dans lesrangsdesEngoulevents,tenusenlaisseparleConseil.Ilsétaientutilesàl’Échelonmaisn’enferaientjamaispartieintégrante.

Desimplesconsommables.Surtouts’ilsneremplissaientpasleurrôle.L’imagede la lettrecodéequeLenaavaiteuensapossession lui revintbrusquementà l’esprit.

S’ilyavaituneseulepossibilitépourqu’ellesoitliéeauxhumanistesetàceMercury…Lapeursemitàluirongerl’estomac.Dansquois’était-ellefourrée?D’abordColchester,etmaintenant,ça?

— Je vais garder l’œil ouvert, dit-il, conscient du regard intense de Lynch posé sur lui. Sij’apprendsquelquechose,jevousletransmettraiaussitôt.

Lynchlescruta.—Àvotreplace,jen’essaieraispasdemedoubler,Carver.Vousavezintérêtàmerapportertout,

absolumenttoutcequevousentendrez.Willhochalatête.Sonstressn’avaitcertainementpaséchappéauxEngoulevents.—Oui.Jevoustiensaucourantsij’apprendsquoiquecesoit.Maisd’abord,ildevaitdécouvrirdequoiilretournaitexactement.

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14

Une légère brise effleura sa peau. Lena releva les yeux des rouages et des engrenages quijonchaientsonpetitbureau.Ellehissaseslunettesgrossissantessurlesommetdesoncrâne,reposasesfinespincesetseleva.Sarobedechambreensoieroseretombasursespieds.

— Il y a quelqu’un ? lança-t-elle en resserrant les pans de son peignoir avant d’en nouer laceinture.

Ilétaitprèsdeminuit.MmeWades’étaitretiréedesheuresplustôtmaiselleavaitétéincapablededormir. Trop de pensées tourbillonnaient dans sa tête. Elle s’était dit qu’elle ferait aussi bien d’enprofiter pour travailler sur le mécanisme grandeur nature que lui avait commandé Mercury. Lesrouagesétaientsimplesetcoulissaienttoujoursaisément…Contrairementàsavie.Enplus,ilneluirestait plus qu’une semaine avant la signature officielle du traité. Elle avait commencé par lemécanismeinterne,maisunesemainesuffiraitàpeinepourl’achever.ElleallaitdevoirdemandersonaideàMandevillepourlerevêtementextérieur.

La porte entre le salon et sa chambre grinça sous l’effet d’une brise qui n’avait pas de raisond’être.Lenas’emparadutisonnier.

Elle s’avança, le cœurbattant. Personnen’oserait l’attaquer ici, n’est-cepas ?Les lieux étaientbien gardés,même la nuit, car nul n’ignorait que des assassinats étaient régulièrement perpétrés àl’Échelon.LeducdeCaineétaitsouventsouffrantetLeoendossaitlerôledechefdelaMaison.Unebonne demi-douzaine de sujets mineurs de la Maison allaient commencer à nourrir de nouvellesambitions,aucundoutelà-dessus.

Letonnerregrondaauloin.

Lafaiblelueurd’unelampeàgazbaisséeàsonminimumsuffisaitàpeineàéclairerlachambreplongée dans l’ombre de l’autre côté de la porte. L’espace d’un instant, Lena fut tentée d’allerréveillerlesoccupantsdelademeure.Maiss’ils’agissaitsimplementduloquetquis’étaitentrouvertàcausedel’orage,ellelesauraitdérangéspourrien.

Elleseglissadansl’entrebâillementdelaporteenjetantdesregardsinquietsdanslachambre.Sesrideauxvaporeuxflottaientdans leventet lapluieéclaboussait lesolciré.L’unedesportesdesonbalcons’étaitouverte,maisaucunsignedequiconquedanslapièce.

—Fichuvent.Ellerefermalaporteetrepoussaénergiquementleloquet.Unéclatdelumièrejaillitsoudainetle

solcraquaderrièreelle.Un hurlement monta dans sa gorge et fut capturé par une large main, à coup sûr celle d’un

homme. Il la plaqua contre son torse ferme et l’eau de ses vêtements imbiba son dos. Ses lèvres

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étaientpresséescontresapaumehumideetsonsoufflechaudeffleurasonoreille.—Chhh.Will.Ellepouvaitdécelersonodeur,maintenant,unmélangedemusc,depluieetd’airfrais.Le

tisonnier s’échappa de ses doigts engourdis. Le loup-garou amortit sa chute avec son pied et ledéposasurletapis.

LecœurdeLenabattaità toutrompre.Ellese laissaallerdanssesbrasetsapoitrinefrôlasonpoignet.Ellecaptaunmouvementducoinde l’œil.Unmiroir surpied reflétait leurcoupleenlacédansuneétreintecoupable.QuandWillcroisasonregard,Lenaécarquillalesyeux.Ilétaitimmense,humideetsombre.Uneétincelleambréebrillaitdanssesiriscommeunavertissement.Àenjugerparsonexpression,ilsemblaitfurieux.

Elleplissalespaupières.Iln’étaitpasleseul.Ceseraitladernièrefoisqu’illuiferaitpeur.Ellemorditlachairtendredesapaume.—Sijetelâche,tuvastetenirtranquille?Lenasetortillafurieusement.—J’imaginequeçaveutdirenon.Il l’attira vers le lit et la jeta dessus. Avant même qu’elle ait rebondi sur le matelas, il avait

ramasséuneétoleensoiesurlesoletlaluifourraitdanslabouche.Lenaouvritdegrandsyeuxetluidonnadescoupsdepiedenémettantdessonsétranglés.Willla

saisitparlespoignetspourlaplaquersurlecouchagepuisill’enfourcha.Danslalutte,lepeignoirremontasursescuisseset,quandWillbaissaleregard,elles’immobilisa.Unfeuintensecouvaitdanssesprunelles.

—Pouce?Lenaacquiesça silencieusement. Il reculapour sedresser sur sesgenoux, tandisqu’elle retirait

l’étoledesabouche.—Qu’est-cequetufichesici?Ilplaquaunemainsursabouche.—SiBarronsmetrouve,onseracontraintsaumariageenmoinsdetempsqu’iln’enfautpourle

dire.(Leursregardssecroisèrent.)Etaucundenousneveutça,onestd’accord?Son pouls devint irrégulier. Puis elle secoua la tête avec véhémence. Elle avait été témoin du

bonheuretde lachancede sa sœur.La seulechosepirequ’unmariage forcé seraitunmariagedesentimentsnonpartagés.

Willl’observaunlongmoment,lestraitsdurs.Ilretirasamaindesaboucheetlalaissaglissersursajoueavantdelareposersursescuisses.

— Il ne nous unirait pas de force, de toute façon,murmura-t-elle. Leo t’escorterait jusqu’à lasortie,retireraitletreillissousmafenêtreetferaitcertainementcommes’iln’avaitrienvu.

—C’estpasçaquim’arrêterait. (Il jouaavec laceinturede sonpeignoir.Puis il réfléchit àcequ’ilvenaitdedire.)Sijevoulaisentrerici,compléta-t-il.

— Arrête. (Elle posa sa main sur la sienne. La paume de Will fut aplatie sur son ventredélicieusementchaud.)Tuprendsbeaucouptropdelibertés.

—Ceseraitpaslapremièrefoisqueçaarriverait.QuelquechosedanssonexpressionalertaLena.—Qu’est-cequetuentendsparlà?Unlongsilence.—Rien.Elleavaitlasensationqu’ilneparlaitpasdubaiserqu’ilsavaientéchangé.Lenarepoussasamain.

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—Qu’est-cequetuveux?Qu’est-cequetufaisici,d’ailleurs?Will lissa ses cheveux en arrière et des gouttes tombèrent dans son col ouvert. Il affichait une

expression dure et ferme. Il brandit un morceau de papier et, avec un sursaut, elle comprit qu’ils’agissaitdel’autremoitiédelalettrequ’illuiavaitarrachéedesmains.

Ladernièrefoisqu’elle l’avaitvue,elle l’avait fourréedans leconduitde lacheminéederrièreunebriquedescellée.Ellepourraitainsiprendreletempsd’essayerdeladéchiffrer.

—Jecherchelavérité,déclara-t-il.Puisqu’ilestpeuprobablequejel’obtiennedetoi.—C’estàmoi.Lena tenta de s’en emparer mais il tenait fermement le papier. Ils se jetèrent un regard noir

réciproque.LachemisedeWillcollaitàsesépaulesdemanièreindécente;sesmanchesétaientremontéeset

songiletencuir sculptait tous lesmusclesdeson torse.Unegouttedepluieperlaitaucreuxdesalèvre et une autre coula sur sa joue rugueuse.Oh,Seigneur, comme elle avait envie de passer sesmainssursapeauetdesuivrelesillagedecettegoutteavecsalangue…Enfouirsesdoigtsdanslefouillisdesescheveuxhumidesetattirersaboucheàelle.Surseslèvres.Lenafrissonnad’undésirrefoulé,nonpartagé.

—Qu’est-cequetuvasenfaire?Ladécoder?—Ouais.Lenas’humectaleslèvres.—Çavautpeut-êtremieux.(Ellevoulaitautantqueluienconnaîtrelecontenu.)Tantquetun’en

soufflesmotàpersonne.—TuaspeurqueHonoriatecriedessus?—J’aipeurqu’ellem’enfermedansuncouvent.—Peut-êtrequeceseraitunebonneidée.L’orfusionnaitdanssesyeux.Lenasefigea.Illuiavaitbienfaitcomprendrequeleurbaiseravaitétéuneerreur.Pourtant…ses

tétons durcirent sous son regard brûlant. Il la regardait presque avec…gourmandise. Son humeurétaitimprévisible.

Elledevaitlemettredehorsavantdefaireungestestupide.—Tun’esvenuquepourça?(Ellerelâchal’extrémitédupapier.)Tum’asfaitmourirdepeur.Lapluiemartelaitlesfenêtres.Wills’agenouilla.Ilnesemblaitpaspressédepartir.—Will?Toutçaauraitpuattendredemainmatin.L’expressionduloup-garourestaitsombre.—Ilfautqu’onparle,toietmoi.—Pascesoir.Siquelqu’un…—Cesoir,coupa-t-ilavantqu’unautre roulementde tonnerrene résonnedans lapièce. Je t’ai

laissétachance.Cesoir,j’enaiassez.Jeveuxdesréponses,etjet’assurequetuvasmelesdonner.Toutcequetuasàfaire,c’estderépondreparouiouparnon,tuascompris?

Lena hocha lentement la tête.Will s’efforçait de semaîtriser. Il n’osait pas se laisser aller.Cesoir-là,ilpossédaitunesauvageriequiincitaitàlaprudence.

—TusaisquiestMercury?Elleretintsonsouffle.—Jene…Jenesuispassûrede…Willposaundoigtsurseslèvres.—Ouiounon.Est-cequetusaisquiestMercury?

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Oùavait-ilbienpuentendresonnom?Etpourquoilasoupçonnait-ild’avoirunlienaveclui?Elle devait faire preuve d’honnêteté, ou qui sait quelle serait sa réaction ? Lena approuva avechésitation.

—Oui.Ellecompritquecetteaffirmationneluiplaisaitpas.Ilfronçalessourcils.—Bonsang,Lena.Dansquoidiabletut’esencorefourrée?Impossiblede répondreà cettequestionparun simpleouiounon.Commes’il comprenait ses

intentions,ilplissalesyeux.—As-tuunquelconquerapportaveclemouvementdeshumanistes?AvecMercury?—Oui.Etnon.—Lena,lesEngouleventssontàlapoursuitedeMercury!Ilneleurfaudrapaslongtempsavant

demettrelamainsurluietsurtousceuxquiontunlienaveclui!Aujourd’hui,j’aidûpromettreàSirJasperLynchquejeluicommuniqueraistoutcequej’apprendraissurlui.Maisjesavaisquec’étaitunmensonge,parcequej’étaissûrquetuétaisimpliquée.(Ilpassasesmainsdanssescheveuxavecunregarddedégoûtpourelle.)Qu’est-cequejevaisfairedetoi?

Cette question fit venir une quantité de réactions à l’esprit de Lena. Mais il n’approuveraitcertainementaucuned’entreelles.

—Alors?Tuvasmedirecequisepasse?Laréponseàcettequestionétaittrèssimple.Lapaniquemonta.—Non.—Mauvaischoix,mabelle.—C’estleseulquejesuisenmesuredefaire.—Jepourraist’obligeràmeledire.Ilsedressaau-dessusd’elle.Lenareculasurlelitjusqu’àenheurterlemontant.—Jecroisquetun’oseraispas.Étantdonnéquetun’aspasenvieplusquemoid’êtresurprisdans

machambreenpleinenuit.Jevaiscrier.L’expressionsurlevisagedeWillluicoupalesouffle.—Essaieunpeu,dit-il.Sagrandemainenserrasachevilleetlachaleurindécentedesapeaulaconsuma.Ill’attiravers

luiavecunregardvorace.LepeignoirdeLenaglissasurlesdrapsensoieetremontasurseshanches.Puisiltombasurses

épaules.Ilyeutuninstantoùelleauraitputoutarrêter.Uninstantoùlaraisons’enmêla.Uninstantoù elle revit l’expression dans son regard… Était-elle bien réelle ? Ou l’avait-elle seulementimaginée?Avait-ilenvied’elle?

Pitié, à l’aide, pria-t-elle en silence. Puis elle fit un léger mouvement et le peignoir chutatotalementdesesépaulespourretomberautourdesataille.

Ilfallaitqu’ellesache.LeregarddeWills’aiguisa.Desflammes,dudésir.Uneintensitéquilafitbrûlerdel’intérieur.

Elle ne s’était pas trompée. Ce n’était pas l’indifférence qui crispait ses traits et qui bandait lesmusclesdesesavant-bras.

Ce fut une sensation grisante. Elle retint son souffle quand il tendit le bras pour prendre sonmentondanssamain.Oui,ohmonDieu,oui.

IltournalevisagedeLenasurlecôtépourcaressersagorgeduregard.Puisdel’autrecôté.Lenafronçalessourcilsetsaisitsonpoignet.Qu’était-ilentraindefaire?

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Ignorant le décolleté en dentelle festonnée de sa chemise de nuit, il lui prit le poignet et leretourna.

Non.Lesoufflecourt,elletirasursonbras,souslechoc.Ellesavaitexactementcequ’ilcherchait.—Lena.Ilempoignalebasdesonpeignoir.Lalueurambréequienflammasonregardaffolalajeunefemme.Cen’étaitplusWill;seulement

le prédateur, le visage crispé par la colère. Elle agrippa sa main et la fit glisser plus haut, surl’intérieurdesacuisseetlacicatricequis’ytrouvait.

L’horriblepreuvedecequeColchesterluiavaitpris,cefameuxjour,danslaruelle.—C’estçaquetucherches?Ellelerepoussaetserapprochaduborddulit.Elleressentituneprofondedouleur,semblableà

uncoupdecouteau,danslapoitrine.L’espaced’uninstant,d’unbrefinstant,ellecrutqu’ilallaitdenouveaul’embrasser.

Elleremontalepeignoirsursesépaulesetresserralaceintured’ungestevif.—Commenttul’assu?Aucuneréponse.Lenaseretournaetletrouvaàgenouxaumilieudesonlit,latêteinclinée,lespoingsserrésdans

sesdraps.Un frissonparcourut les épaulesdeWill et samain fut agitéed’un soubresaut. Il relevalentementlatête.Lenasesentitfrémirmalgréellequandleursregardssecroisèrent.

—Colchesterm’atoutdit,dit-ild’unevoixrauque.Ilm’aditqu’ilt’avaiteue.Unevaguedechaleurluimontaauxjoues.Bonsang,pasmaintenant.Elletournadiscrètementla

têtesurlecôtéetessuyasesyeuxavecsamanche.—Tul’asvu?Où?Jet’avaisdemandédenerienfaired’imprudent.—J’étaischezunbijoutieretilestentré.Les draps bruissèrent puis ses pieds apparurent dans son champ de vision. Will s’agenouilla

devantelle.Àcettedistance,elleputdistinguerlacoupuresursalèvreetlebleuimperceptiblesursapommette.Quelqu’unl’avaitfrappé.Colchester,sansaucundoute.

—Lena?(Ilcaressasajouehumidedudosdesdoigts.)Qu’est-cequis’estpassé?Ellefutsurpriseparsadouceursoudaine.Elles’écartaetlapaniquebloquasonsouffledanssa

gorge.—Jen’aipasenvied’enparler.Entroispas,illarattrapa.Ellefitvolte-facepourlerepoussermaisseretrouvadanssesbras,la

joue contre sa poitrine ferme, enveloppée dans sa chaleur corporelle. Elle ne put s’empêcherd’agripper sa chemise. Elle se sentait tellement en sécurité ! Toute envie de lutter la quitta. Siseulementilpouvaitlaserrerainsipourl’éternité!

Siseulementilenavaitenvie.—Bonsang,dis-moicequ’ilt’afait!s’exclama-t-ild’unevoixétranglée.Est-cequ’il…est-ce

qu’ilt’aviolée?—Non!éructa-t-elle.Maiscen’estpasfauted’avoiressayé.Ce souvenir la hantait. Colchester, ce beau et jeune dandy qui déambulait dans les rues, s’était

arrêté pour lui faire du charme. Elle n’avait pas trouvé ça étrange ; elle avait l’habitude de cesattitudes séductrices avant le décès de son père. Elle avait même reconnu l’héritier du duc deLannister,maiselles’étaitmisledoigtdansl’œilenpensantuneseulesecondequ’illavoyaitcommeautrechosequ’unesimplevendeusedecharbon.Uneproiefacile.

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—Ilaprismonsang.Il l’avaitpousséedans la ruelleet l’avaitplaquéecontreunmur.Lecontenudesonseaus’était

déversé sur les pavés crasseux. Elle avait essayé de dire non, incapable de comprendre ce qui luiarrivait.

—Jenevoulaispas.Maisilnecessaitdedirequej’allaisadorerça.Ses joues labrûlaient.Prenantconsciencequ’elleétaiten traindepleurer,ellefutsecouéed’un

sanglot.Colchesteravaitvujuste.Aufinal,elleavaitaiméça.Lesagentschimiquescontenusdanssasaliveavaientdéclenchéunesortederéactiondanssoncorps.

Willlevalesmainsetlesposadoucementdanssondos.— Calme-toi, mo cridhe 1. (Il lui frotta le dos en dessinant des cercles.) Tu es en sécurité

maintenant.Jesuislà.Maisellen’étaitpasensécurité.Seslarmesredoublèrent.Lasécurité,c’étaitunmondeétrangerà

l’Échelonetàsessuceursdesangavides.AuxhumanistesquimenaçaientsafamilleouàColchesterquilaharcelait.Lasécurité,c’étaitunmondeoùelleétaitheureuseetaimée.Lasécurité,c’était ici.DanslesbrasdeWill.

—Etleshumanistes?—Je…jen’avaispasl’intentiondemefaireembarquerdanscettehistoire.Maisc’étaitunmensonge.Elleavaitvoulutrouverquelquechose,n’importequoi,pourdonner

unsensàsavie,unbut.—Embarquerdansquoi?demanda-t-ild’unevoixplusgrave,éraillée.Lena?murmura-t-ilen

repoussantsescheveuxdesonvisagehumide.Dis-moi.Elle s’échappadu confort de ses bras, se détourna et essuya sonvisage sansvergogne avec la

manchedesonpeignoir.Ellesavaitcequ’ilvoulait,maiselledevaitd’abordtoutluiexpliquerpourluiprouverquesesraisonsneserésumaientpasàuneespècedelubieinsignifiante.Peut-être,alors,qu’ilneladétesteraitpasautantquandildécouvriraitcequ’elleétaitcenséefaire.

—Iln’yavaitrienpourmoiàWhitechapel.HonoriaétaitavecBlade.EtCharlies’installait.Nousétionsextrêmementproches,maisiln’aplusvouluévolueràmescôtéslorsqu’ilestdevenuunsangbleu.Et ensuite…(Savoix sebrisa et elle s’empressad’ajouter :)Tuesparti.Etpluspersonnenedésiraitmaprésence.J’aipenséquesi jeretournaisdanslasociété, leschoseschangeraient.C’étaitdanscebutquej’avaisétéélevée.Lavied’Honoriaatoujoursétécentréeautourdenotrepèreetdeleurs travaux,maismonenfanceàmoin’aétéqu’unesuccessionde leçonsdesavoir-vivre.QuandpèreestdécédéetquenousavonsétéforcésdenouscacheràWhitechapel,j’étaissurlepointdefairemesdébuts.C’étaitlapériodelaplusheureusedemavie.(Savoixs’estompa.)Jevoulaisseulementyretourner.Encetemps-là,toutlemondelouaitlecharmeetlabeautédemasœur.Ellen’avaiteuquedebrefs aperçusde l’Échelon,mais ils avaient suffi à alimenter sondésir ardent d’en fairepartie.Malheureusement,elleavaitvutoutçad’unœilinnocent.Whitechapell’avaittransformée.Ellen’étaitpluscettejeunefillenaïveavecdesétoilespleinlesyeux.Iln’yavaitpasderetourenarrièrepossibleetilluiavaitfalluuncertaintempspours’enrendrecompte.Onnevoitpaslapourriture,audébut.Leomeparrainait,toutlemondeétaitabsolumentcharmantetdistingué.Biensûrqu’ilsl’étaient.Ilsattendaientquelquechosedemoi.Onm’aproposétroiscontratsd’esclavagedèslapremièresemaine.J’étaisfollementexcitée.

—Tunelesasjamaisacceptés.Il lui était impossible de se tourner pour lui faire face. Elle croisa les bras sur sa poitrine et

secoualatête.

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—L’und’eux,LordRamsay,m’ainvitéeàunepetitepromenadedanslejardin.Jesavaiscequ’ilprojetait.Iln’estpasrarequ’unefemmeoffresonsangavantlasignatureducontrat.(Ellebaissalavoix.)Jen’aipaspu.Plusj’ypensais,plusçamedérangeait.Jen’arrivaisplusàrespirer.Je…jenepensaisqu’àColchester.Danslaruelle.J’étaistellementàcranqueLordRamsaym’agiflée,puisLeoestarrivé,etilm’aramenéeàlamaison,et…

Willglissasesbrasautourdesataille.—Nepleurepas,Lena.Merde.Évidemment qu’il ne voulait pas la voir sangloter sur sa chemise. Elle essaya de sécher ses

larmes.—Jesuisdésolée.Jenepeuxpasm’enempêcher.Jesuisdésolée.—Tun’espaslaseulequidevraitêtredésolée.Desparolessinistres,teintéesdemenace.Ilcaressasahanche,sataille.—Jedétestetevoirpleurer.—Vraiment?chuchota-t-elle.Ildessinadescerclesdouxsursahanche,silégersquelegestedevenaitpresquehypnotique.Elle

sesurpritàsedétendresoussescaresses.Lemondebasculaquandillasoulevadanssesbras.Elles’agrippaàsesépaulesetentrouvritla

bouche.—Will?Illaportajusqu’aulit.—Tufrissonnes.Elles’enrenditcompte.Lafraîcheurde lapièce,ainsiquesessouvenirs, faisaient tremblerses

lèvres. Elle enfouit son visage dans son cou, ferma les yeux et inspira son parfummusqué. Il ladéposasouslesdrapsetrabattitlescouverturessurelle.Puisilseredressa.

Net’envapas.Commepourposerunequestionmuette,ellesaisitleboutdesesdoigts.Willhésita.—C’estpasconvenable.Etjesuismouillé…—J’aifroid,murmura-t-elle.Ettuessichaud…s’ilteplaît.—Machemiseesttrempée.—Alorsretire-la.Unelueursombreet implacables’allumadanssonregard.Ilprituneviveinspiration.Sesyeux

dorésbrillaientdanslapénombredelanuit.Lechasseur?Oulaproie?—S’ilteplaît,répéta-t-elle.Rienqu’uninstant.Justepourréchaufferlesdraps.L’indécisions’exprimasursestraitsetlemoments’étira.—Dis-m’enplus,finit-ilpardireenenlevantsongilet.Dis-moidansquoitut’esimpliquée.Lenaroulasurlecôtétoutenl’observant.Lalueurdelalampeàgazsoulignaitlacourbedeses

largesépaules.Sesyeuxétincelaientaumilieudesonvisagesombre.UnevaguedechaleurréchauffaLenadel’intérieur.Willretirasontee-shirt.LestétonsdeLenase

mirentàdurciretfrottèrentcontrelasoiedesachemisedenuit.Ellesesentaitlaide,levisageetlenezhumides,maisellenepouvaitpasplusdétournerlesyeuxquesesoumettreàunsangbleu.

LalumièrequibrillaitsurlapeaumoitedeWillaccentuaitl’ondulationdesesmuscles.Ilôtasesbottesetrelevalesyeux.Sescheveuxmouillésluiarrivaientpresqueauxépaules.

Beaucouptroplongsetindisciplinéspourcorrespondreauxcritèresduchicetdelamode.MaisdouxJésus,commeellemouraitd’envied’ypassersesdoigts,deletoucher!

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L’anticipationet lanervosité luidonnèrent lachairdepoule.Ellen’avait jamaisvud’hommeàdeminu.Ellesetortilla,surpriseparlasensationpeufamilièredechaleurhumideentresescuisses.LelitployasouslepoidsdeWill.

—Commenttulesasrencontrés?—Rencontrés?(Ellerelevalatête,perduel’espaced’uninstant.)Leshumanistes?Wills’allongeasurledosetposasatêtesursesbras.—Oui.Lenaserapprocha.Sachaleurcorporellesurlesdrapsfitnaîtreundélicieuxfrissondanssondos.

Ellen’avaitpasressentiàquelpointelleavaitfroid.— J’en connaissais déjà un,mais j’aimis du temps à comprendre dans quoi il était impliqué.

Jusqu’àcequecesoitnécessaire.—Quiça?—Tun’aspasbesoindelesavoir.Elleserapprochapoursepelotonnercontreluiettenditunemainavechésitationpourlaplacer

sursontorse.Willseraidit.Maisilnes’écartapas.Lenachoisitd’interprétersongestecommeunepermission.

Elleseblottitcontreluietposadoucementsatêtesursonbras.Sachaleurétaitexquise.—Lena,jenepeuxpasteprotégersitunemedispastout.—Ilm’asauvélavie,Will.C’estluiquiafaitfuirColchester.Etpuisilm’asortiedelaruelleet

m’alaisséepleurersursonépaule.(Ellesecoualatête.)Jenepeuxpasletrahir.Jeluidoisplusquetunelesaurasjamais.

Will roulasur lecôtépour lui faire face.La têtedeLenaglissaaucreuxdesoncoudeetcettepositionremitdeladistanceentreeux.LesouffledeWilleffleurasonvisage.

—Mandeville.—Commenttu…—Jem’ensuistoujoursdouté.—Jet’enprie,murmura-t-elle.Nefaisrien.Jeneveuxpasqu’illuiarrivedumal.Ilm’aoffert

unemploi,Will.Ilm’asortiedelamisèreetilaprissoindemoicommesij’étaissafille.LeregarddeWills’assombrit.—Etoùétaittafichuesœurdanstoutça?—Jeneluiaijamaisdit.(Quandils’agitapourprotester,elleposaundoigtsurseslèvres.)Tune

saispascequ’onavécu.Jenepouvaispas.Nousnousépuisionsàlatâchejustepourpouvoirnousnourriretnousloger.Charlieétaitmaladeetmanifestaitlespremierssignesduvirus.Jenevoulaispasêtreunfardeau.(Sesyeuxs’embuèrent.)Etonsedisputaittellementquejenepouvaispasluidire.

Les larmes coulèrent sur ses joues. Elle ne pensait pas en avoir encore en réserve, mais ils’agissaitd’unevieilleblessurequ’ellepensaitrefermée.Honoriaavaitfaitlapaixavecelleetmisunterme à leurs conflits incessants,mais elle n’avait jamais su cequi lui avait causéun ressentimentaussicuisant.Lenas’étaitsentieseule,furieuseeteffrayée.

Willl’attiracontrelui.Lenas’agrippaàsesbras.— Je fais n’importe quoi, tenta-t-elle de dire,mais les sanglots déformaient sesmots. Je suis

désolée.—C’est pas toi qui devrais être désolée, dit-il d’une voix sombre. Ta satanée sœurmériterait

qu’onluitordelecou.QuantàColchester…Ellerelevalesyeux,enalerte.—Tuaspromisquetunel’approcheraispas.

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—C’étaitavantdesavoircequ’ilafait.(Unhorriblepetitsourireétiraseslèvres.)Siçapeutteconsoler,ilestplusaussibeauqu’avant.

—Oh,Will,qu’as-tufait?—Jeluiaienfoncélatêtedansunevitrineoudeux.Cetteimageluiprocuraunfrissondehaine.Puisellesecoualatête.—Tun’auraispasdû.Ilnel’oublierajamais.Ilviendrasevenger.Illuicaressalégèrementlajoue.—J’espèrebien,murmura-t-ilprèsdesonoreille.Ellepritlentementconsciencedelasituation.Leslèvresduloup-garoueffleurèrentsonsourcil.

Lenasefigeaetsoncœurs’emballa.—Will?Ellerelevalatête.Laminesombre, ilsemblait réfléchir. Il lui frôla levisageetpritsonmentondanssamain.Sa

bouches’approchadangereusement.Puisilsepenchaetl’embrassa.Ses lèvres étaient chaudes et hésitantes. Lena déglutit ; son cœur battait sourdement dans ses

oreilles.Elleavaitlapeaudesjouestendueetdesséchéeparseslarmes,maiselles’enmoquait.Ellerestaimmobile,n’osantrespirerdepeurdevoirsonrêves’évanouir.

Commes’ilavaitsentisonhésitation,Wills’écarta.—Non,chuchota-t-elleenattrapantunepoignéedesescheveux.Net’avisepasdet’écarter.Lapeurdeleperdreanéantitsesinhibitions.Danslapénombre,saboucheseposasurlasienne.

Elleplongeasesdoigtsdanssachevelureets’appuyalascivementcontresoncorps.Elle sortit le bout de sa langue pour caresser la sienne, ce qui lui arracha un petit hoquet. Il

s’empara de ses fesses et plaqua Lena sous son corps ferme sans laisser le moindre centimètred’espace entre eux.Une nappe de chaleur l’enveloppa. Elle releva les hanches spontanément et cegestearrachaunnouveauhoquetàWill.

Doux Jésus, c’est le paradis.Elle envoulait plus.Elle voulait qu’il capture sa bouche, qu’il laprenne, ici et tout de suite. Mais l’incertitude persistait dans sa façon de lui pincer gentiment leslèvres.

S’il s’écartaitdenouveau…ça la tuerait.Lenapassa sesbras autourde ses épauleshumidesetglissa sa languedans sabouche. Il secambrapourpouvoirpresser seshanchescontreelle toutencontinuantdel’embrassermalgréleurdifférencedetaille.Lena,haletante,léchaavidementsaboucheetcaressalapeaudoucedesondosd’unemainbrûlante.

Willluisaisitlespoignets,l’aplatitsurlematelasetretiraseslèvresdessiennes.—Non,fit-il.Lenaseraidit.—J’enaiassezd’entendreça.Bonsang,Will,tusaisquejemefichequetusoisunloup-garou.

Jetel’aiprouvé!Ilseredressaets’assitsursesgenoux.—C’estpasleseulproblème.—Tuneveuxpasdemoi?Ellepassaunemainsursesseinsetéprouvasestétonsgonfléssousletissufindesachemisede

nuit.—Onsaittouslesdeuxquecen’estpasvrai.

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LaminedeWills’assombrit.Ilroulaversleborddulit.Comprenantsonintention,ellepassasesjambesautourdesatailleetroulaaveclui.Elleseretrouvacommeparenchantementàcalifourchonsurlui.Willrelevalesyeux,surpris.Elleprofitadesonavantagepourlepousseràplatsursondos.

Avec sa puissance, aucune force terrestre n’aurait pu l’immobiliser s’il voulait résister. Elleplaqua ses poignets sur le lit d’un geste désespéré, puis se rendit compte qu’il n’opposait aucunerésistance.Sonregardétait rivésursapoitrine.Ouplutôtsur leboutonmanquantdesonvêtement,quiavaitdûsedétacherpendantlalutte.

Ellefitglissersesmainssurlesmusclessculptésdesesbras,seredressaetlesposasursontorse.Elledutajustersaposition,gênéeparsaboucledeceinturequis’enfonçaitdanslachairdesacuisse,etgrimpasur labossedesonpantalon.Elle s’yconnaissait suffisammentpourcomprendrecequecelasignifiait.

Tousdeuxsefigèrent.—Jepourraistefairemal.Ellesepenchapoureffleurerseslèvresaveclégèreté,d’ungestetaquin.—Jenepensepas,souffla-t-elle.Quandelle lécha sabouche avantde l’aspirerdans la sienne, elleperçutungoût cuivré sur sa

langue.Dusang.Sonsang.Ilavaitlalèvrecoupée.Ilenfonçasesdoigtsdanslachairtendredesescuissesetprituneinspiration.Sonérectionpressa

contreelle.Lenasefigea,lecorpstraversépardesétincelles.Quellesensationdélicieuse.Parcourued’unlégerfrisson,ellerouladenouveauleshanchespoursefrottercontrelui.

LeregarddeWillsevoila.—Tucomprendspas,dit-ild’unevoixsifflante, lesoufflecourt.Jepeuxpluspenser.Quandtu

faisça.Bonsang.(Illaserracontrelui.)Arrête,Lena.Lenarenversalatêteetrépétasonmouvement.—Pourquoivoudrais-tuquej’aieenvied’arrêter?Elle écarta légèrement les jambes. Ses sous-vêtements étaient humides.C’était tellement bon…

tellementnaturel.Etçalerendaitfou.Ilretroussaleslèvresetmontralesdents.—Jevaistefairemal.Jepeuxpas.Sesmains,enrevanche,nesemblaientpasdumêmeavis.Ilempoignamaladroitementl’ourletde

sachemisedenuit.—Merde.Lenaseblottitdenouveaucontreluietlasensationluiarrachaunpetitgémissement.Unsondesoiedéchiréeluifitrouvrirlesyeux.Lefroiddelapiècepénétrasoncorpsetellevit

Willarrachersachemisedenuitensoncentre.—Will!Ilsepenchaenavant,luimorditleslèvresetluisaisitlesbras.Cettefois,iln’yavaitplusaucune

hésitation dans ses gestes. Il s’empara brutalement de sa bouche. La chemise de nuit de Lena,descenduesursesbras,retenaitcesdernierscontresoncorps.Ellevoulaitletoucher,caresserlapeaudoucedesesbiceps,maiselleétaitbloquée.

Sa poitrine était exposée et les poils du torse de Will frottaient contre ses tétons sensibles.Submergéeparlessensations,elleperditlanotiondutempsettoutsensdesconvenances.Fermementpelotonnéecontrelui,elleenroulasalangueautourdelasienneetsesbaisershésitantsetappliquésfirentplaceàuneaviditédébridée.EllelibérasesbrasdesachemisedenuitavecungémissementetlespassaautourducoudeWill.

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Sonmembre ferme et énorme appuyait contre elle.Will luimordit la lippe puis lementon etglissa ses lèvres sur sagorge.Lena rejeta la têteenarrièreengémissantdeplusbelle tandisqu’ilcontinuaitdemordillersapeauenfeu.

—Maparole,cequetusensbon,grogna-t-il.Lena se cambra et enfonça ses doigts dans ses cheveux soyeux. Il posa la bouche sur son

mamelongonfléetlemordilla.Lenaécarquillalesyeuxetseshanchesremuèrentinvolontairement.C’étaitundélice.Soncorpss’embrasa.Les flammes léchèrent sonventre, sonbas-ventre…ellenepouvait plus semaîtriser. Son corps semblait obéir à une force étrangère.Une créature déchaînéesoumiseàsesdésirsexaltés.Ellepressasonseindanssaboucheetpassasesonglessursesépaules,danssescheveux.Elles’agrippaàsesmèchestandisqueleslèvresdeWillsemaientdesbraisessursoncorps.

Elle croisa son regard ambré et sauvage quand il pencha la tête en arrière pour sucer la peautendredesagorge,avantd’enfoncersesdentsdanslacourbedélicatedesonépaule.Lenalâchaunpetitcriets’emparad’unedesesmainspourlaglisserplusbas,sursacuissepuissoussachemisedenuit.Ellevoulaitqu’illatouche.Elleavaitbesoinde…quelquechose.

Ellesetortilla,prisedansuntourbillondeconfusionetdedésir,etsesmainsplongèrentdanssonentrejambe.

—Net’arrêtepas,murmura-t-elleenfourrantsesdoigtsdanssescheveux.Elleapprochaitdequelquechose…ellenesavaitpasquoiaujuste,maiss’ils’arrêtaitmaintenant,

elleletuerait.Unbruyantcliquetisvintperturbersaconcentration.Willseraiditetsesdoigtss’immobilisèrent.Lenaattiradenouveausonvisageàelleensecouantlatête.—Cen’estqu’undrone,susurra-t-elleenléchantsalèvre,oùellesentitunenouvellefoislegoût

dusang.Undomestique.—Lena.(Illuisaisitlespoignetsets’écarta.)Lena!—Net’envapas.—Jesuisdésolé.(Ilrelevalesyeuxverselle, lavoixrauque,lesprunellesrempliesd’undésir

sauvage.)C’étaituneerreur.L’anticipationdisparut.Lenaluisaisitlamainquandilreculapourseredresser.—Pardon?—Uneerreur,répéta-t-ildurementenlaforçantàlelâcher.Un coupdepoing lui aurait faitmoinsmal.Elle tira les pans en lambeauxde sa tenuedenuit

contreellepoursecouvriretledévisagea,lapoitrinecompriméeparledésespoir.Ilnepouvaitpasluifaireçaencoreunefois!

Ils’écartadulitetenfilamaladroitementsachemise.—Jedoisyaller.Cettelueurinsenséebrillaittoujoursdanssesyeux.—Will,chuchota-t-elleens’agrippantàsonvêtementdéchiré.Tun’espasobligé.Personnene

nousentendra.Personnenesaura…Leregardqu’illuijetaétaitbrutetabattu.—Jedoisyaller.Jesuisdésolé.Puisildisparut.Leventetlapluiesemirentàtournoyerdanslapièceetunéclairtombanonloin.

1.«Moncœur»engaélique.(N.d.T.)

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15

—Quelquechosetetourmente?demandaBlade.Willdonnaunnouveaucoupdepoingdanslesacdesable,cequiarrachaungrognementausang

bleu.Ilenchaînaavecunecombinaisongauche-droite-gauche,lesdoigtsenfeu.—Absolumentpas, rétorqua-t-il endélivrantunuppercutqui fit reculer le sac– etBlade–de

cinquantecentimètres.—Attends.(Bladelevaunemain,lesoufflecourt.)Laisse-moiuneminute.Çafaituneheureque

tueslà-dessus.Toutlemonden’apastonendurance.Willsepassaunemaindanslescheveux.Ilétaitàpeineessoufflé.Ettoujoursàcran.Lesouvenir

du petit corps souple de Lena était imprimé sur sa peau. Il avait passé la nuit avec une érection,incapabledeseconcentrersursonboulot.Ripavaitarpentélestoitsdescoloniesavecluipourgarderunœilsurlesrues.Soncompagnonavaitfiniparluisuggérerdesepayerlesservicesd’uneputeetdeseremettreàlatâche,avantdes’éloigneravecunemouededégoût.

Non, pas de femme. Ce n’était pas pour lui. Il n’aurait jamais dû aller retrouver Lena la nuitdernière.Nicéderàlatentation.

Ildevaitévacuerlapressiondelaseulemanièrequ’ilconnaissait.Unemanièresûre.—Onsefaituncombatsurlering?—Absolumentpas, réponditBladeen relevant lesyeux,pliéendeux, lesmainsposéessurses

genoux. Je sais pas ce qui t’amis dans cet état, cematin,mais j’ai pas l’intention de goûter à tespoingsaujourd’hui.

Willpivotaets’emparadesaserviettedetoilette.Ildénouasoncoletpassalaservietteautourdeson cou. Il brûlait de demander conseil à sonmaître.Mais ce dernier avait ses propres soucis.Ladernièrechosedontilavaitbesoin,c’étaitqueWillluiavouequ’ilavaitfailliperdrelatêtelaveilleetcoucher avec la sœur de sa femme. Ou qu’il lui parle de la lettre étrange que Lena avait en sapossessionetdelamenacedeColchester.

Aucund’euxnepouvaitsepermettred’impliquerBladedansunaffrontementavecl’Échelon.Blade écarta ses cheveux brun clair de son visage. Grâce au sang vacciné de Honoria, ils

semblaient s’assombrir un peu plus au fil des jours.Will se renfrogna. C’était vers lui queBlades’étaittournéquandilavaitcraintd’êtresurlepointdesetransformerenvampire;c’étaitluiquiétaitcensé le tuer avant que ça arrive. Il ne pouvait que remercier Honoria de lui avoir épargné cettelourdetâche,maisunautreproblèmeseprofilaitdésormais.

Lesangbleuseredressaetpoussaunsoupir.—Meregardepasaveccetair-là.D’accord.Unpetit combat.Maisneconfondspas : c’estpas

moileresponsabledetessouffrances.

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Will retira sesbottesetmonta sur lamoquettedouce,puis jeta sachemisesurunechaise touteproche.Bladel’imitapuisfrottasesarticulations.Willavaitbeaudépassersonmaîtred’unetrentainedecentimètres,cedernierétaitmince,muscléetsurtoutd’unerapiditéimplacable.Ilconnaissaittouslesmouvements,touteslesruses,etilneportaitplusaucunetraceducoupdecouteaudontilavaitétévictime.Levirusavaittotalementguérisaplaie.

—Jet’aipasbeaucoupvu,cettesemaine,déclara-t-ilenbrandissantsespoings.—J’étaisoccupé.Bladefitunpasenavantetdélivrauncrochetdudroit,queWillesquivad’uncoupdetête.—Commentelles’appelle?D’aussiloinquejemesouvienne,jet’aijamaisvuavecunefemme.—Etceserapasdavantagelecasaujourd’hui,répliquaWill.Il évita un enchaînement retors et abattit son poing sous la garde deBlade. Celui-ci recula en

serrantlesdents.—D’accord. Tu voudrais me faire croire que tu n’as aucune raison d’être plus tendu qu’une

arbalète?Ilnepeutyavoirqu’unefemmelà-dessous.Willparaàunnouveaucrochetdudroitetreçutuncoupfrancdesonpoinggauche.Lecoupfit

basculersatêteenarrière,maisBlademanquaitdelaforcequ’ilpossédaitautrefois.Àpeinequelquesannéesplustôt,cedernierétaitcapabledelemettreautapisàchaquecombatoupresque.Désormais,ilavaitdelachancesiçaluiarrivaitunefoisparmois.

Leloup-garousecoualatêteetévitalepiedqueBladeprojetadanssadirection.Ilplongeaversl’avant. Son épaule heurta l’estomac deBlade et il le saisit à bras-le-corps. Ils s’effondrèrent tousdeuxausol.

Lesangbleubloquasesjambesautourdesatailleetlefitbasculer.Willreçutunnouveaucoupenpleinvisageetilsentitlegoûtdusang.IlrepoussaBlade,roulasursespiedsets’essuyalabouche.

—Tuteramollis.BladeplissalesyeuxetenfonçasonpoingdansleflancdeWill.LespoumonsdeWillsevidèrent

etilévitadejustesselecoupsuivant.—Moi,ramollo?Willrelevalesyeux.Sonpoulsbattaitdanssesoreilles.—Tudevraisarrêterdeboire son sang,déclara-t-ildans le silence soudainqui s’abattit sur la

pièce.—Qu’est-cequeturacontes?demandaBladeenbaissantlesmains.Maudissantsonélanirréfléchi,Willsecoualatête.—Rien.—Si,si.Tusaistrèsbiencequetuvoulaisdire.(Bladeregardaledosdesesmainsetétirales

doigts.)Mapeaus’assombrit.Mescheveuxaussi.Etjem’affaiblis.Jem’affaiblisetjemeramollis.(Illaissaéchapperunrireetserecoiffa.)Ilyatroisans,j’auraistuépourêtreunpeuplushumain.Onditqu’ilfauttoujoursfaireattentionàcequ’onsouhaite.(Ilprituneprofondeinspirationetavoua:)Jeboisjusteladosenécessairepourqu’ellenesedoutederien.Lereste,jeleboisfroid,directementdans le frigo.Honoriapensequemonhématocriteaatteintunpalierets’eststabilisé. (Ilbaissa lesyeux.)Sil’Échelonledécouvre,onestmorts.

Will hocha la tête. La seule chose qui retenait l’Échelon à l’extérieur des colonies, c’était laréputation duDiable deWhitechapel. S’ils savaient qu’il avait une faiblesse, ils fondraient sur luicommeunemeutedeloupsaffamés.

—Tulesaisdepuisquand?

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—Unan.Quandj’aicommencéàtebattrerégulièrement,jemesuisposédesquestions,expliquaWill.

—Merde.(Bladetournalestalonsetdescenditduring.)J’airéfléchi.Jedevraispeut-êtrerevenirausangnormalpendantun temps, le tempsquemonhématocrite remonte.Maiscomment ledireàHonoria?Elleestobsédéeparl’idéedetrouverunremède.

Will lui emboîta le pas, lesmuscles toujours tendus. Il aurait voulu se dépenser encore avantl’arrivéedeLenapourleurleçon–sijamaisellevenait–maisilétaitclairqueBladeavaitsadose.

—S’ilyabienunechosequejepeuxpasteproposer,c’estdesconseilssurlesfemmes.Bladeéclataderire.—C’estbienvrai.Il récupérasachemiseet l’enfila.ContrairementàWill, sapeauétait sèche.Lessangsbleusne

transpiraientpas.— Pas la peine de t’inquiéter à propos de l’Échelon, ditWill. Tu n’es plus le seul sang bleu,

désormais.IlyaRipetCharlie.Etmoi.Willretirasaserviette.—Oui,maisl’Échelon,qu’est-cequ’ilvavoir?Unsangbleurenégatavecunbrasmécanique,un

gaminquiluttepourcontrôlersasoifdesangetunebêtequidevraitêtreencage.C’était lavérité,maisellen’enétaitpasmoinsdouloureusepourautant.Willpassa la serviette

autourdesesépaulesets’accrochaauxextrémitésdulinge.—Peut-être.Maisn’oubliepasquetun’espasseul.S’ilsviennents’enprendreàtoi,c’estsurmoi

qu’ilstomberontenpremier.—Tuseraspaslàéternellement.Willseraidit.—Jesavaispasquejedevaispartir.Bladeluijetaunregardentendu.—Tuasbesoindequelquechosedeplus,Will.Jepensequetuesentraindet’enrendrecompte

toi-même.Leloup-garououvritlabouchepourrépliquer,maisBladepenchalatête.Willperçutlesonune

secondeaprèslui.Unbruissementdejuponsdanslesescaliers.—Honoria.(Bladejetaunregardcoupableautourdelui.)Ellenedoitpasêtreaucourant.—Ellen’estpasidiote.—Non,grondaBladeavantdes’approcherdelaporte,maiselledoitpasl’apprendreavantque

j’aietrouvéunesolution.Will se tournaetpassa laserviettesurson torse.Derrière lui, laportes’ouvritet leparfumde

Honorias’infiltradanslapièce.Puisilperçutunelégèrenotedechèvrefeuille.Sonestomacsenoua.Lenaapparutsurlestalonsdesasœur.Elleétaitvenuepourleurleçon.

D’uncertaincôté,aprèslesévénementsdelanuitprécédente,ils’étaitattenduàcequ’elleannule.Consumé par un mélange de culpabilité et de désir, il dompta ses traits et tendit la main pourrécupérersachemise.

—Seigneur,murmuraHonoriaàBlade.C’estdusangsurtesdoigts?—Ouais.Willaoubliéd’esquiver.Leregarddecederniersedirigeaaussitôtderrièrelecouple.Deboutsurleseuil,vêtuedejaune

citron,Lenaavaittoutd’unefemmedelasociété.Sescheveuxétaientartistiquementretenusd’uncôtéde son épaule et dissimulaient lamarque demorsure dans son cou.Un chic petit capotmettait envaleurlesrefletsbrillantsdesacheveluresombre.

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Lena baissa les yeux sur le vêtement dans sesmains et son torse nu avant d’avoir la présenced’espritdedétournerleregard.Unpetitsourirefigéétaitplaquésurseslèvrescharnues.Sonmoyendedéfense,songea-t-il.C’étaitsamanièredesedissimulerauxyeuxdumondeetmêmedesaproprefamille.Delui.

Sa confession de la veille lui comprimait encore la poitrine. Il avait envie d’aller trouverColchestermunid’unehache,maislaprotestationplaintivedeLenaletiraillaitauplusprofonddelui.Ill’avaitserréefortcontreluipourdissipersapeine,maiselleétaitintense.

Seule.Elleavaittraverséseuletoutescesépreuves,incapabledeseconfieràsafamilledepeurdecharger Honoria d’un fardeau supplémentaire. Elle conservait ce joli petit sourire bien en place,commesiriennes’étaitpassé,alorsqu’aufondd’ellelaplaies’infectaitetgrandissait.

IlenfilasachemisetandisqueHonoriasehissaitsurlapointedespiedspourdéposerunbaiseraffectueuxsurleslèvresdeBlade.Ilétaittentédel’attraperparlesépaulesetdeluidemanderoùelleétaitquandsasœurétaitentraindeseviderdesonsangdansuneruelle.Ilsavaitquecen’étaitpassafaute ; les circonstances étaient ce qu’elles étaient à cette époque, mais sa fureur n’en tenait pascompte.L’instinctallaitàl’encontredelaraison,etilavaitététroplongtempsréduitàsaconditiondelouppournepasréagiravecsestripes.Ildevaitsortird’ici.

—Oùvas-tu,Will?demandaHonoriaencaptantsonmouvementducoindel’œil.Lesourirequ’elleaffichaitressemblaiténormémentàceluideLena,maisenplusauthentique.—J’aiuneleçonavectasœur.Celle-cirelevabrusquementlatêteetsesjouessecolorèrent.Elleleregardadroitdanslesyeuxet

inclinalementonavecunméprisglacial.Froide.Intouchable.Insouciante.Unetouched’offenseacidealtéraitsonparfum.

—Neveux-tupasensavoirplussurcettelettrequetum’asapportée?demandaHonoria.J’aiunpeuavancédansledéchiffrageducode.

La brève rougeur qui était montée aux joues de Lena disparut et elle écarquilla le regard,incrédule.

—Plustard,répondit-il.Aprèsmaleçon.HonoriamurmuraquelquechoseàBladetandisqu’ilsedirigeaitverslaporte.Lenas’écartade

sonchemin,commesiellecraignaitqu’ilnelatouche.Troptardpourça,mabelle.Ilavaitposésesmains,seslèvresetsesdentssurtoutsoncorps.

Etçanedevaitpassereproduire.Sa présence lemettait à cran etmenaçait de le faire exploser. Elle était trop dangereuse, trop

attirante.Lanuitprécédente,quandl’élandesapassions’étaitestompé,ilavaitdistinguélesmorsuresetlesbleussursapeaupâle.Quandilsétaientdansunétatpareil,lesloups-garousétaientcapablesdetraverserdesflammesetdeperdreunmembresansmêmes’enrendrecompte.Unevéritablefureursauvagelespoussaitàcommettredesactesdontilsnesesouvenaientpas,etqu’ilspouvaientencoremoinscontrôler.

Iln’yauraitriendepirequedevoirlesangdeLenasursaproprepeau.Oulapeurdanssesyeux.Malgréledésirqu’iléprouvaitpourelle–qu’ilavaittoujourséprouvépourelle–ilnesefaisaitpasconfianceàlui-même.

Ensuite,ilyavaitlamenacedesonvirusproprementdit.Ilprituneprofondeinspirationetluioffritsonbras.—Tuviens?Voilà tout ce qu’il obtiendrait d’elle désormais. Des contacts furtifs et des regards volés.

Accompagnésparladouleurdésespéréedanssapoitrineetdanssonsexe.

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—Biensûr.Elleposadélicatementleboutdesesdoigtsgantéssursonavant-brasetluiemboîtalepas.Ilsn’avaientpasfaitdeuxmètresqueLenaretiravivementsonbrasetpivotapourluifaireface.—Tuluiasdit?—Pasici.Bladepourraitlesentendre.LacolèreraiditlesépaulesdeLena.Ellesoulevasonjupond’unemainetleprécéda.—Où,alors?Ilposalamainaubasdesondostoutenréfléchissantetlaguidaverslacuisine.—Danslejardin.Attends-moilà-bas.J’aiquelquechosepourtoi.Elleluijetauneœilladenoireetméfiantepar-dessussonépaule.—Qu’est-cequec’est?Onperduntempsprécieux,Will.Tut’enesbiensortil’autresoir,maisil

yacertaineschosesquejeveuxrevoiravectoi.—C’estimportant.Aprèsunnouveauregardpénétrant,ellelevalesmainsetsoupira.—Pourquoipas?Valechercher.Plusviteonaurafini,plusvitejepourrairentrerchezmoi.Je

doismepréparerpourledînerqu’organiseLeo.Laveille, il l’avaitblessée.Délibérément.L’espaced’un instant, ilenvisageades’approcher,de

luisaisirlepoignetetdeluidirequ’ils’étaittrompéetqu’ilregrettait.Deleversonvisageversluietdel’embrasserjusqu’àvolertoutl’airdesespoumons,desentirsoncorpsfondresoussescaresses.

Maispeut-êtrevalait-ilmieuxqu’ellesoitencolèrecontrelui.Dansleurintérêtàtouslesdeux.Ilattenditqu’elleaitprisladirectiondujardinpourmonteràl’étageetrécupérerlapetitebourse

qu’ilavait laisséedanslesalondeBlade.Àsonarrivéedanslejardin,Lenafaisait lescentpas, lesbrascroisés,l’airpensif.

Dèsqu’ellel’aperçut,sonexpressiondisparutcommesiellen’avaitjamaisétélà.Ellejetaunœilàlabourseavecunhaussementdesourcilsméprisant.

—Jenepeuxaccepteraucunobjetpersonnel.Cen’estpaslegenredechosequ’unhommeoffreàune femme qu’il ne courtise pas. (Son ton devint glacial.) Nous ne voudrions pas commettre denouvelleserreursetnousméprendresurnosintentions,n’est-cepas?

Danscesdispositions,c’étaitpeut-êtredusuicidedeluidonnerunpistolet.Ilsemorditlalangueetsortitunepetitepochetteentoiledejutedusacencuir.—Jet’aiachetéça.Jen’aipasfinidelebricoler,maisplustôttuapprendrasàt’enservir,mieux

çavaudra.—Qu’est-cequec’est?Il ouvrit la pochette.Le pistolet étincela sous les faibles rayons du soleil qui se reflétaient sur

l’incrustationdenacrepourcréerunedemi-douzainedepetitsarcs-en-ciel.—Unpistolet?dit-ellebêtement.Tumedonnesunpistolet?Illuipritlamainetydéposalacrossedel’armeavantderefermersesdoigtsdessus.—Suffisammentpetitpourtenirdanstonréticule.Tuasdéjàtiré?—Nesoispas ridicule, répliqua-t-elleenouvrantdegrandsyeux.Pourquoidiablevoudrais-tu

quejemesoisdéjàservied’unpistolet?—Honoriasavaits’enservir,elle.—Pèreluiavaitappris.Pourmoi,iln’avaitpasletemps.WillpassasonpoucesurlesmainsgantéesdeLena.

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—Pourquoi?—Jen’étaispasassez intelligentepourcomprendre son travailou lamoitiédecequ’ildisait.

C’étaituncélèbreinventeur.Nousn’avionspasgrand-choseencommun.—Tuesintelligente.Regardecequetufaisavectesmécanismes.—C’estunpasse-tempsinutile.(Ellebaissalepistolet.)Çanel’auraitpasimpressionné.Ilaurait

étécapabledefairelamêmechoseenmoitiémoinsdetemps.Tunecomprendspas.—Vraiment?Letoncalmequ’ilavaitemployéluifitreleverlesyeux.—Moi,j’enseraisincapable.Jet’aisouventregardéequandtujouaissurletapis,avectoutesles

pièceséparpilléesautourdetoiàessayerdelesassemblercommeunpuzzle.Çam’impressionnait.—Oui,maistuasd’autrestalents,répondit-elle.Ellesemblaitavoiroubliéqu’ilétaitencoreentraindeluicaresserlamain.—Tuesfortet tun’aspeurderien.Tupeux tuerunhommeàmainsnues. (Une lueursombre

passadans ses iris.Desombresqui firentdresser lespoilsdeWill.)Tupeux tuerunsangbleu. Jet’envie,tusais?

—Aveccepistolet,toiaussitupeuxêtreforte.Neplusavoirpeur.Sarancœursedissipait.Elleobservalepistoletavecunœilneuf.—Tucroisquejepourraiséliminerunsangbleuavecça?Iltentad’ignorercequesesparolesattisaientaufonddelui.—Oui,quandj’auraifinideletrafiquer.Jevaislemodifiercommetonpèrel’afaitavecl’arme

deHonoria.Ellem’aapprisàfabriquerdesmissilesdefeu.Je lesaidéjàvusexploser la têted’unsangbleucommeunepastèquepourrie.

Lenaréprimaunfrisson.—Çaparaîtredoutable.—Etunseulcoupsuffit.Uneétrangelueurs’allumadanslesyeuxdeLena.Ellesereprésentaitlascène.Elleimaginaitla

têtedeColchesterentraind’éclatertandisquelafumées’échappaitducanondel’arme.—Apprends-moi,demanda-t-elle.Willsetournaverslejardin.Lesmursquil’entouraientétaientenbriqueetatteignaientlesdeux

mètrescinquantedehaut.Minou,lechatgaleuxquiconsidéraitBladecommesonserviteur,flânaitaupieddumursanslesquitterdesonhorribleœilvert.

Du lierre recouvrait deuxmurs entiers et uneporte en fer était encastréedans lesbriques.Despetits pots de fleurs et d’herbes variées apportaient un peu de chaleur à l’endroit, signe queEsmeessayaitdetransformerlerepaireenunsemblantdefoyerfamilial.

Ilfitrouleruntonneaudevincontrelemurlepluséloigné,puisallarécupérerl’unedesvieillesbouteillesdelaitqueEsmeavaitsortiespourleramassagedesordures.

—Là,dit-ilenlaposantsurletonneau.Onvas’entraîneravecça.—Lespassantsnevont-ilspass’inquiéter?—Dans les colonies ? (Il haussa un sourcil.) Quand les gens entendront des coups de feu au

repaire,ilsferontdemi-touretdétalerontdansl’autresens.Ilsneserisquerontpasàseretrouveraumilieuduchaos,quelqu’ilsoit.

Lenapointalepistoletendirectiondutonneau.—Commentoncommence?—Enmettantdesballes,répondit-il,incapablededétournersonattentiondelajeunefemme.

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C’était lui qui avaitmis ce sourire sur son visage, qui avait chassé les ombres de ses yeux. Ilplongealamaindanssapocheetenressortitunepoignéedeballes.

—Etenapprenantlafonctiondechaquepartiedumécanisme.LalueurfarouchequibrillaitdansleregarddeLenaétaitenivrante.Ildéposamaladroitementune

balle dans sa paume. Elle ne semblait pas avoir conscience de son essoufflement. Elle examinaitl’arme comme si elle se demandait quoi en faire. Il ne l’avait jamais sentie aussi vivante, aussipassionnée,sauflaveilledanssachambre.Commedébordanted’allégresse.

Sanslamoindrepeur.Ilauraitvoulumaintenircette lueurdanssonregardpour toujours.Colchesteravaitmenacéde

l’éteindre,maisilnelelaisseraitpasfaire.Illetueraitavant.Lenasemblapercevoirsonregardetrelevalatête.—Quoi?Il était encore loin d’être pardonné. Peut-être ne le serait-il jamais.Will déglutit et désigna le

pistolet.—Tuletienspascommeilfaut.Laisse-moitemontrer.Illaprotégerait.Ouilluiapprendraitàseprotéger.DeColchester,dumonde.Delui-même.

Honoriarepoussases jupessur lecôtéetsenichasur lesgenouxdesonmari.Blades’enfonça

danslefauteuilenl’observantavecunregardentendu.—Qu’est-cequetumijotes?murmura-t-il,unsourireauxlèvres.—Rien,répondit-elleenjouantavecsoncol.Elleglissaundoigtsursachemiseettentadegarderunairinnocent;latexturedutissuchangea

et le velours rêchede songilet remplaça la soie.L’amourdeBladepour les couleurs et les tissusvoyantsneluiétaitjamaispassé,malgrél’influencequ’avaitessayéd’exercerHonoria.Etfinalement,elle s’y était faite.Alors qu’à une époque ses gilets rouges brodés lui arrachaient des grimaces etqu’elle se demandait qui pouvait bienporter des choses pareilles, la vue lui en était devenue aussifamilièrequecelledesonvisage.

Etpuislatexture,lasensationduveloursetdesfilsdebroderierugueuxcontresapeau…c’étaitunesensationqu’elleavaitapprisàadorer.

—Vraiment ?gronda-t-il en lui serrant lepoignet. Je saisquand tumanigancesquelquechosedanstonpetitespritsournois.J’entendspresquelesrouagestourner…

Uneexplosiontransperçalesilence.Honoriabasculasurl’accoudoiretBladeseprécipitaàlafenêtre.Ilrenversaleserviceàthéetla

porcelainesefracassaausol.—Quesepasse-t-il?s’écria-t-elleenpiétinantlesdébris.Est-cequ’onsefaitattaquer?Blade écarta le rideau de la fenêtre de son laboratoire, le visage tendu, lamain posée sur les

rasoirsqu’ilportaitàsaceinture.Puisilcollalenezàlavitreetfronçalessourcils.—Çaalors!Un nouveau coup de feu retentit. Honoria bondit sur ses pieds et se rua à ses côtés. Blade se

détenditetlerythmeerratiquedesoncœursecalma.S’ilnes’inquiétaitpas,alorsellenonplus.Ellefaisaitconfianceàsesinstincts.

—Qu’est-cequec’est?

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Elle sehissa sur lapointedespiedspouressayerdedistinguerquelquechose.Le rebordde lafenêtre appuyait contre son ventre et la gênait. La faute aux nombreuses petites crêpes qu’elles’octroyait ces derniers temps.Après lesmois de famine qu’elle avait subis pour pouvoir nourrirLenaetCharlie,Blades’étaitdonnépourmissiondel’engraisser,avecsuccès.Laseuleidéequ’elleaitpuunjourenvisagerdevendresonsangauxDraineursparpurdésespoirlerendaitmalade.

Avecunsourireamusé,ilorientaleregarddeHonoriaverslejardinencontrebas.—Ta sœur essaie d’assassiner une bouteille de lait. Je ne sais pas pourquoi, je pense qu’elle

survivra.Honoriaappuyasonvisagecontrelafenêtrepourmieuxvoir.Elledistinguaitàpeineleslarges

épaulesdeWill.SoncorpsétaitrecourbéautourdeceluideLenaetilposaitlesmainssurseshanchespourluiindiquerlapositionadéquate.Illuisaisitlepoignet,branditlepistoletetvisa.Lena,elle,neregardait pas du tout la cible. Elle levait les yeux vers lui, et ses émotions s’exprimaient trèsclairementsursonvisage.

—Oh.Bladelapritdanssesbrasenriant.—Oùenétions-nous?Il reprit sa place sur le fauteuil et installa Honoria sur ses genoux. Elle le chevaucha d’une

manièreindigned’unefemmedesacondition,leregardattiréverslafenêtre.—Mais…— Non. (Il saisit son menton et tourna son visage vers lui. Pour une fois, il paraissait très

sérieux.)C’était tadécisionde les laisser faire, pourune fois.Elle agrandi.Elle est suffisammentadultepourgérerelle-mêmelesconséquences.EttuasditquetufaisaisconfianceàWill.

—Tuluifaisconfiance,toi?demanda-t-ellesansambages.IlconnaissaitWillbienmieuxqu’elleneleconnaîtraitjamais.Bladepassaledosdesesdoigtssursagorge.—Ilneluiferajamaisaucunmal.—Maissiçaarrivaitmalgrétout?Elleneselepardonneraitjamais.—Onenadéjàparlé.(Sesyeuxvertscroisèrentlessiens.)Onadéjàessayédelesséparerune

foisetçaaétéundésastre.(Ilfitunepausepourprendreuneprofondeinspiration.)Jesaisquec’esttasœur,mabelle.Maisjenepeuxpasleperdre.Pasencoreunefois.Etilapasséplusdetempssouscetoitcettesemainequ’ilnel’afaitenunmoiscomplet

—C’estpourleursleçons,répondit-elle.—C’estpourelle.(Ildéposaunbaisersursajoue.)T’inquiètepasautant.Willestunloup-garou.

Ilpréféreraitmourirplutôtquedefairedumalàquelqu’unqu’ilconsidèrecommeétantàlui.—Alors pourquoi tu te méfiais autant, au début ? Pourquoi tu lui as conseillé de garder ses

distances?Unnouveaubaisersurseslèvres.Elleleconnaissaitsuffisammentpoursavoirquandilessayait

dedétournerlesujet.—Blade…avertit-elleenluidonnantunpetitcoupsurlapoitrine.—Riendebiengrave.Justeunevieillehistoirequej’avaisentendue.Honorialuijetaunregardnoiretillevalesmainsensignedecapitulation.—C’estuneloiscandinave.Elleditqu’unloup-garounepeutenaucuncass’accoupleravecune

humaine.Souspeinedemort.—C’esttoutcequetusais?

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Ilhochalatête.—Quelle drôle de coutume, dit-elle. Jemedemande bien pourquoi ils ont promulgué une loi

pareille.—Tupourrasleurposerlaquestionsituveux.Elleréfléchit.—Oui,peut-êtrequejeleferai.

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16

LachaleurdeWills’imprégnasursapeau.Lenadéglutit,levalepistoletetvisalacibled’unœilabsent. Comment diable pensait-il qu’elle pouvait se concentrer quand il s’appuyait contre elle decettemanière?Nilepanierdesajupenisoncorsetneservaientàgrand-chosepourfairebarrageàsa carrure ferme. Le souvenir de ce corps collé à elle la nuit précédente ne cessait de hanter sespensées.

Sabouchesursesseins,sesdentssursestétons.Sesmainsrugueusesquiglissententresesjambesetsesdoigtspresséscontresaféminité…

—…àtraversleviseurcommeça…là…posetondoigtsurladétente…LesouffledeWilleffleuraitsonoreille.Lenaappuyasurlagâchetteavecunpetitgrognement.Unnuagedepoussièresesoulevacontrele

murdebrique.—T’inquiètepas,murmuraWill.Tuvasyarriver.Elle avait envie de projeter ce fichu engin sur la bouteille de lait. Peut-être qu’alors elle

parviendraitàlatoucher.Avecungémissementdedégoûtetdefrustration,ellepivotasurelle-mêmeetfourral’armedans

lesmainsduloup-garou.—J’enaiassez.Çafaitpresqueuneheureetc’estdepireenpire.—Çavavenir…LaproximitédeWillavaitdepuislongtempsfaitoublieràLenasonenthousiasmepourlepistolet.

Elle ne faisait que lui rappeler la nuit dernière, leur « erreur », comme il l’appelait. La têtecommençaitàluitourner.

—J’ai l’impressiond’avoirattrapéun rhume.Et tunem’as toujourspasexpliquépourquoi tuavaisparlédemalettreàHonoria.Net’imaginepasquej’aioublié.

L’expressiondeWillsereferma.—J’yconnaisrienauxcodesetauxchiffres,moi.—Donctuasimpliquémasœur?Masœuràlacuriositéinsatiablequinepeutpass’empêcherde

fourrersonnezdanslesaffairesdesautres?—Jen’aipaseulechoix.(Unelueurdecolèrepassadanssesyeux.)Situm’avaisditdèsledébut

àquoituétaismêlée,jen’auraispaseubesoind’avoirrecoursàcesmesuresextrêmes.—Alorsc’estmafaute?Willémitunsonétranglé.—Jedispasquec’est ta faute. J’aurais seulementpréféréque tum’enparles.Bonsang,Lena,

j’essaie de t’aider.Tu imaginesma réaction quand j’ai vu cemessage et compris que tu avais des

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ennuis?Etquetunevoulaispasm’expliquer?Commentvoulais-tuquejet’aide?—Jenet’aijamaisdemandétonaide.Jepeuxmedébrouillertouteseule.Elletrouveraitbienunmoyenouunautre.Ellecroisalesbras,incapabledeleregarderenface.

Elleluiavaitditcequ’ellepouvait.—Jemeficheque tuveuillesmonaideoupas, tu l’aurasquoiqu’ilarrive. (Il lasaisitpar les

bras,déterminé.)Oùquetuailles,jeveilleraisurtoi.Jelaisseraipersonnet’approcher.NiColchester,nileshumanistes,nilesEngoulevents.

—Alorspourquoies-tuaussidécidéàm’apprendreàmeservird’unpistolet?Laflammeambréeduloupapparutdanssonregardavantdedisparaître.— La seule raison pour que je ne sois pas en mesure de te protéger, c’est que je sois mort,

déclara-t-il tout bas.Tu es la dernière lignededéfense. Je nevais pas te laisser désarméeou sanssavoircommentteservirdetonarme.

Sesmotsluiglacèrentlesang.—Non.L’idéedelevoirétendusansvieàsespiedsluiétaitinsupportable.C’étaitexactementcequ’elle

avait refusé. La raison pour laquelle elle avait voulu l’empêcher de découvrir ses secrets. Elles’agrippa à sa manche avec angoisse. Au diable sa résolution de garder ses distances avec luiaujourd’hui.C’étaitdesamortqu’ilparlait.

—J’auraispréférénerientedire.Elleauraitdûcontinueràluimentir,àlemaintenirdansl’ignorance.Maissesrévélationsausujet

del’agressiondeColchesterl’avaientrenduevulnérable.LasensationdesbrasdeWillautourd’ellel’avaitemporté.Ellen’avaitjamaispuévoquercetteattaqueàquiconqueniseremettredumalqueçaluiavaitcausé.Elleavaitenfouitoutçaprofondémentetfaitcommesiderienn’était.

—Troptard,maintenant.Troptard…peut-être.Lenasecoualatête.Elledevaittrouverunmoyend’enrayercedésastre.—Situasl’intentiondet’enmêler…LesyeuxdeWillétincelèrent.—Iln’yapasde«si».—Si,répéta-t-elle,jetelaisset’enmêler…alorstuferascequejetedis.Jesuissérieuse,Will.

Onagitensemble–sousmadirection–oualors jecoupetous les lienset jemetsuntermeàcettefolie. Ça signifie que tu ne souffles pas unmot de tout ça à Blade ni àHonoria. Je ne veux plusimpliquerquique ce soit.Toi, ça suffit déjàbien. Jeneveux le sangdepersonned’autre surmesmains.

Il frotta ses joues rêches. Il avait beau se raser régulièrement, une ombre semblait recouvrirconstammentlebasdesonvisage.

—Qu’est-cequetuentendspar«soustadirection»?Lenalâchaunsoupirinégal.Ellen’étaitpascertainequ’ilaccepterait.—C’estmoiquiprendslesdécisions.Tun’enprendsaucunetoutseulàmoinsquejet’yautorise.

Jedoisperceràjourlesintentionsdeshumanistes.Jen’aipastotalementcomprislesconséquencesde ce que j’acceptais de faire.Mince,Will, j’étais tellement en colère ! Je n’ai pas posé assez dequestions.Jepensequejenevoulaispassavoir.Etmaintenant,jenesaispasexactementdansquoijesuisimpliquée.(Elleprituneprofondeinspiration.)Jedoisdémêlertoutçaavantdepasseràlasuite.Jesaislesidéesqu’ilsdéfendent–l’abolitiondestaxesdesang,l’égalitédesdroitsentreleshommesetledroitdevote.Jenesaisjustepascommentilsontl’intentiondes’yprendre.

Willhaussavivementlessourcils.

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—C’estpasenmettantlefeuauxusinesdedrainagequ’ilsvontyparvenir.Nienannulantlasignaturedutraité.— Eh bien, M. Mandeville semblait certain qu’il s’agissait d’une sorte de faction interne qui

cherchelaguerre.Ellemarquaune légère pause.Qui l’avaitmenacée, exactement ?Les véritables humanistes ou

l’undesrebelles?—Tuacceptesmesconditions?—Oui.Jesuivraitesinstructions,finit-ilparrépondre.Àunecondition.—Quelgenredecondition?—Je te laisse le contrôle.Mais si la situation tournemal oudevient tropdangereuse, alors tu

fermerastajoliepetiteboucheetc’esttoiquim’écouteras.(Lenas’apprêtaàprotester,maisilposasondoigtsurseslèvrespourl’enempêcher.)Non,ajouta-t-ilfermement.Cen’estpasnégociable.Aumoindresignededanger,jereprendslesrênes,c’estbiencompris?

Il sentit son souffle sur son doigt quand elle soupira.Will baissa les yeux comme s’il l’avaitressentiàd’autresendroitsdesoncorpset,soudain,elleaussi.Lenasetortilla,l’estomacnoué.L’idéed’êtreétroitementliéeàluietqu’illasuiveàlatraceluifitl’effetd’unvéritablesupplice.

Unsupplicenécessaire.Lenareculad’unpaspoursemettrehorsdeportéedesesmainsàlafoistraîtressesettentantes,et

lissasajupe.Cesimplegestechassasesémotionsdesespenséesetprobablementdesonvisage.Ellen’avait pas le choix. Si elle refusait, il se contenterait de trouver un autremoyende la retenir.Aumoins,c’étaitellequiavaitlecontrôle.Enmajeurepartie.

—Tuestêtucommeunemule,murmura-t-elle.Trèsbien.J’accepte.—Situnetienspasparole,tuleregretteras,dit-ild’unevoixdouce.Unsentimentderévoltemontaenelle.—C’estdéjàlecas.

Troislonguesheuresplustard,Willl’aidaàremonteràl’intérieurdelacarrioleàvapeurdans

laquelle elle était arrivée. Lena s’installa sur la banquette en velours sans même remarquer lessoubresautsdumoteur.

Àl’extérieur,Willjetaunregardauxruesenvironnantesquis’assombrissaient.— Tiens, dit-il en sortant un petit paquet enveloppé de son gilet. Je ne t’ai pas acheté que le

pistolet.Lenarivalesyeuxsurlepetitemballagedanssesmainsgantées.Wills’essuyalespaumessurson

pantalonet les fourra tout au fondde sespoches.Cegeste tendit le tissu sur ses cuisses,mais elleessayatantbienquemaldenepasyprêterattention.

—Qu’est-cequec’est?demanda-t-elleenagitantlaboîte.—Ouvre-la.Elletirasurlaficelle,parfaitementconscientedelatensionsoudainequicontractaitlesépaulesde

Will.Ill’observa,appuyécontrelavoiture,unemainposéesurlaportièreouverte.Elleenvisageadefairedurerl’instantpourvoirsonmalaisecroître,maisc’étaitcruel.C’étaitlegenredejeuxauxquelsellelesoumettaitquandellen’étaitencorequ’unejeunefilleécervelée.

Ellearrachalepapieretdécouvritunécrinenveloursrouge.Unecouronnedoréeétaitsculptéeenreliefsurletissu.Ellesavaitexactementd’oùcelavenait,commelaplupartdesdemoiselles.

—Will?fit-elle,lesoufflecourt.Jet’aiditquejenepouvaisaccepteraucunobjetpersonnel.Ilposasesmainschaudessurlessiennespourlaforceràouvrirlaboîte.

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—Alorsconsidèrequec’estunobjetpratique.L’un des derniers rayons pâles du soleil fit étinceler un rubis rouge sang.Elle faillit refermer

aussitôtl’écrin.—Jenet’aijamaisdemandécequetuétaisalléfairechezunbijoutier.(Ellesecoualatête.)Jene

peuxpas.C’esttropbeau.Troponéreux.Willtenditlamainpours’enemparer.Lerubisétaitentouréd’épinessculptéesquilemaintenaient

enplace.—Tuvois,ici?Ildesserral’unedesépinesquijaillit,étonnammentpointue.Elleposadélicatementledoigtdessusetretiravivementsamain.— C’est une bague à poison, Lena. Il m’a fallu des siècles pour trouver un bijoutier qui en

vendait.(Aprèsunbrefregardauchauffeur,ilsepenchaversLenaetluimurmuraàl’oreille:)Elleestremplied’uneconcoctionàlaciguëquipeutneutraliserunsangbleupendantquelquesminutes.Laduréedépendradesonâgeetdustadeduvirusdanssesveines.

Illuioffraittellementplusqu’unesimplebague!Unearmesupplémentaire.Unautremoyendedéfense.Lenadéglutitetledévisageatandisqu’illuimontraitlemécanisme.

—Çaadûtecoûterunefortune.Willhaussalesépaules.—Jedépensepasbeaucoup.Jamais.—Will,jenepeuxpas.Ilreplial’épinepuisrefermalesdoigtsdeLenapar-dessus.Cetairentêtéqu’ellecommençaitàsi

bienconnaîtreapparutsursestraits.—Nediscutepas.—C’estcommeçaquetupensespouvoirm’empêcherdeprotester,àpartirdemaintenant?Unlégersourireadoucitsonexpression.Lenasoupira.—D’accord.Jel’accepte.(Elleretirasongantetglissalemagnifiquebijouàsonmajeur.)Merci.—Çam’empêcheradem’inquiéter.Lenaexaminalesfacettesdurubis.Ilnes’inquiéteraitpass’ilnesesouciaitpasd’elle,n’est-ce

pas?Sonsangsemitàbouillirdanssesveines.Nefaispasça.Elleserra lepoing,dissimulant labague.Necherchepasd’autresignificationàsongeste.

Willpassaunemaindanssescheveuxetjetaunregardalentour.—Àproposdel’autrenuit…Lenasesentitpâlir.—Non,lecoupa-t-elle.Tum’asbienfaitcomprendrecequetuenpensais.—Lena,ilfautquejet’explique…—Jen’aipas envied’entendre tes explications. (Elle sedétourna, les épaules raides, levisage

fermé,etlissasajupe.)J’aibiencomprisquejem’étaisridiculisée.Çaneseproduiraplus.—Lena,tu…—Ungentlemansegarderaitd’ajouterquoiquecesoit, lecoupa-t-elleenadoptantdenouveau

sontonmoralisateur.Toutpourgarderlaface.Willladévisageaavecunregardintimequ’ellerefusadecroiser.—Trèsbien,dit-iltoutdoucement.—Jedoisyaller.Ilsefaittard.Etjedoisassisteràcefameuxdîner.

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—Tusors?— Pas longtemps. Puis je me remettrai à la commande de M. Mandeville. Je dois finir le

mécanismeinternedemontransformable.J’ysuispresque.Inutiledeveillersurmoicettenuit.Jeteprometsquejenem’attireraiaucunennui.

Ilméditacesparolesunlongmoment.Puisilplongeadenouveaulamaindanssapoche.—Jeveuxquetugardesçatout le tempssur toi,dit-ilensortantunsiffletsuspenduàunefine

chaîneenorqu’ilpassaautourdesatête.PuisilledissimulasoussoncorsageetfitminedenepasremarquerlefrissondeLena.—Ilémetunsonquetunepeuxpasentendre,maistouslessangsbleusducoin–etmoi–seront

aussitôtalertés. (Il recula, referma laportièreetadressaunsignede têteauchauffeur.)Je t’appelledemainavantle…le…

—Lelancerdeballons,luirappela-t-elle.ÀHydePark.AveclesScandinaves.—C’estça.(Willfitlagrimace.)Ondevrapasmonterdansl’und’eux?—Tuaslevertige,aussi?—Jevaisfairecommesi jen’avaispasentendu.(Lacarrioledémarraet il lui lançaunregard

direct,ainsiqu’undernierrappel.)Resteàl’écartdesennuiscesoir,Lena.—Moi,m’attirerdesennuis?—Tulesattirescommeunaimant.

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17

Unrubis.Illuiavaitoffertunrubis.Lena tendit lamain devant elle. Elle ne cessait de le regarder, d’observer le jeu de lumière à

traverslapierrepolie.Ellefaisaitlatailledel’ongledesonauriculaire.Elleenavaitvudeplusgrosàl’Échelon,oùl’onaimaitnoyerlesesclavessouslesbijouxpourindiquerlaconditiondesmaîtres.MaisvenantdeWill,cejoyauprenaitplusdevaleurencorequeleplusgrosdiamantdumonde.

Lenafermalesyeuxetappuyasatêtecontrelesiège.Qu’allait-ellefaire?Commentpouvait-elleprotégersoncœuretluienempêcherl’accèsquandilfaisaitdetelleschosespourelle?Ildevenaitdangereusementévidentquesessentimentspourluinecessaientd’évoluer.

Elletamponnalesperlesdesueursursonfrontetsoupira.Àenjugerparlemartèlementdanssatête,elleseraitbonnepourunetassed’écorcedesauleunefoisrentréechezelle.

Unesecoussesoudainelajetaentraversdelabanquette.Lena s’agrippa à la sangle de la carriole et jeta unœil par la fenêtre. Ils s’étaient arrêtés. Le

chauffeurétaitundeshommesdeLeo,plusquequalifiépourlaconduitedecarriolesàvapeur.Bienqu’ilsviennentdequitterWhitechapel,lesroutesn’étaientpasmauvaisesetpersonnen’auraitleculotdel’attaquersiprèsduterritoiredeBlade.Toutlemondeauxcoloniessavaitàquilefaucondorésurlacarriolefaisaitréférence.BladeavaitaccordéunpassagesécuriséàLeodanssonroyaume.Leprixàpayerpourtrahirsaparole,c’étaitlamort.

—Cocher? lança-t-elle tandisquelavoitures’arrêtait.Henry?(Quandelle jetauncoupd’œilparlafenêtre,ellenevitaucunetraceduvaletquivoyageaitàl’arrière.)Quesepasse-t-il?

Pourtouteréponse,ellen’obtintquelesilence.Encedébutdesoirée,lesruesétaientdésertes.Aumilieudesombresd’uneruelleadjacente,unelueurbleueetchatoyantes’allumasoudain.Une

ombre se détacha du reste et Lena se renfonça vivement à l’intérieur de la voiture. La silhouettes’élevait à près d’un mètre quatre-vingt-cinq, puis elle se déploya jusqu’à atteindre environ deuxmètrescinquante.L’étrangeéclatazurdesonœilluifitpenseràunCuirasse.

MaisaucunCuirassen’avaitjamaisatteintcettetaille.Lena verrouilla la portière de la carriole et chercha quelque chose, n’importe quoi, pour se

défendre.Seulsquelquesmaigrescoussinstrouvèrentsonregard.Willavaitreprislepistoletpouryapporterdesaméliorations.

Lacréaturemétalliquesortitdelaruelleàgrandesfouléessaccadées.Ils’agissaitbeletbiend’unCuirasse, dont les plaques en acier froid étincelaient dans le jour déclinant. La tête était carrée,surmontée d’un casque démoniaque percé d’une fente étroite qui constituait leur seul point faible.Derrièreceverresetrouvaitunepaired’yeux.Desyeuxhumains.

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La créature brandit son poing massif et le propulsa dans la direction de Lena. Cette dernièrepoussauncrietreculaàl’autreboutdelabanquettequandlavitreexplosaetrépanditsesfragmentssurlesol.Elleouvritl’autreportièreetselaissatombersurlespavés,enchevêtréedanssajupejaune.

Quelquechoseluitiraitlescheveux.ElletenditlamainettrouvalafinechaîneenordusiffletqueWillluiavaitpasséautourducou.Destuyauxhydrauliquesproduisirentunbruitaigudanssondosetlacarrioletressauta.Lenafourrauneextrémitédel’objetdanssaboucheetsouffladedans.

Iln’yeutaucunson.Rienquelesgrincementssinistresdelacarriole,quelamonstrueusecréatureessayaitderenverser.

Lenarassemblasesjupesetseruahorsduchemin.Lavoitures’effondrasurlecôté,précisémentàl’endroitoùellesetenaitquelquessecondesplustôt.Haletante,ellefonçadroitdevantelleetheurtaunesurfacechaudeetsolide.

Des mains lui saisirent les bras. Lena se débattit instinctivement et se libéra de l’emprise del’homme.Unvisageauregardfixeapparut.Ilsedressaitau-dessusd’elle,vêtud’unblousonetd’unpantalondecuirmoulant.Unvéritablearsenalenmétalpendaitàsaceinture.Ellenepritpaslapeinedeledétailler.Elletournalestalonsetpritlafuitedansl’autresens.

Mais les lieux étaient envahis par des hommes. Elle plongea sous lesmains qui essayaient des’emparerd’elleettraversaungroupedebanditsdéguenillésetdépareillés.

Unsonretentitderrièreelle.—Jelatiens.Quelquechoses’enroulaautourdeseschevillesetLenapoussaunhurlement.Elletombalatêtela

première et heurta violemment les pavés. Une douleur irradia dans sa lèvre et ses poumons serétrécirent.L’espaced’un instant,elleeut lesoufflecoupé.Ellesentitcommeunvidebéantdanssapoitrineetessayadésespérémentd’inspirerdel’air,envain.Puis,soudain,sespoumonssemblèrentsedébloqueretellepritunegrandeboufféed’oxygène.

Ladouleurétaitàpeinesupportable.Lespaslentsd’unepairedebottesrésonnèrentderrièreelle.Quelqu’unapprochait.—Ondoitsegrouiller,Mendici.(Unjeunegarçon,àenjugerparsavoix.)Onpeutpasbloquer

lesrueséternellement.—Personneviendraseplaindre,Jeremy.(Legéantéclataderire.)Pasdanscequartier.Le regard deLena tomba sur le sifflet qui reposait par terre. Elle s’en emparamais une botte

venuedenullepartlepiétina.Legéantluisourit.—Visezunpeucettejoliepetiteminette.Lena tenta de se relever.Une corde retenait fermement ses jupes autour de ses chevilles et ses

effortsrestèrentinefficaces.Derrièreelle,lesystèmehydrauliqued’unelourdebottedemétalgeignit.—Rollins,fitlegéant.Ramasse-laetfichonslecamp.—Qu’est-cequ’elleavoulufaireaveccesifflet?Unjeunegarçonauxjouessalesetauregardnerveuxapparutdanssonchampdevision.—Aucunsonn’estsorti.(IlobservaLena.)Qu’est-cequetuasvoulufaireavecça?Lena lécha le sang sur sa lèvre entaillée et parvint à sourire. Lemartèlement dans sa tête lui

brouillaitpresquelavue.—Vousallezavoirdesennuis.L’automateenmétalsepenchaavecungrincementetsonénormemainserefermasurlataillede

Lena.—Jelatiens,lançaunevoixquirésonnaitàl’intérieur.

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Puisilseredressaetelleaperçutbrièvementl’hommeenfermédanslerevêtementmétallique.—Desennuis?(Mendicilaregardavacillerdangereusement.)Dequi?Lediableenpersonne?Plusieurshommeséclatèrentderire.—Onsaitcomments’occuperdessaigneurs,lançal’und’eux.—Onlesneutraliseavecunschlassimbibédeciguë!s’exclamaunautreenmimantuncoupde

poignard.—Ouunhurleur.—Lâchez-leurRollinsetPercy,jetaunautre.Lesriresgonflèrent.Un malaise s’empara de Lena. Loin d’y voir une menace réelle, ces hommes semblaient au

contraire savourercette idéeetparaissaient remarquablementbienpréparésà s’encharger.SiWillavait entendusoncoupdesifflet, il fonceraitdroitdansuneembuscade.Commeelle regrettait songeste!

—Venez,lesgars,lançaMendiciavecunclind’œilpourLena.Emmenons-lavoirlemaître.

Assisàlatabledelacuisine,WillregardaitEsmeremuersonragoût.L’odeurlefaisaitsaliver.C’étaitleseulendroitoùilsesentaitcommechezlui.Ilavaitpassédesheuresetdesheuresiciaufildesans,àsomnolerdansuncoinpendantqueEsmes’affairaitauxfourneaux.

Audébut,quandelleétaitdevenuel’esclavedeBlade,saprésencel’avaitd’aborddérouté.Jusque-là, le repaire avait été exclusivementmasculin et il éprouvait peu d’intérêt pour les femmes étantdonnéquesapropremèrel’avaitvenduàTomSturrett.

Après lamortdesonmari,Esmes’était retrouvéeauxaboisetn’avaiteud’autrechoixquededemander laprotectiondeBlade.C’étaitellequi luiavaitapprisà lireetqui l’avaitnourridebonspetitsplatsquandsoncorpsavaitgranditropvite.C’étaitellequiavaitsoignésesblessuresquandsespremièresincursionsdanslescoloniessefinissaientenbagarres–desbagarresqu’ilprovoquait.

Iln’avaitquepeudesouvenirsdesamère.Esmeétaitcequiserapprochaitleplusd’unefigurematernelle.

—Alors…murmura-t-elleentapotantlacuillèreenboiscontrelamarmiteavantdesetournerverslui.Quesepasse-t-ilentreLenaettoi?

La question n’aurait pas dû le prendre au dépourvu. Avec l’ouïe surnaturelle que possédaientquatred’entreeux,iln’yavaitaucunsecretaurepaire.Maisilnesesouvenaitpasd’avoirditquoiquecesoitquiauraitpualimenterlarumeur.

—Qu’est-cequetuveuxdire?Esmeluijetaunregard.—WilliamCarver,n’essaiepasdemeprendrepouruneidiote.Jenesuispasaveuglenonplus.

Tunevoudraispasm’insulter,si?—Ilsepasseriendutoutentreelleetmoi.Etj’aipasl’intentionqueçachange.Elles’essuyalesmainssursontablieretvints’asseoiràcôtédelui.—Pourquoi?demanda-t-elleenposantsamainchaudesurlasienne.Ilestévidentquetuasdes

sentimentspourelle,Will.Leloup-garouserenfrognaetbaissalesyeuxsurlebanccabossé.—Jepeuxpas,Esme.—Johndisaitlamêmechose,tusais,murmura-t-elleavecunelueurdecompassiondanssesyeux

verts.Ilavaitpeurdemefairemal.Peurdenepasréussiràsecontrôleravecmoi.Onaprisnotretemps,maisçaafonctionné.

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Willsefrottalanuque.—C’estpassisimple,Esme.—Ahnon?—Ripestatteintduvirusdubesoin,expliqua-t-il.Ilsepropageaucontactdusang.Levirusdu

loupeestdifférent.Ilsetransmetparlesang,etparlesperme…Esmeaffichaunregardentendu.—Jepourraijamaisêtreavecelle,dit-ildansungrondement.Jeneveuxpaslasoumettreàune

viepareille.Etencore,ça,ceseraitseulementdanslecasoùellesurvivraitàl’infectioninitiale.—Oh,Will…Laportes’ouvritàlavolée.Willmit instinctivementEsmeà l’abri derrière lui.Sur le seuil,Rip jeta un regardnoir sur la

mainquiavaitpousséEsmedanslecoin.Willretirasamainfaceàsonœilmenaçantetlevalesbrasenl’air.Siçadevaitarriver,ilssavaienttouslesdeuxqu’ilauraitledessussurRip.Maisàcetinstant,ilneréfléchissaitpas.Gouvernéparsespropresdémons,toutcequ’ilvoyait,c’étaitunautrehommeentraindetouchersafemme.

—Jefaisaisquelaprotéger,Rip.—Qu’est-cequinevapas,John?demandaEsme.—J’aientenduuncoupdesifflet.OùestBlade?Quelqu’unestabsent?Unfrissonremontalelongdel’échinedeWill.—Tul’asentenduoù?Ilyacombiendetemps?—Del’autrecôtédumur.Prèsd’OldCastleStreet.Ilyaunedizainedeminutes.SurletrajetpourAldgate.Lena. Le feu monta en lui et vida son cerveau. Il bondit sur ses pieds avant d’en avoir pris

conscienceetrécupérasesmitaineséquipéesdelamessurlebanc.—C’estqui?demandaRipd’unevoixquisemblaitdéforméeparduverre.EsmesaisitlebrasdeWill.—C’estLena,n’est-cepas?La seconde suivante, il était en train de se hisser sur les gouttières du repaire. Les colonies

s’étirèrentdevantlui,unlabyrinthedecabanesetdebâtimentsdélabrés.IlbonditendirectiondumurquiencerclaitWhitechapel.

Bâti cinquante ans auparavant, pendant la période de troubles au cours de laquelle Blade étaitarrivé aux colonies, il culminait à près de sixmètres de hauteur. Plus symbolique que réellementsolide,ilavaitétéconstruitaveclesmoyensduborddanslebutd’empêcherl’Échelond’entrer.

Willbonditpar-dessusetselaissaretombersuruntoitencontrebas.Unautresautplustard,ilseretrouvadanslarue.

Unseulregardversluietlesgenssedispersèrent.Ilpritladirectiond’OldCastleStreetetaperçutunefoulemasséedanslarueautourdequelquechose.Unéclatdorécaptasonattentionetsoncœurbonditdanssagorge.Ilfenditlerassemblementsanssesoucierdescrisets’arrêta,vacillant,devantla carriole deCaine. Elle était renversée sur le côté et la chaussée était recouverte de verre brisé.Quelques téméraires avaient déjà commencé à retirer les dorures, et les rideaux avaient disparudepuislongtemps.

Il pivota et observa la foule à la recherche d’une tête connue. Bill le Tanneur l’aperçut ettressaillit.Willlesaisitparlecol.

—Qu’est-cequis’estpasséici?

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—J’sais pas,murmuraBill dont l’haleine empestait le vin et dont les yeux partaient dans desdirectionsopposées.Onétaitpaslà,patron.Onarienvu.

Willl’attirajusqu’àseretrouvernezànezavecluietlaissalesflammes–laBête–transparaîtredanssesprunelles.

—Tusaisquejepeuxsentirquandunhommement?Réfléchisbien,Bill.Tuessûrden’avoirrienvu?

—Jepeuxpas,sanglotaBill.Ilsvontmetuer.C’estcequ’ilsontditsijepipaisunseulmot.Willserralepoingjusqu’àcequeBillenaitpresquelesoufflecoupé.—Qu’est-cequitefaitcroirequejevaispasfairelamêmechose?Bills’agrippaàsoncol,lesyeuxexorbités.—Ilsavaient…unmonstre…aveceux…unmonstrequicrachedufeu!Jepeuxpas. Ilvame

grillersurplace…commeungigotd’agneau!Jepréfèreencorequetumetuesplutôtqu’eux!—Ilsontemportéunejeunefemmeaveceux,non?Elleestàmoi,Bill.C’estmafemme.Etils

l’ontemmenée.Ilseforçaàouvrirlepoingetàlaisserl’hommeretombersurlespavésavantdel’achever.Son désir était presque écrasant. La veine palpitait dans sa tempe et sa vue se troublait par

moments.Lessonsetlesmouvementsautourdeluidevinrentsaccadés.Willrevintsursespasetlemondesebrouilladenouveau.

Quelqu’un lui saisit lepoignet. Il le sentit àpeine. Il baissa lesyeuxavecungrognement et sefigeaquandilaperçutunjeunegarçonquiledévisageait,blanccommeunlinge.

—Mefaitespasdemal,implora-t-il.Ilssontpartisparlà.Ilpointadudoigtlaruelleadjacentequiaboutissaitàunmurdebrique,danslequels’ouvraitun

tunnelmenantàl’anciennelignedemétroabandonnée.Le monde retrouva ses couleurs et se resserra avec une précision cristalline sur le tunnel

condamné.Biensûr.—LesSouterrains.

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18

—Oùm’emmenez-vous?demandaLenaquandonretiralebandeaudesonvisage.Elleclignalesyeuxfaceàl’éclatphosphorescentdeslanternesqu’ilsportaientetregardaautour

d’elle.Malgré la fraîcheurde l’air, ses cheveuxétaient imbibésde sueur.Elle avait la têtedansducotonetlessinusbouchés.

Les tunnels empestaient la moisissure et l’air vicié. Les hommes avançaient en silence, avecassurance;ellesupposaqu’ilsvenaientsouventici.

Une vague de panique comprima sa poitrine.Ondisait que les vieux tunnels abandonnés de laLiaison de Métro étaient hantés par tous les ouvriers qui avaient péri dans l’effondrement dessouterrains. Certains avaient été écrasés et d’autres emprisonnés dans le noir, promis à une lenteasphyxieouà la famine.Leprojet avaitdoncétéabandonné.Au fildesans, les tunnelsavaientétéinvestisparlesplustéméraires,quis’étaientmisàcreuserdessemblantsdelogissousterrequandlescoloniesavaientcommencéàdéborder.

Cespersonnesessayaientdesecacherdel’ÉchelonoudesEngouleventspouruneraisonouuneautre,oubienils’agissaitsimplementdepauvresnécessiteuxquin’avaientpaslesmoyensdelouerlespetitstaudisàlasurface.Ellenepouvaitqu’imaginerl’horreurd’uneviepasséesousterre,parmiles murmures de fantômes et les gangs de Bouchers – ceux qui sanglaient les hommes sur descivièresetlesvidaientdeleurhémoglobinepourlerevendreauxusinesdedrainage.

Puis, troisansauparavant, levampireavaitéludomicile ici-basensegorgeantdesangjusqu’àviderlestunnelsdeseshabitants.Lesfantômesn’enfurentqueplusnombreuxencore.Aujourd’hui,levampireavaitdisparu,manifestementexterminéparBladelui-même,maislessinistresSouterrainslaterrifiaient.

—Quiêtes-vous?L’hommequirépondaitaunomdeMendiciagitalamaindanssadirection.—Faites-lataire.Il alluma un bâton lumineux qu’il pressa contre sa jambe et l’éclat luminescent illumina les

ténèbres oppressantes. Il fit un pas en avant et longea prudemment les voies ferrées. Le tunneldébouchasuruneimmensecavernedanslaquellelesrailss’arrêtaientaubordd’ungouffre.Mendicidonnauncoupdepieddansunepierreetprêtal’oreilleenretenantsonsouffle.

Un«plop»résonnaauloin.Del’eau.Ilyavaitdel’eaulà-dessous.Puisquelquechoses’agitaenbas.Lenasesentitblêmir.

—Qu’est-cequec’est?Unegouttedesueurcouladanssondécolleté.Ellefrissonna.

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—LeGardien,murmuralejeunegarçonàsescôtés.Plusunbruit,maintenant.D’autreschosesrôdentdansl’ombre.Tunevoudraispaslesréveiller,si?

Lenaobservasafigurepâleetsecoualatête.Un câble en acier s’étirait dans la pénombre. Mendici tendit le bâton lumineux à l’un de ses

hommesetsortitquelquechosedesapoche.Onauraitditunetigemétalliqueéquipéed’uncrochet.Illa fit claquer dans sesmains et deuxpoignées apparurent, puis il fixa le crochet sur le câble et leresserra.

Lena dirigea immédiatement son regard vers le trou béant quand elle comprit ses intentions.Impossible.Ellen’allaitcertainementpassesuspendreau-dessusdecequipouvaitsecacherdanslesprofondeursdel’eau.

Mendiciclaquadesdoigtsdanssadirection.Lenasecoualatête,maisdeuxhommeslasaisirentparlesbraspourlaforceràavancer.Ellefut

pousséesanscérémoniecontrelegéant,quipassasonbrasautourdesataille.—Rollins, lançaMendici. Tu feraismieux d’y retourner.On peut pas faire passer Percy par-

dessuscetruc.Ramène-leàlamaisonetgraisse-le.Oufaiscequetufaisd’habitudeaveccettefichuecréature.

L’œil éclairé augazde l’automate revint à la vie.Puis il tourna les talons et s’éloignadans letunnelcreux.

—Prêtepourlameilleurebaladedetavie?Mendiciluiadressaunsourirequiressemblaitplusàunegrimace.—Non,pasdutout.Jeneveuxpas.Ilattrapalepandesajupeetlapoussaverslegouffre.Lenahurlaencherchantàselibérer.Ses

mules se retrouvèrent au bord du trou et des cailloux dégringolèrent sous ses pieds. Son regardhorrifiécroisaceluideMendici.

—Tuaslechoix.Tupeuxnageroutupeuxpasserpar-dessusgrâceàça.Ellejetauneœilladeauxfragilespoignées.—Trèsbien.(Ellehumectaseslèvressèches.)Jevaispasserpar-dessus.Mendicilatiracontrelui.—Accroche-toibien.Ceseraitdommagequejeglisse.Avecunriremauvais,illaplaquafermementcontrelui.Ellepassaàcontrecœursesbrasautour

desoncou.Ilrécupérasonbâtonlumineuxetletintentresesdents,puisilsaisitlespoignées.—Prête?—Non.Avecunautrerire,ilbonditdanslevide.Lenapoussauncrietenfouitsonvisagecontresonépauletandisqu’ilssepropulsaientàl’autre

boutdelacaverne.L’airsiffladanssesoreilles, lefroidrougitsesjoues,etsesjupesvirevoltèrentautourdesesjambes.L’instantparutdureruneéternité,maisquelquessecondesplustardilrelevalespiedsetatterritsurlerebordavecunesecousse.

—Nickel,lesgars!Onaatterri,lança-t-il.Lenaselaissatomberàquatrepattes,lecorpstremblant.Lemondetournoyaitautourd’elle.Elle

crutqu’elleallaitvomir.—Ressaisis-toi,chérie.T’esensécuritémaintenant.Enfin,pourl’instant.Mendici récupéra son espèce de cintre et le rangea. Il tiraLena sur les pieds et l’observa plus

attentivement.—T’aspasl’airbien.

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—Non,jenesuispasdansmonassiette.Ilsaisitsonmentonetposaledosdesamainsursajoue.—Maparole,tuesbrûlante.—J’aieumalàlatêtetoutl’après-midi,avoua-t-elle.Jecroisquejesuisentraind’attraperun

rhume.Lebâton lumineux éclaira sonvisaged’une lueurverte, soulignant l’éclat de sonœil valide et

l’acierdelaplaqueenmétaldesonautreœil.Ilparutréfléchir.—Alorst’approchepasdemeshommes.Onapasbesoind’êtremaladesencemoment.Le jeune garçon, Jeremy, jaillit à son tour de l’obscurité, une expression de jubilation sur le

visage.Ilatterritenchancelantpuisdécrochasapoignée.—C’estbonpourmoi,lesgars!

Ilspercèrentl’obscuritél’unaprèsl’autrejusqu’àcequ’iln’enresteplusquedeuxdel’autrecôté.

Mendici arpenta la saillie en consultant sa montre de poche. Lena s’appuya contre la paroi de lacaverne,épuisée.Inutiled’essayerdes’échapper.Ilslarattraperaientenquelquessecondesetl’idéedeseperdredansledédaledecestunnelslaterrifiait.Quisaitquellesautrescréaturesrôdaientdanslesténèbres,commeleGardien?

UnrugissementrésonnadanslesSouterrains.Mendicifitvolte-faceettentadepercerl’obscuritédesyeux.

—C’étaitquoi?demandalejeunegarçon.Mendici?Cedernier levaunemainpourleréduireausilence.Unnouveaurugissementdéchiral’air.Les

deux hommes sur l’autre rebord se hâtèrent d’accrocher leurs poignées sur le câble en jetant desregardsderrièreeux.Dansletunnel,deséclatsd’unelueurorangéevacillèrentavantdedisparaître.

—Rollins,grognaMendici.(IllançauneœilladenoireàLena.)Ondiraitquetesamisontdécidédevenirjouerdansnotrepetitmonde.J’espèrequetunetenaispastropàeux?

Lenaseredressaens’appuyantcontrelemur.Will.Lasourcedecebruitdevintsoudainévidente.—Nesoyezpassisûrdevous,dit-elleenrelevantlesyeux.Pitié,faitesqu’ilaillebien,qu’ilnesoitpasblessé.Lesilenceretomba.Lesdeuxderniershommesjetèrentuncoupd’œilpar-dessus leurépauleet

ralentirentleursgestes.Unsouriredesoulagementsedessinasurleursvisages.Puisl’und’entreeuxseraidit.Ilcriaquelquechoseetsejetasurlecâble.Soncorpsoscilladans

l’airdemanièreerratique.Moinsd’unesecondeplustard,ledernierpritsonélanetlaissatombersonbâtonlumineuxsurlerebordderrièrelui.

Lenaretenaitsonsouffle.Willpouvait-ilréellementaffronterlemonstrueuxPercyetsurvivre?Lefeugrégeoisqu’utilisaientlesSpitfiresbrûlaittoutcequ’iltouchait,etelleavaitbienvulecanondulance-flammesrattachéaubrasmécaniquedePercy.

Uneombresedécoupadanslabouchedutunnelavantdeprendrelaformed’unhommedontlacarrureluiétaitfamilière.Lenaexpiraentremblant.Ilétaitenvie.

Willapprochadubord.Lalueurphosphorescenteilluminasachemiseroussieetjouaaveclesossaillantsdesonvisage.Iltenaitquelquechoseàlamain,qu’ilbrandit.C’étaitlatêtecarréedePercy.

Mendicieutunhoquet.—Amène-moilafille.Quelqu’un poussaLena vers lui. Il l’attrapa par les cheveux et l’entraîna vers le bord du trou.

Lena plongea les yeux dans les ténèbres et se figea.Will s’était avancé lui aussi. La fureur et la

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frustrationsemélangeaientsursestraits.Quinzemètresàpeinelesséparaient,maisilsleurfaisaientl’effetd’unkilomètre.

—Tuveuxlarécupérer?s’écriaMendici.Alorsviensunpeuparici!Lenaperçutlesouriremauvaissursonvisage.—Non!Nevienspas,Will!Çavaaller…Onplaquaunemainsursabouchepourlafairetaire.Will empoigna le câble et sepropulsa, lamine sombre et déterminée.Le cœurdeLenabondit

danssagorge.Bonsang,pourquoinel’écoutait-ilpas?Soncœurmartelaitsescôtes.S’ilsefaisaitblesserenessayantdelasauver,elleneselepardonneraitjamais.

—Prêt,Lowerston?demandaMendicienobservantWillquiavançait,unemainaprèsl’autre.—Jel’ai,murmuraquelqu’underrièreelle.Uneformefineet tubulaireapparutàlapériphériedesonchampdevision.Lenatournalatête.

Mendici laissa sa main glisser de sa bouche. Moins de deux mètres derrière elle, un hommebrandissaitunfusil.

Elleneréfléchitpas.Ellen’arriveraitjamaisàtemps.Àlaplace,lesyeuxbraquéssursondoigtquieffleuraitladétente,elleseplaçadevantlecanon.

Avecunjuronétouffé,illevalefusiletladétonationrésonnaentrelesparoisdelacaverne.Laballe explosa aussitôt qu’elle entra en contact avec le mur et des étincelles jaillirent tel un feud’artifice.Unedizainedechauves-souriss’échappèrentdesombresenpoussantdescrisperçants,puisunlourdsilenceretomba,uniquementinterrompuparleclapotissinueuxdel’eauencontrebas.

Lenadévisagealetireur,lesoufflecoupé.Quevenait-elledefaire?S’ill’avaittouchée,elleneseraitplusqu’untasdechairetdeviscèreséparpilléssurlesolrocailleux.

—Tuesfolle?rugitMendicienl’écartantducheminpourlasecouer.Uneterreursourdepulsadanssesveines.—Non,s’entendit-ellerépondred’unevoixclaireetdistincte.SesgenouxcédèrentetMendicilalaissas’affalerparterre.— Recharge ! ordonna-t-il au tireur avant de jeter un œil versWill comme pour évaluer sa

distance.Merdealors.Lowerstoncherchamaladroitementdesballes,lesdoigtstremblants.Mendicigonflalesnarines.—Ondiraitquejevaisdevoirlefairemoi-même.Ilplongea lamaindanssapocheetensortitunpetitcylindreenmétal.Quand ilappuyasur le

boutonsituéausommet,Lenasepréparaàuneexplosion.Riennevint.Mais l’unedesmainsdeWill perdit saprise sur le câble et son corpsoscilla dangereusement,

comme s’il souffrait. Il plaqua son bras contre ses oreilles et son visage, et son corps serecroquevilla. Son autre main agrippait toujours fermement le câble, mais ses articulationsblanchissaient.

—Allezviens,enfoiré,murmuraMendicienl’observantd’unœilbrillant.—Ilpourrapastenirlongtemps,ajoutalejeunegarçon.Personnen’ajamaisrésistéàunhurleur

jusque-là.Will se redressa lentement, les muscles raides. Les dents serrées, le regard fou, il tendit la

deuxièmemainverslecâbleavecdesgestesprécisetmesurés,commes’ildevaitforcersoncorpsàluiobéircorrectement.

—Allez,murmura-t-elleensilence,lespoingsserrés.Ilnerestaitplusquecinqousixmètres.

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—Bonsang,ditLowerston,légèrementimpressionné.Ilyarrive.—Çavapasdurer,grognaMendiciens’emparantd’unehacheauprèsdel’undeseshommes.Ils’approchaàgrandspasdurebordentenantfermementlemancheenbois.Mêmesicettearme

neluiseraitpasd’unegrandeutilitécontreunloup-garoudanslefeuducombat.—C’estl’heurederencontrerleGardien.Ilbranditlahache,nonpasverslecâbled’acier,commeelles’yétaitattendue,maisverslapoulie

enboisquileretenaitaumur.Lapouliesedécrocha,rebonditsurlesoletdisparutdanslegouffreobscur.

—Non!hurlaLena.Will chuta dans les ténèbres et sa chemise blanche lui donnaune allure de spectre. Il heurta la

paroiopposéedugouffreetglissalelongducâblesurquelquesmètres.Puisildisparut.Quelquessecondesplustard–quiparurentdesheuresàLena–elleentenditl’éclaboussurequand

ilheurtalasurfacedel’eauetlegrognementaffamédescréaturesquirôdaientau-dessous.

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19

Will émergeade l’eau avecungrognement, lesmains recouvertesdegraisse et de sang, et untentaculed’acierserrédanssonpoing.Sesoreillessifflaienttoujoursetunedouleurluitransperçaitlajoue;ilavaitdûsecasserquelquechose.Lafureurbouillaitdanssonsangenmêmetempsqu’ilétaitassailliparlafatigue,contrecoupdesalutteacharnée.Iltentadelesignorer.

Ilseredressaetobservaletentaculed’acierinerte.Quellequ’aitpuêtresafonctionpremière,elleavaitdûêtresacrémentvicieuse.Ilavaitàpeineheurté lasurfacedel’eauquelesmembresd’aciers’étaientjetéssurlui.

Ilneserappelaitpasgrand-chosedela lutte,endehorsdebruitsetd’imagesconfus,maisilsesouvenaitvaguementdelagueulebéantequiaspiraitdel’eaupouralimentersonnoyauàvapeuretdesdentsaiguiséescommedeslamesquiclaquaientsansrelâche;dupoingqu’ilavaitenfoncédanslemincerevêtementdelastructured’acier;del’émanationdevapeurbrûlantesursonvisagequandilavaitarrachéletentaculeenprofitantdelafaiblessedesrivets.

C’était là l’erreur fatale des créateurs avec les monstres métalliques et les automates qu’ilsfabriquaient.ChezlesCuirasses,c’étaient lescharnièresdeleursbrasetdeleursgenoux;pourlescalmars d’acier, c’étaient les raccords segmentés de leurs tentacules à leur corps. Il suffisaitd’arracher tout ça et on se retrouvait avec une carcasse estropiée qui s’agitait comme une tortueretournéesurledos.

MaisladestructionduGardienn’avaitpasétésansconséquence.Will chancela contre une stalactite et pressa une main sur son flanc. Ses doigts s’engluèrent

aussitôt dans la blessure causée par les dents métalliques. Tous les muscles de son corps étaientendolorisparsachute,etlasurfacedel’eau,àl’impact,luiavaitfaitl’effetd’untasdepavés.

Iln’avaitqu’uneenvie:selaissertomberets’endormirpourlaisserpasserladouleur.C’étaitunefaiblessefatalepoursonespèce.Pratiquement imparablequandilétaitenproieà la fureur,àpeineconscientdesesblessuresetdeladouleur,unloup-garoutombaitcommeunepierrequandlafièvresepropageaitdanssonsang.

Willessuyalesangdanssesyeuxet fitunpasenavant,vacillant. Ilnepouvaitpasdormir.Pasmaintenant.Lenaétaitlà-haut.Ill’avaitentenduepousserunhurlementdéchirantquandilavaitchutédanslesprofondeurs.

Ceuxqui ladétenaient–et il commençait à avoirunepetite idéede leur identité–allaientviteregretterd’avoiroséposerlamainsurcettefemme.

Ilstraversèrentdestunnelsausoluséparletempsetlespiétinements.Ellenevitriendetoutcela.

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Leshommesparlaientetriaiententreeux,donnaientdestapesdansledosdeMendicicommes’ilétaitunhéros.

Ellen’entenditriendetoutcela.Elle évoluait dans un monde dépourvu de couleurs et de sons. Tout ce qu’elle voyait, c’était

l’imageenboucledeWillentraindedégringoleraufonddelafosseobscure.Ilnepouvaitavoirsurvécu.N’est-cepas?Cettepenséelarendaitmalade,commeunpoidssursa

poitrinequimenaçaitdel’étouffer.Oh,Seigneur,qu’avait-ellefait?Elleavaitsoufflédanscefichusifflet,persuadéequ’ilviendraitàsonsecoursetqu’illamettraitencoreettoujoursàl’abri.Maiscen’étaitpaslecas.Iln’étaitpasinvincible.Malgrésavitessedeguérison,malgrésaforce,iln’étaitfaitquedechairetd’os,exactementcommeelle.

Je viendrai toujours te chercher. Mais cette fois-ci, elle était livrée à elle-même.Will était…perdu. Elle ne pouvait le formuler autrement à moins de s’effondrer, de se transformer en unecréature aveugle et tremblante, noyée dans sa propre détresse. Elle devait survivre à la suite, leretrouver,découvrirs’il…

Ellechassacettepenséeetrelevalesyeuxpouressayerdeseconcentrer.Unfaisceaudelumièreapparut droit devant.Une lourde porte en fer se découpait dans la pénombre.Ungarde était postédevant. Elle perçut l’éclat de l’acier. Sa main était un gant de métal muni de plaques qui sechevauchaientjusqu’àsoncoude.

Unmembremécanique.Unevaguedefroids’immisçadanssesos,maiselleéprouvaitunecurieusedistance.Pourtenirle

coup,elleavaitverrouillécettepartied’ellequihurlaitdedouleuretforçaitsonespritàtoutanalyser.Àexaminer,àcomprendre,àtrouverunefaiblesse…

Lemécanique.Lemotbruissadanssatête.Unmécanique.Cesderniersétaientreliésauxenclavesetcontraintsàaccomplirleurcontrat,afinderembourserlatechnologiequileuravaitdonnévieouqui leuravaitprocuréunnouveaumembre.L’Échelonavaitdécrétéque leurexistencevalaitmoinsquecelled’unhumain.Onlesmaintenaithorsdevue,ethorsdesesprits.

—Bienvenu, frère, dit legarde en serrant lebrasdeMendici. (Son regard curieuxglissaverselle.)Ilssontàl’intérieur.Ilsattendent.Vousn’avezpasétésuivis?

—Onl’était, réponditMendici.Mais leGardienestsûrementen traindedéchiqueter les restesavecsesdents.

Nouveaucoupdepoignardenpleincœur.Lenadéglutit.Ellenevoulaitpasentrerdanscetendroitfroidetvidesiprofondémententerré.

L’étrangerhochalatêteetparcourutdesyeuxlepetitgroupedisparate.—Allezvouschercherdequoivousréchaufferleventre.Jem’occuped’elle.—Jecroisquejevaisvousaccompagner,annonçaMendiciencalantsespoucesàsaceinture.Je

medemandebienàquoirimetoutceci.—Lui-mêmeestd’unehumeurcurieuse,prévintl’étranger.—J’aiautantledroitqueluid’êtreici.J’aiautantdedroitsquen’importequelhommelibre.—Tupourrasluiexpliquerdirectement.Enroute.L’étrangerfitsigneàLena.La porte s’ouvrit et révéla une salle au beau milieu des divers tunnels. Des caisses étaient

empilées du sol au plafond.La lueur des bougies réchauffait l’atmosphère et dissipait les ombres,mais les faibles faisceauxnepermettaientpas àLenadedistinguer lesmurs.Rienqu’undédaledecaissessansfin.

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Unmurmuredevoixretentit.Mendicifrappaàuneautreporteenbaissantlesyeux.Iln’étaitpasaussiconfiantqu’illelaissaitparaître.

Une fente s’ouvritdans laporteetunœilgris apparut à travers.Puis la fente se refermaetonentenditlecliquetisd’unverrou.

—Tuesenretard.Lavoixétaitdouceetmélodieuse,celled’unhommehabituéauxinflexionstoniquesdudonneur

d’ordres.Laportes’ouvritetlalumièrejaillit,l’aveuglantl’espaced’uninstant.—J’aieuunpetitquelquechoseàrégler,réponditMendicienentrant.Lena jetaunregardnoirdanssondos.Leméprisdanssesparolesétaitblessant.Willétaitplus

qu’un«petitquelquechose».Fort,courageuxetobstiné,ilavaitplusdevaleurdanssonpetitdoigtqueMendicidanssoncorpstoutentier.

—C’estelle?Lenasentitqu’onlapoussaittandisqu’ellepénétraitdanslasalle.Sesyeuxs’ajustèrentlentement

à la lumière. La pièce était munie d’une immense table, sur laquelle se trouvaient les restes d’unrepas,entouréededouzechaises.Deuxfemmesrelevèrentlatête.L’uned’ellesétaitaffaléeavecunegrâcearroganteetl’autrefeuilletaituneliassedepapiers.Elleavaitlesmainsmaculéesd’encreetunregardchaleureux,empreintdecuriosité.Elleportaitunpantalond’hommeetunechemiseblancheajustéeàsescourbesplantureuses,ainsiqu’ungiletdetweedgris.Elleavaitrelevésursoncrâneunepairedelunettesgrossissantesetungantdemétalremplaçaitsamaindroite.EllebougeaitlesdoigtsavecunedélicatessequeLenaavait rarementvue.Unemontredegoussetdoréeattirait l’œilsursapoitrine,maisLenaétaitcertainequel’effetn’étaitpasintentionnel.

Uneautremécanique.L’autre femme portait un manteau de cuir noir boutonné sur le côté gauche. Elle portait des

épaulettesbrillantesetsesbottesgainaientsesmolletsmusclés.EllefittomberlacendredesoncigaresansquitterLenadesesyeuxnoisetteetfélins.MaislorsqueLenaluijetauncoupd’œil,elledétournasonregardfroidavecunegrimacedemépris.

—Tousceseffortspourça?Unhommeémergeadesombres,lemêmequiavaitouvertlaporte.Ilposaunemainlégèrement

possessivesurlafemme.—Patience,Ingrid.Cen’estpasunemanièredetraiteruneinvitée.Cethommepossédaitunevoixcapabled’hypnotiserdesgensàelletouteseule.Unforain.Il portait unmanteaubigarré et rapiécé sur son corpsmaigre.Aupremier regard, le vêtement

paraissaitmiteux,maisLenan’avaitpaspassédesheuresàcoudreetàserrerlesdentsd’ennuipourrien.Lemanteauétaitfaussementuséetellenedoutapasunseulinstantque,aucontraire,lespiècesde tissuavaientétécousuesavecsoin.Unfoulardcolorésortaitducolouvertdesachemiseetsesgantsnoirsétaientcoupésauniveaudesdoigts,laissantapparaîtrelapeauhâléedesesmains.

Mais ce ne fut pas ce qui attira son regard. Un patch en laiton retenu par une lanière de cuirrecouvraitl’undesesyeux,etundemi-masquefaitdecuiretdelaitondissimulaitsabouche.ToutcequeLenapouvaitvoir,c’étaitununiqueœilgrisetperçant.Sescheveuxétaientdelamêmecouleurcuivréequeceuxdelapremièrefemme.

—Uneinvitée?répétaLenaenreprenantsesesprits.Votresensdel’hospitalitéfait légèrementdéfaut.Quiêtes-vous?Qu’est-cequevousmevoulez?

—VousvouliezvoirMercury,non?Ilécartalesbras,lespaumesorientéesversLena.Celle-ciretintsonsouffle.

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—Mercury?C’estvousMercury?—Etvous,madélicieusemademoiselleTodd,vousêtesunejoliepetitesurprise.(Ilcaressales

épais cheveux bruns d’Ingrid d’un air absent.) Voici l’un de nos petits pigeons, murmura-t-il àl’intention de son camarade.Une protégée de notre ingénieuxM.Mandeville.Elle-mêmen’est pasdénuée de ressources. Ce sont sa tête et ses mains qui sont à l’origine de notre cadeau destiné àl’ambassadescandinave.

SoncomportementetlapointedemoqueriequiteintaitchacundesesmotsfirentgrincerLenadesdents. Il l’avait fait enlever dans la rue alors qu’elle serait venue de son plein gré. S’il lui avaitsimplement posé la question,Will serait tranquillement au repaire à l’heure qu’il était, en train dedîneravecleresteduclan.

Les larmes luimontèrentauxyeux.Lacause toutentièreétaitdénuéedesens.Elleneressentaitqueduchagrin.

— Pourquoi tout ce mystère ? Vos hommes auraient pu simplement me demander de lesaccompagner.Ilsuffisaitdedonnervotrenomet jeseraisvenuespontanément.(Elle jetaunregardnoiràMendici.)Vousavezdétruitlacarrioledemonprotecteur,assommémesvaletset…blesséunhommequejeconsidèrecommeunami.Etvousvousimaginezquejepeuxavoirdelabienveillanceàvotreégard?

Les doigts de Mercury s’immobilisèrent et son sourire vacilla. Il considéra Mendici avecintensité,commeenquêted’uneexplication.

— Son protecteur est un suceur de sang, expliquaMendici avec un ricanement. Si j’avais pu,j’auraisdémolijusqu’àladernièredesesjoliespetitescarrioles.Etàsafaçond’affronterPercyetdefranchir lecâbleavecautantd’aisance, tonsoi-disantami,machère,n’étaitclairementpashumain.(Unsourireflottasurseslèvres.)Jeneluifaispasconfiance.

—Etpourtant,vousattendezdemoiquejevousfasseconfiance,répliquaLena.Jenepensepasvouloircontinueràm’investirdavantagedanscettehistoire.Jepensaisqueleshumanistescherchaientl’égalité, mais ce n’est pas le cas. À la place, vous voulez renverser l’ordre social et écraserl’Échelonetlessangsbleus.Pourenfairedesesclaves,oupireencore.

—Pourlesexterminer,corrigeaMendicid’untonsec.—Ilsnesontpastousinhumains,rétorqua-t-elle.J’enairencontrécertainsquisonthéroïqueset

dignesdeconfiance.Monproprebeau-frèreestleDiabledeWhitechapeletilconsidèreseshommescommesafamille.Monprotecteuresttoutaussigénéreuxetiltraitesesesclavesavecrespect…

—Tuvois?raillaMendiciàl’intentiondeMercury.C’estunefichueadmiratricedesuceurs!Jeparie qu’elle se prostitue pour eux. Je suis même sûr que si on retrouve un jour le corps de cethomme,ondécouvriraqu’ilenestaupremierstadeduvirusdubesoin.Iln’apasdûbeaucoupaimerlehurleur…

Lenasetournaverslui,enproieàunecolèrecroissante.— Will n’est pas un sang bleu, espèce d’ordure. Si vous aviez seulement la moitié de son

courage…—Ça suffit ! grondaMercury. (Il s’écarta dumur et jeta un regard sombre àMendici.) Ilme

semblevousavoirdonnél’ordred’allervousrestaureretdevousreposer.Qu’est-cequevousfaitesencorelà?

Mendicicroisalesbrassursonimposantepoitrine.—Certainsdemeshommesseposentdesquestionssurvosderniersordres.Etsurl’indulgence

dontvousavezfaitpreuveaveclederniergroupedesangsbleusqu’onacapturés.—Vouscontestezmesordres?

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Lavoixétaitdoucemaisimplacable.—Disonsqu’ilsnenousplaisentpas. (Mendici se renfrognaet leva samainmécanique.)Vous

nousavezpromisunevengeancepourça.Pourcesenclavesdel’enfer.Onapasrisquénosviesetperdunosamispournousévaderdesenclavespourrien.Jeveuxdusang.Dusangbleu.Jeveuxvoirleurs têtes empalées sur des fichus pieux. (Il pointa le doigt vers Lena.) Qu’est-ce qu’elle a de siimportant?

—Elleadesoreillesdansdeslieuxquinoussontinaccessibles,réponditMercury.Nouveauricanement.Mendicifitunpasenavantetlaissaretombersamain.Quandillalevade

nouveau,iltenaitunpistolet.—Certainsdisentquevousfaiblissez.Quevousdeveneztropindulgent.Onadiscuté,lesgarset

moi…Unautrepistoletrépliqua.Unpetit trou rougeapparut sur son frontet,bouchebée, il s’effondra lentementenarrière.Le

bruitdesoncorpsheurtantlesolfittressaillirLena.Elle recula jusqu’à toucher le mur. Le silence envahit la pièce tandis que tous les yeux se

tournaienttimidementverslafemmequitenaitl’armefumante.Samain tachéed’encre trembla légèrementquandelle l’abaissa.ElleadressaunsigneàIngrid,

leslèvrespincées.—Débarrasse-toidelui.Veilleàcequelesautrescomprennentbiencequiarriveàceuxquiosent

serebeller,ici.La brune écrasa son cigare et se leva. Lena ne s’était pas aperçue jusqu’alors à quel point la

femmeétaitgrande,plusgrandequeMercury, avecdesépaules largesetune taille fine.Seules lescourbesplantureusesdesapoitrinecontrastaientavecsasilhouettemasculine.

EllesoulevaMendicietlehissasursonépauleavecaussipeud’effortsqu’auraitfournisWill.—Tuessûredetoi,Rosalind?demanda-t-elle.Leshommesl’appréciaient.Lapetiteroussehochavivementlatête.—Jenepeuxmepermettredetolérerlamoindreinsubordination.Pasmaintenant,alorsqu’onest

siproches.Emmène-le.(Ellesetournabrièvementverslasilhouettemasquéeappuyéecontrelemur.)Laisse-nous,murmura-t-elle.

LesyeuxdeMercuryglissèrentversLena.— Elle veut savoir si elle peut nous accorder son crédit, répondit Rosalind à la question

silencieuse. (Leurs regards se croisèrent.) Peut-être qu’elle a besoin d’une démonstration deconfiance.

Avecunhaussementd’épaulegrandiloquent,ils’approchadelaporte.—Àtesrisquesetpérils.JevaisvoirsijepeuxaiderIngridàdécouvrirquiaeulalanguetrop

pendue.Etjusqu’oùilssontallés.Ilfranchitleseuil,Ingridsursestalons.Laportese refermaderrièreeuxetLenase tournavers la femme.Elles faisaientàpeuprès la

même taille et semblaientdumêmeâge.Maispeut-êtrepas.Lapeaupâle etonctueusedeRosalindainsi que son nez retroussé lui donnaient une apparence d’éternelle jeunesse. Pourtant, le tonautoritaireaveclequelelles’étaitexpriméen’étaitpasceluid’unenovice.

TuvoulaisvoirMercury,n’est-cepas?Lenaréalisaalorsquel’hommen’avaitjamaisfaitréférenceàlui-mêmecommetel.—C’estvousMercury,c’estça?Ellepinçaseslèvrescharnues.

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—Jenevousveuxaucunmal.RosalindrangealepistoletdansunholsteràsahancheavecuneaisanceetunedextéritéqueLena

luienvia.—Quiétait-ce?L’homme?—Monfrère,Jack.C’estaussilui,Mercury.ToutcommeIngrid,detempsentemps.Mercurya

porté de nombreux noms et visages au fil des ans. C’est la meilleure façon de nous cacher del’Échelon. (Rosalind sourit légèrement et lui désigna une chaise.) Asseyez-vous. Parlez-moi. Vousavezbeaucoupattisénotrecuriosité.

—Vousaussi.Lenatiraunechaiseetselaissasuffisammentd’espacepourbougerencasdebesoin.Cettejolie

femmeparaissaitamicale,maisellenerisquaitpasd’oublieravecquellefacilitéellevenaitd’abattreunhomme.Nil’expressionfroideetdénuéed’émotionqu’elleavaitarboréeenl’exécutant.

Rosalind se radossaà sonsiègeetposa lesbras sur lesdossiersdeceuxqui l’entouraient.Sesyeuxbrunsserefroidirent.

—TrèspeudepersonnesconnaissentlavéritéquisecachederrièrelesecretdeMercury.—Jamaisjenelarévélerai.—Mêmesivotresympathieenversl’organisationestremiseenquestion?Lenamarquaunepause.—Jenevoustrahiraipas.Sijechoisisdetournerledosàcetteaffaireetdepartir,alorsjeme

contenteraid’oubliertoutcequej’aivu.—Partir?murmuraRosalind.Oùça?Pourretourneràvotrevieàlacour?Supplierunsang

bleud’avoirpitiédevousetdevousprendrecommeesclave?Àvotreavis,combiende tempsçapourradurer,comptetenudevotreincapacitéàlaisserunsangbleusenourrirsurvous?

La seule personne à être au courant de ce fait étaitM.Mandeville.Cette trahison lui fit l’effetd’unegifle.

Rosalindarrangealespilesdepapiersdevantellepuislespoussadanssadirection.—Voilàtoutcequel’onsaitsurvous,lesinformationsquenousavonsaccumuléesaucoursde

l’année dernière. Jack et Ingrid pensent peut-être que nous prenons un risque en vous révélant lesecretdeMercury,maismoi,jepensequevousn’oserezpas.

Undessinaufusainsurmontaitlapile.Lenareconnutsonproprevisage.Lerésultatétaitexquis,maissonexpressionétaitlégèrementdédaigneuse.Unregardaguicheur,àlafoisbeauetdur.

Elle lesoulevadélicatementetydécouvritdesdétailssurelleetsursavie.LenomdeCharlie.Sonsangnefitqu’untour.Honoria.MêmeBladeetWill.Touslesmenusdétailsdesonexistenceyétaientlistés.LesheuresauxquelleselleentraitetsortaitdelaMaisondeCaine.Unebrèvequestionsur la raison pour laquelle Leo l’avait prise sous sa tutelle était entourée en rouge, ainsi que desdétailsquotidienssurleurrelationquisemblaitterriblementintime.

Aucunsigneindiquantqu’ellepartagesonlit.Ousonsang.Jen’arrivepasencoreàdécrypterlanaturedeleurrelation,maisj’yparviendrai…

Pagesuivante:Cematin,ilsontfaitdesplaisanteriessursasœur,Honoria,commesiLeolaconnaissaitbien.La

relationva-t-elleplusloinqueça?Puis,plusbas:JetrouveétrangequeleducdeCaineaitrenoncéàvisiterlamaisondepuisl’arrivéedelafille.

J’ai posé des questions aux servants et aux esclaves à ce sujet. Sa Grâce venait régulièrement ledimancheaprès-midipourjouerauxéchecsavecsonfils,maisilnelefaitplus.Ilsn’ontjamaisété

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proches,maisl’unedesesclavesprétendqu’ellelesaentendussedisputerausujetdeMlleTodd.SaGrâcea insistéassezvigoureusementpourqueson fils«retireceserpentauxdeuxvisages»desamaison, mais son fils a refusé. Quelque chose dans cette situation semble sortir de l’ordinaire.Pourquoi l’héritier du duc prendrait-il une fille aussi insignifiante sous sa tutelle ? Le duc futautrefois lepatrondesonpèremais,audirede tous, l’histoires’estmal terminée,bienque jen’enconnaissepaslaraison.Jevaism’efforcerdecreuserunpeuplus.

Un traître infiltrédans laMaisondeCaineavait espionné lemoindrede sesgestes.Un frissonremontadanssondos.

—MmeWade,murmura-t-elle,soudainavecunepenséeeffrayéepourLeo.Siquelqu’uncomprenaitprécisémentlanaturedeleurrelation,ilseraitfichu.— Sa loyauté a été facile à acheter. Elle a des dettes faramineuses, expliqua Rosalind. Vous

représentiez dès le début un handicap potentiel. Avec un accès à de nombreuses ressources. Nousavonsvotépoursavoirs’ilétaittroprisquédeseservirdevous.Ingrid,elle,voulaitvoustuer.

Lenabonditsursespiedsetlachaisegrinçasurlesol.Ellenepouvaitréprimersesfrissons.Elleavaitl’impressionqu’onvenaitdeluiverserunseaud’eauglacéesurlatête.

—Qu’avez-vousl’intentiondefairedemoi?—Sionavaitvouluvoustuer,ceseraitdéjàfait.Çan’ajamaisétémonintention.(Rosalindfitun

gesteverslecôté.)Vousvoulezunpeudethé?Vousêtesblanchecommeunlinge,toutàcoup.—Jeneveuxpasdevotrefichuthé,jevousremerciebeaucoup.Etauvudesrécentsévénements,

jenesuispascertainedevouscroire.—Mendici?Cen’étaitrien.—Jeparledel’humanistequim’acolléuncouteausouslagorgel’autrejouretquiamenacéla

viedemonfrère!Rosalindsefigea.—Jenesuispasaucourantdeça.Lenas’humectaleslèvres,nesachantsiellepouvaitlacroire.—Vousattendezdemoiquejefassecapoterlasignaturedutraité.—VousavezditnonàM.Mandeville,etquevousvoulieznousrencontrerd’abord.—Alors quelqu’un n’a pas écouté, répliqua Lena. Je livrais lemessage deMandeville àmon

contactàl’Échelon.(Ellerelevalementon.)Quelqu’unm’aaccostéeetm’amisuncouteausouslagorge.Ilm’aditquejedevaisempêcherletraitéoumonfrèreseraitendanger.Ildétenaitl’undesesjouetsquivenaitdirectementdesachambre.Unendroitoùpersonnen’estcensépouvoirpénétrer.Et,chuchota-t-elle,c’étaitunsangbleu.

Rosalindblêmit.—Vousêtessûre?Ilnevousauraitpassuivielà-bas…—Ilconnaissaitlescodesdeshumanistes,réponditLena.Ilétaitaucourantdechosesquenepeut

savoir qu’une personne proche du Conseil. Concernant l’implication deWill dans la signature dutraité…etoùj’allaisremettrelalettre.C’étaitforcémentmoncontact.

—Çan’arienàvoiravecnous,objectaRosalind.—Jecroyaisquec’étaitvousquiétiezàlatêtedel’organisation?Untrèslongmoments’écoulaensilence.— Les apparences peuvent être trompeuses, murmura Rosalind. Et si je vous disais que nous

n’avonsaucunrapportavecl’incendiedesusinesdedrainage?Quejenesuispasaucourantdecettemenacequipèsesurvous?

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Lenalaregardadroitdanslesyeuxets’efforçadeparaîtreforte.D’avoirducourage.CommeleferaitWill.Non,nepensepasàça.Elleserralespoingsetravalasapeine.Ellepourraits’effondrerplustard.

—Etsijevousdisaisquejenevouscroispas?Rosalindfitlagrimaceetserenversasursachaise.—Cequejem’apprêteàvousdirenedevrajamaisquittercettepièce.Lenahochalatêteetellepoursuivit:—Commevousl’avezsûrementcompris,leshumanistessontdivisésendeuxfactions.Ceuxqui

sebattentpourlalibertéetceuxquisebattentpourlavengeance.Çan’apastoujoursétélecasmais,l’année dernière, nous avons mené une attaque sur l’une des enclaves pour libérer un groupe demécaniques.Nousavionsbesoindeleurscompétencesdansletravaildumétal.Malheureusement,ilsnesesontpasmontrésaussicoopératifsquenousl’avionsespéré.Ilyaungroupedissidentauseindecettefactionquis’accaparecertainesquestionsetsesertdenotrenometdenosinformationspoursemerlechaos.

—Pourquoinepascoupervosliensaveceux?Rosalindluijetadenouveauunlongregard,commesiellesedemandaitsiellepouvaitvraiment

luifaireconfiance.—Venez,finit-ellepardireenselevant.J’aiquelquechoseàvousmontrer.Inutilederésister.Enplus,lacuriositédeLenaétaitpiquéeauvif.—Oùallons-nous?—Danslescaves.Rosalindpénétradanslecouloirobscur,s’emparad’unelanterneaccrochéeaumuretguidaLena

le longdu tunnel jusqu’àunepetiteporte.Uneodeurdeproduits chimiques flottait dans l’air.Elleaccrochalalanterneàunclouaumur,sortituneclédesapocheetouvritlaporte.

Dans l’ombresilencieuse, la faibleclartéde la lanterne réfléchissait l’éclatde l’acier.Rosalindentraetlalumièreserépanditdansl’immensegrotte,chassantlesombres.Desdizainesd’imposantsautomates reposaient en silence, l’œil dépourvu de leur lueur habituelle.Des enveloppes demétalcommecelledontRollinss’étaitrevêtu.DesrangéesentièresdePercy.

—CesontlesCyclopes,déclaraRosalindd’unevoixteintéedefiertétoutentendantlalanterneàLena.

Ellefitunpasenavantetcaressalestuyauxhydrauliquesdubrasenacier.Lecanoncreuxdesonlance-flammesétincelait.

Rosalindsepenchaetenclenchaunboutonsituésouslebras.Lacavitéthoraciques’ouvritavecunsifflementetlatêteserenversaenarrière,laissantapparaîtreunespacepermettantd’accueillirunhomme. Elle prit appui sur le genou plié du Cyclope et bondit dans le creux. Puis elle sangla unharnais en cuir autour de sa poitrine et de sa taille. Elle saisit deux poignées qui se trouvaient àhauteurdesbras,enclenchaunesériedeleviersettournauncadran.Lacarapaced’acierseremitenplaceavecunvrombissementvenantdesprofondeurs.

—Ilfautquelquesminutespourchaufferlachaudière,expliquaRosalinddontlepetitvisageenformedecœurapparaissaitausommetdutorse.

Concentrée, elle activa quelque chose à l’intérieur et les tuyaux hydrauliques émirent unsifflement.LeCyclopeseredressadetoutesahauteur,quiavoisinaitlestroismètres.

— Ils sont totalement mobiles, ils ont plus de flexibilité et de contrôle qu’un Cuirasse etfonctionnentavecunlitred’eauparjour.(Avecunsourire,elleforçaunbrasàselever.)Onaconçulelance-flammesàpartirdumodèledesSpitfires.Lesdégâtssontimpressionnants.

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Auboutdubrasd’acier,lesdoigtsremuèrent,prouvantleurétonnantedextérité.—C’estdutravaildemécanique,expliquaRosalind.Dudébutàlafin.—Voilàpourquoivousavezbesoind’eux.RosalindgrimaçaetleCyclopes’affaissadenouveau,puislemoteurs’éteignit.Ellerouvritles

plaquesthoraciquesetsortit.—Oui.Leprojet et lesplans sontdenous. (Elle lui jetaunbref regard.)Mais laconstruction,

c’est eux. (Elle lâcha un rire éraillé.) L’Échelon les a retenus de force dans les enclaves pourtravailler l’acier à leur compte et gagner ainsi le remboursement des améliorations effectuées surleurspropresmembresmécaniques.Pasuneseulefoisilsn’ontpenséquenouspourrionsretournerleurpropretechnologie–lescompétencesqu’ilsontenseignéesauxmécaniques–contreeux.C’estlaseulechosequenous,leshumains,n’avonsjamaisétécapablesdecontrer.Nousavonspeut-êtreétéenmesured’écraser les sangsbleusdeFranceetde lescondamnerà laguillotine,maisnos sangsbleussontplusintelligentsetsecachentderrièredesarméesd’automates.Lachairhumainenepeutriencontrelemétal.Alorsondevaitégaliserleschances.

—Poursebattrepourlaliberté,ditLenaavecunelégèrenotedesarcasme.Ondiraitplutôtunequêtedevengeance.

— Pensez-vous réellement que l’Échelon va simplement abandonner et nous accorder nosdroits?(LacolèretransparaissaitdanslavoixdeRosalind.)Peut-êtrequ’ondevraitposergentimentlaquestion?

—Desgensvontmourir.—C’est déjà le cas.Quatre cent trente hommes et femmes ont assailli les rues pour protester

contreladernièrehaussedestaxesdesang.L’Échelonlesatoutsimplementfauchésaveclacavalerietroyenne.Unecentained’entreeuxàpeineontsurvécu.

—Ilsn’auraientpasaugmentélestaxesdesangsilesusinesdedrainagen’avaientpasbrûlé.Ilyapénuriedésormaisetl’Échelonabesoindesangrapidement.Vousnecomprenezpas?Celadevientuncerclevicieuxd’hémoglobineetdemort!

RosalindrécupérasèchementlalanternedesmainsdeLena.—Jesuisdéçue.Jepensaisquevouscomprendriez.Surtoutquandonsaitd’oùviennentlesplans

desCyclopes.—Qu’est-cequevousvoulezdire?—Votre proprepère.SirArtemusTodd, avec son esprit brillant et ses idées excentriques. Il a

passé ladernièreannéedesavieàchercher lesfaiblessesdessangsbleus.Nousutilisons la toxinequ’ilaélaboréepourlesneutraliseretsesmissilesdefeupourlestuer.AulieudefuirVickersavecvous,avecsafamille,ilarisquésaviepourvenirdéposerlesplansdéfinitifsdesCyclopesdansnosmains.Ilenapayéleprixultime,maisdansnosrangs,personnenel’oublierajamais.

Lenasesouvenaitàpeinedumomentoùilsavaientdûprendrelafuite.Onlesavaitréveillésenpleinenuitetentassésdansunecarriole.SonpèreluiavaitdemandédeveillersurCharlieet,mêmesielle l’avaitvus’entreteniravecHonoriaet luidéposerunjournalcodéentre lesmains,ellen’avaitjamaissaisiaucunedeleursparoles.

Cette nuit-là avait changé sa vie pour toujours. Arrachée à son univers et à ses leçons, à sesespoirsd’avenirauseindel’Échelon,elleavaitététraînéedanslesconfinssombresetlugubresdescolonies.Toutcequ’elleavaitcompris,c’étaitqueVickers,leducpourlequelsonpèreeffectuaitsesbrillantesexpériences,voulaitleurmort.

Ellen’avaitjamaissupourquoi.—Pèreétaitunhumaniste?demanda-t-elle,lavoixlégèrementéraillée.

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—Jusqu’àlamoelle.Nouvelle surprised’une série sans fin.Lena tendit lamainpour s’appuyer aumur, les genoux

tremblants.— C’est pourquoi nous vous voulions, reprit Rosalind. Votre sœur a trahi sa mémoire en

épousant un sang bleu.Elle ne peut nous être d’aucune utilité.Vous, en revanche, avez fait preuved’unecertainehabiletéaveclesrouagesetlesmécanismes.Vousconcevezdesobjetsquipourraientnousêtreutiles…

Lenafitlerapprochement.—VouspensezquejepourraisapprendreàconstruirelesCyclopes?Danscecas,ilsn’auraientplusbesoindesmécaniques.Est-cequeRosalind–ouplutôtMercury,

carelleétaitentraindepercevoirladifférenceentrelesdeux–allaitsimplementlestuer?Commeellel’avaitfaitavecMendici?Unfrissonparcourutsonéchine.QueferaitMercurysiLenarefusait?

Iln’yavaitaucuneéchappatoire.Nullepartoùsecacheretaucunallié.Pasmême…Non, ne pense pas à lui. Elle ferma les yeux et prit une longue inspiration pourmaîtriser ses

émotionsetréprimersanausée.Réfléchis.Le seulmoyen pourRosalind d’avoir eu vent des compétences deLena, c’était par le biais de

M.Mandeville.Toutàcoup,lamanièredontill’avaittoujoursobservéeattentivementluiparutbienplussinistre.

—Jefabriquedesjouets,murmura-t-elle.— Mais vous pourriez faire un Cyclope. (Rosalind fit un pas vers elle.) Le mécanisme

transformableestlapreuvequevouspossédezletalentetlacapacitépourconcevoirunetellechose.(Sonregards’illumina.)Vousseriezunehéroïne.

Unehéroïne.Troissemainesplustôt,cegenred’argumentauraitpeut-êtrefonctionné.L’heuredela reconnaissance, enfin,mais pas de la part de sonpère. Il étaitmort pour lesmêmesprojets quitransportaientcettefemmeetilluminaientsonvisage.

Tout n’était quemensonge dans sa vie.MmeWade l’avait espionnée, ainsi queM.Mandeville,celanefaisaitaucundoute.Sonpère,unhommequi l’avaitpratiquement ignoréeen laconsidérantcommeunesortedepetitepoupée,avaitconçudesarmescapablesd’anéantirl’Échelon.

EtHonoriaétaitvraisemblablementaucourant.Lenaposalatêtecontrelemuretfermalesyeux.Àquipouvait-elleenréférer?Touscessecrets

luidonnaientl’impressionquesatêteallaitexploser.Maiselleaussiavaiteulessiens,non?Sa solitude la heurta de plein fouet. Personne à qui faire confiance, personne à qui se confier.

Personneneconnaissaitsessecretsoun’avaitpartagélessiensavecelle.Personneàl’exceptiondeWilletilétait…

Lenatombaàgenouxetsemitàvomir,lecorpssecouéparsadétresse.Elleavaittentédetoutessesforcesdenepaspenseràlui,d’étouffersapeine,maisellegonflait,menaçaitdel’étoufferetluidonnaitdeshaut-le-cœur.

Lesyeuxbrûlantsdelarmes,elles’essuyalevisageavecsamanche.Oh,Seigneur,qu’allait-ellefaire ? Comment allait-elle annoncer à Blade queWill… qu’il n’était plus là ? Cette pensée étaitinconcevable. Ilétaitsi fort,bourrédevieetdefougue,etdesflammess’allumaientdanssesyeuxambrés chaque fois qu’elle posait les siens sur lui. La douleur qui prenait son cœur en étau étaitinsupportable.Elleavaitbesoindevoirlecorps,delerameneràelle.Pourl’enterrerproprement.

Pourluidirequesielles’étaitdoutéeuneseulesecondequ’ilpourraitluirendresonbaiser,elleneseraitjamaisretournéeàl’Échelon.Àcechaos.

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Maisd’abord,elledevaitsortird’ici.Ellerelevalesyeuxverslesbotteslustréesdevantelleetlesrangéesdedronesmétalliques.

—Non,murmura-t-elle.Jeneleferaipas.—Ce n’est pas vraiment la réponse que j’espérais, répondit Rosalind d’une voix calme. (Elle

armalechiendesonpistolet.)Quelledéception.Allez,debout.Jen’aiplusbesoindevous.

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20

—Jenedirairienàpersonne,protestaLena,leregardbraquésurlecanondupistolet.L’inventiondesonproprepère.Quelleironiedusort.—Jeneveuxplusrienavoiràfaireavectoutça.Toutcequejeveux,c’estrentrerchezmoiet

oubliercecauchemar.Rosalinds’agenouilla,lepistoletposésursongenou.— Vous ne comprenez donc pas ? Ce n’est pas un jeu, mademoiselle Todd. Vous en savez

beaucouptrop.—Jenesouffleraimotàpersonne…—Malheureusement,jenesuispassûredevouscroire.Lenasentitl’amertumemonterdanssapoitrine.—Vousn’avezjamaiseul’intentiondemelaisserrepartir,n’est-cepas?Vousêtespirequeles

sangsbleus,pirequel’Échelon.Vousvousservezdesgensetensuitevousvousendébarrassezdèsqu’ilsneserventplusvosintérêts.

Unelueurdistanteenvahitleregarddel’autrefemme.Ellebaissalespaupières.—Votreinnocencemesurprendbeaucoup.(Unsourireamer.)Jesuiscequ’onafaitdemoi.Une

arme.Un faucon chasseur, enfin libéré des jets de sonmaître. Je n’attends aucune pitié et je n’enaccorderaiaucune.

Lepistoletselevadenouveau.—Attendez!s’écriaLena,désespérée.Jevousenprie.Jevousensupplie,nefaitespasça.J’ai

toutperduaujourd’hui.Ilnemeresteplusrien.Les larmes brouillèrent sa vue et le pistolet disparut. Elle retint son souffle, maintenant ses

paupièresferméesdetoutessesforces,prêteàentendrelaripostedel’armeàfeu.Silence.Lesjouesrecouvertesdelarmes,ellerelevaleregard.Rosalindémitungrognementdedégoûtet

branditsonpistoletversleplafond.—Il fautcroireque j’aiencoreuneoncedepitiéenmoi,manifestement. Jesaisque jevais le

regretter.Lenalâchaunsoupirtremblant,lecœurcognantcontresescôtes.—Jevousprometsquenon.Ellelasaisitparlebrasetlahissasursespieds.—Venez.JevaisvousbanderlesyeuxetdemanderàJackouIngriddevousjeterquelquepart

prèsdeségouts.—PasIngrid.

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LenaavaitlesentimentquesiIngridapprenaitcemomentd’indulgence,ellerégleraitleproblèmeensilence.

Rosalindpinçaleslèvres.—Vousn’êtespasenpositionderéclamerquoiquecesoit.Allez.Uncrirésonnaauloin.Toutesdeuxsefigèrent.—Ilvaudraitmieuxpasquecesoitdesamisàvous,fitRosalindenplissantlesyeux.(Ellefourra

lalanternedanslesmainsdeLenaetjetauncoupd’œilàl’extérieurdelapièce,lerevolverdanssondos.)Oubiennotrearrangementestannulé.

Lebruitdel’acierquicognecontrel’acierrésonnaàtraverslestunnels,suivid’unrugissementassourdissantetremplidefureur.

Celapourrait-ilêtre…LecœurdeLenasemitàpalpiteretelleretintsonsouffle.Ellevoulutseprécipiterdansladirectiondeceson,maisquelquechoselaretint.LamainmécaniquedeRosalindautourdesonbras.

Rosalind la plaqua contre le mur et jeta un coup d’œil au coin du tunnel. Ne distinguantvisiblementrien,elletraînaLenaderrièreelle.

—Çavientdelasalledegarde.Lenan’osaitpasespérer.Pouvait-ilvraimentavoirsurvécuàsachute?Un nouveau grondement retentit, puis un fracas qui ressemblait au vacarme une chaise jetée

contreunmur.—Écartez-vous!s’écriaunevoixdefemme.Jevaism’enoccuper.Rosalindlâchaunsifflemententresesdentsserrées.—Ingrid.Ellesemitàcourir,cequiétaitprécisémentcequevoulaitLena.Laportedevant elles s’ouvrit à lavolée.Unhomme futprojeté à travers l’ouverture,puis alla

glisser sur le sol lisse du tunnel. Les cheveuxmaculés de sang, il lutta pour rouler sur lui-même.Rosalindjuratoutbasets’agenouilla.Ellelevasonmentonetl’examina.

De l’autrecôtéde laporte,c’était lechaos.Desdébrisdechaisesétaientéparpilléscommedesallumettesetunpiedapparaissaitausol,immobile.Leresteducorpsétaitinvisible.

Willsetenaitaumilieudecedésordre, lesoufflecourt, lespoingsserrés, lesépaulessecouéespar une rage à peine contenue. Sa chemise humide et imbibée de sang lui collait à la peau, et sescheveuxpendaient,mouillés,autourdesonvisage.

Lenaeutunhoquetetsefigeasurplace.—Will,murmura-t-elle,lecœurgonflédanssapoitrine.Ellevacillaetserattrapaaumur.Ilétaitenvie!Elleavaitpeineàlecroire.Puiselleplissales

yeuxenvoyantlesangsursescôtes.Envie,maisblessé.Il releva ses iris d’ambre brûlant. Quand leurs regards se croisèrent, le corps de Lena fut

parcourud’unedécharge.Ellelevitresserrerlesdoigtsautourducouteauqu’iltenait.—Lena,gronda-t-ild’untonqu’elleneluiavaitjamaisconnuauparavant.Maisilsn’avaientpasletempsdesavourerladouceurdel’instant.Àtraversseslarmes,Lenavit

Ingridsurgirdenullepartenbrandissantlepiedd’unechaise.Ellel’abattitavecviolenceetWillluiattrapalepoignetavecungrognementméprisant.

Toutauraitdûs’arrêterlà.MaisIngridfutplusrapidequeLenanel’auraitcrupossibleetécrasasamainàlajointuredesoncoude.WilllâchaunrâlededouleuretIngridenchaînaavecunebalayette.

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Leloup-garouheurtaviolemmentlesoletIngridbrandit lepieddechaisepourl’abattresursatête.Ildonnauncoupdepiedquiluiarrachaleboutdeboisdesmains,sevoûtaenprenantappuisursesépaulesetseremitdeboutd’unseulgeste.Écumantderage,ilempoignaIngridparlatailleetlaplaquaausol.

Lenafitprudemmentunpasenavantetinspectalapièce.Ill’avaitréduiteenmiettes.Lesolétaitjonchéd’hommesquigémissaientenserrantleursosbrisésetleursmusclesendoloris.Enrevanche,aucunn’étaitmort.

Pourl’instant.LecombatentreIngridetWillétaittroprapidepourquel’onpûtensuivrelefil.Il immobilisa

sonadversaireavecuneforceimplacable,luitiraunbrasdansledosets’agenouillasurelle.Ingridgrogna,levisageécraséparterre,lesyeuxbouillantderage.

Desyeuxcouleurbronze.Unautreloup-garou.Willtiraunpeuplussursonbras.Lecorpsd’Ingridfutagitéd’unesecousseetellefitlagrimace,

lesdoigtsdesonautremainenfoncésdanslesol.LeregarddeWills’assombritetilposaunepaumecontrel’articulationdesonépaule.Sesintentionsétaienttrèsclaires.

—Non!s’écriaLena.Nefaispasça!Elle s’élança en avant, saisit son bras et tira dessus sans la moindre efficacité. Will montra

sauvagementlesdentsetlaragequ’elleperçutdanssesprunellesfitbondirsoncœurdanssagorge.L’espaced’uninstant,ellesedemandas’iln’allaitpass’enprendreàelle.Elledécelaitl’aviditédanssesyeux,ledésirdetuerquibrillaitdanssespupilles.

—Will,murmura-t-elleenglissantsonpoignetsoussonnez.S’ilsentaitsonodeur,illareconnaîtraitetneluiferaitaucunmal.Ilrelâchalapressionsurlebrasd’Ingrid.Lamaintremblante,Lenaluitouchadoucementlajoue.—Will,regarde-moi.C’estLena.Tumeconnais.Ellecaressalalignedesamâchoireetdéglutitenlevoyanttournerlatêteetmordillertendrement

lachairtendredesapaume.Une morsure et son sang se mettrait à couler, à se mélanger avec le sang qui maculait sa

pommette cassée.Une seulemorsure et elle serait infectée. Secouée de violents tremblements, elleémitunpetitcriquandilpassasalanguesursapeausensible.Puisillarelâchaenlaissantglissersesdentssursapaume.

Derrièreelle,elleentenditRosalindordonneràquelqu’un:—Dèsquevousaurezunbonangledetir,allez-y.—Lafilleestdanslechamp.Jelatue?Lenasefigeaet jetaunregardpar-dessussonépaule.Concentré,Jacklavisaitavecunénorme

fusil.— Si vous me tuez, déclara-t-elle, surprise par le calme de sa voix, vous ne pourrez jamais

l’arrêter. (Elle posa une main ferme sur l’épaule deWill.) Il est venu me chercher. La faute auxmanièresdeMendici.Moiseulepeuxl’arrêter.

Rosalindgonflalesnarines.SesyeuxglissèrentversWillavantdesereposersurLena.—Ilestpasprèsdes’arrêter.LenaglissasoncorpsentreeuxpouressayerdecouvrirWillautantquepossibleetsecoualatête.—Moi,ilm’écoutera.Lenaperçutl’hésitationdeRosalinddanssonregard.

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—Jevaisluiparler,reprit-elle.Lecalmer.Ensuite,onpartiratouslesdeux.Etjegarderaitousvossecrets.

—Oualorsonpourraitvoustuertouslesdeux.Lenaplissalespaupières.—Essayez un peu et vous comprendrez pourquoi personne n’ose s’attaquer à un loup-garou.

Tuez-moietillatue,elle.—Allez-y,grognaIngrid.—Laferme,coupaJackenbaissantlégèrementsonfusilavecuneattitudefroideetsongeuse.Sonexpressions’adoucit imperceptiblementquandil regardaIngrid,etLenasutqu’ilpossédait

uneformedecompassion,defaiblesseaufonddelui.—Àunecondition.Nousvoulonsletransformable.Terminezleprojetetlivrez-le-noussouscinq

jours.C’estleprixdenotrecoopération.Laveille,elleauraitpeut-êtresimplementaccepté.—Pourquoi?Qu’est-cequevousavezl’intentiond’enfaire?— C’est un cadeau destiné à l’ambassadeur scandinave. On a déjà pris contact avec eux. Ils

l’attendent.Letransformablen’étaitqu’unjouet,enréalité.Unjouetgrandeurnature,certes.—Jenepourraijamaislefinirencinqjours.Lefusils’agita.—Vousn’avezpaslechoix.Lessouduresdesplaquesd’acier représentaientdesheuresde travail.Elleavait fini lamajeure

partiedumécanismequil’activait,maistoutdemême…L’épauledeWilltressautasoussamain.Sansréfléchir,ellecaressasonbrasets’approchadelui.—C’estd’accord,dit-elle.JeprendraicontactavecMandevillepourqu’ilm’aide.Jeledéposerai

àsaboutiquequandilserafini.—Vousvousméfiezdenous?demandaRosalind.—Jenefaisjamaisdeuxfoislamêmeerreur.Leursregardssecroisèrent.Rosalindbaissasonpistoletethochalatête.—Jack.—Calmez-led’abord.Lena pivota sur elle-même. Will tremblait. Il avait les yeux fermés et les lèvres retroussées,

comme s’ilmenait une lutte intérieure qu’elle ne pourrait jamais comprendre. Elle l’avait déjà vudanscetétatetsavaitqu’ilcherchaitàreprendrelecontrôle.

—Jesuisensécurité,murmura-t-elle.J’aiseulementbesoinquetureviennesauprèsdemoi,pourm’aideràsortird’icietàrentreràlamaison.Respire,Will.Lentement,profondément.Voilà,c’estça.

Ellecaressasajoueetserapprochaunpeupluspourqu’ilsentesonodeur.—Encoreunefois.Commeça.Elleglissasamainsursonbras,surlamanchedesachemiserêcherouléesursoncoude,surla

peaulisseethâléedesonavant-bras.Elles’humectaleslèvres.PuiselleposalamainsurcelledeWilletinsérasesdoigtsentrelessiens.

—Lâche-la,Will.Attrape-moi,plutôt.Jesuislà.Jetetiens.Elles’écartaensachantqu’illalaisseraitfaire.Lesépaulesd’Ingridsedétendirentetellejetaun

regardassassinàLena.—Jeneferaispasça,àvotreplace,ditLena.Mêmeblessé,ilvousamaîtriséefacilement.Jene

pourraipasledissuaderdeuxfoisdesuite.

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ElleposalapaumedeWillsursongenouetlamaintintenplace,puischerchal’autre.Willdesserra lesdoigtsautourdupoignetd’Ingrid.Lenas’approchaeteffleurasa joueavecle

boutdesonnez.Sonparfumemplitsesnarines,profondetmusqué.Elleavaitenviedel’embrasserpourconfirmerqu’ilétaitbienlà,qu’ilétaitbienvivant.

Oh,etpuiszut!Ilsn’étaientpassoumisauxrèglesdelasociété,icibas,etellesefichaitdecequelesautrespouvaientpenser.Elleposaseslèvressurunedesesjouesetsamainsurl’autre.Ilétaitenvie, chaud, le cœur battant. Un gémissement se bloqua dans sa gorge. Elle avait été si près de leperdre…leslarmesluibrûlèrentlevisage.Plusjamais.

Sabarberâpeuseécorchaseslèvrestropsensibles.ElleclignalesyeuxpourchasserseslarmesetdesserralaprisedeWilldupoignetd’Ingrid.Elleavaitdusangsurlesdoigts.

—Rentreàlamaisonavecmoi,Will.Ramène-moi.Samains’ouvritd’uncoup,maissesyeuxrestèrentscellés.Lecorpsd’Ingrids’effondraausoletelleramenasonbrasblessédevantelle.—Ne bougez pas, la prévint Lena en glissant ses bras autour du cou deWill. Lève-toi,Will,

souffla-t-elleàsonoreille.Ramène-moiàlamaison.Cheztoi.C’estalorsqu’ilouvritlespaupières,etlalueurderagequibrillaitdanssesprunelless’estompa.

La bête n’avait pourtant pas entièrement disparu. Il la regarda avec avidité et elle sentit ses tétonsdurcirdouloureusementcontresachemiseenlin.

—Oui,fit-elledansunsouffle.Quandonserarentrés.—Rentrés,répéta-t-ild’unevoixrauque.Iltournalatêteetpritconsciencequ’ilétaittoujoursagenouillésurIngrid.Uneombrepassadans

sesyeuxquandillesreleva.—Rangezlefusil!s’écriaLenatandisqueWilllapoussaitderrièrelui.Iln’yavaitaucunechancedel’arrêters’ildécidaitdes’enprendreàJack.Plusmaintenant.Avec

un regard implorant, elle tenta de passer ses bras autour de Will pour le retenir, le ralentir, luirappelersonhumanité.

Jackbaissalentementlefusil.—Jenepensaispasquevousyarriveriez.(Illuiadressaunsignedelatête.)Cinqjours.—Cinqjours,promitLenaenlâchantunsoupirdesoulagement.JackobservaWilld’unœilprudent.Cequ’illutsurlestraitsduloup-garoulefitreculerd’unpas.—Vousferiezmieuxd’yaller.(Aprèsuncoupd’œilàIngrid,ilajouta:)Parcequejenepeuxpas

vousgarantirquej’arriveraiàlaretenir,elle.

Quandilsatteignirentlasurface,laragequiavaitalimentél’énergiedeWillavaitcommencéàsedissiper.Ilpesaittroplourdpourqu’ellelesoutiennetouteseule.

—Viens,ditLenad’untonqu’ellevoulutenjoué.Cen’estplustrèsloin.Ellejetaunregarddésespéréautourd’elle.Lerepaireétaitencoreàprèsd’unkilomètre.Etdans

cesrues,oùWillétaitincapabledesedéfendre,cekilomètrereprésentaitungrosrisque.Willvacillacontreunmurdebrique.Le sangséchait sur son flanc. Jamais iln’arriverait chez

Bladetoutseul.Lenasemorditlalèvre,puistournalatêteverslapetiteruelatéraledanslaquelleilvivaitdepuisquelquetemps.Ellen’yétaitjamaisentrée,maiselleconnaissaitl’adresse.

—Par ici, dit-elle en passant ses bras autour de sa taille pour le guider vers les escaliers quimenaientàsonappartement.

Deuxgarçonsfumaientdescigaresaupieddesmarches.IlsétaientuntoutpetitpeuplusjeunesqueCharlieetellen’aimaitpasleurfaçondelaregarder.

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—Eh là,madame.Pourquoivous laisseriezpas tomber ledébrispourvenirvousasseoiravecnous?lançal’und’eux.

Impossibledelescontourner.Willseraiditcommes’ilavaitentendul’insulte,etelleluicaressaledos.

—Cenesontquedesgamins,murmura-t-elle.Aucundanger.C’estdumoinscequ’elleespérait.Lenahaussalavoixetregardaceluiquiavaitparlé.Elleavaitfait faceàdessangsbleusetdes

humanistes.Ilnes’agissaitqued’unadolescentquiessayaitd’impressionnersonami.—Çavousditdevousfaireunpeud’argent?—C’estpasplutôttoiquiveuxtefairedel’argent?répliqua-t-ilavecunricanement.LenaagrippalachemisedeWill.—Nefaispasça…Ellefitunpasenavanttoutengardantunœilsurlui.Ilfrôlaitpeut-êtrel’évanouissement,maissi

lafureurreprenaitledessus,ellepouvaitatteindreunniveaufatal.—J’aibesoinqu’onailledélivrerunmessageàmasœur.L’autregarçondonnauncoupdementon.—C’estqui,votresœur?—LafemmedeBlade.Lesdeuxjeunessefigèrent.Lepremierblêmitetbonditsursespieds.— On a rien voulu dire par là, mademoiselle. Qu’est-ce que vous voulez qu’on transmette,

commemessage?—Dites-luiqueLenaestchezWill.Qu’elleabesoind’elle.Willchoisitcetinstantpours’effondreretLenavacilladangereusementaveclui.Undesgarçonss’approchapourl’aider.—Non!s’écria-t-elletandisqu’ungrondementmontaitdanslagorgedeWill.(Ilsefigea.)Nele

touchepas.Neme touchepas. Il n’est pasvraiment lui-même,pour lemoment.Contentez-vousdetransmettremonmessage.

Cequ’ilsvirentsurlevisagedeWillleurfitmêmeoublierlaquestiondel’argent.Ici,lenomdeBladefaisaitpoids.

L’instantd’après,elleseretrouvaseulefaceaumurd’escaliers.Sonproprecorpsétaitfourbudefatigue.LenaparvintàhisserWillausommetetouvritlaporte

dechezlui.Iln’avaitmêmepasprislapeinedelaverrouiller.Lesdeuxdaguessculptéesdanslaportesuffisaientàdissuaderleplusbravedesvoleursd’enfranchirleseuil.

Tout en le soutenant,Lena referma laported’uncoupdepiedavec samule abîmée.Elle avaitperdul’autredanslestunnelsetlefroidavaitpresqueanesthésiésonpiednu.

— Là, chuchota-t-elle en le calant contre la porte. Reste là pendant que je vais chercher unelanterne.

Wills’affaissa.—Surlepoêle.Elledistingualescontoursdupoêlegrâceaufaibleclairdelunequifiltraitàtraverslesrideaux

vaporeux.Illuifallutuneminutepourl’allumer,puisunelueurchaleureuseenvahitlapièce.Lenajetaunregardcirculairealentour.—Seigneur,Will,tusaisquetupeuxacheterdesmeubles?Il n’y avait rien d’autre qu’un petit lit de camp dans un coin, recouvert d’un édredon en

patchwork,unetable,deuxchaisesetlestrictnécessairedecuisine.L’appartementétaitpetit.Presque

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aussi petit que celui qu’elle avait partagé avec son frère et sa sœur quand ils étaient arrivés àWhitechapelpoursecacher.

—Bladedoitquandmêmebientepayer,dit-elled’unairconsterné.— Il me paie. (Will fit un pas vers le lit et chancela.) J’ai pas beaucoup de besoins… pour

dépensercetargent.Lenaseprécipitapourlerattraper.Ellevacillaenarrièresoussonpoids.Sesgenouxheurtèrentle

litetilstombèrenttousdeuxàlarenverse.Wills’écrasadetoutsonpoidssurLena.Son visage était enfoui dans son épaule. Lena se tortilla pour trouver de l’air puis se laissa

retomber,impuissante.—Will!Tum’écrases!Rien,pasunmouvement.Ilrespiraitlentementetellecompritqu’ilétaitinconscient.C’étaitl’état

qui suivait généralement un effort intense. Elle repoussa son épaule et parvint à se déplacersuffisammentpourneplusêtreécraséeparsonpoids.

Elle sortit sa chemise de sa ceinture et tordit le cou pour examiner sa blessure. Elle étaitrecouverte d’une croûte ensanglantée. Elle passa doucement sa main sur ses côtes pour chercherd’autresplaieséventuelles.Àcestade,ellenepouvaitpasfairegrand-chose.Levirusseconcentreraitsurlestissusendommagésetagiraitavecuneefficacitéqu’ellenepourrait jamaiségaler,nielleniaucunmédecin.

Rassuréesursonétat,elleselaissaretombersurl’oreiller.Lefroidquisemblaitenvahirsesosétaittoujourslà.EtWill,lui,brûlaitdefièvre.

Elleseblottitcontreluietposaseslèvresfroidessurlapeaudesoncou.LachaleurcorporelledeWilll’apaisaquelquepeu.Sanauséeétaitpassée,Dieumerci.Lenaclignalesyeuxqu’elleparvenaitdifficilement à garder ouverts. Rompue de fatigue, elle eut à peine le temps de se demander siHonoriarecevraitsonmessageavantd’êtreengloutieparlesténèbres.

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21

Les rayons de soleil matinaux filtraient à travers les rideaux. Lena serra ses paupièresdouloureuses.Elleétaitassoiffée.

—Oùsuis-je?Unombrebougeadanssavisionpériphérique.TouslessensdeLenasemirentenalerte,maisson

rythmecardiaqueralentitquandellevitCharlieluisourire.—Elleestréveillée!Honoriasematérialisaàsontour,levisagerendupâleparlemanquedesommeil.Ellepassaune

maindélicieusementfraîchesurlefrontdeLena.—Charlie,susurra-t-elle.Pourrais-tuallerchercherdel’eau?Etquelquechoseàmanger?LadernièrequestionavaitétéadresséeàLena.Celle-cihochavivementlatête.Sonestomacgrondaitetellesalivainstantanément.Honoriaapprochaunverredeses lèvres.L’eau fraîche imbibasa languesècheetellebutavec

avidité.LaporteserefermaderrièreCharlieetHonorias’installasurleborddulit.—Boislentement,luirecommanda-t-elle.Tuasdormipendanttrèslongtemps.Après avoir fini son verre, elle se sentait légèrement mieux. Elle jeta un regard circulaire et

reconnutsonanciennechambreaurepaire.—EtWill?—Ildort toujours. (Honoriacaressa lescheveuxhumidesdesasœur.)Lena, ta températureest

anormalementélevée.Tuesbrûlantedefièvre.Commenttutesens?Lenapritenconsidérationlessensationsqu’elleéprouvait.—Affamée?Unelueurd’inquiétudepassadanslesyeuxdeHonoria.—Ques’est-ilpassé?Tut’ensouviens?ToutcequeRipapunousdire,c’estqu’ilaentenduun

siffletdedétresseetqueWill estpartiprécipitamment.Ona retrouvé tacarriole renverséedans larue,maisaucunsignedetoi.BladeetRipontfouillélestunnels,maisilsontperdulatraceolfactivedeWill.Quelqu’unavaitaspergéleslieuxavecunesortedeproduitchimiquequieffacelesodeurs.

Lesévénementsdelaveilleluirevinrentàl’esprit.Elleentrouvritlabouche.Puislareferma.Elleavaitjurédeneparlerdeshumanistesàpersonne.Etellen’osaitpasimpliquersasœur.

Leslarmesluimontèrentaussitôtauxyeux.Elleétaitàfleurdepeau.—Honor,sijeteposeunequestion,tuyrépondras?—Biensûr.Leursregardssecroisèrent.—Est-cequepèreétaitunhumaniste?

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Honoriasefigea.—Pourquoimeposes-tuunequestionpareille?—Alors c’est vrai… (La voix de Lena se durcit et elle lutta pour se redresser.) Quels autres

secretsas-tujugébondemecacher?LetravaildepèrepourVickers?Lavéritésurcequ’ilfaisaitréellement?

—Oùas-tuappristoutça?—Peuimporte.Toutestvrai,n’est-cepas?—Oui.Jenesaispasexactementcequ’ont’adit,maisc’estvrai.Danslesdernièresannéesdesa

vie, père était de plus en plus mécontent de l’ordre du monde. Il a commencé à s’atteler àl’élaboration d’un remède pour le compte de Vickers, mais sur son temps libre, il cherchait lesfaiblessesdessangsbleus.Ilvoulaittrouverdesmoyensdelesdétruire.

Lenasepritlevisageentrelesmains.ToutcequeluiavaitconfiéRosalindétaitexact.Honoriatendittimidementlamainverssonépaule.—Lena?Tunem’enveuxpas?J’aifaitcequejepensaisêtrelemieux.C’étaituneinformation

dangereuse.Toutcetemps,jenefaisaisqu’essayerdevousprotéger,toietCharlie.—Tuauraisdûmeledire.Dèsqu’elleeutprononcécesmots,ellemesuracombienladéclarationdeHonorialuiparaissait

familière.Lenaavait invoqué lesmêmesexcuses.Ellen’aurait jamaispensépartagercette réactionavec sa sœur. Elles étaient différentes, et pourtant, elle ne pouvait nier queHonoria serait prête àrisquersapropreviesanslamoindrehésitationpourCharlieetelle.Elleserradoucementlamaindesonaînée.

—Lena,ques’est-ilpassédanslestunnels?Elleyavaittrouvéunmondedontellenepourraitjamaisrévélerl’existence.—Quelqu’unm’aenlevée.Jenesaispasquiexactement.Willestvenupourmesauver.Le récit était trop bref pour contenter sa sœur, et elles le savaient toutes les deux. Mais le

sentimentdeculpabilitéauquelHonoriaétaitenproielaretintdecontestersesdires.—TupensesquejepourraisvoirWill?demandaLenad’unevoixdouce.—Ildort.—Seulementlevoir.Elleavaitcrul’avoirperduetelleéprouvaitsoudainlebesoinimpérieuxdes’assurerqu’ilétaità

l’abrietbienvivant.Honoriasoupira.—C’estd’accord.Maisseulementparcequejecomprendscequeturessens.

Honoriaposa lamainsur lefrontdesasœuretécartasesboucleshumidesdesonvisage.Elle

avaitlaisséLenaassisesurunechaiseàcôtédulitdeWillmais,àsonretour,aprèsavoirétéchercherunpeud’eau,ellel’avaitretrouvéepelotonnéesurlescouvertures,endormie,lesdoigtsentremêlésàceuxdeWill.

Par-derrière,Bladepassalesbrasautourdesatailleetposalementonsursonépaule.—Qu’est-cequinevapas?—Commentça?—Tuasl’airpréoccupée.Elleluifitsignedesetaireetleguidaverslasortie.Ellerefermalaportederrièreelle.Ilhaussa

unsourcilinterrogateur,maisellesecoualatêteetl’emmenadanssonatelieràl’étage.—Qu’est-cequ’ilya,mabelle?

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Ici,personnenelesentendrait.Honoriasedirigeaverssonbureauetpritungroslivresursonétagère.Ellel’ouvritàlapagemarquéeetposasonindexsurletexteécritenpattesdemouche.

—Lisça.Bladeplissalesyeuxetseslèvresremuèrentlentement.—Jecomprendspas.Cesontlespremièresphasesduloupeetseseffets.—JelesétudiaisafindetrouverunremèdepourWill,avoua-t-elle.Lepremiersigneduvirus,

c’estlafièvre.Desmauxdetête,desboufféesdechaleur,dessueursfroides…Ilcompritimmédiatement.—Elle est brûlante,murmuraHonoria. Elle ne devrait pas être aussi chaude sansmontrer de

gravessignesdemalaise,maistoutcequ’elleressent,c’estlafaimetlasoif.Bladepâlit.Honoriasemorditlalèvre.— Et ce n’est pas tout. Savais-tu que le loupe est une maladie extrêmement violente et que,

pourtant,iln’yaquepeudeloups-garousdanslesenvirons?Ellepassa lamain sur lapagedevantelle, lesyeuxbrûlants.Dès sespremiers soupçons sur la

situation,elleétaitvenueicipourenliredavantage.—Blade, les statistiquesde survie à la fièvre initiale sont extrêmement faibles.Un sur quinze,

peut-être, arrive à faire la transition. En Scandinavie et enAllemagne, seuls les guerriers les plusfortssontautorisésàsefaireinfecter.Ilsdoiventd’abordpasseruntestpours’assurerqu’ilsontlesmeilleureschancesdesurvie.(Savuesebrouilla.)Voilàpourquoiunloup-garoun’apasledroitdes’accoupleravecunehumaine.Oh,Seigneur,qu’est-cequej’aifait?

Savoixdevintmurmure.Sapoitrineétaitdouloureuse.—Jen’auraisjamaisdûlalaissers’approcherdelui.J’auraisdûcomprendre.J’auraisdû…Bladelaserraentresesbrasmusclésetl’attiracontrelui.—J’ailesentimentqu’onauraitrienpufairepourlesteniràl’écartl’undel’autre.(Illuicaressa

les cheveux.) Doucement, ma belle. C’est pas ta faute. Tu pouvais pas savoir. On a tellement peud’informationssurleloupe…Etquisait,elleserapeut-êtreassezrobuste.

Honoriafutsecouéed’unsanglot.—Lesguerrierslesplusforts,Blade.Etlaplupartd’entreeuxnesurviventpas.—Danscecas,dit-ilenrelevantlementondesafemme,ilfautqu’ontrouvecedontelleabesoin.

Commentl’aider.Cetteidéeluiapportauncouragequ’aucunevagueparolederéconfortn’auraitpuluiprocurer.

Ça,elleenétaitcapable.Elles’emparadulivreetessuyaseslarmes.Ellen’avaitpasréussiàsauversonfrèreduvirusdubesoin,maisqu’ellesoitmauditesiellelaissaitsasœurdisparaître.

— Assieds-toi, dit-il en la poussant vers un fauteuil. Lis. Je vais chercher du thé et de quoigrignoter.Puisj’irailesvoir.

Honoriaparcouraitdéjàlespagesduregard.—Merci.

Quelquechoseremua.Lenaouvritdesyeuxensommeillés.Elleenfonçasesdoigtsdanslecorps

douxquisetrouvaitsouselleetbâillaens’agrippantauxdraps.Willroulasurlecôtéetluijetauncoupd’œilprudent.Desplaquesdemuscleslissesrecouvraient

sontorseetsesépauleset,l’espaced’uninstant,Lenaéprouval’envieirrésistibledepassersesmainsdanssescheveuxetsursapoitrine.

Willseraidit.

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—Onestaurepaire.(Ilfronçalessourcils.)Qu’est-cequis’estpassé?—Tunetesouvienspas?Tut’eseffondréetBladet’aramenéici.Tuasdormitoutelajournée.

Commenttutesens?Sonregarddérivaverslacarafed’eau.Lena sauta du lit, vêtue de sa chemise de nuit, et lui servit un verre. Elle le lui tendit,mais il

s’empara de la carafe et la but en entier. Lesmuscles de sa gorge se gonflèrent et un filet d’eaudégoulinasursamâchoireetaucreuxdesoncou.

UnesensationdechaleurmontaentrelescuissesdeLenaetelleserraleverrefraisdanssamain.Ledésirpurluifaisaitpresquel’effetd’uncoupdecouteauenpleincœur.Elles’étaitpromisdeluiparlers’ilsurvivait,deluiavouersessentiments;maissoudain,elleétaitnerveuseetelleperditdenouveausalangue.C’étaitl’effetqu’illuifaisaitimmanquablement.

Elle, une femmequipouvait fairebasculer le cœurd’unhommed’un simple sourire si elle levoulait.

Une fissure se forma sur le verre. Puis une autre. Lena baissa les yeux, stupéfaite, et vit lecontenantsebriserenmillemorceaux.Sesdoigtssemirentàsaigner.

Willbaissalacarafeetfixalesmorceauxdeverreduregard.—Mince,Lena.Ilsautadulitetsemutaveclagrâcequiavaittoujoursfascinélajeunefemme.Unbrefaperçudepeaunueetdorée.Lenaécarquillalesyeux.Ellelesbaissaunesecondeavant

queWillpousseunjuronetrelèvebrusquementledrapautourdesataille.Oh,douxJésus.Lesreprésentationsdanslesmanuelsd’anatomienepourraientjamaisserapprocherdelaréalité.

Sonvisages’échauffa.Ellen’avaiteuqu’unlégeraperçudesonmembre,énormeetàdemidressé,jaillissantdesa toisonsombre.Sonsoufflesebloquadanssagorge.Ilétaitabsolument impossiblequ’ilspuissents’emboîter…

Willgrognaetluipritlesbrisdeverredesmains.Ildéchiraunpetitboutdedrapqu’ilplongeadanslacarafe,puisqu’ilappliquatendrementsurlescoupuresdesamain.

—Qu’est-cequis’estpassé?—Ils’estbrisédansmamain,réponditLenad’unevoixdistante.Unfrissond’envieparcourutsoncorpsetalimentadesdésirsqu’ellegardaitsoigneusementsous

cléaufonddesoncœur.Willhésita.—Qu’ya-t-il?—Tuasunfragmentdeverrelà-dedans.(Ilfronçalessourcils.)Lena,tunelesenspas?Elledétournalesyeuxdesapoitrinenueetaperçutl’éclatfichédanssamain.Dèsqu’ellelevit,

elleéprouvalamorsureaigredeladouleur.Ellesemorditlalèvre.—Unpeu.Maisçanefaitpastrèsmal.—Lena,regarde-moi.Elleplongeadanssesiriscouleurwhiskycernésdesescilsépais.Ellesepenchaenavant,posasa

mainlibresursontorseetéprouvaladélicieusesensationdesespoilssoyeuxsoussesdoigts.Willeutunhoquet.Puisilbaissalesyeuxetellesentitunedouleurdanssamain.—Jel’ai,dit-il.Iltamponnalaplaie,l’examinapourtrouverd’autresmorceauxdeverreéventuelspuisl’enroula

fermementdansunepiècededrap.

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L’odeurchaudeetmusquéedeWills’emparadessensdelajeunefemme.Dèsqu’ileutrelâchésamain,ellelaposasursonventreetlesentittressaillirsoussacaresse.

—Lena,dit-ild’unevoixrauquesuruntond’avertissement,maislesflammesdanssesprunellescontredisaientletondesavoix.Onnepeutpas.

—Pourquoi?murmura-t-elleenpassantledosdesesdoigtssursontorse.Tuenasenvieetmoiaussi. (Des larmes luipiquèrent lesyeuxetelleeutsoudain lagorgenouée.)J’aicruque je t’avaisperdu.Quetuavaisdisparu.Pourtoujours.

Unegrosselarmechaudeetsaléeroulasursajoue.Ellesecoualatêteetlecontempla.—Riend’autren’ad’importance.Elleprituneprofondeinspiration.Soncœurs’emballait.Elleavaitdumalàleregarderenface,

maispeuimportait.—J’aieusipeurdeneplusjamaisavoirl’occasiondetetoucher.Det’embrasser.Detedire…—Demedirequoi?Illuisaisitlespoignetsetlestiradanssondos.Lenasentitsestétonsrâpercontresachemisedenuitenlin.Uneexpressionintenses’imprimasur

lestraitsdeWilletdesétincellesambréess’animèrentdanssesiris.C’étaitexactementcequ’elleavaitessayé d’attiser chez lui. Sa passion incontrôlable. Son désir. Elle s’approcha encore et laissa sapoitrineeffleurersapeau.Dessensationsmontèrentdanssonbas-ventreetuneardeurs’élevaàsonentrejambe.

—Demedirequoi?répéta-t-iltandisquelacouleurambréeprenaitledessussurlebrundesesyeux.

Lena sepencha et déposaunbaiser sur son torse.Will frissonna et relâcha lapression sur sespoignets.

—Combientumemanquais,susurra-t-elle.Sij’aijouéavectoi,Will,c’estparcequej’avaispeurqu’en étant sérieuse, tu ne le sois pas…et que… j’avais envie que tum’embrasses. J’ai essayé det’ameneràlefaire,maistun’osaisjamais.Jepensaisquetunevoulaispasdemoietj’ensouffraisterriblement…Parcequemoi,j’avaisenviedetoi.

LesdésirsconflictuelsdeWill lefirentdenouveaufrissonner.Ilsecouala têteetentrouvrit leslèvres.

—Jenepeuxpas.MaissesmainslibérèrentcellesdeLenaetelles’échappafacilementdesonétreintepourcaresser

sontorseets’approcherencore.Will reculaetsesgenouxheurtèrent le lit. Il retombaenarrièreetserra la couverture dans ses poings.Le drap enroulé autour de sa taillemenaçait de tomber.Lenas’agenouillasurleborddumatelasetpassaunejambepar-dessusseshanches.

LesmusclesdeWillseraidirent.—Lena,tunecomprendspas.—Tuasenviedemoi,ouiounon?Elleattenditlaréponseenretenantsonsouffle.—Biensûrqueoui,mais…Elleposaundoigtsursabouchepourleréduireausilence.Sachemisedenuitétaitremontéesur

ses cuisses et l’ourlet en dentelle effleurait sesmollets. Elle s’humecta les lèvres et s’assit sur sesgenoux.Elleretintunhoquetquandellesentitsonmembredurpressercontresonentrejambechaudethumide.

Cettesensationétaitdélicieuse.Ellerenversalatêteenarrièreetsecambrapoursepressercontrelui.

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Wills’emparadesesfessesetenfonçasesdoigtspresquetropfort.IllaserradenouveaucontreluietLenalâchaunpetitcri,submergéededésir.

Ledrapétaitprisaupiègeentreeux.Ellesentaitsoncorpsl’humidifieretlefrottementdutissucontresonpointsensiblelarendaitfolle.Elledésiraitpasseràlavitessesupérieure.Ellevoulaitplus,elleavaitbesoindeplus.Elleplongeasesdoigtsdanssescheveuxetattirasabouchecontrelasienne.

Willluimorditlalèvreavantdel’aspirer.Leurslanguess’entremêlèrent.Ellefrottasesseins,seshanchesetsonsexecontresoncorpsferme.Songoûtluimontaàlatête.

Ellenesupportaitpluslaprésencedudrap.Elleglissaunemainentreeuxettirasurlalongueurqu’ilavaitcaléeautourdesa taille. Ilcompritses intentionset luiattrapa lepoignet.Lenacontinuamalgrétoutetsentitletissusedénouersouselle.ElleplaqualeshanchescontreWillet,cettefois,ellerencontrasachair.Sachairdureetgonflée.

—Jepeuxpas.Ellel’embrassa,craignantqu’ils’écarte.Sonmembresedressaénergiquementcontreelleetelle

lemouillaavecsoncorpsensefrottantsurlui.Willémitunsonétrangléetenfonçalesdoigtsdanssescuisses,leregardembrasé.LeboutdesonsexeeffleuraLenaavecunesensationdetiraillement…

La jeune femme ouvrit la bouche.Will la prit par les hanches et le tiraillement disparut. Il laplaqua contre le matelas et se dressa au-dessus d’elle avec un grognement contenu. Il colla lespoignetsdeLenasurlelit.

—Non.Lesoufflecourt,ledostendusousl’effort,illaregardaavecdesflammesambréesdanslesyeux.—Tuenasenvie.—J’enaienvie,admit-il.(UnelueurdetristessepassadanssonregardetserralecœurdeLena.)

Maisjepeuxpas,Lena.Jet’aipromisquejeteprotégerais.Mêmedemoi.—Jetefaisconfiance,dit-elledoucement.Tunemeferaspasdemal.Ilfermalesyeux.—Lena,sais-tuseulementcommentsetransmetlevirusduloupe?Elleouvritlaboucheetsefigea.Non,ellen’yavaitjamaisréfléchi.—Jenesaispasgrand-chosesurlesujet.Peudepersonnesyconnaissaientgrand-chose.Àl’Échelon,personnen’enparlait.—Jesaisquelevirusdubesoinsetransmetparlesang.— Le loupe aussi. (Son corps s’affaissa légèrement et ses hanches enfoncèrent Lena dans le

matelas.)Maisaussiparlesperme.Àtonavis,pourquoijen’aijamaisétéavecunefemme?C’étaitunenouvelleetétonnanterévélation.—Jamais?murmura-t-elle,surprise.Ilsecoualatête,leregardsombre.—Jamais.Unesensationd’intensepossessions’emparad’elle.—Jenesavaispas.Jepensais…Sonespritsemitàtourneràtouteallure.Pasuneseulefoisneserappelait-ellel’avoirvuavec

unefemme.Ellen’yavaitjamaispenséetavaitpréférésupposerqu’ilrestaitdiscretsurlesujet.Willla relâcha et s’agenouilla au-dessus d’elle, les mains posées sur ses cuisses. Son sexe se dressaitcontre son ventre, mais l’affaissement de ses épaules était éloquent. Il saisit un pan du drap etl’enroulaautourdeseshanches.

—Àmoinsqu’unefemmesoitdéjàatteinteduloupe…

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Lenasecoualatête.C’étaitimpossiblequeçaleurarrive.Toutjustequandelles’étaitenfinavouéàelle-mêmesessentimentspourlui…

—Peut-être que ça nemedérangerait pas, reprit-elle en se léchant les lèvres.Si c’est la seulefaçonpournousd’êtreensemble…

—Non!(Sestraitssedurcirent.)Tunesaispascequetudis.J’aireçudescoupsdecouteau,desraclées,etonm’adéjààmoitiéétripé,maiscen’estrien–absolumentrien–comparéàl’agonieduvirusquandilt’infecte.Toutlemondenesurvitpas,Lena.(Ilsepassaunemainsurlevisage.)Jenepeuxpasfaireça.Surtoutpasàtoi.

DeslarmesbrouillèrentlavuedeLena.L’avenirfragiledontelles’étaitmiseàrêverfutbalayéparletourbillondesesmots.

—Lena,dit-iltoutbasenluicaressantlajoue.Nepleurepas.—Jenepleurepas,répondit-elleenessayantdeséchersesyeuxavecsesmanches.(Elleparvint

mêmeàafficherunfaiblesourire,quinetardapasàs’estomper.)Hier,jet’aicrumort.Jemesuisditquejeferaistoutpourterécupérer,pourtemettreàl’abri…

Savoixsebrisaetellesemitàsangloter.ElleperçutlebruissementdesdrapsetWilll’attiracontrelui.—Jen’aijamaisvoulutefairedemal,chuchota-t-il.J’aiessayédegardermesdistancesavectoi.Ellehochalatêteetinspiraentremblant.—Jelecomprends,maintenant.Toutes les fois où elle avait cru qu’il se fichait bien d’elle alors qu’en réalité, il essayait

seulementd’arrêteravantqu’ilsn’aillenttroploin!Il luiembrassa la joue, les lèvresmouilléesparses larmes.Lenatournasonvisageetseblottit

contre lui. Ils s’embrassèrent, agrippés l’un à l’autre avec désespoir, et Lena faillit s’effondrer denouveau,conscientequeceseraitladernièrefois.

Elle fourra ses doigts dans ses mèches soyeuses. Le sexe de Will pressait toujoursvigoureusement contre sa cuisse. Il fit glisser ses lèvres sur sonmenton, puis dans son cou, et salanguetraçalesillonsalédeseslarmes.

Lecontactdesamainsursonseinluiarrachaunhoquet.—Will?—Rienqueça.Justeunefois.Desonautremain,ilretroussasachemisedenuitetcaressalacourbedesesfessesnues.Une vague de chaleur s’empara de son corps. Elle ne pensamême pas à opposer lamoindre

résistance.Sic’étaittoutcequ’ellepourraitobtenirdelui…—Qu’est-cequetuvasfaire?Willl’allongeasurlematelasets’agenouillasurelle.Lefrottementdesabarbecontresagorge

luifitdécollerleshanchesdulitetelleenfonçasesonglesdanssesépaules.—Jen’aipasarrêtédepenseràça…j’enairêvé.(Ilfitglissersesdentslelongdesagorgeet

mordillasachairtendre.)J’aienviedetegoûter.Ellefrissonnadedésir.Illuidemandaitdes’abandonner,cequ’ellefitsansretenue.—Vas-y.Ilcaressafiévreusementsoncorpspar-dessussachemisedenuit,puisensaisitlebasetlareleva

d’uncoup.L’airfraiseffleurasapeaunueetLenalevaleshanches,puislesépaules,pourluipermettredela

luiretirercomplètement.Willnelaquittaitpasdesonregardbrûlantquienflammaitsoncœuretsonâme.

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Avecune légère incertitude,elleposa lesmainsàplat le longdesoncorps.Sonsouffle faisaitgonflersapoitrineetattirait irrésistiblementl’attentiondeWill.Sestétonsdurcirentetelleobservasonvisageàlarecherchedequelquechose,n’importequoi.

L’expressiondeWills’adoucitetsamouetrahitledésirquilerongeait.—Tuesmagnifique.Il chatouilla la peau de sa clavicule puis dessina des cercles concentriques autour de son sein

gauche.—C’estlaperfection.—Ilssonttroppetits,murmura-t-elle.Ils’étenditàcôtéd’elle,unejambeposéepar-dessuslessiennes.Ilcapturasonregardetpassasa

mainrugueusesursonsein.—Laperfection,gronda-t-ilenbaissantlatête.Salanguesuivitlecontourdesescourbesetilmordilladoucementsontéton.Ilbaissalamainsur

sonventre.Quedesensations !Elleparvintdifficilementà secontenir, surtoutquand ilplongea lamainentresescuisses.

C’étaitunnouveaumondepourelle.Ellesesentaitextrêmementgaucheetinexpérimentée.Elleneconnaissaitrienàtoutça,elleneconnaissaitrienauplaisir.Lathéorienevalaitriencomparéeàlapratique.LesdoigtsdeWilltrouvèrentsonpointsensibleetellerenversalatêteenarrièrecontreledrap.

—Détachetescheveux,luidemanda-t-ilendessinantdepetitscerclestoutautour.Ellepouvaitàpeinebouger,priseaupiègedessensationsquesamainluiprocurait.—Jenepeuxpas,dit-elle,leshanchestremblantes.Ilcessasesmouvementsetappuyalapaumedesamaincontresonpubis.—Relève-les,répéta-t-ild’untonautoritaire.Lena leva les bras et entreprit de dénouer sa natte. Ses cheveux s’étalèrent en une cascade de

bouclessombresetépaissessurlesdraps.LespaupièresdeWills’alourdirentavecindolence.Ilpritsontétondanssaboucheetlesuça.

Ellecaressasesépaulespuisempoignasescheveux,incapabled’éprouverdespenséescohérentes.La langue chaude deWill caressa son mamelon. Un son inarticulé monta dans sa gorge. Un

gémissementsilencieuxetimplorant.Commeenréponse,ilfitdansersesdoigtssurlachairhumidedesacavité.

—Oui,haletaLenaensecambrant.Will!—Çateplaît?demanda-t-ilavecunelueurdecuriositédanslesyeux.Pourluiaussi,toutçaétaitnouveau,etpourtant,ilfaisaitpreuved’uneassurancetrompeuse.Illa

pénétradesonindexetlesmusclesdeLenasecrispèrentautourdelui.Sesyeuxroulèrentsousl’effetdelajouissance.Unriredouxrésonnacontresapeau,unmurmuredeplaisiretdesatisfactiond’uneintensevirilité.

—Oui?Elleserraitsifortsonpoingdanssescheveuxqu’ildevaitlesentir.Elleessayadesedétendre,en

vain.—Oui.Unautredoigtglissaenelleetellesentitunebrûlureaufonddesoncorpsquiserelaxaitpour

l’accueillir.Des ombres envahirent le regard deWill. Il aurait voulu que ce soit sonmembre à laplace de son doigt. Puis il mordit son sein tandis que ses iris prenaient leur couleur ambréecaractéristique.

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Lena leva les hanches contre sa main dans une supplication silencieuse. Le monde se rétrécitautourd’elle,réduitauxbruissementsdesdraps,àseslégerssoupirsetàlasensationdescaressesdeWillquis’enfonçaientenelle.

Quelquechosemonta,unressentiqu’ellesavaitvouloiréprouver.Ellebalançasatêted’uncôtéetdel’autreenessayantdesepressercontresamain.Willcaressasonclitorisavecsonpouceetellesecrispaavecunhoquetenagrippantsonpoignet.

—Là,fit-elled’unevoixdésespérée.Justelà.—Là?Sonpouceappuyaplusfort.Ellepoussauncriendécollant ledosdumatelas.Elleyétaitpresque…Lemondemenaçaitde

basculersousellealorsqu’ilcontinuaitsesmouvementsdupouce.Là…Lenahurlaetlasensationqu’elleperçutannihilatouteslesautres.Sondoigtrestaprofondément

enfouienelle,pourlarevendiquercommeilauraitvoululefaireavecsoncorps.C’étaittrop.Ellecria,s’emparadesamainetserralesgenouxenroulantsurlecôté.Haletante,

elleenfouit sonvisagecontre ledrapet revint lentementauprésent.Will s’enrouladerrièreelleetposasonvisagedanssanuque,sonmembrepressécontresesfesses.

Elleremuapourledirigerentresescuissesetleprésenterfaceàsaféminitéhumide.Willprituneviveinspirationetagrippalescuissesdelajeunefemme.

—Lena.Lespoilsà labasedesonsexe luichatouillèrent les fesses.Sapeaubrûlante frotta sonclitoris

sensibleetellehaletadenouveau,tandisquedesétoilesdansaientderrièresespaupières.Will tirasonvisageenarrièrepourexposersagorge. Ilpressadenouveauseshanchescontre

elle,luiarrachantdenouvellessensations.Il enfonça les dents dans lemuscle souple de son trapèze et ses doigts dans ses cheveux avec

domination.Ellenepouvaitplusbouger,priseaupiègeparlecorpsdeWill.Ilsepressacontreelleencoreetencorepours’abîmerentresescuisses.Elleserralesgenouxetagrippalesdraps.

—Tum’appartiens,gronda-t-il.— Pour toujours, répondit-elle tandis que son corps basculait de nouveau dans des sensations

électrisantes.LecrideWillaccompagnalesienetsasemencechaudedégoulinasursonventre.Lenaselaissa

retomber, pantelante. Elle n’eut pas le temps de se détendre.Will la poussa sur le dos, le regardenflammé,etretirasonspermedesapeau.Cenefutqu’unefoisladernièregoutteessuyéequesesépaulessedétendirent.Ilroulaledrapenbouleetlejetasurlecôté.

Lenatenditlamainverslui.—Viensici.LesmusclesdeWillsecrispèrent.—Jedevraispas.(Sonregardglissaversledrap.)Jen’auraismêmepasdûprendrecerisque.UnechaleurlangoureuseenvahitlecorpsdeLena.Elleavaitdésespérémentenviededormir.Elle

s’étiracommeunchat.—Cen’étaitpasunequestion,Will.Elleluiappartenaitentièrement.Maisaufond,ellesavaitqueluiaussiétaitsien.Ilapprochaetsecollacontreelle.Lenasouritpourelle-mêmeetleserracontreelleenfrottantsa

joueàsoncou.Jet’aime.

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Maisellen’osaitpasprononcercesmotsàvoixhaute,desmotsqui,àcetinstant,neferaientquecauserunesouffrancesupplémentaire.Ellenevoulaitpaspleurer.Ellenevoulaitpasvoircettelueurdesatisfactionquittersonregard.Cemomentétaitàeux,etc’étaitledernierqu’ilss’accorderaient.

Cettepenséefitdisparaîtresonsourire,maiselles’efforçadelachasser.Ilestàmoi, songea-t-elleenglissantsesbrasautourdelui.Leparfumfamilierdesoncorpsenvahitsesnarines.Elleposasonvisagedanssescheveuxetinspiraprofondément.

Nepaspenseràl’avenir.Nepaspenseràcequiétaitimpossible.Savourerl’instant.Pût-ilnejamaisprendrefin.

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22

Unemaindouceluicaressalapoitrine.Will bâilla et s’efforça d’ouvrir les yeux. Il se sentait mieux qu’il ne s’était senti depuis des

années, sidétenduqu’ilpouvait àpeine lever la têtede sonoreiller.Lapièceétaitplongéedans lapénombre,lesdrapsimprégnésduparfumdeLenaetdel’odeurmusquéede…

Ilsefigea.Puisilsaisitlamainquiluicaressaitletorse.—Lena,murmura-t-ilenlevantlatête.Lalumièredesétoilesfiltraitàtraverslafenteentrelesrideaux.—Hmm?fit-elleenseblottissantcontrelui.Elleétaitnue,unejambepasséesurlui,latêteposéesursonépaule.L’odeurdesexe,desasemence,semêlaitauparfumexquisdesoncorps.Lepetitboutdubandageàsamainluichatouillaitlapoitrine.Qu’avait-ilfait?Iljetaunregard

affoléautourdeluietrepéraledraprouléenboule.Lessouvenirsluirevinrent.Sesdoigtsplongésdanssoncorpschaud,leshalètementsdeLenasouslui,sestraitsdéformésparl’extase.Sescoupsdereinsentresescuisses, lesgenouxserréscommeunétau tandisqu’ildéversait sonspermesursonventre…

Willlaissasatêteretombersursonoreiller.Dieumerci.Ilnel’avaitpaspénétrée.Ilnel’avaitpasinfectée.Submergéparunevaguedesoulagement,illuiprittendrementlamain.

Illaportaàsaboucheetembrassaleboutdesesdoigts.Lenaremuaàpeine.Willfronçalessourcilsetroulasurlecôté.Elles’affaissadanssesbrascommeunepoupéede

chiffon.Quelquesgouttesdesueurbrillaientsursapeaunue.—Lena?murmura-t-il.Pourquoidiablenerépondait-ellepas?Le côté de son corps qui avait été plaqué contre lui était humide. Son froncement de sourcils

s’accentuaetilposaunemainsurlefrontdeLena.Sescheveuxétaienttrempés.Ellegémitfaiblementetsatêtebasculacommesiellevoulaitqu’il

retiresamain.Ils’écarta,l’espritenébullition.Elleétaitchaude.Engénéral,lapeauhumaineparaissaittoujoursfraîcheencomparaisonavecla

sienne.Lena lui avait toujours fait l’effetd’une soie froide contre lui.Pourqu’il jugequ’elle étaitchaude,c’estqu’elledevaitêtrebrûlante,presqueautantquelui.

Iln’yavaitqu’uneseuleraisonpossible.—Non,chuchota-t-ilentournantlementondeLenapourexaminersonvisage.

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Unelégèrerougeurteintaitsesjoues.Latranspirationbrillaitsursapoitrineettachaitlesdrapssouselle.Willsedressasursesgenouxetsonregardtombasurlebandageautourdesamain.

Illeretiraennégligeanttoutedouceur.Lenagémitettorditsoncousurlequelétaientplaquéessesmècheshumides.Ilredoutaitpresquederegarder,craignantd’affronterlaréalité.

Ilouvritsesdoigtsmalgrétoutetobservalapaumedesamain.Lapeauétaitpâleetdouce.Sanslamoindremarquedecicatrice.—Non,répéta-t-ilenbondissanthorsdulit.Lapaniquemontaetilpassasesmainsdanssescheveuxenluijetantunregardincrédule.C’étaitimpossible.Ilavaitpristantdeprécautions!Pasdesang,pasdesexe…etilsavaitquesa

saliveétaitsansdanger,sinonilnel’auraitjamaisembrassée.Unecraintesourdetourbillonnaenlui.—Lena,susurra-t-ilenserapprochantdulit.Lena?Elleclignalesyeux,somnolente,etgrimaçacommesielleavaitmalaucrâne.—Will?fit-elledansunmurmureàpeineaudible,latêteretombantsurlecôté.Willsaisitsonmentonentresesdoigts.—Tunetesenspastrèsbien,n’est-cepas?Ses pupilles avaient la taille de petites billes. Elle fixa un point derrière lui, incapable de

concentrersonregard.—Seulement…lamigraine…—Depuiscombiendetemps?Sesyeuxcommencèrentàserefermeretillasaisitparlesépaulespourlasecouer.—Bonsang,Lena,depuisquandtutesensmalcommeça?Elleluipritfaiblementlesmains.—Çafaitmal.—Jesais.(Ilserralesdentsetlarelâcha.)Jesuisdésolé.Depuiscombiendetempstuasmal?—Plusieursjours?chuchota-t-elleenléchantseslèvressèches.Lematinaprèsquetuesvenu…

dansmachambre.Wills’effondrasurlereborddulit.Ques’était-ildoncpassé,cettenuit-là?Ill’avaitembrassée.Il

avaitgoûtésapeau,sesseins,maisriend’autre.Ilnesesouvenaitpass’ilsaignaitounon.Ilfaisaittoujourstellementattention!

—Est-cequej’étaisblessé?Est-cequetuasvudusangsurmoi?Ellesecoualatêteetselaissaretombersurl’oreiller,commesisoncorpslafaisaitsouffrir.Et

c’étaitsansaucundoutelecas.—Aucuneidée.(Ellesepritlevisageentrelesmainsetrépéta:)Çafaitmal.Ilsepenchasurelle,impuissant.—Jesais.Oh,bonsang,ilsavait.Lesarticulationsdouloureuses,lecorpsbrûlant,lemartèlementcommesi

sa tête allait exploser. La soif insatiable. Il lui frotta le dos pour apaiser la douleur qu’elle allaitressentir.

—Jevaistechercherdel’eau,dit-ilavantdedéposerunbaisersursonfront.—S’ilteplaît.—Nebougepas.Lecœurbattant,ilramassasachemisedenuitetl’étalasurelle.Uneseulecouchesupplémentaire

luiirriteraitlapeau.Ilenfilalepantalonqu’ilretrouvaauboutdulitetseglissahorsdelapièceensilence.

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Un faiblegémissement luiparvintde l’intérieur et luidéchira le cœur.Will s’appuyacontre laporteetfermalesyeuxdedésespoir.

Qu’avait-ilfait?

Laréalitédelasituationleheurtavraimentdepleinfouetquandill’aidaàfinirunepleinecarafed’eau.Lenaretombadansunsommeilfiévreuxetiltiraundrappropresurelle.Ilserelevaetobservasafinesilhouette.Ellefrissonnait,etsapeauétaitfroideethumideautoucher.

Willreculaendéglutissant.Qu’est-cequej’aifait?Iln’auraitjamaisdûposerneserait-cequ’undoigtsurelle.

Maisseslonguesannéesdesolitudeavaienteudelourdesconséquences.IlavaittoujoursdésiréLena. Beaucoup trop. Quand il lui avait arraché la lettre desmains, il aurait dû aller directementtrouverBlade.Lelaissergérercettehistoire,ainsiquelaprotectiondeLena.Ilsavaitdéjààl’époquelatentationqu’ellereprésentaitpourlui.

Il monta lentement les marches qui menaient au grenier en traînant les pieds. Un faiblebruissementdejuponsluiindiquaquiétaitdéjàlevé.

Ils’apprêtaitàfrapperquandilperçutunmurmuredevoix.Bladeaussiétaitréveillé.Étoufféparlafaute, ilseforçaàcognercontre l’épaisseporteenbois.Ilnepouvaitplusrienfaire.Lenaavaitbesoindesasœur.

—Entre,Will,lançaHonoria.Lalumièretransperçalesténèbresquandilpénétradanslapièce.Honoriaétaitinstalléedansun

fauteuilprèsdelacheminéeetsonhabituelchignonétaitendésordre.Bladefouillaitparmileslivressurlesétagèresetenétudiaitattentivementlestranches.

Honoriacroisasonregard.Descerclessombress’étiraientsoussesyeux.Ellesavait.Ilhésitasurleseuiletsecoualatête,incapabledeparler.—Oh,Will,fit-elleenselevant.Commentva-t-elle?Ilouvrit labouche,maisaucunmotnesortit.Ilneputqu’émettreunsoninarticuléempreintde

douleuretdeculpabilité.Unesensationdechaleurluibrûlalesyeuxetsavisionsebrouilla.—Jenevoulaispas…j’aitoujourspristellementdeprécautions…jenesaispascomment…C’estalorsqu’uneimagejaillitdanssonesprit.Labijouterie.—Malèvre,dit-ilen l’effleurantduboutdesdoigts.JemesuisbattuavecColchesteret ilm’a

entaillélalèvre.(Soncœurbonditdouloureusementdanssapoitrine.)Jel’aiembrassée.Jen’aipasréfléchi.

Ils’étaittellementpréoccupédenepaslamettredanssonlit,deluttercontresondésirdelafairesienne qu’il avait oublié, l’espace d’un instant, les dangers de son sang. Et la plaie était sisuperficielle…

Honoriapassasesbrasautourdesatailleet,pourunefois,illalaissafaire.—Cen’estpastafaute,Will.Peuimportecequ’onatouspudire,ellen’auraitjamaisgardéses

distancesavectoi.Ilposasonmentonausommetdesoncrâneetlaserramaladroitement.—J’auraisdûl’yforcer.(Ils’écartaets’essuyalesyeuxavecsamanche.)Jen’auraisjamaisdû

croirequejepouvaisfaireçasansrisque.J’auraisdûvenirtrouverBladedirectementquandtoutestarrivéetlelaissers’enoccuper.

—Quandtoutquoiestarrivé?Ildétenaittropdesecrets.Ilfermalaboucheetpassasesmainsdanssescheveux.

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—Qu’est-cequ’onfait?Honoria le dévisagea d’un regard perçant pendant un moment, puis laissa tomber. Elle se

détournaetdésignaleslivresquijonchaientlapièce.—Jenesaispas,Will.Onafaitdesrecherchestoutelajournée…—Tuétaisaucourant?—Satempératureesttropélevée.C’estinhumain.Etj’aideviné.Ilfitunpasverselle,soudainfurieux.

—Pourquoivousnem’avezriendit?—Tun’étaispasenétat,répondit-ellesimplement.Etnousnesavionsquepeudechosessurle

virusduloupe.J’avaisbesoind’enapprendredavantageavantdepouvoircommenceràlatraiter.—Toutdoux,gamin,leprévintBlade,leregardsombre.Ilavaitbeaugarder sesmainsdanssespoches, sa façond’osciller sur sespieds indiquaitqu’il

étaitprêtàbondirsibesoinétait.Will se détourna et secoua la tête. Inutile de s’énerver. Tout ce qui importait pour lemoment,

c’étaitLena.—Vousaveztrouvéquelquechose?N’importequoi?Ilyeutunelégèrehésitation.—Rienquantàlamanièredegérerlatransitionnisurlespremièresphasesduvirus.EnGrande-

Bretagne, le loupen’estpasunemaladie trèsdocumentée.Jepensequepersonneà l’Échelonnesepréoccupaitdesavoirsilesgensysurvivaient.Qu’a-t-onfaitquandtuasétéinfecté,audébut?

Ilfixalemurdesyeux.—Jesaispas.Jemesouvienspasdegrand-chose.Rien qu’une chaleur incessante. La douleur qui avait vrillé son squelette. Les hurlements qu’il

avaitpousséspendantquesoncorpss’étaittransformé.Etlefroidimplacabledusous-solquandsonpèreavaitessayédefairebaissersatempérature.

—Le froid, dit-il. Le froid soulage.Mon pèrem’avaitmis à la cave où il faisait frais. (Il setourna.)Ellevaavoirsoif.Ilfautlafaireboiresanscesse.(Ilhaussauneépaule.)Jemesouviensderiend’autre.

—Çanenousaidepasbeaucoup,ditHonoriaensemordantlalèvre.—Jesais.J’avaiscinqansetj’étaisàpeineconscient.Tupensesquejenevouslediraispassije

mesouvenaisdequelquechose?—Cen’étaitpasunreproche,Will.Blades’étaitrapproché.Willserralespoings.—Jesuisdésolé.Jesuisàcran.J’arrivepasàcroire…C’étaitsonpirecauchemarquidevenaitréalité.Ilsentitunemainseposeraubasdesondos.—Onsait,murmuraHonoria.Viens.Onferaitmieuxdesepréparer.Jepensequ’ilnefaudrapas

longtemps avant que sa températuremonte en flèche. Elle a déjà les joues rouges. C’est la fièvreconsécutivequiva…

Elles’interrompit,commesiellevenaitd’avoirconsciencedecequ’elles’apprêtaitàdire.—Attendez,intervintBlade.Ilssetournèrenttousdeuxverslui.

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—Iln’yariendansleslivresetWillnesesouvientderien.Maisilyaquelqu’unàLondresencemomentquipourraitsavoircommentfaire.

—LesScandinaves,ditHonoriaavantdeplaquerunemainsursonfront.Pourquoin’yai-jepaspensé?

—Tuavaislatêteailleurs.—Etilsserontdisposésànousaider?demandaHonoriaenregardantWill.Ilfronçalessourcils.—Jelesconnaisàpeine.Maispeut-être.—Tudoisallerlesvoir,ditHonoria.—JenevaispaslaisserLena.—C’estsameilleurechance,insista-t-elle.S’ilteplaît,Will.Tusaisquejeveilleraisurelle.Je

comptenerienlaisserluiarriver.Il hésita.Honoria ferait de sonmieux,mais il supportaitmal l’idéedepartir sachantqueLena

pourrait…Ilserralesdentsethochalatête.—C’estsameilleurechance.Jevaisallerchercherl’und’eux.—Jepréféreraisnepaspenserquetuvasenramenerunici,desonpleingréounon,fitBlade

toutbas.

WillfrappaàlaportedumanoirquelesNorvégienslouaientpendantladuréedeleurséjour.Lapluietombaitsansdiscontinueretsescheveuxdégoulinaientsursonvisage.Ilavaiteffectuéletrajetjusqu’àlavilledansunétatsecondetils’enrappelaitàpeine.

Consultersamontretouteslesdeuxminutesn’apaisaitnullementsatension.Illuiavaitfalluvingtminutes.Vingtminutesquinel’avaientpasaidéàsavoircequiallaitarriveràLena.

Desbruitsdepasrésonnèrentenfindansl’entréeetunmaîtred’hôtelouvritlaporte.—Oui?Willforçalepassage.—LadyAstridestlà?—Jecrainsqu’ellenesoitpasenmesurede…Ilsaisitl’hommeàlagorgeenquelquessecondes.—Allezlachercher,ordonna-t-ild’unevoixtrèscalme.Oujevousarrachelecœuretjelefais

passerparvosnarines,c’estcompris?Willrelâchal’hommequis’étalaparterreetreculavivementsurlesolenmarbre.—Quesepasse-t-ilici?lançaquelqu’un.LeFenrir émergea des ombres de la bibliothèque, vêtu de ses habits de cour.Une fourrure de

loupétaitretenueautourdeseslargesépaulesparuneperled’ambreetilavaitpeignésabarbeetsescheveuxgris.LamenacecontenuedanssonregardfaillitmettreWillhorsdelui.

Neleregardepasdanslesyeux.Respire…—Vousosezentrerainsichezmoi?demandaleFenrird’unevoixdoucemaisimplacable.Vous

oseztraitermesserviteursdelasorte?—Mononcle,intervintlavoixd’Astrid,calmeetapaisante.(Elles’approchadeMagnusetposa

unemain sur son bras.)Regarde-le. Il a dumal à se contenir.Quelque chose l’a ébranlé. (Elle setournaversWill.)Quesepasse-t-il?

Ilprituneprofondeinspiration,submergéparl’odeurdesmembresdesonespèce.—C’estausujetdeLena.

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—Votrefemme?(Ellefronçalessourcilsetsemblacomprendre.)Elleaattrapéleloupe,c’estça?

—Jen’avaisquecinqansetjenemesouvienspasdelamarcheàsuivre,commentl’aider…—Peut-êtreparcequ’iln’yarienàfaire,petit,grognaMagnusd’unevoixpluscalme.(Ilcaressa

sabarbe.)C’estlajeunefille?Astridetluiéchangèrentunregard.—C’estunebattante,lâchaWill.Ellevalutter.—Vous auriez dû garder vos distances avec elle, dit Magnus en pinçant les lèvres. Si on ne

s’accouplepasavecleshumains,c’estqu’ilyauneraison.—Jel’aipastouchée.—Peuimporte,intervintAstridenjetantuneœilladeàsononcle.Laissez-moiallercherchermon

manteau.Jevaisvousaccompagner.Quejepuissevousaiderounon…—Merci.—Oùestvotrecarriole?demanda-t-elle.Willsecoualatête.—Jesuisvenuàpied.Parlestoits.Astridledévisagea,sarobeblanchetournoyantautourdeseschevilles.Puisunsourireaveuglant

flottasurseslèvres.—Commec’estintéressant.Laissez-moimechanger.Magnuslarattrapaparlebrastandisqu’elles’apprêtaitàs’éloigner.—Tun’yvaspasseule.—Toutlemondeestcensésetrouveraubaldeje-ne-sais-plus-qui.Levautourauvisagetailléà

laserpequisetrouveamusant.—LeducdeMorioch,réponditsèchementMagnus.EmmèneEric.Jesuissûrqu’ilseraravide

pouvoir échapper à une autre nuit d’ennui. (Il se tourna versWill.) Je vous donnemon fils etmanièce.Ramenez-les-moisainsetsaufsoujefaisplantervotretêtesurunpieu,c’estbiencompris?

Ilhochalatête.Voilàunhommequiparlaitlamêmelanguequelui.—Parfaitement.

—Lescolonies,hein?Ericbonditdutoitdanslarueboueuseencontrebas,sonmanteaufourrétournoyantderrièrelui.Willleprécédapourluiindiquerlechemin.Lerepaireseprofiladevanteuxetlatensiondansses

épauless’apaisaquelquepeu.—Jem’attendais àunmanoir,murmuraAstridqui atterrit à côtéd’euxetobserva lebâtiment

délabré.Vousavezunsous-sol?Oudelaglace?—Vousallezavoirunesurprise,dit-ilenpoussantlaported’entrée.Rip,quigardaitcetteporte,posalamainàsaceinturequandelles’ouvrit.CharlieetLarkétaient

assis au pied des escaliers et se disputaient pour savoir qui avait gagné la partie d’osselets. LesmâchoiresdeCharlietombèrentquandAstridpénétraàl’intérieur.

Elle avait enfilé un pantalon en cuir ainsi qu’une veste cintrée à la taille. Elle avait tressé sescheveux en arrière, ce qui dégageait son visage, et la fourrure qu’elle portait lui donnait l’allured’uneprincessebarbare.Riplui-mêmeneputretenirunhaussementdesourcilsadmiratif.

Eric entra sur leurs talons. Le Scandinave sourit et ébouriffa les cheveux de Lark comme s’ils’agissaitd’unepetitefille.Charlie,lui,semblaitenvisagerd’ajouterunmanteaudefourrureetunecottedemaillesàsagarde-robe.

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—Commentva-t-elle?Charlieclignalesyeuxetdétournaleregardduduoexotique.—Je saispas.Honorneveutpasme laisser entrer.Qu’est-cequi sepasse,Will ? J’ai entendu

Lenapleurer…Ilsefrayaunpassagedanslesescaliers.DefaiblesgémissementsluiparvenaientdelachambredeLena.Ilfrappadoucementàlaporteet

passalatêteàl’intérieur.Lenasetortillaitsursonlit,lesjouesbrûlantesdefièvre.Lasueurcollaitsachemisedenuitàson

corpsetHonoriasetenaitàcôtédesatêteavecunlingefraisethumide.Bladetentaitdel’apaiser,unverred’eauàlamain.

—Ilssontvenus?demandaHonoriadontlestraitsétaienttendus.WillnepouvaitdétournerlesyeuxdeLena.—Commentva-t-elle?Honoriatorditlabouche.—Satempératureaencoreaugmenté.WillfutrepoussésurlecôtéetAstridentra.Elleévalualascèned’unregardetposasonmanteau

surunechaise.—Ilfautlarafraîchir.Etvite.Onvaavoirbesoindeglaceetdequelquechosed’assezlargedans

lequell’installer.—Unebaignoire?suggéraBlade.—Vousenavezune?—Dansmonappartement,répondit-il.—Parfait.(ElleposalamainsurlatempedeLenaetfermalesyeux.)Elleapprochedelalimite,

maisellen’yestpasencore.Ilestl’heure.—Lafièvrevaencoremonter?demandaHonoria,affolée.—Sic’estlecas,ellemourra,réponditAstridsansambages.Will,allezchercherdelaglace.Le

pluspossible.Ilpassalesvingtminutessuivantesàbriserdesblocsdeglace,puisremontadelacavepourles

emporterdans lachambredeBlade.Unfroidglacial régnaitausous-sol ;Bladedevaitgarderuneréservedeglacefaramineusepourconserversonsangaufrais.

AstridetHonorias’étaientrenduesdanslasalledebains.Astridremplitlabaignoireàrasbordd’eaufroide,puisversalesseauxdeglaceàl’intérieur.

—Vous êtes sûre que c’est sans danger ? demandaHonoria. Ils avaient l’habitude de faire lamêmechoseauxdétenusdel’institutdanslequeljetravaillais.C’étaithorrible.

—Çavaêtredouloureux,oui,réponditAstridsanschangerd’expression.(EllecroisaleregarddeWill,sachantqu’ilallaitprotester.)Quoiqu’ellefasse,vousnedevezpasintervenir.

—Ceseradouloureuxàquelpoint?interrogea-t-il.—Commedesflammes.(Ellelevaunemainpourlestopper.)C’estsaseulechance.EnNorvège,

onsesertdelaneigepourfairetomberlafièvre.Il vacilla, hésitant. Le pire, c’était de savoir la souffrance à laquelle Lena était en proie en ce

momentmême.Etjusqu’oùellepourraitaller.Luiavaitpassédeuxjoursd’enferàlacaveavantquelafièvreretombe.

Maisiln’yavaitriend’autreàfaire.—Combiendetemps?Astridluijetaunregardgrave.

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—Deuxoutroisjours.Peut-êtrequ’unjourestdéjàpassé.Ellesembleàmi-chemin.Ilserappelaquec’était làsonseulespoir,mêmesilaperspectivedelafairesouffrirlerendait

malade.—Jevaislachercher.

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23

Aussitôtqu’ilslaplongèrentdansl’eau,Lenasemitàhurler.Les dents serrées, Will la maintint en place malgré sa faible résistance. Le choc thermique

risqueraitdelatuer,selonAstrid,maissansça,satempératureallaitcontinuerdemonterjusqu’àluiêtrefatale.

L’eauglacéeluibrûlalesbrasetsesdoigtsfinirentpars’engourdir.Ilnepouvaitqu’imaginercequeressentaitLena.Ettoutétaitsafaute.Sesyeuxs’embuèrentetilluichuchotaqu’ilétaitàsescôtés,quetoutiraitbien.

IlnefallutpaslongtempsavantqueLenacessedesedébattreets’affaissedanssesbras.—Qu’est-cequisepasse?demanda-t-il.Lena?Ellenemanifestaitaucuneréaction,àl’exceptiondutremblementdeseslèvres.—Sortez-la,ordonnaAstrid.Will la souleva prudemment dans ses bras et l’eau glacée éclaboussa le sol en marbre. Ils la

séchèrentetAstridvérifiasatempératurepuisconsultalamontrequeluiavaitdonnéeHonoria.—Etmaintenant?s’enquit-il.Ellevamieux?—Sa températureestdescendued’undegré, réponditAstriden reposant le thermomètre,avant

d’échangerunregardavecHonoria.Will,ilfautplusdeglace.—Plusdeglace?—Pourlaprochainefois.Ilsecoualatête.Lenaétaitavachiedanssesbras,lapeauglacéemalgrélafièvrequiirradiaitde

l’intérieur.—Combiendefois?—Chaquefoisquesatempératuremontera.Jusqu’àcequelafièvrebaissepourdebon.Lecaractèredésespérédelasituationleheurtadepleinfouet.—Ellenevapass’entirer,c’estça?AstridécartalesmècheshumidesdufrontdeLena.—Vousm’avezditquec’étaitunebattante,non?—Elleesttêtuecommeunemule.—Alors apportez-moiplusdeglace,Will. (Elle sepenchavers l’oreilledeLena.)Vousdevez

vousbattre,mapetite.Battez-vouspourvotrehommecommeilsebatpourvous.Lanuits’écoula,uneheureaprèsl’autre.Ilrépétainlassablementlesmêmesgestes;ilbrisaitles

blocsdeglacepourlesréduireenpetitsmorceauxetlestransportaitàl’étage,puisilsplongeaientdenouveauLenadanslabaignoire.Honorias’étaitmiseàpleureretleslarmescoulaientensilencesur

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ses joues. Il ne pouvait la regarder, àmoins de risquer de s’effondrer.Quand ils immergèrent denouveauLena,celle-ciremuaàpeine.

—Allez,mocridhe.Il déposaunbaiser sur son front en regrettant dene rienpouvoir faire.Mais il n’avait rienni

personneàtueroucontrequilaprotéger.Sonimpuissancel’anéantissait.Troptard…Pour tant de choses. Trop tard pour la serrer dans ses bras. Trop tard pour l’embrasser, pour

s’abandonneràellecommeilavaittoujoursredoutédefaire.Troptardpourluiavouersonamour,commeellel’avaittantattendu.

Ill’avaittenueàdistance,parpeurdeprovoquerprécisémentcequiétaitentraindeluiarriver.—Jetedonnerailalune,murmura-t-ilencaressantsescheveux.Jeteprotégerai,jetelejure.Je

teprometsqu’ilnet’arriveraplusjamaisrien.Maisreviens,Lena.Reviensetlaisse-moit’aimer.Maisellenel’entenditpas.Auxprisesaveclafièvre,ellen’entendaitaucund’eux.Troptard.

—Soncœurbatàpeine,déclaraAstridàvoixbasse.Le jour s’était levé et le soleil filtrait à travers la fenêtre. La pièce était inondée, comme si

quelqu’un avait livré bataille dans la baignoire.Will songea que ça avait peut-être été le cas. Et ildevenaitévidentqu’ilsétaiententraindelaperdre.

Il percevait les faibles battements de son cœur.Will lui prit lamain, la serra fort contre lui etattendit,hébété,leterriblemomentoùAstridlaplongeraitdenouveaudanslebain.Selonlui,Lenanepourraitensupporterdavantage.

Lui-mêmenelesupporteraitpas.Ilétaitdevenusourdetaveugleaumondequil’entourait.Soncorpsvoulaits’endormirpourse

régénérer.Toutcedontilavaitconscience,c’étaitducorpsquisetrouvaitentresesbras,delachaleurdesa

peaudévoréeparlafièvremalgréleurstentativespourlacontenir.Aucoursdeladernièreheure,satempératureavaitaugmentédedeuxdegrés.Unhumainauraitsuccombédepuisbienlongtemps.

Allez.Illaberçaenchuchotantdesmélodiesapaisantesdontilgardaitdevaguessouvenirsdepuissajeunesse.Àl’époqueoùsamèreneleregardaitpasencorecommesiellesedemandaitcommentunmonstrepareilpouvaitluiavoirvolésonfils.

Reviens-moi.Ilsentitunemaindouceseposersursonépaule.Astrid.—Will,vousdevezlalâcher.Non!Ilmontralesdentsetlarepoussa.S’ilsessayaientdelaluiprendre,illestueraittous.Desmurmures.—…troptard.Siellemeurt,ilvaselaisserdépérir…Honoriapleurait.Ilseforçaàseredresserets’approchadelabaignoireenchancelant.Ilneressentaitpresqueplus

rien.Ils’allongeadansl’eauenserrantLenacontresapoitrine,lajoueposéesursonépaule.Leslentsbattementsdesoncœurpalpitaientcontrelui.Laglaceluibrûlalapeaujusqu’àcequesoncorpstoutentiersoitengourdi.

Lemondevacillaautourdelui.

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Puisdesmainsl’extirpèrentdelabaignoireetLenadesesbras.Ilgrognaetleschassadureversdelamainpouressayerdelarécupérer.LevisagedeBladeapparutsoussesyeux.

—Lâche-lamaintenant,Will.Lâche-la…IlsaisitBladeàlagorgeetlerejetasurlecôté.EricaidaitAstridàsoutenirLena.Ilsejetasureux

etpropulsaEriccontrelemiroir,quisebrisa.Astridseraidit.—Sortez!s’écria-t-elle.Quetoutlemondesorte.Laissez-leavecelle.Avantqu’iltuequelqu’un.ElleluifourraLenadanslesbrasetreculaenemmenantsoncousinavecelle.Laportesereferma

etilseretrouvaseuldanslasalledebainsdévastée.—Lena,murmura-t-il,enproieàunedétresseinnommable.Pourquoinereprenait-ellepasconscience?—Jesuisdésolé.Bonsang,jesuisdésolé.Labaignoireétaitàmoitiévide.Ilnepouvaitplusluifaireça.Elletremblaitdespiedsàlatêteet

avaitlachairdepoule.Willgagnalachambreentitubant.SiLenadevaitmourir,alorsilnevoulaitplusqu’elleaitfroid.

Illuiretirasachemisedenuitetl’allongeadanslesdrapsavantdelasécheravecprécaution.Tandisquesapeauétaitlivide,sesjouesetsapoitrineétaientcouvertesdeplaquesrouges.Chaquefoisqu’illatouchait,ilsentaitlefroidglacialdesapeauetlafournaisequibrûlaitàl’intérieur.Unbrasierquicouvaitsouslaglace.

Ilcommençaparluifrotterlespiedspourraviverlachaleur.Ilnepouvaitpaslalaissermourird’hypothermie.Lesbattementsdesoncœurrésonnaientfaiblementàsesoreilles.

Il luifallutunlongmomentpourestompersesfrissons.Puisilretirasesvêtementsmouillésets’allongeaàsescôtésenrabattantlacouverture.Ilessayadeseservirdesaproprechaleurcorporellepourlaranimer.

Delonguesheuress’écoulèrent.LachaleurfinitparsedégagerdeLenajusqu’àcequ’ilssoienttousdeuxtrempésdesueur.

—Jesuisdésolé,répéta-t-ilencoreetencoreenembrassantsonépaulehumide.Deviolentstremblementssemirentensuiteàlasecouer.Willenfouitsonvisageaucreuxdeson

couetinspirasonfaibleparfum.Ilétaitépuisé.Ilvoulaitseulementfermerlesyeuxetnejamaisseréveiller,maisquelquechoses’agitacontrelui.

Unhalètement.Uncorpsremuantfaiblement,unepeaubrillanteentresesbras.Ilouvritunœilvoilé.Incrédule,ilvitLenaessayerdelerepousserengémissant.—Chaud,murmura-t-elled’unevoixéraillée.Sespupillesétaientdilatées,sonregardétaitflou.Willseredressad’uncoupetLenaretombaenarrière,presqueincapabledebouger.—Lena?Seslèvresétaientsèchesetcraquelées,sesjouesenflammées.Ellen’avaitjamaisétéaussibelle.

Elleécartalacouverture,tentadesereleverets’effondralatêtelapremièresurlematelas.Willl’enveloppadansl’étoffeetl’aidaàs’asseoir.—Lena?Illuipritlementonetsoulevasespaupières.Uncercleambréentouraitsespupilles.Unsouffle

incrédulegonflasespoumons.—Tuassurvécu…Elleavait lefront luisant,maisquandilposasapaumedessus, l’intensechaleuravaitnettement

diminué.

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—Lafièvreestretombée.Elleessayafaiblementdelerepousser.Willtapotalesoreillersdanssondosetl’yinstalla.—Jevaistechercherdel’eau.Resteici.Nebougepas.Ilneputs’empêcherdeprendresonvisageentresesmains.Elleétaitàpeineconsciente,maisla

fièvreétaitretombée!—Jet’aime,ajouta-t-ilIll’embrassafougueusementpuiss’écartaquandellepoussaunenouvelleplainte.—Jevaist’apporterdesseauxentiers.

Honoria arpentait la cuisine, les joues desséchées par ses larmes, mais les yeux secs. Elle se

sentaitvide.Elleavaitfaittoutcequiétaitensonpouvoiretelleavaitéchouémalgrétout.Bladel’attiracontrelui.—Ilyaencoredel’espoir.C’estpasencorefinioualorsonlesaurait.—Jemesensmal.Elles’écartaets’appuyacontreleplandetravail,submergéeparunevaguedenausée.Ellesentit

Blade s’approcher avec un verre d’eau. Puis il releva brusquement la tête et elle fit volte-face endirectiondelaporte.

—Qu’ya-t-il?LesdeuxNorvégiensattendaientdansuncoin,lestraitstendus.Ellesutimmédiatementquec’était

Willquidescendaitlesescaliers.—Oh,Seigneur,dit-elletoutbas,lesgenouxtremblants.Bladelarattrapaetlasoutintcontrelui.Willapparutsurleseuil.Soncorpsnuétaitrecouvertdesueur.Leregardfou,lescheveuxenbataille,lesmusclesbrunis

parlachaleur.LamâchoiredeHonoriatombaetelledétournalesyeuxtandisqu’ils’emparaitdelacarafed’eauposéesurleplandetravail.

—Elleasoif,gronda-t-ilavantdetournerlestalonsetderepartircommeilétaitvenu.—Soif?murmuraHonoria.(EllesetournaversAstrid.)Est-cequeçaveutdire…?Astridouvritdegrandsyeux.—DouxJésus,dit-elle.Queldommagequ’ilsoitdéjàaussiliéàelle…Ericluidonnaunlégercoupdanslebrasetluiadressaunemoueàmi-cheminentrelesourireet

lagrimace.—Rangetesyeux,cousine.(IlselevaetdonnaunetapedansledosdeBlade.)Sielleasoif,alors

toutvabien.Lafièvreadûretomber.Honorias’approchadelaporte,maisEriclaretintparlepoignetetsecoualatête.—Non,dit-il.Nousdevonslelaisserprendresoind’elle.Laissez-lesseulsouvousrisqueriezde

vousfairearracherlatête.Astridsouritenvoyantsonexpression.—Ilsecomportecommeuninnmatkimunr.Unmâlerécemmentaccouplé.Ilserainsupportable

pendant quelques jours, surtout quand on sait qu’il a failli la perdre.Accordez-leur unmoment etlaissez-luiletempsdesecalmer.

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Lesrayonsdusoleilserépandaientàtraverslesrideauxdedentelle.Lenamarmonnaettentad’ouvrirlesyeux.Puisellelescligna.Cen’étaitpassachambrequ’elle

voyait.Oùétait-elle?Quand elle se redressa, une violente douleur transperça la base de son crâne.Elle grimaça, se

forçaàouvrirlespaupièresetjetaunregardautourd’elle.Unplancherdeboisnu.Desmeublesgrossiers.Unetabledansuncoinaccompagnéed’uneseule

chaise.Etdeuxbottesrattachéesàdelonguesjambesmusclées.Will.ElleétaitchezWill.Le soleil se refléta sur les mèches cuivrées de ses cheveux et assombrissait sa peau hâlée. Il

somnolait,installédansunvieuxfauteuil,lesbrascroiséssursapoitrineetlatêtebasculéeenavant.Descerclessombress’étiraientsoussesyeuxetilsemblaitavoirfaitl’impassesurlerasagedepuisplusieursjours.

Ladernièrefoisqu’ellel’avaitvu,ilétaitpaniqué.Illabordaitdanssonpetitlitenluimurmurantqu’elleétaitensécuritéetquetoutiraitbien.Illuirépétaitsansrelâchequ’ilétaitdésolé.

Lena fronça les sourcils. Quand cela s’était-il produit ? Elle gardait un vague souvenir desouffranceetdechaleurintense,puisdeseshurlementsquandquelqu’unl’avaitplongéedanscequiluiavaitfaitl’effetd’unecuveremplied’huilebouillante.Honoriaquil’observaitd’unairinquiettoutenessayantdeluidonneràboire.WillquimontraitlesdentsàHonoriapourlachasserdelapièceetquiemmenaitLenachezlui.

Quediables’était-ildoncpassé?Ellerepoussalescouverturesetessayadeselever.Latêteluitournait.Elleseretintaupoêle.Une

faibleodeurdelavandeluiparvenaitauxnarines.Cen’étaitpassonsavonhabituel.Quelqu’unavaitdûluifaireprendreunbain.

Willfrottasesyeuxensommeillés.—Lena?Ilbonditdesonfauteuiletlarattrapa,commesielleétaittropfragilepourtenirtouteseulesur

sespieds.—Qu’est-cequetufaisdebout?La chaleur de son corps fut la bienvenue. Elle enfouit son visage contre sa poitrine et inspira

profondément.Sonparfumluiétaitfamilier,chaleureuxetmasculin,maiselleperçutégalementunemyriaded’autresodeurs;lelingeempesé,sonodeurcorporelle,lasueur,unetoucheduparfumdesasœuretmêmel’huiledontilseservaitpournettoyerlecouteaudechassesangléàsacuisse.

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Commec’étaitcurieux.—Tupeuxfermerlesrideaux?demanda-t-elle.Çamefaitmalauxyeux.Sonodeurchangea,plusprononcée.—Tavues’ajustera,maisçaprendraquelquesjours.—S’ajusteràquoi?Ilmarquaunepauseetsonodeurdevintencoreplusacerbe.—Lena.(Ils’éclaircitlavoix.)Tutesouviensunpeudecequis’estpassé?Son expression sérieuse et le ton de sa voix la dégrisèrent aussitôt. Elle s’efforça de se

remémorer,envain.—Qu’est-cequinevapas?Ques’est-ilpassé?Est-cequetoutlemondevabien?—Commenttutesens?Quelleétrangequestion.Elleseconcentrasur lessensationsdanssoncorps.Maintenantqu’elle

étaitsurpied,ellesesentaitmieux.Ellepercevaitunelégèretédel’êtrequ’ellen’auraitsuexpliquer.—Assoiffée…Ainsiqu’unautrebesoinpressantqu’ellen’osaitavouer.Ellerougit.—Tucroisquejepourrais…utilisertestoilettes?Will l’observa un longmoment, les pupilles cernées d’un cercle d’ambre en fusion. Il hocha

brièvementlatête.—Biensûr.Ill’escortajusqu’auxcabinetscommesielleétaitinvalideets’apprêtaàlasuivreàl’intérieur.—Will!(Elleessayadeluirefermerlaporteaunez.)Qu’est-cequetufais?—Jeveillesurtoi.—Paslà-dedans,répliqua-t-ellefermement.Dehors!Ilrésistauninstant,puisilpinçaleslèvresettournalestalons.—Jevaistecherchercequ’ilfautpourquetupuissestelaver.Illuiapportadel’eau,dusavonetuneserviette.Dèsqu’ileutrefermélaporte,elleseretourna.

Elleavaitpeut-êtrefaitpreuved’empressement.Letempsqu’elleselavelesmainsdanslabassine,sesgenoux s’étaient mis à trembler. Et l’eau l’attirait irrésistiblement. Elle était tentée de la boiredirectementdanssacuvettederasage,maisellesecontentadeserincerlaboucheetdesefrotterlesdents.Puiselle retirasachemisedenuitet se lava lecorpsavec legantet le savon.Unparfumdelavandemontaàsesnarines.Ill’avaitdoncbeletbienlavée.

Elleenfiladenouveausachemisedenuitsansprendrelapeinederemettresaculotte.Elleavaitenviedevêtementspropres,dequelquechoseàboireetd’unbonrepaschaud.

—Will?Elletournalapoignée,maislaportes’ouvrittouteseule.Willsetenaitdel’autrecôté,unverre

d’eauàlamain.Maintenant qu’elle avait assouvi l’un de ses besoins, les autres sollicitaient son attention

immédiate. Son regard se posa directement sur la glacière et son estomac lâcha un grondementembarrassant.Ellesaisitleverreetlevidad’untrait.

—J’aidu ragoûtdemouton.Etdupainetdu fromage.C’estpasgrand-chose,mais j’enaiunpaquet.J’enaiprisautantqueEsmepouvaitenpréparer.

Duragoût.Ellesemitaussitôtàsaliver.Maiselleavaitd’autrespréoccupationspluspressantes.—Will, qu’est-ce que je fais ici ? Qu’est-ce qui s’est passé ? J’ai du mal à me rappeler le

déroulementdecesderniersjours.—Quatrejours,enfait.

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—Quoi?Willseglissaunemaindanslescheveuxetluitournaledos.—Viens,jevaistemontrer.Ilrécupéralepetitmiroiraumancheenossursoncabinetdetoiletteetlemaintintserrécontre

lui,commes’ilnevoulaitpasqu’ellecroisesonproprereflet.Unecraintel’envahitsoudainement.Qu’est-cequiclochaitchezelle?Elleportasesmainsàson

visage,maissapeauluiparaissaitnormale.Elleluipritlemiroirdesmainsetobservasonimage.—Mesyeux…dit-elletoutbas.(Desfilsdecuivreszébraientsespupilles.Ellebaissalentementle

miroir.)Comment…?Que…?Willn’arrivaitpasàcroisersonregard.— Bon sang, je suis vraiment désolé. Je t’avais dit que je n’aurais jamais dû t’approcher. (Il

relevalesyeux,illuminésparuneflammedecolère.)Voilàcequis’estpassé.J’aifailliteperdre.J’aifaillitetuer!

Il tourna les talons et s’éloigna, lesmains jointes derrière sa nuque.Lena risqua un autre brefcoupd’œildansleverrepoli.

—Jesuisinfectéeparleloupe?demanda-t-elle.Iltressaillitcommesiellel’avaitfrappé.—Will.Elle reposa le miroir et s’approcha de lui, mais il s’écarta. Il contourna la table et la chaise

commesiellelepoursuivait.Lenapritunelenteinspiration,posalesmainssurledossierdelachaiseetsepenchaau-dessus.

—Jem’enfiche.Jet’avaisditqueçanemedérangeraitpas.Sic’estpourêtreavectoi…—Tuasfaillimourir!lâcha-t-il.Ellepritalorsconsciencequ’elleavaitdûfrôlerlalimite.Ilserralespoingsetdétournalesyeux.—C’étaitgraveàcepoint?— On ne pensait pas que tu t’en tirerais, répondit-il d’une voix rauque. Avant que la fièvre

retombe, jepensaisque tuétaisen traindemourir.Tunepeuxpassavoircequeçam’afait. (Ilsefrotta la poitrine.) Je suis devenu fou. J’ai jeté Blade en travers de la pièce et je t’ai amenée ici.Honoriavienttouslesjours,maisjenepouvaispaslalaisser…pasavantquetuteréveilles…

LasouffranceimpriméesurlestraitsdeWillluiserralecœur.—J’aisurvécu.—Dejustesse.—Peuimporte.—Si,c’estimportant.Tunecomprendspascequeçasignifie.—Cequeçasignifie?(Ellepoussalachaisehorsdesonpassage,ainsiquelatable.Cegestelui

futincroyablementfacile.)Çasignifiequetun’asplusd’excuse.Willreculacontrelelitdecamp,lesmainstenduesdevantlui.—Bonsang,Lena!Jet’aiinfectée!Tavieneseraplusjamaislamême.Ellelesuivit.—J’espèrebien.—Tucomprendspas…—Jecomprendsparfaitement.Elles’arrêtadevantlui,lepoussa,etiltombaenarrièresurlelit,l’airsurpris.Elleobservasesmainsavecémerveillementetneputs’empêcherdesourire.—Àtonavis,quelleforcejepossède,maintenant?

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—Pourquoi?—Commeça.Jemedemandesijeseraiscapabledebalanceruncertainsangbleupar-dessuslarambardedela

Tourd’Ivoire.Lemondeétaitdevenutotalementdifférent,emplidecouleursvives,dechaleuretd’odeurs.Des

grains de poussière virevoltaient dans le faisceau de lumière qui les éclairait. Elle leva lesmainsdevantellepourlesagiter.Elleavaitl’impressiond’avoirétéaveugletoutesavie,etquelesdétailsdumondequil’entouraitserévélaientàsaperception.

—Tuvoisçacommeunemalédiction,dit-elleensefaufilantsursesgenoux,etlesmusclesdescuisses deWill se crispèrent.Pasmoi. Je sais qu’il doit y avoir certaines limites. Je sais quemontempsauseindel’Échelonestrévolu…c’étaitfiniaumomentoùtum’astransportéehorsdelasalledebal.

Enlevoyantouvrirlabouche,elleposaundoigtsurseslèvres.—J’aivécudanslapeurpendanttrèslongtemps,Will.Jen’aipluspeurdésormais.Mêmepasun

petitpeu.Est-cequeçafaitpartiedemanouvellecondition?Illafixadesyeux.Uneflammederébelliondansaitdanslessiens.Iln’arrivaitpasàlacroire.—Iln’yarienquejeregrettedemonanciennevie,murmura-t-elle,faisantglissersajambepour

semettreàcalifourchonsurlui.Lachemisedenuit remonta le longdesoncorpset il retintsonsouffleenagrippant lesdraps.

LenaoscillacontreseshanchesetlesboutonsdupantalondeWillfrottèrentl’intérieurdesescuisses.— Je veux une nouvelle vie, lui dit-elle. Avec toi. Je le sais, maintenant. (Elle passa ses bras

autourdesoncouets’approchapourinspirersondélicieuxparfummusqué.)Jesaisenfincequejeveux.Etjen’aipluspeurdel’admettre.

—Lena.(Ilempoignasesfessescommeunavertissement.)Tuesunloup-garou,maintenant.Uneesclave,auxyeuxdel’Échelon.Tunepourraspeut-êtreplusjamaisquitterWhitechapel.

—Qui dit que j’en ai envie ? (Elle effleura sa bouche.)Qui dit que j’aurai un jour besoin dequittercelit?

Nouveauhoquetde lapartdeWill.Maisses irisétaient incandescents,consumésparunflotdelaveambrée.

—Tuesàmoi,Will. (Unsourirevictorieuxflottasursonvisagequandellevit lechangements’opérer.)Tunepeuxplusmefairedemal.Tun’asplusd’excuse.Tupeuxtedétesterautantquetuveux,maisfranchement,jesuisplutôtimpressionnéeparlestransformations.

Elles’inclinaversluietilsepenchaenarrière.Quelhommetêtu…Lenalesuivitetappréciad’unregardsoncorpsappétissant.

—Tun’aspasfaim?—Hmm.(Elleembrassaseslèvresetleslécha.)Si,jesuisaffamée.LesmainsdeWillhésitaientsursataille.—Lena,bonsang,tun’étaisvraimentpasbien.—Ondiraitunejeunemariéenerveuselanuitdesesnoces!dit-elleavecunéclatderireavantde

baisserlavoix.Maintenantquetunepeuxplusmeblesser,penseunpeuàtoutcequetuvaspouvoirmefaire.

LeregarddeWills’assombrit.—Tuvienstoutjustedeteremettred’unefortefièvre.— Jeme sensmerveilleusement bien. (Elle luimordit la lèvre et l’aspira dans sa bouche.) Et

mêmemieuxqueçaencore.(Elleritetenfonçasesonglesdanssontorse.)Jemesenssuffisamment

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enformepourtefairedeschosestrèsvicieuses,là,toutdesuite.Ilplaquaenfinsesmainssurseshanchesetcessaderésister.—Bon sang, j’ai cruque je t’avaisperdue. (Il fut parcourud’un frisson.) Jen’ai pas lesmots

pourtedire…jenepeuxpluslutter.—Alorsneluttepas.Leurs bouches se trouvèrent et elle se délecta de sa fougue et de son parfumde désir refoulé.

C’étaitsibon.Elles’appuyacontreluipourchercherdésespérémentlecontactdesapeau.Unbesoinimpérieuxinondasoncorps.

IlsdurentinterrompreleurbaiserpourlaisseràWillletempsderetirerlevêtementdeLena.Puiselle se retrouva complètement nue contre sa chemise rêche qui embrasait ses tétons tandis qu’ilenfonçait ses doigts dans la chair douce de ses fesses. Lena plongea les siens dans ses mèchessoyeuses.

EllelâchaungémissementetrejetalatêteenarrièrepourlaisserWilldévorersagorgeblanche.—Ohoui,murmura-t-elle.Elleécarquillalesyeuxquandellesentitsesdentssursapoitrine.Ellelevainstinctivementlesmainspoursecouvrir,maisillessaisitetlesécarta.— Non, fit-il dans un grognement. Tu m’as promis que je pourrais te faire tout ce que je

voudrais.Ettuvaspayerpourm’avoircomparéàunejeunemariée.Lenafutélectriséeparletondominateurdesavoixetrejetalatêteenarrière.Lalumièrebrillaitsursapeaupâleetsursestétonsrosesetdurs.Lalueurdanslesprunellesde

Willl’emplitd’unsentimentd’anticipation.—Lavueteplaît?s’enquit-elledoucement.Deseslèvresfermes,ellecapturalessiennes.Ellesentitsaréponsepressercontresacuisseetsa

chaleurpénétrasapeau.Ilenfonçasalanguedanssabouche,saisitLenaparleshanchesetlaplaquacontrelui.

La sensationétait délicieuse et la jeune femme laissa échapperungémissement, agrippéeà sescheveux.Toute envie de rire l’avait quittée.Unepassiondévorante avait pris le relais.Le désir decomblerlevideàsonentrejambeluifaisaitperdrelatête.ElleattrapalachemisedeWilletladéchiraau niveau de ses épaules jusqu’à ce qu’il ne reste que des lambeaux autour des boutons toujoursintacts.

—Toutdoux,dit-ildanssaboucheenluiattrapantlespoignets.—Non.Elles’attaquaàsabraguettemaisilécartasesmains.—Onatoutletemps.—Toutdesuite,ordonna-t-elle.CefutautourdeWilld’éclaterderire.IlécrasaLenacontreluiet l’embrassaavecunelenteur

délibérée.Lenaperditlatêteetsetortillaenluiléchantleslèvres.—Je…(Illafitbasculersurledosetgrimpasurelle.)J’aipasl’intentiondemeprécipiter.—Quiaditquetuaslechoix?Nouveausourire.Unsouriretrèsspécial.Celuiquilafaisaitfondredel’intérieur.—Jesuistoujoursplusfortquetoi.Lenapassasesdoigtssursonventre.—Etplusgros.Définitivementplusgros.Ellefrissonnaetposalesdoigtsàplatsursapeau.—J’aitoujourseuenviedefaireça.

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—Fairequoi?—Ça.Elleglissalesdoigtsverslebasetlesinsérasouslaceinturedesonpantalon.—Quand j’étais plus jeune, que je venais d’arriver au repaire, j’avais envie de te toucher.De

goûtertapeau.Jerêvaisdetoi,avoua-t-elle,lesjouesrouges.Willcroisasonregard,l’airdégrisé.—Jenepouvaispas.—Jesais.Ellehaussalesépaulescommesiçan’avaitplusd’importance.—Mais j’enavaisenvie,ajouta-t-ilavecunautresouriredévastateur.Mince,Lena, tupeuxpas

imaginercombienj’avaisenviedetoi.Tumerendaisfou.J’avaisjamaisressentiçapourpersonneettuétaistropjeune…etpuis…jepensaisquecen’étaitqu’unjeupourtoi.Ilfallaitquejedéménage.

— Ce n’était pas un jeu. Pas seulement. (Elle sourit et revint sur les quelques mots quil’intéressaient.)Tun’asjamaiseuenvied’uneautrefemmeauparavant?

—Seulementdetoi.Unechaleurincandescentelaréchauffadel’intérieur.ElletirasurlaceinturedeWilletglissaun

doigtsouslebouton.Ilplissalespaupières.—J’aiassezattendu,dit-elle.Assezattendu.—Tuesimpatiente.Maisilpassaledosdesesdoigtssurlacourbedesonseinetsuivitsongestedesyeuxavecune

sortedefascination.Lenaressentitcefrôlementàd’autresendroitsdesoncorpsetsetortillasouslui.—Caresse-moi,murmura-t-elle.—C’estcequejefais.Il dessinait de larges cercles autour de son sein en se rapprochant de son mamelon. Elle se

cambracommeunchat.—Non.Là,tumetourmentes.—Hmm.(Unelueurs’allumadanssonregard.)Jecroisquejesaisàpeuprèsl’effetqueçafait.Ledémon.Ellesemorditlalèvreettenditlamainverslui,maisileutunmouvementderecul.—Non.Posetesmainssurlatêtedelit.—Jen’aipasenvie.Jeveuxtetoucher.Illuisaisitlepoignetetforçasesdoigtsàs’agripperaumontantenfer.—C’étaitpasunequestion.(Ilpritsonautremainetrépétalegeste.)M’obligepasàt’attacher.L’attacher?Cetteidéeenflammasessynapses.Elleobtempéra,puisdétenditsesbrasetlaissases

mainsàleurplace.—Trèsbien.Seulement,neprendspastropdetemps.Willpenchalatêteetglissaseslèvressursaclavicule.Ellesentitunlégerrirecontresapeau.—Tun’espasenpositiondedonnerdesordres.—Je…Ilrefermaleslèvressursontétonetlachaleurdesalangueluicoupalesouffle.—Çateplaît?Il releva les yeux sans cesser de lécher sonmamelondurci, avec une lueur diabolique dans le

regard.Depuisquandétait-ilaussiespiègle?Elles’humectaleslèvres.—C’estagréable,jedirai.

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Sesdentsprirent le relais.Desétincellessemirentàdanserdevantsesprunellesetsavisionsebrouilla.Quandellerepritsonsouffle,ilsemoquad’elle.

—Jet’avaisditdegardertesmainssurlebarreau.Elleavaittrouvélemoyen,sanss’enrendrecompte,d’enfoncersesdoigtsdanssescheveux.—Jepariequetuesincapabledelesgarderlà-haut.Avecunemoue,elleattrapalemontantdulit.—Jeteparielecontraire.Qu’est-cequejegagne?—Hmm.(Lemurmurevibracontresapeauetilfitdenouveautournersalanguesursonsein.)Si

tugagnes…peut-êtrequejetelaisseraimefairelamêmechose.—T’attacher?(Elleeutunhoquetetsesbrassemirentàtrembler.C’étaitdeplusenplusdifficile

degarderlesidéesclaires.)Etsijeperds?—Alorstuferastoutcequejetediraipendantunesemainesanslamoindrediscussion.Lenarelevalatêtedel’oreiller.—Certainementpas.Willpenchadenouveaulatêteetaccordalamêmeattentionàsondeuxièmesein.Lecontactdesa

languelatransperçacommelafoudreartificielledontseservaitl’Échelonetqu’ilstockaitdansdesbouteillesdeLeyde1.

Pendantcetemps,elles’agrippaitauxdrapsetlevaitleshanchesdansuneimplorationsilencieuse.Sondésirluisaitentresescuissesetsonodeurembaumaitl’air.Illasentaitforcément.

—Respire, luidit-ilens’essuyant labouche,apparemmentcontentde lui.C’est sur lepointdedevenirencoremeilleur.

—Meilleur?Ilchatouillasacuisseavecsesdoigtsetremontasalanguesursonventre.Lenaoubliaderespirer.

Despetitspointsblancsdansaientdevantsesyeux.—Will!Ilfourrasonnezdanslatoisondepoilssombresentresescuissespuislesécartaunpeuplus.—J’ai souvententenduparlerdecequ’aimaient les femmes. J’aurai sûrementbesoind’unpeu

d’entraînement.Tumedirascommentjemedébrouille.Ilrefermaleslèvressursachairhumideetsensible.Lenaécarquillalesyeux.—Will!C’étaitpresqueuncritantlessensationstransperçaientsoncorpsparvaguessuccessives.Ellesesentitconsuméepar lesflammesquandilplongeala langueenelle.Lefrottementdesa

barbeluiarrachaunnouveausonguttural.Bontédivine!Quefaisait-il?Commentsavait-ilfaireça?Ilremontapoursucerlepetitboutontendrequiconcentraittouteslessensations.

Lenaperditsonpari.Elles’agrippaàsesépaulesensoulevantleshanchespendantqu’illéchaitsachairdélicate.—Net’arrêtepas!(Ellesecambradenouveaupoursepressercontresabouche.)Oh,monDieu,

net’arrêtepas!Unedélicieusesensationdetiraillementnaquitauplusprofondd’elleetsepropagea.Ellebascula

la tête en arrière et ouvrit grand la bouche tandis qu’il continuait de laper et de l’aspirer dans sabouche.Elleapprochait…ellefrôlaitl’extase…

Elleatteignitlepointderuptureetpoussauncri.WillsuçaplusfortpourintensifierlesspasmesdeLena.Puislessensationssecalmèrentetilrelevaunregardsombreetamusé.Ilseléchaleslèvresetelleroulasurlecôté,lecorpssecouédetremblementsinvolontaires,larespirationsaccadée.

Ilfitglissersesdoigtssursacuisseetsursahanche.Lemuscletressaillitàsoncontact.

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—Lena,fit-ild’unevoixenjouée.Çat’aplu?—Jediraimêmequeçam’aénormémentplu,répondit-elledansunsouffle.Maisjenesuispas

encoresûredemoi.Lemondesembleavoirbasculésursonaxe.Illâchaunrireetbaissalavoix.—Tuesexquise.Ildéposaunbaisersurlacourbed’unedeseshanches.Ilrampaverselle,seglissasoussonbras

etemprisonnasontétonentreseslèvres.C’étaittrop,ettroptôt.Maiselleétaitincapabledelerepousser.Elleroulasurledosetpassases

jambesautourdesatailleavecunfrisson.—Tuportestoujourstonpantalon.Ilretintsesdoigtsinquisiteursetlaplaquasurledos.Quandill’embrassa,ellesentitsonpropre

goût.—Ettuasperdutonpari.Lenas’abandonnaàlasaveurdesabouche.—Tut’amélioressurlesujet,murmura-t-elleenpassantsalanguesurlasienne.Ellesursautalorsqu’illuipinçaunefesse.—D’abordlecoupdelajeunemariée,etmaintenanttucritiquesmafaçond’embrasser?Ill’attrapaparleshanchesetlesfitroulerjusqu’àseretrouversurledos,Lenaàcalifourchonsur

lui.—Puisquec’esttoil’experte,jevaistelaisserprendrelesrênes.Lena caressa son torse nu.Will croisa lesmains derrière sa nuque, offrant l’imagemême du

reposviril.— J’aime savoir que tu n’as jamais embrassé d’autre femme avantmoi, déclara-t-elle. J’aime

l’idéed’êtrelapremière.Etj’aibienl’intentiond’êtreladernière.Elleprononçacetteultimephraseavecungrognement.Ellefitglissersesmainsplusbasetouvritlesboutonsdesabraguette.Sonérectionpoussasurle

tissuavantdejaillirdanssesmainsavecunempressementavide.Il était si gros que ses doigts pouvaient à peine en faire le tour.Une goutte d’un blanc laiteux

brillaitausommetdesonglandgonfléetsesveinessaillaientsoussapeau.Elle ne savait pas comment s’y prendre. Toutes ses leçons concernant les droits de chair

s’envolèrentsubitement.—Là,dit-ilenpercevantsonhésitation.(Illuipritlesmainsetlesposaautourdesonmembre.)

Commeça.Lenaseléchalalippeetsemitàlecaresseravecprécaution.LesyeuxdeWills’enflammèrentet

il rejeta la tête en arrière, un grognement silencieux sur les lèvres. Elle le vit serrer les draps etremarquaquelesmusclesdesesbrassebandaient.

—Tuaimesça?murmura-t-elle.—Plusfort.Elle resserrasonempriseetpompasapeau luisante.Ellenepouvaitdétourner lesyeuxdeson

visage,duplaisirintensequidéformaitsestraitsetlefaisaitpanteler.Ellelefaisaitpanteler.Grisée,elletrouval’inspiration.

Quelques années plus tôt, elle avait vu des images représentant les manières de satisfaire unhomme,etunechoseétaitrestéegravéedanssamémoire…

Lenasepenchaetdonnauncoupdelanguesurlafentequipalpitaitàl’extrémitédesonsexe.Willsouleva les hanches et poussa un cri impuissant. Il l’avait tellement comblée de son côté qu’elle

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engloutitavidementsonmembredanssaboucheetgoûtasasemencesalée.Il attrapa unemèche de ses cheveux pour lui baisser un peu plus la tête et donna un coup de

hanchepours’introduirejusqu’àsagorge.Unelueurfarouches’allumadanssesyeuxetillevalatêtedulitpourregarder.

—Bonsang,Lena.(Illâchaunhoquetinvolontaire.)C’estincroyablementbon.Ilselaissaretombersurlematelasettentadelarepousseravecsesmains.—Maistudoist’arrêter.—Jen’aipasenvie.Elleléchadenouveaulapetitefenteauboutdesonsexe.Elleétaitseulemententraind’apprendre

cequ’ilaimait…Lemondechavira.Ill’attiraàluid’uncoupsecetfrottasonmembreentresescuisses.—Non.Fautquejesoisentoi.Toutdesuite.Ilgrogna,guidaseshanchespourpositionnerLenasurlui,puissonérectionétirasaféminité.Son souffle se bloquadans sa gorge.Elle sentait son corps se distendre inexorablement tandis

qu’ils’enfonçaitdoucement.Unesensationdebrûlure.Non,ellen’yarriveraitpas.Ilétaittropgros.Commes’ilavaitperçusadétresse,Willsefigea.Desgouttesdesueurperlaientsursonfrontetsesbicepstremblaient.—J’essaie.J’essaiedemeretenir,murmura-t-ild’unevoixrocailleuse.Et il comptait bien y parvenir. S’il pensait qu’il lui faisait mal, il se retirerait aussitôt. Il

enchaîneraitaufonddeluilesardeursquileguidaientetlesmettraitencage.Lesflammesd’undésirpuretdubesoindelaposséderbrillaientdanssesyeux,maisilseretiendrait.

Pourelle.MaisLena s’enfonça et, quand sonmembre la remplit en entier, son cerveau encaissa le choc.

Willlâchaunsifflement.Elles’affaissasur lui, lesoufflecourt,nesachantplusoùfinissaitsoncorpsetoùcommençait

celui de Will. Ils ne faisaient plus qu’un. Sa peau palpitait violemment à l’intérieur, mais lasatisfactiondel’accueillirenfinenelleetd’êtredanssesbraslacomblaitdeplaisir.Elleferaittoutetpaieraitleprixnécessairepourêtreàlui.

Willfitremontersamaindanssondosetsaisitl’arrièredesatête.—Lena,jeveuxpastefairemal,maistuestellementétroite,c’estdivin…—Çavamieux,murmura-t-elleenrelevantlégèrementlatête.Ladouleurrefluaitgrâceauvirusquilasoulageait.Unepartied’elleavaitenviederessentircette

douleur,cettemarquedesapossession.Willlevaleshanches.Ilpoussaunrâleetrejetasatêtesurl’oreiller.—Jesuisdésolé.Jepeuxpas…Elleembrassasontorseetfutparcourued’unfrisson.—Alorsnet’arrêtepas.Jeveuxêtreàtoi.Elleoscillaleshanchesetluiarrachaunnouveauhalètement.Ellecomprimasesmusclesinternes

enrépétantsongeste;soncorpssavaitd’instinctcequiéchappaitàsonesprit.Willpalpasesfessesetsecambra.LachaleurdesonêtrebrûlaitLenadel’intérieur.Mais la douleur avait disparu, chassée par une euphorie naissante.Will lui appartenait. Il était

enfinàelleetellenelelaisseraitplusjamaisluiéchapper.Lenapenchalatêteenarrièreetsesmainsl’aidèrent à trouver le rythme qui plaisait àWill et faisait de nouveaumonter son propre plaisir.Chaquefrottementhumidel’approchaitunpeuplusdel’extase.

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Will se dressa pour l’embrasser. Ce mouvement ne fit qu’enfoncer Lena un peu plusprofondémentetlematelass’affaissasoussesgenoux.Ellesecrispa,maisiln’yavaitaucunmoyend’échapperàsabouche,d’échapperàsoncorpsenfouiaufondd’elle,niauxmainsquiagrippaientlabasede son crâne. Il lui tira la tête en arrière et posa lesdentsdans la chair doucede sonmuscletrapèze.Ilvoulaitlamarquer.Larevendiquer.Etluifairevoirlesétoiles.

Lenapoussauncri.Willsecomprimaautourd’elleetsescoupsdereinsdevinrentpluslentsetplusprofonds.PuisunviolentfrissonlasecouaetWilllamaintintcontreluienposantsamainaubasdesondos.

Delonguesminutess’écoulèrentavantqu’ellepuissereprendresonsouffleetreveniràelle.Ellenes’étaitjamaissentieautantensécurité,autantapaiséequ’àcetinstantdanssesbras.

Willavaitlapeauluisantedesueuretsoncœurbattaitcontrelesien.Ellelevalentementlatête.Willfrémit.Sesyeux,empreintsd’incertitude,avaientlacouleurcuivréed’unpenny.

—Jet’aipasfaitmal?Elle sourit et luimordilla l’oreille. Son être ressentait encore les effets de leur union, et elle

adoraitça.—Non.—Tuessiétroite,mocridhe.Illuicaressatendrementlevisage.Mo cridhe. Des mots incompréhensibles qu’elle se souvenait de l’avoir entendu murmurer

pendantsafièvre,entreautreschoses.—Qu’est-cequeçaveutdire?—Mapetite.Ilsourit,maisunecertainetensionsubsistaitdanssonregard.—Jenepensepasquecesoitlavraiesignification.—Ahnon?Elledéposaunbaiserdanssapaumeetplongeadanssesiris.—Non.Willgloussacontresapeau,laserraplusfortetserallongea,toujoursenfouienelle.—Endors-toi,dit-ilavecunbâillementsatisfait.(Sescilspapillonnèrent.)Avantquejesoistenté

derecommencer.

Il se réveilla un peu plus tard, juste assez longtemps pour faire rouler Lena sur le ventre etmordresanuque.Elleclignalesyeux,endormie,puisWillsoulevaseshanchesets’enfonçaenelle.Cettefois,iln’étaitpasquestiondedouceur.Quellequesoitlapenséequil’avaittirédesonsommeil,il l’assouvit dans son corps en lapénétrant, en lapossédant. Il la revendiqua avecun tel désespoirqu’ensuite,ils’effondrasurlelit,lesoufflecoupé,tandisquelecorpsdeLenaétaittoujourssecouéparlescontrecoups.

Etencore.Àpeinequelquesheuresplustard,quandlanuitcommençaitàassombrirleciel.Illaplaquacontrelematelas,perdudanssanaturesauvage,leregardétincelantetcuivré.

IlavaitéveilléquelquechoseenLena.Desdésirsqu’ellen’avaitjamaisressentisauparavant.Ilss’embrassaient, se mordaient et s’enfonçaient l’un dans l’autre, tout pour laisser leur marque,l’ombred’eux-mêmessurlapeaudel’autre.LesténèbresdeLenasedéployèrentenelleetellegriffalapeaududosdeWillencriantsonplaisirdanslecielnocturne.

Elleperditlecomptedunombredefoisoùillaposséda.Lemonden’existaitplusautourd’eux.L’universn’étaitplusquepeau,sueuretsemence,l’invasiondesoncorpsetl’acceptationdusien.Ils

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s’effondrèrentpeuavantl’aube,épuisés.Willsortitdulitetallaserviruneassiettederagoûtqu’ilréchauffasurlepoêle.LafaimdeLena

avaitévoluéetelledévoradeuxassiettesavantdes’écroulerdenouveausurlelitdecamp.Ilyavaitàpeinede la place pour deux,mais il s’enroula autour d’elle et rabattit la couverture sur eux.D’uncôté,l’étroitessedulitconvenaitparfaitementàLena.

—Dors,murmura-t-ilcommes’iln’étaitpaslacauseprécisedesanuitblanche.Elleseblottitcontrelui.—Seulement…situmelaisses…Ellesombradanslesommeilavantd’avoirpufinirsaphrase.

1.AncêtreducondensateurutilisépourlapremièrefoisdanslavilledeLeydeauxPays-Bas.(N.d.T.)

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25

Lena fut réveillée par un coup brusque frappé à la porte. Elle leva la tête de son oreiller – lapoitrinedeWill–etlaissasavisions’ajuster.Malgrélesdeuxplâtréesderagoûtqu’elleavaitavalées,sonestomacgrondaitcommesiellen’avaitrienmangédepuisunesemaine.

Souselle,lesmusclessetendirent.—Restelà.Willselevaetenfilasonpantalon.Lenaprofitanonchalammentdelavue,tentéedefaireglisser

sondoigt sur lepostérieurdénudéde sonamant. Il futun tempsoùelle le trouvait tropcorpulent,grossièrementbâti,maiselles’étaittrompée.Ilétaitparfait.Desmusclessculptésetunepeauhâlée.Encomparaison,lessangsbleusparaissaientinsignifiantsavecleursépaulettesetleurpeaupâle.

Ilmanquaitl’undesboutonsdesabraguette,sûrementperdudansl’effervescencedeleurnuit.Illui jeta un regard exaspéré et se dirigea vers la porte. Lena se redressa et se mit en quête de sachemisedenuit.Sonattention seposa surunepilede lingeblancabandonnéprèsde laporte.Elleenroulaledrapautourd’elleets’efforçadedémêlerlesnœudsdanssescheveuxavecsesdoigts.

Onfrappadenouveauavecfracas.—J’arrive,murmuraWill.Honoriaentradanslapièceenchancelant,levisagepâle,deséclairsdanslesyeux.—Laisse-moientrer!s’écria-t-elle.J’enaiassez.Jeveuxlavoir!Elleestàmoiaussi,espèce

de…SonregardseposasurLenaetellesefaufilasouslebrastendudeWillavecunlégercri.Elle

s’agenouillaetserraLenacontreelle.—Jet’aienvoyéunmessage,murmuraWill.Lenainspiraunepleineboufféeduparfumfamilierdesasœur.—Jevaisbien,dit-elle.Honoriafonditenlarmes.Bladefitsonentréeàsontourethaussalesépaules.—Tuaseucinqjours.dit-ilàWill.Jepouvaispaslaretenirpluslongtemps.Will tentade refermer laporte,mais elle fut repousséedans sadirectionetCharlie seglissaà

l’intérieuravecunsourireenjoué.SonenthousiasmedisparutquandilvitLenaetse transformaenmoueperplexe.

—Pourquoituneportesaucunvêtement?Lesjouesbrûlantes,LenaaidaBladeàreleverHonoria.—Accordez-moiuneminutepourmelaveretm’habiller,susurra-t-elle.Elleseruadanslasalledebains,sachemisedenuitàlamain.

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Moinsd’uneminuteplustard,Willlarejoignitàl’intérieur,l’airtourmenté.—Unpeutropintrusive,lafamille?Ilparcourutsoncorpsdesyeuxets’emparadugantdetoilette.—Ouais.J’aibesoind’uneminute.Laisse-moit’aider.Ellecouinatoutbasquandilpassalegantentresescuisses.—Will!(Elleleluipritdesmains.)Net’avisepasdefaireça!Elleselavarapidementetenfiladenouveausachemisedenuit.—J’imaginequetun’aspaspenséàapporterdesvêtementsàmoi?—J’avaispasl’intentiondetelaissert’habillerdutout,dit-ilenluichatouillantlesfesses.Ellesaisitsesdoigtsetluijetaunregardnoir.—Tuesd’unehumeurcurieusementlégère,cematin.—Oui.(Ilenfouitsonnezdanssoncou.)Tum’aidesàmelaver?—Cen’estpasvraimentcequ’onappelleunetoiletterapide,murmura-t-elle.—Jesais.Ilglissasesmainssurseshanches.Lenabaissalavoixjusqu’àchuchoteretlerepoussa.—Pasavecmafamilledanslapièced’àcôté,mercibien.Lave-toiethabille-toi.Elleenprofitapoursefaufilersoussonbrastenduetsortit.Quandellereparut,Honoriaétaitentraindesécherseslarmes.Lenaluipritlamainetlaguidaversunechaise.—Assieds-toi,ordonna-t-elleenpoussantsonaînéeparlesépaules.C’était étrange de donner des ordres, alors queHonoria avait toujours rempli ce rôle. Elle se

penchaetdéposaunbaisersurlajouehumidedesasœur.—Souris.Jevaisbien.—Vraiment?Lenas’emmitoufladansunecouverturepourcouvrirsalégèrechemisedenuitethochalatête.—Jenemesouvienspasdetout.Maisjemesouviensdetavoix.Mercid’avoirveillésurWill.HonoriaéchangeaunregardavecBlade.—Ilnenousapaslaissésfairegrand-chose.Ilt’apratiquementenlevée.Bladeversadel’eaudansunevieillebouilloirecabossée.—Tudoisapprendreàlalaisserpartirdesfois,mabelle.Honoriapinçaleslèvres.—Jevousrappellequej’aivingtans,lançaLenaavecunsourire.—Tuestoujoursmapetitesœur.—Etmaintenant,jepeuxtebattreaubrasdefer.CerappelnepassapasforcémentbienauprèsdeHonoria.Lenalâchaunrireets’installaaubord

dulit.Willreparutàcetinstantendéfroissantsachemise.L’eauassombrissaitsescheveuxauxpointesdoréesetcollaitsescilsentreeux.Elledutretenirsonsouffledevantunetellesplendeur.

—Argh,murmuraBlade.Dis-moiqu’onn’étaitquandmêmepascommeça,nousdeux,fit-ilàl’adressedesacompagne.

IlfallutunmomentàCharliepourcomprendre.Puisilécarquillalesyeux.—C’estpourçaquetueslà!Willettoi?D’enfer!C’estarrivéquand?—Charlie,tesmanières,intervintHonoria.Illevalesyeuxaucieletdonnaunetapesurl’épauledeWill.

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—Çaalors,hein?Unnouvelhommedanslafamille.Dieumerci,c’estpasundecessangsbleusdel’Échelonquisepavanentcommedespaons.Jen’auraisjamaiscruqu’elleauraitassezdejugeotepoursechoisiruntypebien.

—Bon,d’accord,ditLena.J’imaginequ’ilsnemereprendrontpasdesitôt.Charliesondasesprunelles.—Jelesaimebien,tesyeux,déclara-t-il.—Ehbien,jeteremercie.Elle éclata de rire, puis vit que Blade et Honoria échangeaient un autre de ces longs regards

éloquents.—Quoi?Qu’ya-t-il?— Leo est passé trois fois, annonça Honoria. Le prince consort veut savoir pourquoi Will

n’accomplit pas sa tâche et il a requis la présence deLena. Leo essaie de le calmer et de le fairepatienter.

—Ilssignentletraitédemain,ajoutaBlade.SilesNorvégiensviennentàlasoirée.WillposaunemainpossessivedansledosdeLena.—IlsnepeuventpasvoirLena.Latransmissionduvirusduloupeestpassibledepeinedemort.Elleluipritvivementlamain.—Qu’est-cequetuveuxdire?(ElletournasonattentionversBlade.)Ilsnevontpasfairedemal

àWill,si?—Passijem’yoppose,réponditBlade.C’esttroptardpoursecacher.Leprinceconsortestdéjà

aucourant.JepensequeLadyAstridluiatoutrépété.Ellepensaitsûrementqueçan’avaitpasgrandeimportance.

—Iln’oserait toutdemêmepass’enprendreàWill,ditLenaenselevant,puiselleresserralacouverture autour d’elle. Il ne peut pas risquer de faire une croix sur lesScandinaves avant qu’ilsaientsigné.Will,tameilleurechanceseraitdefaireuneapparitiondemain,etdeluiforcerlamain.Oblige-le àme reconnaître officiellement, en public, et explique-leur ce qui s’est passé devant lesScandinaves,ilseraobligédegarderlafacedevanteux.

Willluijetaunregardsombre.— Je t’emmène pas au cœur de l’Échelon, dans ce nid de serpents, alors que l’allégeance des

Norvégiensn’esttoujourspascertifiée.Pasavantquel’accordsoitenfinsignéetquetuaieslaloidetoncôté.

—Mais ils ne changeront pas la loi sans la signature desNorvégiens, dit-elle doucement. Tupensesquesi?

LesilencedeWillfutéloquent.—AstridetEricnousontaidés.Maiscesontpaseuxquiontlepouvoir.Etjepensepasquele

Fenrirgouverneavecsoncœur.Jecroisqu’ilsaitexactementcommentilvaplacersespions.—Alorsilfautleconvaincre,dit-elle.Jesaisquevousnevoulezpasmefaireprendrederisques,

maisjenevaispasresterassiseàteregarderalorsquec’esttatêtequiestenpremièreligne.—Non.—Tum’aspromisqu’onavanceraitensemble…—Saufsij’estimequec’esttropdangereux.—Pourtoi!Paspourmoi.—Tu n’en sais rien, répliqua sèchementWill. Tu ne t’es jamais fait cracher dessus et tu n’as

jamaisvudemèrecachersesenfantssurtonpassage.Tun’asjamaisétéemprisonnéedansunecage,Lena,souslesrailleriesdessangsbleusquiestimentquetuesàtaplace.J’aiessayédet’expliquer.

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C’estunmondecomplètementdifférentetj’ensuisvraimentdésolé.Jevaisessayerdelesconvaincrede signer le traité, mais je ne te mettrai pas dans la ligne de mire. Pas une nouvelle fois. Je nesupporteraispasdeteperdre.Tulesais.

Elleprituneprofondeinspiration.Ilétaitinutiled’argumenter.Sielleavaitunechancedegagnersonapprobation,elledevaitsemontrerrationnelle.

—Tuneconnaispaslacour.Tun’enconnaispaslesdangers.Tunelesvoispasparcequetoi-mêmetunejouespasàcegenredejeuet,parconséquent, tunet’attendspasàcequelesautreslefassent.(Ilouvritlabouche,maisellepoursuivit,presséed’enfinir:)Ilnes’agirapasdepoingsoudecouteauxoudebagarreaufondd’uneruellesombre,Will.Ceseradesmots.Tuneprendrasmêmepasconscienceduproblèmeavantd’yêtreenterréjusqu’aucou.Tuasbesoindemoi.Jeconnaiscetunivers.Jesaiscommentgérerleursmanigances.

—Jenetemettraipasendanger.—Si tuéchoues,alors tumeurs, répliqua-t-ellecrûment.Et iln’yaurapluspersonnepourme

protéger.Etsurtoutpaslaloi.Voilàquineluiplaisaitpas.—Mince,Lena…—Tusaisquej’airaison.Ilcrispalesmâchoiresetleblancdesesyeuxengloutitsesiris.Maissesépauless’affaissèrentet

ellecompritqu’elleavaitgagné.—Tu neme quittes pas d’une semelle.Même pas une seule seconde. Si quelqu’un esquisse le

moindregesteverstoi,jeletue.—Jetecrois,dit-elledoucement.Envoyantl’angoissecauséeparcettedécisionquiallaitcontretoussesinstincts,elleluicaressa

lamain.—Merci.—Ehben,j’auraisjamaispenséassisteràçaunjour!s’exclamaBladeenriantavantdedonner

unetapedansledosdeWill.C’estquandtulaissesunefemmecontrecarrertesprojetsquetusaisquelesennuiscommencent.

—Net’avisepasderire,leprévintHonoria.Jepensequ’ilesttempsdesortirtatenuedecourduplacardetdefaireuneapparition.NouspourronsaideràsurveillerLena.

Bladefitlagrimace.—L’Échelonvaadorerça.

Lenaraclasonboldesoupeetyplongeaunregardtriste.Elleavaitdéjàengloutilamoitiéd’une

tourteauxrognons,uneassiettederagoût,deuxtranchesdepainetmaintenant,unboldesoupe.Etelleavaittoujoursfaim.

Lesautresavaient investi le salondeBladeetcherchaient lameilleure façondeconvaincre lesScandinavesd’accepterleuraccordlelendemain.WilljetaunregardàLenaetfronçalessourcils.

—Encore?Ellesecoualatête.—Jenedevraispas.Illuipritleboldesmainssansluiprêterattentionets’approchadelasoupière.—Fautquetuprennesdesforces.—Jevaisgrossir.Ilhaussalesépaulesetlaresservit.

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—Çam’étonnerait,maissinonceseraitpasgrave.LebolréchauffalesmainsdeLenaautantquesesparolesluiréchauffèrentlecœur.Lenaregarda

lebouillon.Toutesavie,pourlaplupartdeshommes,ellen’avaitétéqu’unjolivisage.Laprincessedesonpère.Uninsignifiantdivertissementpourl’Échelon.

SeulWilllavoyaitautrementetluiaccordaitplusd’importance.OnfrappaàlaporteetBladefitvolte-face.Esmeentra.—Désolée,murmura-t-elleavecunsourireenjoué.Maisj’aiunelettrepourLena.—PourLena?Willseredressa.Lena s’empara de la lettre avec un froncement de sourcils.Qui avait pensé la trouver ici ?La

seulepersonneaucourantqu’ellepassaitsouventaurepaire,c’étaitLeo.Elle glissa son ongle sous le bord de l’enveloppe et déchira le rabat. Elle ne contenait qu’une

petiteboucledecheveuxsoigneusementnouéeavecunruban.Descheveuxblonds,finsetsoyeux.Descheveuxquisentaientl’odeurdeCharlie.Lenasefigea.—Oùas-tutrouvéça?demanda-t-elled’unevoixétouffée.Touslesoccupantsdelapiècesentirentlatensionsoudaineets’immobilisèrent.Esmes’humecta

leslèvres.—Unhommes’estprésentéàlaporteiln’yapascinqminutes.Iladitqu’ilavaitunelettrepour

vous.Blades’approchadelafenêtreetécartalesrideaux.—Àquoiilressemblait?Esme bredouilla une réponse vague, et Will saisit la mèche et la renifla. Il jeta un regard à

Charlie,puishaussaunsourcilinterrogateurversLena.Celle-ciregardasonboldesoupe,l’appétitcoupé.Ellesavaitexactementcequeçasignifiait.Elle

n’avaitpasfaitcequ’ilsattendaient.Quelqu’unvoulaitqu’elleempêchel’aboutissementdecetaccordet,jusque-là,ellen’avaitfaitaucunprogrès.

—Qu’est-cequec’est?demandaWill.Lenasecoualatêteetseleva.Elleavaitlagorgenouée.Ildevaitforcéments’agirdelapersonne

de la Tour des Corbeaux. S’il pouvait approcher Charlie assez près pour lui voler unemèche decheveux…

—Lena?Unemainchaudeseposaaucreuxdesondos.Touslesregardsétaientfixéssurelle.—Je…je…Willallaitladétester.Ellerevitsonsourire,quelquesinstantsplustôt,etpensaàlafaçondontilla

caressaitencemomentmême.—C’estàCharlie,n’est-cepas?demandaHonoriad’unevoixcalme,lesyeuxrivéssurlamèche

decheveux.Quesepasse-t-il?Lena?Sielleleuravouaittout,ellerisqueraitdeperdreWill…Quelégoïsme.Sonestomacsetordit.La

viedeCharlieétaitendanger,ainsiquecelledesonamant.Lasituationluiéchappaitetellen’avaitpaslescapacitéspourlarésoudre.

Sesépauless’affaissèrent.

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—Oui,c’estàCharlie.C’est…(EllevolaunregardàWill,commesic’étaitplusfortqu’elle.)Jenepouvaispasvousledire.Quelqu’unm’amenacée.IlavaitundessoldatsmécaniquesdeCharlieensapossession,qu’ilavaitprisdanssachambre.Iladitquesijenemettaispasuntermeautraité,onluiferaitdumal.

Unefoislancée,elleneparvintplusàs’arrêter.— J’ai pensé qu’en faisant ce qu’ilme demandait, tout irait bien.Mais je n’ai pas pu. Surtout

quandj’aiapprisqueçaimpliquaittaliberté…Willsemblaitchoqué.Lenabaissalatêteetluipritlamain.—Jesuisvraimentdésolée.Jen’aijamaisvoulufaireça.Jen’aijamaisvoulu…IllevalamainetLenatressaillit.Ilsefigeapuis,lentement,approchasesdoigtsdesonvisageet

lelevaverslui.—Quelqu’unt’amenacée?Savoixétaitdoucemaissinistre.Lenafrémit.—Jeleuraiditquejenevoulaisplusêtremêléeàça.Ilparutinquiet.—Lena,jenevaispastefairedemal.Jevaisécraserlatêtedequelqu’uncontreunmurmaisje

neteferaijamaislemoindremal.Unelarmecoulasurlajouedelajeunefemme.—Jepensaisquetuseraisfurieuxcontremoi…— Bon sang. (Il l’empoigna brutalement et la plaqua contre lui.) Plus de secret entre nous.

Promis?Ellehochalatêteetenprofitapourinspireruneboufféedesonparfum.—Tuesàmoi,murmura-t-il.Avectescomplotsinsensésettoutlereste.Il écarta unemèche de cheveux de son front, pencha la tête et déposa un léger baiser sur ses

lèvres.Lenas’agrippaàsachemiseets’empressadeluirendresonbaiser.Derrièreeux,unraclementdegorgesefitentendre.—Qu’est-cequisepasseexactement?demandaHonoria.Toussetournèrentverselle.Bladeévaluaitlasituation,lesyeuxplissés.—Quelqu’un est entré ici et a pris l’un des jouets deCharlie, c’est ça ? Et unemèche de ses

cheveux?Charlieplaquaunemainsursoncrâne,commes’ilcherchaituntrou.Willprituneprofondeinspiration.—Lena?Tuferaisaussibiendeleurdire.Bladeaurabesoind’êtreaucourantsionveutgarder

lepetitensécurité.LenaglissasamaindanscelledeWilletfixasonaînée.—Promets-moiquetunevaspascrier.Honoriacroisalesbrassursapoitrine.—Jenevoudraispasfaireunepromessequejenesuispassûredetenir.C’étaitleprixàpayerquandondissimulaitdessecrets.Lenaredressalesépaulesetselança.Quandelleeutfinisonrécit,toutlemondelaregardait.LabouchedeHonorian’étaitplusqu’un

traitmince,maisaumoins,ellenecriaitpas.—Leshumanistes,murmuraBlade.Commetonpère?Honoriahochavivementlatête.—Jesupposequ’ilyaunrapportaveclecryptogrammequeWillm’ademandédedécoder?

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Lenapoussaunsoupirdesoulagement.—Oui.Jepensaisqu’ils’agissaitseulementd’heuresetdedatesderencontres.Sonregardemplid’espoirs’assombritdenouveauquandHonoriadétournalesyeux.—J’aiessayéuneméthodededécryptagepar les lettreset leschiffres,maisçan’ariendonné.

Alors j’ai demandé à Leo. Son confrère LordBalfour possède unemachinemerveilleuse, conçued’après les croquis inachevés de Babbage1. C’est une machine de cryptographie à rotorélectromécaniqueet…

—Lemessage,lacoupaBladeavecunpetitsourire.— Abandon du Projet Firebird. Soupçon de sabotage de l’intérieur. En attente des ordres.

Mécaniquesdenouveauensous-main.Attendonsnouvellesinstructions.—Qu’est-cequeçaveutdire?demandaLena.Honoriahaussalesépaules.—ProjetFirebird…murmuraWill.Lesusinesdedrainage?—MaisRo…Mercuryaassurénepasyêtremêlé.—Alorselleamenti.Oubienc’estquelqu’und’autrequienvoiecesmessagesdepuislafaction

deshumanistes.—Fichuesmanœuvres…marmonnaBlade.Honoriafronçalessourcils.—Cequejevoudraissavoir,c’estpourquoituasgardétoutçapourtoi.—Jetel’aidit,balbutiaLena.Jen’avaispasréalisé…—Pastoi.(ElletransperçaitWillduregard.)Toi.Cedernierjetaunregardàsonmaîtreavantdedétournerlesyeux.—Jepensaispouvoirm’enoccuper.Honoriaregardalesdeuxhommestouràtour.—Quesepasse-t-il?—Rien,ditWill.Bladeobservasafemme,lesbrascroisésd’unairdéfensif.—Willnevoulaitpasquejemefrotteàl’Échelon.—Maistuas…— Je me suis remis à boire du sang humain, déclara-t-il soudain. C’est pour ça que mon

hématocritenedescendplus.LamâchoiredeHonoriatomba.—Mais…maispourquoi?Monsangvaccinét’aidaitàguérir!Sinousavionscontinué,tuaurais

puguérircomplètement.Tupourraisêtre…—Humain,achevaBladed’unevoixdouce.Certes,nousvivrionssans lamenaceduvirus,ma

belle,mais je perdraismes forces aussi, etma rapidité. (Ses traits se froissèrent.)Çame suffit desavoir que je ne frôle plus la Disparition graduelle. Je peux pasme permettre d’être encore plusfaible. L’Échelon nous tomberait dessus comme une meute de loups. Will essayait seulementd’empêcherça.

Honorialedévisagea,impuissante,lesyeuxbrillantsdelarmes.— Pourquoi personne ne me dit ces choses-là ? (Elle jeta un regard brûlant à Lena.) Suis-je

vraimentsifarouche,siépouvantablepourquevousredoutieztousdemelesdire?Jeneveuxquecequ’ilyademieuxpourtoi.Pourvoustous.

Bladelâchaunsoupir,commes’ils’étaitattenduàpire.

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—C’estpasça,mabelle.Jevoulaispastedécevoir.Tuétaistellementdéterminéeaveccetteidéederemède…

—Jenesuispasirrationnelle,dit-elle.—Tuestroprationnelle,précisaBladeavecunsouriretimide.Illuicaressalesdoigtset,lentement,elletournasapaumeversluipouracceptersatendresse.Le

soulagementdétenditlestraitsdeBlade.—Bon,soufflaHonoria.Puisquel’heureestauxrévélations,déclara-t-elleenposantsamainsur

sonventreavantdelâchertoutdego:jecroisquejesuisenceinte.LevisagedeBladeperditsescouleurs.L’espaced’uninstant,ilrepritl’apparencequ’ilavaittrois

ansplustôt,quandilaffrontaitlaDisparitiongraduelle.—Honor?fit-ilavecunmélangedeterreuretd’admiration.Lenafuttransportéedejoie.—Tuessûre?demanda-t-elleenprenantlesmainsdesasœur.—J’aivulasage-femmehier,réponditHonoria,lesyeuxdenouveauxremplisdelarmes.Lenalaserracontreelle.—Tu lemérites, fit-elle doucement. Tu seras unemerveilleusemère. (Elle ne put retenir une

petitemouecontrite.)Tuasdelapratiqueavectousceuxd’entrenousquetuasmaternés.Esme vint les enlacer toutes les deux. Par-dessus l’épaule deHonoria, Lena vit Blade vaciller

contrelefauteuil.Charlielerattrapaavecunsourire.—Bonsang,bredouillaBlade.C’est…c’estformidable.Puisiltenditlamainetserrasafemmedanssesbras.

Lelendemain,Lenaprituneinspirationetlissaletaffetasauberginesurseshanches.Lafillequi

luifaisaitfacedanslemiroirluiparaissaitétrangère:corset,paniersouslajupe,d’élégantesplumesdanslescheveuxetunepetitebrochemécaniquequ’elleavaitelle-mêmeconçueépingléeàsonsein.Lespetitesailesenlaitondelalibellulepapillonnaientencadenceetellesavaitqu’elledétourneraitl’attentiondesesyeux.

Will disait que ces derniers allaient changer, que l’anneau cuivré autour de ses pupilles allaitprogressivementprendreledessus.Lenalesaimaitbien.C’était lapreuvequecette jolie jeunefillequilaregardaitdanslemiroirn’étaitplussansdéfense.Qu’ellen’étaitplusuneproie.

Elle sourit et son reflet l’imita, les dents à peine découvertes. Oui. C’était mieux. Elle seressemblaitplus.Elleétaitlassed’éprouverlapeuret,enavouanttoussessecrets,elleavaitretiréledernierpoidsquipesaitsursesépaules.BladeavaitrenforcélasécuritéaurepaireetCharlieétaitsainetsauf.Personnenepourraitl’approcher.

Toutcequ’ilrestaitàaccomplir,c’étaitdemenercetraitéàsonterme.Elle plissa les yeux.Elle allait prendreungrandplaisir à ruiner lesmystérieuxprojets de son

agresseur.—Tuesprête?lançaLeoenfrappantcontresaporteouverte.Il avait insisté pour qu’elle l’accompagne. Non seulement il aiderait à dissiper les rumeurs

concernant sa relation avecWill,mais enplus l’influencede son titre leur offrirait uneprotectionsupplémentaire.Si lemystérieuxagresseur faisait ungestevers elle, il serait à l’affût.Bladeet luiétaienttousdeuxbiendéterminésàcoincerletraître.

—TuasmisMmeWadeàlaporte?C’étaitlapremièrechosesurlaquelleelleavaitmisl’accentàsonretouràWaverlyPlacelanuit

précédente. Elle en avait assez d’être trahie et manipulée. Mandeville avait terminé le revêtement

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extérieur du transformable et était passé récupérer l’intérieur dans lamatinée. Il avait exprimé sesplus plates excuses, mais elle avait la sensation qu’il lui faudrait longtemps avant de pouvoir luiaccorderdenouveausaconfiance.

—Avecdebonnesréférences,réponditLeo.Sonexpressionsombretrahissaitsacuriosité,maisilneposaitaucunequestion.Ils n’avaient jamais partagé ce genre de relation. Il avait protégé et guidé Lena à travers les

méandres de l’Échelon,mais il l’avait toujours tenue à une légère distance. En réalité, c’était unedistancequ’ilmaintenaitaveclemondeentier.

—Merci,murmura-t-elleensehissantsurlapointedespiedspourdéposerunbaisersursajoue.Pourtoutcequetuasfaitpourmoi.Pourm’avoirprisecheztoiquandjenesavaisplusquoifaire.

Ilmarquaunelégèrepause.Puisils’écarta,unsourcilhaussédemanièreénigmatique,lesjoueslégèrementrouges.

—J’ail’impressionquec’estunadieu.Ellehochalatête.—Jesaisoùestmaplace.—AvecWill.—Comment…?—Lena,répliqua-t-ilsèchement.Iln’yapasmillefaçonsdetransmettrelevirusduloupe.Jene

veuxmêmepasimaginercommenttul’asattrapé,étantdonnéquetuesma…—Tasœur,finit-elleàsaplace.Ilprituneprofondeinspiration.—Jenepourraijamaisêtretonfrère.Pasenpublic,tulesais.Etcettesituation,c’esttoutceque

jepouvaist’offrir.Toujourslamêmeraideur,lamêmedistance.Elleluiadressaunsouriremalicieux.—Tuvasêtretonton,tulesais?IlbaissaaussitôtlesyeuxsurleventredeLenaavantdelesdétourner.—Pasmoi,corrigea-t-elleenriant.L’incrédulitépritledessussursonattitudetoujourssiconvenable.—DouxJésus.Ilsereproduit.—C’estdetonbeau-frèrequenousparlons,luirappela-t-elle.Avecunpeudechance,leurbébé

luiressemblera.Sonhorreurcédalaplaceàuneexpressioncalculatrice.—Oui,ditLeoavecunsourireauxlèvres.Ilyadoncunejustice.Iléclataderireetsonhilaritélesaccompagnajusqu’àlacarriole.

Les véhicules à vapeur déversèrent leurs occupants sur la cour pavée devant la Tour d’Ivoire.

Lena regroupa ses jupes dans unemain et cherchaWill des yeux. La cour regorgeait de couleursvives,d’ombrellesetd’élégantschapeaux.Lorsd’unbal,unedébutanteenquêted’unprotecteursedevait de porter du blanc. Pendant la journée, la vitalité de l’Échelon ressortait dans toute sasplendeur.

—OùestWill?demanda-t-elle.—JenevoispaslacarrioledeBlade,murmuraLeo.Ilsnesontpeut-êtrepasencorearrivés.Les

ruessontencombrées.Ellerepéraungroupedeconservateursprèsdesmarches.—LesNorvégiens.

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Lenaouvritsonombrelleetseraidit.—Jevaisallerleurparlerenattendant.—Lena…Unsourireallègreauxlèvres,ellepivotaetseheurtaàquelqu’un.Lenasaisitl’autrefemmeparle

brasavantderéfléchir.Adeleécarquillasesgrandsyeuxvertsettournavivementlatête.—Pardon,dit-elleententantdesedégager.Lenaresserrasesdoigts.—Non.S’ilteplaît,Adele.Uneexpressionpeinéepassasurlestraitsdesonamie.—Jenepeuxpas,chuchota-t-elle.Monpèreestsurlepointdesigneruncontratd’esclavagepour

moiavecLordAbagnale.—Cettevieillebrute?Adelejetaunregardautourd’elle.—Jenepeuxpasêtrevueentacompagnie.Tulesconnais.C’estpeut-êtremadernièrechance.—Adele,larumeurcirculequ’ilafrappésadernièreesclaveàmort!Ledouxvisaged’Adeleperditsescouleurs.—Tucroisquejenelesaispas?LeregarddeLenatombasurlelourdcollierdeperlesquiornaitsoncou.—Pourquoiportes-tuça?Adelesecoualatête.—Çan’apasd’importance.—Dis-le-moi.Lenatenditlamaincommepourletoucher,etAdeleécartasesdoigtsavecunregardimplorant.—Ilspensentquejesuislapouledetoutlemondemaintenant.Colchesterm’acoincéealorsque

j’étaisseuleet…—Colchester?sifflaLena.Qu’est-cequ’ilt’afait?—Iladitquepuisque j’avaisautant l’aird’aimerçaavecCavendish…jen’aipaspu l’arrêter.

C’est pour ça que j’ai besoin d’Abagnale. Il est riche et il donne tout ce qu’elles désirent à sesesclaves.

—C’estpourcompenserlescoups.—Jem’en fiche.S’ilmedonne assez, peut-être que je pourraismettre des choses engage. Je

pourraispeut-êtreamasserassezd’argentpourm’enfuir.EnAmérique.ÀNewYork.Lenasentitsonventresenouer.Quandunesclaverompaitsoncontrat,c’étaitl’exécutionassurée.—Ilsteretrouveront.Lesépaulesd’Adeles’affaissèrent,commesicettevéritéluiavaitvolésondernierespoir.—AlorsjeresteraiavecAbagnaleaussilongtempsque…quejelepourrai.C’étaitinjuste.Lenaavaittrouvélemoyend’obtenirsapropreliberté,àconditiondeconvaincre

lesNorvégiensdesignerl’accord.MaispasAdele.Niaucunedesjeunesfemmesquis’éventaientsurlaplaceensedonnantdegrandsairspourattirerunbienfaiteur.

—Nefaispasça,ditLenaenôtantsongant.(Elleretiralerubisàsondoigtetledéposadanslamaind’Adele.)Àl’intérieur,ilyauneconcoctionquipeutneutraliserunsangbleu.Regarde.Commeça.

EllesortitrapidementlaminusculeépineetmontraàAdelelemécanisme.—Çatelaisseral’occasiondet’enfuirsil’und’euxs’enprenddenouveauàtoi.

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Unelueurféroces’allumadanslesyeuxd’Adele,avantdedisparaître.—Etensuite?Audiablecemonde!Lenaavaitenviedehurleràl’injustice.—Situasbesoind’aide,tupeuxvenirmevoir.OuLeo.Dis-luiquetuviensdemapart.Elle eut une soudaine inspiration. Une façon de protéger les filles comme elle, qui n’avaient

aucunmoyendesedéfendreouderépliquer.—C’estcequejevaisfaire,reprit-elledansunmurmure.Jevaisouvrirunemaison.Unendroit

pouraccueillirlesjeunesfemmesquiontdesennuis,oùpersonnenepourraleurfairedemaloulesforcer à se soumettre. Un endroit où elles pourront rester aussi longtemps qu’elles le voudrontjusqu’àsechoisirunenouvellevie.

Adeleladévisagea.—Etcommentprendront-elleslafuite?—Jevaislancerunenouvellemode,déclara-t-elle.Lamodedesbaguesderubis.Sonamiebaissalesyeuxsurlapierrequiétincelaitàsondoigt.—Çameplaît,chuchota-t-elle,unelueurd’espoirilluminantdenouveausesprunelles.—Adele!MmeHamiltonlatiraparl’autrebrasetjetaàLenaleregardqu’elleauraitjetéàuneétrangère.—Viens.LordAbagnaleveutadmirertonjolicollier.—Neprendsaucunedécisionpourl’instant,l’imploraLena.AdelefutengloutieparlafouleetLenarestaseuleavecsonnouveaurêvequicouvaitdansson

cœur.Pour mener son projet à terme, elle allait devoir s’opposer frontalement aux sangs bleus qui

tenaient à leurs petits jeux. Cela impliquerait aussi de survivre au jour le jour. Forcer le princeconsortàreconnaîtrecequefaisaitWilletàtenirsapromessedechangerleslois.

ElleposasonregarddéterminésurlesNorvégiens.IlslavirentapprocheretlevieuxFenrirluijetauneœilladeperçante.Iln’avaitpasfaitbeaucoup

d’effortspourl’événement:ilnes’étaitpasdépartidesonbandeausursonœilnidelafourruredeloupsursesépaules.Lesdeuxhommesàsescôtésavaienttroquéleurspropresfourrurescontredesuniformes de la marine boutonnés du côté gauche, avec épaulettes et brandebourgs dorés. EllereconnutEricavecsescheveuxblondsbalayésparleventetlafouledejeunesfillesquisemassaitautourdelui.

LenaadressaunhochementdetêteauFenrir.—MonSeigneur.—Alorscommeça,vousavezsurvécu,fit-ild’untonbourru.—Eneffet,réponditLenaenignorantsonimpolitesse.Ellesetournapoursaluerlesautresmembresdugroupe.LadyAstridarboraitunlégersourire.

Sescheveuxclairscontrastaientavecl’éclatargentédupelagepassésursonépaule.—Comptetenudel’étatdanslequelj’étais,jesuissurpriseparlarapiditédemonrétablissement.

Jemesensenparfaitesanté,déclaraLena.—Leseuldanger,c’est la fièvre initiale, réponditAstrid.Lamenace,c’étaient les tentativesde

votrecorpspourrepousserlevirus.Unefoisquelafièvreretombe,onguérittrèsvite.—C’étaitrapide,féroceetcommeunélanpassionné,songeaLenaàvoixhaute.Unpeucomme

unecertainepersonnedemaconnaissance.Astridsourit.

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—Il faudramalgré tout quelquesmois pour atteindre votre puissance optimale.Vous serez enproie à des sautes d’humeur et vous éprouverez quelques difficultés à gérer vos émotions. Vousdevrezapprendreàlescontrôlerpouréviterdeblesserquelqu’un.

—Lesfemmesaussisouffrentdecegenred’emportement?—Enparticulierlesfemmes,raillaEric.Astridluijetaunregardréprobateur.—Tuasbienduculotquandonrepenseaunombredefoisoùtuasétéjetéàlamerouenchaîné

dansunecage.—Tenez-vous convenablement, intervintMagnus en posant unemain sur leurs bras. On nous

observe.Lenasuivitsonregardetunsouffledeventagitasesjupes.LeMarteaudeGuerrelesscrutaitde

l’autrecôtédelacour.LaduchessedeCasavianétaitenpleineconversationaveclui,maiscenefutpascequiattiral’attentiondeLena.Àcôtéd’eux,leducdeLannisterlaregardaitattentivementpar-dessussaflûtedechampagne.

Colchester.Ellenes’aperçutqu’elleavaitfaitunpasversluiquelorsqueAstridlaretintparlebras.Larage

soudaine qu’elle sentitmonter en ellemanqua l’étouffer. Il l’avaitmenacée, harcelée, et avait bienfaillilatuer.PuisilavaitessayédefairesubirlemêmesortàAdele.Unvoilerougeluibrouillalavue.

—Vous devez respirer. Lentement, profondément, lui conseillaAstrid.C’est ce contre quoi jevousaimiseengarde.Cettefureur,cettetentationincontrôlable…Vousdevezlarepousser.

—Jen’enaipasenvie.Elle se sentait puissante, invincible. Sans cette rage, elle craignait de revenir à l’état craintif

qu’elleavaittoujoursconnu,deredevenirlapetitesourisquis’enfuyaitdevantColchester.—Vousn’arriveriezmêmepasàl’approcher.Lesautresvousréduiraientenpièces,etensuite,ils

s’enprendraientànous.Voussavezquejedislavérité.Unemainlourdeseposasursonépaule.— Respirez, ordonna le Fenrir. (Le poids de sa main l’apaisa.) Inspirez. (Elle s’exécuta et il

poursuivitdesavoixhypnotique:)Etquandvousexpirez,vousdevezévacuervospulsions.Colchesterinclinasaflûtedanssadirectiond’unairmoqueur.Lenaserralespoings.—Jelehais.Jelehaistellement…—Laisseztomber,ordonnaMagnus.Respirez,mademoiselleTodd.Voicivotrefougueuxjeune

homme.(Illafitpivoterendirectiondelafiledecarrioles.)Quefera-t-ils’ilvousvoitdansunétatpareil?

WilliraitarracherlesyeuxdeColchester.Lenadéglutit.Ellenepouvaitpasselepermettre.—Jesuisdésolée.—Nouscomprenons,réponditMagnus.Plusquelaplupart.(Unbrefsourirepassasursestraits

durs.)Évacuezvotrecolèreetvotrehaine.Laissez-less’envoleravec leventet ramenez lapaixenvous.

Lenafermalespaupièresetécouta le timbreapaisantdesavoix.Lesmusclesdesesépaulessedétendirent.

—Jepensequetuferaismieuxderetirertamaindesonépaule.Oubienonvafrôlerl’incidentinternational.

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Lenasentitlachaleurdesapaumedisparaître.EllerouvritlesyeuxetaperçutWillquisefrayaituncheminverseux,accompagnédeBladeetHonoria.

Ilportaitungiletencuirmarronauxcouturesornéesdeboutonsencuivre,ainsiqu’unsublimemanteaulongenveloursqui,aupremierabord,semblaitnoir.Cefutseulementquandils’approchaqu’elle comprit qu’il était d’un bleumarine très foncé.Le vent agitait ses cheveux emmêlés et lessangsbleuscommelesdamess’écartaientsursonpassage.

Ilgrimpalesmarchesdeuxpardeuxetsehâtadelarejoindre.Lenaneputs’empêcherdebaisserson regard sur les bottes en cuir souple qui lui arrivaient juste au-dessous du genou, équipéesd’éperonsdestylemilitaireencuivrequicliquetaientsurlesolenmarbre.

Ilfallaitqu’elleletouche,qu’elleeffleuresacuisseduboutdesdoigts.—Oùas-tutrouvéça?—Lesbottes?PetitcadeaudeBladecematin.—J’auraisdûreconnaîtresonstyle,répondit-elleenlejaugeantd’unairappréciateur.Lemanteau

aussi?—Jem’estimeheureuxquecenesoitqueduvelours,réponditWill.Sonregardétaitenflamméparundésirinexprimé.Lena commença à se pencher vers lui et se força à s’arrêter.Aujourd’hui, leur comportement

devaitêtreirréprochable.Mêmesiellemouraitd’enviedel’attraperparlesreversdesonmanteauetdel’embrasser.

BladeposaunemainprotectriceaubasdudosdeHonoriaetlaguidaenhautdesmarches.Lenaexaminasonmanteauencuiretsongiletd’unrougecriard.

—Tuasraison.Ç’auraitpuêtrepire.Honoria,pleinedecharme, salua leFenriret songroupeavecunnaturel

bienrodé.Bladeignoraleursregardsfroidsetsejoignitàelle.—C’estvotremaître?s’enquitAstridenobservantBladeavecunehostiliténondissimulée.Cedernierricana.—Quandçaluichante.Quandilsecontentepasdem’envoyerbalader.—Jevois,murmuraMagnus.Vousnefaitespaspartiedel’Échelon.Ilnes’agissaitpasd’unequestion.—Ceslarvesauteintcireux…Bladelançaunclind’œilàMagnusetparcourutlafouled’unregardlégèrementprédateur.—Voyez-lestousentraindedétaler,commesij’étaisunchataumilieudespigeons.Disonsque

maprésencen’étaitpasattendue.WillsepenchaversLenaetluiditàl’oreille:—Onaretrouvé la fillequiavaitpris le jouetdeCharlieetunemèchedesescheveux.C’était

l’unedesesdonneusesdesang.Elleditqu’unseigneurl’apayéepourlefaire.Maisellen’ajamaisvusonvisage.

Lenaressentitunevaguedesoulagement.—Ellenereprésenteplusaucunemenace?LeregarddeWillsedurcit.—Non,plusmaintenant.Jeluiaiinfligélapeurdesavie,etCharlieboirasonsangsousforme

réfrigérée.—C’esttoujoursmieuxquedel’avoirtuée.—Ouais.(IlprituneprofondeinspirationetsetournaversleFenrir.)Jevousdoisdesexcuses.

J’ai perdu mon sang-froid, l’autre soir. Je n’aurais jamais dû forcer l’entrée de votre maison et

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proférerdetellesexigences.Jesuisdésolé.Magnusledévisageapendantunlongmoment.—Chezmoi,sil’undesloupsdeFenrir–ouloup-garoucommevousappelezçaici–perdson

sang-froid d’une telle manière, nous l’enfermons et nous le rouons de coups de fouet. C’estnécessaire.Pourapprendreàcontrôlerleberserkergang,lafureur.Laseulefoisoùl’onfaitpreuvedeclémence,c’est lorsdes ritesdeprintemps,quandunguerrierchoisit sacompagne.Cesontdespériodeséprouvantes.Nous sommessubmergésparnos instincts. (Ilhocha lentement la tête.)Vousn’avez aucune excuse à nousprésenter.Cette fois, je vous accordemon indulgence, car vous avezvous-mêmesubiunaccèsdefolie.

—Pourcettefois,répétaEric.Ilestsérieux.—Jevousaiprojetéàtraverslapièce,insistaWill,gênéparlabontédel’homme.Àsaplace,illuiauraitdéjàsautéàlagorge.—Jen’auraispasdûtouchervotrefemme,réponditEricavecunhaussementd’épaule.Toutva

bien.Jenesuispashommeàgarderrancune.(Desombresvoilèrentsesyeuxbleus.)Etjesaiscequevousressentez.

Desklaxonsretentirent.Lesconversationscessèrentettoutlemondesetournaversl’entréedelatour,prêtpourlasignature.

—Enavantlesbouffonneries,grognaMagnus.AstridsaisitlebrasdeLena.—Puis-jevousdireunmot,mademoiselleTodd?J’aimeraism’entreteniravecvotrehommeet

vous.LetriodeNorvégienssefigea.—Astrid?interrogeaMagnus,unsourcilhaussé.—Allez-y,dit-elleenagitantlamainverslaporte.Jevousrejoinsdansuninstant.

Astrid contourna la colonnade et observa le décor par-delà la balustrade. Le vent agitait ses

bouclesblondescommeunétendard.—Mononcle est vieux, déclara-t-elle subitement.C’est un traditionaliste. Il ne se rappelle que

trop bien quand nous avons combattu les sangs bleus et je crains qu’au fond de lui, il ne puisseacceptercetaccord.

Will s’appuya contre la rambarde et croisa les bras. Son cœur battait à tout rompre et Lenapercevaitsesbattementspar-dessuslessiens.

—Pourquoivousnousditesça?demanda-t-il.— Vous avez un intérêt personnel dans cette affaire, répondit Astrid. Mais j’apprécie votre

honnêteté.Vousn’avezpasessayéune seule foisdenousmanipuler. Jevous fais confiance.Et j’aibesoinderéponseshonnêtes.

Àl’intérieur, lamajoritédel’Échelons’étaitregroupéedanslegrandhall,prêteàassisteràunévénementhistorique.Leprinceconsortetlareinen’étaientpasencorearrivés,maisleConseildesDucss’étaitréuni.Willdevaitagirvite,maisLenaconnaissaitsaréponseavantqu’illaprononce.

—Vouslesaurez.Il était trop loyal, trop fidèlepourcettemission.C’était l’unedes raisonspour lesquelles il ne

tiendraitpaslongtempstoutseuldanscetunivers.Pourtant,elleretintsonsoufflequandAstridhochalatête.S’ilavaitessayédeleurjoueruntour,cesgrossiersNorvégiensl’auraient-ilsjamaisaccepté?

—Peut-onfaireconfianceàvotreprinceconsort?ÀvotreConseildesDucs?demandaAstrid.WillsetournaversLena.

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—Dansl’ensemble,jeneleurfaispasconfiance.Maisjen’aipasunavistrèsobjectif.Lenaensauraplus.

Celle-ciréfléchitàlaquestion.—Leprinceconsort…non.Non.Jenepensepas.QuantauConseil,lesducss’opposentàluisur

certainssujets,maispas tous. Ilenaplusieursdanssapoche,maischacunasespropres intérêtsetmène ses propres intrigues. Ils sont peu à être dignes de confiance. Leo en fait partie. Le duc deGoethe. Peut-être le duc de Malloryn. Les intentions de la duchesse de Casavian sont totalementobscures.Jenesaispasàqueljeuellejoue,siseulementellejoueàunjeu.

—L’ambassadeursuédoisal’intentiond’acceptercetraité.Jesuisprisaupiège.Sinousrefusons,nousnousretrouvonscoincésentredeuxpuissantsempires.LesSuédoischerchentdepuislongtempsàdétruirecequ’ilrestedenosclans,ets’ilsmettentlesBritanniquesdeleurcôté,nousn’avonsplusaucunallié.Sinousacceptons,nousdeviendronslaminoritédecetaccord.Notreimplicationseraitungeste,riendeplus.

Astridfronçalessourcils.— Je dois trouver un allié à mon peuple. Il n’y en a aucun sur le continent. L’Empire des

Habsbourgtientsesloups-garousenlaisseets’ensertpoursonarmée,etlesFrançaissontprisparleurnouveaucultedesIlluminati.Leseulendroitoùjedoischercher,c’estici,àLondres.

Etsicen’étaitpasl’Échelon,alorsqui?LecœurdeLenabonditetunliensefitspontanémentdanssonesprit,commecelaluiarrivaitparfois.

—Vousnepouvezpasvousfieràeux!s’exclama-t-elle.WilletAstridluijetèrentunregard.—Sefieràqui?demandaAstrid.—Auxhumanistes.Astridsefigea.—Unteldiscoursdevotrepartn’estniplusnimoinsqu’unetrahison.Surtoutquandjesaisqui

sontleursvraisennemis.— Je ne vous trahirai jamais auprès de l’Échelon. (Lena déglutit.) Vous pouvez me faire

confiance,parcequej’étaisl’uned’entreeuxencoretrèsrécemment.Jesaisqu’ilsavaientl’intentiond’approchervosdélégationspourpasserleurpropremarchéavecelles.

—Nousavonseffectivementétéapprochés,avouaAstridàcontrecœur.—Ilsont leursplans,euxaussi.Onm’ademandéd’empêcher lasignaturedecetaccordà tout

prix. Voilà ce qu’ils veulent réellement. Ils préparent une guerre, Astrid. Ils ont mis au point desmonstresdemétalqu’ilscontrôlentde l’intérieur.Dèsqu’ilsenaurontsuffisammentpourmenacerl’Échelon,ilsattaqueront.

—Réussiront-ils?demandaAstrid.— Je ne pense pas, réponditLena. Plusieurs factions divisent le groupe.D’un côté, ils veulent

attendre,voircequeferal’Échelon,del’autre,ilsontdéjàcommencélaguerre.Ilss’entre-tuentdel’intérieur.

Astridlâchaunsouffle.—Alorsilsnepeuventrienmeproposer.J’aibesoind’aidemaintenant.(Elleserralespoings.)

J’avaisespéré…Ellesecoualatête.Lena fut prise d’une nouvelle inspiration. Soudain, elle sut exactement quoi faire. Ils s’étaient

trompésdudébutà la fin.Magnusétaitpeut-être lemeneurdugroupenorvégien,maisvoilàoùsecachaitvéritablementlepouvoir.

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—Vousavezbesoindequelqu’unenquiavoirtouteconfiance.(Lenaaffichaunsourireéclatant.)Etnousavonsbesoinquevoussigniezletraité.EtsijepouvaisvousgarantirdepeserlemêmepoidsdanslabalancequelesSuédois?

Astridplissalesyeux,lacuriositépiquéeauvif.—Etcommentpourriez-vousparveniràcemiracle?—Ehbien,avoua-t-elle,jevaispeut-êtreavoirbesoind’unpeud’aide.

1.CharlesBabbageestuninventeuretvisionnairebritanniqueduXIXesièclequifutlepremieràénoncerleprinciped’unordinateuretl’undesprécurseursdel’informatique.(N.d.T.)

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26

—J’espèrequeçavamarcher,murmuraWill.—Fais-moiconfiance.(L’expressiondeLenairradiaitd’assurance.)Jet’aiditquejeconnaissais

cemonde.Leprinceconsortetlareinefirentleurentréeengrandepompedanslegrandhall.Will,quidominaitBladeetHonoriad’unetête,avaitunebonnevuesurl’ensemble.Le Conseil attendait en silence, tout comme les clans de Scandinaves. Leo semblait à l’aise,

inconscientducomplotquiallaitbientôtlesébranler.Astridcherchaitquelqu’undeconfianceetWillconnaissaitl’hommetoutdésigné.LeseulsangbleuendehorsdeBladeauquelWillpouvaitsefier.

Ilcroisalesbrassursapoitrineets’autorisaunsourirecrispé.QuandilavaitjetélenomdeLeocomme ambassadeur potentiel du clan des Norvégiens, Lena avait approuvé après une légèrehésitation.

« Quelqu’un comme Leo, avait-elle dit d’une voix tendue. Bien sûr. Quelqu’un en qui vouspourrez avoir confiance. Quelqu’un qui vous tiendrait en plus haute estime que le représentantsuédois.Quelqu’unquemêmeMagnuspourraitaccepter.»

Lesdeuxfemmesavaientéchangéunregard.«Quelqu’unenquionpuisseavoirconfiance»,avaitrépétéAstrid,quel’idéeséduisait.Les discours s’enchaînèrent jusqu’à ce que Will y perde tout intérêt. Il voulait passer à la

signature.Ensuite,ilpourraitrentreràWhitechapelavecLena.—Soisattentif,ordonnaLena,enproieàunetensioncroissante.Ilss’apprêtentàsigner.L’ambassadeur suédois s’avança avec un sourire narquois et prononça tous les mots attendus.

Derrièrelui,MagnussefrayaunpassageversLeoetluimurmuraquelquechoseàl’oreille.Willlui-mêmefutincapablededistinguersesparolespar-dessuslavoixretentissanteduSuédois.

Leoclignalesyeux.Auboutd’unmoment,ilhochalatêteets’approchaduprincerégentpourluichuchoterquelquechose.

Onnesavaitplusoùdonnerdelatête.Willapplauditlafindudiscourssuédoisetleprincerégents’avançaàsontourpourfairesescommentaires.

—Mesdames etmessieurs, déclara-t-il.C’est un jour propice pour nos deux empires.Commevouslesaveztous,noussommesicipoursigneruntraitéavecnosamisscandinaves.Nousespéronsconnaître une association longue et fructueuse et, dans ce but, nous avons décidé d’annoncer lanominationdenotrenouvelambassadeur.

Desmurmuress’élevèrent.Certainsdesducséchangèrentdesregardsbrefs.SeulLeosemblaitàl’aiseet tout lemonde le remarqua.LaduchessedeCasavian lui jetauneœilladeperçante,puis setournaversleprinceconsortetlareine.

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—Cette nomination implique de grandes responsabilités, poursuivit le prince. Nous avons leplaisirdedésignerM.WilliamCarvercommenouvelleliaisonavecl’alliancedesloups-garous.

Lemondebasculasoussespieds.Touteslestêtessetournèrentdanssadirectionetunedizainedehoquetsstupéfaitsrésonnèrentdanslapièce.

Will,quis’apprêtaitàapplaudir,sefigea.—C’étaitpasleplan.—Ehbien,vas-y!chuchotaLena,uneétincelled’allégressedanslesyeux.Jesuisdésolée,Will.

Leoétaitunetrèsbonnesuggestion,maisilyavaitquelqu’und’encoremeilleur.Tuétaisleseulànepaspouvoirlevoir.

—Jenepeuxpasêtreambassadeur,siffla-t-ilentresesdents.Autour d’eux, les applaudissements commencèrent à diminuer et tout lemonde se tourna pour

voircequiluiprenaitautantdetemps.—Danscecas,onpeutdireadieuautraité,murmuraLenatandisquesonsourires’estompait.Je

t’en prie. Je sais que l’idée ne te plaît pas.Mais pense un peu au pouvoir que tu pourrais avoir !Suffisammentpourt’assurerqu’onchangeleslois.Suffisammentpouraccorderlaprotectionàtouslesloups-garousquienontbesoin.Etjeseraiàtescôtés.Jenetelaisseraipast’enoccupertoutseul.Jesuisvraimentdésolée,Will.C’étaitleseulmoyenquejevoyaisdeteprotéger.

Ilinspiraprofondément.Lapièceserétrécissaitautourdeluietdevintsoudaintroppetite.Ilavaitétéenfermédansunecagetoutesavie,etensuitedanslesconfinsdeWhitechapel.C’enétaittroppourlui.

Ilsentitunemains’emparerdelasienneetlaserrerlégèrement.—Tupeuxlefaire,susurra-t-elleaveclaplusgrandecertitude.C’estlaclépourtaliberté,Will.LamaindeLenadevintsonancredanslemondequitournoyaitautourdeluidansunedébauche

decouleurs.Lenaavaitraison.Barronspouvaitlefaire,maisiln’auraitjamaisassezdeloyauté,assezd’intérêt dans l’affaire pour s’en préoccuper réellement. Les loups-garous avaient besoin d’unepersonnedeleurcôté.Etleprinceconsortavaitbesoind’unepersonnepourapaisersesalliésdel’est.

Maisilavaitd’autresresponsabilités.D’autresdettesd’honneur.Bladecroisasonregardd’unairentendu.

—Vas-y,dit-ildoucement.—Maispour…Bladesecoualatête.—Ripsuffirabienpourfairerégnermeslois.Etçavatedonnerunpouvoirquet’asjamaiseu.

Utilise-le,dit-ilsanspitié.Lestempschangent.Moi,chevalierduroyaume,ettoi,ambassadeur?(Illâchaunrire.)Fauts’adapter.

—D’accord.(WillsetournadenouveauversLena.)Jevaisparaîtreterriblementdémodé,maisj’insistepourlemariage.Jecomptepasfaireçatoutseul.

LalueurcuivréequiscintilladanssesyeuxréchauffaleregarddeLena.—C’esttrèspetit-bourgeois,Will.Lemariage?Vraiment?Passeulementunconcubinat?(Elle

lepoussaaucentredelafouleavecunrireenjoué.)J’accepte.Maintenant,va.

Rempliedefierté,Lenaleregardaserrerlamainduprinceconsortetaccepterlanominationsanscérémonie.Lesrumeursenflaientdanslehall.Colchestersemblaitsurlepointd’exploseretsesyeuxlançaientdeséclairsendirectiondeWill.

Soudain,ilsourit.

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Unmauvaispressentimentmonta en elle.PasWill. Il pouvait tenter tout cequ’il voulait contreelle,maispascontreWill.

Lenasehissasur lapointedespiedsetconstataqu’elleétait soudain trop loinpour l’aider s’ilarrivaitquelquechose.Conscientedesonirrationalité–aprèstout,Colchestern’oseraitjamaistenterquoi que ce soit ici –, elle contourna Blade et se fraya un chemin grâce à ses forces récemmentacquises.

MagnusserralamaindeWillavecunpetitsourirecrispé.Alliés,certes,maisMagnussebattraittoujourspour cequ’il jugerait être lemieuxpour sonpeuple.Lecomte suédois lui jetaun regardperçant, puis lui serra lamain.Will faisait un boulot épatantmalgré sonmalaise. Il disait ce qu’ilfallaitetparvintmêmeàafficherunsourire.

Le prince consort demanda qu’on amène les papiers. Deux serviteurs en livrée se hâtèrentd’apporterunepetitetableéquipéed’unencrierenor.

Ravidevoirtoussescomplotsseconcrétiser,leprinceconsortaffichaitunsourirerayonnantetfitunpetitgestesurlecôté.

—Etmaintenant,unpetitgagedenotregratitude!lança-t-il.Deuxjeunesgarçonsapparurent,vêtusdenoiretd’or,ettirèrentderrièreeuxunelourdeestrade.

La formeposéedessus,quidépassait lesdeuxmètresdehauteur, était enveloppéedansundrapdesoieblancheetimmaculée.LeSuédoisacceptalecadeaudebonnegrâceetlafouleapplaudit.

—Qu’est-cequec’est?demandalecomte.L’undesjeunessaisitleborddudrapettiradessusd’ungestegrandiloquent.Surl’estrademobile

se dressait la silhouette d’un homme recouverte de plaques d’acier, aux membres sculptés. Lerevêtement de son visage était grossier et ses traits tranchants. Lena n’avait pas pris la peine decomblerlesaspérités.C’étaitsoninterprétationdeWill.

Lena s’immobilisa face aux applaudissements déchaînés de la foule. Qu’est-ce que letransformablefaisaitlà?Ladernièrefoisqu’ellel’avaitvu,c’étaitpourleconfieràM.Mandeville.Bondébarras.

Lesjeuneshommesreculèrentetelleputentrevoirleurvisage.L’und’euxétaitlegarçonquiavaitaidéMendiciàl’enlever.Leshumanistes.Lemondechaviraautourd’elleetlessonssedéformèrent.LecomtedeSuèdeadressaunsigneà

LadyAstrid,quis’avançaavecunlégersourire.—Commec’estcharmant,dit-elle.SesparolesparvinrentauxoreillesdeLenaavecuneprécisioninattendue.Quelquechoseclochait.Lenaexaminaattentivementl’œuvreetyreconnutsanspeinesontravail.

Maisellerepéraégalementlejointdéfectueuxsurlecôté.Quelqu’unl’avaittrafiqué.Astridtournalapoignéeunefois.Deuxfois.Ellerésistaitalorsqu’ellen’auraitpasdû.Quelque

choseétaitcoincédansleressortprincipalouailleurs.Dèsqu’Astridrelâchalapoignée,l’hommedefersemitàtrembleretlesgrincementsdesesrouagesévoquèrentaussitôtletic-tacd’unehorloge.

Tic.Tic.Tic.—Will!hurlaLenapar-dessuslevacarme.Danssapanique,ellevitlesyeuxambrésdeWillseriversurelle.EllepointaAstriddudoigtet,

alorsqu’ellecommençaitàpeineàparler,ilavaitdéjàbondi.

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IlsepropulsaàtraverslapièceetplaquaAstridausolenlarecouvrantdesoncorpslourd.Lesgenss’éparpillèrentautourd’eux,confus,maisl’expressiondeWill leurinspirait instantanémentlapeur.

Il y avait trop de monde massé au même endroit. En majorité des membres de l’Échelon, ycomprisleConseiltoutentierainsiqueleprinceconsort.L’endroitrêvépourfaireunmassacredesangsbleus.

—Çavaexploser!Soncrifutemportéetrésonnadansl’espace.Deshurlementsretentirentetellefutrepousséesur

lecôtésansménagement.L’automatetressautaviolemment,incapabled’acheversatransformation.Lavapeursoufflaitàtraverssesplaquestremblantes.

EllevitWillpousserAstriddanslesbrasd’Eric,puisretourneràsarecherche.Lenafutheurtéepar quelqu’un et vacilla en saisissant son regard. Elle secoua la tête d’un air désespéré. Ils étaientchacunàunboutdelapièce.Ilétaitplusprudentdesortirparlesportesopposées,qu’ellepointadudoigtavecdesgestesfrénétiques.

—Recule!Uncorpss’écrasacontrelesien.Ellefutdéséquilibréeetemportéeparletourbillondescorpset

lesmouvementsdefoule.Ladernièrechosequ’ellevit,cefutWillqui,unmasquededéterminationsurlevisage,fendaitlafouledanssadirection.

Pourquoivenait-ildanscesens?Ellepassaleseuildelaporte,portéeparlefluxdepersonnestelleuneépaveflottante.Desbras

fortslasaisirentàlataille.—Merci,fit-elledansunsouffleencherchantWilldesyeux.—Oh,ditunevoixdouceet familière.Jenecroispasque tuaurasenviedemeremercier,ma

chère.LesangdeLenasefigeadanssesveinesetunobjetpointus’enfonçadanssondos.—Colchester,murmura-t-elle.

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27

Willpoussaviolemmentladeuxièmeporteenferetunflotdepersonness’yengouffraaussitôt.Derrièrelui,letic-taclentetrégulierdutransformablemenaçaitleursvies.Lavapeurs’enéchappaitmaintenantaveclaconstanced’unebouilloire.

Oùétait-ellepassée?Il écarta un homme de son chemin et se libéra de la foule. Lena était juste là, avec le bras de

Colchesterpasséautourdesataille.L’expressiondanssesyeuxquandelleavaitréaliséquisetenaitderrièreellealimenteraitsescauchemarspendantplusieursmois.

Unebrumerougemenaçadel’engloutir.Ilarpental’entrée,maisneperçutaucunsignedeLena.Colchester avait parfaitement choisi sonmoment.La foule brouillait son odeur et cet enfoiré s’enservaitpoursecacher.

Ilnedevaitpasêtrebienloin.Maisoù?Soudain,lapiècefutsouffléeparunevaguedechaleuretilfutpropulsédanslesairs.Ilheurtale

muretretombaviolemmentausol,leflancdouloureux.Descrisretentirentetlebruitduplâtrequisefissureenvahit lehall.Àl’intérieur, lesflammessemirentà lécher lemobilieret lafuméejaillitàtraverslesportesouvertes,provoquantdanslecouloirunchaosabsolu.

Ilnevoyaitplusrien.Ilnesentaitplusriend’autrequelafumée.—Lena,murmura-t-ilenseredressant,assailliparledésespoir.Elledevaitbienêtrequelquepart.C’estalorsqu’ill’entendit.Lehurlementlointaindelafemmequ’ilaimait.

Colchesterlapoussadansl’antichambre,salamedesaignéeàlamain.Lenatrébuchacontreune

chaiseets’emmêlalespiedsdanssesfichuesjupes.Ill’avaitentailléeàlajoueetdegrossesgouttesdesangtombaientsurlestapisclairs.

Lachaise se fracassa sous sonpoids.Lena se redressa, àquatrepattes, et aperçut lepiedde lachaise antique à côté d’elle. Elle s’en empara vivement et se tourna pour lui faire face en lebrandissantcommeunematraque.

Colchesterverrouillalaporte.Puisils’yadossaetaffichaunsourireindolent.—Etmaintenant,jet’aienfinpourmoitoutseul.—Paspourlongtemps,luirappela-t-elle.Willn’estjamaisloinderrière.—J’endoute.(Ilrelevalatêteversl’étagesupérieur.)L’explosionadûemporterpresquetoutle

grandhalletl’entrée.Nilefeunilefern’ontdeprisesureux,déclara-t-ilencitantl’adagedesloups-

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garous,maismême lui ne peut pas survivre à une chose pareille. J’ai bien peur que tu sois sansdéfense.

Seule,sansdéfense.L’angoisseluitorditlesentrailles.—Vousétiezaucourant,dit-elle.Voussaviezcequiallaitsepasser.Colchesterluicoulaunregard.—Tunepourrasjamaisleprouver.— Vous avez souri. Juste avant qu’Astrid actionne le transformable. Et vous aviez une place

stratégiquejusteàcôtédelaporte.IlfitunpasverselleetLenacontournaunpetitsecrétairepourluiéchapper.L’horreurlafrappa

depleinfouet.Ellesavaitqueleslettresqu’ellestransmettaiententrelaTourd’IvoireetMandevillevenaientd’unepersonnehautplacéeauseindel’Échelon,maisellenes’étaitjamaisattendueàcequecesoitdelui.

—Uneheureusecoïncidence.(Colchesterrenversalatablesurlecôté.)Tun’asnullepartoùtecacher,machère.

Lena s’humecta les lèvres. Où était passé son courage ? Son assurance ? Où était cet éland’invulnérabilitéqu’elleavaitéprouvédanslacour?Elleplongeaderrièrelecanapédansunrayondesoleil.

Colchesters’approchatelunchasseurcertaind’attrapersaproie.Siellelelaissaitfaire,ilallaitlatuer,icietmaintenant,etpersonneneconnaîtraitjamaisl’identitédesonmeurtrier.

Colchestersautasurlecanapé,puisdel’autrecôté.Sonmanteauflottaitautourdeluicommeunecape. Elle eut à peine le temps de réfléchir avant de brandir le pied de chaise et de lui lacérer levisage.

Lesangjaillitetéclaboussalesmurscouleurcrème.Lenaenjambalecanapé,pousséeparunélandepanique.LescrisdeColchesterrésonnaientàsesoreillesetilserelevaens’agrippantlevisage.Sapommetteétaitenfoncéeetsonosapparaissaitsoussachairenlambeaux.

LespectacleexcitaLenaetellesesentittrembler.Unevagueglacialeaffluadanssesveines.—Viens,dit-elle.Jen’aipluspeurdetoi.Quandellerelevalatête,Colchestersefigeabrusquement.—Salepetitepute,murmura-t-il.Saletédemonstre.Tul’aslaissét’infecter?Iln’avaitpasencorebienregardésesyeuxjusqu’àmaintenant.Lenalevalepieddechaise.—C’estleplusbeaucadeauqu’unhommem’aitjamaisfait.Cesparoleslemirentdansuneragesansprécédent.Ilrenversalecanapéetfracassalapetitetable

delecture.Lesdébrisvolèrentetils’attaquaensuiteàunebibliothèque.Ilsetournaverselleavecungrondementetexhibasalameavecdesintentionsmortelles.—J’auraisputouttedonner.— Tu asmenacé deme prendre tout ce que j’avais. Je te détestais. Je te craignais.Mais plus

maintenant.Sonsangbouillaitdanssesveines.Ellefitunpasverslui,lecœurbattant.—C’esttoilemonstre,Colchester.Willestplusnoblequetupourrasjamaisespérerledevenir.

Àcôtédelui,tun’esrien.Riendutout.Ilhurladerageetsejetasurelle.Avant,ellen’auraitmêmepaspusuivrelemouvementdesyeux

tant il était rapide,mais au fond d’elle, elle avait en quelque sorte reconnu le changement dans lepoidsdesoncorpsquiprécédait sonattaque.Elleattenditqu’ilbondissesurellepour luienfoncerviolemmentlepieddechaisedanslescôtes.

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Lalameentaillal’épauledeLena.Lasensationfutglacialepuisbrûlantel’espaced’uneseconde,et la douleur reflua rapidement.Colchester se ploya autour du pied qu’ellemaniait, puis fonça enavantpourplaquerLena.

Elleheurtaviolemment le sol.L’air fut chasséde sespoumonsetColchestergrimpasurelleàcalifourchonpourlamaîtriser.Ellesentaitsonsoufflefroidcontresonvisage,sesmainsseresserrerautourdesagorge.Desyeuxfousluifaisaientface.

Maisellene ressentaitaucunepeur.Savuese rétrécitet les ténèbresmenacèrentde l’engloutir.Danssavisionpériphérique,elleaperçutlecouteaurejetésurletapis.Elletentades’enemparer.ElleattrapalapoignéeduboutdesdoigtsetColchesterpesadetoutsonpoidssursagorge.

Lapièce s’assombrit.Sesmembres s’engourdirent.Ellene sentait plusque lemanche sous sesdoigts.Elleparvintàl’empoigneretàlelever.Etelleleluiplongeaenpleincœur.

Colchesterhurlaetlâchaimmédiatementsagorgepoursaisirlapoignéedelalamequisortaitdesapoitrine.

Ilsemitàcracherunsangbleuâtreetcroisasonregard.—Jevaist’emmener…avecmoi.Ilparvintàôterl’armedesapoitrineetunflotdesangfraisjaillitenmêmetemps.Lenahurlaenlevoyantbrandirl’arme.Mais il n’abattit jamais son coup. Le bruit d’une explosion transperça la pièce et un jet

d’hémoglobineéclaboussalevisagedeLena.Colchesterse tordit.Sonbrasgaucheavaitdisparuàpartirducoude.Lenoirenvahit sesyeux,

signequeledémonavaitprislecontrôle.Iln’éprouvaitplusaucunedouleurdésormaisetremarquaitàpeinelesangquisedéversaitdumoignondesonbras.Ellen’avaitpasdûletoucherenpleincœur.

Lenaregardasonsauveurderrièrelui,stupéfaite.De la fumées’échappaitducanond’unpistoletetRosalind ladévisageaitd’unair sinistre.Elle

portaitducuirdespiedsàlatête,desvêtementsd’hommequi,d’unecertainemanière,luiallaientàlaperfection.Une petite calotte couvrait ses cheveux distinctifs et unmasque lamoitié inférieure duvisage.

Colchesterseretourna,saisitlecouteautombéausoletleprojetaàtraverslapièce.—Attention!s’écriaLena.Rosalindreculaenvacillantetagrippalalameenfoncéedanssonflanc.—Cen’étaitpascensésepassercommeça,murmura-t-elletandisquelepistoletglissaitdeses

doigtsmous.Nousn’avonsdécouvertleursintentionsquecematin.Letransformableavaitdisparu,ainsique…quemonjeunefrère,Jeremy.

Colchesters’approchad’elleentitubant.—Vousêtesunehumaniste,grogna-t-il.LenaserelevaaumomentoùlesgenouxdeRosalindcédaient.—Non!ElleseruaenavantpourfaireunplaquageàColchester.Ilsroulèrenttousdeuxàterre.Avec samainvalide,Colchester l’attrapapar les cheveux et lui tira la tête en arrière.Lena lui

griffalevisageetaperçutsesyeuxnoirsetsansâme.Sesdentsblanchesétincelèrentquandilouvritlabouchepours’attaqueràsagorge.

—Non!Soncridéchiral’air.Ellesentitdesincisivesémousséess’enfoncerdanssagorgeavecassezde

forcepourarracherlachair.Lenahurladeplusbelle.

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Puis,soudain,ColchesterfutbrutalementécartéetWillapparutau-dessusdelui,consuméparlarage.Ilpivotaetprojetaleduccontrelemur.

PuisColchesterretrouvasonéquilibreetserapprochadeWill.Iltitubait,affaibliparlapertedesang, mais il n’en était pas moins dangereux. Lena distingua un éclat argenté quand il sortit unpoignarddesabotteavecsamainvalide.

—Will!cria-t-elle.Ilauncouteau!Willparaaucoupensaisissant lepoignetduduc.Il leplaquacontre lemuretorienta lapartie

métalliqueverslevisagedeColchester.—Onvavoirsituaimeslegoûtdelalame,grondaWillavantdel’enfoncerdanslagorgedu

duc.ColchesterémitungargouillisetLenadétournalesyeux.L’odeurdusangchaudetfraisemplit

l’airenmêmetempsquelegrincementducouteauquidéchiraitsatrachée.Lecorpsheurtalesol,presquedécapité.Lenaregardaautourd’elle, lapoitrinesoulevéeparsa

respirationsaccadée.Willavaitlepoingensangettenaittoujourslecouteau.Uneexpressionviolentetiraitsestraits.IlsetournalentementpourregarderlasilhouettedeRosalind,affaléesurlesol.

Lenasepressaverselleenlevantlesmains.—Will,non.Unelueurcuivréebrûlaitdanslesyeuxduloup-garou.Illadévisageaenmontrantlesdents.—Ellem’asauvélavie,luiditLena.Elleluiatirédessus.—C’estellequiainstallélabombe.Ilavança,menaçant.—Jesuisvenuepourl’empêcherd’exploser,corrigeaRosalind.Elleprituneprofondeinspirationetarrachalalamefichéedanssonflancavecunegrimace.Du

sangcoulasoussongilet.— Je suis arrivée trop tard. Nous n’avons jamais voulu ça. Quand la fumée se sera dissipée,

l’Échelon va passer la ville au peigne fin pour trouver le responsable. Nous ne pouvons nous lepermettre.Pasencore.Nousnesommespasencoreassezforts.

—Vousavezretrouvévotrefrère?s’enquitLenaenl’aidantàserelever.—Aucunsignedesoncorpsnullepart.Iladûs’échapper.Jesavaisqu’ilappréciaitMendici.J’ai

laisséfaire.J’auraisdûmerendrecomptequelesmécaniquesl’avaientcorrompuetl’avaientabreuvéderécitshéroïques.Ilsl’ontenvoyélivrerletransformable.Cessalaudsl’ontenvoyéàlamort.

Lerestedumondese rappelaàeux.Descrisetdeshurlements retentirentdenouveau.Despasrésonnèrentdanslecouloirdel’autrecôtédelaporte.

—Ondoityaller,ditLenaentirantRosalindparlamancheavantdesetournerversWill.S’ilsnoustrouventprèsducorps,ilsnoustueront.C’estunduc.Personnenedoitsavoircequis’estpasséici.

UnviolenttremblementsecoualecorpsdeWill.IlbaissalespaupièresetjetaunregardindolentetdangereuxàRosalindquifitflancherlecœurdeLena.

—C’estvotrefautes’ilaréussiàluimettrelamaindessus.Rosalindsepenchapourramasserquelquechoseparterre.PuiselleattrapaLenaparlataille,la

plaquacontreelleetposalepistoletsoussonmenton.Lenasefigea.—Nebougepas,prévintLena.Ellepossèdelesmêmesballesquecellequetum’asfabriquées.—Desmissilesdefeu.Çafaitdesacrésdégâts,précisaRosalind.—Lâchez-moi.—Pourlelaisserm’arracherlatête?Certainementpas.

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—Ilnevoustoucherapas,répliquaLenaensoutenantleregarddeWill.Jevousdonnemaparolequ’ilnevoustoucherapas.

—Jevouslarends,ditRosalindàWill.Maissivousfaitesunseulgeste,jelatueenpremier,jelejure.

Rosalind la poussa dans les bras deWill. Lena eut à peine le temps de comprendre ce qui sepassaitqueWilllafitpasserderrièreluipourlaprotégeravecsoncorps.

—Will ! (Elle tira sur sonmanteauet le retint par leshanches.) Je lui ai promisque tune luiferaisrien.

—Peut-être,maispasmoi,murmura-t-il.C’estladeuxièmefoisquevousavezmenacésavie…— Et je l’ai sauvée une fois, répliqua Rosalind en pointant son arme sur son torse. (Elle

s’humectaleslèvres.)Çacompte,non?—Pasvraiment.VousvoulieztuerColchesterplusquevousnevouliezsauverLena.—Jesuisunefemmepratique.D’unepierre,deuxcoups.—Approchez-vousd’elleencoreuneseulefoisetjevousgarantisquejevousarrachelatête.Lepistoletsebaissalégèrement.Rosalindplaquaunemainsursablessureetsepenchaenavant.—C’estd’accord.Ellenemereverraplus.(Unelégèregrimacedéformasestraits.)Ilsemblerait

quej’aiedeuxoutroischosesàrégler.—Commentallez-voussortird’ici?demandaLena.Sansvousfairerepérerparlesgardes?—Delamêmefaçonquejesuisentrée.Rosalind se dirigea vers la bibliothèque que Colchester avait à moitié arrachée du mur. Elle

l’ouvritetrévélaunevoléedemarchesdissimulées.—Cetendroitesttruffédetunnels.Onamislamainsurlesplansilyaplusieursmois.Venez.

(ElleadressaunhochementdetêtevigilantàWill.)Jevaisvousfairesortirsansêtrevus.Onpourraseséparerenbas.Commeça,onseraquittes,non?

Lenafrottalebasdudosdesoncompagnon.—Will?Ilhochalatête.—Passezdevant,quejepuissevousavoiràl’œil.

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28

WillouvritlaportièredelacarrioleàvapeurdeLeoetaidaLenaàygrimper.Sonregardétaitdistant et son corps parcouru de tremblements.Quand il lui avait demandé ce qui n’allait pas, elleavait tenté un sourire et un haussement d’épaule. Avant qu’il puisse sonder ses pensées, Blade etHonoriaapparurent.

BladeetLeoavaient fait sortirHonoria,puisLeoétait retournéà l’intérieurpourapportersonaide. De la fumée s’échappait du bâtiment et les gardes essayaient tant bien quemal d’exercer unsemblantdecontrôle.

Ilétaittempsdepartird’ici.Avantquelesgensnecommencentàlespointerdudoigt.BladeaidaHonoriaàmonterdansleurproprecarriole.Ilyavaitàpeinedelaplacepourdeuxet

WillvoulaitêtreseulavecLenapendantunmoment.Iln’enavaitpaseul’occasiondepuisl’explosionetlebesoindelaserrerdanssesbras,des’assurerqu’elleallaitbien,luifaisaitperdrelatête.

Après avoir donné de brèves instructions au chauffeur, il s’installa à l’intérieur et referma laportière.Lacarriolesemitenbranle,quittalafiledevéhiculesets’engageadanslesrues.Willtiralesrideaux.

Lenaclignalesyeuxetsemblaenfinsortirdesatorpeur.—Tuasconsciencequec’estlacarrioledeLeo?—Lamarcheàpiedluiferadubien,répliqua-t-ilenrepoussantsesjupes.Lena.(Ilhésita.)Tuvas

bien?Ellesourit,maisilluipritlamain.—Non,dit-il.Nemefaispascesourire.Jesaisquetuesbouleversée.(Ilcaressasesgantssaleset

luirappela:)Jepeuxlesentir,tusais.Ellebaissaleregardetsesépauless’affaissèrent.—Ilestenfinmort.—Quiça?—Colchester.(Deslarmesbrillèrentdanssesyeux.)Jesuistellementàbout,Will…Çafaitdes

mois que je me sens traquée où que j’aille, que je ne suis pas en sécurité même quand je suisaccompagnée.Aujourd’hui, quand il t’a regardé et qu’il a souri, j’étais terrorisée. Je pensais qu’ilallaits’enprendreàtoi.Maisilattendaitl’explosion.Ilétaitaucourant.Jenesaispascomment.Audébut, j’ai cru que c’était lui, mon contact à la Tour, mais maintenant, je pense que non. Il étaitdégoûtéquandilaapprisqueRosalindétaitunehumaniste.

Elleretiral’unedesesmainsdecellesdeWillets’essuyalesyeux.— Je suis heureuse qu’il soitmort, dit-elle avec véhémence.Mais je n’arrive pas à arrêter de

trembler.Jen’arrivepasàcroirequ’onsoittouslesdeuxsainsetsaufs.Quetusoissainetsauf.(Elle

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empoignasachemise.)J’aifailliteperdre…Ill’attirasursesgenouxetenfouitsonvisagecontresonépaule.Ildétestaitlavoirpleurer.—Ilnepourraplusjamaistefairedemal.—Jelesais,murmura-t-elle.Elleglissasesmainsdanssondos,avidedecontact.—Touche-moi,Will.Rappelle-moiquetuesbienlà.Quetuesàmoi.—Pourtoujours,mocridhe,chuchota-t-ilentrouvantseslèvresdanslapénombre.Lenal’embrassacommesiellenevoulaitplusjamaislerelâcher,rongéeparundésirinsatiable.

Willregroupasesjupesetlesrepoussasurlecôté.Sonsexefrottaitcontreletissudesonpantalonetil écrasa Lena contre lui en emmêlant leurs langues. Il savourait chaque seconde grisante de sanouvellevie.

Il mordilla sa gorge et tira sur l’élastique de sa culotte. Lena ouvrit la bouche et remua leshanchescontresesdoigtspourl’encourager.

—Vite,susurra-t-elle.Ill’attirasurlesolmais,avecLenaàcalifourchonsurlui,sesjupess’entassèrentautourdeses

cuisses.Avecungrognementdefrustration,iltiradessusetenfonçasesdoigtsdanslacourbecharnuedesesfesses.

—Seigneur…ilfaut…ilfautquejetegoûte.Illarenversasurlabanquetteets’agenouillaentresescuisses.Lescheveuxsombresetépaisde

Lenatombèrentautourdesesépaules.Ilattiraseshanchesauborddelabanquetteetpassasesjambespar-dessussesépaules.Ilretroussasesjupesetplongeasalangueprofondémentdanssaféminité.

LecriquepoussaLenaluifitl’effetd’unemélodie.Ilvoulaitchasserseslarmesetlaposséderdenouveau. Il suçaetmordilla tout enécoutant sespetits râles étouffés, sedélectantde la tensionquienvahissaittoutsoncorps.Ilvoulaitconnaîtrelemoindrecentimètrecarrédesapeauetapprendreàlacombleraumieux.

Lenaluigriffalesépaules.—Arrête!dit-elle,haletante.J’aienvie…Illaléchaenprofondeuretsuçalaperlehumidedesonclitorisentresesdents.—Tuasenviedequoi?LenafrissonnaetresserralesgenouxautourdelatêtedeWillpuisplongeadanssonregard.—J’aienviedetoi…enmoi.—Dansuneminute.—Toutdesuite.Cefut ladéterminationdanssavoixqui le fitbasculer. Ilouvrit sabraguetteet libérasonsexe

qu’ilpritdanssamain.Ils’enfonçaenelled’unseulcoupdehancheetlarapprochaencoreduborddelabanquette.

Elleétaitsichaude,siétroite,sihumide.Lenalaissaéchapperuncrietenroulasesjambesautourdesataille.Elles’agrippaàsoncouet

attira son visage à elle pour l’embrasser fiévreusement. Elle reconnut la saveur musquée de sonproprecorps.Willenchaînaitlescoupsdereins,lecorpstremblantdedésir.Bonsang,qu’elleétaitdouce. Il avait envie de la posséder brutalement, de l’enfouir dans les coussins de la carriole etd’introduiresonmembretoutaufondd’elle.

Leursrespirationsdevinrentplussaccadées.LenaondulacontreWilletattisaencoresondésir.Illamaintenaitplaquéeàluietécrasaitlabasedesonmembrecontreelle.Tandisquesoncorpsétaitparcourudetremblements,lesmusclesinternesdeLenaseresserrèrent.Elleaimaitça,elleaimaitce

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qu’illuifaisait.Ilsentitlafièvremonterenelleàlafaçonabsentedontellel’embrassaitdésormais,puisàlafaçondontellepoussauncrisilencieux,agitéedespasmes.

Unpetitpoingluicomprimalapoitrine.C’étaitsafemme.Elleétaità lui.Personnenepourraitplus la lui enlever et il ne pouvait plus la blesser. Elle pourrait être à lui pour toujours. L’espoirgonfladanssapoitrine.Ilserralesdentsetfrissonna.Ilyétaitpresque.Ilaccentuasescoupsdereinsets’abandonnaàlasensationquitraversasonêtre.

Lenaselaissaretomberenarrièreetl’entraînaavecelle.Ildéposaunbaisersurseslèvresetseretira.Elleémituneprotestationsilencieuse,maisilrangeasonsexedanssonpantalonetattiraLenasursesgenoux.

Sarespirationsecalma,maissoncœurmartelaittoujourssescôtes.Willenfouitsonvisagedanslesmèchesacajoudelajeunefemmeetinspirasonparfum.

Lenaposalatêtedanssoncouetseblottitcontrelui.Ellecaressasapoitrineetposalamainàplatsursespectoraux,commesiellecherchaitàpercevoirsespulsationscardiaques.

—Etmaintenant?—Maintenant?Unelégèrehésitation.—Pourletraité?Iln’avaitpas les idéesclaireset sespaupièresmenaçaientde se fermer.Maisellen’avaitprêté

attentionàriendecequis’étaitpassédepuisqu’ilsétaientsortisdusous-sol.—Bladeditqu’ilsvontlereprogrammer.Sil’explosionn’avaitpasexterminélamoitiédessangs

bleus, l’histoire aurait pu être différente. Les loups-garous auraient pu accuser l’Échelon et viceversa.Barronsveutéclaircirtoutel’affaire.

—Çavaluiplaire,murmuraLena.Ilaimelesénigmes.—Tuvasluidire?—Luidirequoi?—PourRosalind?Lenaréfléchitquelquesinstants.—Non,jenepensepas.—Tuluidoisrien,gronda-t-il.Ilsvontnouscauserdesennuis,souviens-toibiendecequejete

dis.—Jepeuxcomprendrecequ’elleressent.L’impuissance.Ellesebatpourunecauseperdue.Jene

latrahiraipas,Will.Pasàmoinsqu’ellenetentequelquechosecontreunepersonnequej’aime.Willcaressaledosdesoncorsetensoie.Sonsensinnédelaloyautéétaitl’unedeschosesqu’il

aimaitlepluschezelle.—EllefaitunseulgesteetjefiletoutdroitchezLeo.—Merci,ditLenaenfourrantsondoigtdanslecoldesachemise.Ellelevasonvisagebaignédelarmes,lesyeuxbrûlantsd’uneémotioncontenue.—Will…tuesfâché?—Fâché?Pourquoi?—Àcausedutourqu’ont’ajouéavecAstrid?Àcausedurôled’ambassadeurqu’ont’aimposé

enéchangedel’allégeancedesNorvégiens?Ilréfléchit.—C’estpascequej’auraisvoulu.(Ilsentitlatensions’emparerd’elleets’empressad’ajouter:)

Maisjesuisleseulàlepouvoir.L’idéed’unchangementmefaitpeur,Lena.Jedétestel’Échelonetje

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détestel’idéededevoircomposeraveceux.J’étaisheureuxentantqueseconddeBlade,parcequeçamepermettaitdenejamaisquittermonpetitmondeàl’abridudanger.

Ilprituneprofondeinspirationavantdepoursuivre.— Tu avais raison. Quand tu disais que je les avais laissés faire de moi celui que j’étais.

Whitechapel,c’étaitrienqu’uneautrecagedanslaquellejemesuislaisséenfermer.Jepeuxpasdirequecettehistoirem’enchante,maispeut-êtrequej’enaibesoin.(Illaserracontrelui.)Entoutcas,jesaisquej’aibesoindetoi.

—Tun’espasfâchéalors?EllepassasesdoigtssurleslèvresdeWill.Ilsecoualatête.—Mavieallaitchangerdetoutefaçon.—Ahoui?—Toi,avoua-t-il.Jem’attendaispasàcequetuvivesavecmoidanscepetittaudis.UnsouriresedessinasurlabouchedeLena.—Lesmomentsquej’aipassésiciavectoisontparmilesplusheureuxdemavie.Sapoitrinesecomprimaunpeuplus.—Pourmoiaussi,admit-ild’unevoixbourrue.Ilsaisitsonvisageentresesmainsetposasonfrontcontrelesien.—Tuestoutpourmoi.Lenaluiadressaunpetitclind’œilgrivoisetjouadenouveauavecsoncol.—Est-cequetuessaiesdemedirequelquechose?—Tedirequoi?—Combientum’adores?Willdéposaunbaisersursajoue.Peut-être.—Combien…tutiensàmoi?Elle lui jeta un nouveau regard séducteur. Ses yeux étincelaient d’une lueur espiègle et elle

caressasajouemalrasée.Elleouvritlabouche,maisillascellaaveclasienne.C’étaitsafaçonderépondreauxquestionsqu’elleposaitsanslesformuler.

Quandils’écarta,Lenaavaitlesoufflecourt.—Combientum’aimes?murmura-t-ellesuruntondedéfi.Pourquoiavait-ellebesoind’entendredesmots,alorsqu’ilétaitfichtrementcertaindeluiavoir

démontréprécisémentcequ’ilressentait?Avecl’assurancequ’elleaffichait,ilnes’étaitpasattenduàtrouverenelledel’indigence.

Willl’embrassapourbalayersesquestionnements.—Tusaisquejet’aime,dit-il.LecorpsdeLenafrissonnacontrelui,maisilposaundoigtsurseslèvres.—Jepourraismourirpourtoi,ajouta-t-il.Jetueraispourtoi.J’aitenutêteauxmécaniques,aux

humanistes,j’aiendurétesleçonsdebonneconduite.Pourtoi.J’aidansélorsd’unbal,pourtoi.LesouriredeLenaluiréchauffalecœur.Ellerayonnaitdel’intérieur.Ilsefichaitbiendecequ’il

luifallaitdirepourmaintenircetteexpressionsursonvisage.—Jet’aime,déclara-t-ild’untonpresquesévère.Jet’aimeraitoujours.Tueslaseulefemmeque

j’aijamaisvraimentvue.Laseuledontj’aijamaiseuenvie.Jesaisquejesuispasforcémentunbonparti…

CefutautourdeLenadeposersonindexsursabouche.

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—Nedispasça. (Une flammes’allumadans sesmerveilleuxyeuxcernésd’ambre.) Je suis lafemmelapluschanceusedeLondres.Dumondeentier.

—Ouais,peut-être.(Ilglissasesbrasautourdesataille.)Est-cequet’essaiesdemedirequelquechose?

Ellelâchaunrire.—Regarde-toi,àchercherlescompliments.—Non,pasdescompliments,rétorqua-t-il.Lenal’embrassaetpritsesjouesencoupe.—Jet’aimeaussi,dit-elleàvoixbasse.Oh,Will.Jepensequejesuisamoureusedetoidepuisdes

années.—Ilm’afalluunboutdetempspourm’enrendrecompte.—Commentçaauraitput’échapper?Pourtoi,j’aifaitunecroixsurl’Échelon.J’aiaffrontédes

ducs libidineux, des bombes àmécanisme, et des clans de loups-garous. J’ai ruiné trois paires degants.

—Trois?(Ilsourit.)Jevaisdevoirlesremplacer.—Ohqueoui,approuva-t-elle.Jenedévoileraiplusjamaismespoignetsenpublic.Unélandepossessions’emparadelui.Ilresserrasonétreinte.—Non.Iln’yaquemoiquiverraitespoignets.Entreautreschoses.Lenas’écartaetjouaaveclesrubansdesoncorsage.—Enparlantdeça…Il semblequenousenayonspourunmoment, aveccettecirculation.Tu

n’auraispasenviedemedivertir…?—Tedivertir?roucoula-t-il,enproieàunechaleurcroissante.C’estcommeçaqu’ondit,denos

jours?—Eneffet.(Elletirasurlesrubans.)Ilsembleraitquecertainsdomainesdemonéducationme

fassentdéfaut.Jet’apprendraiàtefondredanscemondeàconditionquetum’apprennes…commenttesatisfaire.

Sapoitrinesegonflaetdébordalégèrementdesondécolleté.Willsentitsabouches’assécher.—Crois-moi,monamour,dit-ilenl’aidantàsedéshabiller.Tusaistrèsbienmesatisfaire.

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Épilogue

—Maisqu’est-cequis’estpasséici?Leprinceentraàgrandesfouléesparlesportesàdoublesbattants.Lacolèredéformaitsestraits;

une poignée de gardes Coldrush fourmillait dans la pièce par mesure de sécurité et détruisait lamoitiédespreuvesdeSirJasperLynch.

CedernieréchangeaunregardentenduavecBarrons.—Nebougezplus,ordonna-t-ilàl’undesgardes.L’homme se figea et Lynch pointa du doigt l’empreinte sanglante sur laquelle il s’apprêtait à

marcher.—Sivousdégradezcettetrace,jeseraiincapablederetrouversonpropriétaire.Ilseredressaetcroisaleregarddurduprinceconsort.—VotreGrâce.IlsembleraitqueleducdeLannisteraitétéassassiné.Leprinceconsortexaminalecorps.Puisilpivotasursestalonsetdéversaunchapeletdejurons.—Satanéesbombes!Lesloups-garousquisemettentàhurleretmaintenant,ça!Commentest-ce

possible?—Uncoupdecouteaudanslapoitrine,uneballequiluiaarrachélamoitiédubrasetunequasi-

décapitation. Je pense que c’est la décapitation qui l’a achevé, bien que cette balle me poseproblème…expliquaLynch.C’estundecesmissilesdefeuqu’onadécouvertssurcertainsmembresdelapopulation.

—Leshumanistes,crachaleprinceconsort.—Peut-êtrebien,réponditLynch.Iln’avaitpaspourhabituded’émettrelemoindrejugementsansavoirtouteslespreuvesenmain.

Etdenombreusespersonness’étaienttrouvéesdanscettepièce.Ilétaitparvenuàdécouvrircertainestraces ; des mèches de cheveux, des éclaboussures de sang et même des pistes olfactives. Quatrepersonnesetunebagarre,s’ilnesetrompaitpas.

Et il était presque sûrde savoirqui avait porté le coup fatal.Comment les autrespouvaient-ilsmanquer l’odeurforteetmusquéed’unloup-garou–unhommequeconnaissaitbienLynch?Ilnesauraitjamais.Peut-êtreàcausedelaquantitéd’eaudeColognedontilss’aspergeaient?Maispeut-être, songea-t-il en décelant le regard froid de Barrons, que certains d’entre eux connaissaientprécisémentl’identitédeceuxquiétaientvenusici.

—Nousnepouvonsdétermineraveccertitudesicemeurtreaunlienavecl’attaqueàlabombeou si quelqu’un a profité de l’occasion, déclara Barrons. (Il marqua une pause éloquente.) VotreGrâce,Lynchmesignalequel’undesesinformateurshumanistesatransmislasemainedernièreune

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informationconcernantlapossibilitéd’unattentatàlabombe.Étantdonnéquec’étaitColchesterquiavaitpourmissiondetrouverleshumanistes,Lynchluiadirectementtransmissadécouverte.

Leprinceconsortseretourna,levisagepâledecolère.—VousêtesentraindemedirequeColchesterétaitaucourantdeça?—Oui,réponditdoucementBarrons.AutantqueLynch.Lynchseraidit,prêtsubirsesfrasques.— Si j’avais soupçonné qu’il ne transmettrait pas l’information, j’aurais sollicité un entretien

avec le Conseil. C’est une erreur de ma part, Votre Grâce. Et l’information faisait uniquementmentiond’uneéventuelletentatived’assassinat.

—Pourquoiaurait-ilgardéçapourlui?demandaleprinceconsortavecuncalmeétrange.LetondesavoixmitLynchàcran.Iltrahissaitlesplusdangereusesdispositionsduprince.Barronshésita.—Iln’afaitaucunsecretdesonavisconcernantletraitéetlesScandinaves.Etsivousconsidérez

bienlespersonnesquisetrouvaientleplusprèsdelabombe–leConseil,vous-mêmeetlareine–ilyavaitunefortechancepourqu’ilsoitl’hommelepluspuissantdel’Empireàsurvivre.

Unmomentdeflottement.Lesyeuxduprinceconsortsemirentàbriller.—JevaisveilleràdétruirelaMaisondeLannister.—UntelactedéséquilibreraitleConseil,protestaBarrons.Leprinceconsortl’ignoraetbalayalapièced’unregarddur.—Quiétaitlafille?Cellequiadonnél’alerte?Jeveuxlaretrouver…— C’est ma pupille, répondit promptement Barrons. Mlle Lena Todd. Elle crée des jouets

mécaniquesetdesbijoux,etellelesvendàunhorlogerdeClerkenwell.Elles’estrenducomptequel’automateavaitététrafiquéetaaussitôtdonnél’alerte.

LejeunemaîtregardaensuitelesilenceetLynchl’imita,maisilnemanquapasdepercevoirlessous-entendus qui flottaient dans la pièce. Barrons protégeait quelqu’un. Il semblait s’agir de sapupille,maisLynchétaitparfaitementconscientqu’attirerl’attentionsurl’évidencepermettaitsouventdeladétournerdelavérité.

Unboutdetissuattirasonregard.Noirettachédesang,ilétaitprisdanslecloudurembourraged’unfauteuil.

—Vous,fitleprinceconsortenpointantsondoigtsurBarrons,jevouschargededécouvrirquiaassassinélamoitiédemacour.Etdequellemanièreilsontréussiàs’introduireaucœurdelatour.Etvous…

Lynchseredressa.—Retrouvezleshumanistes.(Leprincetournalestalonsetsedirigeaverslaporte.)Rapportez-

moileurtête.Quandlesportesclaquèrentderrièreleprinceetseshommes,Barronspoussaunprofondsoupir.—Bon,dit-il,ças’estbienpassé,ilmesemble.Ilnes’estpastropinquiétédesavoirquiaabattu

Colchester.Lynch s’agenouilla et effleura le bout de tissu. Le sangmacula ses doigts et une sensation de

chaleurtourbillonnaderrièresespaupières.—Ilsluiontsûrementépargnécettepeine.Il lécha son doigt. Le goût explosa sur sa langue, l’extase d’une soif longtemps refoulée. Sa

bouches’asséchaetildutseforceràcalmerlesréactionsdesoncorps.D’aprèslefaibleparfumdutissu,ildéduisaitquecelui-ciavaitappartenuàunefemme.

—Qu’est-cequevousavezdécouvert?

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Lynch frotta la traînée de sang entre ses doigts. L’odeur de résidus de poudre lui parvint auxnarines.

—Unmystère.(Ilrelevalesyeux.)Ilyavaitquatrepersonnesdanscettepièce.Colchester,deuxloups-garousetcelle-ci.Unehumaine.

—Oùestlemystère?—Celle-ci…celle-ciétaitl’humaniste,déclara-t-il.Cellequiatirélecoupdefeu.Etilavaitbienl’intentiondeluimettrelamaindessus.