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Page 1: L'organisation contre le capitalisme

L'ORGANISATION CONTRE LE CAPITALISMELe déclin de l'entreprise chez SchumpeterFabrice Dannequin De Boeck Supérieur | Innovations 2008/1 - n° 27pages 45 à 68

ISSN 1267-4982

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-innovations-2008-1-page-45.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Dannequin Fabrice, « L'organisation contre le capitalisme » Le déclin de l'entreprise chez Schumpeter,

Innovations, 2008/1 n° 27, p. 45-68. DOI : 10.3917/inno.027.0045

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Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.

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L’ORGANISATIONCONTRE LE CAPITALISME.

LE DÉCLIN DE L’ENTREPRISECHEZ SCHUMPETER 1

Fabrice DANNEQUIN

Lab.RII (EA 3604), Université du Littoral Côte d’Opale [email protected]

« L’entreprise est le microcosme capitaliste,

l’institution cardinale du capitalisme. »

François Perroux, 1948, Le capitalisme, Paris : PUF, p. 18.

INTRODUCTION

Joseph Alois Schumpeter voit dans l’essence du capitalisme, un système enmouvement reposant sur le progrès technique, c’est-à-dire l’innovation. Or,cette dernière n’est pas assurée. A partir de 1928, Schumpeter entrevoit lepossible déclin de ce moteur essentiel au capitalisme. Cependant, loin d’unesimple appréhension économique, l’Autrichien considère cette sociétécomme reposant sur un ordre institutionnel. Une « civilisation » – c’est-à-dire des valeurs, des attitudes, des pratiques – se conjugue avec une structurede classes sociales pour former une nation. Ces éléments « sociologiques »,voire politiques, s’articulent avec l’évolution économique. Schumpeterconstate une interaction entre ces deux blocs.

1. Je tiens à remercier Blandine Laperche pour sa lecture et ses conseils avisés. Les insuffisancesde ce papier ne peuvent que m’être imputé et à nul autre.

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La situation la plus harmonieuse, la plus cohérente, la plus pure, se carac-térise alors par des valeurs, des politiques propices aux changements, à l’inno-vation. Par exemple, la fiscalité n’entrave pas l’action des hommes d’affaires,l’enrichissement ne subit pas de condamnation morale. D’un point de vueéconomique, on pourrait conclure à des incitations, des institutions 2 et à unenvironnement favorable au changement. Mais cette société, le « capita-lisme intact », impulsée par la petite entreprise n’a été approchée 3 qu’au 19e

siècle en Angleterre, puis aux Etats-Unis. La convergence de l’économiqueet du politique s’avère davantage exceptionnelle qu’habituelle ; des liensfamiliaux pouvant constituer un facteur explicatif. Or, l’aube du 20e siècle secaractérise par la croissance des grandes firmes 4, du « Big business » aux

2. “By ‘institutions’ we mean in this course all the patterns of behavior into which individualsmust fit under penalty of encountering organized resistance, and not only legal institutions (suchas property or the contract) and the agencies for their production or enforcement” (Schumpeter,1949, p. 438).3. Approché parce qu’une société purement capitaliste n’existe pas : “It is the essence of thesocial process. A purely capitalist society – consisting of nothing but entrepreneurs, capitalists,and proletarian workmen would work in ways completely different from those we observe histo-rically, if indeed it could exist at all” (Schumpeter, 1943, p. 177, il souligne). Le « capitalismeintact » se caractérise par une situation où « la structure de classe, les croyances, les valeurs, lesattitudes et la politique sont parfaitement ajustées les unes aux autres ou, pour le dire autrement,sont toutes cohérentes les unes avec les autres » (Schumpeter, 1948, p. 429).4. Nous appellerons firme l’organisation qui produit pour un marché quelle que soit sa taille. Nousemploierons également le terme de grande entreprise, de big business pour désigner les grandes firmes.

NATION

Structurede classes

dont la bourgeoisie

Civilisation(valeurs, attitudes,

pratiques…)

ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE

Entrepreneur Entreprise

Crédit / Financement(« pouvoir de commandement »)

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Etats-Unis (en sus du big State) et, plus généralement, par une expansion dela bureaucratie. Cette expansion du « collectif », de l’organisation 5 se maté-rialise donc par un changement de la forme des unités de production.

Nous nous proposons donc de retracer, de recomposer la théorie schum-pétérienne de la firme. L’unité de production se transforme au sein du capi-talisme avec les fondements institutionnels jusqu’à le menacer dans sonexistence. Le cumul des fonctions au sein de la petite firme cède la place,avec le processus de rationalisation, à un accroissement de la taille de lafirme et à une division des tâches plus approfondie ainsi qu’à une structurede la propriété plus dispersée. Ce processus ébranle le capitalisme en corro-dant son moteur, l’innovation ; l’entreprise ne sera guère possible, en toutcas plus comme au bon vieux temps du capitalisme libéré du 19e siècle.

EN GUISE DE « PRÉ REQUIS » : QUELQUES ÉCLAIRCISSEMENTS SUR L’ENTREPRISE, L’ENTREPRENEUR ET LA FIRME

Le vocabulaire mobilisé par Schumpeter prête à confusion. En effet, l’entre-preneur, l’entreprise renvoient aujourd’hui à des significations ne correspon-dant pas à l’acception de l’Autrichien. Le premier terme désigne souventl’agent économique qui est à l’origine du second, bref le créateur d’une firme.En 1911, dans Théorie de l’évolution économique, Schumpeter développe sathéorie de l’innovation et donc de l’entrepreneur. Ce dernier ne peut pluss’appréhender comme le créateur, voire le manager routinier d’une firme.« Nous appelons « entreprise » l’exécution de nouvelles combinaisons etégalement ses réalisations dans des exploitations, etc. et « entrepreneurs »,les agents économiques dont la fonction est d’exécuter de nouvelles combi-naisons et qui en sont l’élément actif » (Schumpeter, 1926, p. 106). Voiladonc un retour au sens premier « d’entreprise » qui, loin de désigner uneorganisation, évoque le mouvement, l’action, la création 6. Reste que cettedernière requiert un agent économique : l’entrepreneur. Ce dernier faitpreuve d’un « leadership économique » dont l’entreprise constitue un cas

5. « Les organisations sont des systèmes d’actions coordonnées entre individus et groupes dontles préférences, l’information, les intérêts et les savoirs diffèrent. Les théories de l’organisationdécrivent la conversion délicate du conflit en coopération, la mobilisation des ressources et lacoordination des efforts qui facilitent la survie simultanée d’une organisation et de ses membres »(Cusin, Benamouzig, 2004, p. 41).6. Lire S. Boutillier, D. Uzunidis, 1995, p. 7-10. Les significations du terme entrepreneur peuventainsi évoquer la réalisation d’une tâche, la personne qui assume un risque, le spéculateur, etc.

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particulier du phénomène social 7. “Successful innovation is, as said before,a task sui generis. It is a feat not of intellect, but of will. It is a special case ofthe social phenomenon of leadership. /…/ This does not imply any glorifica-tion. Leadership itself does not mean only such aptitudes as would generallycommand admiration, implying, as it does, narrowness of outlook in any butone direction and a kind of force which sometimes it may hardly possible todistinguish from callousness. But economic leadership has, besides, nothingof the glamour some other kinds of leadership have. Its intellectual implica-tion may be trivial ; wide sympathies, personal appeal, rhetorical sublima-tion of motives and acts count for little in it ; and although not without itsromance, it is in the main highly unromantic, so that any craving for perso-nal hero-worship can hardly hope for satisfaction where, among, to be sure,other types, we meet with slave-trading and brandy-producing puritans at thehistoric threshold of the subject” (Schumpeter, 1928 IC, p. 65 et nbp 1 p. 65).

Le couple entreprise/entrepreneur constitue donc chez l’Autrichien lecœur du mouvement, le premier moteur de l’évolution économique essentielau capitalisme 8. Certes, l’entrepreneur schumpétérien type crée une firme 9,mais toutes les nouvelles firmes ne sont pas engendrées par l’entreprise. Eneffet, créer une nouvelle usine de chaussures, activité très standardisée selonl’Autrichien, ne constitue pas une innovation, mais une action que Schum-peter place sous le signe de la routine, de la marche usuelle des affaires (1939,I, nbp 1, p. 94). Autre exemple aujourd’hui ô combien pertinent, la créationtemporaire de magasins de détails par des chômeurs ou par des « personnesqui ne savent que faire » (1939, I, nbp 3, p. 94). Cependant, dans ce mêmeopus, Business Cycles (I, p. 96), Schumpeter précise encore que l’entreprisene se traduit pas toujours par la création d’une nouvelle firme.

Pour échapper aux possibles variations sémantiques et donc à la confu-sion des termes, Schumpeter s’inscrit dans une perspective fonctionnaliste.L’entrepreneur… entreprend, mais ne dirige pas, n’invente pas, n’assume pas

7. Schumpeter écrit d’ailleurs que “Economic leadership has to exist in all forms of economicorganisation” (1928, p. 20). Ce qui distingue le leader au sein de l’économie de marché : “It isdistinguished from the other types of economic leadership by its focus on self-interest, by themode of selection of leaders, and by the way in which the leader, who does not have any authorityin such an organisational form, acquires the necessary means of production – namely, purchasesthem on the market for means of production” (1928, p. 20).8. Pour une étude plus complète, lire par exemple O. Lakomski, Lakomski-Laguerre O., 2002, Lesinstitutions monétaires du capitalisme. La pensée économique de J. A. Schumpeter, Paris : L’Harmattan ;F. Dannequin, 2007, « Le capitalisme schumpétérien », IDEES, n°149.9. Notamment au sein de ce que Schumpeter nomme le « capitalisme intact » ou parfois le « capi-talisme concurrentiel » qui se déploie au 19e siècle. Le « capitalisme de trust » ou « capitalismerégulé » lui succède (cf. Schumpeter, 1928 IC, 1939, 1946 ; Dannequin, 2007).

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le risque financier 10. Cependant, un seul individu peut endosser, et c’estd’ailleurs souvent le cas au sein de la firme, plusieurs fonctions. Ainsi, l’inno-vation et l’invention, ont souvent été réalisées par la même personne(Schumpeter, 1939, I, p. 85) 11. A l’époque de la Révolution industrielle, oùles petites firmes constituent le cœur de l’économie, le cumul des fonctionsau sein de la firme est fréquent. L’innovation se distingue mal du manage-ment, de la gestion, voire de l’apport de capitaux parce que ces diversestâches sont réalisées par un seul agent. « En règle générale l’entrepreneurd’une époque antérieure 12 était non seulement le capitaliste, il était – et ill’est encore le plus souvent aujourd’hui – aussi l’ingénieur de son exploita-tion, son directeur technique, dans la mesure où ces fonctions ne sont pasune seule et même chose et où, dans des cas spéciaux, on ne fait pas appel àun spécialiste de métier. Il était et il est aussi le plus souvent son propre ache-teur et vendeur en chef, la tête de son bureau, le directeur de ses employés etde ses travailleurs : parfois, bien qu’il ait en règle générale des avocats, il estson propre juriste dans les affaires courantes. C’est seulement en remplissantquelques-unes de ces fonctions ou bien toutes qu’il arrive d’habitude à exer-cer sa fonction spécifique d’entrepreneur. Pourquoi ? Parce que l’exécutionde nouvelles combinaisons ne peut pas être une profession qui caractérisel’homme avec toute la clarté qu’exigeait la raison : de même prendre et exé-cuter des décisions stratégiques ne caractérise pas le chef de l’armée, quoiquesoit cette dernière » (Schumpeter, 1926, p. 110). Un entrepreneur assume leplus souvent d’autres fonctions et ce d’autant plus que l’entreprise (la fonc-tion assumée par l’entrepreneur) est temporaire. Un entrepreneur ne faitacte d’entreprise qu’au cours de l’exécution, de l’introduction de la nou-veauté dans le système productif 13. “Nobody ever is an entrepreneur all thetime, and nobody can ever be only an entrepreneur. This follows from thenature of the function, which must always be combined with, and lead to,others” (Schumpeter, I, 1939, p. 103).

Résumons-nous en rappelant brièvement le projet schumpétérien : unevolonté de clarté, notamment en se différenciant d’auteurs antérieurs, par lamobilisation d’une méthodologie fonctionnaliste. L’entrepreneur innove,

10. Cette fonction est réalisée par le capitaliste qui avance des fonds. Le risque de l’entrepreneurcorrespond davantage au risque endossé par le sportif de perdre une compétition.11. Schumpeter différencie les deux activités notamment par les aptitudes nécessaires à leurréalisation : l’intelligence prime pour l’inventeur, la volonté et plus généralement le leadershippour l’entrepreneur (Schumpeter, 1939, I, p. 85).12. Schumpeter parle ici de l’époque antérieure au 20e siècle.13. Nous nous focalisons ici sur le champ économique. Mais Schumpeter conçoit l’entrepreneurcomme une figure atemporelle, sans doute universelle que ce soit comme chef de clan, d’un vil-lage, ou au sein d’une société socialiste (Schumpeter, 1939, I, p. 223 ; 1935, pp. 107 et 109).

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bref son action est l’entreprise et dans le cadre du capitalisme du 19e sièclecrée souvent une nouvelle unité de production que nous appellerons firme.L’acte de création étant temporaire, l’entrepreneur cesse de l’être pour endos-ser l’habit de propriétaire et de manager. Cette vision s’inscrit dans le constatd’une rationalisation, autonomisation/séparation de l’économique décritepar exemple (mais pas uniquement) par Max Weber, avec qui Schumpeter acollaboré et dont il s’est inspiré. Tout cela transparaît dans l’article (fonda-mental) de 1928 au titre éloquent, L’entrepreneur 14 qui clarifie notamment leconcept d’entreprise et de firme chez Schumpeter et que nous mobilisonsdans les lignes qui suivent.

L’ESSENCE DE LA FIRME

Répétons-le, la firme n’est pas l’entreprise. Bien entendu, les deux notionsentretiennent des relations. La première découle parfois de la seconde,notamment dans le cadre de ce que Schumpeter a nommé le « capitalismeconcurrentiel », puis le « capitalisme intact ». En innovant, en exécutant denouvelles combinaisons, l’entrepreneur « type » va créer une nouvelle firme.Jusqu’à la fin du 19e siècle et l’avènement du Big business, on le trouvera fré-quemment parmi les dirigeants de la firme, qu’il aura fondée (en même tempsqu’une famille d’industriels) ou parmi les propriétaires (1939, I, p. 103). Lafirme s’appréhende chez l’Autrichien comme un « organisme vivant » qui nepeut se résumer à une « boule de billard rationnelle » (Schumpeter, 1939, I,p. 108). Si elle agit sous contrainte, elle ne se réduit pas à un agent qui maxi-mise son profit.

La firme apparaît lorsque “the social whole is leaving the responsibilityfor economic activity to subgroups or individuals, then the collective pro-duction process is separated into units that, seen from the outside, appearindependent, autonomous, in principle left to themselves, and forthwithonly oriented towards their own concern for survival” (1928, p. 2). Bref, ellese constitue en se séparant de la famille, du ménage, en tant qu’organisationspécialisée dans l’économique. François Perroux, s’inscrira dans cette pers-pective quant il décrira ainsi la firme : « L’entreprise combine les facteurs dela production en vue d’obtenir un produit qu’elle écoule sur le marché. Ellene tend pas immédiatement et principalement à satisfaire les besoins de sesmembres. Elle s’oppose sous ce rapport à diverses unités de l’économie agri-cole où des économies fermées de villa et de domaine avaient pour objetprincipal d’assurer la subsistance de leurs membres. Pourvu qu’elle puisse

14. Publié et écrit initialement en allemand, il a été traduit en anglais en 2002 par M. C. Beckeret T. Knudsen.

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vendre son produit au coût ou au-dessus du coût, l’entreprise est satisfaite. »(1948, p. 17-18). En écho à Weber, Schumpeter précise qu’elle est orientéepar le marché et par le « compte de capital » (« capital accounting ») ; sonfonctionnement différent d’autres agents économiques 15. La comptabilitépermet en effet de différencier les agents de leur patrimoine, de clarifier etdévelopper les activités. Les institutions légales comme la SA et la SARLrenforcent ce mouvement. Néanmoins, le droit ne détermine pas la forme dela firme : “The legal form, /.../ does more to distort than to express theessence of the matter. Despite the strong development of corporate law, theenterprise of ‘liberal’ times was usually the enterprise of one man, and onefamily, as the case might be” (Schumpeter, 1928, p. 9). L’économiquedevient affaire de « groupes » ou « d’individus » spécialisés. “If /.../ the socialwhole is leaving the responsability for economic activity to subgroups orindividuals, then the collective production process is separated into unitsthat, seen from the outside, appear independent, autonomous, in principleleft to themselves, and forthwith only oriented towards their own concernfor survival – enterprises” (Schumpeter, 1928, p. 2). La firme cherche à sur-vivre, bien entendu. Mais sa disparition ne signifie pas la disparition del’agent économique qui la gère et des salariés.

Cependant il faut aller plus loin, quitte à reconstituer des éléments éparset au risque de dénaturer le travail de l’Autrichien. La firme constitue uneorganisation au sein de laquelle existe une division du travail, que Schumpetern’étudie pas explicitement. En écho, avec le constat d’une séparation, auto-nomisation et spécialisation des fonctions sociales constitutives d’une unitéde production autonome, on voit poindre divers types de travail, même siSandrine Michel (1996) souligne une faible attention dans les travaux del’Autrichien. Au sein de la firme, plusieurs types de travail existent :

– Le travail comme facteur de production usuel, combiné et appréhendéà travers la fonction de production, par exemple. Schumpeter rejointWalras en évoquant des « prestations de travail » qui vont être com-binées pour produire, quand le maître de Lausanne parle de « servicesproducteurs ».

15. Schumpeter cite et se réfère à Werner Sombart et à Max Weber. Ce dernier écrit dans Histoireéconomique que l’entreprise « travaille avec un compte de capital – c’est-à-dire qu’elle dresse sonbilan – au regard duquel toute mesure prise devient objet de calcul, c’est-à-dire un objet en fonc-tion de quoi sont évaluées les chances d’échange bénéficiaire » (1923, p. 15). Il ajoute, en note debas de page, « Dans l’économie qui en découle, le ‘capital’ représente la masse comptable, laquellecomprend les biens engagés dans une entreprise économique ; le compte de capital est donc aufondement de la forme rationnelle de l’économie lucrative » (nbp 3, p. 15).

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– Le travail du manager, le travail du chef d’entreprise, dans une activitésans innovation consiste à gérer une firme sur une « ligne établie ».Encore une fois, l’Autrichien s’inspire de Walras en aboutissant à unecertaine spontanéité, automaticité de la combinaison des facteurs deproduction dans le cadre de l’économie du circuit 16, de la routine.Bref, « chaque agent économique participe à la direction de la pro-duction : c’est le cas, non seulement d’un agent économique à quiserait échu le rôle de directeur d’une entreprise, mais celui de tous lesagents, et même du travailleur au sens le plus restreint du terme. Encette mesure seulement il y a une direction de la production par despersonnes : du même coup on voit que cette direction de la produc-tion n’est liée ni au fait de prendre des décisions particulières, ni à uneprestation particulière de travail. Il n’y a, en aucun autre sens, de direc-tion de la production par une personne : il y a seulement un méca-nisme pour ainsi dire automatique » (Schumpeter, 1926, p. 26-27). Ala limite, dans l’économie du circuit, le manager est quasiment inu-tile, tout du moins en faire la théorie l’est. Le passé, l’expérience cons-tituent des guides suffisant pour l’action. Par contre, le travail del’entrepreneur peut être appréhendé comme un «troisième facteur deproduction » qui n’existe pas toujours ou tout du moins pas demanière continu au sein de la firme (Schumpeter, 1926, p. 210) 17.

Ces différentes tâches n’ont pas le même rôle, la même importance,quant à leur implication sur la dynamique du capitalisme ; c’est le travail de

16. Dans Théorie de l’évolution, Schumpeter envisage deux types d’économie. Dans le circuit, lesactions économiques correspondant à une « réponse adaptative » sont fondées sur l’expérience ;le changement est possible mais lent. Au sein du capitalisme, l’entreprise, « la réponse créative »,engendre l’évolution.17. Notons aussi l’évocation presque euphorique d’un Schumpeter constatant le travail surhumainde l’entrepreneur, notamment dans le cadre de la grande entreprise qui réussit par une volonté (depuissance ?) après une dure journée de labeur routinier à innover. Ne résistons pas à la tentationd’une citation : « la puissance de travail et la résistance nerveuse sont plus étroitement liées au suc-cès qu’on ne le pense en général. Il faut considérer que, dans un poste de direction, les industrielsont un nombre démesuré de travaux de routine à expédier pendant la première partie de la journée,que, par la suite, ils arrivent dans un état de fraîcheur ou de fatigue très variable aux ‘réunions detravail’ ou aux ‘négociations’, et que de cet état dépend en grande partie leur aptitude à s’imposer.En conséquence, le moment du travail véritablement créateur, qui constitue le fondement d’unevéritable politique de direction industrielle, se trouve repoussée à des heures avancées de la soiréeou de la nuit ; la plupart ont alors perdu l’énergie et l’originalité dont ils auraient besoin, si bien quel’étude des dossiers nouveaux et des décisions importantes se fait dans un état de fatigue et de las-situde intellectuelles. Quelques-uns seulement conservent suffisamment d’énergie pour être, àl’heure des décisions, en pleine possession de leurs moyens. Le lendemain, la différence se fait sen-tir. Cette somme d’énergie doit se compléter (comme pour le type d’entrepreneur traditionnel) parune acuité de vue toute particulière, c’est-à-dire par l’aptitude à se concentrer sur l’affaire en cours

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l’entrepreneur qui en constitue le premier moteur. Sandrine Michel (1996)en souligne l’originalité : « Cette originalité tient selon nous au fait que, fon-damentalement, ce travail ne fonctionne pas comme une marchandise. Sondécrochage de la production en est, paradoxalement, une cause et une con-séquence. Il en est une cause car les principales prérogatives permettant deréaliser une combinaison nouvelle, création et gestion, sont séparées du tra-vail utilisé dans la production par leur appartenance aux monopoles sociauxde création et de gestion. Il en est une conséquence dans la mesure où lesconditions d’apparition d’une innovation sont tellement incontrôlables quele travail de l’agent économique socialement désincarné /… / qui l’injectedans l’économie ne peut faire l’objet d’aucune préparation et, a fortiori,d’aucune transaction » (1996, p. 102). Cependant, ces propos ne sont vala-bles que dans le cadre du capitalisme où les grandes firmes sont peu présen-tes. Si le travail de création reste en partie incontrôlable car en partieimprévisible, reste que le statut de l’entrepreneur va se transformer avec lacroissance des firmes, avec un capitalisme du Big business où l’entreprise etl’innovation vont se « routiniser » en devenant l’affaire de spécialistes.

Si l’entreprise existe de tout temps, cela ne peut être le cas de la firme.Son origine et son fonctionnement sont associés à des éléments qui ne sontpas économiques comme la densité de la population, la sécurité, un certainniveau de richesse, etc. (Schumpeter, 1928, p. 4). Mais aussi à des facteursinstitutionnels. L’existence d’une unité de production capitalise est corré-lée avec 2 faits sociaux : “first, of the existence of private – contractual –possibilities of command over the means and outcomes of production. Privateownership is usually associated with the existence of the physical means ofproduction, even if this is not in principle a necessity. In important histori-cal case, private ownership is also associated with labour power”. Schumpe-ter ajoute “the existence of a mentality prone to economic activity, whosemost important derivates are an experimentally developed technique of pro-duction, a mode of economic calculation geared towards being useful for pri-vate enterprising, and a corresponding design of commercial law and economicpolicy” (1928, p. 4-5). Une nouvelle fois, on ne peut que constater l’éclec-

et à se fermer aux autres sollicitations et, en somme, par un esprit froid et inflexible, qui n’exclutd’ailleurs pas la passion » (Schumpeter, 1927, p. 179). Et 57 ans plus tard, l’emphase est de retour,sous la plume de George Gilder qui constate que « l’entrepreneur se lève avant le soleil et prendplaisir à travailler de cinq heures du matin à neuf heures du soir », tout en déplorant que « Le jeunehéritier pense que la fortune viendra au joueur ou à l’avare, aux surdoués géniaux, à ceux qui ontdes relations, à ceux qui exploitent le travail des autres ou jouissent d’appuis politiques, à ceux quiont reçu un talent personnel, une certaine étendue de terre, d’autres ressources naturelles ou uneinexplicable veine à tous les jeux ; l’entrepreneur sait que le génie s’accomplit dans la sueur, la peineet le sacrifice, que les ressources naturelles ne sont rien sans l’apport de l’intelligence et de l’appli-cation humaine » (L’esprit d’entreprise, Fayard,1985, p. 14).

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tisme de l’Autrichien, bien loin du dénigrement de certains économistesd’aujourd’hui engoncés dans leurs équations et autre fonction de production,leur « boule de billard rationnelle ». Le temps faisant son œuvre, la firme serépand dans tous les secteurs. D’anciennes formes de production se transfor-ment (des fermes deviennent des firmes). Elle transforme la société encréant des structures sociales à son image comme aux Etats-Unis (Schumpe-ter, 1928, p. 8). L’organisation de la production et donc la forme de la firmechangent. Certes, le commerce a toujours coexisté avec l’industrie, néan-moins, les premières firmes sont des firmes commerciales 18. Après le déve-loppement du putting-out system parallèlement à l’artisanat, qualifié parSchumpeter (1928, p. 11) de « forme organisationnelle des entreprises d’unesociété pauvre », la croissance de la consommation permet, depuis le 14e siè-cle, l’avènement des manufactures (« simple rassemblement de travailleurs »)et des usines (« orientées par des processus mécaniques »). Néanmoins, loind’un étapisme 19 ou d’un évolutionnisme strict, certaines organisations per-sistent encore, comme aujourd’hui l’artisanat. Notons que Schumpeter nedénigre pas ce type de firme. Au contraire, fidèle à son hypothèse d’une per-sistance de certains traits d’une période à l’autre, il constate l’importance dela mentalité, des valeurs présentes en leur sein : “The professional spirit ofthe crafts, the master’s pride in the products, is an essential element of anytype of professional work, even in modern industrial work” (Schumpeter,1928, p. 11).

Résumons-nous une nouvelle fois. La forme de la firme procède d’unecertaine contingence marquée, entre autres, par des facteurs non économi-ques (sociaux, politiques, etc.). C’est d’ailleurs pourquoi les unités de pro-duction diffèrent d’un pays à l’autre, d’une époque à l’autre. Cette organisation,ancienne, n’existe que lorsque un processus de séparation/autonomisationémerge dans une société, en particulier (mais pas seulement) sous l’influencede divers facteurs institutionnels et d’une augmentation des richesses. Leterme institutionnel renvoie ainsi à des institutions sociales avec la prégnancede l’économique comme moyen d’acquérir du prestige, de connaître uneascension sociale ; des institutions juridiques à l’instar de la propriété privée,du développement de certains statuts séparant le patrimoine du ménage etde l’organisation productive. Schumpeter relativise l’apparente autonomiede la firme, tout d’abord parce que : “the social whole never completely dele-gates the care of the collective economic process to the apparently indepen-dent units – not even when this would part of the ideology of national

18. Schumpeter écrit ainsi que « le commerce a créé l’entreprise » (1928, p. 12).19. Schumpeter aurait sans doute décoché quelques traits acerbes aux tenants d’une Révolutionindustrielle reposant sur une succession des formes d’organisation productives avec un rempla-cement des unes par les autres.

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politics, for example according to the spirit of the liberal principle – butalways, only a limited domain is delegated that changes according to time,place, situation, etc., and whose boundaries cannot be determined ‘notio-nally’, ‘generally’, or ‘factually’” (1928, p. 3). Et puis, les cartels, le lobbying,les résistances, les banques, etc. pèsent également sur les frontières de lafirme. Ces dernières dépendent, notamment quand leur acte de naissanceprovient de l’innovation, du crédit et du système bancaire (1928, p. 8).

La production d’une firme est tournée vers l’extérieur, vers le marché : ils’agit de satisfaire les besoins d’individus n’appartenant pas à l’organisationdans la perspective d’un profit. Ces éléments constituent donc un socle, lescaractéristiques d’une « permanence » de toute firme capitaliste. Ainsi,“while the enterprise changes incessantly, there is no change at all in itsunderlying principles, i.e., it is not to say that in the distinguishable, changing‘epochs’, revolutions in the nature of economic activity take place, whichcorrespond to principles that are distinct in their economic core”. D’ailleurs,“the merchant of the 11th century who imported silk, animal skins, jewels,wine, oil, tusk, copper, tin, glass, silver, etc. to England, is different from themerchant of today, or the merchant of the times of Tacitius, neither becausehis economic sense was any different, his thoughts were of a completely dif-ferent economic kind, nor because his acts followed different principles, butbecause he faced different circumstances, and with that, different tasks”(1928, p. 7).

Cependant, l’essence du capitalisme réside dans le mouvement. Les ins-titutions de la société capitaliste connaissent aussi des transformations.Ainsi, une histoire fondée sur les travaux de Schumpeter, voit la fin du capi-talisme intact et l’avènement du capitalisme régulé à la fin du 19e début du20e siècle. Ce dernier se caractérise par le développement des grandes firmes etde la bureaucratie, ainsi que de l’hostilité envers le système, ces différents élé-ments entretenant des relations d’interdépendance (Dannequin, 2006, p. 102).Or, « il est clair que la transformation des entreprises en sociétés anonymeset les phénomènes de concentration viennent compliquer notre analyse :aussi nous faut-il distinguer entre l’entreprise privée dirigée par un proprié-taire unique et la grande entreprise moderne à caractère anonyme »(Schumpeter, 1927, p. 174).

LES TRANSFORMATIONS DU CAPITALISME : L’EXPANSION DU « BIG BUSINESS »

La prégnance de la grande firme s’explique pour des raisons complexes queSchumpeter n’expose pas toujours très clairement, voire de façon cohérente.L’Autrichien constate, comme bien d’autres, la rupture (mais pas totalement)

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avec les temps « libéraux », avec le capitalisme « intact » du 19e siècle : lafirme n’est plus « la firme d’un homme, d’une famille » (Schumpeter, 1928,p. 9). La concentration constitue un phénomène fondamental du capita-lisme de la fin du 19e. La taille de la firme dépasse « la taille compatible avecla libre concurrence » (idem). Cependant, Schumpeter ne conclut pas à ladisparition de toute concurrence et à un monopole pour chaque production.“It is quite rare that normal competition wipes out all but one or two esta-blishments of an industry” (1928, p. 10). Ainsi, « les phénomènes de con-centration capitaliste ne répondent pas entièrement aux idées qui sontdiffusées à ce sujet dans le public /…/. Ce processus est moins avancé et il estplus entravé par des réactions ou par l’effet de tendances compensatricesqu’on ne pourrait le croire à s’en tenir à maint exposé de vulgarisation. Enparticulier, l’entreprise de grande échelle, si elle annihile des petites mai-sons, ouvre également, dans une certaine mesure, un champ d’activité à depetites firmes industrielles et, surtout, commerciales. De même, en ce quiconcerne les paysans et les farmers, le monde capitaliste a finalement prouvéqu’il voulait et pouvait mettre en œuvre une politique de protection coû-teuse, certes, mais dans l’ensemble efficace. A long terme, cependant, on nesaurait guère mettre en doute ni le phénomène de concentration progressive,ni ses conséquences. » (1947, p. 191). La « destruction créatrice » se carac-térise ici par la concurrence des grandes firmes engendrant à la fois la faillitede certains petits établissements mais également de marchés potentiels pourd’autres. En sus de constater la pérennité des petites firmes, il aborde égale-ment la question des limites de la croissance de l’efficacité avec la taille.« L’accroissement de toute entreprise est limité d’une façon précise. Quandla limite est atteinte, le rendement croissant qui constituait la force de lagrande entreprise sur le marché fait place à un rendement décroissant, lesfrais et les pertes augmentent par suite de difficultés tenant, entre autres cau-ses, à la main-d’œuvre ou au renouvellement des matières premières »(Schumpeter, 1931, p. 411).

En attendant, le « Big business » permet la production de masse et doncla consommation de masse. En effet, “also it is clear that the potentialities ofmass production can be fully realized only by concerns that are beyond thesize compatible with perfect competition” (Schumpeter, 1946C, p. 200). Leschangements organisationnels, l’expansion de la taille moyenne des firmesconstituent une réponse à la hausse de la consommation. Cependant,Schumpeter insiste peu sur ce dernier aspect. Plus enclin à évoquer l’offre,l’Autrichien mobilise un temps la fonction de production comme moded’appréhension de l’entreprise, de l’innovation 20. Une innovation organisa-

20. Par exemple dans Business Cycles, I, p. 87.

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tionnelle modifie ainsi la fonction de production et induit donc une baissedes coûts unitaires.

La grande firme va être le terrain d’un approfondissement de la divisiondu travail, de la spécialisation des fonctions : la polyvalence fonctionnellecède la place aux spécialistes dans la société du capitalisme régulé où labureaucratie va se diffuser. Schumpeter, en bon « élève » de Weber, constateun processus de bureaucratisation dont l’origine n’est pas capitaliste, mais« pré et extra capitaliste ». Weber évoque ainsi « la direction administrativebureaucratique » comme « le type le plus pur de domination légale » (Weber,1921, p. 294). Dans son acception idéaltypique, cette organisation hiérar-chisée se compose de fonctionnaires compétents, qui « n’obéissent qu’auxdevoirs objectifs de leur fonction », percevant une rémunération liée à leurrang et à leur responsabilité, et dont les membres ont été sélectionnés.Schumpeter rejoint Weber en constatant une expansion du « collectif », del’organisation à l’intérieur des firmes 21 où le calcul tend à remplacer le lea-dership (Schumpeter, 1946, p. 418), où l’incertitude est moindre et le risquesans doute plus faible. La prévision, la réduction des risques une politiqued’investissement à long terme sont désormais envisageables. Et ce d’autantplus que le consommateur est « manipulé », voire « éduqué », par des « tech-niques psychologiques élaborées de publicité » (1939, I, p. 73). Schumpeterécrit ainsi : “the great majority of changes in commodities consumed hasbeen forced by producers on consumers who, more often that not, have resis-ted the change and have had to be educated up by elaborate psychotechnicsof advertising” (1939, I, p. 73). L’Autrichien anticipe bien la théorie de lafilière inversée de Galbraith 22, même s’il écrit que « L’évolution capitalistedémocratise la consommation » (1947, nbp 1, p. 217). En effet, Schumpeters’oppose à la théorie de la préférence révélée par laquelle les producteursdétectent des besoins et y répondent : quel consommateur aurait pu imagi-ner le chemin de fer ? “Railroads have not emerged because any consumerstook initiative in displaying an effective demand for their service in prefe-rence to the services of mail coaches. Nor did the consumers display anysuch initiative wish to have electric lamps or rayon stockings, or to travel bymotorcar or airplane, or to listen to radios, or to chew gum” (1939, I, p. 73).

Ne retrouve-t-on pas ici une nouvelle fois l’idée d’une rationalisation dela société, d’une expansion de la « rationalité en finalité » au détriment d’un

21. Une nouvelle fois, Schumpeter se trouve en accord avec un Max Weber qui écrit : « En prin-cipe, cette organisation est également applicable /…/ aux entreprises de profit, aux entreprises cha-ritables ou à n’importe quelle autre entreprise poursuivant des buts privés idéaux ou matériels. »(Weber, 1921, p. 295).22. Développé dans Le nouvel état industriel. Essai sur le système économique américain, Gallimard, 3ème

édition, 1979, pp. 258 à 265.

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certain « héroïsme » ? La grande firme se rapproche donc des administra-tions publiques. “From the perspective of economic sociology, the modernenterprise transcends the driving forces and the kind of people associatedwith the enterprise of the competitive economy, and in its essence, structureand methods increasingly approaches the character of a public administra-tion. In part from this source, but mainly from other sources, which alreadyappeared in the competitive economy, the economic subjects develop amentality that detaches them from emotional and interest-led relations toindividual enterprises and individual persons, changes their old motivation,deprives their accomplishment of its personal character and moves their psy-chological focus away from family life towards professional life, dilutes pri-vate ownership of the means of production to majority ownership and tendsto stripe private ownership of its lively content and its cultural-sociologicalimportance” (Schumpeter, 1928, p. 10). Bref, les transformations institu-tionnelles de la firme sont bien liées aux transformations de la société danssa globalité. En effet, la bureaucratisation de la société affecte les valeurs dela société capitaliste. La croissance des grandes firmes, du « Big business »aux Etats-Unis (en sus du big States) s’accompagne de la création d’unebureaucratie très puissante depuis la guerre civile (Schumpeter, 1949, p.443). La participation aux deux conflits mondiaux ont également favorisé ceprocessus 23.

Si les valeurs, la culture dans les grandes firmes diffèrent de la culture despetites firmes, le processus de sélection s’est aussi transformé. Dans la sociétécapitaliste, le dynamisme économique, l’évolution repose sur des individusexceptionnels, une élite. L’existence de leaders au sein de la grande firmebureaucratisée persiste, mais tend davantage vers des critères moins liés ausuccès de l’entreprise : “It means the passing out of existence of a system ofselection of leaders which had the unique characteristic that success in risingto a position and success in filling it were essentially the same thing – as weresuccess of the firm and success of the man in charge – and its replaced by ano-ther more akin to the principles of appointment or election, which charac-teristically divorce success of the concern from success of the man, and call,just as political elections do, for aptitudes in a candidate for, say, the presi-dency of a combine, which have little to do with the aptitudes of a good pre-

23. Schumpeter évoque également l’inflation. Une des modalités de lutte contre celle-ci « le con-trôle des prix peut se traduire par une capitulation de l’initiative privée devant l’autorité publique,c’est-à-dire par un grand pas dans la direction de l’économie intégralement planisée » (Schumpeter,1950, p. 446). En effet, si les firmes sont rendues responsables de la hausse des prix, de nouvellesrestrictions, de nouvelles réglementations peuvent survenir en entravant davantage le « systèmede la libre entreprise ». De plus, “inflation undermines allegiances to that system, and demoralizeslabor and the salaried class as does nothing else” (Schumpeter, 1948, p. 251).

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sident” (Schumpeter, 1928 IC, p. 385). Avant le 20e siècle, les leadersaccédaient à ce statut en créant une entreprise et par là même se trouvaientincorporés au sein de la classe bourgeoise ; ce n’est plus le cas au sein desgrandes firmes. Avec l’érection des grandes firmes, les élites dominanteschangent parce que les modalités de sélection ont changé (Schumpeter,1928 IC, p. 385). Les entrepreneurs ne créent plus de firmes. Les élites con-quièrent le pouvoir sans doute comme les politiciens habiles le font sansgarantie qu’ils soient les mieux placés pour remplir la fonction qu’ils vontassumer. Dans la grande firme, la capacité à nouer des relations, à faire desdiscours constituent des atouts pour conquérir les postes de direction. Demême que des personnes aux profils peu adéquats peuvent arriver à la têted’une firme (Schumpeter, 1927, p. 180). On comprend mieux alors la dia-tribe de François Perroux : « Quand l’entrepreneur est traité en fonction-naire, le capitalisme est malade ; si l’entrepreneur est un fonctionnaire, lecapitalisme est mort » (1948, p. 108).

Et puis, on pourrait convoquer une approche en termes de gouvernanceoù sont questionnés les rapports de pouvoirs entre les différents groupes com-posant la firme. Les managers, les directeurs prennent le pouvoir. Onretrouve ici des éléments au cœur du débat sur la volonté de montrer la supé-riorité du modèle socialiste de production caractérisé par la propriété collec-tive des moyens de production et la planification. N’oublions pas non plus lecélèbre opus de James Burnham publié en 1941, encensé par le regretté JohnKenneth Galbraith, L’ère des organisateurs. Ce débat trouve ses fondements,selon Jacques Sapir, dans « les expériences de planification faites en Allemagneentre 1915 et 1918 » (Sapir, 2003, p. 133). Or, Schumpeter a participé en1918 à une commission sur la nationalisation des terres, tout en ne cessantjamais de s’interroger sur le socialisme comme dans son plus célèbre ouvragepublié en 1942, Capitalisme, socialisme et démocratie, mais en regrettant sapossible arrivée. Cette remarque constitue un élément expliquant laméfiance de l’Autrichien au regard du collectif, même si cette méfiance neprend pas la forme d’un ultra libéralisme à la Hayek. Et puis n’oublions pasque cette transformation institutionnelle qui sépare/spécialise les créateurs,les managers, les financiers et les propriétaires participe au déclin du capita-lisme. Les leaders sont moins propriétaires, les entrepreneurs potentiels sontdes salariés, des professionnels, sans doute plus enclins à mobiliser leurtalent, à franchir les étapes vers les sommets de l’organigramme, plutôt qu’àse battre potentiellement pour rien.

Résumons-nous à nouveau. Le capitalisme repose sur l’innovation,l’entreprise, mais connaît également des transformations notamment insti-tutionnelles. Ainsi le « capitalisme intact » du 19e siècle reposant sur lapetite firme, cède la place au « capitalisme régulé » où règne la grande firme.

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Le processus de rationalisation prend la forme d’une division du travail plusimportante à l’intérieur de grandes unités de production. Ces dernières peu-vent se développer parce que la demande existe. La conjonction d’unedemande, l’innovation et la rationalisation expliquent l’émergence de ceque Schumpeter a nommé un temps le « capitalisme de trust ». Néanmoins,ces transformations accompagnent des changements institutionnels àl’échelle de la société, de la culture qui s’opposent à la pérennité de l’Ordrecapitaliste 24. Les modes de sélection des élites, la salarisation des entrepre-neurs potentiels, la séparation des propriétaires et des managers, créent leterreau du socialisme.

LA GRANDE FIRME ET LE DÉCLIN DE L’ENTREPRISE

L’innovation et l’entreprise ne sont plus « typiquement » incorporées dansles nouvelles firmes, mais “within the big units now existing, largely inde-pendently of individual persons” (Schumpeter, 1928 IC, p. 384). Le progrèss’automatise en devenant impersonnel. La croissance, l’évolution ne repo-sent plus sur l’initiative individuelle et le leadership. La réponse adaptatives’étend donc et devient prégnante au sein de la grande firme. Mais, ce fai-sant, elle menace la survie de la firme et du système capitaliste. « Ainsi, leprogrès économique tend à se dépersonnaliser et à s’automatiser. Le travaildes bureaux et des commissions tend à se substituer à l’action individuelle »(Schumpeter, 1947, p. 181). Les hommes d’affaires modernes adoptent unementalité de fonctionnaire, de salarié doté d’une moindre volonté de lutter,de se battre à l’inverse « des hommes qui exerçaient au plein sens des termesle droit de propriété et les responsabilités qu’il implique » (Schumpeter,1947, p. 212). Au sein de la firme, la séparation croissante des fonctions depropriétaire, de manager et d’entrepreneur, conjuguée à la bureaucratisationdu monde contribuent à l’arrêt de la création, de l’innovation. « La méthodebureaucratique de traitement des affaires et l’atmosphère morale qu’elle dif-fuse exercent fréquemment, à n’en pas douter, une influence déprimante surles esprits les plus actifs. Cette inhibition tient principalement à la difficulté,inhérente à la machine bureaucratique, de concilier les conditions mécani-ques de son fonctionnement avec l’initiative individuelle. Cette machine nelaisse fréquemment que peu de liberté aux initiatives, mais beaucoup de libertéaux manœuvres hostiles visant à les étouffer » (Schumpeter, 1947, p. 276).

24. Schumpeter emploie le terme d’Ordre lorsqu’il se penche sur la question de la pérennité dela société capitaliste. Ainsi, la destruction créatrice ne menace pas l’ordre, mais crée de l’insta-bilité, à l’encontre du processus de concentration et de la prégnance des grandes entreprises.

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Or, l’initiative individuelle, l’entreprise constituent l’élément clé du mouve-ment. La bureaucratisation tend à éliminer les entrepreneurs et donc l’essencemême du capitalisme : « il est beaucoup plus facile désormais que ce n’étaitle cas dans le passé, d’accomplir des tâches étrangères à la routine familièrecar l’innovation elle-même est en voie d’être ramenée à une routine. Le pro-grès technique devient toujours davantage l’affaire d’équipes de spécialistesentraînés qui travaillent sur commande et dont les méthodes leur permet-tent de prévoir les résultats pratiques de leurs recherches. Au romantismedes aventures commerciales d’antan succède rapidement le prosaïsme, ennotre temps où il est devenu possible de soumettre à un calcul strict tant dechoses qui naguère devraient être entrevues dans un éclair d’intuitiongéniale » (Schumpeter, 1947, p. 181). La grande firme s’accompagne de laremise en cause du prestige des affaires, de l’incitation pour les personnes lesplus douées à créer une dynastie industrielle. « La position des entrepre-neurs, tout comme celle des classes militaires, se trouve menacée dès lors quela fonction remplie par eux au sein du processus social perd de son importanceet elle l’est tout autant lorsque ce déclin tient à la disparition des besoinssociaux servis par ces entrepreneurs que si ces besoins reçoivent satisfactionpar d’autres méthodes plus impersonnelles » (Schumpeter, 1947, p. 183).

Le processus de création de la nouveauté ne peut être durablement routi-nier. En se bureaucratisant, en s’avérant capable de prévoir, de rationaliser,les firmes détruisent les institutions favorables à l’innovation. En mêmetemps, les transformations de la firme vont contribuer à la disparition de laclasse essentielle au capitalisme : la bourgeoisie. « La bourgeoisie dépenddonc de l’entrepreneur et, en tant que classe, elle est condamnée à vivre et àmourir avec lui /.../ si l’évolution capitaliste – le ‘progrès’ – ou bien prend fin,ou bien devient complètement automatique, le support économique de labourgeoisie industrielle sera finalement réduit à des salaires analogues à ceuxqui rémunèrent la besogne administrative courante, exception faite pour lesrésidus de quasi-rentes et de bénéfices monopolistiques dont on peut s’atten-dre qu’ils persisteront en décroissant pendant un certain temps. Commel’initiative capitaliste, de par ses réussites mêmes, tend à autonomiser les pro-grès, nous conclurons qu’elle tend à se rendre elle-même superflue – à éclateren morceaux sous la pression même de son propre succès. L’unité industriellegéante parfaitement bureaucratisée n’élimine pas seulement, en ‘expropriant’leurs possesseurs, les firmes de taille petite ou moyenne, mais, en fin decompte, elle élimine également l’entrepreneur et exproprie la bourgeoisie entant que classe appelée à perdre, de par ce processus, non seulement sonrevenu, mais encore ce qui est infiniment plus grave, sa raison d’être »(Schumpeter, 1947, p. 183-184). Ainsi, l’affaiblissement de la classe moteur ducapitalisme, la bourgeoisie, est en route. La fonction de leader se démocratise

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en rendant l’entreprise trop aisée par une extension du champ du calculable(Schumpeter, 1928, p. 26). “A number of difficulties that were, and still are,essential tasks for the entrepreneur to overcome, tend to disappear. Andoftentimes, what earlier required – and to a large extent still today requires– ‘eye’ and ‘personality’, is today becoming specialised professional work thatcan be learned. The only thing that can be questioned is how far this pro-cess, which in its nature cannot be stopped, has already progressed, how fastit will progress, and whether a rational economic policy can reasonably buildon the present results of this process” (Schumpeter, 1928, p. 26). Certes, onpeut apprendre certaines tâches, mais sans doute pas le leadership, l’entre-prise. Schumpeter n’est pas Marshall…

Cependant, quelques éléments, certes peu fréquents, illustrent le ques-tionnement autour d’agents « collectifs » capables d’impulser le changementéconomique et social, bref capables d’entreprise. Dans ses derniers travaux(postérieurs à 1945), Schumpeter évoquera à plusieurs reprises un entrepre-neur « collectif ». Ce qui conduira Richard Swedberg à évoquer une secondethéorie de l’entrepreneur chez Schumpeter (Swedberg, 1991a, p. 167). Citonsle passage le plus éloquent à cet égard : “as has been often pointed out, theentrepreneurial function need not be embodied in a physical person and inparticular in a single physical person. Every social environment has its ownways of filling the entrepreneurial function. For instance, the practice of far-mers in this country has been revolutionized again and again by the intro-duction of methods worked out in the Department of Agriculture and by theDepartment of Agriculture’s success in teaching these methods. In this casethen it was the Department of Agriculture that acted as an entrepreneur. Itis another most important point in our research program to find out howimportant this kind of activity has been in the past or is in the present.Again the entrepreneurial function may be and often is filled co-operatively.With the development of the largest-scale corporations this has evidentlybecome of major importance: aptitudes that no single individual combinescan thus be built into a corporate personality; on the other hand, the cons-tituent physical personalities must inevitably to some extent, and very oftento a serious extent, interfere with each other. In many cases, therefore, it isdifficult or even impossible to name an individual that acts as ‘the entrepre-neur’ in a concern” (Schumpeter, 1949a, p. 260-261).

Au regard d’autres éléments présents dans des ouvrages ou papiers anté-rieurs à l’instar du fameux Capitalisme, socialisme et démocratie, la perspectivedu socialisme engendré par le développement de la grande firme ne tientplus ou tout du moins la causalité est à nuancer : les grandes firmes, et plusglobalement une organisation « bureaucratisée » peuvent entreprendre.Cependant, il s’avère peut-être hâtif de considérer que les fondements de la

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théorie de l’évolution/développement schumpétérienne aient été boulever-sés. Schumpeter persiste jusqu’au bout dans la potentialité du socialisme,dans les menaces qui pèsent sur le capitalisme. Pour s’en convaincre, il suffitde lire son dernier texte où il écrit : “That bureaucracy has been particularlysuccessful in impressing the values and attitudes of the public servant uponthe mind of the nation. The free-enterprise system is not just a technicaleconomic arrangement that can stand, or even requires, more or less controlor regulation. It is a particular scheme of values and a particular way of life.These are rapidly vanishing from the American scene” (Schumpeter, 1949,p. 443). Bref, le capitalisme semble condamné, mais pas pour des raisons fon-damentalement économiques. Finalement, toute entreprise capitaliste, qu’elleprocède d’une initiative privée ou collective, est menacée d’extinction.

L’expansion du rôle de l’Etat 25 accélère ce processus, notamment par unefiscalité désincitatrice (« hyperprogressive », Schumpeter, 1950, p. 443). Or,l’appropriation privée des fruits de l’innovation sous la forme du profit cons-titue un des éléments clés de l’incitation à investir, à innover pour les entre-preneurs-suiveurs, ceux qui ne sont pas les pionniers, qui ne sont pas dans lestout premiers, mais qui participent tout de même aux changements. Rappe-lons qu’au-delà des présentations si caricaturales d’un entrepreneur « héros »,solitaire dans son garage ou son bureau, Schumpeter pense l’entrepreneurcomme une « troupe », un « essaim » dont la composition n’est pas homo-gène : si tous ses membres sont des leaders, sont plus doués que l’homme dela rue, il existe une hiérarchie du don entre eux. Schumpeter s’inspire ici destravaux de Francis Galton, de Karl Pearson. Ces derniers, penseurs de l’eugé-nique, adhèrent à l’idée d’une transmission biologique de l’intelligence. Cetaspect s’avère en général négligé alors qu’il explique en partie le caractèreexceptionnel de l’entrepreneur et étaye plus encore la prégnance d’un chef,d’un leader, dans les travaux de Schumpeter. Il n’hésite d’ailleurs pas à écrireque « le leadership compte davantage que la propriété » (1939, I, p. 103).Bref, l’impôt sur les bénéfices ne fait que réduire la taille de la troupe. Parconséquent, les firmes fruits de la création des entrepreneurs vont devenir

25. Schumpeter n’est pas opposé à une expansion du rôle de l’Etat, voire à une protection sociale.La croissance de la richesse peut être l’occasion par exemple d’une hausse des allocations de chô-mage ou des pensions de retraite. « La technique et l’ambiance de la lutte pour la législationsociale obscurcissent deux faits, évidents en soi, à savoir que, en premier lieu, une partie de lalégislation est conditionnée par une réussite capitaliste préalable (en d’autres termes par unecréation antérieure de richesses due à l’initiative capitaliste) et que, en second lieu, beaucoup demesures développées et généralisées par la législation sociale ont été auparavant amorcées parl’action de la classe capitaliste elle-même. /…/ de larges allocations versées aux chômeurs repré-senteraient une charge parfaitement supportable, voire même légère. Certes, un laisser-allerexcessif en matière de politique d’emploi ou de financement des secours de chômage pourrait, entout temps, donner naissance à des problèmes insolubles » (Schumpeter, 1947CSD, pp. 98-99).

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plus rare ; en même temps que se développe la séparation de la propriété et du« management » dans le cadre des grandes firmes et des sociétés anonymes.Cette nouvelle modalité de la propriété privée ne trouve pas grâce aux yeux deSchumpeter, qui y voit une incitation amoindrie à la combativité (Schumpeter,1947, p. 194).

Les changements de civilisation, de culture sont l’occasion pour Schum-peter de poursuivre dans cette vision « décliniste ». L’affaiblissement desvaleurs nécessaires au capitalisme est général 26. Ainsi, il n’est pas certainque la discipline soit mieux assurée au sein des grandes firmes. L’autrichiendéplore la perte du sens du devoir et de l’obéissance au sein des ateliers. Or,« une forte discipline n’a pas seulement pour conséquence d’améliorer laqualité et, en cas de besoin, d’accroître le volume du travail. Abstractionfaite de ces possibilités, la discipline constitue un facteur essentiel de l’éco-nomie des ressources. Elle lubrifie les rouages de la machine productive etréduit grandement la gaspillage et l’effort total par unité produite » (Schum-peter, 1947, nbp 1, p. 284). En effet, Schumpeter estime qu’environ un quartdes travailleurs a une faible productivité ; il faut donc les « aiguillonner ».Mais la tâche n’est pas aisée. Le respect, l’obéissance constituent un héritagedu passé, du Moyen Âge 27 : «L’empressement de l’ouvrier à obéir n’a jamaisété inspiré par une croyance raisonnée aux avantages que cette attitude luiprocure personnellement – mais bien à la discipline inculquée par le prédé-cesseur féodal de son maître bourgeois. Le prolétariat a reporté sur ce maîtreune partie – mais non, à coup sûr, la totalité – du respect que ses ancêtresvouaient, normalement, à leurs seigneurs féodaux, dont les descendants ont,à leur tour, grandement facilité la tâche de la bourgeoisie en continuant àexercer le pouvoir politique pendant la majeure partie de l’histoirecapitaliste » (Schumpeter, 1947, p. 286). Or, peu à peu, la discipline s’érode,y compris à l’intérieur de la grande firme. Misère de l’égalitarisme qui « enacceptant l’égalité en matière politique, en enseignant aux travailleurs qu’ilssont des citoyens tout aussi valables que les autres, la bourgeoisie a sacrifiécet avantage hérité du régime féodal.

Pendant un temps, l’autorité subsistante a suffi à masquer la transforma-tion graduelle, mais incessante, qui, à la longue, devait dissoudre la disci-pline d’atelier. Désormais, la majeure partie de cette autorité s’est évanouieen fumée » (Schumpeter, 1947, p. 286). Comme la morale s’avère un outilde moins en moins efficace pour calmer les ardeurs libertaires des salariés, nereste que la menace du renvoi et encore faut-il que cela soit possible. Com-

26. “Private wealth is under a moral ban” (Schumpeter, 1943, p. 183).27. Cf. plus haut le rôle de l’artisanat dans la diffusion d’une habitude à l’obéissance. Rappelons,comme le fait Patrick Verley, que le statut de salarié ne va pas de soi et repose sur la conformation àdes rythmes temporels. Ainsi, il estime qu’un siècle a été nécessaire pour discipliner la main-d’œuvre.

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ment s’étonner alors d’un Schumpeter qui écrit « le socialisme pourrait être leseul moyen de restaurer la discipline du travail » (Schumpeter, 1947, p. 287) ? Or,la coopération est un élément essentiel dans une société et au sein des firmes.Elle repose sur une acceptation de son devoir et donc de leaders, de chefs.Ainsi, “the businessman is essentially a worker who is the leader of otherworkers” (Schumpeter, 1946 FPE, p. 403). Le conflit ne doit pas être tropimportant parce qu’il menace l’Ordre capitaliste. Une nouvelle fois, com-ment alors s’étonner d’un Schumpeter évoquant une possible « troisièmevoie » alternative au socialisme, le « corporatisme associatif » fondé sur laDoctrine Sociale de l’Eglise et la restauration d’un ordre moral (Schumpeter,1946 FPE ; Dannequin, 2004) ?

CONCLUSION

La théorie de la firme chez Schumpeter semble bien inachevée. Finalement,l’Autrichien ne se penche sur l’organisation productive que dans le butd’interroger la pérennité de l’Ordre Capitaliste et donc les « mécanismes »de son mouvement. À cet égard, on ne peut que constater combien la citationde Perroux mise en exergue conserve son intérêt. Les institutions qui se modi-fient avec la montée du collectif, d’un processus de rationalisation, d’unemoindre incertitude y compris pour l’innovation, sont liées à des transforma-tions dans l’organisation qui répondent à une demande en forte croissance, àune volonté de réduction des coûts en modifiant les structures de la firme parla quête de rendement d’échelle. La grande firme, dont l’horizon se stabilisepar un processus de rationalisation, ne procède pas uniquement du progrès dela connaissance des acteurs, par une professionnalisation croissante issue de ladivision du travail, mais également d’un processus de manipulation des con-sommateurs. Se pourrait-il finalement que l’économie du circuit fondée sur laroutine constitue une bonne approximation de ce nouvel ordre ?

La transformation se paye d’une moindre incitation à la nouveauté, parceque les acteurs sont moins concernés, moins poussés à vaincre les obstaclesdans une perspective de mobilité sociale. A tout cela s’ajoutent des valeurs,des pratiques peu cohérentes avec l’Ordre capitaliste : l’égalité tend à réduirela discipline, les valeurs de l’argent sont condamnées, la fiscalité croît. Pour-tant une résistance au capitalisme n’est pas nouvelle. Schumpeter men-tionne une croissance de l’opposition au 16e qui aboutit à l’action de l’Etatet à la loi sur les pauvres. Les deux conflits mondiaux sont des facteurs aggra-vants et sans doute importants dans le processus de bureaucratisation de lasociété et dans la modification des pouvoirs politiques vers des forces moinsfavorables au capitalisme (1946C).

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Finalement, il s’avère bien étonnant de constater comment, dans la théo-rie schumpétérienne, la bourgeoisie résiste aussi peu face à, répétons-le, laperte de discipline, la perte de son pouvoir, la hausse de la fiscalité notam-ment sur les profits, la hausse du droit des travailleurs, la hausse du systèmede protection sociale avec l’Etat providence, comme si atteinte d’un pessi-misme elle acceptait la perspective du socialisme. Pourtant, l’histoire sembledonner tort à Schumpeter avec les efforts de contrôle de la main-d’œuvre,que ce soit par l’intermédiaire du paternalisme (Jorda, 2007) ou du taylo-risme. Certes, le 20e siècle a vu le développement dans les pays capitalistesavancés du droit social, mais, depuis, la classe d’affaires tient sa revanche. Lecapitalisme a su franchir les deux conflits et, depuis 20 ans, la firme ne cessede s’affirmer comme le cœur de la société. D’ailleurs, sa logique semble deve-nir un étalon pour toutes les activités sociales : le « managérialisme 28 »s’étend partout (Jorda, 2007). Le rien pour rien, le non utile (du champ écono-mique) deviennent inacceptables. La mondialisation traduit une extension ducapitalisme à l’ensemble de la planète par le biais notamment des firmes mul-tinationales. Le tout s’accompagnant d’éléments culturels et politiques essen-tiels dans une acception schumpétérienne à l’Ordre capitaliste. Les firmespossèdent la capacité de continuer à produire des besoins et à s’emparer dequestions essentielles et existentielles en engendrant des nouveautés, enentreprenant. Les opportunités d’innover ne manquent pas, des nanotechno-logies au biocarburant en passant par les TIC qui se généralisent, des cafés auxsalles d’attentes des dentistes. Elles peuvent compter sur une civilisation peuencline finalement à lui reprocher ses modes de production et à renoncer,même pour une austérité joyeuse, à une consommation/consumation de masse.

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