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___________________________ Sciences sociales et humaines 1 1 L'ORGANISATION DE L'ENSEIGNEMENT , AU TOGO INDEPENDANT (1960-1992) Essoham ASSIMA-KPATCHA Université de Lomé- Togo RÉSUMÉ L'avènement de l'indépendance imposa aux nouvelles autorités togohiises la nécessité de réorganiser l'enseignement issu de la colonisation. Elles s'y attelèrent en plusieurs étapes. De 1960 à 1975, elles essayèrent de résoudre les problèmes qui se posaient. Elles tentèrent de réaliser plus d'infrastructures et de faciliter l'accès à l'école. Pareillement, elles essayèrent de décoloniser l'enseignement en ancrant l'école dans les réalités locales. Malgré les efforts faits, biens de disfonctionnements persistaient. Cette situation poussa à la grande réforme de l'enseignement de 1975 qui réorganisa tout le système scolaire de fond en comble et définit les conditions dans lesquelles elle devait être appliquée. Cette réorganisation, très bonne en principe, ne fut que très peu appliquée. Elle fut quasiment abandonnée au début de la décennie 1980, alors que le Togo était empêtré dans des difficultés économiques. Au début des années 1990, le résultat de cet abandon fut la persistance des maux qui avaient été diagnostiqués en 1975. Mots-clés: Enseignement, réorganisation, réforme, ABSTRACT The independence advent imposed to new Togolese government the need to reorganize teaching from colonization. They took several steps. From 1960 to 1975, they tried to solve problems which arose. They tried to achieve more infrastructures and make easier to school. Likewise, they tried to decolonize teaching, deeply rooted school in local realities. Despite efforts done, many dysfunctions continued to exist. This situation pushed to great reform of 1975, which reorganized aIls school system from top to bottom and specified the conditions in which it ought to be applied. This reorganization, in principle very good, was few applied. It was almost abandoned in the beginning of 1980 decade, where as Togo was economical troubles. In the beginning of 1990 years, the result ofthis abandon was the persistence of troubles which has been diagnosed in 1975. Key words: Teaching, reorganization, reform. INTRODUCTION De nosjours, l'organisation de l'enseignement pose problème dans les pays en voie de développement. En effet, on a souvent affirmé, à raison, que l'analphabétisme et le manque d'instruction sont, entre autres, des causes majeures du sous- développement de l'Afrique. Par rapport à ce constat, des mesures ont été prises pour réorganiser l'enseignemeht dès le lendemain des indépendances et permettre ainsi aux pays africains de disposer des Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 Semestre) 77

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L'ORGANISATION DE L'ENSEIGNEMENT,AU TOGO INDEPENDANT

(1960-1992)

Essoham ASSIMA-KPATCHAUniversité de Lomé- Togo

RÉSUMÉL'avènement de l'indépendance imposa aux nouvelles autorités togohiises la nécessité de réorganiserl'enseignement issu de la colonisation. Elles s'y attelèrent en plusieurs étapes. De 1960 à 1975, ellesessayèrent de résoudre les problèmes qui se posaient. Elles tentèrent de réaliser plus d'infrastructures etde faciliter l'accès à l'école. Pareillement, elles essayèrent de décoloniser l'enseignement en ancrantl'école dans les réalités locales. Malgré les efforts faits, biens de disfonctionnements persistaient. Cettesituation poussa à la grande réforme de l'enseignement de 1975 qui réorganisa tout le système scolairede fond en comble et définit les conditions dans lesquelles elle devait être appliquée. Cette réorganisation,très bonne en principe, ne fut que très peu appliquée. Elle fut quasiment abandonnée au début de ladécennie 1980, alors que le Togo était empêtré dans des difficultés économiques. Au début des années1990, le résultat de cet abandon fut la persistance des maux qui avaient été diagnostiqués en 1975.

Mots-clés: Enseignement, réorganisation, réforme,

ABSTRACT

The independence advent imposed to new Togolese government the need to reorganize teaching fromcolonization. They took several steps. From 1960 to 1975, they tried to solve problems which arose.They tried to achieve more infrastructures and make easier to school. Likewise, they tried to decolonizeteaching, deeply rooted school in local realities. Despite efforts done, many dysfunctions continued toexist. This situation pushed to great reform of 1975, which reorganized aIls school system from top tobottom and specified the conditions in which it ought to be applied. This reorganization, in principlevery good, was few applied. It was almost abandoned in the beginning of 1980 decade, where as Togowas economical troubles. In the beginning of 1990 years, the result ofthis abandon was the persistenceof troubles which has been diagnosed in 1975.

Key words: Teaching, reorganization, reform.

INTRODUCTION

De nos jours, l'organisation de l'enseignement poseproblème dans les pays en voie de développement.En effet, on a souvent affirmé, à raison, que

l'analphabétisme et le manque d'instruction sont,entre autres, des causes majeures du sous­développement de l'Afrique. Par rapport à ceconstat, des mesures ont été prises pour réorganiserl'enseignemeht dès le lendemain des indépendanceset permettre ainsi aux pays africains de disposer des

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Sciences sociales et humaines _

cadres compétents et de se développer. Mais c'estun fait que ces mesures n'ont donné que des résultatsmitigés, non seulement par rapport à la disponibilitéde ces cadres, mais aussi par rapport à l'adéquationdes formations qu'ils ont reçues avec les besoinsréels de ces pays.

Cette réalité montre la gravité du problème. Dansla mesure où, entre l'éducation traditionnelle et celleeuropéenne venue en Afrique avec la traite négrièreou la colonisation, on ne sait quel type d'instructiondispenser, quel dosage appliquer pour aboutir à desrésultats optimaux.

Au Togo, de la veille de la conquête coloniale à1960, on assista progressivement à la montée d'uneinstruction à l'occidentale qui devint prépondéranteà la fin de la colonisation. L'éducation traditionnelle,bien qu'encore très largement répandue, perdit sonprestige. L'enseignement colonial devintl'instrument de promotion professionnelle etsociale, qui forma de nombreuses générations decames et de travailleurs qualifiés. Ainsi, l'écolecoloniale, sans l'avoir vraiment voulu, a favorisél'émergence d'une élite de scolarisés togolais. Celle­ci joua un rôle décisif dans la lutte pour

l'indépendance.

Mais le processus de scolarisation, tel qu'il fut mené,a conduit aux disparités régionales. Le Togoseptentrional n'a eu accès à l'école que tardivementet d'une façon limitée. La question de lascolarisation devint donc un enjeu politique aumoment de l'indépendance, à une période oùnationalistes et partisans de l'administrationfrançaise s'opposaient au sujet de l'émancipationimmédiate ou non du Territoire (Assima-Kpatcha2000 & Sanda 2006).

Pour preuve, le 8 juin 1954, le secrétaire général del'UCPN, Derman Ayéva, déclarait à la jeunesse duNord réunie en congrès à Lama-Kara: « 11 est tempsque vous compreniez les problèmes que noussommes en train de résoudre pour le bien de nosrégions (.. .). Mais combien avons-nous de médecinsqfricains, d'ingénieurs, d'avocats, de commissairesde police, de juges dans le Nord? Leur nombre estinsignifiant. Vous voyez donc que la

présencefrançaise au Togo, et surtout dans le Nord,est bien nécessaire. Si nos compatriotes sudistesdemandent à lafois l'unification et l'indépendancedu Togo, nous autres nordistes, nous sollicitons lemaintien de la France dans le Nord, car noussommes loin de la civilisation. » (Yagla 1992)

Cette déclaration constitue en elle-même unprogramme et souligne la nette fracture entre lesdeux régions. Elle montre aussi que les problèmesde formation, par ricochet ceux de l'école, étaientaussi au cœur du débat politique durant toute lapériode de la décolonisation du Togo. D'unequestion sociale, la thématique de l'enseignementdevint en plus un problème politique et une donnéestructurelle qui marquera à tout jamais le Togo.

La fin de la colonisation en 1960 mit ainsi lesnouvelles autorités togolaises à la prise avec lanécessité de repenser l'enseignement. En effet, tel.qu'il a été conçu auparavant, il était destiné àsatisfaire prioritairement les objectifs coloniaux.Cette situation ne pouvait plus perdurer d'autantplus que ses effets pervers étaient manifestes.Quelles ont été alors les mesures prises pourréorganiser l'enseignement et résoudre ainsi lesproblèmes qui se posaient?

y répondre nécessite d'affirmer que l'éducation aulendemain de l'indépendance s'inséra dans lecontexte global de l'époque où la tendance étaitd'œuvrer pour le développement du pays.Cependant les premiers moments de l'aprèsindépendance se caractérisèrent d'abord par unecertaine continuité dans les faits. Mais dans lesdiscours officiels, on commença à affirmer l'urgencequ'il y avait de réformer l'état d'esprit dans lequelelle était donnée et de mettre tous les moyensnécessaires pour qu'elle puisse répondre auximpératifs de développement économique et social.

1. Une certaine amélioration dans lacontinuité (1960-1975)

Les nouvelles autorités restèrent d'abord dans lalogique antérieure, notamment la recherche del'appui du priv~. En ce sens, on peut lire dans undocument officiel: « ... le Togo n'estpoint demeuré

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en reste de progrès,. au contraire. il garde. en cettematière, une cote appréciable. {.. .} Le souci devérité oblige à reconnaître que ces missions, parleur œuvre sociale se trouvent à l'avant-garde duprogrès intellectuel des populations africaines. »1

Cette citation montre le rôle non négligeable queles missions chrétiennes ont continué à jouer enmatière de scolarisation au lendemain del'indépendance. Cette donne est ancienne au Togoet remonte d'ailleurs à la période précoloniale (cf.Dravie-houenassou-houangbe 1988 ; Isert 1793,reed. 1989; Ali 1982; Occansey 1972 ; Lange1991 ; Agbobly-Atayi 1980). La toute premièreécole construite au Togo, à Aného, datait de lapériode précoloniale et était celle de la familleLawson. Durant la colonisation, les missionschrétiennes ont largement œuvré à la diffusion del'instruction, surtout au temps des Allemands où laquasi-totalité des écoles étaient de typeconfessionnel parce que les missionnaires pensaientque cela favorisait l'accès aux Saintes Ecritures.Sous les Français, quand bien mêmel'administration s'est beaucoup plus investie, ladonne n'a que très peu changé pendant longtemps.Cela a fait du Togo l'un des pays africains les plusscolarisés au moment des indépendances (Gayibor1997 a & Gayibor 1997 b ; Gayibor 2005). Ainsi, lesystème scolaire colonial, surtout l'organisationmise en place pendant la période tutélaire (en grosde 1946'à 1960), resta en l'état.

En effet, l'après seconde guerre mondiale secaractérisa par l'alignement du système scolairetogolais sur le modèle métropolitain. Dans cenouveau système, l'école primaire durait six ansdont deux au cours préparatoire, deux au coursélémentaire et deux au cours moyen. On en sortaitnanti du certificat d'études primaire. De même, cesystème comprenait un enseignement secondairecomposé de collèges modernes et classiques. Lepremier à être ouvert fut le cours complémentairede Lomé, anciennement école primaire supérieuredepuis la rentrée 1941-1942, qui devint d'abord uncollège moderne et classique à la rentrée 1947-1948,avant d'être ensuite trans formé en LycéeGouverneur Bonnecarrère en 1953.

Progressivement, le nombre des institutionsd'enseignement secondaire s'éleva. En 1954, il yavait 5 établissements de ce genre dont deux publics(en plus du lycée ci-dessus mentionné, il fut créé lecollège moderne et techniqu.. de Sokodé) et troisautres de type confessionnel (le courscomplémentaire évangélique, le collège Saint­Joseph pour les garçons et l'Institut Notre-Damedes Apôtres, pour les filles). On pouvait passer leBrevet d'Etudes du Premier Cycle (BEPC) dontl'organisation incombait en partie aux autoritésacadémiques de l'Université de Paris, et leBaccalauréat (première et deuxième partie) quirelevait de la compétence de l'Université deBordeaux. Des bourses d'études étaient octroyéesaux étudiants togolais sensés être les plus méritantspour se former dans les universités métropolitaines(Gayibor 1997 b: 175-176).

En fait, la réforme de l'enseignement durant lapériode tutélaire ne se limitait pas seulement auTogo. Elle se situait dans la logique d'unréaménagement du régime colonial, décision priseà Brazzaville depuis 1944. Dans cette logique, lesautorités françaises avaient commencé par créer oupar transformer les structures pré-existentes eninstitutions de niveau universitaire. Ce fut d'ailleursdans ce cadre que fut créé, entre autres, l'institutuniversitaire des Hautes Etudes de Dakar en 1950,transformé en Université par un décret du 29 juillet1957 (Capelle 1990 : 189-204).

Capelle, ancien recteur d'Académie d'AOF quiassuma les fonctions de directeur général del'enseignement en AOF, à Dakar, analyse et décritdans les détails cette évolution et on pourrait seréférer à son livre pour plus d'informations. Il ad'ailleurs contribué grandement à la mise en placede la réforme de l'enseignement (Capelle 1990). Cesréaménagements à l'échelle de l'AûF ont d'ailleurspermis aux Togolais de continuer, aprèsl'indépendance, à aller se former à Dakar commeauparavant.

Au Togo, après l'indépendance, le souci souventaffiché par les nouvelles autorités fut de conduirele maximum de jeunes vers le plus haut niveaupossible d'instruction. Dans le cadre de cette

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éducation, il fut créé beaucoup d'autresétablissements. Dans le primaire, au cours del'année scolaire 1961-1962, il Yavait 58971 écoliersdans l'enseignement public et 108 346 écoliers dansle privé de tous ordres. Au secondaire, il continuad'exister les cours complémentaires, les collègesmodernes et les collèges techniques. Ces institutionsdu privé comme du public dispensaient unenseignement aussi bien à l'intention des garçonsque des filles. Il y avait au total 6 110 élèves danstous les établissements du secondaire du Togo en1961-19622

De même, le système de bourse perdurait. Il y avaitdes bourses locales (entières et demies destinées auxélèves méritants mais déshérités) et les bourses àl'étranger octroyées pour les études supérieures.

Dans le cadre de la « Togolisation des cadres »,l'Ecole nationale d'administration (ENA), créée le17 janvier 1959, continua aussi à fonctionner et àformer des fonctionnaires conformément auxbesoins de la jeune République Togolaise3

L'éduëation de masse reçut aussi une attentionconvenable. En effet, la nouvelle administrationconsidérait l'analphabétisme comme « un malsocial habilement cultivépar lefait colonial »4 . Elledécida de le combattre avec vigueur. Elle chargeale Ministère des Affaires Sociales de cette tâche.Celui-ci créa un service spécial d'éducation demasse. Ainsi, il fut recruté des moniteurs formésqui avaient pour mission d'instruire les masses

-rurales. En trois mois, les apprenants s'efforçaientde maîtriser la lecture et l'écriture dans leur languematernelle ou « véhiculaire officielle ». Celamarquait une nette évolution par rapport à la périodecoloniale où les cours d'adultes étaient donnés enfrançais et où les langues nationales étaientinterdites dans les établissements.

Dans ce cadre, on initiait les auditeurs composésde paysans et de mères de famille, aux notionsd'hygiène sociale et de puériculture. Une autreamélioration concernait les clos d'enfants,institutions qui furent pendant longtemps aux mainsdes seules religieuses. Des mesures visant à leurgénéralisation furent édictées5

Un certain effort fut fait pour accroître lascolarisation des jeunes filles. On entreprit, entreautres, de promouvoir et de faciliter leur accès àl'école. On créa à cet effet des écoles pour jeunesfilles dans lesquelles le cours d'enseignementménager était dispensé ... (Awalé 2004).

Les caractéristiques du système éducatif du Togo àcette période ont été clairement analysées par lesautorités administratives de l'époque et, beaucoupplus tard, en) 990 par la « Commission éducation,recherche scientifique, affaires culturelles» de laConférence nationale souveraine. Les conclusionsqui en ont été présentées sont similaires dans lesdeux cas. Ce sont précisément ces caractéristiquesqui poussèrent à réformer le système dans les années1970. Il n'est pas superflu de présenter le diagnosticqui fut posé par la conférence de 1990.

Elle dressa le constat selon lequel au lendemain del'indépendance, l'école comportait l'empreinte desintérêts économiques et politiques coloniaux et secaractérisait par une incompatibilité fondamentalede ses objectifs avec ceux du développement réeldu pays; un sous-développement de ses structures;une inadéquation de ses contenus et de ses méthodesaux réalités et aux besoins nationaux; une faiblessedes effectifs scolarisés, notamment au secondaire.

Malgré tout, il a été constaté que dès l'indépendance,un effort réel fut entrepris pour accroître les effectifs.Les autorités politiques du Togo indépendant ontessayé d'améliorer la situation qu'elles ont héritéede la colonisation. Leurs actions ont été orientéesdans le sens du perfectionnement de la formationprofessionnelle des enseignants.

Ce fut d'abord Martin Sankarédja, Ministère del'Enseignement depuis la victoire des nationalistestogolais aux élections de 1958, qui oeuvra pourréformer le système (plus précisément du 6 juin1958 au 13 janvier 1963).

Lorsque les nationalistes furent renversés par lecoup d'Etat de 1963, Barthélemy Lamboni dirigeace Ministère dans le gouvernement de NicolasGrunitzky qui, en matière d'éducation, commençaà recourir à la France. Dans le cadre des accords

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éducation, il fut créé beaucoup d'autresétablissements. Dans le primaire, au cours del'année scolaire 1961-1962, il Yavait 58971 écoliersdans l'enseignement public et 108 346 écoliers dansle privé de tous ordres. Au secondaire, il continuad'exister les cours complémentaires, les collègesmodernes et les collèges techniques. Ces institutionsdu privé comme du public dispensaient unenseignement aussi bien à l'intention des garçonsque des filles. Il y avait au total 6 110 élèves danstous les établissements du secondaire du Togo en1961-19622

De même, le système de bourse perdurait. Il y avaitdes bourses locales (entières et demies destinées auxélèves méritants mais déshérités) et les bourses àl'étranger octroyées pour les études supérieures.

Dans le cadre de la « Togolisation des cadres »,l'Ecole nationale d'administration (ENA), créée le17 janvier 1959, continua aussi à fonctionner et àformer des fonctionnaires conformément auxbesoins de la jeune République Togolaise3

L'éduëation de masse reçut aussi une attentionconvenable. En effet, la nouvelle administrationconsidérait l'analphabétisme comme « un malsocial habilement cultivépar lefait colonial »4 . Elledécida de le combattre avec vigueur. Elle chargeale Ministère des Affaires Sociales de cette tâche.Celui-ci créa un service spécial d'éducation demasse. Ainsi, il fut recruté des moniteurs formésqui avaient pour mission d'instruire les masses

-rurales. En trois mois, les apprenants s'efforçaientde maîtriser la lecture et l'écriture dans leur languematernelle ou « véhiculaire officielle ». Celamarquait une nette évolution par rapport à la périodecoloniale où les cours d'adultes étaient donnés enfrançais et où les langues nationales étaientinterdites dans les établissements.

Dans ce cadre, on initiait les auditeurs composésde paysans et de mères de famille, aux notionsd'hygiène sociale et de puériculture. Une autreamélioration concernait les clos d'enfants,institutions qui furent pendant longtemps aux mainsdes seules religieuses. Des mesures visant à leurgénéralisation furent édictées5

Un certain effort fut fait pour accroître lascolarisation des jeunes filles. On entreprit, entreautres, de promouvoir et de faciliter leur accès àl'école. On créa à cet effet des écoles pour jeunesfilles dans lesquelles le cours d'enseignementménager était dispensé ... (Awalé 2004).

Les caractéristiques du système éducatif du Togo àcette période ont été clairement analysées par lesautorités administratives de l'époque et, beaucoupplus tard, en) 990 par la « Commission éducation,recherche scientifique, affaires culturelles» de laConférence nationale souveraine. Les conclusionsqui en ont été présentées sont similaires dans lesdeux cas. Ce sont précisément ces caractéristiquesqui poussèrent à réformer le système dans les années1970. Il n'est pas superflu de présenter le diagnosticqui fut posé par la conférence de 1990.

Elle dressa le constat selon lequel au lendemain del'indépendance, l'école comportait l'empreinte desintérêts économiques et politiques coloniaux et secaractérisait par une incompatibilité fondamentalede ses objectifs avec ceux du développement réeldu pays; un sous-développement de ses structures;une inadéquation de ses contenus et de ses méthodesaux réalités et aux besoins nationaux; une faiblessedes effectifs scolarisés, notamment au secondaire.

Malgré tout, il a été constaté que dès l'indépendance,un effort réel fut entrepris pour accroître les effectifs.Les autorités politiques du Togo indépendant ontessayé d'améliorer la situation qu'elles ont héritéede la colonisation. Leurs actions ont été orientéesdans le sens du perfectionnement de la formationprofessionnelle des enseignants.

Ce fut d'abord Martin Sankarédja, Ministère del'Enseignement depuis la victoire des nationalistestogolais aux élections de 1958, qui oeuvra pourréformer le système (plus précisément du 6 juin1958 au 13 janvier 1963).

Lorsque les nationalistes furent renversés par lecoup d'Etat de 1963, Barthélemy Lamboni dirigeace Ministère dans le gouvernement de NicolasGrunitzky qui, en matière d'éducation, commençaà recourir à la France. Dans le cadre des accords

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qui furent signés en ce sens, le Togo pouvaitsolliciter l'appui de la coopération technique de cepays. Ainsi se renforcèrent les liens de coopérationfranco-togolaise. Dans ce cadre, le système scolairefut planifié au moyen des plans quinquennaux. Lepremier, celui de 1965-1970, a prévu ledéveloppement des structures de l'Ecole NormaleSupérieure (ENS) d'Atakpamé, la création de ladirection de la planification de l'éducation, ledéveloppement de l'enseignement secondaire grâceà la création des collèges d'enseignement généralet technique en nombre suffisant.

En 1967, Grunitzky perdit le pouvoir et d'autrespersonnes furent appelées à gérer le secteur del'enseignement. Mais cela ne mit pas fin à laplanification, puisque le second plan quinquennal,celui qui allait de 1971 à 1975 se préoccupa del'accélération de la scolarisation et de la formationdes cadres en vue de faire face aux besoins del'économie, alors en pleine croissance grâce auboom de la vente du phosphate, l'une des principalesrichesses du Togo (Tchakpala 2005 : 24-25 &Doamekpor 2005).

Avec la prise du pouvoir par les militaires à partirde 1967, ce fut le tour de Benoît Yaya Malou des'occuper de l'Education. Celui-ci fut le véritableartisan de la réforme de l'enseignement au Togo.Ses actions déterminèrent grandement l'orientationdonnée au système scolaire togolais (M'gboouna2002 : 75-76). Cet homme, né en 1932, neveu duchef de l'Etat d'alors, le général GnassingbéEyadema (dont il était d'ailleurs le confident), étaitmembre du Rassemblement du Peuple Togolais dèssa création en 1969. Il disposait donc d'une grandemarge de manœuvre et des coudées franches pourappliquer. sa vision de ce que devait êtrel'enseignement au Togo (Decalo 1976 : 113).D'ailleurs d'ethnie kabyè, donc sensible à lasituation de la sous-scolarisation du Togoseptentrional, il était désireux de remédier à cettesituation et aux disfonctionnements issus de l'écolecoloniale qui subsistaient dans l'enseignement post­colonial.

En effet, la formation des enseignants n'était pasconvenablement planifiée. les effectifs à scolariser

dépassaient de loin les capacités d'accueil dusystème scolaire dans un contexte où l'éducationde masse était le credo des Etats africainsindépendants, la disparité régionale persistait et leTogo septentrional, quoique ayant fait des progrès,était largement sous scolarisé... (Tchakpala 2005 :26-29). Benoît Yaya Malou parvint rapidement àla conclusion qu'il convenait de réformer totalementle système éducatif togolais.

En fait, les nouvelles autorités politiques togolaisesn'ont pas totalement rompu avec la tendance quenous avons déjà décrite, notamment leur désird'élever le niveau des études. Elles optèrent pourune autonomie en matière de formation de niveausupérieur. Elles cherchèrent à former sur place leurspropres médecins, ingénieurs, vétérinaires,pharmaciens et autres cadres qui l'étaient jusque-làdans les universités étrangères.

Le Togo et le Dahomey entrèrent dans une logiquede coopération afin d'atteindre leurs objectifscommuns d'autosuffisance en matière de formationde leurs cadres supérieurs. Cette volonté d'œuvrerensemble résultait des ressources humainescompétentes insuffisantes qui ne permettaient pasà chacun des deux pays, pris individuellement,d'être autosuffisant en la matière. En plus, àl'époque, il y avait un état d'esprit panafricanistefavorable à ce genre de projet. En outre, on peutévoquer l'histoire commune de ces deux territoiresqui ont été réunis en une union personnelleDahomey-Togo dans l'entre-deux-guerres, au tempsde la crise économique des années 1930. A l'époque,les deux pays avaient disposé de structures deformation communes. Ils 'avaient aussi eu à être

,représentés par un délégué commun et unique àl'assemblée nationale. française après la secondeguerre mondiale (Comevin 1987 ; Sossou 1994).

Toute cette donne rendait cette coopération possibl~.

Elle aboutit à la création d'un centre embryonnaire

1 Service de )'infonnation du Gouvernement du Togo, Annuaire du Togo1962, édition du Service de l'infonnation du Gouvernement du Togo1962, p.60.'Idem, pp. 60-61.J Ibidem, pp. 62-66.4 Ibidem, p. 68., Ibidem, pp. 68-70.

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qui furent signés en ce sens, le Togo pouvaitsolliciter l'appui de la coopération technique de cepays. Ainsi se renforcèrent les liens de coopérationfranco-togolaise. Dans ce cadre, le système scolairefut planifié au moyen des plans quinquennaux. Lepremier, celui de 1965-1970, a prévu ledéveloppement des structures de l'Ecole NormaleSupérieure (ENS) d'Atakpamé, la création de ladirection de la planification de l'éducation, ledéveloppement de l'enseignement secondaire grâceà la création des collèges d'enseignement généralet technique en nombre suffisant.

En 1967, Grunitzky perdit le pouvoir et d'autrespersonnes furent appelées à gérer le secteur del'enseignement. Mais cela ne mit pas fin à laplanification, puisque le second plan quinquennal,celui qui allait de 1971 à 1975 se préoccupa del'accélération de la scolarisation et de la formationdes cadres en vue de faire face aux besoins del'économie, alors en pleine croissance grâce auboom de la vente du phosphate, l'une des principalesrichesses du Togo (Tchakpala 2005 : 24-25 &Doamekpor 2005).

Avec la prise du pouvoir par les militaires à partirde 1967, ce fut le tour de Benoît Yaya Malou des'occuper de l'Education. Celui-ci fut le véritableartisan de la réforme de l'enseignement au Togo.Ses actions déterminèrent grandement l'orientationdonnée au système scolaire togolais (M'gboouna2002 : 75-76). Cet homme, né en 1932, neveu duchef de l'Etat d'alors, le général GnassingbéEyadema (dont il était d'ailleurs le confident), étaitmembre du Rassemblement du Peuple Togolais dèssa création en 1969. Il disposait donc d'une grandemarge de manœuvre et des coudées franches pourappliquer. sa vision de ce que devait êtrel'enseignement au Togo (Decalo 1976 : 113).D'ailleurs d'ethnie kabyè, donc sensible à lasituation de la sous-scolarisation du Togoseptentrional, il était désireux de remédier à cettesituation et aux disfonctionnements issus de l'écolecoloniale qui subsistaient dans l'enseignement post­colonial.

En effet, la formation des enseignants n'était pasconvenablement planifiée. les effectifs à scolariser

dépassaient de loin les capacités d'accueil dusystème scolaire dans un contexte où l'éducationde masse était le credo des Etats africainsindépendants, la disparité régionale persistait et leTogo septentrional, quoique ayant fait des progrès,était largement sous scolarisé... (Tchakpala 2005 :26-29). Benoît Yaya Malou parvint rapidement àla conclus'ion qu'il convenait de réformer totalementle système éducatif togolais.

En fait, les nouvelles autorités politiques togolaisesn'ont pas totalement rompu avec la tendance quenous avons déjà décrite, notamment leur désird'élever le niveau des études. Elles optèrent pourune autonomie en matière de formation de niveausupérieur. Elles cherchèrent à former sur place leurspropres médecins, ingénieurs, vétérinaires,pharmaciens et autres cadres qui l'étaient jusque-làdans les universités étrangères.

Le Togo et le Dahomey entrèrent dans une logiquede coopération afin d'atteindre leurs objectifscommuns d'autosuffisance en matière de formationde leurs cadres supérieurs. Cette volonté d'œuvrerensemble résultait des ressources humainescompétentes insuffisantes qui ne permettaient pasà chacun des deux pays, pris individuellement,d'être autosuffisant en la matière. En plus, àl'époque, il y avait un état d'esprit panafricanistefavorable à ce genre de projet. En outre, on peutévoquer l'histoire commune de ces deux territoiresqui ont été réunis en une union personnelleDahomey-Togo dans l'entre-deux-guerres, au tempsde la crise économique des années 1930. A l'époque,les deux pays avaient disposé de structures deformation communes. Ils 'avaient aussi eu à être

,représentés par un délégué commun et unique àl'assemblée nationale. française après la secondeguerre mondiale (Comevin 1987 ; Sossou 1994).

Toute cette donne rendait cette coopération possibl~.

Elle aboutit à la création d'un centre embryonnaire

1 Service de )'infonnation du Gouvernement du Togo, Annuaire du Togo1962, édition du Service de l'infonnation du Gouvernement du Togo1962, p.60.'Idem, pp. 60-61.J Ibidem, pp. 62-66.4 Ibidem, p. 68., Ibidem, pp. 68-70.

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d'enseignement supérieur qui devint en 1965-1966,Institut d'Enseignement Supérieur du Bénin dontles structures se répartissaient entre les deux pays.Un accord signé entre la France, l'ex-puissancecolonisatrice, le Togo et le Dahomey permitl'ouverture à Lomé, dans ce cadre, d'un Centre desLettres modernes alors qu'un Institut des Sciencesa été installé au Dahomey.

Cette organisation permit aux étudiants de suivreles cours dans l'un ou l'autre des pays en fonctiondes filières choisies. Progressivement cependant, lesstructures établies évoluèrent pour devenirl'Université du Bénin (grâce au décret n070-156 du14 septembre 1970), dépendant totalement du Togoet disposant de tous les établissementsd'enseignement supérieur, afin de lutter contre lemanque de cadres compétents considéré commel'une des causes du sous-développement(M'gboouna 2002 : 75-79).

Il est un fait qu'à l'époque, l'approche« développementiste» était la penséecommunément admise et les experts de tout poilmiroitaient le fait que pour les pays africains, lasortie du sous-développement passait par la voiede l'industrialisation, sur le modèle européen. Celan'était possible que si ces pays disposaientsuffisamment de cadres qualifiés et compétents. Onsait que l'évolution dont nous avons fait état avaitun précédent en AOF, notamment à Dakar où latendance fut de lutter pour la transformation del'institut supérieur qui y était créé en une vraieuniversité (Capelle 1990).

Une autre donne est le fait que les autoritéstogolaises avaient aussi perçue l'interaction entreles enseignements secondaires et supérieurs. Lacréation d'une université nécessitait du coup laréorganisation du système scolaire qui était jusque­là mcohérent dans son organisation. Les problèmesd'adaptation qualitative, quantitative et structurellede l'école aux besoins du pays restaient entiers. Destentatives pour améliorer le système furentenclenchées à partir de 1969, année où une réformefondamentale de l'enseignement fut annoncée dansle programme du RPTI .

Le décret 70-141 du 13 juillet 1970 créa le conseilsupérieur de l'éducation qui avait pour missiond'émettre les avis et les recommandations sur toutesles questions d'intérêt national concernantl'éducation et l'enseignement et la réorganisationdu système d'enseignement ét de l'éducation. Lesactions de cet organe composé de civils et demilitaires aboutirent, en 1975, à la réorganisationtant attendue du système scolaire togolais(Tchakpala 2005 : 29-30).

2. La grande réforme de l'enseignementde 1975

Dans le document final de la grande réforme de1975, on trouve inscrit, cet extrait du programmedu Rassemblement du Peuple Togolais, devenuentre temps le parti unique: « Si l'on veut éviterque l'enseignement soit unfrein au développementéconomique et social, un énorme gaspillage, et quel'école devienne une fabrique de chômeurs, ilimporte qu'une réforme fondamentale et profondesoit opérée )).

Ce bout de phrase résume l'idée qui sous-tendait laréforme de 1975~ Il s'agissait donc pour les auteursde cette réorganisation de faire de l'école uninstrument de développement économique et socialet éviter qu'elle ne conduise les scolarisés auchômage.

Dans la logique de cette vision, le système éducatiffut réorganisé autour de cinq points principaux: lesobjectifs, la structure, les programmes et lesméthodes, les installations scolaires et lefinancement et, enfin, les conditions de réussite dela réforme. Il s'agissait d'installer « l'écolenouvelle ))2 •

A la base des objectifs de l'école nouvelle, il futétabli des principes dont le premier fut de créer uneécole démocratique. Selon ce premier principe,l'école était gratuite et, en principe, obligatoire pourtous les enfants des deux sexes de deux ans à 15ans. Il devait exister des possibilités permettant àceux qui le pouvaient, de continuer à peu de fraisleur propre formation. La réforme réaffirma que lesélèves soient orientés selon les critères objectifs et

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les aptitudes « vocationelles » vers les carrièresprévues dans les plans de développement.

Le second principe fut d'instituer une école rentablequi dépend de plusieurs facteurs comme laqualification des enseignants, le matériel didactique,les rapports démocratiques entre les enseignants etles apprenants fondés sur les méthodes actives,l'institution de l'éducation post-scolaire etpermanente pour tous, l'éducation des parents, lesmeilleures prestations sanitaires faites aux acteursdu monde de l'éducation. On préconisa la luttecontre les redoublements par des moyenspédagogiques et didactiques appropriés. Il futégalement retenu la création des institutionsspécialisées adaptées aux enfants handicapés ouinadaptés.

L'un des axes les plus importants fut la décisiond'adapter l'école au milieu en développement. Celapassait par les langues nationales, les valeursculturelles locales adaptées aux exigencesmodernes. Il fut décidé d'enseigner l'expressionorale, plastique, musicale, technologique, etc.

Il était reconnu que le privé pouvait concourir à laréalisation des objectifs de la réforme3

• La réformea défini le profil que l'école nouvelle devaitformer: « L'Ecole doitformer des individus saints,équilibrés et épanouis dans toutes les dimensions.»Elle insista sur la formation de l'esprit critique,scientifique et logique, la liberté d'expression. Bref,« Le citoyen ainsi formé sera équilibré, ouvertd'esprit, capable de s'adapter aisément à toutes lessituations nouvelles, plein d'initiative et apte à agirsur le milieu pour le transformer. »4

Concernant l'insertion du citoyen scolarisé dans lavie active, la réforme affirma sans ambages: « Ilfaut adapter les structures scolaires aux besoins enmain-d'œuvre. »Pour réaliser cet objectif, elle prévitdes centres d'apprentissage, des établissementsprofessionnels, des possibilités d'orientationscolaire et professionnelle. Cette rubrique se conclutainsi: « Une fois lesjeunes scolarisés intégrés dansla vie active, l'école doit intervenir à une troisièmeétape pour assurer l'éducationpermanente et offrirà chaque citoyen la possibilité d'assurer sa proprepromotion dans la vie active selon ses propresforces. »5

La structure mise en place divisa l'école en quatredegrés. L'enseignement du premier degré comportadeux niveaux: les Jardins d'enfants quiaccueillaient les enfants de deux ans pour unepériode de trois ans et l'école primaire où on entraità l'âge de cinq ans pour une scolarité de six ans.L'enseignement du deuxième degré était scindé endeux cycles: le cycle d'observation et celuid'orientation. Le premier devait donner unenseignement général et durait deux ans. Dans lesecond, les élèves devaient être orientés dans lesdivers établissements selon leurs goûts et aptitudes.L'enseignement du deuxième degré était dispensédans les Collèges d'Enseignement Général (CEG),les Collèges d'enseignement Technique (CET), lesCollèges d'Enseignement Agricole (CEA) et lesCollèges d'Enseignement Artistique et Artisanal(CEAA). Ils étaient accessibles à tous les élèvesayant terminé le cours primaire.

La fin des études au CEG ouvrait la voie aux écolesdu troisième degré (Lycée d'enseignement général),aux écoles spécialisées ou professionnelles (EcolesNormales des Instituteurs, Ecole Nationale desAuxiliaires Médicaux, Ecoles des Sages-Femmesd'Etat, etc.). A la fin des CET, CEA, CEAA, onpouvait accéder aux lycées techniques, aux lycéesagricoles, aux écoles nationaies des arts et métiers,aux autres écoles spécialisées ou entrer dans la vieactive. Il était prévu un stage de perfectionnementdans un Centre de Formation Permanente pour lesélèves trop jeunes qui ne pouvaient entrer dans lavie active aux termes de la législation du travail enVIgueur.

Les institutions auxquelles on pouvait accéder à lafin de l'enseignement du deuxième degré,établissements que nous avons déjà cités ci-des~s,

constituaient l'enseignement du troisième degré. Ilfaut simplement ajouter qu'au nombre- de ceux-ci,il y avait en plus l'Institut National de la Jeunesseet des Sports et le Centre National de FormationSociale. Il était prévu que l'enseignement dequatrième degré comportât de grandes écoles etfacultés.

1 Conférence Nationale Souveraine, Rapport général de la conférencenationale souveraine, commission 5 : éducation-recherche scientifique­affaires socio-culture//es, Lomé, 1991. p 6.2 Ministère de J'Education Nationale, La réforme de l'enseignement auTogo (forme condensée), Lomé, 1975.J Idem, pp. 7-9.4 Ibidem, p. 9., Ibidem, pp. 9-10.

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On insista sur l'obligation, la mixité et laréintégration des jeunes filles mères dans le système.Il fut aussi réaffirmé la nécessité de généraliser tousles ordres d'enseignement et de créer les structuresmanquantes. On définit en plus le principe d'unemeilleure organisation des structuresadministratives centrales de « L'Ecole Nouvelle ».La tendance fut également de rechercher un certainéquilibre dans l'organisation du temps scolaire. Unenouvelle orientation fut donnée concernant lesprogrammes et les méthodes de l'enseignement dansle sens des objectifs.

Entre autres, la réforme affirme : « On supprimeradans lesprogrammes tout ce qui n'est que livresque,tout ce qui ne constitue qu'un luxe de l'esprit ettout ce qui n'estpas immédiatement efficace. Dansce sens, on supprimera dans le Deuxième Degré lelatin et le grec, dont l'utilité n'estpas évidente pourla formation jusqu'à la fin de ce degré. Cesdisciplines seront étudiées dans le Troisième Degré,dans les séries spécialisées. »

Autre chose, on opta pour l'allègement desprogrammes en insistant sur l'enseignement deséléments relatifs au Togo et au milieu desapprenants. Enfin, il fut décidé l'introduction del'enseignement des langues nationales, l' éwé et lekabyè.

La décision fut prise d'impliquer les parentsd'élèves dans la gestion des écoles. On définit lesprincipes d'installations scolaires (qui dépendaientde la population scolarisable, de la distance entrel'école et les centres de peuplement, la configurationgéographique) et, pour les établissementsspécialisés, intervient en outre la relation formation­emploi. On voulait que l'école soit le plus prochepossible des élèves et qu'il y ait suffisammentd'élèves pour que les structures mises en placesoient rentables.

Concernant le financement des écoles, la réformedispose que l'Etat, les organismes nationaux etinternationaux et les contributions de parentsdevaient en être les sources. On a aussi prévu queles communes, les circonscriptions administratives,les sociétés étatiques, les banques de la place, les

organismes de sécurité sociale, les firmescommerciales, les taxes sur les produits de luxe etl'aide extérieure bilatérale ou multilatéralepouvaient aussi être mobilisés à cette fin.

Les modalités d'application de la réforme étaient,qu'au niveau primaire, l'Etat participe à laconstruction des infrastructures scolaires, enfournissant les matériaux. Les collectivitéssecondaires et les villages devaient apporter leurscontributions en nature et en main-d' œuvrebénévole. Pour les autres niveaux, la chargeincombait totalement à l'Etat qui devait aussiprendre en charge le traitement de tout le personnelenseignant et administratif du privé comme dupublic dans l'enseignement. Il avait l'obligation defournir à chaque enseignant, tout le matérielnécessaire et d'assurer l'entretien des locaux avecla contribution d~s parents d'élève et descollectivités.

Au sujet des conditions matérielles, on prévoyaitselon les niveaux, des cantines, des bourses, descrédits, des foyers, des équipements pédagogiqueset culturels, des restaurants des soins médicaux etde la médecine curative, les frais pharmaceutiques,le transport, des bourses d'études pour l'étranger,une assurance collective ...

Des conditions pour la réussite de la réforme furentaussi clairement énumérées. D'abord, il fallaitdonner la possibilité aux gens de s'exprimer surtoutes les questions concernant la réforme au moyend'une politique d'animation de masse. De même,une politique de financement appropriée etsuffisante devait aussi être ménée. Une politiqueculturelle valorisant la présence des languesnationales dans les examens et la production,l'édition et l'octroi de prix à des œuvres littérairesdans ces langues était aussi nécessaire.

Ensuite, en matière politique et administrative, lacondition d'une réussite de la réforme était que laconception et la gestion de la réforme soient confiéesaux nationaux qui devaient résister à tout prix auxinfluences et pressions politiques extérieures,susceptibles de freiner son application intégrale. Enoutre, les conditions économiques étaient aussi très

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importantes, dans la mesure où «Le développementde l'emploi est donc l'une des conditionsindispensables de succès des écoles spécialisées. »6

Enfin, quant aux modalités de la carrière desenseignants, il était attendu que, «Pour que l'Ecolenouvelle puisse porter les fruits attendus, il fautque le maître soit un individu sain, équilibré,discipliné, possédant une bonne maîtrise desméthodes et techniques pédagogiques modernes etde solides connaissances scientifiques soutenuespar une conception dialectique du monde. Eprisde liberté et de justice, il doit connaître ses droitset ses devoirs et être animés de conscienceprofessionnelle.»7 Pour cela, il faudrait relever etaméliorer à la fois le niveau et les conditions derecrutement, notamment, assurer au personnelenseignant une formation initiale, le matérielapproprié, le recyclage périodique et leur octroyerdes avantages matériels et financiers incitatifs. Demême, il devait être évalué et remis à niveau aubesoinS.

La réforme ainsi élaborée fut appliquée. Il estintéressant de voir son impact sur le fonctionnementdu système scolaire togolais jusqu'en 1990, annéede la Conférence nationale souveraine qui marqueun nouveau départ pour le Togo.

3. L'application de la réforme de 1975 et lefonctionnement du système scolaire togolaisjusqu'à la conférence nationale souveraine(1975-1990)

Le lendemain de la réfonne semble être marqué parde sérieux efforts pour améliorer le système éducatifet pour réaliser la démocratisation de l'éducation.Le résultat en fut l'augmentation des effectifs detous degrés d'enseignement qui passèrent de432 000 élèves en 1975 à 730 000 élèves en 1990,soit un accroissement moyen annuel de 3,55%.

Plusieurs établissements de tous niveaux furentcréés sur toute l'étendue du territoire et cela, avecune progression constante. Le boom phosphatier

6 Ibidem, p 337 Ibidem p 33• Ibidem, pp. 10-37.

du début des années 1970 permit la réalisation assezlouable de la réfonne dans un premier temps. Maisalors que tout semblait évoluer normalement,l'économie togolaise entra en récession. Bientôt, leTogo tomba sous le joug d'un programmed'ajustement structurel et l'euphorie de la prospéritédes années 70 ne fut plus qu'un souvenir lointain.On assista alors à la déscolarisation, c'est-à-dire àla chute du taux de scolarisation, consécutive à laréduction drastique des investissements dansl'éducation. Le phénomène s'installaprogressivement à partir de 1980, année où ce tauxétait de 72%. La première année de baisse fut 1981,avec un taux de 68,4%. Cette tendance baissière sepoursuivit jusqu'en 1985 où il fut de 52,2%. Ils'amorça un redressement jusqu'à 1990 où ilatteignait 62,9%.

En 1990, le taux de scolarisation net était de 73,6%dans la région maritime, 69,7% dans la région desplateaux, 61,5% dans la région centrale, de 53%dans la région de la Kara et de 29% dans la régionde la savane. On voit ainsi que la régionseptentrionale continua à demeurer moins scolariséeque le Sud, malgré la remontée spectaculaire quieut lieu.

La déscolarisation toucha essentiellement lesecondaire et ses autres causes étaient la restrictiond'accès à ces établissements par le contrôle plusrigoureux des admissions en classe de 6ème, leconcours d'entrée en seconde, les conditions derétention plus strictes dans le système scolaire, lerétablissement du baccalauréat première partie, etc.

Il fut aussi un fait vrai que les effectifs des étudiantsde l'Université du Bénin connurent une haussecontinue. La cause en est l'augmentation deseffectifs dans le secondaire et le niveau deredoublement élevé à l'université. La tendance quivoulait que la quasi-totalité des cadres fussentfonnée surplace conduisit à confier plus que jamaiscette mission à l'université. Cela était d'autant plusvrai que les bourses d'études à l'étranger seraréfiaient et étaient octroyées à compte-gouttes,surtout avec la crise sociopolitique des années 1990qui vint aggraver la situation. Les effets d'une tellepolitique furent le nombre très restreint d'étudiants

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togolais poursuivant leurs études à l'étranger.Les difficultés de l'enseignement dans ce contexteviennent d'un rapide accroissement de la populationscolarisable dans un contexte économiquedéfavorable ne permettant pas les investissementsnécessaires dans l'éducation. La mauvaise gestiondes ressources y est aussi pour quelque chose danscette donne (INRS 1991 : 50-51).

Concernant les infrastructures, un important effortfut également fait. En 1973-74, il y avait 1 128écoles primaires, nombre qui s'éleva à 2429 écolesen 1988-89. La même tendance haussière était demise dans le secondaire. En matière de matérielpédagogique, il se manifesta une certaine volontéd'améliorer la situation comme le démontre lacréation de la Direction de la formation Permanentede l'action et de la recherche Pédagogique (DIFüP).Mais les actions étaient insuffisantes (INRS 1991 :52).

La lutte contre l'analphabétisme se poursuivitégalement avec deux objectifs. Il s'agissait defamiliariser la population avec les projets dedéveloppement en lui donnant un complément deformation et de parvenir à créer, par ce biais, descommunautés responsables, capables de répondreaux exigences des nouvelles techniquesd'exploitation agricole ou artisanale. La nécessitéde réaliser cet objectif entraîna la création descentres d'alphabétisation fonctionnelle.

L'enseignement qui y était donné se composait d'uncomplément de formation professionnellepermettant aux auditeurs de mieux accomplir leurstâches quotidiennes, essentiellement les activitésàgricoles ; un complément de formation socio­économique qui donne aux bénéficiaires un senscivique plus aigu et qui les pousse à participer plusactivement à l'amélioration de leur niveau de vie;une formation culturelle sur la façon dont lesconnaissances acquises en lecture, l'écriture et lecalcul peuvent être utilisées pour résoudre lesproblèmes personnels et communautaires.

Les programmes entrepris dans le cadre de laréforme de 1975 insistèrent plus particulièrement

sur l'alphabétisation des femmes avec un certainsuccès. En 1989, il existait au Togo 662 centresmixtes, 377 centres fémif.lJns et 113 centrestraditionnels. Ceux-ci accueillaient respectivement9634 ; 7 985 et 2 186 auditeurs (INRS 1991 : 48­49).

Au sujet du personnel enseignant, il fut créé uneécole de formation des jeunes enseignantes desjardins d'enfants en ce qui concerne le préscolaire.Elles y sont admises après le BEPC et y sont forméestrois ans durant en pédagogie. En 1988-1989, on ytrouvait 352 enseignantes. La réforme a ainsi permisque s'organise un enseignement préscolaireindépendant de l'enseignement confessionnel.

Pour le premier degré, on comptait 5 627enseignants de tous grades en 1975. Ces effectifss'accrurent de 7,91% de 1975 à 1980. Ce taux fléchitensuite pour n'être que de 2,7% de 1980 à 1985.Finalement, ce taux de croissance annuelle devintnégatif de 1985 à 1990, soit 0,18%. Ceteffondrement résultait, entre autres, de l'applicationd'une politique restrictive en matière d'accès àl'emploi dans la fonction publique, chose résultantdu programme d'ajustement structurel auquel leTogo était soumis. Il apparaît que l'objectifd'assurerun meilleur encadrement aux apprenants que laréforme a énoncé, n'a pas été réalisé.

Pour le deuxième degré, le nombre des enseignantsétait de 3 302 pour l'année scolaire 1988-1989. Leurniveau restait relativement faible, avec une forteprédominance des brevetés. Cependant, laproportion des bacheliers était en progression(26,7%), de même que celle des licenciés (3%).Certaines catégories d'enseignants comme lesprofesseurs d'initiation agricole, d'arts plastiqueset de musique manquaient.

La formation pédagogique du personnel enseignantétait insuffisante, ce qui influait négativement surle rendement scolaire. Il est à constater d'une partque la volonté de relever le niveau des enseignants,quand bien même elle a été ébauchée, n'a pas puêtre réalisée. De l'autre, le manque de professeursdans les matières ci-dessus énumérées a toutsimplement empêché que celles-ci soient

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enseignées.La même année (1988-1989), dans l'enseignementdu troisième degré, on disposait seulement de 764enseignants relativement bien qualifiés. Mais on entrouvait encore qui n'avaient que le probatoire et lebaccalauréat. Nombre d'entre eux avaient le statutde vacataires et étaient employés parce que coûtantmoins chers à l'Etat. Il sévissait une grande pénuried'enseignants, surtout dans les matièresscientifiques, en dessin, en musique et enenseignement ménager.

Quant à l'Université du Bénin, toujours en 1988­1989, on dénombrait 276 enseignants dont 211Togolais. Les effectifs des Assistants et des Maîtres­Assistants étaient très élevés, au contraire de ceuxJes Maîtres de Conférences, des chefs de travauxet des Professeurs titulaires qui étaient très restreints.Il n'y avait pas de professeur de chaire.

Le manque d'enseignants qualifiés et le niveau trèsmoyen de certains d'entre eux à l'Université duBénin a conduit à recourir aux fonctionnaires ou àdes jeunes diplômés, avec le statut de vacataires.Cela facilite l'accès à l'emploi aux jeunes et permetà l'Etat de faire des économies sur leurs salaires.Mais le contrecoup est le rendement qui estsusceptible de souffrir de cette situation (INRS1991 : 54). Cependant il est indéniable quel'Université du Bénin, à l'image de toutes les autresde l'Afrique francophone, malgré tous les problèmesauxquels elle fut confrontée, a quand mêmecontribué à la formation de hauts cadres dont le paysavait besoin (Gonidec 1965).

En plus de tout ce qui a été dit plus haut, on voitque la disposition de la réforme qui visait à assureraux enseignants de bonnes conditions de vie, doncde bonnes rémunérations, n'a pas été appliquée.Au contraire, leur emploi a été précarisé et lesenseignants, victimes de bas salaires, se sont doncretrouvés dans une situation d'indigence matérielleet financière.

En outre, les effectifs dans les classes sont demeuréssouvent pléthoriques, dans un contexte où lematériel didactique n'existait quasiment pas et que

la formation pédagogique dont ils devaientbénéficier leur a été que rarement fourni. Cettesituation montre toute la difficulté qu'il y a eu àappliquer la réforme de 1975.

Cet état lamentable du système d'enseignement n'apas manqué de retenir l'attention de la conférencenationale de 1990.

4. De la conférence nationale souveraine aux étatsgénéraux de l'éducation (1990 -1992)

Au début des années 1990, il soufflait dans le mondeun vent de démocratisation qui n'épargna pas leTogo. La contestation de l'ordre établi fut lancée,dans ce pays, par les évènements du 5 octobre 1990(Kadanga 1992). Le régime togolais d'alors ne pritpas la juste mesure des choses. Les manifestantsfurent traités de désoeuvrés, de manipulés, dechômeurs, etc.

Au regard de la réforme de 1975, le système éducatiftogolais n'était pas censé produire ces genres demarginaux. Comment en est-on arrivé à en trouverdans un pays régi par un système prétendu parfaitet, de ce fait, incontestable? Cette interrogation nepréoccupa nullement le gouvernement d'alors quise situa dans la logique du tout répressif.

Pourtant, sa responsabilité est engagée car, sous leparti unique qui a sévi jusque-là, l'alternance n'étaitpas à l'ordre du jour. Les mêmes personnes furentau pouvoir de 1967 à cette date. Ces prétenduschômeurs, manipulés et désoeuvrés sont le produitde leur gouvernance. Faute à eux d'avoir dressé desconstats objectifs par rapport à la situation del'enseignement et d'y remédier, ce fut à laconférence nationale souveraine que le diagnosticfut posé.

La conférence nationale souveraine posa le constatselon lequel la réforme de 1975 s'articulait autourde trois objectifs principaux: la démocratisation,la rentabilité et l'adaptation. Après analyse de lasituation, elle aboutit à la conclusion selon laquellela démocratisation n'a pu être réalisée.

D'abord il y avait l'écart entre le taux de

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scolarisation des garçons et celui des filles qui esttrès sensible en défaveur de ces dernières. Ensuite,l'accès des filles à un niveau élevé d'instruction étaitplus que marginal. Enfin, aucune mesure ne fut prisepour réaliser l'0 bligation et la gratuité scolaire.

Concernant la rentabilité, on souligna qu'elle abaissé, de sorte que le taux de redoublement était à30%. Cette situation provenait des effectifspléthorj.ques des élèves, du manque d'enseignantsqualifiés, de l'insuffisance et de l'inadéquation dumatériel didactique, de l'absence d'orientation desélèves et des étudiants, du détournement du tempsscolaire par les autorités politiques aux finsd'animation politique de haies « vives» des élèves.

Quant à l'adaptation de l'école au milieu, elle n'apas été mise en œuvre, à part quelques mesures desaupoudrage comme l'introduction des languesnationales et les semaines scientifiques et

culturelles.

Les programmes et les méthodes ont continué àdemeurer problématiques parce que les enseignantsn'ont pas été formés à appliquer les nouvellesméthodes d'enseignement et d'évaluation. Il y avaiten plus les effectifs pléthoriques qui ne pennettaientpas une évolution dans le sens de ces méthodes. Lefinancement était très largement insuffisant.

Pour conclure, le constat suivant futfait: « L'objectif de démocratisation, sans êtreatteint, se réalise au détriment de l'objectif derentabilité. L'objectif d'adaptation est loin d'êtreatteint. En dépit des efforts consentis, on constateun écart important entre les principes de la réformeel le fonctionnement réel de l'école. L'insuffisancede structures d'accueil et d'équipement adaptés auxobjectifs définis, jointe à l 'indi.~ponibilité et à larareté des re,l'sources humaines quahli(;es ontparalysé (i maints égards toutes entreprzses. »1

Sur tous ies autres volets de l'èducatlon, le mêmeconstat d'échec était dresse. Une lecture attentivedu texte de la réfonne et une observation minutieusedes réalisations montrent plutôt que la réforme n'apas été appliquée. En fait. au lieu de parler d'échec,il est pius vraï de parler d'abandon rie la reforme

face aux difficultés financières que le Togo aconnues entre temps.

En outre, l'absence de la liberté d'expression (quiavait pourtant été présentée comme une conditionsine qua non à sa réussite par les auteurs de laréforme) qui a caractérisé les années d'applicationde la réforme, a grandement contribué à cette donne.La conférence nationale souveraine préconisa latenue des états généraux de l'éducation qui furentorganisés du 4 au 13 mai 1992 à Lomé, au Palaisdes congrès. Ceux-ci confirmèrent largementl'autopsie faite à la conférence nationale et mêmeapprofondirent le diagnostic qui avait étéantérieurement dressé. Tous les points furent passésau peigne fin : les enseignements des premier,deuxième et troisième degrés, l'enseignementsupérieur, l'enseignement technique et la formationprofessionnelle, l'éducation non formelle et larecherche scientifique.

A l'issue des débats, le rapport général adressa desrecommandations qui semblaient marquer unnouveau départ. D'une façon générale, il futdemandé que les tâches des cabinets et secrétariatsgénéraux chargés de coordonner les activités desservices techniques soient plus clairement précisées,que des mesures soient prises pour faciliter lacirculation des informations au sein de ces servicespour une meilleure efficacité, que l\~ducationet lafonnation professionnelle soient en relation plusétroite.

Ces mesures allaient en fait dans le sens d'uneréorganisation du Ministère de l'EducationNationale et de la Recherche Scientifique et durenforcement de celui de l'enseignement technique.La tendance fut même de proposer la création d'unministère spécifique à l'enseignement supérieur,chose qui fut réalisée plus tard, au début de ladécennie 2000.

La seconde proposition forte fut l'actualisation decertaines orientations de la réforme de 1975,notamment la gratuité scolaire, la structure du

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système articulé en quatre degrés, les languesnationales, les disciplines nouvelles, etc.

Par rapport à cette exigence, il fut demandé qu'uneffort particulier soit fait pour que le matérieldidactique et les bibliothèques soient disponibles,que les disparités au point de vue régional soientréduites et même disparaissent. Il fut proposél'introduction de nouvelles disciplines(informatique, initiative privée, la démocratie, lesdroits de l'homme, etc.), la revalorisation decertaines autres (dessin, musique, arts plastiques,éducation physique et sportive, etc.), une autrepolitique des langues nationales qui doivent êtrebeaucoup plus promues et plus orientées versl'alphabétisation fonctionnelle, l'amélioration desconditions des apprentis, de la gestion de l'éducation(structures, financement, évaluations, orientationsdes apprenants, la gestion des bourses, etc.).

Concernant l'enseignement professionnel, l'accentfut mis sur sa restructuration et sur le développementdes ressources humaines. Au regard des différentsrapports dressés dans les commissions, on se rendcompte que la réforme de 1975 est en fait une assezbonne réforme.

Mais le problème vient du fait que ce sont lesmoyens, Ir sérieux dans la gestion et la volontépolitique qui manquent à son application.

Quant aux recommandations des états généraux del'éducation, elles ne furent quasiment pas appliquéescar le Togo s'enlisa dans le chaotique processus dedémocratisation dont on n'est pas encore sorti denos jours.

CONCLUSION

Au lendemain de l'indépendance, les disparitésrégionales en matière de scolarisation, problème trèsépineux de l'époque, ne furent point résorbées et lenouvel Etat togolais se retrouva rapidementconfronté aux urgents et nombreux impératifs dedéveloppement. L'éducation, bien qu'officiellementérigée en priorité des priorités, ne fut pas moinsdélaissée et végéta jusqu'aux années 1990, au fur

et à mesure que le Togo sombrait dans les difficultéséconomiques.

Mais les constats et les résolutions prises à laconférence nationale souveraine se situèrent souventau stade de vœux pieux. En effet, la tendanceactuelle n'est nullement à la démocratisation del'éducation. Elle évolue dans le sens del'instauration d'une « école des riches» au niveaudu supérieur, excluant du système, les couches lesplus pauvres. En témoignent, les coûts de scolaritéprohibitifs dans les différents niveaux del'enseignement et de l'apprentissage. Lesformations les plus professionnelles demeurent lesplus chères, les mettant ainsi hors de portée de lagrande masse des étudiants ou apprenants. Cettesituation rend impossible la professionnalisation del'éducation que les autorités compétentes ne cessentde prôner.

Finalement, l'enseignement, au lieu d'être le lieude nivellement social, le moyen de promotionsociale des gens de condition modeste, est en trainde devenir une chasse gardée des couches les plusnanties.

Il faut cependant dire qu'il s'est amorcé uneévolution vers la prise de conscience par les autoritéspolitiques du Togo qui, par exemple, ont fini parréduire les frais d'inscription à l'Université deLomé, frais qui sont passés de 50 000 frcs à 25 000frcs en 2004-2005. Mais il faudrait beaucoup pluspour que l'enseignement soit à la portée des moinsnantis.

En effet, cette mesure est insignifiante car pour lesétudes de troisième cycle, la scolarité est toujoursmaintenue à 100 000 frcs. Il est évident que peud'étudiants, pourtant capables de réussirbrillamment àce niveau sont capables de s'acquitterd'une telle somme.

Cette tendance appelle une réflexion. Il est un faitque ceux qui ont pris ces mesures, sont de lagénération qui a le plus bénéficié des principes surlesquels sont fondés le système scolaire francophoned'Afrique, à savoir la gratuité, l'obligation et lal:.l'·cité de l'école. Ils ont aussi été ceux qui ont le

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plus bénéficié de « l'Etat Providence» et qui, unefois au pouvoir, ont mal géré les ressources du pays,le conduisant à la banqueroute.

Il est curieux de constater que paradoxalement, cesont les personnalités de cette génération quidécrètent la fin de « l'Etatprovidence ». Bref, c'estune génération qui, après avoir joui des bienfaitsdes principes fondateurs du système scolairefrancophone et des mesures sociales qui vont avec,demandent aux jeuneS générations de payer pourdes fautes et de supporter les inconvénients d'unesituation qu'elles n'ont pas créée. Une telle façonde concevoir les choses aboutit inéluctablement àl'explosion sociale comme celle que le Togo a connuau début des années 1990.

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