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QUETE HERMENEUTIQUE ET ESTHETIQUE DANSOS/B/S B/S/N6 1 D'AYI KWEI ARMAH NDIA YE IDRAHIMA Maître-assistant, Ecole Sup érieure Pol yt echnique, Centre de Thiès, Université Cheikh Anta Diop.S énégal Titi.' article isulat und t!. pla,,!.\ varions luter- téxtuat strata lif 0 ir; Ri.ting: tire story tif II quest nchored ill Egyptolo Il. ft also examines the narrative technique' whi ft yi Kw . Armait u. es to arountl the main plot of the novel, origlnu! tlocumentary lrmptlons UIlIi tories tif repres mtative figure \ 'if modern Afrlca. Re limé L pré. ent article isole et explare diverse strate lnterte: tuelle t/'O iri. Ri 'lng, récit d'une quête ancrée dan: l'É yptotogie. 11 xumin Jg((lclIIent 1 .\ techuiqu narrative: irûce auxquette Ayi Kwe! Arma" tls: e autour d l'ossature principale du récit, tl irruption. documen- tain '.' orlginule el dt!. tüstoir. . de figur e ' repr ésentativ de l'AJritlue d'tllljQurd'hui. Mots-clés Key words Quête, techniques narratives, Afrique, herméneutique, esthétique, Égyptologie. Quest, narr ativ e techniques, Africa, herméneutiques, aethrioscopes, Egyptology INTIlODUCTION Osiris Ri sing, c'est J'histoire d'une quête des origines écrite d'une manière qui rompt avec une tradition incarnée par quelqu'un que le narrateur refuse de nom- mer autrement que par «l'auteur», celui de Journey ta the Sourc e. Ast, l'héroïne, en veut à cet écri- vain africain-américain d'avoir succombé au joug de son éditeur au point de modifier son manus- crit original sur l'esclavage afin de mettre ra vérité historique au goût du jour. Tout cela, au nom du soi-disant principe de l'«in- formation packaging» (OR, p. 6) selon lequel l'histoire ne se-rait, au fond, qu'une matière pre-mière ne valant que par la qualité d'un emballage rigoureusement con- forme à la sensibilité de ses lecteurs. Les implications immé- diates d 'un tel choix affectent directement les techniques narra- tives répertoriées par le narrateur lui-même: This knowl edge should be integra ted in/a aspects of the book : structure, narra/ion. characterization, description. dialo gue, imagery, diction. theme. The aim was no/ jus/ /0 av oid rubb ing the readership the wrong way : i/ was also /0 exploit opportunities for stroking il. The author accepted the premises. (OR, p. 4) Pour profiter de toutes les occasions de caresser son lectorat dans le sens du poil, il faudr ait donc, à en croire <d'auteur», as- servir les techniques narratives au pouvoir de l'argent ou de l'esta- blishment. Cela ne pouvait donc ne pas heurter la conscience d'Ast, et affecter le récit de sa propre quête qui est essentiel- lement fondée sur le souci de la vérité historique, tel qu'il lui a été enseigné en Égyptologie, disci- pline sur laquelle n'a cessé de planer l'ombre de feu Cheikh Anta Diop. Le présent article se propose d'isoler et d'explorer les diverses strates intertextuelles et certaines couches de signification qui non seulement illustrent le sous-titre du roman (ca novel of Africa past, present and future»), mais aussi et surtout montrent com- ment la contribution du savant sénégalais participe de la quête herméneutique et esthétique dont Armah a fait l'ossature majeure d'Osiris Rising. 1. Annah, A.K., Osiris Rising Rising, a novel of A fr ica, present, past and futu re (Popenguine, WeSI Africa : Per Ankh, 1995).

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QUETE HERMENEUTIQUE ET ESTHETIQUE DANSOS/B/SB/S/N61

D'AYI KWEI ARMAH

NDIAYE IDRAHIMA

Maître-assistant, Ecole Supérieure Polytechnique,Centre de Thiès, Univ ersit é Cheikh Anta Diop. Sénégal

Titi.' article isulat und t!. pla,,!.\ varions luter­téxtuat strata lif 0 ir; Ri.ting: tire story tif II quest

nchored ill Egyptolo Il. ft also examines the narrativetechnique' whi ft yi Kw . Armait u. es to H'ea~' arountlthe main plot of the novel, origlnu! tlocumentarylrmptlons UIlIi tories tif repres mtative figure \ 'if modernAfrlca.

Re limé

L pré. ent article isole et explare diverse stratelnterte: tuelle t/'O iri. Ri 'lng, récit d'une quête ancréedan: l'É yptotogie. 11 xumin Jg((lclIIent 1 .\ techuiqunarrative: irûce auxquette Ayi Kwe! Arma" tls: e autourd l'ossature principale du récit, tl ~ irruption. documen­tain'.' orlginule el dt!. tüstoir. . de figure ' repr ésentativde l'AJritlue d'tllljQurd'hui.

Mots-clés Key words

Quête, techniques narratives, Afrique, herméneutique,esthétique, Égyptologie.

Quest , narr ativ e techniques, Africa, herméneutiques,aethrioscopes, Egyptology

INTIlODUCTION

Os iris Ris ing , c'est J'histoired'une quête des origines écrited'une manière qui rompt avec unetradit ion incarnée par quelqu'unque le narrateur refuse de nom­mer autrement que par «l'auteur»,celui de Journey ta the Source.Ast, l'héroïne, en veut à cet écri­vain africain-américain d'avoirsuccombé au joug de son éditeurau point de modifier son manus­crit original sur l'esclavage afinde mettre ra vérité historique augoût du jour. Tout cela, au nomdu soi-disant principe de l'«in­formation packaging» (OR, p. 6)selon lequel l'histoire ne se-rait,au fond, qu'une matière pre-mièrene valant que par la qualité d'unemballage rigoureusement con-

forme à la sen sibilité de seslecteurs. Les implications immé­diates d 'un tel choix affectentdirectement les techniques narra­tives répertoriées par le narrateurlui-même:

This knowl edge should be integra tedin/a aspects of the book : struc ture,narra/ion. characterization, descripti on.dialo gue, imagery, diction. theme. Theaim was no/ jus/ /0 avoid rubb ing thereadership the wrong way : i/ was also/0 exploit opportunities for stroking il.The author accept ed the premises. (OR,p. 4)

Pour profiter de toutes lesoccasions de caresser son lectoratdans le sens du poil, il faudr aitdonc, à en croire <d'auteur», as­servir les techniques narratives aupouvoir de l'argent ou de l'esta­blishment. Cela ne pouvait donc

ne pas heurter la conscience

d'Ast, et affecter le récit de sapropre quête qui es t essentiel­lement fondée sur le souci de lavérité historique, tel qu'il lui a étéenseigné en Égyptologie, disci­pline sur laquelle n'a cessé deplaner l'ombre de feu CheikhAnta Diop.

Le présent article se proposed'isoler et d'explorer les diversesstrate s intertextuelles et certainescouches de signification qui nonseulement illustrent le sous-titredu roman (ca novel of Africapast , present and future»), maisaussi et surtout montrent com­ment la contribution du savantsénégalais participe de la quêteherméneutique et esthétique dontArmah a fait l'ossature majeured'Osiris Rising.

1. Annah, A.K., Osiris Rising Rising, a novel of Africa, present, past and futu re (Popenguine, WeSI Africa : Per Ankh, 1995).

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Sciences sociales et humaines _

1. PASSE, MYTHE. ET RO­MAN SUR L'AFRIQUE

Osiris Rising, c'est plus préci­sément l'histoire d'Ast et d'Asar,deux êtres exceptionnels dontl'union et la vie empruntent uncycle aussi vieux que l'Afrique,celui du mythe d'Isis et d'Osiris.En effet, c'est au moment oùl'éclosion de leur amour et leuraccomplissement professionnelculminent avec la mise à terre desgermes du savoir et des compé­tences supposées 1ibérer J'A friqueque se reproduit l'éternel rituel dumeurtre du héros par Seth, lefrère jaloux.

Ast est une égyptologue afri­caine-américaine venue en Afri­que à la recherche de la vérité surle passé de la diaspora noire et del'amour de sa vie. L'origine decette passionnante aventure re­monte cependant à une enfancemarquée par une influence par­ticulière de Nwt, une grand-mèrepétrie d'Égyptologie qui insistapour que sa petite fille reçût lenom de la déesse la plus intel­ligente. L'heureuse bénéficiaireen adora le son et le sens . Safamiliarité avec ses ancêtres, lesdieux et prêtres de ces derniers,les cycles millénaires des saisonsqui s'ouvrirent et se fermèrentsur les rives du fleuve Hapi a nonseulement imprégné son enfance,mais elle a aussi contribué à faireplaner sur celle-ci un doute poi­gnant sur les vrais auteurs de latraite des noirs d'hier et d'aujour­d'hui, sur les tenants et aboutis­sants de ce qu'elle considère sur­tout comme une trahison de soi.C'est donc une quête qui la hanteautant qu'elle obsède les Afri­cains-Américains et les néocolo­nisés d'Afrique. Armah en a cris­tallisé la problématique et la sym­bolique sous la forme de l'ankh.

L'évolution de l'héroïne estinextricablement liée au destin

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d'Asar, un ex-camarade de facul­té, non moins amant lequel de­viendra son compagnon. Ce bril­lant universitaire et grand com­battant de la liberté qui a aidé àlibérer le Mozambique, le sud­ouest africain et l'Afrique duSud, est rentré au pays et a choisid'être enseignant dans une uni­versité située à Manda, ville depêcheurs.

Les rapports mythiques dunom d'Asar à celui d'Osiris pour­raient être recherchés dans uneparenté linguistique déjà exploréepar Cheikh Anta Diop dans Civi­lisation ou barbarie', Dans cetouvrage, l'éminent chercheur del'Université de Dakar qui portemaintenant son nom montre com­ment Wsr, nom égyptien d'Osiris,a vu son orthographe évoluer enWasar3

, Il serait donc tentant derapprocher Wasar du verbe Wo­lof wesaare (disperser, dissémi­ner) et d'Asar, le héros d'OsirisRising. En effet , en termes degénérosité et de don de soi, ilserait difficile d'égaler celui qui,dans le roman, a été à l'avant-gar­de de tous les combats de l'Afri­que moderne, et a su, avec uneélégance rare, vulgariser une mé­thodologie libératrice, sacrifiantsa personne et son amour à l'au­tel du bien-être communautaire.

Devant le succès grandissantdu réseau universitaire qu'il aidaà implanter pour promouvoir deschangements spectaculaires au­près des acteurs du développe-

2. Diop, C.A ., Civilisation ou barbarie(Pari s : Présenc e Afr icaine, 1981) , p.454.

3. En effet , Diop en démontre la présenceparmi les concept s égy pt ie ns ayantsurvécu en WoJoff ou Walaf, D' après Jetable au du savant sénégalais,«Wasar = disperser.Wasar = nom propre s érère ;p. ex. Wasar Ngom, un ancien lamane oupropriétaire terrien s érère, dont on ditqu 'il fut génér eux, d 'où son nom quisymboliserait la façon dont il avaitl'hab itude de disp erser ses biens parprodigalité 1...» ilbid.),

ment africain, le pouvoir, en lapersonne de Seth Spenser SojaJunior ourdit un plan pour sup­primer Asar en le mitraillant. Lecorps du héros éclata ainsi enmille morceaux qui s'éparpillè­rent dans l'estuaire du FleuveMaji. Ainsi donc disparut provi­soirement le héros, ce pédagoguede type nouveau qui sut, avec sonnoyau, promouvoir une démarchedidactique visant le développe­ment durable de l'Afrique . En ef­fet, le pays où se déroule l'actiondu roman n'a point de nom etl'appellation de la plupart desviIles, 1ieux dits et personnagesse veut ém inemment représen­tative d'un continent non racial etsans frontières.

La trame du roman, autre fac­teur innovant, participe d'une vo­lonté évidente d 'écrire un livredont les thèmes et procédés nar­ratifs tirent leur pertinence et leurdynam isme de certai nes thèses defeu Cheikh Anta Diop. Cela esten effet confirmé avec beaucoupde lucidité par cet échange entreAst, et Asar :

«Cheikh Anta Diop ?»«He 's an inspiration, y eso Williamstao. But what we need more thonidols is new work in the directionthey pointed out...» (OR, p. 104)

C'est pourquoi, d'ailleurs, il neserait pas inutile de juxtaposerdeux fragments des deux textes :celui du dos de Civilisation ouBarbarie et celui du passage in­titulé Who we Are and Why, écriten gras dans le roman d'Armah etqui résonne comme un manifeste.

Tout d'abord, le premier dontArrnah exploite si originalementle potentiel idéationnel sous for­me de palimpseste:

«Pour nous », écrit Cheikh AntaDiop. (de retour à l'Égypte dans tous lesdomaines est la condition nécessairepour réconcilier les civilisations afri­caines avec l 'histoire pour pou voir bâtirun corp s de scien ces modernes, pourrénover la culture africaine. Loin d'être

Rev. CAM ES - Série B. vol. 03 - W 002 , 200 1

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une dé/~clalion sur le passé , un regardvers l'Egypte antique est la meilleurefaçon de co.ncevoir el b âtir noire futurculturel. L' Égypte jouera. dans la cultureafricaine repensée el rénovée. le mêmerôle que les antiquités fréco-latines dansla culture occidentale» .

Ensuite, le second:

(. . .) Still, even in defeal the creai iveones left vital signs. They lefl traces ofamoral mindpath visible la this day ,provided we learn again 10 read pointers10 lost ways. They connected with pasllime and future space through know­ledge recovered, thinking Africans see­king one another in this commo» causewill meel the best of humanity for thework ahead : ending the past and cur­rent rule ofslavers. (OR, p. /0)

De ce texte qui en cache unautre émergent des expressionscomme «visible», «learn again toread», «connected with past ti­me», «knowledge recovered» et«thinking», qui renvoient séman­tiquement à «regard vers l'Egypteantique», «concevoir», «repenséeet renovée» et à «passé»,

Le retour à l'antiquité égyp­tienne, condition sine qua non dela restauration et du développe­ment scientifique et technologi­que de l'Afrique, et que CheikhAnta appelle la rénovation cultu­relle, le manifeste en expose lesrepères qui affleurent ça et là :«traces», «left» «faint», «vitalsigns» et «moral mindpath visibleto this day» (ibid.).

Quoi de plus naturel dès lorsque de recourir à un mythetel que celui d'Osiris? D'ailleurs,l'annonce de la naissance pro­chaine du fils d'Asar sur laquellele roman se ferme a pour but deperpétuer ainsi la résurrectiond'Osiris, le sauveur de j'huma­nité qui monta au ciel à côté deson père.

Il n'est que de se rappeler lacosmogonie égyptienne selon la­quelle Ra créa par le verbe les

4. Diop. C.A., op . cit ., dernière page decouverture.

Rev. CAMES Série B, vol. 0] - W 002, 2001

quatre couples divins: Schou etTefnut respectivement l'air oul'espace et l'humidité ou l'eau,Geb et Nut la terre et le ciel,Osiris et Isis le couple humainfécond qui engendra l'humanité,et Set (ou Seth) et Nephtys, lecouple devenu stérile suite au dé­sordre, au mal que Seth introdui­sit dans la création en tuant sonpropre frère Osiris et en disper­sant les membres de celui-ci afinqu'il ne ressuscitât jamais.

Ce type de résurrection cor­respond, d'après une classifica­tion de Northrop Frye, à l'un desquatre aspects essentiels du my­the de la quête. D'abord, l'agonou le conflit ; ensuite vient lepathos ou la mort que le monstreet le héros peuvent se donnermutuellement ; puis, la dispari­tion du héros, thème pouvantprendre la forme de sparagmosou mise en pièces du corps ainsipartagé entre ses fidèles ou dis­séminés dans la nature. (Some­times the hero 's body is distri­buted around the natural worldas in the stories of Oreheus andmore especially Osiris) ; et en­fin, la réapparition et la recon­naissance du héros.

On le voit, l'originalité d'Osi­ris Rising est également à recher­cher dans la place centrale con­férée à l'Égyptologie et à l'un deses ardents théoriciens : CheikhAnta Diop. En effet, les rapportsque l'héroïne du roman entretientavec ce fils d'Afrique sont em­preints d'amour: Everytime shepicked up a work of his. sheended up reading il throughaga in. Each lime the content hadthe fresh beauty of a lover seenagain (OR, p. 74)

5. Frye , N., Anatomy of Criticism (Prin­ceton, N. J. : Princeton University Press ,1973), p. 192.

2. L'UNIVERS PHYSIQUED'OSIRIS RISING

L'univers d'Osiris Rising té­moigne d'une grande singularitédu point de vue tant de son es­pace physique, de son atmos­phère, de ses occupants, que desa situation sociopolitique. Il suf­firait, pour s'en convaincre, denoter l'adresse de l'éditeur qui endit long sur la vocation panafri­caniste d'Armah : PER ANKH,Popenguine, West Africa. Popen­guine, est une petite viIle située àmoins d'une centaine de kilomè­tres de Dakar, la capitale du Sé­négal. Les villes, villages, fleuveset cours d'eau de cette contrée re­présentée dans le roman sont dé­signés par des noms qui excluenttout particularisme régional ounational : Manda, Bara, Hapa,Aru, Pale, Ker Lo, Khati, Teye,Majini, The Maji, etc., bien quel'édifice du Ministère de l'Édu­cation qui pourrait être reconnupar plus d'un Sénégalais est ainsidécrit:

The Minislry of Educa-tion was along, khaki-colored rectangle fourstories high. /1 was cleverly constructedla shut oui sunshine, making electriclight necessary. (OR, p. 155)

Le pays où se déroule l'actioncomporte certains côtés attra­yants : Sometimes a place can liftyou up. (OR, p. 130). Malheu­reusement, la classe dirigeante aérigé le parasitisme en système,tuant ainsi la créativité, l'espritd'innovation et de productivité.Tout le monde prend la vie pourune jungle où la survie consiste àramener l'économie, le commer­ce et le travail à un jeu de Mono-poly (Lives off everybody else .They produce nothing to sell .Like a whole country playingMonopoly, OR, p. 134) Le profitcommercial est exclusivementfondé sur la pénurie artificielle:

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Sciences sociales el humain es _

They have a survival strategy. Smelloui sources of products everybody needs: fo od, meal , fis h, sugar, imported go ods,gadge ts. Then black the source . Peoplewill have la pay la ge l the goods theyneed. (Ibid.)

Les services de sécurité dontSeth est le DD (<<Deputy Direc­tor» ou Directeur Adjoint), excel­lent dan s l'art de susciter lebesoin. Pour manipuler et dépos­séder le Président de tous les îlotsde luxe et de confort, la policedes renseignements provoque etentretient en lui la paranoïa et desbesoins excessifs de sécurité (so­me paranoid need, OR, p. 21) oude repos (... made him hypersen­sitive to his urgent need for l'est ",OR, p. 39), besoins dont les coûtssont défrayés par des multinatio­nales qui, à l'image de la Kaiser­lever, pillent le pays.

Les sphères d'opulence et lesservices de sécurité affich ent unluxe d'une insolence rare . Sethlui-mêm e est flatté d'entendreAst lui dire: fou 're extremelyweil outfitted. (OR, p. 30), avantd'appeler le bunker des rensei­gnements généraux, the concretewonderland. (OR, p. 44), qui re­gorge des gadgets électroniquesles plus récents:

A door opened beh ind her. Walkingoui of the ele vator she was mom entarilyblinded by arc lamps. She closed hereyes and stood still. The lamps ease dtheir heat, then blinked oui. She openedher eyes . She had arriv ed al a kind of TVcontro l room , la vishly eq uipped, aninfinitely more expensive blowup of theairp ort security bureau. There was noone, onty monit ors , comp uters , and anenormous pe necirc ular des k. No chair,but the missing arc of the desk seemedmade la rece ive the user 's seal. (O R, p.26)

Les installations sont d'unmodernisme qui pourrait surpren­dre en terre africaine. Une varian­te d'ascenseur empruntée par lebourreau d'A st consiste en unesimple dalle descendant ou mon-

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tant sur simple flexion corporel­le :

We 're go ing do wn, he said, adoptinga weird pose : lefi foo t ra ised abo ve theslab. weight shijied wholly la the right, aslight bend la the body. (O R, p. 42)

Rien donc d'étonnant à ce quel'on rencontre de tristes spee­tacles tels que ce que le narrateurappelle an administrator-madedesert of concrete pavement onrazed earth (0R, p. 21) ou cetteroute ou plutôt ce qu'il en reste:

The roadbed was nol s imp ly p ittedwith po tholes. Sa ml/ch of il was wornaway that where Ast expe cted isolatedcraters she saw the reverse liny islandsof tar ringed with sand and laterite, sur­vivors offorgo üen repairs. (OR, p. 49)

II y a aussi le HAPI, hôtelappartenant à Netta Ka, où lamaintenan ce et l'entretien restentdes gageures quotidiennes . Lapénurie artificielle de devises esttelle que miroirs, carreaux, déter­gents, etc. , font figure de denréesrarissimes. Aussi Netta avertit­elle Ast : I 'm sure the govern­ment is resear ching way s tocreate a shortage. (OR, p. 54)

Pourtant l'intérieur du paysest riche en vestiges d'anci ennessociétés égyptiennes . C' est le casde Bara, qu ' Asar appelle s ifièrement leur pôle ancestral (ourancestral focus , OR, p. 109) :

Il 's the old style, Tele said. Mosttowns built on this pattern were compl etecircles. Here the river culs off an arc .You see the aven ues-go ing down la theriver ? Normally theyd go through thecenter of the circ le, di viding the towninla quarters. Bara has eight sections, asyou see. Originally, each clan had ilssect ion. Seven clans, then a section fo rstrangers. (OR. p. 25 1)

Il s'agit ici d'une configura­tion géographique qui permet larépartition équitable et harmo­nieuse d'une société exogame. Ilserait possible de voir dans cepassage un autre exemple de

valorisation de la forme elliptiquerésultant des arcs des huit por­tions. Parei Ile descri prion.partici­pe d'une série de métamorphosesdu cercle dont celui de l'ankh, oudu noyau universitaire à partirduquel les groupes ciblés sontirradiés par des enseignementslibérateurs, etc.

Le réseau de beautyful ones6

qui naît et s'agrandit autourd'Asar à Manda ensei gne com­ment, à partir de tâches assignéesà des étudi ants, promouvoir ledéveloppement d'un habitat à lafois économique et fonctionnel.La réussite de la coopérativequ' ils ont constituée l'atteste :

The path tay between Iwo rows ofyoung mah ogany trees. Il ende d in atarge courtya rd fram ed by what Ast alfirst look la be [ive houses. When shedrew d oser she saw that each of the [iv ewas in f aci a sel of IwO houses built laform a rectangle with one end open.

Government housing ? Ast asked.No. Cooperative. Each un it houses

one [a mi ly . They're designed la save onplumbing. (OR , p. 107)

Les cours d'e au occupent, euxaussi, une place de choix dansl'action du roman . Nwn, l'eauprimordiale, ce boundless poten­tial yet in ils disorganization see­mingly void of hope. (OR, p. 8),est abondamment représentée. El­Ie nous est tout d'abord décritecomme dév alorisée par le pou­voir : - ls that a lake ? - Theyatch basin , yeso It used to he asmall ri ver. Kaiserlever dredgedif to make the basin . (OR, p. 40).Ce qui ressemble à un lac et quin'est en réalité qu 'un bassindestiné à l'usage d'un seul yachtétait , dan s le temps , un vraifleuve. L'estuaire du Maji, prèsde Bara est, quant à lui, au coeurde l'amour du couple Ast-Asar.

6. Appellation renvoyant aux hommesbeau x qui n'éta ient pas encore ve nus aumond e de The Beautyfut Ones Are NolYet Born de Ayi Kwei Armah (Lond on:Heinemann , 1977).

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Ses eaux sont au centre des rêvespar lesquels sont codés etdécodés les principaux ressortsnarratifs grâ-ce auxquels ledénouement de l'action consacrela rencontre du présent et ducycle du mythe de la mort et de larésurrection d'Osiris :

Then he exp lode d si -lently intofo ur teen s tarry fr ag-m ents , and Ihepieces plunged into the peac eful water.(OR, p. 305)

Le traitement souvent dé­pouillé mais toujours sobre del'univers, des personnages et desfaits participe, nous semble-t-il,d'une volonté soutenue de la.partde l'auteur, de dresser un état deslieux d'une Afrique telle qu'elle aété traitée par les prédateurs dudedans et du dehors. Les rapportssubtils tissés entre les vestigesphysiques et sociopolitiques desorigines égyptiennes de ce mon­de-là ne peuvent ne pas avoir unimpact décisif sur les compo­santes esthétiques du roman.

3. DES PERSONNAGES ETDE LA QUETE HERMENEU­TIQUE

Une autre grand e originalitéd'Osiris Ri sing réside dans lesnoms des personnages. Le pre­mier catalogue qui pourrait enêtre dressé inclut Sheldon Tub­man alias Ras Jomo CinqueEquiano, Prince Wossen, MaananDjan, Bai et Ndeye Kamara, IvaMensah, Lamine Djatta, Aba,Netta Ka, Keita, Sakho, Daba,Lo, Akwasi, Bantu Rolong, ImoMoko, Kojo Br.anye, Duma, etc.Quant au second catalogue, ilcomprend Ast, Asar, Seth Spen­ser Soja Junior, Nwt, Nwn, Re­khit, Set, Jehwty , Iarw, Rwwt,etc. Tous les deux contribuent àl'ancrage du récit aussi bien dansla géographie et l'histoire afri-

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caine s que dans la cosmogonieégyptienne.

3.1. Ast ou Isis

Ast est le personnage princi­pal du roman . C'est au trave rsprincipalement de son regard quenous apparaissent les êtres et leschoses ainsi que les événements,tout comme les expériences quileurs sont associées. Elle consti­tue avec Asar une sorte de relaismythologique représentatif d'unâge d'or. En effet, un visage, leshéros n'en ont point. Aucund'eux n'a été décrit physionomi­quement, permettant ainsi .à toutbeau/yfui one de se reconnaîtreen eux.

La fi1iation d' Ast, The AfricanAst, most intelligent divinity, asnamesake. (OR, p. 7), fait d'elleun être de lumière qui apparaîtprogressivement comme une per­sonne attachée à la vérité.

Celle qui entoure l'esclavageet ses conséquences dont le Cin­que syndrom e l'a amenée à quit­ter les États-Unis qu'ell e rejet­te :

(" .) Of course / fe/I repelled byAm eric a. Thro ughout ils short liist ory /sel' Ame rica j ighl ing societies Iryin g labreak f ree fro m mea ningless /ives. /1 's arepulsive legacy . But repli/sion is nol mymotivation . 1 0111 here because / seepos sib ilit ies 0/ a better life, nol 10 bepicked IIp and consunied. but la becreated and li ved. 1 want la work lamake that Iife l'l'al .. (OR. pp. 111-112)

En plus d'avoir compris la na­ture du pays oppresseur que se­raient les États- Unis, Ast est ca­pable de distinguer entre créer etproduire d'une part, et la fonctionstérile du consommateur impro­ductif et aliéné, incapable d'unevie authentique et pleine, d'autrepart.

L'héroïne tient autant à laliberté qu'à l'amour, réunies enl'h omme providentiel dont elle

parle avec franchise: 1 knew hislife was focus ed on libera/ionwork. That , /00, attracted me.(OR, p. 7 J) Nulle surprise à lavoir rompre avec l'Amérique dela manière suivante:

/n America / fe lt /ik e a passengerearne s tly walking homeward al fi vekilometers an hour in a plane rushingaway al a thousand kil ometers an hour.Il didn '1 make sense . (OR. pp. 69-70)

Ast prit le parti de débarqueren Afrique parce qu'elle était à larecherche non seulement de ceque Netta Ka a su si bien résumer("Work and love : the dreamcombina/ion. ". OR, p. 69), maisaussi d'une communauté dedestin avec des amis ayant lesmêmes objectifs qu'elle.'

1 want la work in a socie ty 1 belongla, with friends movtng in dir ections 1can live with. "(OR. p. 131).

Pour une universitaire aussiobsédée par la qu ête de ce quedivers personnages et le narrateurappellent tour à tour social chan­ge (OR, p. 103), so cial direc­lions, la démarche herméneutique(dont le code a été défini parBarthes comme l'ensemble desunités qui on/ pour fonctiond'articuler de diverses manièresune question, sa réponse ... ouencore : de formuler une énigmeet d'amen er son d échiffrement 's,ne peut que favoriser la naissanceet le raffermissement de l'amour.Comme l'indiquent ses diversesaffirmations, Ast est un cher­cheur convaincu des vertus salva­trices de la poursu ite tenace dusavoir : l'Il keep searching. L'mwilling 10 pu/ energy, every thingl've got into that search ... (OR,p. 112) De cette quête le narra­teur traque les moments forts, lesmécanismes, tout comme l'inten-

7. Barthes, R . S/Z (Paris : Editions du Seuil.1970) pp. 118-119.

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Sciences sociales el humaines _

sité éblouissante de l'émoti on quiles accompagne:

( ,..) AsI fo und herself thinking ,bey ond the hesi tan t initi ati ves of pupilsand Irain ee teachers, about the essentialmeaning of the process unfolding aroundlier. Once, near th e end of the Irip,contemplat ing her understanding thatshe was al home al last, she cried. (OR,p. 163)

Témo in d'un de ces grandsmoments qui lui permettent devoir un stag iaire et ses élè vesréussir leur premier contact avecles vraies modalit és d'une véri­table participation citoyenne, Astsuccombe littéralement au bon­heur d'une certitude absolue, cel­le d'avoir atteint son but.

Son amour pour Asar regagnedès lors en force de la même ma­nière, c ' est-à-di re, par l'appré­hension des processus en jeu . Unexemple peut en être trouvé danscette situation de tension extrêmequ 'A st éprouve à l'idée que lerégime en place 'pourrait à toutmoment supprim er Asar qui, ap­paremment inconscient des dan­gers qu'il court, compromettraitleur bonheur :

She had worried about what shesupposed was a blind spo t in his vision :a lack of self-protective reali sm . Yellislen ing 10 him now she saw he wassharply aware of what he was doing. Hewas refusing, in the very structure ofhisthinking, 10 exaggera te his role, 10 slipinlo thinking he co uld be indispe nsa ble.Think ing of the elega nce of that refusai.she fe tt everything in her -mind, heart,body - drawn toward him . She louchedhim. (OR, p. 11 7)

Dan s l'exempl e précédentcomm e dans ce lui-c i, c'est laclarté d'une consc ience existen­tielle pleinement vécue au con­tact direct du courage lucide, dela connaissanc e, de l' estime desoi et des autres, tout comme del' amour qui confi rme Ast dans laj ustesse de ses choix. Tout celaconfère au roman d'Armah une

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port ée éminemment pédagogi­que : la quête réussie d'un e Afri­cai ne-américaine qui ass iste enAfrique à l' éclosion d'un e mé­thodologie qui enseigne commentapprendre à apprendre.

La même dynamique, Ast saitla reconn aître lorsqu'elle est àl' oeu vre. Comme par exemplelors des premières séances de tra­vail avec les «beautyful ones» :

8 111 the discuss ions them selves wereso lucid that Ast fe lt lucky 10 be pa rI ofan ordered process working 10 rid mindsand bodies of was tefu l tension ... (OR, pp.277-78)

L'h éroïne est également auplus haut point maîtresse d'elle­même (She knew she should notlet the place depress her with itssumptuous claustrop hobia., OR,p. 27). Bien que très jeune, elleest articulée, méthodique, prati­que et son style dépou illé trahitchez elle une perte certaine debeaucoup d'illusions sur les êtreset les choses . D'ailleurs, commele montrera l'analyse des rêves etdes cauchemars, Ast représenteun moyen fiable pour le lecteurd' accéder aux diverses couchesde signification du récit.

3.2. Asa r , Osiris des tempsmodernes

Asar es t donc l'h omm equ'Ast aime. En des mots on nepeut plus directs, celle-ci expli­que au héros pourquoi elle l' achoisi comme partenaire pour lavie:

l 'm afraid yo u overestimate me, hesaid. He looked defeated.

ln a superficial sense , 11701 's Irue ,she agreed. But there are things 1 kno wabo ut yo u. They attrac t me. f 'm nollal king a bo ut infatua t ion . l'm nolinterested in infa llibility. What drew mewhen we mel was what you were about .The direction you were giving your life.That 's the key la yo ur attraction : theclean sense of direction. /1 's the way fplan 10 live. Doesn '1 il mak e sense la YOll

that / see you as a companion ? (OR, p.III ).

Un dessein, de s object ifsclairs, voilà les deux secrets quifondent l'amour de cett e jeunefemme pour le héros.

A ceux qui s'interrogent , elleexplique le plus naturellement dumond e qu 'elle et Asar sonttomb és am oureux d 'un mê meidéal : 1 think l'm in love with thesame ideal he is in love with.(OR, p. 197). Cepend ant , bienqu ' ell e aime l'Afrique, ce lle-cise ra it, sans Asar, un uni ve rsabsurde parce que déserté par lajoie de l'amour, par la vie toutcourt : Africa is home (0 me. Buthome without you would be ades ert . What will j oy meanwithout you ? What will lifemean, Asar with yo u gone ? (OR.p. 165). Asar a touj ours été àla fois doué, brillant et modes­te :

He see med 10 ha ve no weight al ail .There he was, winning prises, playingfor th e school team, starting a studygroup. Yet he drew no fee ling ofimp ortance [rom anything he di d. HefIoa ted. What he did laler with ail h istalent shoc ked many. (OR , p. 71)

S ' i 1 ava it déçu ceux quiavai ent placé en lui de grandsespoirs, c' est parce qu ' il n'a vaitjamais été attiré par les orga­nismes internat ionau x ou autrespostes soi-disant presti gieu x etgrassement rémunérés.

De retour des diverses cam­pagnes de libération, il changeaencore en mieux:

He 'd always been pensive. He camebock quieter. One rumour said he 'd beenshocked into catatonia by the horrors ofth e freedo m wars. No drinking . nosmoking. No dr ugs , no sexual hunting ...(OR , p. 77)

Malgré les rumeurs, ses pro­ches, eux, le savent plus calme etplus équilibré que jamais.

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Désormais , il sait mieux fairepreuve d'une plus grande capa­cité à moduler son énergie detemps de guerre en une forcetranquille qui sied mieux entemps de paix:

How did you manage la se ille intopeacetime life aft er the intensity 01 yo urexpe rience do wn so uth ? Wha t yo u ca liintensi ty, didn '1 come only from militaryfighling. Most 01 il came fro m theawareness that we were prepari ng afuture. 1don '1 th ink there '.1'any reason 10

lose that awaren ess in civilian lifeanywhere in Afri ca today . (O R, p. 117)

Seule une conscience claire del'avenir qu'il faut à l'Afrique luia permis d'atteindre à une tellesérénité. Au plan des idées, il estintimement convaincu d'une qua­druple nécessité. D'abord , cellede réserver une place centrale àl'Afrique dans les études. Ensuitel'abandon des orientations euro­centristes au profit d ' approchesuniversaliste s. Puis, l'ancrage desétudes africaines dans l'hi stoirede l'Afrique, Enfin, un accentparticul ier sur l'urgence d'uneétude planifiée et soutenue dupassé de l'Égypte et de la Nubiecomme matr ices de l'hi stoir eafricaine . La clef de la réussited'un développement durable ases exigences qu'Asar résumeainsi:

Do you want a nam e for i l ? f'd sayil '.1' a matter 01 brin gin g up ge nera lions01 conscious African s will! democra tieworking and living habits. Nol rh etoric.Habits. Live day la day prac tice ... (OR,p. 11 7)

En somme , il s'agit ni plus nimoins de changement s profond set durables passant par de noiî­velles générations habituées à tra­vailler dans la démocratie. Com­me chez Ast, la démarche herné­neutique dAsar est doublée d'uncode heuristique".

8. Selon la définiti on qu'en donne RolandBarthe s. Le code heuristique est l'en­semble des Ira ils el modèles transfor-

Rev. CAM ES - Sé rie 13 . vol. 03 - W 002 , 200 1

( ...) Teaching ? Possib ly. l'e l hisbelief in the educa tional system was nolgreat. Ta work within i l he would have lalocal e some area 01 hope, so me inters­lice where an innovaiive teacher mightwork 10 turn a [ew stude nts away fromwhat he laugh ingly ca lle d the syslem '.1'

alienating viruses. Working in the educa­tional sys tem in prepara iion 101' the re­making 01 a devas ta ted continent, apeople dest roy ed : that was possible,barely. (O R. p. 17)

Elle est fondée sur le repéragedes domaine s d'aliénat ion et larecherche de moyens de libéra­tion individuelle et collective.

Lorsque Dineo répondit à Astqu'ln a un iversity the mostrational argum ents are supposedla win. (OR, p. 188), Asar rétor­qua : ... we 'Il have la move be­yond just having good ideas.We 'Il have la ge l organized.(Ibid.), pour souligner les vertussupérieures de l'esprit d 'organi­sation.

Grâce au héros, il est établique seules l'éducation patiente decitoyen s authentiquement forméset la foi qui sous-tend le rêved'un chan gement durab 1e peu­vent mettre fin à la tyrannie desprédateurs symbolisés par Seth.

C' est pourquoi Seth voit enAsar sa propre antithèse (You 'r ehis ant ithesis, OR, p. 11 5).Comme dans le mythe, l'en vie etla jal ousie l'emportent sur tout :SSS sees yo u as a th reat laeverything he represents. He 'snol wrong. You 're working f orchange . (OR, p. 208), He wantsy ou dead (ibid.). Seth veut parconséquent le voir disparaître dela surfa ce de la terre , comm edans le mythe où un piège permitau frère jalou x d'enfermer l' élude Dieu dans une caisse et de letuer.

moteurs de la nature. Voir Par oùcommencer in Le degré zéro de l'écriture,Roland Barthes (Paris : Éditions du Seuil,1972), pp. 145-55

Et Armah d'insister sur uneerreur politique aussi absurde quecourante . Elle est commi se parSeth qui accuse Asar et ses amisde tent ative de coup d' état. Lamaturité politique du héros et deson noyau est telle qu'ils ont tou­jours exclu le coup d'état commemode d'accession au pouvoir etcomme un moyen crédible d'unquel conque changement socio­économique durable:

A co up, in my op inion , represents nocha nge , he said. ln a country this size , afew people can make a co up any day.With such a liny s upport base, the mai npreoccupa iion 01 any su ccessful j unta isnol econom ie and so cial cha nge . /1 ishow la stay in power. A political base fo rpositive change takes decades 10 build. ACO l/P means those involved don '1 want lado the long lerm work needed la creale amoveme nl with a serio us Cl/Ill/rai base.They wa nt instant p ow er . The RapidResl/IIS mentality , Qui ck pape rcredentials without the long process 01intellec tual preparation. (O R, p. 209)

En effet, l'absence de basepopul aire garante de légitim ité,l'impossibilité d'une form ationintell ectuelle et culturelle con­séquente débouchent inévit able­ment sur la dictature et l' arri­visme. Tuer Asar équ ivaudrait àun simple coup de hache dansl'eau, d 'où la dérout ante sérénitédu héros.

Ce fut donc une fierté domi­née par la terreur de voir son ma­ri supprimé qui envahit Ast à lalecture du dernier article d'Asarparu dans la presse nationale:

Every line 01 th e artic le was safa m iliar la Asl ... (...) "0 my secretivelover." AI on ce the pride she fe lt in thisconfirmatlon that she had fo un d herwork an d love IVas des troyed by the fear01 inexorab le 10 .1'.1'. (OR, p. 278)

Ast sut dès lors que cela nepouvait qu ' acc élérer l'élimina­tion de cet être en qui affleureune personnalité propre à cataly­ser une fatalité originelle renvo­yant à Osiris dont les qualités

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avaient entraîné la mort physi­que.

Le personnage d'Asar com­plète fort harmonieusement celuid'Ast. En effet, il constitue la se­conde composante du code heu­ristique qui répertor ie et illustreles traits et modèles transforma­teurs de l'Afrique d'aujourd'hui.

3.3. Seth Junior

La filiation mythologique deSeth Spenser Soja Jun ior, elle,instaure la violence dès le débutdu texte à travers la référence àSet/Seth, le frère ja loux, l' éternelrevanchard. Ast qui connaissaitdéjà Asar et SSS ne put réprimerune terreur à la dimension quasi­mythique de la ja lousie et de lahaine qui couvent en ce dernier:

She tr ied, fig hting revu /s io n, taunderstand Set the stormy rager. dese rtoutcast, ex iled fr om love by the acciden tof body bli st ered by sunligh t. dr ivendesperate by laughter, discovering theterrible power ofrevenge in the freedomta fill the passage of hurt time withgames ofwar. (OR, p. 8)

Ce passage dit toute la terreurqu'inspire le pouvoir de nuisan­ce propre aux dieu x ou ange sdéchus.

Les st igmates de la stérilité,sceau d'une malédiction divineéternelle n'ont pu échapper auregard d'une Ast luttant déses­pérément pour empêcher Sethde la violer et de lui inoculerune blennorragie ca usée par ladébauche:

At the tip of DD's penis there was abirthmark, a reddish square. and despi tethe seriousness of her pre dic ament, sheCOI/Id no t help think ing thi s was anincongruous place fo r a birthmark. Thotwas when she saw liquid ooz ing from theDD's limp peni s. The sight sparked herout of her lethargy... (OR, pp. 63-4)

Le carré rougeâtre ironique­ment placé sur son organe dereproduction rappelle la sanction

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divine qui suscite tant de rancunechez l'Adjoint au Directeur de laSécurité. Lorsque Ast retrouveSeth en Afrique, elle a du mal àreconnaître cet ancien camaradede faculté qui alla jusqu 'à luiproposer le mariage. C'est ici lelieu de souligner que, contraire­ment à Ast et à Asar, SSS, lui, aété déc rit phys iqueme nt avecforce détails :

Ast studied him. The man had beenfleshy as an undergra duate. But now anew dimension had been added ta hismass, jilling him out , as if a study of hisbody had been conducted, then tightwads ofmeat fo rced in/a ail areas underunfi lled sk in. The result /ooked mons­trously so lid, and th e thou ght ca meunbidden ta lier : he must be chokingpacked sa tight . l'et the smile on hisma ssive fa ce look ed far from uncom­fortable, connecting overdeveloped jawswith the heavy ml/sc/es on his h l/ge .short neck. (OR, p. 27)

Comme le laisse penser l'usa­ge répété du passif, Seth a subides transformat ions physiques quitrahissent sa nature monstrueuse.En plus d'être un paquet de mus­cles hypertrophiés, il incarne tousles attributs d'u ne créature trans­formée en une force brutale dres­sée pour faire mal.

Tous ceux qui ont connu Sethdepuis sa plus tendre enfance nepouvaient être surpris de voirl'ambition à l'ét at brut qu'ilsymbolise lui faire emprunter lesraccourcis les plus condamnablespour se hisser au pouvoir. Il n'aja mais cessé de recour ir à cequ'Asar a toujours dénoncé : lepouvoir instantané, la mentalitédes résultats fac iles, les dipl ô­mes-bidons, etc. :

«Raw ambition, He round spo nsorsto pull him into positions he wa nted , asclos e to the eommand center as he eouldgel».

Power.Des tructive power. Control. Eleven

years afte r he finished school, here Se thwas. back with eso teric deg rees. Adoctora te in criminology. qu icki e post-

doctoral titles in espiouage, so me thiu gheavy in counterins urge ncy , and rows 0/credentials in int elligenc e work. He 'dfo und the levers of neocolonial power.(OR, pp. 75-7 6)

Et Armah de démonter lesmécanismes d 'accès aux moyensde contrôle d'u n pouvoir d'étatque nous savons maintenant des­tructeur par essence. Parmi euxles voies pseudo-académiques quidispensent les intéressés des vraisprocessus inte llectuels sans les­quels il n'est pas de vraie forma­tion. La manière dont Seth parlede la formation universitaire engénéra l et de la sienne en parti­culier le prouve amplement :

Car eful now. he said. 1 kn ow .l'ouha ve th e illusion there is a g re atdifference bet ween university work andal/l's. But modern life has made us ailresearch scholars, in a way. Som etimes0 1/1' prepara tion is fa ulty. Like las t time.(OR. p. 289)

En plus d'exe rcer l'essentie ldu pouvoir néocolonial au détri­ment de ses compa triotes, il per­pétue l' esclavage sur les expa­triés dont les Afr icains-Améri­ca ins reven us reconq uéri r ieurliberté dans leur continent d'ori­gine :

They hi! them with the money . Thinkof it. They came want ing sa mu ch toescape slave ry in America . They ende dup joining the slave dealers here. (OR. p.68).

En effet, au bout de quelquesmois en terre africaine, ils voientleurs ressources s'amenuiser. Lasoif de la liberté, l'attachement auconfort et le désir de soigner unecerta ine image de marque liée àleur statut d'expatriés les rendentvulnérables aux press ions durégime en place.

Ce type de press ion, Sethtente de l'exerce r aussi pourposséder Ast, la seule femme quilui résis tâ t au point de luirappe ler sa condition d'éternelmaudit. C'es t à la fin du roman

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qu'il avoue à celle qu'il n'a pasrenoncé à faire tomber dans sesmains comme un fruit mûr:

J 've looked al myselfJ 've wonderedwhy in spite of every th ing 1 feel in­complete. 1 know why. 1 keep il hidden,sometimes even from my self But withYOIl il 's no lise pretending . There areneeds we can do nothing 10 expiain. If 1had 10 pick on e \Voman in the wholeworld wliose resp ect, 1 mean love , couldend this feeling that in some way naturelias cheated me, that woman would beyou. 1 know YOll want none of the thingsthat make the oth ers com e 10 me, ready10 do whatever. 1 don '1 understand whatmakes YOIl indifferent 10 the power thatdraws sa many others. 1 do understand ildraws me 10 y ou in a way l 'd be a fool10 deny. Believe me. J've thought 100

long abou t il. Achievement. Obstacles.Objectives. Failure. lt's sOllle lime since1 understood that for so meone like me,the quickest rou te 10 achievement is nol10 jump obstacles, since 1 can '1fly, but 10

smash into them and dest roy them,wliichever way 1 can manag e ... (OR, p.301)

Outre j'inaccessibilité d'Ast,Seth se heurte à une difficultémajeure , celle de saisir laspécificité d 'un obstacle queconstituent les changementsobtenus grâce au travail profondde conscientisation des massesqui a été réalisé par les beautyfulones :

But suppose what makes th e ob­jective unattainable is not any obstacleblocking the path 10 il ? she ask ed. Sup­pose the reason is intrins ic. Supposewhat scents hidden behind the obstacle isquite independent in any cas e ? (OR, p.301)

Malgré sa propre nature et lacapacité de nuisance de l'appareilqu'i l dirige, Seth ne peut doncabsolument rien contre l'intégritéintrinsèque d'u rie pédagogie pui­sée à l' histoi re de l'Égypte an­cienne. Les changements prônésà travers une telle approche con­fèrent une dimension particulièreà la quête heuristique de person­nages principaux obsédés par unpassé et un avenir qui convergentsi remarquablement dans un

Rev. CAMES - Série B, vol. 03 - W 002, 2001

cycle mythique particul ièrementprégnant.

4. LES MODES NARRATfFS

Dans Osiris Rising deux élé­ments contribuent à articuler lechoix d'une mythologie égyp­tienne aux réalités africaines , à ladynamique narrative choisie pourmieux éclairer le récit. Il s'agit dedeux modes qui ont retenu notreattention et qui sont l'ankh etl'usage alterné du rêve et ducauchemar .

4.1. L'ankh comme mode dedé~oJlelJlent

Il est significatif que le romans'ouvre sur l'ankh, cet emblèmemufti-millénaire, of the oldest ofAfriea 's life signs, (OR, pp. 261­2). Cela est d'autant plus compré­hensible qu'il est au coeur de lavie de bon nombre de famillesafricaines américaines qui n'ontrien voulu oublier de leur his­toire , de j'histoire de l'Afrique.Nwt , la grand-mère y veille. Lacuriosité de sa petite fille y aide .Les patriarches qui y tiennentéduquent leurs descendants dansce sens , tenant jalousement à laculture de l'ankh, ce relais trônantdans leur maison, complet ici,amputé à moitié là. Celui qui estsi familier à Ast et dont la seulevue voilait le regard de Nwtd'une tristesse passagère maisintense est, lui, entier.

Représenté tantôt commeobjet sculpté, tantôt comme clefd'un moteur de pirogue ou clefde voûte d'une maison commecelle de Tete à Bara, parfois logoavec lequel sont signés lesarticles qui empêchent tout unétat africain de dormir, l'ankh ahabité le coeur et la consciencedAst très tôt :

From far of(. il look ed Iike an ellipsemounted on {[ cross. Close up. il was afemale form, arms outstretched, head ca­pacious enough 10 contain the womb.The day she asked ils name, her grand­mother NWI turn ed an incredulous smileon her. Ankh.. Life . Asi asked where ilcame from . Hom e, her grandmothersaid. Then her f ac e hardened as if theanswer had closed 0 /1 il. (OR, p. 1)

L'ambivalence qui caractérisece symbole selon qu'on l'aperçoitde près ou de loin, tout comme saforme elliptique qui en suggèretoute la visée cryptique, épais­sissent le mystère que le récit secharge de dissi pel' progressi ve­ment. En effet, une des spécifi­cités majeures de l'ankh tient à satête doublée d'un foetus . Véri­table couplage direct de l'intel­lect et de la procréation, cettevision symbolise des avantagesévidents: un moyen sûr et rapidepour les Africains d'aujourd 'huide renouer avec le développe­ment et les bri liantes civilisationsde l'Antiquité égyptienne grâceaux couples-miracles : la con­naissance et le savoir-faire, lacréation et la régénération, laliberté et la libération, en somme,la vie dans toute sa plénitude.

C'est d'ailleurs ainsi qu 'à lafin du roman , Tete apprendra àAst qu'une telle forme représentele lien entre le passé et l'avenir,lien qu'il faut rétablir, consolideret exploiter grâce au travail intel­ligent d'êtres créatifs . Personna­ges principaux et lecteurs en re­montent les vestiges pour expli­quer et évaluer les avancées etreculs dus aux irruptions colonia­les et néocoloniales ainsi que lapart de responsabilité incombantaux Africains du continent et dela diaspora.

Les différentes étapes del'évolution de l'ankh ont échappéà la fossilisation et à l'oubli grâceaux historiens et à d 'autreschercheurs:

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(...) She didn '1 gel lost in the past.She enlered il and came 0111 like il was aspac ious hom e with rooms with fieldsand rivers and seas and skies, endless.She said some day l, 10 0 , would becomean ances tor, and some child would askquestions about me, about my genera­tian, about wliat we did, what we leftundone, and why. (OR, p. 255)

La comp araison fort révéla­trice du passé de l'Afrique avecun univers suffisamment minia­turisé pour nous être aussi fami­lier qu'une maison familialeconstitue un moyen éminemmentpédagogique d'effectuer un voya­ge instructif dans le temps et l'es­pace.

Le symbole a, d'après le récit,donné son nom à d'innombrablessociétés secrètes africai nes d 'obé­dience maçonnique vouées à laprotection de la vie, la promotiondu cercle de l'amitié, la produc­tivité au détriment de la consom­mation servile, ainsi qu'au com­bat impitoy able contre la hiérar­chie incarnée par la pyramide(sociale, rel igieuse, politique,économique , etc.), les esclavagis­tes du dedans comme du dehors.

Les vertus de l'ankh incluaientla représentation parlementairelocale et nationale. Rien don cd'étonnant à ce qu'il ait été adop­té et fortement valorisé par legroupe d'Asar et de ses amis quien ont fait le symbole de leurlutte. Un de leurs articles qui enportent la signature attira d'ail­leurs j'attention des policiers quifouillaient les bagages d'Ast àl' aéroport où elle subit son pre­mier interrogatoire.

La révélation dont participe leschéma narratif suivi par ce signeprend aussi un relief plus drama­tique et plus actuel avec la moitiéde l'ankh détenue par SheldonTubman alias Ras Jomo CinqueEquiano.

Cet ancien activiste africain­américain venu en Afrique s' alié­ner dans les mains d'un régime

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monnaie pour des rentes dégra­dantes, une complicité activeavec le pouvoir en place, per­pétuant ainsi l'esclavage sous desformes modernes . Maquillant unstatut aussi déshonorant de pré­tentions à une lignée royale quiaurait été interrompue par l'escla­vage, il finit par donner son nomà un phénomène, le Cinque Syn­drome ou glory syndrome. Lessermons par lesquels il person ­nalise son "histoire" compren­nent des ingrédients musicaux ,sexuels et vestimentaires teintésde funk et de Rastafarianisme.Répétant à qui voudrait l'enten­dre sa soi-disant ascendance : Jam the Keeper of the Sign. (0 R,p. 144), il donne de l'ankh ladescription suivante :

On one side 01 the ring there was across. Yes, brothers, a cross. Are YOIisurprised ? This African sign, aider thonChrist by centur ies , already ha d thecross built into it. Ali 1 have la add isthat the sign you see here in my hand isAfrica 's sign 01 power. (ibid.)

Ce signe, on le voit, diffère decelui qu i est si familier à Astparce qu'il lui manque la moitiépour des raisons que CinqueIgnore.

Pour Seth qui sait pertinem­ment que ce symbole est origi­naire de l'Ancienne Égypte , plusprécisément de Kemt, il incarneune subversion à éradiquer coûteque coûte :

Tri/th is never sa simple, the DDsaid. You obviously don '1 know that thesy mbol yo u cali the ankh is an old onehere. YOII can see it in varions forms inthe pagan fe rti lity cuits surviving her e,and in some of the sculpture. BUI in thefo rm printed on the artic les it was usedby a dangerous secret socie ty that triedat one time la destroy ail ex isting socialand politi cal institut ion s here :monarchy, the aristocracy , slavery ...(OR , p. 35)

Plus que son argumentationidéologique partisane, la versionhistorique de Seth 'nous révèle

que l'ankh participait initialementdu culte d'I sis, l'épouse d'Osiris,la déesse de l'a griculture, d'où lapertinence du symbole tant auregard des aspirations d'Ast etdes combattants de la liberté quedu message global du roman.

En effet , comme ses ancêtres ,Seth a compris que la résurgenced'une telle société sonne le glasdes oligarchies et leurs satellites.Et Tete de montrer à traversJ'histoire de "ankh les avancéeset reculs de toutes les sociétés se­crètes dont la volonté de cohé­sion ne fit que renforcer les ré­flexe s de défense et de déstabi­lisation toujours plus subtils destrafiq uants arabe s et européens,et de leurs alliés locaux.

En instaurant ledit signe et leprincipe du serment, les groupesde défense optèrent pour un mo­de d'identification, d'inculpation,de jugement, de condamn ation etd' exécution des coupables quipréserve les droit s de J'individuet du groupe , tout comme lesvaleurs de civilisation des Akan.

En cas de culpabilité d'unmembre appelé "factor" ou traî­tre, celui-ci était convoqué avecla moitié du signe qui ne se dé­coupait qu'à J'aiguille incandes­cente, opération dont la lenteurvisait à se donner tout le tempsde s'assurer de la culpabilité dususpect. En cas de condamnation,celle -ci devait s'exécuter par lesuicide. L'un des "factors", Apo,ancêtre de Cinque et ancien es­clave affranchi aya nt été assezlâche pour se dérober au suicide,devint un "willing slave" en sejetant dans un négrier en partancepour l' Amériq ue, gardant pardévers lui la moitié du signe quidevait échoir à Cinque. Moyende révélation , l'ankh con stitu edonc, on le voit, un élément inté­grateur qui révèle les person­nages à eux-mêmes, aux autres etau lecteur tout en leur assurant un

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moyen cohérent de comprendrele passé et le présent de l'A fri­que, ainsi que les impératifs del'avenir que ce continent mérite.4.2. Les rêves prophétiques

Tous les cinq rêves ponctuantle récit ont été faits par Ast. Leuranalyse indique qu'ils anticipentsouvent sur le récit , en balisentles moments gordi ens, préfigu­rent certains destins , en éclairentles faits qui , malgré leur cruauté,deviennent acceptables, tout enconsolidant la portée des mes­sages de l'auteur. Comme danstout rêve, le contenu, les person­nages, les faits comme leur arti­culation, ainsi que leurs rapportsavec la vraisemblance peuventparfaitement justifier leurs fonc­tions esthétiques . Aussi serait-ilutile de se rappeler que, selonNorthrop Frye, certa ines carac­téristiques en fondent la validitéartistique:

ln the ar chetypal phase the work ofliterary art is a myth, and unites theritual and the dream . By doing so illimits the dream : it makes il plausibleand acceptable to a social wakingconsciousness. Thus as a moral fact incivilisation , literature embodies a gooddeal of the sp irit which in the dreamitself is called the censor. But the censorstands in the way of the impetus of thedream . When we look al the dream as awhole, we not ice three thin gs about il .First, ils limits are nol the real. bUI theconceiva ble. Second. the limil of theconceivabfe is the world of fulfilleddes ire emanc ipated from aff anxietiesand frustration. Third, the universe ofthe dream is entire ly withiu the mind of117,' dreame/.

La dimension mythique durécit d' Armah tient intrinsèque­ment à un rituel inhérent à larésurrection, d 'où le luxe d'unéclairage par derrière assuré grâ­ce à des rêves dans lesquel s leplausi ble et l'acceptable partici­pent de l' évei1des masses africai-

9. Frye, N.. op. cit., pp. 118· 119.

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nes. Beaucoup des faits peuplantces rêves et cauchemars devien­nent plus facilement concevablesau regard des excès dont se ren­dent souvent coupables bon nom­bre de régimes néocoloniaux. Lesespoirs et désirs sécrétés par lesterreurs et les frustrations am­biantes font donc faci lement re­culer d'autant les limites du con­cevable. En somme, il peut nousêtre offert un monde onirique à ladimension d'un cycle narratif re­produisant une fin provisoire quihorrifie et rassure à la fois. L'ori­ginalité des cauchemars d'Asts'explique par le fait que cettedernière estun chercheur-pénétréde la cosmogonie égyptienne.Dans son rêve initial aftleuredonc la peur d 'être englouti dansle vortex de l'échec et de l'oubli.

A nightmare CUI into her sleep. ln ilshe struggled with a whirlwind. Irying 10wak e against the tremendous force ofoblivion . In vain. Compan ionless. shepu sh ed aga inst the storm. She didn '1know whether 10 walk or swim, so heavythe air was . Breathing seemed impos­sibl e. Ther e should have been otherswitli her, but when she Iried 10rememberthem, memory fl ed her. (OR. p. 57)

Le tourbillon qui la menaceatteint des dimensions tantôt cos­miques, tantôt ontologiques. IIs'agit de la peur d'échouer seuledans sa double quête, celle del'amour et de l'identité fonda­mentale.

Quand le cauchemar cède laplace au rêve , celui-ci débouchesur l'apparition de l'amour, del'élargissement du cercle desamitiés:

Without trans ition nightmare slippedinto dream . Now, just beside lier, soclose as 10 see m pari of her, she had acompanion. From where had he com e?She was 100 happy 10 g ive the questionmore than a moment 's passage way. Sltewas no lon ger in the storm, She wasab ov e it . TOI/chi ng hands with thecompanion of lier soul, she rode clearwater. The two of them might havesufficed 10 pop ulate th e universe. But

there were others , none alone, many inpairs. the pairs connecting, the clusterscomi ng tog ether, riding storms, windand breeze . Where now was the pain. theterror of the s torm ? Dissolved in thelove she 'd [ound, the companionship thathad found lier. (OR. p. 57)

Ce rêve se caractérise par lebonheur, celui d'une élévationqui permet de survoler le vortexet l'union progressive des forcesdu changement. Pareil mode oni­rique instaure la prémonition etannonce ainsi l'émergence de fi­gures de proue qui, au cours dudîner organisé chez Asar appa­raîtront par couples pour cons­tituer le cercle que le narrateursignale (Others served themsel­ves and went to sit near her,forming a compact circle ., OR, p.187), et dont le travail révolu­tionnaire fera prendre peur auxplus hautes sphère s de l'état.

Et le cauchemar de succéderau rêve où, comme l'indiquentles images de chute, Ast tombedes hauteurs célestes où ellegoûtait aux délices du cercle-arc­en-ciel:

Anoth er nightmare. Then she drea ­med she was in a plane landing on awat erfali , vast and beautiful. A noiselessflighl . The engine go t its energy fr om ara inb ow up whose arc it glided. Il rea­ched the 10p , turn ed into an elevatorwithout walls and started down aninv isible shaft, gaining speed. It went sof ast its pa ssengers -Ast , another womanand two men - ail became airborne. (OR,p.58)

La menace qui pesait sur sonpremier contact avec l'Afriqueprend plus de relief dans cet uni­vers où abondent des détails for­tement apparentés à l'expériencequ'elle a déjà vécue dans le fa­meux concrete wonderland (OR,p.44).

JI est également significatifque le cauchemar suivant qui a,dès le premier tiers du roman,préfiguré la fin tragique d'Asar,

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ressemble singulièrement à celuiqui clôt 1' histoire du héros :

The cloud turn ed into a universe ofwater, algae- green, endless. Il coveredher yet did nol s uffocate her. Alone in aboa t, sh e was seek ing some thing smalland quick in the sluggish vastness.Flying between waves her boal followedthe fish. No matter how fa sl the boatfle w, the fi sh stayed a constant dis lanceahead. Thal instant the boat lea pt thedistance 10 the [ish, landing on lop of il.The fish div ed, leaving a sp inning hole inils wake . Small as il was, the hole drewthe boat into itself. For the first lime Asl[e lt the unfolding wate r suffocating her.Struggling 10 resist the em brace, shewoke. She walked 10 the window openingon 10 the verandah and opened il. (OR,p.73)

La métaphore de l'insaisis­sable poisson se retrouve dans cesouvenir que Tete raconte à Astet qui fait pleurer cette dernière.Ici, il est également question depoisson, mais aussi et - hélas, derêve impossible:

Asar studied his palms. BUI Tele didnol avoid Asl's eyes. Once, she sa id, 1was a fish in the ocean off Ma nda. 1 wasswimming with my new shoal, 10 givethem exercise in speed. The brightestyoung fish said 10 me : Mena, you knowwliat 1 dream of doing with my life ? 1dream of swimming in the ocean. ail mylife. 1 didn '1 have the courage 10 lell hersh e was in her dream. The kn owledg emight ha ve broken her heart, (OR, p.271)

Autre association à caractèreprémonitoire, l'épisode de la ran­donnée à Manda où Ast s 'accou­pla avec Asar, se mit à l'eau ,refusant d'en sortir avant d'avoirnagé à satiété, et qui n'en épaissitque davantage les nuages qui pla­nent sur le bonheur du couple. Eneffet, dans le passage qui suit, cesnuages s'effacent au-dessus de lamême immensité maritime oùl'image de la recherche d'un mi­nuscule poisson est remplacéepar celle du yacht des services desécurité cherchant Asar pour lesupprimer:

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Sh e felt the se curity yacht slo wdown, then st eady itself. When she \l'asable al last to rise she saw Asar 's boat , aminute point in the illuminated distance.coming al an easy pa ce dire ctly towardthe se curity patrol y acht , Now the yachtkept ils high arc lamp focused on theliny , ad vancing boat . When the Iwo weresome I WO hundred meters apart therecame a sudden, violenl chang e 11701

turn ed th e night around Asar 's boalwhit er than day . A bal/el)' of arc lampslit up the little boat and Ihe water aroundil. (OR, p. 303)

Notons avant d'en finir avecce point que ce dénouement a étéprécédé d'un cauchemar fait enlangue égyptienne:

Thal night she did nol rememberwhen they started making love. Therewas no transition from th e end oflovemaking 10 sleep 's beginning . Shehad a nightmare ab out words andbeginnings. Ther e was one word she had10 rem ember in the fac e of hostileinterrogators. Failure would be terribleas the loss of love. She had learned theword as a chi/do But now il refused 10

rise from memory.Ten, the interr ogators, faces hidden ,

repe ated. " If y ou know your language,tell us how 10 say ten.

... An inter roga to r laughed. Hisvoic e was that of the bla ck Rhodesiandevotee ofTS Eliot , Doctor Nguruwe.

Strange . YOli 're anxious ab out trialsalready pasto

1 don '1 kn ow if theyre past , orahead, she said. (OR , pp. 272-7 3)

Dans ce cauchemar affleurentles résidus d'une haine mortelleque Nguruwe et ses alliés dudépartement de langue anglaisevouent à Ast et à son groupe.L'ironie suinte dans ces interpel­lations qui prennent des alluresd'un interrogatoire policier. Plusque la torture physique, c'est lacrainte d'avoir oublié ses hiéro­glyphes qui a poussé Ast à parlerdans une langue égyptienne du­rant son sommei 1. Chez l' héroïne,il n'existe pratiquement pas defrontière entre la réalité et le rê­ve, suggérant du coup que celui­ci puisse se faire en Egyptien . La

persistance de la terreur de l'ou­bli achève de placer l'Égyptolo­gie au coeur du devoir de mé­moire envers le foyer de l'iden ­tité et de la conscience africaine.

CONCLlJSlON

Comme pour donner raison àAst, Armah confirme de fort bel­le manière que la vérité histori­que peut être restituée fidèlementet selon une esthétique qui, loinde heurter un lectorat, satisfasseaux normes d'une écriture uni­versselle . En effet, le défi d'Ast aété relevé au niveau des structu­res narratives. Tout autour del'ossature principale de la trame,les irruptions documentaires àcaractères pédagogiques, didacti­ques, idéologiques, économiques,historiques, et sociopolitiques ontpu s 'entrelacer grâce à des des­criptions de milieux, d'êtres, defaits dépouillés à l'extrême, maisaussi grâce à une séquence dontla brutalité et la logique infernaleont été mises au service d'unecertaine fidélité à la vérité surune Afrique qui aspire au chan­gement sans rien oublier de sesmythes fondateurs, de son passé.

Rev. CAMES - Série B, vol. 03 W 002, 2001